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Les états et la construction de l'union africaine: le cas de la Libye et du Sénégal

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par Romaric TIOGO
Université de Dschang - Master II 0000
  

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PARAGRAPHE II - LA CONSTRUCTION DES INTERETS

Comme l'explique Alexander WENDT, « les acteurs n'ont pas un ``portefeuille'' d'intérêts qu'ils construiraient indépendamment d'un contexte social »444(*). Il précise même que les acteurs individuels qui avancent dans une organisation « définissent leurs intérêts au cours du processus et des situations diverses » 445(*). Alors, si on a pu percevoir dans le comportement du Guide libyen la recherche d'intérêts hégémoniques au cours du processus de construction de l'UA, (A) le Président WADE, quant à lui, y rechercherait des rétributions économico-symboliques(B).

A - Les tentatives « kadhafienne » d'emprise sur l'Union

Comme l'a remarqué René OTAYEK, la politique d'aide de la Jamahiriya n'est pas facile à déchiffrer quant aux objectifs poursuivis fussent-ils apparents ou latents446(*). En effet, par son assistance, l'acteur donneur entretient ou renforce son influence sur le récipiendaire447(*). Transposée au sein de l'UA, cette analyse d'OTAYEK permet d'observer l'influence, ou du moins la tentative hégémonique exercée par KADHAFI. Leader d'opinion incontesté, économiquement puissant, KADHAFI se conjugue en « milliards de dollars »448(*). Persuadé sans doute que celui qui initie une idée ou qui paie commande, il a à plusieurs reprises réclamé et défendu ses intérêts dans l'Union en essayant d'y imposer son leadership. En clair, il était question pour lui d'une part d'ériger sa ville natale449(*) en capitale de l'UA (1), et d'autre part d'en assurer continuellement la présidence (1).

1- Les manoeuvres de transformation de Syrte en capitale de l'UA

Depuis la transformation de l'OUA en UA sous ses auspices, KADHAFI n'avait cessé de faire du lobbying auprès de ses pairs afin qu'ils transfèrent le siège de l'UA à Syrte. Dans ses prévisions, le contenu de la déclaration de Syrte devait constituer la colonne vertébrale de l'Union et son siège devait être installé à Syrte450(*). Cette obstination à vouloir faire de sa ville natale la capitale de l'Union est palpable quand on dénombre les rencontres panafricaines les plus prestigieuses qu'il y a organisées451(*).

En 2004, le colonel KADHAFI avait fait ressusciter le débat du transfert du siège de l'UA chez lui. Suite à une opposition frontale de ses pairs, il n'enverra qu' « un simple ministre de l'information » le représenter au sommet de l'Union. Surtout, KADHAFI se voyait-il comme le « président de l'Afrique ».

2- Kadhafi comme « Président de l'Afrique »

A travers ses nombreuses actions pour la construction de l'UA, le colonel KADHAFI caressait le rêve de devenir le « président de ses Etats-Unis »452(*) d'Afrique. Mais, comme l'a expliqué Yves EKOUE AMAÏZO, « la perspective d'un continent tout entier risquant de devenir à terme un seul Etat doté d'un président non élu, flanqué de 52 gouverneurs de provinces fit peur »453(*) .

Aujourd'hui, il a sans doute la certitude d'être devenu le « roi de l'Afrique », mieux le « Président de l'Afrique ». Après avoir longtemps refusé la présidence de l'Union parce qu'il la disait « seulement symbolique », le Guide libyen finit par l'accepter en vertu du mécanisme de la présidence tournante454(*). Dès son adoubement, il demanda aux autorités éthiopiennes d'ajouter « roi d'Afrique » au titre de « roi des rois traditionnels d'Afrique » déjà acquis. Le nouveau statut lui donnera le « droit » de se comporter tel le « président de l'Afrique », à l'image de cette description prenante de YERIM SECK Cheikh : « arrivé au centre de conférences d'Addis-Abeba escorté de sept rois aux costumes traditionnels chamarrés, couverts d'or et de bronze, Kadhafi a cédé la place indiquée par l'écriteau « Libye » à son Monsieur Afrique, Ali Triki, pour aller s'installer au pied du podium devant ses pairs, seul entouré de sa suite royale »455(*).

Avec des rois qui montent sa garde, cette attitude créant la distance avec ses pairs et toute l'assistance, tend à sacraliser une présidence de l'UA pourtant iconique. Tout de même, conscient de la visibilité qu'elle offre aux dirigeants africains, il refusera, à la fin de son mandat, d'ouvrir la session donnant lieu à la transition un an après456(*). Mais, cette tentative de putsch dans l'organisation sera énergiquement empêchée457(*).

Il est donc clair que le colonel KADHAFI considérait l'UA comme un espace intégré à sa Libye. Toute chose qui n'est pas du goût des chefs d'Etat qui n'entendent pas voir un président derrière le téléphone, et donnant des ordres comme à Washington. Le « roi d'Afrique » avait été contraint de gérer l'Union mais, sans gouverner. A la virgule près, le Président WADE, jouissant de certains privilèges au nom de l'Union, n'hésite pas de frapper du poing sur la table, lorsqu'il estime être lésé de ce qu'il y perçoit comme sa chasse gardée.

B - Wade à la quête des rétributions financières et symboliques

Le leader sénégalais a pu en partie tirer son épingle du jeu en s'impliquant dans la construction de l'UA. S'il paraît comblé des ressources financières que lui procurerait l'exploitation lucrative du monument de la renaissance africaine, (1) il peine toujours à imposer ses règnes sur le NEPAD auquel il a singulièrement participé à l'élaboration en tant que francophone(2).

1- L'exploitation lucrative du monument de la renaissance africaine

Objet du rêve du Président sénégalais et « discuté avec ses pairs »458(*), le monument de la renaissance est une idée rentable qui attirera des « centaines de milliers de visiteurs et rapportera des centaines de milliards de dollars »459(*). Tel que relevé dans le deuxième chapitre de cette étude, outre sa part contributive pour la réalisation de ce monument évaluée à 10 milliards de FCFA, le Président WADE en est à 100% le propriétaire intellectuel. Pour assurer son droit de préemption, la sculpture a été déposée sous le numéro 02800 le 12 décembre 2007 à l'Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) et enregistrée sous le numéro 08/0023 du 31 mars 2008460(*). La même démarche a été entreprise au niveau du Bureau sénégalais des droits d'auteur (Bsda), pour protéger l'oeuvre.

Pourtant, au moment où les retombées du monument, qui a fait des gorges chaudes au Sénégal pour son coût excessif commencent à aiguiser les appétits de certains Sénégalais, le Président WADE place sa gestion sous la direction de la « Fondation de la Renaissance  » chapeautée par sa fille Sindyély WADE. Répondant d'ailleurs à certains Sénégalais qui polémiquaient sur son accaparement du site auquel l'Etat sénégalais avait aussi contribué à la réalisation, à hauteur de 65%, le Président WADE a déclaré ceci dans les colonnes de Libération:« si Senghor a écrit quatre oeuvres durant sa présidence et que personne ne lui a réclamé les droits d'auteur, pourquoi alors les Sénégalais m'en réclament ? »461(*). Dans une interview du 1er août 2009, c'est-à-dire avant même l'achèvement de cette statue, il avait déjà révélé que  35% des recettes issues de l'exploitation du site lui reviendront, car c'est lui qui a imaginé l'oeuvre462(*). Comme c'est patent, en érigeant un monument qui magnifie l'Afrique tout entière, l'enjeu pour WADE se situe avant tout aussi au niveau des rétributions pécuniaires qui sont loin d'être les seules récompenses recherchées.

2- La bataille pour les règnes du NEPAD

Au regard des idées qu'il avait émises pour que naisse le NEPAD, le Président WADE espérerait sans doute que sa présidence lui reviendrait. C'est ainsi que depuis 2007, il a essayé à plusieurs reprises de ravir, mais sans succès, cette place à son homologue éthiopien Mélès ZENAWI. Lors du sommet de Kampala, il l'avait accusé  de vouloir créer « une présidence à vie au sein du NEPAD »463(*).

Dans le même esprit, en 2004, il avait dénoncé la mainmise des « anglophones »464(*) sur la gestion du NEPAD. Il soulignait en s'irritant qu'il y a quatre experts francophones sur 30 ou 40 experts. « C'est mauvais ». « Ne prendre en compte que des anglophones c'est contraire à l'esprit de l'Union Africaine et moi je ne souhaite plus cela »465(*). En agissant de la sorte, il n'est pas exclu qu'il construise indirectement ses intérêts dans ce projet panafricain de développement.

Nous avons donc deux Etats qui s'engagent pour construire l'UA, mais avec des enjeux divergents. Tandis que l'un la Libye fait la diplomatie pour se faire accepter sur la scène internationale et sécuriser ses frontières, l'autre le Sénégal s'y met surtout pour se faire connaître afin d'attirer des investissements sur son territoire. S'il est clair que l'UA assure la visibilité de leurs porte-paroles en leur permettant d'entrer dans l'histoire, on précisera que le Libyen l'utilise pour ses ambitions hégémoniques et mégalomaniaques, alors que le Sénégalais tend surtout à en faire usage pour des fins économiques et politiques.

Dès lors, le constructivisme permet d'expliquer comment les organisations internationales peuvent enseigner aux acteurs la manière la plus appropriée de valoriser leurs objectifs. A ce niveau justement, il suggère d'élargir le concept de structure. Comme le déclare Martha FINNEMORE, « des structures de connaissance partagée et de compréhension intersubjectives peuvent aussi former et motiver des acteurs... Ces structures sociales peuvent fournir aux Etats (et aux individus) à la fois des préférences et des stratégies pour poursuivre ces préférences »466(*).

En somme, « le multilatéralisme est, en quelque sorte fonctionnel par vocation : le servir c'est aussi attendre qu'il puisse servir »467(*). C'est ce que démontre pertinemment la construction en cours de l'UA. Car, comme on le constate, les identités et les intérêts des acteurs sont générés en partie par leurs interactions internationales.

Or, le projet sénégalo-libyen de construction d'une UA forte ne fait pas toujours que des adeptes. Multiformes sont les contraintes qui entravent leur marche vers une régionalisation de poids en Afrique.

* 444 WENDT Alexander, cité par LAMBORN (C.A.) /LEPGOLD (J.), op. cit, p. 46.

* 445 WENDT Alexander, cité par LAMBORN (C.A.) /LEPGOLD (J.), op. cit, p. 46.

* 446 OTAYEK René, « Libye et Afrique. Assistance financière et stratégie de puissance. », op. cit., p. 77.

* 447 Ibid.

* 448 Selon un classement rendu public par l'hebdomadaire Jeune Afrique, le leader libyen était parmi ses pairs le numéro1 tant sur les domaines de notoriété, de rôle diplomatique joué, de puissance économique que de production des idées. Voir « les 50 personnalités les plus influentes en Afrique », dans Jeune Afrique N°2607-2608 du 26 décembre 2010 au 8 janvier 2011, p. 40.

* 449 Le président Nkrumah, par exemple, ignorait son village natal N'Krofoul; Houphouët mettait le sien, Yamoussoukro, sur la carte du monde. Voir KABA (L.), op. cit., p. 105.

* 450 TUNDE Fatundé, « Kadhafi en ballottage », dans Jeune Afrique Economie No 313, op. cit., p. 12.

* 451 Outre les deux premiers sommets fondateurs de l'Union (Syrte I et Syrte II organisés en 1999 et 2001 respectivement), la Libye a également organisé cinq sommets panafricains à savoir les sommets de Tripoli de 2000 et 2003, le sommet extraordinaire de Syrte en 2004, la rencontre de Syrte en juillet 2005 et, enfin, la 13ème conférence de l'Union en 2009, une fois de plus à Syrte. En ce qui concerne cette dernière, elle était initialement prévue pour être organisée à Antananarivo (Madagascar). Mais, le coup d'Etat perpétré le 17 mars 2009 par Andry Rajoelina l'en privera. Président de l'Union depuis le 2 février 2009, le colonel Kadhafi fera du « forcing » auprès de l'île Maurice, candidate elle aussi pour cette organisation afin qu'elle retire sa candidature. Il y a lieu de rappeler que les trois pays en lice pour l'organisation de ce sommet étaient entre autres l'Ethiopie, la Libye et l'île Maurice. Le premier ayant organisé le 12ème sommet, trois mois seulement avant, logiquement, les Mauriciens devaient être un véritable concurrent pour la Libye. Cf. http://www.lesoleil du 30 juin 2011, consulté le 2 juillet 2011 et Anonyme, « Kadhafi veut le prochain sommet », dans Jeune Afrique N°2519 du 19 au 25 avril 2009, p. 9.

* 452 DEUTCHOUA (X.), op. cit., p. 3.

* 453 AMAÏZO EKOUE (Y.), cité par DJUIDJE kOUAM (R.), op. cit., p. 120.

* 454 Au 12ème sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, elle revenait normalement à l'Afrique du Nord. Comme c'est la coutume, les dirigeants de ladite sous-région devaient choisir parmi eux un président pour l'assurer. Au grand désarroi de quelques pays d'Afrique australe (Lesotho, Malawi, Botswana, Ouganda...) qui se sont énergiquement opposés à l'élection de Kadhafi, ses pairs vont lui concéder ce rôle pour un an.

* 455 YERIM SECK (C.), «Au secours Kaddafi arrive !», op. cit., p. 34.

* 456 A Maputo, comme lors de la première session extraordinaire de la conférence de l'UA tenue à Tripoli en février 2003, et appelée à se prononcer sur des amendements à l'Acte constitutif proposé par le pays hôte, les débats ont clairement ressorti les réticences des Etats membres, petits comme grands, à renforcer et singulièrement, le statut du président en exercice de l'UA. Ils avaient refusé d'accéder à la demande du colonel Kadhafi d'allonger le mandat du président de l'Union, à quatre ans, et s'en tenant à une formule de compromis prévoyant que l'élection pour un an était susceptible d'être reconduite. Voir BOURGI (A.), op. cit., p. 333.

* 457 Malgré le déploiement de ses équipes dans plusieurs pays membres afin de convaincre ses pairs de lui permettre de continuer sa royauté sur l'Afrique, Kadhafi fit face à leur opposition. Lors du 14ème sommet d'Addis-Abeba, suite à la pression des pays d'Afrique australe qui voulaient « sauver l'honneur » de l'Union, il pliera l'échine.

* 458 Entretien avec un diplomate sénégalais, le 26 avril 2011.

* 459 Propos du président Wade rapportés par SOW (C.), op. cit., p. 31.

* 460 Cf. http://www.afriscoop.net/journal/, consulté le 27 août 2011.

* 461 Propos du président Abdoulaye, repris par le quotidien Walfadjri, du 20 décembre 2009.

* 462 Propos du président sénégalais rapportés par SOW (C.), op. cit., p. 31.

* 463 COLETTE Elise, « Le Kadhafi show n'a pas eu lieu », dans Jeune Afrique N° 2586 du 1er au 7 août 2010, p. 18.

* 464 En référence aux présidents Thabo Mbeki et Olusegun Obassanjo dont les compatriotes semblent dominants dans le projet.

* 465 Cité par DEME (O.), «Entre espoir et scepticisme. La société civile et le Mécanisme africain d'évaluation par les pairs », dans TAYLOR Bernard (dir.), Perspectives, Ontario, partenariat Afrique Canada, 2005, p. 8.

* 466 FINNEMORE Martha, cité MCLEOD (A.), op. cit., p. 70.

* 467DEVIN Guillaume, cité par POKAM (H. D.P.), « Construction de l'Union Africaine... », op. cit., p. 18.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe