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La dualité étude-travail chez les étudiants

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par Seydina Ousmane Ndong
Université de Poitiers - Master1 2015
  

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Chapitre 1 : L'état de l'art.

1.1. Construction de l'objet d'étude.

Comme tout travail scientifique le choix de s'intéresser à la dualité étude-travail chez les étudiants contient une dimension subjective, donc liée à une vision personnelle mais aussi une dimension objective qui, elle, justifie l'intérêt et l'originalité de ce travail. En réalité, j'avais plutôt envisagé de travailler sur les associations des migrants Sénégalais et du rôle qu'elles peuvent jouer dans le processus intégratif de ces derniers. C'est à ce propos d'ailleurs que j'avais décidé de m'intégrer dans l'Association des Sénégalais de Poitiers (ASEP) dans le but d'avoir une vision beaucoup plus complète sur le rôle de ses associations mais aussi d'avoir une proximité avec mes enquêtés. Ainsi j'en suis devenu le secrétaire général. Depuis, je suis en contact en permanence avec les étudiants Sénégalais de même que ceux qui sont d'autres nationalités et qui nous sollicitent souvent pour avoir des informations. Disons que c'est à partir des échanges que j'ai eu avec deux étudiants Sénégalais qui sont en leur première année en France que j'ai décidé de porter mon travail sur la dualité étude étude-travail. En effet, en les orientant sur les démarches administratives (aller à l'OFII pour avoir leur titre de séjour, inscription à l'université, ouverture d'un compte bancaire etc.), l'un d'entre eux m'avait demandait une question qui a profondément attirée mon attention: «comment faire pour trouver du travail? » A cette question, l'autre ajouta qu'« il a déjà commencé à faire des recherches sur internet. ». En réalité, cette question a été posée presque à tous les membres de l'association qui, à leur tour ont décidé d'organiser un atelier sous la demande de ces derniers pour les aider à faire des CV pour trouver un petit boulot. C'est à partir de ce moment que j'ai pensé qu'il serait intéressant de travailler sur cette question du travail des étudiants. Pourquoi se soucier d'un travail alors qu'ils viennent à peine d'arriver en France? Ainsi, en faisant la recherche documentaire, en consultant tout ce qui peut me renseigner sur cette question, je suis tombé sur un extrait d'entretien que j'avais fait l'année dernière avec un étudiant Sénégalais. En l'interrogeant sur ses motivations à vouloir partir à l'étranger, celui-ci disait.

« Nous avons une certaine façon de vivre qui est particulière à la société sénégalaise. C'est la solidarité. A la fin du mois chacun participe pour qu'on puisse subsister. Et vu que tous mes frères et soeurs ont une profession et que moi je suis le seul étudiant avec mon petit frère, j'avais cette envie de réussir automatiquement, coute que coute dans ma vie quoi, de faire quelque chose, d'être utile. J'ai eu ma maitrise depuis 2010. Et de 2010 à 2013, j'ai tenté pas mal de chose, j'ai secoué le monde privé et le monde public et rien a marché et du coup comme je ne voulais pas toujours être pris en charge, je me suis dis peut être qu'il faut sortir (Sortir dans le sens de voyager, de partir à l'étranger). En France peut être ils (c'est-à-dire la famille) vont te financer le voyage mais si tu es là bas (à l'étranger) tu peux espérer trouver quelques choses (un travail, une source de revenu) pour te prendre en charge financièrement. Voilà pourquoi j'ai décidé de voyager en France pour venir trouver mieux et pour appuyer financièrement ma famille.» (Extrait d'entretien avec M.S, étudiant en master 2 de droit)

Cet extrait d'entretien parle en effet, de lui même. N'ayant pas d'opportunité dans son propre pays pour soutenir sa famille, cet étudiant juge nécessaire de s'expatrier vers la France, symbole de la réussite, du travail et de l'autonomie. Voilà le point de départ de notre recherche qui vise à comprendre le travail des étudiants s'orientant sur le pays de départ. Mais pourquoi porter la recherche sur les étudiants Sénégalais et Maliens?

En effet, depuis le début des années soixante, la France a connu une forte croissance du nombre d'étudiants, au point qu'on a pu parler d'une véritable explosion des effectifs de l'enseignement supérieur qui a aussi connu une diversification des filières et une dispersion géographique des établissements. Dans le même temps nous avons aussi assisté à une augmentation considérable du nombre d'étudiants étrangers qui viennent divers horizons.

En 2012, derrière les Etats Unis, la Grande Bretagne et l'Australie, la France occupait la quatrième position parmi les destinations privilégiées des étudiants étrangers.2(*) Toutefois, elle reste la première destination des étudiants africains désireux de poursuivre leurs études à l'étranger. Selon les chiffres publiés par Campus France, en 2010, la France accueillait 111 195 étudiants originaires du continent africain soit 29,2 % du total des étudiants africains et 43 % du total des étudiants étrangers dans l'hexagone. La très grande majorité de ces étudiants africains en France provient des pays du Maghreb et d'Afrique sub-saharienne francophone sur lesquelles porte la recherche. En effet, la décolonisation n'a pas entraîné la fin des relations entre la France et ses anciennes colonies. En réalité, les citoyens des anciennes colonies (Sénégal, Mali, Guinée, Cote d'ivoire par exemple) ont une certaine proximité culturelle avec la France qui peut sembler "naturelle" et évidente. Selon Georges Balandier, la colonisation a entraîné l'assujettissement - quand ce ne fut pas la disparition - de la quasi-totalité des peuples qualifiés d'attardés, archaïques, primitifs ou encore a historique. Ainsi il préciser que :

« toute étude actuelle des sociétés colonisées, visant à une connaissance de la réalité présente et non à une reconstitution de caractère historique, visant à une compréhension qui ne sacrifie pas la spécificité pour la commodité d'une schématisation dogmatique, ne peut se faire que par référence à ce complexe que nous avons nommé, situation coloniale » (Balandier, 2001, p. 9-29)

Dans cette optique, il est presque primordial à tous chercheurs qui désirent faire des études dans ces sociétés anciennement colonisées, de ne pas omettre ces conditions spécifiques. De nos jours, pour de nombreux jeunes de ses pays, la France représente un rêve. Elle est toujours perçue comme un lieu où la réussite est chose facile où du moins beaucoup plus facile dans leurs pays d'origine. La France a pris une place importante dans l'imaginaire d'une large partie de la population étudiante des ces pays. Plus encore, elle constitue un point focal de conceptions des projets et s'impose presque « naturellement » comme une voie, un passage possible vers l'avenir professionnel. (Gérard, 2008, p.1) Dans ce sens, la mobilité des étudiants de ces anciennes colonies doit susciter des interrogations spécifiques car elle a beaucoup de points différents par rapport à celles que peuvent susciter les émigrations sud-européennes, asiatiques voire latino-américaines vers la France. Des différences historiques, géographiques, politiques, sociales et culturelles dont l'analyse scientifique doit prendre en compte.

Au-delà de leur importance numérique dans le pays d'accueil ainsi que les liens historiques qui unissent la France à ces anciennes colonies, le choix de porter notre étude sur les étudiants Sénégalais et Maliens est aussi motivé par le fait que les étudiants venant de cette partie du monde (de l'Afrique) sont ceux qui sont souvent entendus sous le terme d'étrangers. Sur le plan juridique, est étrangers aussi bien les étudiants Espagnols, Allemands, de même que ceux Sénégalais, Maliens ou encore Ivoiriens. Même si les différences de traitement varient en fonction des accords signés entre les pays, admettons que les Africains semblent être '' plus étrangers que les autres étrangers ''.

Jadis, les étudiants étrangers en particulier ceux venant principalement des pays dits du Sud, ont toujours bénéficié d'une belle image et ce, jusqu'au début des années soixante-dix. Cette image positive est surtout liée à la politique qui a été mise en place par la France. En effet, le fait d'accueillir les étudiants originaires des pays nouvellement indépendants était souvent « présenté par les autorités publiques comme un élément de la politique de prestige de la France. L'étudiant étranger est jugé comme répondant aux intérêts de la France dans ses relations internationales [...] Cette ouverture idéologique se traduit par une politique d'accueil et un statut juridique extrêmement libéraux » (Slama, 1999, p18.). Ainsi, l'étudiant étranger se présente alors comme un élément qui favorise le rayonnement de la France qui fait tout pour les attirer et les conserver. Néanmoins et au fil du temps, l'immigration des étudiants n'est plus seulement une immigration souhaitant former des élites mais une immigration de masse issue d'un grand nombre d'étudiants souhaitant poursuivre leurs études et surtout « « l'incapacité de leurs universités (dans les pays d'origine à y répondre ». (Hemery, 1980, p.2)

Ce n'est qu'à partir des années 70 avec la publication du rapport Dischamps que la situation des étudiants étrangers connaitra un véritable tournant. En effet, dans ce rapport, pour la première fois les étudiants étrangers ne sont pas perçus comme «les acteurs du rayonnement de l'université française», mais constituent «une menace contre son prestige». Ils sont dès lors présentés comme une «charge» pour les universités, en terme d'effectifs mais aussi en terme de qualité car l'on considère maintenant qu'«ils font baisser le niveau» Sur ce point, il est clair que les étudiants étrangers qui, ici sont mis en cause «sont bien évidemment, ceux venus des pays du Tiers-Monde et non pas ceux venus des systèmes éducatifs équivalents.» (Slama, 1999, p.9) Dés lors, un changement radical fut noté dans les représentations qui tournent autours de l'étudiant étranger en particulier ceux venus des pays du tiers monde. Depuis, la France a modifié sa politique d'accueil. Nous avons assisté à un durcissement des conditions d'entrée dans le pays mais aussi ces derniers doivent chaque année, justifier leur séjour en France. Certains agents du Ministère de l'Intérieur considèrent que les étudiants étrangers sont des fraudeurs potentiels et prennent les mesures qu'ils jugent nécessaires au contrôle de cette fraude comme la demande de documents de plus en plus difficiles à obtenir.

En Novembre 2009, le Ministre de l'Immigration de l'Intégration, de l'Identité Nationale et du Développement Solidaire Eric Besson, précisera à son tour dans un communiqué que «l'utilisation de visas touristiques de court séjour pour entrer sur le territoire et s'y maintenir au-delà de la durée autorisée constitue l'un des cas les plus répandus de fraude au droit de l'entrée et du séjour en France. Elle ne doit faire l'objet d'aucune bienveillance, quand bien même le fraudeur revendiquerait le statut d'étudiant.»3(*) Toujours dans la même logique, en 2012, la circulaire de Guéant appelle les préfets à durcir les conditions de délivrance des autorisations de travail ainsi que le changement de statut. Ce qui ne manque pas d'avoir des répercussions au niveau de l'action des agents de préfecture comme le souligne Alexis Spire car elles renforcent les croyances de certains agents de préfecture qui estiment agir au nom de «l'adhésion au maintien de l'ordre national.»

Cette logique du soupçon pour reprendre les expressions de Yann Elimbi4(*), nous conduit à croire que la catégorie «étudiant étranger» et plus précisément ceux de l'Afrique constitue une catégorie particulière, d'où la pertinence de porter notre étude sur ce groupe. Cependant, précisons que le but en choisissant de se focaliser sur les africains ne constitue en aucun cas de les montrer sous une lumière plus positive ou encore de tenter de démontrer la vacuité des clichés qui leur sont attachés. Il s'agit plutôt de chercher à comprendre le rapport que ces derniers entretiennent avec le travail pendant les études.

1.2. Etat des lieux

L'objectif de ce travail est de saisir les facteurs permettant de comprendre la dualité étude-travail chez les étudiants venus de l'Afrique subsaharienne (Sénégal et Mali). Le travail étant défini dans cette recherche comme toute activité rémunérée déclarée ou pas, menée pendant les études à temps plein ou à temps partiel excepté ceux ayant un lien avec les études (stage obligatoire faisant parti de la formation, auxiliaire ou assistant de recherches, auxiliaire d'enseignement, correcteur ou chargé de cours etc.)

En France et dans de nombreux autres pays, beaucoup d'étudiants s'adonnent au travail rémunéré pendant les études. Désormais, les étudiants ne travaillent plus que pendant l'été au moment des vacances jadis considérées comme la période ou ils auront plus de temps libre, mais aussi ils travaillent de plus en plus pendant l'année scolaire. Ainsi, s'établit une articulation entre étude-travail qu'on peut qualifier de concomitante plutôt que de séquentielle. (Moulin et al, 2011) D'après le rapport du Conseil économique et social sur le travail étudiant en 2007, 15 à 20 % des étudiants travaillent de façon régulière pendant leurs études. Cette proportion d'étudiants salariés a assez fortement augmenté pendant les années 1990, avec une augmentation de 4,4 points entre 1990 et 2002.5(*) En 2006, l'enquête sur le coût de la vie étudiante publiée par l'Unef, montrera que 48% à des étudiants interrogés avaient déclaré exercer une activité salariée. Six ans plus tard, le nombre d'étudiants salariés augmentera pour atteindre 73% de la population étudiante.6(*)

Ces chiffes nous renseignent sur l'ampleur de ce phénomène. Celui ci se développe un peu partout en Europe (M. Wolbers, 2001) et ailleurs et le terme d'étudiant-travailleur ou d'étudiant-salarié est de plus en plus utilisé dans la littérature sur les étudiants.7(*) Ce fait est également très fréquent chez les étudiants étrangers. Déjà en 1998, l'enquête de S. Paivandi sur les étudiants de Paris 8 montrait que, 62% des étudiants étrangers travaillent (52% pour les étudiants français) pour gagner leur vie tout en bénéficiant d'autres types de ressources financières (aides familiales ou publiques). Pour ce qui concerne la durée de travail, l'auteur montre que près de 60% des hommes étrangers et 35% des femmes étrangères qui exercent une activité professionnelle, travaillent entre onze heures (surtout les femmes) et vingt heures par semaine (Paivandi, 1998, p.29).

Aujourd'hui, même les autorités françaises sont interpellées par cette question. Presque chaque année, des mesures sont prises pour trouver une solution face à ce phénomène. Le 31 mai 2011, Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, et Xavier Bertrand, ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé, ont envoyé aux préfets une circulaire durcissant les conditions d'obtention d'un permis de travail mais aussi de changement de statut pour passer d'étudiant à travailleur. L'objet était ainsi de « maitriser l'immigration professionnelle ». Le but était chiffré : passer de 30 000 visas de travail à 20 000. En effet, les étudiants étrangers étaient au coeur de ces mesures. Selon la circulaire, « une grande part du flux migratoire à caractère professionnel provient des changements de statut demandé par les étudiants. » C'est à ce propos d'ailleurs qu'il faudrait comprendre les propos de Abdelkader Latreche qui se demande si « Le travail salarié ne risque pas de tuer, ou de transformer, la migration des étudiants (migration universitaire) en une migration traditionnelle, de force de travail, et d'éloigner les étudiants de leurs études» (Latreche, 1999)

Comment expliquer cette forte propension des étudiants étrangers qui cumulent étude et travail? Telle est la question directrice de cette recherche. En réalité, cette question de la dualité étude-travail a fait l'objet de beaucoup de travaux. Si certains se sont préoccupés de l'impact du travail dans les études ou de ses avantages ou inconvénients, d'autres se sont intéressés aux causes de ce phénomène. Des recherches américaines ont montré qu'il existait un lien positif entre le travail en cours d'études et l'insertion professionnelle. Les écrits Catherine Béduwé, Jean-François Giret montrent que l'emploi étudiant permet d'acquérir des compétences comportementales, d'obtenir des informations sur le marché de l'emploi. De plus, il a un effet positif sur la rémunération des diplômés à leur sortie du système éducatif. (Béduwé, Giret, 2004) Quant à Erlich, le cumul étude-travail signifie pour de nombreux étudiants une préparation à l'insertion professionnelle :

« Le travail rémunéré des étudiants ne s'oppose pas au travail scolaire, mais constitue au contraire une forme complémentaire d'activités pendant les études. On assiste à une sorte de consécration institutionnelle du travail salarié par les étudiants, en tant que pratique ou modèle de pratique étudiante qui est basé sur un modèle de professionnalisation axé sur l'expérience de la vie active et l'apprentissage de l'autonomie financière, beaucoup plus que sur le « besoin » à proprement parler. » (Erlich, 1998).

Tous ces travaux cités ci haut montrent bien que le travail pendant les études dispose de nombreux avantage pour les étudiants. Cependant nous soulignons que dans le cadre de notre recherche, nous ne nous intéressons pas à cette question. Notre étude cherche à examiner les aspects pouvant induire les étudiants à se consacrer au travail pendant la période d'étude. A cette question, quelques travaux ont essayé d'apporter des réponses.

Ducharme R. identifie deux raisons: pour accroître leur autonomie financière et pour se payer plus de confort. L'auteur montre que 38 % de ces répondants ont affirmé qu'ils se sont adonnés au travail pendant les études pour pouvoir s'assurer une vie de luxe et surtout être dans un confort. (Ducharme, 2012). La réalisation du projet professionnel a aussi été évoquée pour expliquer la ruée des étudiants vers le travail pendant la période d'étude. Domingo, dans ses travaux a dégagé deux types de relations entre les activités rémunérées et le projet professionnel des étudiants. Pour lui, dans un premier temps ces activités contribuent à l'élaboration du projet professionnel, elles permettent aux étudiants «d'acquérir des informations précises sur un métier, une profession, un secteur d'activité, de découvrir un milieu professionnel avec ses codes et ses contraintes et de ce fait permettent aux étudiants de tester, affiner, (ré) orienter leur projet professionnel » (Domingo, 2005, p.3). Et dans un second temps pour les étudiants âgés avec des projets professionnels bien précis, les activités rémunérées pendant les études participent à la future insertion professionnelle. Ces activités :

«(...) successives depuis le début de leurs études leur permettent de construire leur CV ainsi qu'un réseau actif de relations professionnelles. Les étudiants adoptent de véritables stratégies dans leur recherche d'emploi. Leur objectif est de faire des expériences variées, dans différentes structures (...), mais néanmoins cohérentes avec leur projet professionnel. Ils jugent leurs activités rémunérées décisives en termes d'acquisition d'expériences professionnelles. Elles participent véritablement à la construction de leur qualification». (Domingo, 2005, p.3).

L'étude intitulée Investir dans leur avenir: une enquête sur le soutien financier en matière d'éducation postsecondaire en 2006, souligne que l'activité rémunérée parallèle aux études s'explique par les difficultés financières que rencontrent les étudiants. Selon cette étude, le travail constitue un moyen essentiel pour les étudiants de financer les études.8(*) En effet, la question financière reste au coeur des explications de ce phénomène chez les étudiants étrangers. D'après Ennafaa Ridha et Paivandi, parmi les étudiants étrangers, une très large majorité vient en France dans le cadre d'une initiative individuelle sans bénéficier d'une aide financière institutionnelle permettant de financer entièrement les études. Ainsi ces derniers ont distingué trois sources financières : la famille, les différentes aides publiques (bourses et autres allocations) mais aussi l'activité rémunérée. Leur enquête a permis de montrer que près de deux étudiants sur trois doivent travailler d'une façon régulière ou occasionnelle. (Ennafaa et Paivandi, 2008) Joubert, Baritaud et Lhuillier abonderont eux aussi dans le même sens en évoquant les conditions de vie précaires, voire acrobatiques, de beaucoup d'étudiants étrangers, surtout les non boursiers. (Joubert, Baritaud et Lhuillier, 1985). Quant à Latreche Abdelkader il est presque obligatoire pour les étrangers à cumuler étude et travail. Dans sa thèse de 3° cycle à l'Université Paris 1 il montre qu'en moyenne 58% des étudiants maghrébins financent leurs études en France par le travail salarié. (Latreche.A, 1999, p. 158). Le travail étant le moyen privilégié de ses étudiants pour le financement des études.

1.3. Les contours du problème

Depuis quelques années, nous avons assisté à un engouement majeur des étudiants au travail, en lien ou pas avec leurs formations pendant les années d'étude. Ainsi, la problématique de l'emploi pendant les études est devenue un phénomène social en pleine ascension. Dans une étude portant sur les jeunes collégiens du Cegep, Jacques Roy souligne que si deux étudiants sur dix occupaient un emploi rémunéré durant l'année scolaire avant les années 1980, cette proportion atteint maintenant sept étudiants sur dix (Roy, 2006). Cette propension extraordinaire du nombre d'étudiants qui cumulent les études et le travail pousse certains observateurs à penser que ce phénomène tendrait à s'imposer comme la norme plutôt que l'exception. (Gauthier et Labrie, 2013). Cette propension des étudiants vers le travail est un fait qui s'observe également chez les étudiants étrangers et plus particulièrement chez les étudiants africains. En effet, même s'il n'existe pas encore de statistique permettant de mesurer la part des étudiants africains qui exercent une activité parallèle aux études, l'observation permet d'avoir une idée sur ce phénomène chez ces derniers. Pour comprendre cela, il suffit de faire un tour dans la plupart des restaurants de la ville, dans les grandes surfaces, dans les boites de nuit etc. pour s'en rendre compte. Comme le souligne Aline Mandrilly, ces derniers sont devenus de vrais petits vigils et plongeurs, et les étudiantes africaines, de vraies petites techniciennes de surface et spécialistes du service à domicile. Les étudiants africains sont réputés être des « petits travailleurs infatigables », car ils effectuent la plupart du temps des tâches pénibles, ont parfois un travail de nuit ou même en cumulent deux, et souvent travaillent dans l'illégalité, puisque la durée maximale de temps de travail par semaine ne suffit pas toujours à joindre les deux bouts. (Mandrilly. A., Septembre 2007) C'est à ce propos d'ailleurs que l'Association des Stagiaires et Etudiants Africains en France (ASEAF) avait tiré la sonnette en tentant de rappeler aux étudiants l'objectif premier de leur présence dans le pays d'accueil. Dans son site internet, elle précise : « Si votre venue en France est liée aux études, il faut alors consacrer l'essentiel de votre temps à cet effet. La priorité est d'obtenir un diplôme, de finir une formation, qui vous seront utiles à vous et à votre pays. En ce sens, toute activité salariale doit être un moyen et non une fin en soi »9(*)

Comment comprendre ce penchant des étudiants (Sénégalais et Maliens) vers le travail rémunéré ? Telle est la question sur laquelle cette recherche tentera d'apporter des réponses.

En effet, l'exercice d'une activité rémunérée pendant les études nous semble intéressant à questionner car ayant pour la plupart du temps des conséquences aussi bien sur l'étudiant que sur ses études. Dans une étude sur les étudiants salariés en France, la sociologue Vanessa Pinto nous apprend que l'emploi étudiant et en particulier la forme non institutionnalisée, peut induire chez ceux qui l'exercent une « incohérence statutaire » caractérisée par des difficultés d'organisation et des problèmes de définition de soi. D'une part, il s'agit de gérer simultanément deux emplois, scolaire (cours et révision) et salarié, en tentant dans la mesure du possible de ménager des périodes de « loisirs » d'autres part, si certains emplois ont une certaine cohérence avec la filière suivie, d'autres exposent ceux qui les occupent à une sorte de dédoublement identitaire (mi-étudiants, mi-salariés, ni étudiants ni salarié) lié à un redoublement des contraintes.( Pinto V. , Mars 2014, p.3)

L'Insee, quand à lui soulignera qu'un étudiant salarié aura deux fois plus de risque d'échouer à ses examens que s'il pouvait se consacrer entièrement à ses études. L'occupation d'un emploi régulier réduit significativement la probabilité de réussite à l'examen de fin d'année universitaire. S'ils ne travaillaient pas, les étudiants salariés auraient une probabilité plus élevée de 43 points de réussir leur année. (Beffy, M., Fougère, D., et Maurel, A. 2009)

Ce chamboulement des comportements étudiants a souvent été expliqué par la crise économique survenue dans la deuxième moitié des années 1970: sur fond de difficultés dans les activités industrielles et face au développement rapide des services, commerciaux avant tout, la demande d'une main d'oeuvre flexible, disposée à accepter des emplois précaires, le plus souvent à temps partiel et avec des horaires fractionnés, aurait buté sur le rétrécissement de l'offre de main d'oeuvre juvénile, lié tant à la baisse des effectifs des jeunes générations qu'à leur propension à rester plus longtemps dans le système scolaire (Conseil supérieur de l'éducation, 1992: 48). Cette situation aurait exercé un puissant effet d'aspiration sur la population scolarisée tout en lui offrant de nouvelles opportunités, notamment celle d'accéder à une source de revenu propre. (Eckert, 2009) C'est dans cette perspective d'ailleurs que, les études qui s'intéressent à cette question de la dualité étude-travail évoquent le plus souvent les soucis financiers pour expliquer ce phénomène. L'occupation d'une activité rémunérée pendant les études est toujours mise en lien avec les conditions de vie des étudiants, la cherté de la vie, le logement etc. Qu'en est-il pour les étudiants Sénégalais et Maliens? En effet, notre revue de littérature sur le thème nous a permis de savoir que les éléments mobilisés pour expliquer ce phénomène ne prennent en compte que le pays d'accueil. Ce que nous appelons des facteurs endogènes c'est-à-dire cet ensemble de variables qui, dans la société française vont déterminer le devenir de l'étudiant. Pour bien comprendre ce phénomène, il faut nécessairement avoir une vision à la fois diachronique (historique) et synchronique (présente). En réalité, à partir du moment où il ya une diversité au sein de la catégorie étudiante, peut on généraliser les causes de ce phénomène? A cette question, il semble que, se limiter à ces seuls éléments, constituerait une occultation d'autres facteurs qui préexisteraient même à la venue en France. Même si les circonstances économiques dans le pays d'accueil peuvent constituer une incitation vigoureuse à la recherche d'un travail rémunéré, il y a tout de même lieu de penser qu'elles n'ont pas constitué pour autant une condition suffisante.

Ce travail, part sur l'idée selon laquelle, la mobilité étudiante, au-delà des études universitaires, est aussi sociale et économique. Elle se situe dès lors dans la même perspective qu'Etienne Gérard pour qui, la mobilité n'est pas cantonnée à un ou des circuits permanents; elle est aussi le produit d'un ensemble de condition et d'histoire particulière; celle de l'étudiant, celle de sa famille, celle du groupe social auquel il appartient combinés à celle des institutions en particulier scolaires qui ont influé la mobilité de l'étudiant à l'étranger. (Gérard, 2008, p.22) Ainsi, pour comprendre ce phénomène, il est important voire nécessaire d'orienter son regard sur les conditions de départ des étudiants vers la France car ce dernier se trouvant au centre de deux systèmes en interaction. On ne peut faire la sociologie de l'immigration sans esquisser, en même temps et du même coup, une sociologie de l'émigration ; immigration ici et émigration là sont les deux faces indissociables d'une même réalité, elles ne peuvent s'expliquer l'une sans l'autre. (Sayad, 1999, p.15). En d'autres termes, on ne peut faire une étude sur les étudiants étrangers sans tenir compte de ce que nous appelons ici des variables exogènes c'est-à-dire des caractéristiques sociales, l'ensemble des dispositions et d'aptitudes socialement déterminées, dont les étudiants sont porteurs avant même l'obtention du visa pour études.

Ainsi, pourquoi ils partent en France? Comment ? Qu'est ce qui caractérise ces étudiants ? Comment cette expérience (conciliation étude-travail) est-elle vécue par les étudiants? Quel sens lui attribuent-ils? Essayer de répondre à toutes ses questions subsidiaires nous servira de fil conducteur pour comprendre le recours au travail des étudiants étrangers pendant leurs études.

1.4. Hypothèses

Pour comprendre la dualité étude-travail chez les étudiants venus du Sénégal et du Mali, nous posons dans cette recherche deux hypothèses qui sont les suivantes :

ü Le choix d'aller étudier à l'étranger implique à la fois une décision d'investissement en formation mais aussi un choix de migration en fonction des opportunités de travail offertes par la France. En d'autres termes, un rapport coût/bénéfice s'observe dans la décision de partir à l'étranger. Un contact possible avec le monde du travail, en lien ou pas avec les études, constitue une dimension non négligeable dans la décision de partir.

ü L'exercice d'une activité rémunérée pendant les études, se situe dans une logique d'émancipation et d'autonomisation des étudiants vis-à-vis de la famille ou du groupe social d'origine.

1.5. Objectifs.

En effet, la mobilité étudiante a été traitée sous plusieurs angles mais très peu d'études se sont attelées à analyser le recours au travail des étudiants étrangers. Ce ''vide'' est intéressant en ce sens où il y a peut-être matière à fournir une nouvelle grille d'analyse puisque, comme souligner ci-dessus, le financement des études reste au coeur des explications données à ce phénomène. En effet, il n'est point dans cette recherche question de prétendre rejeter cette explication, mais plutôt de voir cette réalité sous un nouvel angle. L'objet en lui même, comme rappelé précédemment, n'est pas une nouveauté mais la grille d'analyse l'est un peu plus. L'objectif majeur étant de :

-porter notre regard sur le pays de départ pour expliquer la dualité étude-travail chez les étudiants Sénégalais et Maliens. Il s'agira de mettre en lien les projets d'émigration des étudiants et leur recours au travail dans le pays d'accueil. En des termes clairs, il s'agit de montrer que chez les étudiants Sénégalais et Maliens, la raison du départ est toujours double pour eux: à la raison proprement universitaire se trouve toujours associée aux opportunités d'insertion dans le marché du travail dans le pays d'accueil.

Nous avons également comme objectifs secondaires de:

-Saisir les motivations pour des études à l'étranger. En effet, ceci nous permettra de mieux comprendre la préparation, les stratégies, les attentes, les projets des étudiants étrangers en France. Pourquoi la France et pas un autre pays pour effectuer ses études ? Qu'est ce qu'on privilégie en choisissant la France comme pays d'études ?

-Analyser le rapport que les étudiants entretiennent avec le travail rémunéré pendant les études : comment le perçoivent-ils ?comment se perçoivent-ils ?

* 2 Étude principale Septembre 2012 du Réseau européen des migrations (REM): L'immigration des étudiants étrangers en France.

* 3 Communiqué du Ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité Nationale et du Développement

Solidaire titré Régularisation des étudiants étrangers - Eric Besson répond à l'UNEF, Paris le 30 Novembre 2009

* 4 Elimbi Y., Le parcours des étudiants étrangers africains en France, Mémoire de master 2 recherche Sociologie et institutions du politique, Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne UFR 11 - Science Politique, p.25, 2012.

* 5 Sur la question du travail étudiant salarié, des premiers éléments de cadrage sont contenus dans les études de Gruel et Thiphaine (2004) et Coudin et Tavan (2008) ainsi que dans le rapport du Conseil économique et social consacré au travail des étudiants (2007)

* 6 Source: UNEF, enquête sur le coût de la vie étudiante rentrée 2012

* 7 Les étudiants salariés des sciences de l'éducation. Cumul des études et d'un travail salarié : quelles conséquences sur la réussite au diplôme ? Sur l'efficacité de la formation ?, Coordination Patrick Berteaux, Université de la Réunion, CIRCI Françoise F. Laot, Université Paris Descartes, CERLIS, p.2

* 8 Cette étude a été publiée en 2006 par la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire. Elle portait sur la situation financière des étudiants du postsecondaire au Canada.

* 9 http://aseaf.free.fr/

ASEAF (Association des Stagiaires et Etudiants Africains en France), fondée en 2000 par un groupe d'étudiants

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