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La dualité étude-travail chez les étudiants

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par Seydina Ousmane Ndong
Université de Poitiers - Master1 2015
  

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Chapitre 6 : A la recherche d'une activité numéraire.

Avant de s'intéresser aux facteurs permettant de comprendre la dualité étude-travail chez les étudiants, il est plus judicieux de montrer d'abord en quelques mots comment font ces derniers pour trouver du travail. En réalité, l'obtention d'un job étudiant n'est pas aussi facile surtout quand il s'agit de petite ville comme Poitiers. D'ailleurs beaucoup d'étudiants préfèrent partir dans des villes comme Paris, Bordeaux, Rennes etc. ou, même si la vie est plus chère, offre plus de perspectives de travail. Cependant les étudiants ont plusieurs modes et sources d'informations. D'après les travaux d'Etienne Gérard, trouver un travail chez les étudiants peut relever soit d'un effort personnel, soit, par des connaissances ou encore par des relations familiales.

Source : Gérard E. et al, (2008), p.84.

Après notre enquête, nous avons pu savoir que la plupart des étudiants trouve du travail à partir d'initiatives personnelles. On note des efforts personnels fournis par les étudiants à travers la consultation des annonces qui sont faites dans la presse écrite, des recherches sur les sites internet (Jobrapido, Météojob, leboncoin, pole emploi, etc.). Ces sites internet sont très souvent visités par les étudiants car ils mettent en place un très grand nombre de publications concernant les offres d'emploi. Ils font également des portes à portes dans les restaurants et les grandes surfaces ou encore dans les agences d'intérim pour déposer leur CV ou candidature spontanée.

D'autres aussi s'appuient sur leur propre réseau d'interconnaissance pour trouver un travail. En réalité, dans le cadre des étudiants Sénégalais et Maliens, il est fréquent de rencontrer un étudiant qui a trouvé un travail grâce à une personne de même nationalité. Il s'agit le plus souvent des ainés encore appelés par les étudiants les anciens qui servent de piston pour insérer les nouveaux qui viennent d'arriver ou qui n'ont pas encore trouvé de travail. D'autres par contre peuvent solliciter un étudiant qui n'a pas de travail pour qu'il le remplace lorsqu'ils ne sont pas disponibles ou encore partent en vacance. Toujours dans le même sens, il est aussi important de souligner le rôle que jouent certaines associations étudiantes dans la recherche d'un emploi. Ces dernières qui sont les premiers réseaux à être en contact avec les étudiants, sont très souvent sollicitées par les nouveaux pour trouver un travail. C'est la raison pour laquelle, elles organisent souvent des ateliers pour aider les étudiants à se faire un bon CV qui leur permettra par la suite de pouvoir avoir du travail. Dans leur site internet aussi, elles publient fréquemment des offres d'emploi.

Dés lors, il est perceptible que dans la vie quotidienne de ces étudiants, le travail rémunéré pendant les études occupe une place importante. Mais comment faut-il comprendre l'intérêt majeur à exercer une activité rémunérée ? Après notre enquête, les résultats sont exposés dans les parties suivantes.

6.1. Le travail, une quête d'autonomie financière?

Compte tenu de cette forte propension d'étudiants africains en particulier Sénégalais et Maliens qui cumulent étude et travail, il est nécessaire de s'interroger sur les mobiles de leurs actions. Sur ce, le désir d'autonomie a été le facteur le plus évoqué par nos enquêtés. Sur 11 répondants, 09 parmi eux expliquent leurs activités rémunérées par le fait de vouloir être indépendant de leurs familles qui sont dans leur pays d'origine. Mettant en avant la situation sociale et économique de leur pays d'origine et des membres de leur groupe social, le travail rémunéré s'impose à leurs yeux comme une façon de s'autonomiser. Mais Comment faut-il comprendre cette puissante revendication d'autonomie financière ?

En effet, le voyage à l'étranger constitue, pour les étudiants interrogés, une période de transition et de passage à la responsabilité. Cette transition se traduit notamment par un processus d'indépendance et d'autonomisation vis-à-vis des parents. Précisons que par autonomisation, nous entendons cette capacité de pouvoir se prendre entièrement en charge et de ne plus dépendre financièrement des autres pour vivre et satisfaire ses besoins. Comme souligner dans les paragraphes précédents, ces jeunes se situaient souvent dans une situation ou ils n'avaient aucune perspective devant eux et furent pris en charge par la famille. Partir à l'étranger constituait pour ces eux le préalable intangible, le moyen le plus sûr de pouvoir, plus tard plonger dans le versant valorisant et gratifiant de l'univers adulte. Il faut partir, s'éloigner du groupe et de la famille pour devenir adulte et responsable. C'est-à-dire faire mourir l'enfant qui dort en eux. Partir leur permet de devenir adultes, en tuant en eux la partie infantile que leur maintien dans leurs univers social et familial entretient.22(*)Beaucoup de jeunes n'envisagent plus d'être pris en charge par la famille. En réalité, aux yeux de leurs sociétés, c'est une honte d'être encore sous la charge des parents à un certain âge d'où la nécessité de trouver une solution à cette situation qui les minimise socialement. Dés lors, la première étape sur le chemin de l'indépendance après le départ vers l'étranger, constitue de trouver le moyen de se prendre en charge. Ainsi, quel que soit les motifs du voyage, le travail constitue la première étape pour rendre effectif ce désir d'autonomie. A ce propos, travaillent-ils pour pouvoir s'acquitter de leurs besoins sans attendre la famille:

« Si je ne travaillais pas, j'allais être dans la merde. Je n'allais pas pouvoir payer mon loyer et vivre comme il le faut aussi. Moi je suis quelqu'un qui n'aime pas dépendre des gens. Je veux être autonome. Moi je préfère vivre de moi même que de vivre sur le dos des gens. Dans la vie, il faut vraiment vivre de soi même quoi. A un certain moment, il faut vraiment prendre sa vie en main quoi. Surtout à 23 ou 24ans. Je pense que c'est à l'âge à laquelle ou on estime que la famille a tout fait pour nous et qu'il est temps de prendre sa vie en main et de les aider en retours. C'est comme ça que je suis éduqué» (Extrait d'entretien avec S.B, étudiant Malien)

Cet étudiant met surtout en exergue le rapport entre l'âge et la prise de responsabilité qui se traduit par sa capacité de se prendre en charge. En réalité, les sociétés traditionnelles étaient caractérisées par la vie de communauté ou l'esprit de partage était au centre des relations. Il appartenait à la famille de soutenir le jeune qui ne parvenait pas à subvenir à ses besoins. Cela s'est longtemps manifesté par les longues nuits blanches ou des séances de thé toute la journée, tout en étant assuré d'avoir les trois repas quotidiens. Mais aujourd'hui, nous avons assisté à de profondes mutations. « Les conditions de vie très difficiles ont fini par détériorer les rapports interpersonnels y compris au sein des familles qui assument de moins en moins leurs fonction de remparts sécurisant. Pour les jeunes,  chez soi, c'est désormais là où l'on pourra trouver du travail et gagner sa vie. Chez soi, c'est là où l'espoir leur est encore permis. »23(*) En effet, le jeune homme qui reste sur la tutelle de ses parents jusqu'à un certain âge est de plus en plus mal perçu voire même considérer comme un paresseux voué à vivre au crochet des autres. Ceux là sont très souvent considérés comme de mauvais fils car certains parents se lancent souvent à des comparaisons avec d'autres personnes qui, parce qu'ils ont réussi à se trouver un travail, s'occupent de leurs parents ou même entament des travaux de réfection de leurs maisons par exemple. Dans ces sociétés, un jeune est en effet généralement minimisé au niveau social s'il n'a pas la capacité de s'auto prendre en charge et d'être en mesure de participer dans les dépenses quotidiennes de la maison. Cette situation est encore beaucoup plus amplifiée lorsque la personne se trouve à l'étranger et qui continue de dépendre de ses parents. Dans cette situation, leur seule possibilité de mise à contribution réside dans l'accès à l'emploi et à des revenus. Mais, le fait d'être pris en charge par la famille développe chez eux un sentiment d'être un éternel assisté. Cette situation les confine dans une impossible réalisation sociale, une impossibilité d'entrer par la grande porte dans l'espace public. L'exercice d'une activité rémunéré permettant de mieux assurer l'accession à la majorité sociale en gagnant plus d'estime et de considération aux yeux des autres. En effet, Il existe une multitude d'étapes de la vie qui viennent marquer le passage à la majorité ou l'entrée dans la vie adulte. Parmi elles le mariage, l'autonomie résidentielle qui définie comme le fait de quitter la résidence familiale pour accéder à son propre logement, à titre de locataire ou de propriétaire et la recherche d'un emploi. Ce dernier point représente qui constitue un moment crucial puisque l'accès au travail conditionne en grande partie la réussite sociale et économique. L'autonomie financière constitue en quelque sorte une condition préalable nécessaire pour déclencher les différentes phases devant conduire à la pleine indépendance. Selon les travaux de Philippe Antoine, l'entrée dans la vie adulte pourrait se définir comme le franchissement d'un seuil au-delà duquel on sort de la catégorie des personnes à charge pour prendre en main son existence et devenir un véritable acteur de la société, notamment en assurant sa reproduction. Ce passage d'un statut à un autre ne se fait toutefois pas aussi aisément que sa définition peut le laisser paraître, ni selon un modèle unique, en suivant un chemin déjà tracé par les aînés.24(*)

En plus de cela, il faut aussi admettre que la situation économique des parents de la plupart d'entre eux ne permet pas aussi de bénéficier d'une aide. La plupart d'entre eux sont issu de famille pauvre n'ayant une pas une situation financière solide.

« Je pense que moi réellement, je ne viens pas d'une famille riche entre guillemet donc voilà quoi. Je peux dire que je suis là... bon..., en fait c'est vrai que c'est pour les études mais souvent quand on est France, les gens penses que tu peux étudier et travailler. Donc pour quelqu'un qui, effectivement ses parents ne sont pas des fonctionnaires internationaux ou des ministres qui peuvent t'envoyer de l'argent, c'est difficile que des gens t'envoient de l'argent. Donc du coup, la seule chose que tu peux faire c'est de travailler à coté. Je pense que la plupart des étudiants africains ont ces petits plans là. Ce n'est pas évident que les parents envoient tout le temps de l'argent. Ils peuvent le faire au début mais ils ne peuvent pas le faire continuellement quoi. Donc il faut faire des efforts et de trouver un petit plan quoi. Moi je trouve ça formateur. Ça m'a permis en tout cas d'évoluer et de faire ce que je veux, d'acheter ce que je veux acheter et de faire des économie et de pouvoir aller en vacance quand je veux. Ça te permet d'avoir un peu d'économie parce que c'est toi même qui te prend en charge. Tu n'es pas lié à quelqu'un. Tu essaies de gérer comme tu peux. » (Extrait d'entretien avec M.B, étudiant Malien.)

A travers cet extrait d'entretien, l'on peut tout de suite dire que ce désir d'autonomie est inextricablement lié à la situation socio économique de la famille du pays de départ. Travailler devient une façon de libérer la famille de cette lourde tache. En effet, étant obligé d'honorer le loyer, manger, payer les inscriptions à l'université, acheter ses fournitures scolaires, payer ses factures d'électricité, de gaz, d'eau, de téléphone, son abonnement de transport etc., certains étudiants sont conscients du fait que leurs parents ne peuvent pas les prendre en charge. Leurs familles n'ayant pas la capacité financière pour le faire. Dans ces conditions, il est donc nécessaire de trouver des ressources. Voilà pourquoi, nombreux parmi eux sont prêts à tout pour se trouver un travail considéré comme un moyen de s'acquitter de ses propres besoins. Ainsi, en fonction de leur histoire et de leurs valeurs socioculturelles, les jeunes sont amenés à élaborer des choix propres à leur génération. Mais aussi, le contexte socioéconomique spécifique de la période constitue une contrainte à laquelle doit se plier le candidat à l'insertion.

Ces étudiants cherchent alors dans le travail, la possibilité d'assurer les rôles qui leur sont dévoués et de retrouver la place et la considération dans la famille ou du groupe social d'origine. Cependant, pour satisfaire cette attente, il faut d'abord avoir les moyens. Avant de pouvoir être autonome, il faut d'abord avoir. L'affirmation individuelle se réalise dans une large mesure dans l'acte d'avoir et de donner. Au vu et au su de ce qui précède, l'on peut tout de suite comprendre pourquoi certains étudiants travaillent à des heures supérieures à la limite autorisée. D'autres par contre, s'adonnent au travail au noir appelé encore travail dissimulé. En d'autres termes, ils s'autorisent à faire un travail alors que leur employeur ne les a pas déclarés à l'URSSAF ("déclaration préalable d'embauche"). Dans cette situation, l'employeur échappe aux charges patronales et l'étudiant ne reçoit ni contrat de travail, ni bulletin de salaire. Ce qui est illégal. Au-delà de s'enfreindre à une activité illégale, l'étudiant court de nombreux risques. Si l'étudiant a par exemple un accident, une blessure dans son lieu de travail, il ne lui sera pas remboursé ses frais médicaux par la sécurité sociale via la cotisation accident du travail. En effectuant un travail au noir, l'étudiant ne cotise pas ne cotise pas pour la retraite et peut vous licencier du jour au lendemain par son employeur, sans qu'il ait la possibilité de faire un recours. En plus de cela, si par exemple il arrive que l'employeur ne lui verse pas son salaire ou encore lui donne un salaire moins élevé que prévu, il ne pourra en aucun cas aller devant les tribunaux pour contester (la seule solution sera alors de le dénoncer, en apportant des preuves de votre travail : témoignages, documents).

Malgré tous ses risques, il est avéré qu'il y a beaucoup d'étudiants étrangers qui font cette pratique. F.A est pour sa première année à Poitiers. Après avoir recherché du travail, elle tombe sur un employeur sénégalais qui a un restaurant. Ce dernier la demande de travailler pour lui. Ce que F.A accepte en se basant juste sur une promesse de faire un contrat pour elle. Elle raconte à travers cet extrait d'entretien son histoire :

« Je ne peux pas le considérer comme du travail. C'était un Sénégalais qui m'avait embauché. Je ne dirai même pas qu'il m'a embauché parce qu'il n'y avait pas de contrat de travail. On peut dire que c'était du travail au noir parce qu'il m'avait promis un contrat mais il n'a pas tenu sa promesse. Ce monsieur n'est pas logé à Poitiers mais à Paris. Il a juste un restaurant à Poitiers. Il m'a contacté pour me dire qu'il a besoin d'une cuisinière dans le restaurant parce qu'il n'y avait qu'une seule personne là bas et elle ne pouvait pas tout faire. Comme ça j'ai accepté mais je lui avais demandé qu'on fasse un contrat. Il m'a dit que je peux commencer à travailler et qu'il sera à Poitiers d'ici la fin du mois et il me fera le contrat. Là j'ai accepté. Et j'ai commencé à travailler le 12 Janvier. Il m'avait dit qu'il allait me payer les jours que j'ai commencé après on fait un contrat et j'étais d'accord parce que j'avais confiance en lui. Le 3 février, la gérante m'a appelé pour me dire que le propriétaire a appelé mais il veut que tu travailles tous les jours désormais parce que l'autre cuisinière doit partir au Sénégal. Là j'ai répondu par le négatif en lui faisant savoir que j'ai des cours à faire et je suis venu en France pour des études. Donc je ne peux pas travailler tous les jours. et c'est là qu'il y a eu problème. Il voulait que je travaille tous les jours. Donc je lui ai dis que j'arrête de travailler parce que je suis étudiant.

Là, la gérante m'a fait savoir que le propriétaire viendra dans la semaine et il te paiera ton argent. Elle m'a même donné un jour pour venir récupérer mon argent. Je suis allé mais elle m'a dit que le propriétaire n'est pas encore venu alors qu'il était là. C'est l'autre cuisinière avec qui je travaillais qui me l'a fait savoir. Le lendemain, je suis allée de nouveau et j'ai pu rencontrer le propriétaire. Là, le monsieur m'a donné encore rendez vous le soir parce que dit il n'avait pas d'espèce avec lui. Il m'a alors donné rendez vous le soir alors qu'il devait voyager. En ce moment, je devais partir à Paris alors je lui ai dis que je ne pouvais pas parce que je devais partir. Alors il m'a dit qu'il aller me l'envoyer dans mon compte une fois arrivée. J'étais d'accord. Et je lui ai demandé de faire le tout pour me l'envoyer avant le 10 Février parce que je devais payer mon loyer. Quand je parti à Paris, je l'ai appelé à plusieurs reprises et je suis tombé sur sa messagerie. Et j'ai laissé des messages là bas mais il ne m'a jamais rappelé.

Un soir, l'autre cuisinière m'a appelé pour me demandé des nouvelles et je l'ai mis au courant de tout. Après qu'elle ait raccroché, je ne sais pas ce qui s'est passé mais le propriétaire du restaurant m'a appelé. Il disait qu'il a entendu que j'allais appeler la police et que j'allais porter plainte etc. il me dit que tu peux faire ce que tu veux mais tu n'auras rien. Tu peux même saisir le président François Hollande, il ne peut rien contre moi. Et puis je n'ai pas ton temps. Je lui ai dis ok et j'ai raccroché. Depuis lors il ne m'a plus rappelé, il ne m'a pas payé. J'en ai parlé avec la personne qui m'avait mis en contact avec lui mais jusqu'ici il n'y a pas du nouveau. »

Cette forte obsession de travailler s'exprime à travers cet extrait d'entretien. Cette étudiante ayant accepté de travailler sans contrat en se basant juste sur des promesses explique par la suite les raisons qui l'ont poussé à accepter cela :

« Ce n'était pas parce que je voulais faire du travail au noir mais c'était la seule chose que j'avais trouvé. Je voulais avoir un contrat après et j'avais aussi confiance en lui. Mais il n'a pas respecté ses engagements. Avec ce travail j'espérais beaucoup de choses. C'est pourquoi, quand il m'a escroqué, j'avais vraiment mal. Je me disais que j'ai enfin trouvé du travail et que je pourrais payer mon loyer chaque fin du mois, je pourrais également subvenir à tous mes besoins sans demander à mes parents et même faire des économies. Parce qu'à mon âge, je ne dois plus demander à mes parents. Ils ont déjà tout fait pour moi. Maintenant, il faut que je me débrouille. Malheureusement, on m'a trahi. » (Extrait d'entretien avec F.A, étudiante Sénégalaise)

Ainsi, il est perceptible que cet idée de s'autonomiser reste toujours l'élément central qui favorise la recherche d'un travail chez nos enquêtés. Se tenir à l'écart du travail entraine une dépendance total vis-à-vis de la famille ou d'un membre de la famille, surtout lorsque l'étudiant n'est pas boursier. Dés lors il faut par tous les moyens possibles s'auto prendre en charge. Cette forte revendication d'autonomie de la part des étudiants traverse et transcende les situations économiques dans le pays d'accueil mais inclus une dimension sociale qui se traduit par cette injonction morale à la responsabilité que la plupart des jeunes ne peuvent esquiver sous peine de rester en deçà des réquisits auquel doit satisfaire tout individu de leur âge. Le travail constitue un moyen possible de se réaliser personnellement. Détenir un emploi est encore aujourd'hui synonyme de réalisation de soi et surtout d'intégration sociale (Méda, 1995). Elle permet de se procurer une valorisation de soi et d'être reconnu comme responsable aux yeux des autres. Dès lors, il constitue une sorte de sociabilité et s'inscrit comme une logique sociale qui favorise ou réconforte la maturité.

En réalité, le travail rémunéré chez les étudiants Sénégalais et Maliens peut même être pris comme une revendication généralisée et par là même a un caractère sociale, dans la mesure où même ceux qui sont issus de famille aisée s'autorisent à exercer une activité rémunérée comme l'exemple de cet étudiante sénégalaise qui a fait ses études dans des écoles privées prestigieuses de Dakar et qui bénéficiait de l'aide de ses parents chaque moi. D'une mère ancienne dactylo et d'un père expert comptable, elle affirme avoir exercé une activité rémunérée malgré le fait qu'elle recevait une somme de la part de ses parents. Ceci pour prouver qu'elle peut se débrouiller seule. Même étant malade, alors que ses parents l'ont suggéré de ne pas travailler et qu'ils s'occuperaient de tout, elle n'a pas manqué de travailler quand même. Dans l'entretien qu'elle nous a accordé, elle dit :

« Je voulais faire comme tout le monde. C'est-à-dire faire comme tous les étudiants étrangers qui sont là qui cherchent du travail et qui... qui souffrent quoi ! Il fallait que je vive cette expérience là. Je peux dire que je ne suis pas en très bonne santé c'est pourquoi mes parents me disaient pourquoi tu travailles ? Ne travailles pas surtout quand tu sais que tu n'as pas la santé. Mais je disais non ! Ça va, ça va, ça va ; Il fallait que je travaille. J'avais besoin de travailler pour pouvoir faire de mon argent ce que je voulais. Parce que quand même mon père n'est pas jeune, il n'a pas non plus une bonne santé, donc voilà il se tue quand même pour envoyer de l'argent à moi et à ma soeur. Je ne pouvais pas me permettre de faire certaine chose. Alors que quand je travaillais et que c'étais mon argent à moi, je pouvais en faire ce que voulais. Je ne sais pas si vous voyais ce que je veux dire. Donc voilà j'ai travaillé. Et voilà ça me permettais de dire à mon père de m'envoyer la moitié de ma somme habituelle. J'ai trouvé un travail. Paies moi le loyer, le reste je gère. Voilà mes parents étaient d'accord. Ma mère m'encourageait. Mais après c'est mon père qui n'était pas d'accord car il se soucier de ma santé. Mais j'insistais quand même et c'est quand même une belle expérience. Moi je n'ai pas envie d'être traité d'une fille à Papa. Moi je n'ai pas envie d'être traité d'une fille à Papa. Ça c'est un truc qui m'énerve quoi. Ça m'énerve! Je veux être autonome. Je ne veux pas dépendre des autres. Après tout je rends grâce à Dieu parce que quand j'ai besoin d'une chose, il me suffit d'appeler et d'être aider par la grâce de Dieu. Mais il fallait que je fasse comme tout le monde pour pouvoir connaitre la vraie valeur de l'argent. Moi j'ai eu le bac et je suis venue ici directement sans passer à l'université Cheikh Anta Diop comme les autres. Je n'ai jamais été là bas. La seule fois ou je suis passé là bas j'accompagnais ma soeur mais j'étais choquée. Je me disais intérieurement est ce que tu réalises la chance que tu as ? C'est pour prouver que c'est bien de souffrir de temps en temps. Pour mon premier jour de travail, quand je suis rentrée, je pleurais comme une malade. J'avais les pieds enflés. C'était dur. C'était très dur mais j'avais besoin de faire ça. J'avais besoin de prouver que ce n'est pas parce que papa et maman sont là que tu dors. Parce que nos papas et mamans ne sont pas éternels sur terre. Tôt ou tard, ils partiront. Donc il faut que je sache me débrouiller, savoir comment faire en cas de besoin. C'est pourquoi je voulais faire comme tout le monde. Les garçons faisaient la plonge et nous les filles, on faisait le ménage. Celles qui avaient plus de chance étaient serveuses. (Extrait d'entretien avec ND. C, étudiante sénégalaise)

Dés lors, le désir de s'autofinancer dépasse largement le clivage des classes sociales. On voit que l'exercice d'une activité professionnelle s'observe également chez les jeunes d'origine favorisée. En réalité, le sens de l'honneur, qui implique chez les Sénégalais les notions de jom (fierté) et de nawlé (égaux sociaux) assigne à l'individu de relever le défi social en se hissant à la hauteur des performances de gens de sa classe d'âge (Mboup, 2000, p.91). Il constitue sans doute des éléments qui favorisent la recherche d'une activité rémunéré pour ne pas dépendre des autres. Ce désir d'autonomie pouvant ici être compris comme des dispositions, ces étudiants, étant déjà préparer et socialisé à apprendre à être autonome. Le travail étant alors un important intégrateur pour reprendre les termes d'Yves barrel. Ce dernier, qualifié le travail de "Grand Intégrateur". Selon l'auteur, ce modèle remplirait trois fonctions essentielles qui sont l'organisation sociale, le maintien de l'ordre et la création du sens. Le travail, qui est lui-même une norme, permet l'intégration sociale et constitue l'une des formes majeures du lien. Le travail, outre qu'il permet le gain financier qui autorise la consommation, définit les identités sociales, les appartenances et organise les rapports sociaux.25(*)Le travail constitue donc une méthode d'affirmation personnelle, un gage de réussite et, pour reprendre les termes de Bourdieu, un élément de positionnement social.

Sur un plan analytique, l'on peut tout de suite affirmer que le travail salarié en marge des études semble agir comme un révélateur des rapports familiaux et sous certaines conditions, comme le producteur de dynamiques singulières qui articulent les nouvelles tensions entre les différents ancrages de la vie quotidienne. On approche ici du « travail des individus » qui, en combinant des logiques d'action contradictoires, met les individus en mouvement par la tension qu'il crée entre des principes qui s'opposent. (Froment, 2012)

Toutefois, il est important de souligner que même si le désir d'une autonomie financière vis-à-vis de la famille est bien un motif de la recherche d'une activité rémunérée, force est de reconnaitre, cette autonomie financière s'accompagne quelques fois de nouvelles obligations pour l'étudiant vis a vis du groupe familial. A partir du moment ou l'étudiant parvient à vivre et à s'entretenir seul sans l'aide de la famille, la relation de dépendance avec la famille ou le groupe social d'origine change de nature. Une sorte de pression morale l'oblige à aider et à soutenir sa famille.

6.2. Le travail comme une contrainte.

6.2.1. La pression famille.

Même étant séparé géographiquement avec leur pays d'origine, ces étudiants maintiennent toujours des relations avec leurs familles. Cependant ces relations sont pour la plupart du temps pour des raisons économiques, leurs contributions au fonctionnement de la maison et des dépenses quotidiennes. Comme mentionner dans les paragraphes qui précédent, la décision d'émigrer est fonction des perspectives d'emploi et de l'espérance de revenu plus élevé dans le pays de destination. Donc, l'espoir de remédier à cette situation demeure au coeur du voyage. Plus il y a des opportunités de travail ou de revenu dans le pays d'accueil, plus la propension de partir est forte. Toutefois, il faut tout de même souligner l'influence de la famille dans le départ. Beaucoup de jeunes partent vers d'autres cieux dans le but de répondre aux attentes de la famille qui devient de plus en plus un fardeau pour eux. La forte injonction de réussite pousse ces personnes à voyager vers d'autres cieux dans l'espoir de trouver les moyens nécessaires pour servir. D'ailleurs, pour diversifier les sources de revenus et ainsi échapper aux risques liés à des chocs pouvant affecter l'activité économique dans le pays d'origine (Azam et Gubert, 2002), certaines familles sont prêtes à envoyer un membre vers l'étranger. En effet, dans beaucoup de sociétés africaines, la migration est le plus souvent posée dans un contexte familial. La migration reposerait sur une stratégie familiale au sein de laquelle l'individu se trouve confiné. Du fait qu'en Afrique la famille (ou le ménage) fonctionne comme une unité de production, de consommation et de socialisation, elle jouit d'une rationalité économique et constitue en même temps un centre de décisions stratégiques (Stark, 1980; Harbison, 1981 ; Gregory et Piché, 1986; Root et De Jong, 1991). Dans ce cadre, le groupe familial exerce une forte pression sur la personne, pouvant entrainer ainsi la décision de migrer d'un ou de plusieurs de ses membres. Cette pression sociale ou familiale est encore beaucoup plus accentuée lorsque la personne arrive à réaliser son voyage. A cet effet, même les étudiants n'y échappent pas. Ils sont eux aussi considérés comme tous les autres migrants donc ayant la capacité d'aider. Dans l'imaginaire de la plupart de familles d'origine, le voyage est synonyme de réussite, d'accession à la fortune.

« Il faut étudier et travailler à coté pour s'en sortir. Non seulement pour financer les études mais aussi pour se nourrir et avoir quelque chose. Sans oublier aussi ceux qui nous attendent au pays. Déjà, quand ils savent que tu es à l'étranger, ils ont une autre vision sur toi. Ils se disent qu'il doit avoir de l'argent puisqu'il est en France. Du coup, on ne peut pas rester là les bras croisés en ne faisant que les études. Parce qu'il espère qu'on pourra les aider. De ce fait avec le travail à coté on finance les études mais aussi on aide la famille. » (Extrait d'entretien M.D, Etudiant Sénégalais)

Ces étudiants se voient dans l'obligation de satisfaire les demandes et les attentes qui ne peuvent se réaliser que par l'exercice d'une activité rémunérée. Ainsi, le travail étudiant étant ici directement lié à la situation sociale et économique de la famille du pays de départ. Si l'on part de notre idée de départ qui postule que la migration relève d'une stratégie familiale et d'une forte pression sociale qui répond à la précarité économique du ménage, on peut tout de suite s'attendre à ce que la personne tente à tout pris de redistribuer les profits de la migration avec la famille d'origine. Ce qui se traduit par les nombreux transferts d'argent des étudiants. En principe, c'est la famille qui devait aider l'étudiant en finançant ces études mais la réalité montre le contraire. Les flux de transferts partent plutôt du pays d'accueil au pays de départ. De nombreux étudiants s'adonnent à ces transferts d'argent. Certains prennent même en charge les besoins de base du ménage d'origine (alimentation, cérémonies, santé, logement).

L'obsession de travailler peut être aussi le fruit d'un comportement altruiste de ses étudiants. En d'autres termes, ils travaillent pour envoyer de l'argent parce qu'ils souhaitent par eux même soutenir leur famille qui sont parfois aussi dans le besoin. En réalité, quelques uns de nos répondants expliquent leurs activités rémunérées par le fait de vouloir aider leurs familles. Ces derniers évoquent toujours un sentiment de redevance vis-à-vis de leurs parents. Ils estiment que ces derniers ont tout fait pour eux et que c'est à leur tour de rendre la monnaie de la pièce. Il s'agit d'une sorte d'exécution d'un contrat moral par lequel l'étudiant cherche tant bien que mal à satisfaire en aidant à son tour ses parents. On peut même parler d'une sorte de contre don dans le sens de M. Mauss26(*), l'étudiant étant obligé de rendre à ses parents l'investissement faits sur lui.

« Aujourd'hui, les temps ont changé, nous ne sommes plus des enfants, on a grandi. Avec tout ce que les parents fait pour nous ont fait pour nous...ils se sont occupés de nos études, ils ont tout fait pour nous. Maintenant qu'on a grandi jusqu'à atteindre certain niveau, en un instant, il faut vraiment les aider et les prendre en charge comme ils l'ont fait pour nous. Parce qu'ils n'ont plus la même force et les mêmes moyens. Ils sont agés maintenant. Certes, il y a en qui ont des parents qui ont toujours les moyens. Et même si c'est le cas, ce n'est pas une raison de ne pas le faire pour eux. Mais il y a des gens qui ont des parents qui ne font plus rien comme moi. Ma mère est une femme au foyer, elle ne fait plus rien et elle a presque 60 ans. C'est nous qui l'avons pris en charge. C'est nous qui l'envoyons de l'argent, c'est nous qui faisons tout pour elle. Si elle a besoin de quoi que ce soit, elle nous demande. C'est pourquoi je me débrouille et je travaille pour l'aider. » (Extrait d'entretien avec A.D, Etudiante Sénégalaise)

La souffrance de la plupart de ses jeunes est autant de ne pas avoir que de ne pas pouvoir rendre souligne Mahamet Timera. Selon ce dernier, cette logique du don et du contre-don, du remboursement de la « dette sociale », structure les relations interpersonnelles dans l'espace familial, mais aussi dans l'espace public communautaire ou local, voire national. Les jeunes adultes sont, en tant que cadets, fortement tributaires de cette logique. Et, alors qu'arrive le moment de la restitution, leur tour de donner, ils vivent une crise de mobilité qui les confine dans une impossibilité d'être socialement. C'est particulièrement le cas des jeunes citadins qui, à la différence de leurs homologues ruraux ne peuvent, par une mobilisation dans les travaux agricoles, rendre ou commencer à rendre ce qu'ils ont reçu. Pour les jeunes citadins, la seule vraie reconnaissance passe par l'accès à l'emploi rémunérateur. C'est la condition de leur entrée dans l'espace public comme individus majeurs ayant un statut social.27(*)

Ainsi, à l'image du jeune citadin évoqué par Timera, l'emploi rémunéré constitue pour l'étudiant une moyen pour assurer non seulement son autonomie financière mais aussi de pour pouvoir s'acquitter de cette dette sociale en soutenant la famille ou le groupe social d'origine. En réalité, le soutien apporté à la famille constitue une sorte d'assurance pour ses étudiants qui pensent avoir accomplir leur mission. Cette étudiante continuera pour expliquer son attitude envers ses parents par la culture. En effet, dans la plupart des sociétés africaines, la réussite et la réalisation de la personne est en étroite relation avec ses parents. L'individu qui arrive à rendre heureux ses parents en les aidant et en les entretenant est perçu comme le bon fils qui a toutes les chances pour s'enrichir. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre A.D qui considère que le fait d'envoyer de l'argent à ses parents ne fait que l'enrichir :

« C'est juste que comme je l'ai dis tout à leur, ça fait partie de notre culture. Quand tu partages ce que tu gagnes avec ta maman, ça ne fait que t'enrichir. Pour moi, le fait que j'envois de l'argent à ma mère, c'est quelque chose qui m'aide beaucoup ici. A chaque fois que je le fais, je vois que ça m'enrichi. Aujourd'hui, si je gage 50 euros par exemple, si j'envois les 25euros à ma mère, avant la fin de la semaine je vois que je gagnerai encore plus. Ça va se multiplier d'avantage. Et ça ne diminuera en rien l'argent que je gagne. Au contraire ça m'enrichira. C'est comme si je gagne des intérêts quoi. » (Extrait d'entretien avec A.D, Etudiante Sénégalaise)

Ces transferts d'argents remplissent un rôle très important dans l'économie de ces familles. Nombreuses sont les études qui défendent l'idée selon laquelle la migration et les transferts d'argents des migrants peuvent représenter pour les pays en développement, en particulier ceux de l'Afrique subsaharienne, un moyen efficace pour participer à l'économie mondiale, de financer leur développement et de réduire la pauvreté.28(*) Dans un rapport intitulé Global Development Finance 2005: Mobilizing Finance and Managing Vulnerability, la Banque mondiale précise clairement que les transferts de fonds des migrants constituent une source de plus en plus importante de financement du développement, qui, dans certains pays, dépasse même l'aide publique au développement. « Les fonds envoyés dans les pays en développement par des émigrés travaillant à l'étranger, résidents ou non résidents ont augmenté, d'après les estimations, de 10 milliards de dollars (8 %) en 2004, pour atteindre 126 milliards de dollars », indique la Banque.29(*)Toutefois, il est important de souligner que si l'on y ajoute les flux non-officiels (le convoyage par des parents, des amis ou par le migrants lui même et le versement à des intermédiaires pour les transferts informels) qui n'ont pas été pris en compte par la banque mondiale, le montant total pourrait être encore beaucoup plus élevé.

Au fil des ans, la région de Kayes, au Mali, a bénéficié de tels transferts de fonds. D'après la Banque mondiale, l'argent envoyé par des Maliens vivant en France a contribué à la construction de 60 % des infrastructures. Environ 40 associations de Maliens émigrés en France ont apporté leur appui financier à près de 150 projets, dont la valeur totale sur 10 ans a été évaluée à 3 millions d'euros. Quant au Sénégal, la BAD estime dans une enquête en 2007 à 822milliards de francs CFA le montant total des envois d'argent reçus par le Sénégal en 2005, Soit 19% du PIB.

L'ampleur des transferts d'argents des émigrés témoigne donc de leur poids sur l'économie nationale mais aussi dans le budget de consommation des ménages bénéficiaires. Ils constituent une forme d'assurance contre la précarité des conditions de vie des familles qui en bénéficient. Leur progression nous renseigne sur le fait que, de simples revenus d'appoint, ils sont devenus une source de revenu permanente pour ces derniers. Ce qui entraine quelques fois une sorte de dépendance entre le migrant et les bénéficiaires. Une fois en place, l'étudiant est parfois obligé de subvenir régulièrement aux besoins de consommations courantes de la famille. Certaines familles n'hésitent pas à solliciter l'étudiant pour des besoins secondaires comme par exemple des mariages ou encore les fêtes religieuses qui sont fréquents au pays. En raison de la fréquence de ces demandes, ces étudiants ne profitent presque pas de ce qu'ils gagnent ici. Ce sont généralement les parents qui restent au pays qui en profitent.

« On est obligé. Déjà les parents se glorifient du fait qu'on soit en France. Ils crient partout que leur fils est en France. C'est une joie pour eux quoi ! Ils pensent tous qu'on a réussis. Surtout quand tu leur dis que tu travailles à coté. Ah là ils pensent que tu as assez d'argent. Donc on est obligé de travailler. A la fin du mois, on partage ce qu'on gagne avec eux. Et je pense que c'est parfois très difficile de notre coté. Parce qu'on ne peut pas le faire parfois. Si par exemple On gagne 400 euros par mois, on paie le loyer à 200 euros, 100 euros pour la nourriture et le reste on l'envoie à la famille et tu n'as plus rien. » (Extrait d'entretien M.D, Etudiant Sénégalais)

Ces transferts d'argent constituent un véritable risque pour l'étudiant. L'observation nous montre d'anciens étudiants qui ont finit par abandonner les études à cause du travail et des transferts d'argent. En effet, qu'ils soient étudiants ou travailleurs, celui qui est à l'étranger est toujours perçu comme quelqu'un qui a réussi et qui a donc des obligations vis-à-vis de sa famille. Dans cette perspective, dés qu'ils obtiennent un travail, certains étudiants tentent à tout prix d'honorer ses obligations qui finissent par faire d'eux des sortes de prisonniers. Une fois effectué, le transfert d'argent devient une sorte de tache à répéter. Ainsi, le travail qui, en principe devait être un accessoire, devient de plus en plus une priorité au détriment des études. Lors d'une réunion organisée par le dahiras chez est un des plus agés de la communauté Sénégalaise à Poitiers, celui-ci a invité les étudiants à ne pas tomber sur le même piège que lui :

« A mes débuts en France, j'étais étudiants comme vous. Je travaillais souvent à coté pour soutenir ma famille. Mais c'était trop dur pour allier les deux. Causes pour laquelle j'ai choisi d'arrêter les études pour continuer à travailler. Aujourd'hui je regrette beaucoup parce que mes promotionnaires qui sont restés au Sénégal ont plus fait des réalisations que moi. Je vous conseille de ne pas faire comme moi. Concentrez-vous sur vos études. »30(*)

La multiplication des demandes d'aides financières émanant de la famille est très souvent abordée par les étudiants. A ce propos, un étudiant malien nous a confié lors d'une discussion que nous avons eu avec lui à la cité marie curie qu'il déplore fermement le fait que, alors même qu'il est obligé de se priver de beaucoup de loisirs et de bien matériel, à travers la pratique de métiers peu valorisant comme la plonge afin d'accroitre ses revenus, certaines personnes avec qui il a des liens de parenté envoient des messages pour solliciter de l'argent souvent destinés à des dépenses de nécessité secondaire. Il nous a aussi fait savoir que souvent, les parents surestiment leur capacité financière. Ce qui se traduit par une tendance à élever encore le niveau des attentes. Dans cette même perspective, un autre étudiant Sénégal nous confie à son tour qu'un jour, il a reçu le coup de fil d'un de ses oncles qui le sollicitait financièrement. A ce propos, cet étudiant raconte que quand il était au Sénégal, il ne connaissait même pas cet homme mais aujourd'hui, parce qu'il est à l'étranger, il est sollicité très souvent.

De nombreuses anecdotes circulent également dans le milieu des étudiants concernant par exemple des personnes qui sont sollicitées à travers les réseaux sociaux ( Facebook, Viber etc.) par des frères, amis ou même de leur petite amie qu'ils laissent au pays. Jusqu'ici, il faut reconnaitre qu'il existe rarement des cas de refus. Par contre, certains développent d'autres stratégies pour s'en sortir par exemple dire qu'ils ne travaillent pas, d'autres soulignent qu'ils ne répondent plus à des appels téléphoniques provenant de leurs pays d'origine. Cependant, il y'en a qui quand même admettent la part de gratification qu'il y a à se sentir ainsi «  quelqu'un d'important » parce qu'ils sont sollicités. Ce qui en soi contrebalance les difficultés qu'ils rencontrent au sein de la société d'émigration et même si cela doit s'inscrire dans un faux jeu.

6.2.2. Travailler pour étudier

Quoi qu'on puisse dire, les études restent quand même un motif du voyage. D'ailleurs, il est clairement mentionné sur le titre de séjour de ses étudiants qu'ils ont un visa pour étude. Après la séparation géographique avec leur pays d'origine, ces étudiants doivent maintenant s'établir dans leur nouvel environnement et souvent dans des conditions acrobatiques. Leur situation économique les oblige à vivre dans des conditions très difficiles. Et pourtant, ils doivent s'acquitter de leur logement, des inscriptions etc. En effet, presque toutes les personnes que nous avons interrogées dans cette enquête (10 sur 11) proviennent de familles défavorisées socio économiquement. Ils ne reçoivent aucune aide financière de la part du gouvernement de leurs pays d'origine. Pour faire face à l'ensemble des dépenses de subsistance et d'études, ces étudiants sont dans l'obligation de travailler régulièrement pour pouvoir s'en sortir.

En effet, depuis quelques années, la France a connu une massification sans précédent du nombre d'étudiants étrangers. Toutefois, il existe une diversification du profil social de ces étudiants. Dans ce lot important, une grande partie d'entre eux, surtout ceux provenant des pays du sud, on note une part importante d'étudiants issus de familles défavorisées pour lesquelles le financement des études de leurs enfants est une vraie question. L'étudiant, après avoir été appuyé financièrement pour qu'il effectue son voyage, il est laissé à lui-même une fois dans le pays d'accueil. Il lui revient alors de se prendre en charge. Dans ces conditions, beaucoup d'étudiants de notre échantillon éprouvent des difficultés à la fois économiques et psychologiques. Déjà, ils doivent s'intégrer dans leur nouvel environnement social et scolaire mais aussi, ils doivent s'acquitter de leurs besoins quotidiens.

Pour le premier point, la plupart arrive à s'en sortir grâce aux réseaux de solidarité avec les associations des différents pays d'origine qui jouent un rôle très important. Ces dernières accueillent souvent les étudiants, les hébergent pour les premiers jours et les accompagnent pour certaines démarches administratives. Ainsi, l'étudiant parvient à se faire un réseau d'interconnaissance puis s'adapte progressivement dans le pays d'accueil.

Toutefois un deuxième problème survient lorsque l'étudiant arrive à se trouver un logement et à s'occuper tout seul pour vivre. A cet effet, en ce qui concerne le coût des études, faudrait il prendre en compte plusieurs paramètres. D'abord, selon les filières, les coûts directs des études peuvent être très variables, en suite, il ne faut pas oublier les coûts indirects que constituent le logement et les frais de transports. Ces deux paramètres pèsent un poids non négligeable dans la vie de ces étudiants. Aujourd'hui, étant dans des situations économiques assez critiques, certains étudiants ont de sérieux problèmes pour se payer le transport (avoir une carte bus annuelle ou mensuelle). L'observation nous montre parfois des étudiants qui marchent pour rejoindre leur faculté le matin et parfois même sous le froid pendant l'hiver au risque de tomber malade. D'autres encore ont des mois de retard par rapport à leurs logements ou encore n'arrivent pas à satisfaire leurs besoins vitaux. Pour comprendre les difficultés que traversent certains étudiants étrangers, il suffit de faire un tour chez les assistantes sociales. Chaque jour, de nombreux étudiants les sollicitent pour se payer leur loyer ou encore avoir de quoi se nourrir. D'autres font recours à des structures comme les épiceries solidaires à la maison des étudiants ou encore au restaurant du coeur pour s'approvisionner. Toutefois, il est clair que certains en abusent parfois pour profiter des oeuvres offertes par ces services.

Dans toutes ses situations, travailler devient une obligation pour pouvoir s'en sortir. Exercer une activité rémunérée s'impose pour certains pour pouvoir payer leur inscription chaque année mais aussi payer le loyer et leurs besoins vitaux. Évidemment, cela ne veut pas dire que le rapport au travail se résume à cette dimension; certains éléments mis en évidence précédemment reviennent. Cependant, la situation socio économique des uns et des autres oblige souvent à travailler:

« Ah, je suis obligé de travailler pour financer les études. Pour une inscription à 500 euros, et un logement à 1500 euros dans une chambre traditionnelle par ans ; si tu as la caf bien sure. Donc à peu prêt 2000 euros par ans, ce n'est pas facile que la famille t'envoie ça vu les conjonctures économiques au pays. Et surtout il faut tenir compte du franc CFA qui est très faible par rapport à l'euro. Donc pour avoir 2000euros, il faut que tes parents t'envoient 2 millions de franc CFA à peu prêt. Et cette somme là au mali c'est pratiquement le salaire de beaucoup de Maliens en 5 ou 6 mois. Donc c'est une somme énorme. Donc je ne peux pas m'attendre à ce que la famille me fournisse ça, je ne peux pas dépendre d'elle. Donc voilà, pour pouvoir étudier, ce qui m'a amené ici, je suis obligé de trouver un job étudiant à coté pour pouvoir financer mes études et pouvoir m'entretenir. » (Entretien avec K.B, étudiant Malien, 26ans)

Les mots de cet enquêté abondent dans le même sens que nos paragraphes précédentes et mettent en exergue la situation économique des parents qui ne peuvent souvent pas les accompagner financièrement. La différence du taux de change entre le FCFA et l'Euro est très souvent soulevée pour expliquer l'incapacité des familles d'origine à aider. Comme l'affirment Ronan Vourc'h et Saeed Paivandi, « les étudiants étrangers, plus particulièrement les étudiants non européens, doivent donc faire face à des dépenses personnelles plus élevées et se retrouvent plus souvent en situation de difficulté financière. Pour y faire face, ils doivent plus fréquemment se restreindre. » Ainsi, ces étudiants sont contraints de se débrouiller pour pouvoir s'en sortir. L'activité rémunéré devient plus que jamais une nécessité voire même une obligation pour certains. La poursuite des études est strictement subordonnée à l'exercice d'activités rémunérées régulières. Leurs salaires, oscillant entre 350 et 700 euros par mois, sont juste suffisants pour vivre et laissent peu de place aux dépenses de loisirs.

En tout cas ce qui est sûr c'est que, réussir ses études nécessite d'être dans de bonnes conditions économiques mais aussi d'avoir une tranquillité psychologique. Il est avéré que dans une large mesure, la sommation de difficultés économiques affecte les conditions d'études de ses étudiants. Beaucoup parmi eux affirment qu'avec des difficultés pour payer leur logement ou encore de se nourrir comme il faut, ils n'arrivent pas à se concentrer comme il faut pour les études.

« Si j'avais laissé mon travail, ça allait être un problème parce que vous savez, quand tu étudies et que tu as un problème financier, c'est déjà difficile hein. Parce que les études, c'est des trucs qui donnent à réfléchir, et si tu as un problème financier, tu vas mal réfléchir. Vous imaginez ? Moi je me rappelle, c'était en 2012 avant de commencer mon premier travail au restaurant universitaire, j'avais à peu prêt six mois de loyer impayé. Il y avait la secrétaire de la cité Rabelais qui m'envoyait des messages dans ma boite à lettre pour me dire qu'il faut que j'aille régler mes loyers impayés. Tout ça me perturbait. Ça me stressait. Vous savez, quand tu es nouveau dans un pays et qu'on appelle souvent sur ton numéro personnel pour te demander d'aller payer le loyer, ça te stresse quoi. Vraiment ça a failli avoir un problème sérieux dans mes études. Mais j'avais un ami qui m'a suggérer d'aller voir l'assistance social. Je suis allé la voir et je les expliqué ma situation. Donc ils ont été très gentils, ils m'ont écouté et m'ont dit de ne pas me soucier de la cité et que c'est normal qu'ils font ça. Ils m'ont aussi aidé financièrement en me donnant 140 euros et un mois de loyer. Et ça m'a beaucoup aidé. Même le fait de parler avec eux, ça m'a beaucoup fait de bien. Donc si je ne travaillais pas, je pense que je n'allais jamais réussir mes études. Donc il fallait vraiment que je travaille pour poursuivre mes études.» (Entretien avec S.B, étudiant Malien)

Cet extrait d'entretien met en exergue le caractère impératif et contraignant de travailler. Cet étudiant explique son recours au travail par le fait de vouloir avoir de la concentration. Pour lui, le travail lui permettrait de sortir des difficultés économiques et de pouvoir ainsi se concentrer aux études. Le travail étant ici perçu comme la condition sine qua non pour pouvoir réussir leurs études. En effet, les études à l'université demandent beaucoup de réflexions mais aussi des recherches. De ce fait, cet étudiant estime qu'il est impossible de se concentrer lorsqu'on a des problèmes pour payer son logement ou encore se nourrir. Souvent, dans les résidences universitaires, on ne prend pas en compte la situation économique des étudiants qui y logent. Voilà pourquoi, en conformité avec le règlement, ils envoient des courriers à ces étudiants qui ont du mal à s'acquitter de leurs logements. Des courriers qui dictent l'étudiant à payer son loyer au risque de se faire sortir de la résidence ou même parfois de se faire traduire en justice. Ce qui ne manque pas d'affecter psychologiquement ses étudiants qui jouent souvent au cache-cache avec la direction des résidences. Cette situation est encore beaucoup plus critique lorsque l'étudiant réside dans un privé. Avant même la fin du mois, quelques uns de nos interlocuteurs nous ont fait savoir que le propriétaire se présente pour le paiement. Une situation qu'il les stresse tout le temps. Cependant, il arrive parfois qu'il tombe sur des propriétaires qui sont compréhensibles comme le souligne cette étudiante:

« En ce moment, si je reste toujours là (en parlant de sa chambre), c'est grâce à Dieu. J'arrive à m'en sortir !alhamdoulilah. Parce que bien vrai que je n'arrive pas payer mon logement toutes les fins du mois. Si je vous dis que je le fais, alors je vous mens. Je fais une avance au propriétaire parce que je ne peux pas tout payer en entier. Heureusement que je suis tombé sur quelqu'un qui me comprend et qui est tolèrent. Je lui fais des avances quand mon père m'envoie une somme parce que ce n'est pas suffisant. Au cours du mois, si je gagne quelque chose, je complète. C'est comme ça que je fais. » (Extrait d'entretien avec F.A, étudiante Sénégalaise.)

Tant de situations qui au final amènent à penser que l'étudiant étranger est en quelque sorte obligé de travailler , non pas parce qu'il est étranger mais parce que le statut de l'étudiant est un statut précaire en soi et étant issu de familles défavorisées.

6.3. Etudier ou travailler ? le conflit !

Même si travailler pendant les études peut être bénéfique comme le souligne certaines études, force est de constater que ce n'est pas toujours le cas. L'activité rémunérée, parce qu'elle peut empiéter sur le temps des études, présente de nombreux risques en ce qu'elle peut venir perturber la réussite des études. Si certaines conditions ne sont pas respectées par l'étudiant, le cumul des études et du travail peut avoir des retombées négatives non négligeables, incluant une diminution du rendement scolaire, un désengagement à l'égard des études, voire le décrochage scolaire. Toutefois il est urgent de pousser encore plus la réflexion en s'interrogeant sur la manière dont l'activité rémunérée peut affecter le bon déroulement des études mais aussi et surtout d'analyser les facteurs susceptibles de concourir à la réussite des études. Tout d'abord, il faut préciser que deux éléments permettent de mieux saisir l'influence négative du travail rémunéré sur les études. Il s'agit de la nature même du travail exercé mais aussi du temps que l'étudiant lui accorde.

En effet, le type d'emploi occupé et les conditions de travail qui y sont rattachées sont des éléments qui influent sur les études. En d'autres termes, plus l'activité rémunérée est intense et éloignée des études, plus le temps consacré aux études se réduit. La plupart des jobs exercés par les étudiants sont très peu qualifiés. Les enquêtes effectuées sur le monde étudiant étranger donnent une image des emplois principalement occupés par les étudiants. Lorsqu'ils travaillent, les étudiants sont le plus souvent dans le domaine de la restauration (plonge, agent polyvalent etc.) caissiers dans les grandes surface, agent de sécurité, veilleurs de nuit dans les hôtels ou les centres d'accueil, livreur de pizza, femme de ménages, baby-sitter etc. Des Mc jobs pour reprendre l'expression de Roy (2008). Le domaine de la restauration est le plus partagé par nos enquêtés. Sur 11 personnes interrogées, 09 parmi eux ont déclaré qu'ils font de la plonge ou sont des serveurs ou serveuses dans un restaurant de la place. Il s'agit d'emplois n'ayant pas de lien avec leurs études et qui présentent une charge horaire lourde : ils sont exercés au moins trois jours par semaine et nécessitent aussi beaucoup de temps mais aussi de la force physique. En effet, l'intensité du travail étudiant est sans doute un facteur pouvant empiéter la performance des étudiants. La concurrence entre ces types d'activités rémunérées et les études est réelle pour ces étudiants. En réalité l'enchaînement parfois rapide des périodes en emploi et en étude dans une même journée ou au cours de la semaine n'est pas toujours « conciliable » et s'effectue le plus souvent au détriment du travail universitaire. Ces derniers rentrent souvent chez eux épuiser ou le temps de révisons des cours ou de faire des exercices se substitue à un sommeil ou un temps de repos. Parfois, certains d'entre eux arrivent en retard à la classe à cause du travail et n'ont pas forcément la concentration nécessaire qu'il faut pour suivre le cours.

« Les jobs étudiants sont très durs. Que tu bosses 5h ou 10h par semaine, ce n'est pas du tout facile. Vous savez, les études, la recherche en générale, ça demande beaucoup d'efforts. Il faut dédier à la recherche énormément de temps. Souvent le travail peut être un handicap. Moi j'ai eu l'expérience. Je travaillais aux restaurants du Crous, 10h par semaine. Je ne travaillais que 2h par jour mais ces 2h ça me paraissaient être 4h ou 5h vue la rigueur du travail, la fatigue et tout. Donc c'est vraiment difficile de combiner à la fois les études et le travail. Parfois quand je rentrais chez moi, je ne faisais que dormir, je ne pouvais pas réviser parce que je suis tellement épuisé.» (Extrait d'entretien avec K.B, étudiant Malien)

Dans cette perspective, il est clair que la nature du travail exercé par l'étudiant demeure un facteur essentiel pour comprendre l'impact négatif sur les performances de ces étudiants. Ainsi, on peut se permettre de poser l'hypothèse comme quoi plus l'activité exercée est intense, plus il y a des chances pour qu'il ait un impact négatif sur les études.

Au-delà de la nature du travail et de l'effort physique et psychologique que l'étudiant fournit, faudrait il aussi s'interroger sur le temps de travail qui est aussi fondamental pour comprendre les effets du travail rémunéré sur les études. En effet, il existe un seuil au-delà duquel le travail en cours d'études augmente considérablement les risques d'échec. Ce seuil est en général évalué à 15 heures ou 20 heures par semaine. Ceci relève d'un consensus international validé par de nombreuses enquêtes dans plusieurs pays de l'Ocde. En France, les enquêtes montrent que le dépassement de ce seuil, tout au long de l'année, dans l'exercice d'un travail peu qualifié et sans lien avec la formation suivie, a toutes les chances de perturber le bon déroulement des études, de conduire à l'échec et à l'abandon des études plus tôt que prévu.31(*)

Tout d'abord, notons que les étudiants qui exercent une activité très concurrente des études sont bien les plus nombreux à s'exposer au risque d'abandon ou encore de produire de mauvais résultats. En effet, à force de d'accorder plus de temps au travail, l'étudiant court le risque de considérer cette activité comme plus importante. Ce que Vanessa Pinto, analysant le rapport à l'activité rémunérée des étudiants, décrit comme le « pôle de l'éternisation », dans lequel l'emploi étudiant « devient durable, au point de prendre progressivement la place des études, aussi bien dans les occupations que dans les préoccupations quotidiennes » (Pinto, 2010.) En d'autres termes, exercer une activité rémunérée pendant les études peut conduire progressivement à une négligence des études. L'étudiant accordant plus de temps et d'énergie au travail d'où une sorte de d'inversion par laquelle l'étudiant salarié devient peu à peu un salarié étudiant, son activité rémunérée prenant le pas sur ses études.

En effet, il est avéré que la présence, le suivi des enseignements et le travail personnel constitue des éléments indispensables pour penser à une réussite par rapport aux études effectuées. Cependant, l'expérience montre que l'exercice d'une activité rémunérée influence assez nettement les temps studieux des étudiants. En principe, les étudiants qui ne travaillent pas sont ceux qui consacrent le plus de temps et de concentration aux études. Dans tous les cas, des écarts s'observent entre les étudiants qui n'ont pas d'activité rémunéré et ceux qui ont des heures de travail élevées. Ces derniers consacrent moins de temps aux cours et aux heures de travail personnel. Le travail sur l'enquête de 2006 de l'OVE en rapport avec les étudiants inscrits en sciences de l'éducation révèle l'existence d'un lien statistique entre le fait d'exercer une activité rémunérée et les phénomènes « négatifs » des études ou la « contre-performance » des étudiants. Par exemple, le fait d'exercer une activité augmente 35% la chance d'être absent.32(*) En réalité beaucoup d'étudiants s'autorisent à s'absenter aux cours à cause du travail.

« Au début, comme tout travail, c'est difficile. Chaque jour j'avais cours à la fac de 08H à 18H. Du coup, j'ai négocié avec eux pour ne travailler que les soirs. Comme j'avais un contrat de travail de 15h par semaine, je travaillais là bas à partir de 19h jusqu' la fermeture à 23h. Mais si on avait beaucoup de clients, on pouvait aller jusqu'à une heure ou deux heures du matin. Comme moi j'habite à Rabelais et que le KFC c'est à Chasseneuil, il fallait prendre le bus pour y aller. Moi je n'avais pas de voiture. Parfois il fallait que j'attende le manager pour qu'il me ramène ou bien j'appelais un ami pour qu'il vienne me cherché au KFC. Donc le temps d'arriver chez moi, supposons que je termine à minuit, j'arrive chez moi à 2h du matin. J'arrive chez moi, je prends ma douche ; étant donné que j'avais des rapports à rendre aussi parce qu'on faisait des TP de 4h et on est obligé de rendre des rapports de quelques pages. Du coup j'arrivais chez moi à 2h du matin et le temps de prendre ma douche, il est presque 2h 30, je me couche pour me réveiller à 6H. Et ça continue encore, c'est comme une boucle. Chaque jour je faisais ça et j'étais vraiment épuisé. En un moment donné, j'avais envi de tout plaqué parce que j'étais fatigué et je n'arrivais pas à suivre le rythme. (...) Mais c'est vrai qu'il y a eu vraiment des moments ou je ne partais pas au cours. Surtout les cours du matin, les 8h, c'était difficile de coucher à 2H ou 3h pour me réveiller à 6h et prendre le bus à 7h 24 et puis voilà commencer les cours à 8h 15. C'était vraiment difficile et j'étais vraiment fatigué. J'étais fatigué physiquement puis psychologiquement. J'avais des rapports à rendre et ce n'était franchement pas facile.» (Extrait d'entretien avec S.B, étudiant Malien)

Ces propos de S.B qui réside à la cité Rabelais et qui partait jusqu'à Chasseneuil pour travailler comme plongeur nous apprennent en quelque sorte que c'est lorsque l'étudiant exerce une activité très concurrente des études que l'impact sur le travail studieux est le plus important. En réalité, gérer deux emplois du temps en même temps semble être une obligation pour ses derniers. Toutefois, admettons quand même que la conciliation est très difficile. Comme le souligne les propos de cet étudiant cité ci haut, une des conséquences de l'exercice d'une activité rémunérée, particulièrement lorsqu'elle est physique ou encore nocturne, est sans doute la réduction du temps de présence aux cours, ou encore à la bibliothèque pour mener des recherches ou réviser. Ainsi, pour les étudiants qui sont inscrits dans des filières scientifiques par exemple, ou l'emploi du temps est très chargé, cumuler les deux est très difficile. Ne pouvant être aussi présents en cours que leurs camarades, ces étudiants sont donc dans l'obligation de compenser en étudiant de manière plus autonome et en allant chercher ailleurs une partie de l'information que les autres étudiants reçoivent par le biais de cette présence.

« Je n'avais pas le temps pour réviser suffisamment. Je me rappelle bien, je révisais souvent à la pause. Entre midi et 14h, quand les gens partaient manger, c'est en ce moment que je révisais. Si je n'avais pas fait ça, je ne pouvais pas être au même niveau que mes camarades de classe. Eux, ils étaient en avance puisqu'ils n'avaient pas ce problème d'argent. Du coup, ils étaient bien. Mais moi, il fallait vraiment que je m'arrange pour suivre le rythme. Et pour ça, je travaillais tous les jours de midi à 14h à la BU. A chaque fois que j'avais une pause, parfois je pouvais même passer une journée sans manger pour aller travailler. J'essaie de finir mon rapport. Parfois je faisais les choses à la dernière minute. Il y a même certains profs qui m'on fait des remarques là-dessus. » (Extrait d'entretien avec S.B, Etudiant Malien)

Ce qui ressort des entretiens est qu'il est difficile d'aller en cours tout en travaillant. Pour certains étudiants, le travail a eu un impact plus négatif allant jusqu'à leur faire redoubler une année. En effet, le salariat induit nécessairement à un aménagement de l'emploi du temps car l'étudiant devant alors gérer à la fois les études et le travail. Selon les travaux du sociologue Claude Grignon, dans un rapport en décembre 200333(*), basé sur les chiffres de 2000, l'exercice régulier d'une activité rétribuée sans rapport avec les études diminue les chances de réussite et va de pair avec le retard dans les études. Horaires lourds et incompatibles, désorganisation, fatigue...dans certains cas, le job étudiant devient un handicap pour les études.

« C'est très difficile de travailler et de vouloir étudier. Sérieusement ! Parce que c'est à cause de ça que je n'ai pas pu terminer mon master de l'année dernière. Parce que sinon, je pouvais faire le master en une année, une bonne fois. Parce que j'avais validé toutes mes unités d'enseignement. Mais j'étais tellement pris par le travail. Il fallait que je gagne de l'argent pour pouvoir euh ... voilà quoi ! C'est pourquoi je me suis dit que je vais faire le master en deux années pour pouvoir gagner un peu de temps. Mais c'est vraiment quelque chose de difficile. » (Extrait d'entretien avec A.D, Etudiante Sénégalaise)

Selon Grignon et Gruel, quelles que soient la filière et l'année d'étude, exercer un travail rémunéré régulier diminue de 42% la probabilité de valider complètement l'année. Les auteurs montrent lorsque les activités rémunérées ne sont pas intégrées aux études, sont statistiquement associées à des parcours chaotiques, à de moindres chances de réussite totale chances de réussite aux examens de premier et deuxième cycle. (Grignon et Gruel, 2000, p.186) D'après notre enquête, même ceux qui ont pourtant réussi à être admis à l'examen de fin d'année avouent qu'ils ont cependant régressé de leur niveau. Ils passent de justesse avec une moyenne comprise en 10 et 12.

Cependant, il faut souligner que chaque étudiant ne vit pas cette expérience de la même façon, le travail n'a pas la même influence pour chaque étudiant. Si pour certains le travail constitue un handicap pour leurs études, admettons quand même que d'autres parviennent à s'en sortir. En tout cas, beaucoup d'étudiants acquièrent au fil du temps des techniques, des méthodes qui leur permettent de pouvoir au moins valider leurs années d'études. Certains étudiants salariés ont choisis un rythme « ralenti » pour pouvoir étudier à l'université tout en travaillant à mi temps ou à plein temps. Afin d'échapper aux risques encourus dans la conciliation études/travail, les étudiants mettent en place plus d'une stratégie comme par exemple réduire le nombre d'heures de travail en négociant avec son employeur pour libérer un peu la charge de travail. D'autres par contre réaménage leurs habitudes de vie par exemple en se couchant tôt le soir pour pouvoir se lever plus tôt et étudier. D'autres vont faire une gestion très serrée de leur horaire de vie, auquel ils seront fidèles, malgré les imprévus.

* 22 Mbodji M., Imaginaire et migration, le cas du Sénégal, in Momar Coumba Diop (2008), Le Sénégal des migrations, mobilités, identités et sociétés, Karthala, p.310.

* 23 Op.cit. Mbodji M., p.313.

* 24 Antoine Philippe, Razafindrakoto Mireille, Roubaud François, « Contraints de rester jeunes? Évolution de l'insertion dans trois capitales africaines: Dakar, Yaoundé, Antananarivo. », Autrepart 2/2001 (n° 18), p. 17-36

URL: www.cairn.info/revue-autrepart-2001-2-page-17.htm.

* 25 Y. Barel, "Le Grand Intégrateur", Connexions, n° 56, 1990, pp. 85-100.

* 26 Mauss M., (1923-1924), Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques.

À l'aide d'exemples empruntés à des sociétés diverses, l'auteur montre que le don est obligatoirement suivi d'un contre-don selon des codes préétablis. Dons et contre-dons, articulés autour de la triple obligation de « donner-recevoir-rendre », créent un état de dépendance qui autorise la recréation permanente du lien social.

* 27 Tîmera Mahamet, « Les migrations des jeunes Sahéliens : affirmation de soi et émancipation. », Autrepart 2/2001 (n° 18) , p. 37-49

URL : www.cairn.info/revue-autrepart-2001-2-page-37.htm.

* 28 Gaye Daffé, les transferts d'argent des migrants sénégalais, entre espoir et risques de dépendance, in M.C.Diop, Le Sénégal des migrations, (2008), Karthala, p.105.

* 29 Transferts de fonds : une aubaine pour le développement : Les sommes rapatriées par les émigrés concurrencent l'aide au développement, par Gumisai Mutume, Afrique Renouveau, Octobre 2005, page 10.

* 30 Paroles d'un des plus agés des Sénégalais de Poitiers. C'était lors d'une visites que les membres du dahira l'on accordé.

* 31 Catherine Béduwé, Jean-François Giret, « Le travail en cours d'études a-t-il une valeur professionnelle? », Économie et Statistique n° 378-379, 2004, pp.55-83.

* 32 Les étudiants salariés des sciences de l'éducation. Cumul des études et d'un travail salarié : quelles conséquences sur la réussite au diplôme ? Sur l'efficacité de la formation ? Coordination Patrick Berteaux, Université de la Réunion, CIRCI Françoise F. Laot, Université Paris Descartes, CERLIS

* 33 Claude Grignon, (2003) « Les étudiants en difficulté - précarité, pauvreté », Rapport au ministre de la Jeunesse, de l'Education Nationale et de la Recherche, Paris : OVE.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille