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La dualité étude-travail chez les étudiants

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par Seydina Ousmane Ndong
Université de Poitiers - Master1 2015
  

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Chapitre 4: Les motivations et les raisons de partir

Dans cette partie, il sera question de traiter les raisons qui poussent les étudiants Sénégalais et Maliens à la mobilité. En effet, la question des motivations des étudiants pour partir à l'étranger constituent une thématique très présente dans les études faites sur les étudiants étrangers. En réalité, s'intéresser aux motivations permettrait dans une large mesure d'avoir une idée beaucoup plus claire sur la préparation du voyage, les stratégies mises en place par ces étudiants, les attentes et projets de ces derniers. Pourquoi la France et pas un autre pays pour effectuer ses études ? Qu'est ce qu'on privilégie en choisissant la France comme pays d'études ?etc.

Ce qu'il faut surtout savoir c'est que chaque composante de la population étrangère des universités peut avoir ses propres raisons pour s'inscrire dans une université à l'étranger. Compte tenu des nombreuses théories15(*)faites à ce propos, il est facile de repérer un ensemble de variables qui sont évoquées et pouvant être qualifiées de facteurs d'attraction comme la qualité de l'enseignement dispensé dans les pays occidentaux comme la France, au prestige associé au diplôme français sur la scène internationale mais aussi aux opportunités de trouver du travail offerte par la France.

Toujours parmi les facteurs qui favorisent la mobilité étudiante, il existe aussi des facteurs qualifiés de répulsifs ou de facteurs « centrifuges » telle que la situation économique des pays d'origine, la défaillance de l'enseignement supérieur des pays d'origine, au chômage des jeunes, mais aussi des problèmes socio-familiaux des étudiants.

4.1. Les raisons pédagogiques.

Aujourd'hui, le système universitaire de nombreux pays de l'Afrique est touché par des crises sans précédent. La vulnérabilité des milieux universitaires et scolaires est d'autant plus grande face à la tentation de migrer que les perspectives d'emploi, voire même de réussite scolaire tout simplement, sont devenus sombres. Les universités des pays d'origine souffrent de carences, de défaillances qui obligent parfois les étudiants à la mobilité. En réalité, nos répondants ont désigné dans l'unanimité, le blocage que les universités de leurs pays ont connu dans ces dernières années suite aux nombreuses perturbations, à la qualité de l'enseignement qui se dégrade de plus en plus, comme un des motifs les poussant au départ vers l'étranger. A ce propos, la situation de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar peut servir d'exemple pour illustrer ce malaise qui traverse l'enseignement supérieur de ces pays. Alors considérée comme la plus ancienne structure d'enseignement supérieure francophone de la sous-région Ouest africaine avec ses 25 établissements de formation et de recherche, celle-ci a connu une véritable explosion de ces effectifs qui passent de 24 776 en 2001 à 75 188 en 2012.16(*)Ces transformations sur le plan démographiques ont même poussées le gouvernement à créer d'autres universités comme celle de Bambéy dans la région de Diourbel, mais aussi l'université de Ziguinchor dans le but de permettre à l'UCAD de réduire ces effectifs. A cela ajoutons, les nombreux amphithéâtres qui sont construits à l'UCAD. Toutefois, force est de constater que ces efforts n'ont pas eu les résultats escomptés. La population étudiante ne cesse d'augmenter. Chaque année, on note des conflits entre le syndicat des enseignants et le gouvernement. L'augmentation des salaires et des indemnités de logement constituent les principales revendications des enseignants qui se lancent dans des grèves qui ne terminent jamais.

Les étudiants de leur coté, revendiquent eux aussi l'amélioration des conditions d'étude et réclament leur bourse que l'Etat n'arrive plus à payer, paralysant ainsi le système universitaire. Il suffit que ces étudiants s'agitent pour qu'il ait une intervention des forces de l'ordre. Chaque année, plusieurs affronts entre les étudiants et les forces de l'ordre donnant ainsi lieu à des coups de gaz lacrymogène, de matraques. Chaque revendication universitaire fait l'objet de bastonnade, d'interpellation entraînant des blessés et parfois même des morts.17(*)

Le taux de chômage des jeunes sortant de ces universités ne cesse de s'accroitre. Au Sénégal, celui-ci est a atteint 49 % avec plus de 100000 nouveaux diplômés qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Le gel des recrutements dans la Fonction publique et la prorogation de l'âge de la retraite ont un impact négatif sur l'entrée des jeunes dans la vie active en particulier chez les diplômés du système éducatif dont la formation est jugée inadaptée aux besoins exprimés par les chefs d'entreprise.18(*)

Compte tenu des situations exprimées ci haut, entreprendre un voyage vers l'étranger s'impose aux yeux de beaucoup d'étudiants. La réussite est au bout du voyage semble t-il. Ainsi, sans hésitation, beaucoup d'étudiants se sont lancé dans des procédures pour un voyage vers l'étranger. A ce propos, la France reste la destination privilégiée pour de nombreux étudiants étrangers.

Tableaux représentant les 5 premiers pays d'accueil des étudiants sénégalais en 2011.

Pays

Effectifs

Pourcentage (%)

France

9 142

77,1

CANADA

615

5,2

ETATS UNIS

589

5,0

MAROC

504

4,3

ARABIE SAOUDITE

188

1,6

SOURCE : Unesco (extractions novembre 2013)

Ce tableau ci-dessus place la France en tête des destinations privilégiées des étudiants Sénégalais désirant poursuivre leurs études à l'étranger. En effet ce nombre colossal des étudiants Sénégalais en France aurait pu être largement dépassé, avec l'effectif sans cesse grandissant des bacheliers et autres diplômés supérieurs désireux de poursuivre leurs études dans l'Hexagone et à qui le visa est refusé.

Cette forte attraction de la France s'explique sans doute par l'enseignement de qualité dont font office les universités françaises sur la scène internationale. A travers le réseau campus France qui veille à la promotion de l'enseignement supérieur français, il y est indiqué que « l'excellence de l'enseignement supérieur français est largement reconnue à travers le monde. »19(*) En effet, ce pays bénéficie d'un prestige universitaire qui ne souffre d'aucune contestation. Selon l'enquête TNS Sofres pour Campus-France, 51% des étudiants africains de leur échantillon ont mis la volonté de bénéficier de meilleures conditions d'enseignement comme l'une des deux raisons principales ayant conduit à leur mobilité.

A travers les entretiens effectués aussi, la qualité de la formation française revient très souvent et il ne fait aucun doute que cette bonne réputation de l'enseignement supérieur français constitue une des raisons principales de la mobilité des étudiants Sénégalais et Maliens. D'ailleurs ils le disent assez clairement :

«Moi je voyais la France comme un pays qui pourra m'apporter beaucoup d'opportunités surtout au niveau des études. Puisque je faisais des études dans le domaine de la technique, je me disais qu'en France, il y a du matériel technique dont j'aurais besoin au cours de ma formation. » (Extrait d'entretien avec S.B, étudiant malien, étudiant Malien)

L'idée étant réellement de venir en France pour bénéficier du système scolaire qui est, selon eux, réputé prestigieux et plus valorisé. Il faudrait cependant mettre en corrélation la qualité de l'enseignement aux défaillances des systèmes mais aussi aux difficultés d'insertion dans le monde du travail. En effet, pour de nombreux étudiants, il est beaucoup plus facile de s'insérer dans le monde du travail avec un diplôme étranger, français en particulier qu'avec un diplôme des pays d'origine. En réalité, dans ces pays comme dans nombreux autres pays anciennement colonisés par la France, même si la cela change petit à petit, force est de reconnaitre qu'il existe ce qu'on peut qualifier d'une survalorisation du diplôme français au détriment des diplômes nationaux. Une telle importance est attachée pour ces personnes détenteurs de diplômes étrangers au détriment des diplômés nationaux. En réalité, être titulaire d'un diplôme français ou simplement d'un pays occidentaux, c'est jouir d'un grand prestige. De telle sorte que ceux qui sont issus des universités locales, en plus d'un déficit d'emploi dans le pays, ont moins de chance à s'insérer dans le monde du travail. Ainsi, beaucoup d'étudiants préfèrent partir à l'étranger dans le but d'obtenir un diplôme qui leur permettra de s'imposer au futur dans le pays de départ. M.D, étudiant Sénégalais qui a fait ses études supérieures en droit à l'Université Cheikh Anta Diop souligne dans son entretien qu'

«  Au Sénégal, la vie est très difficile. Des gens comme moi ont eu leur diplôme et n'arrivent pas à trouver du travail. Déjà dans la faculté ou j'étais, il y avait une association des diplômés chômeurs. Plus de 5000 étudiants qui ont eu leur diplôme et qui restent sans travail. Avec tout cela, je me disais que, une fois en France, tout va changer. Je me disais que quand j'aurais mon diplôme, je trouverai facilement du travail. D'autant plus que presque tous les gens qui sont dans les entreprises ou qui occupent un bon poste ont fait leurs études en France ou aux Etats Unis. De même que mes profs à l'université aussi comme je l'ai déjà dit. (Extrait d'entretien avec M.D, étudiant Sénégalais)

Cette survalorisation du diplôme étranger est d'autant plus amplifiée par le fait que grande majorité des dirigeants des pays africains comme Léopold Sédar Senghor, ont, sous la période coloniale, effectué leurs études en France et sont ensuite rentrés dans leurs pays d'origine. C'est ainsi que beaucoup de jeunes estiment que partir en France pour continuer les études est un moyen efficace pour pouvoir s'insérer dans le monde du travail. Face à l'incapacité du marché de l'emploi à absorber les vagues successives de diplômés qui sortent chaque année du système éducatif, et l'inadéquation de la formation aux nouvelles exigences du marché de l'emploi, présenter un diplôme français constitue aux yeux de ces jeunes un véritable atout pour se distinguer du lot.

4.2. La situation socio économique du pays de départ.

Comme de nombreux autres pays africains, le Sénégal et le Mali connaissent une crise économique et sociale sans précédent entrainant ainsi d'amples phénomènes migratoires à l'intérieur du continent africain ou à l'étranger. Aujourd'hui, nombreux sont les écrits qui font recours à la situation économique pour expliquer l'exode vers d'autres cieux.

Si l'essentiel de la population active du Sénégal évolue dans le domaine de l'agriculture, force est de constater que le secteur agricole de ce pays n'est plus rentable à cause des vagues de sécheresses successives. L'agriculture présente de graves faiblesses structurelles liées en partie à la désertification : les vents chargés de sable en provenance de la Mauritanie transforment progressivement le Ferlo (zone de culture de l'arachide située au centre du pays) en une zone aride. L'insuffisance de la production agricole s'explique aussi par l'insuffisance de quantité pluviométrique du pays mais également par la quasi-inexistence de moyens de production modernes (mécanisation, engrais, etc.). Ainsi, malgré les applications des politiques de redressement, les problèmes sociaux et le chômage se sont accentués et les conditions de vie des ménages sont devenues précaires.

Selon l'ANSD20(*)(Agence National des Statistiques et de la Démographie), après l'Enquête de Suivi de la Pauvreté au Sénégal (ESPS-II) qui permet le suivi des principaux indicateurs d'emploi et d'activité au Sénégal, les régions les plus touchées par le chômage sont respectivement Diourbel (17,5%), Saint-Louis (15,2%), Dakar (13,9%) et Louga (13,6%.). Dans cette enquête, l'ESPS-II a utilisé la même définition du chômage que celle utilisée en 2005 à savoir celle du Bureau international du travail(BIT). Pour la mesure du chômage, le BIT retient trois critères devant être remplis concomitamment : être dépourvu d'emploi sur la période retenue (ne pas avoir travaillé une heure au cours des 7 derniers jours précédent le jour de l'interview ou date de l'enquête), être activement à la recherche d'un emploi et être disponible pour occuper un emploi dans les quinze (15) prochains jours.21(*)

Répartition (en %) du taux de chômage selon la région.

Source : ANSD. ESPS-II, 2011.

L'analyse selon la strate montre que c'est le milieu urbain qui est le plus touché par ce phénomène. En effet, le taux de chômage en milieu rural est de 7,7% alors qu'il est de 13,9% pour « Autres urbains » et 14,1% pour « Dakar urbain ». Les jeunes qui constituent une part importante de la population active restent les plus touchés par le phénomène du chômage. En 2011, l'ESPS-II estime le chômage des jeunes de 15 à 24 ans à 12,7% au Sénégal.

Quant au Mali, outre la situation chaotique du pays avec le passage des djihadistes, l'économie est également en crise. Comme le Sénégal, l'agriculture qui domine l'économie de ce pays connait un frein à cause des sécheresses répétitives, de la baisse du prix des matières premières produites comme le coton, de la hausse des coûts de production (intrants et carburants). La plupart des biens de consommation est encore importée car le secteur industriel reste également peu développé. Dans son dernier rapport sur les perspectives économiques mondiales, publié début octobre, à l'occasion de l'assemblée annuelle prévue à Washington, le Fonds Monétaire International (FMI) dresse un bilan négatif de l'emploi au Mali. Il a revu à la hausse le taux de chômage; c'est-à-dire, 10, 8% en 2014 et 11, 3% en 2015 contre 9,8% en 2013.

Au vu et au su de ce qui précède, nous avons assisté progressivement à ce que Momar Coumba Diop appelle la culture de la « débrouille » d'où l'expression « goor goorlu, » chez les Sénégalais. (Diop, 2008) En d'autres termes c'est tenter de se trouver une place dans le secteur informel (marchand ambulant) pour ne pas être l'objet d'un oubli de la société. Dans le milieu scolaire, les étudiants mettent en place toutes sortes de stratégies pour s'en sortir. A l'Université Cheikh Anta Diop, il est fréquent de voir des étudiants qui s'adonnent à la vente de produits cosmétiques, de crédits téléphoniques ou à la coiffure pour sortir de cette inactivité sociale mais également pour compléter leur bourse qui ne les suffit plus. Toujours dans cette logique de fuir cette situation de crise, entreprendre un voyage à l'étranger est perçu par de nombreux jeunes comme une condition sine qua non pour la réalisation de soi. L'occident étant souvent perçu comme une garantie pour la réussite comme le montre les propos de cette étudiante Sénégalaise :

« Avant de venir, je pensais que c'était... c'était... c'était... c'était le pays des merveilles quoi ! (elle éclate de rire.), le pays de rêve. Je croyais que c'est la fin des difficultés une fois en France. On aura plus de soucis. Pour moi, on trouve rapidement du travail une fois en France. C'est pourquoi j'ai pris le risque de venir ici sans bourse. J'avais cet espoir de trouver du travail, c'est pourquoi j'ai pris ce risque. Pour moi ça serait trop facile de trouver du travail par ici alors que c'est tout à fait le contraire. » (Extrait d'entretien avec F.A, étudiante Sénégalaise)

Cette perception de l'occident comme une forteresse est également partager par K. B étudiant Malien qui abonde dans le même sens :

« Par opposition à nos pays, moi je voyais la France comme un pays ou on avait tout à notre disposition en fait. L'argent, faire un job étudiant et gagner énormément d'argent, faire des études de bonnes qualités, ou tu es soigné quand tu es malade, ou il n'y a pas de corruption ni de népotisme. »

Ces propos montrent clairement que même si certains partent pour les études, force est de reconnaitre que la recherche d'une vie meilleure reste au coeur du voyage. D'ailleurs ne pourrait on pas se demander si les études ne constituent pas un moyens pour certains pour entrer partir à l'étranger ? Comme le soulignent V. Borgogno et L. Vollenweider-Andresen (1998), il existe trois types de migration étudiante parmi lesquels une migration à dimension sociétale (économique et social) qui se base sur une recherche d'un meilleur environnement de vie. Pour ces deux étudiants cités ci haut, partir en France équivalait à la fin des difficultés car espérant trouver du travail. En effet, les informations recueillies auprès de nos répondants sont de nature à confirmer que l'aspiration à émigrer est extrêmement forte chez eux. Le voyage en France, même par la voie des études, reste aussi le produit des difficultés économiques auxquelles font épreuve ses étudiants. La conception d'une France riche, synonyme de réussite permettant de comprendre que la recherche d'une vie meilleure reste un motif sous jacent du voyage de ses étudiants. Malgré la procédure très longue pour l'obtention du visa pour étude, la cherté du financement du voyage, beaucoup de personnes estiment que ça en vaut la peine. Les résultats attendus pour le voyage sont plus importants à leurs yeux. En effet, avant de prendre la décision de partir, l'individu examine les coûts, de même que les bénéfices liés à la migration potentielle. Cette approche de la migration est souvent associée au texte de Larry Sjaastad publié en 1962 (chapitre 3), dans lequel il se propose d'identifier les coûts et les bénéfices importants, à la fois individuels et sociaux. L'auteur considère la migration comme un « investissement qui augmente la productivité des ressources humaines », investissement qui comporte des coûts et rapporte également des bénéfices. Harris et Todaro, s'inspirant d'un article de Lee (1966), considèrent quand à eux que la décision de migrer relève d'un choix rationnel qui prend en compte les avantages et les désavantages liés à la migration. La rentabilité de migrer ou non relève donc d'un calcul coûts-bénéfices. Toutefois, il est important de souligner que les bénéfices ne sont pas que d'ordre économique. Elles sont aussi sociales en ce que la migration peut dans une large mesure accorder plus de légitimité et de considération au migrant vis-à-vis de son groupe social d'origine.

En effet, la perception de l'occident comme un eldorado est largement alimentée par les migrants qui retournent au pays. Considérés aux yeux de certains comme des acteurs au développement, des modèles de réussite, ces derniers profitent de l'admiration et de l'estime que leur accordent ceux qui restent au pays. En réalité, la décision de partir, même pour les études, est dans une grande mesure influencée par l'image que propagent les émigrés une fois de retour au pays. Certains se comportent de façon ostentatoire à l'égard des autres. Circulant à bord de belles voitures, ils possèdent dans certaines localités rurales les plus grandes maisons. Ils font étalage de biens matériels acquis en Europe. Ces signes extérieurs de richesse font penser à une grande partie de la jeunesse restées au pays, qu'aller à l'étranger, c'est réussir. L'ailleurs est devenu ainsi le lieu de tous les fantasmes, le pourvoyeur de tout ce dont ils ont besoin pour acquérir une place dans l'échiquier social d'origine.

« Quand on voyait nos tontons ou des gens qui étaient en France et qui venaient au Sénégal en vacance, ils venaient avec des choses qu'on n'avait pas chez nous. Il y a des gens qui venaient et construisaient des maisons et conduisaient de belles voitures. Ces gens là, on les appelle des « Moodu-Moodu ». Ce sont des gens qui sont partis en France, pas pour des études mais pour travailler ou bien des gens qui ont, peut être terminé leurs études. Donc ils ont peut être le temps d'économiser de revenir au Sénégal et de construire quelque chose. La plupart des maisons, les R+1 ou R+2 sont construites par eux. En fait leur famille vit bien. Tous les gens que je connaissais et qui étaient en France, en Espagne ou en Italie, voilà quoi, leur famille vit bien. Et quand ils revenaient, ils s'habillaient bien, et leur manière de se comporter changer par rapport à notre manière de vivre. En fait ils nous vendaient l'image de la France. Une belle image de la France. Et c'est cette belle image de la France que j'avais dans la tête. Je voyais, les belles routes, la belle vie et tout ça. Et ce n'est pas quelques choses qu'on a au Sénégal. Et quant on a une telle chose dans la tête, on pense que c'est comme ça et on veut aller découvrir et vivre cette chose là. Ceci m'a beaucoup influencé. On voit cette belle image de la France à travers ces gens qui revenaient de ce pays. » (Extrait d'entretien avec CT.D, étudiant sénégalais,).

Cette même idée est aussi soulevait par K.B qui indexe à son tour les immigrés maliens qui retournent au pays.

« Je peux parler des immigrés Maliens qui sont en France, qui envoient de l'argents, qui construisent des maisons etc. ces gens là quand tu les vois, tu te dis voilà, ces gens sont parti et ils sont revenu avec beaucoup d'argents. Tu te dis que ça veut dire qu'il y a quelque chose là bas. » (Extrait d'entretien avec K.B, étudiant Malien)

L'exemple des migrants qui ont réussi constitue un élément non négligeable pour comprendre la motivation à la migration. En effet, une fois de retour dans leurs terroirs, certains migrants encore appelés les « Moodu-Moodu », véhiculent une belle image de la France en s'habillant parfois avec de beaux habits avec les marques les plus célèbres; ce qui laisse croire aux autres qui sont restés qu'ils sont devenus riches et que l'Europe symbolise la richesse. Ce qui n'est pas toujours le cas. C'est dans ce sens qu'il faudrait comprendre les mots de Sayad qui parle d'un mensonge collectif. Dans La double absence, il a largement abordé le mécanisme de la reproduction de l'immigration pour les immigrés algériens en décrivant en détail comment l'immigration est reproduite. Il souligne que de nombreux immigrés sont amenés à ne pas dire la vérité et à passer sous silence les souffrances causées par leur émigration, la vie dure qu'ils mènent dans le pays. Ils ne disent point la vérité par respect pour eux-mêmes mais aussi pour leur communauté, ainsi ils donnent envie à d'autres de partir. Sayad fait parler un émigré kabyle qui nous raconte son histoire : « C'est ainsi que la France nous pénètre jusqu'aux os, une fois que tu as ça en tête, ça ne sort plus de ton esprit, finis pour toi les travaux, finie l'envie de faire quelque chose d'autre, on ne voit plus d'autres solutions que partir » (Sayad A., 1999, p.31)

Toutefois, même si les migrants qui retournent aux pays racontent certaines de leurs difficultés, certains de leurs interlocuteurs ne vont pas toujours les croire. Parfois les plus jeunes accusent les migrants qui les mettent en garde de vouloir les décourager parce qu'ils ne veulent pas qu'ils puissent accéder aux mêmes avantages qu'eux, que c'est par esprit de compétition. Les mots ont moins de poids que les habits et les cadeaux que ces migrants rapportent de la France. Ce pays reste à leurs yeux reste un véritable pays de cocagne. En réalité la fluidité des informations, avec l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication, contribue à la construction de ces fantasmes qui renforcent la fabrication de représentation. (Tandian, 2005).

4.3. Partir à l'étranger, une condition de la réalisation de soi.

Si le voyage vers l'étranger peut être une décision personnelle, elle peut aussi être le fruit d'une forte pression familiale. Le besoin d'émigrer peut relever aujourd'hui d'une stratégie pour fuir le chômage et répondre aux attentes du groupe socio familial pour ainsi devenir « utile ». Quelles qu'en soient les destinations et les mobiles du voyage, les modalités, les difficultés financières et d'obtention du visa ainsi que les risques encourus, il faudra reconnaitre que les mouvements migratoires, collectifs ou individuels ont toujours été présentés comme des actes de bravoure, de maturation et de maturité. Pour comprendre cela, il suffit de regarder la grande affluence des demandeurs de visa devant les représentations consulaires et l'ampleur des migrations dites clandestines. (Dieng, 2008) Ainsi, la perception du voyage dans l'imaginaire collectif de beaucoup de pays du sud constitue sans doute un élément fondamental pour pouvoir saisir les mobiles de la mobilité. En effet, dans la tradition africaine, le voyage revêt d'une place prépondérante. Les populations ont toujours été caractérisées par la mobilité, qui fait partie d'une ancienne tradition rurale où, pendant la saison sèche la famille délègue un ou plusieurs membres vers la ville pour trouver du travail. Dans cette situation, voyager était une sorte d'initiation qui confère la maturité, la connaissance de l'ailleurs et mène à la sagesse.

De nos jours, il est évident qu'aux yeux de nombreux jeunes, l'émigration constitue une opportunité de trouver une solution contre cette sorte de mise à mort sociale, le temps de s'octroyer les moyens de murir, de pouvoir faire face à ces obligations. Dés lors l'ailleurs devient un lieu incontournable à leurs yeux pour pouvoir devenir utile. En réalité, beaucoup de jeunes sont prêts à tenter l'aventure à l'étranger à cause de la forte pression sociale qui pèse sur leurs épaules. L'envie de servir et de devenir utile semble être un des éléments majeurs qui peuvent expliquer la migration. Dans la tradition africaine, porter assistance à sa famille est non seulement un devoir mais aussi un geste de réciprocité et de reconnaissance souligne Abdoulaye Bara Diop. Ce dernier poursuit pour dire que toute personne munie de quelque autorité dans la famille se doit elle de respecter et de soutenir par son attitude de bienveillance et de bienfaisance, les plus faibles et les plus petits.  Voilà pourquoi, à un certain âge, beaucoup de jeunes se sentent coupables car n'ayant pas la possibilité de soutenir leur famille. Ainsi, toutes sortes de stratégies est mises en place: passer des concours, se lancer dans le secteur informel en devenant marchand ambulant mais aussi partir à l'étranger considéré comme un moyen efficace qui leur permettra de s'acquitter des lourdes attentes des parents de la famille ou du groupe social d'origine.

Le rôle de la famille comme incitation ou plutôt motivation au départ est indéniable. Derrière les études, le voyage s'explique aussi par la recherche de moyens financiers suffisants pour réaliser leurs propres désirs et répondre aux attentes du groupe social d'origine. D'après notre enquête, beaucoup étudiants ont déclaré être des soutiens de familles. Ainsi, ne pouvant pas satisfaire leurs besoins propres de même que le besoin familial, donc contraint par le principe de la solidarité familiale, ils cherchent dans la migration la possibilité de sortir de cette situation. Beaucoup de personnes mettent en avant le manque de perspectives professionnelles dans leur pays, même après avoir fait des études. Ceux qui avaient réussi à trouver un travail quant à eux, soulignent qu'ils ne gagnent pas assez d'argent pour subvenir aux besoins de leurs familles, fonder une famille et avoir suffisamment etc. Par exemple, au Sénégal et au Mali, comme dans de nombreux autres pays de l'Afrique, on retrouve ce qu'on appelle des familles élargies ou on trouve facilement plus d'une dizaine de personnes dans une maison dont une ou deux personnes seulement travaillent et souvent pour des salaires modestes. Celles-ci assument alors généralement toutes les charges financières du ménage. Elles sont donc contraintes à limiter leurs désirs et à différer de manière souvent persistante, la réalisation de leurs projets. Cette situation entraine souvent une dépendance totale d'autres membres de la famille qui peuvent produire être parfois frustrer comme l'exprime M.S dans ces propos.

Etant étudiant, il raconte avoir été dans une maison familiale ou son père est à la retraite. Et c'étaient ces grands frères qui prenaient en charge la maison de même que ses études. En vue de sortir de cette situation de dépendance qui « l'infantilise » pour ainsi se rendre utile, il raconte avoir effectué des concours nationaux comme la gendarmerie, la police, magistrature, la douane en vue d'intégrer la fonction publique. Malgré tout cela, ses efforts sont sans récompense. Ainsi, n'ayant aucune perspective devant lui, il accuse le système de l'avoir éjecté. Pour lui, partir à l'étranger fut la seule option qui lui restait.

« Etant jeune étudiant, je portais un lourd fardeau puisque je voyais les gens qui étaient fonctionnels, opérationnels et qui participaient à la vie familiale et moi je ne pouvais rien faire. A chaque fois que j'annonçais que je devais aller à la l'université on me finançait mon voyage. Mes conditions de vie à la fac aussi étaient alarmantes et pourtant j'avais une bourse de 60000fcfa. Mais pour quelqu'un qui fait des recherches, mais aussi le logement, le transport et les loyers, la bourse ne pouvait pas tout couvrir. J'étais une charge pour ma famille et moi j'avais cet envie de réussir et de participer comme tout le monde puisque mon père a pris de l'âge, à la retraite quoi. Donc moi je pensais à prendre la relève et assurer les dépenses familiales. Parce que c'est comme ça chez nous. Chez nous, c'est la solidarité. On vit en famille. On a des familles de dix à onze personnes. Donc une seule personne ne peut pas gérer tout. Donc le parent a des enfants qui sont en mesure de l'aider. Si celui-ci prendre l'électricité, l'autre paiera les factures d'eau, l'autre assure les dépenses. C'est comme ça qu'on vit chez nous. Même pendant les fêtes comme la Tabaski, tu voyais un frère qui se charge d'acheter le mouton, d'autres achetaient la boisson, d'autres paient l'électricité etc. moi je suis un grand consommateur d'électricité et je ne pouvais pas participer. J'avais toutes les compétences que me fallait pour intégrer la fonction publique mais je ne pouvais pas l'intégrer. Ce sentiment d'échec, de mécontentement, de vouloir faire alors que je ne peux pas alors que j'ai les compétences, tout ceci m'a poussé à chercher un terreau beaucoup plus fertile. Et c'est à la France que j'ai pensé. J'avais d'autres projets comme partir au Canada mais c'est la France qui était beaucoup plus accessible. (...) je n'ai pas eu ce que je voulais. Donc il me fallait un plan B pour combler ce vide. Ainsi, comme je n'ai pas réussi aux concours, je me suis dit que je vais me couvrir des études pour entrer en France. Sous couvert des études, je vais chercher d'autres possibilités étant donné que j'ai tout ce qu'il me faut. Donc je suis venu sous couvert des études pour espérer trouver quelque chose. Mais aussi pour compléter mon cursus bien vrai que j'ai une maitrise et un DEA. Maintenant, je veux avoir la thèse que je n'ai pas pu faire au Sénégal.» (Extrait d'entretien avec Mamadou, étudiant Sénégalais)

Dans ce contexte de crise, cet étudiant relève le fait que, psychologiquement, il devient de plus en plus insupportable pour lui de devoir dépendre de ses frères pour financer des études dont l'issu est quelque fois hypothétique. Et cela à un âge très avance parce qu'ayant effectué des études poussées. Il met donc en avant pour expliquer son départ, la possibilité de pouvoir trouver « quelque chose » qui n'est rien d'autre ici que le travail qui lui permettra d'être utile à la famille mais aussi de pouvoir terminer ses études. Ainsi, il y'a clairement donc dans ce voyage l'idée de partir pour pouvoir servir. Dés lors, il y a un avant et un après de la migration exprimé ici : on est a priori quelqu'un de « normal », c'est-à-dire «  qui n'a rien » «  qui n'a aucune perspective de réussite devant lui » et qui ne peut pas participer aux charges de la famille ; puis, le fait de migrer permet a posteriori de conjurer cette « insignifiance sociale», le sentiment de « ne pas être ». (Timera 2001, p.38) Aussi le projet migratoire s'inscrit-il dans une logique de partir dans l'optique d'un futur retour glorieux permettant d'obtenir la reconnaissance sociale de son groupe et d'accéder à une véritable majorité sociale. Le voyage étant alors motivé en partie par la valorisation sociale aux yeux des membres de la communauté. En effet, un jeune est généralement minimisé s'il ne parvient pas à se rendre utile en participant aux charges familiales. Plus que nécessaire, soutenir sa famille est un devoir, une obligation. Ne pas le faire à un certain âge entraine une sanction sociale. Dés lors la migration devient en ce sens aussi une véritable stratégie de reconnaissance, un moyen de promotion sociale ou de mobilité ascendante. En réalité, le simple fait de partir, même en étant étudiant, est déjà en soi un remède contre l'ennui, la honte, la désolation et le désarrois qu'ils vivent ou quotidien. Partir constitue alors un pari pour l'avenir, une sorte de protection contre la dépression et un remède efficace contre le sentiment de castration qui les envahit depuis fort longtemps.

* 15 La théorie des « pull et push factor » a été développé par Lee en 1966. Dans cette approche, la migration est causée à la fois par des facteurs positifs (pull factors) qui caractérisent les lieux de destination et des facteurs négatifs (push factors) qui caractérisent les zones de départ. Plus la différence entre ces deux types de facteurs dans les lieux de destination et de départ est grande, plus la probabilité de migrer augmente.

* 16 Rapport effectué par le groupe ad hoc sur la réforme de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Mai 2013.

* 17 En Aout 2014, l'étudiant Bassirou Faye été tué par balle, lors affrontements entre ses camarades et les policiers à l'Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar.

* 18 Fall P.D., Faire des migrations un facteur de développement : une étude sur l'Afrique du nord et l'Afrique de l'ouest, 2010

* 19 91 http://www.campusfrance.org/fr/page/pour-la-qualite-de-son-enseignement-superieur.

* 20 L'Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) est le service officiel des statistiques du Sénégal et a été créé en 2005. Ses activités s'organisent dans le cadre plus général du système statistique du Sénégal. Il est l'équivalent de l'Insee en France. Leurs résultats sont le produit d'enquêtes menées tout au long du territoire sénégalais.

* 21 Situation Economique et Sociale du Sénégal Ed. 2011 | EMPLOI.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius