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Sociologie des carrières professionnelles dans les entreprises privées au Burkina Faso. Cas de Telecel Faso, Ouagadougou.

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par Antoine Sangue
Université Ouaga I Pr. Joseph Ky-Zerbo - Maîtrise 2015
  

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I.4. Socialisation et représentation sociale des travailleurs

Selon plusieurs auteurs (Dubar : 1991 ;Sainsaulieu : 1988, etc.) le développement de nos sociétés a fait du travail un puissant facteur d'intégration sociale. Il apporte au travailleur une identité sociale, produit de socialisations successives et son appartenance à telle ou telle catégorie socioprofessionnelle définit sa place dans le processus de production. Il constitue la base de ce qu'on appelle la socialisation secondaire puisque tout au long de sa vie professionnelle, le travailleur est dans un processus continu d'intégration aux valeurs et à la culture de l'entreprise. Le lien social se développe aussi bien au cours des rapports entre collègues que dans les relations avec la clientèle.

La lecture que donne Dubar (1991) aux travaux de Berger et Luckmann revêt un intérêt essentiel. En effet l'économie générale de leurs textes conduit à une théorisation originale. Berger et Luckmann définissent la socialisation secondaire comme une intériorisation des sous-mondes institutionnels spécialisés, conduisant à une acquisition de savoirs spécifiques et de rôles directement ou indirectement enracinés dans la division du travail. Une telle définition renvoie à une incorporation de savoirs spécialisés, qu'ils appellentsavoirs professionnels, constitués de savoirs d'un genre nouveau. Ainsi, sur la base de ce postulat, Dubar montre qu'ils sont associés à une série conceptuelle renvoyant à une weltanschauung, une vision du monde constituée d'un vocabulaire, de formules, de propositions, de procédures, un programme formalisé et un univers symbolique.Selon Dubar, la relation entre « réussite » et « conditions » de la socialisation secondaire constitue un des points cruciaux de la théorie de Berger et Luckmann. Mais selon lui, l'articulation des identités spécialisées, c'est-à-dire professionnelles, culturelles ou politiques au sein d'une identité « globale », individuelle et sociale « ne peut qu'être décrite empiriquement, constatée, mais non théorisée»(Dubar 1991 : 105).

C'est ainsi que Chevalier (1994) remarquait que les entreprises constituent des collectivités de travail. De ces collectivités se crée une identité professionnelle partagée par la communauté, qui ne se construit pas seulement en référence aux activités de ces collectivités, mais dépend de facteurs multiples imbriqués et entrecroisés. D'abord, l'auteur montre que la condition de salarié conduit à une conscience collective, d'où une  identité de classe. Cette conscience collective s'exprimera par l'adhésion à des organisations spécifiques telles les syndicats, les mutuelles, chargées de la défense des intérêts communs des employés ; elle débouchera sur le développement de luttes, visant à défendre ces intérêts par l'action collective. Ensuite, il constate qu'au-delà du statut commun de salarié, il existe des groupes d'attitudes relativement différenciées par rapport au travail: on voit ainsi apparaître de véritables identités au travail au terme de la confrontation avec le processus productif, débouchant sur des sous-cultures. Présentes à l'intérieur des divers groupes socioprofessionnels, bien qu'avec des pondérations et des évolutions différentes, ces sous-cultures seraient intériorisées au terme d'un processus d'apprentissage culturel dépendant d'un ensemble de variables (culture antérieurement acquise, situation de travail proprement dite, type de capital symbolique au sein de l'entreprise). L'entreprise interviendrait moins comme un lieu d'acquisition d'une culture organisationnelle spécifique, que comme un contexte ou un milieu relationnel. Ceci permet à chaque salarié d'actualiser, par le biais de l'expérimentation quotidienne des relations de travail, les images et expériences. L'expérience du travail produirait ainsi, non seulement des identités collectives organisées sous la forme de modèles culturels, mais aussi des types d'acteurs sociaux, résultant de ces apprentissages culturels. Il se forme alors des communautés professionnelles, constituées autour d'un champ de sociabilité, qui élaborent des règles, des pratiques et valeurs communément admises pour gérer leur relation de solidarité, d'entraide, et de résolutions de conflits. L'identité corporative enfin, apparaît pour Chevalier comme la consolidation des identités précitées, qui n'est qu'une instance d'organisation des intérêts, mais surtout un lieu d'identification.

La substance de l'analyse sur l'identité du travailleur, surtout dans le secteur privé selon l'auteur, conduit à la production d'une identité d'entreprise. L'entreprise apparaît comme une entité collective, une véritable micro-société, guidée par un intérêt propre, commun à l'ensemble de ses éléments constitutifs et qui constitue son principe fondamental de cohésion.

Au regard de ce apport considérable sur une théorie de la construction des identités des travailleurs, résultant des processus de socialisation, le texte de Chevalier donne une vue globale sur les raisons et motivations qui peuvent conduire un employé à se définir par rapport à sa catégorie professionnelle et son degré de cohésion à l'entreprise.

Dans un article sur la marine marchande française, Paradeise (1984) définit les  marchés du travail fermés  comme des espaces sociaux où l'allocation de la force de travail est subordonnée à des règles impersonnelles de recrutement et de promotion. Cette définition concerne tout à la fois les marchés des professions libérales et celui des professions à statut national,  mais aussi un nombre certains d'emplois privés, localisés dans un secteur, un métier, une firme. Elle leur attribue certains traits de l'idéal-type de la bureaucratie comme système rationnel-légal selon Weber, tout en reconnaissant que tous n'appartiennent pas à des organisations bureaucratiques.

Elle constate à partir de l'exemple de la marine marchande française, que « la formation constitue la charpente du marché sur laquelle elle agit de différentes manières » : en organisant l'accès aux emplois et en créant une liaison rigide entre formation/ancienneté/qualification/salaire, en régulant les relations entre les intérêts des trois partenaires (Etat, employeurs, salariés) et en assurant « la reproduction organique de la compétence [...] par des titres difficilement négociables sur le marché du travail extérieur »(Paradeise 1984 : 356-357).

Ce n'est donc pas la nature du travail ni son organisation, ni même ses relations internes qui assurent la  fermeture  de ce type de  marché institutionnalisé ; mais plutôt les conditions de fonctionnement du système d'emploi. C'est donc l'ensemble des relations professionnelles institutionnalisées s'organisant autour d'une super-règle qui prétend articuler les intérêts des travailleurs et des employeurs à l'aide de normes et procédures qui échappent aux lois du marché libéral. Or, remarque Paradeise, parmi ces procédures, celles qui concernent la formation occupent une place stratégique pour réguler l'accès aux emplois, le déroulement des carrières et les rémunérations. La formation devient alors « un processus de socialisation en milieu maritime »(Paradeise 1984 : 357) incluant à la fois des formations initiales d'insertion dans l'emploi, et des formations alternantes associant l'acquisition des savoirs et des savoir-faire. On peut donc considérer ce marché du travail fermé  comme un mode intégré de socialisation professionnelle permettant de réaliser une articulation dynamique entre la formation générale préalable, la formation professionnelle d'accompagnement de carrière et l'expérience du travail ou du métier.

L'on ne saurait analyser les processus de socialisation en cours dans les produits culturels du travail organisé, sans évoquer le tableau savamment élaboré par Sainsaulieu (1988) sur les modalités constitutives des identités au travail et leurs indicateurs. En effet, l'auteur dans son ouvrage sur l'identité au travail  dégage trois dimensions identitaires que sont : le champ d'investissement, les normes de comportement relationnel et les valeurs issues du travail. A ces dimensions se rattachent de manière dynamique et simultanée des modèles de relations au travail. Primo, il distingue, le  modèle fusionnel, qui combine la préférence collective, caractérisé par une solidarité entre pairs et une dépendance envers l'autorité du chef, du fait d'un manque de pouvoir sur leur condition de travail. Secundo, il retient le modèle de négociation, qui allie la polarisation sur le collectif avec une stratégie d'opposition, que l'on retrouve chez les professionnels très qualifiés, en raison de leur compétence et de leur place dans la chaîne de production. Tertio, c'est le  modèle des affinités  qui en oeuvre. Celui-ci allie la préférence individuelle avec une stratégie d'alliance. C'est l'univers de la promotion sociale, de la mobilité socio-professionnelle rapide, soutenue par un réseau relationnel. Le dernier modèle de retrait enfin, selon Sainsaulieu, est caractérisé par « l'absence-présence » de l'employé. Il s'agit de catégories de travailleurs de base peu qualifiés qui ont d'autres préoccupations plus urgentes et valorisantes ailleurs, la situation professionnelle n'étant qu'un atout. C'est le cas des femmes, par exemple, qui sont déchirées entre les obligations matrimoniales et la valeur de la vie professionnelle.

En outre, l'auteur remarque que l'entreprise, du fait qu'elle offre des possibilités d'expérimentation stratégique, est un lieu d'apprentissage de normes de relations. Il définit l'apprentissage comme une activité précise de l'individu, progressant par essais et erreurs. Pour l'auteur, des habitudes de relations avec les autres au travail, peuvent être issus de l'expérience même des rapports de travail, et ne pas être la pure transposition des habitudes prises antérieurement dans le milieu scolaire ou familial. Selon Sainsaulieu, l'apprentissage de normes professionnelles et relationnelles portera sur la capacité stratégique de l'acteur en situation, et c'est autour de cette élaboration d'un jeu individuel face au jeu des autres que l'on pourrait analyser les processus d'essais et d'erreurs, de récompense et de transfert. Toujours est-il que quel que soit les diplômes acquis antérieurement, un métier s'apprend toujours sur le tas, dans une relation de conseil et de contrôle avec quelques experts déjà confirmés.

Toutefois, l'auteur retient que l'action culturelle joue un rôle important dans les processus d'intégration de l'individu dans son groupe professionnel dans la mesure où « être en organisation, c'est être en structure de mise en relation, et par là même, dans un processus de socialisation» (Sainsaulieu 1988 : 370). L'interaction en oeuvre dans l'espace du travail conduit à la possibilité pour chacun d'être reconnu comme différent des autres sans pour autant être rejeté. Puisque celui-ci dispose d'un passé culturel, d'habitudes acquises en matière d'identification et de perception. Ainsi, l'individu et le groupe font tout d'abord l'expérience d'une certaine logique de leur conduite d'acteur dans leur situation d'échange quotidien. Impliquant du même coup une intériorisation des normes et valeurs propres à l'organisation. En outre, l'intégration professionnelle est une condition nécessaire pour le travailleur de s'approprier les valeurs de l'entreprise, de faire preuve de fidélité et de loyauté, de s'approprier l'esprit maison selon Sainsaulieu. Constitué d'une combinaison évolutive d'attachement et de complicité aux collègues, de relations d'identification aux chefs et de respect des règlements, cet esprit maison donne à la fois la fierté et la satisfaction d'appartenir à l'entreprise. En effet, selon l'auteur, les employés, guidés par cet esprit, « sont l'entreprise, car c'est elle qui les fait vivre, mais à condition qu'elle les fasse bien vivre, qu'elle les honore et les protège, dans et hors le travail»(Sainsaulieu1988 :365). De surcroît, ce phénomène d'intégration peut avoir des proportions pouvant se répandre sur plusieurs générations. C'est ainsi, que l'auteur nous donne exemple de l'esprit cheminot  de la SNCF en France. Pour lui, cet esprit semble trouver sa source dans la certitude de promotion sociale qu'offraient les compagnies de chemin de fer, sur plusieurs générations, à tel enseigne que des cadres actuels sont fils et petit-fils de cheminots.

Nonobstant cet esprit d'intégration, rappelons que les représentations naissent, s'élaborent et se construisent à partir d'éléments individuels, contextuels, sociaux, qui sont relativement identifiables. Qu'en est-il pour le cas des agents de Télécel Faso  qui se réclament d'être une « une grande famille » ? Les différentes catégories socio professionnelles sont-elles guidées selon des schèmes propres à leurs groupes ?

Au niveau du monde social du travail, les représentations se modifient avec la perception de soi et l'évolution des tâches à exécuter. Les représentations sociales orientent dès lors les conduites et les comportements des individus. En effet, Lautier et Pereira (1994), à travers leur étude sur les représentations des travailleurs sans qualités  en Amérique Latine, montrent que les représentations de soi, marquées par une stigmatisation sociale dans et hors du travail apparaissent comme un élément déterminant de la mobilité professionnelle. Analysant les ouvriers du bâtiment, les auteurs montrent comment ils se définissent comme des moins que rien. Cette représentation de soi dévalorisée s'accompagne d'un processus de stratification sociale auto définie par les travailleurs puisqu'ils élaborent toujours une comparaison face à l'altérité. D'un autre côté, la dénégation de son état, par ces signes extérieurs peut être, en l'absence de projet de mobilité le seul moyen de supporter sa condition, la schizophrénie apparaissant comme une véritable stratégie de survie. Cette représentation est la plupart du temps partagée par une catégorie d'employés dont les conceptions vont au-delà des relations de travail pour devenir une fraternité  comme le soulignent Bucher et Strauss (1961) dans professions in process.Pour les auteurs, dans les milieux de travail, ils se créent des segments dont les membres adoptent une attitude de « development of a unique mission, shared attitudes toward clients and society, and the formation of informal and formal association » (Bucher et Strauss 1961 : 330).

On ne saurait de ce fait sous-estimer l'efficacité de cette valeur d'intégration à l'entreprise dans l'analyse des identités collectives issues des situations de travail. Nous sommes à une époque où la croissance des organisations et la multiplicité des progrès techniques bouleversent les solidarités et relations humaines.

Nos ouvrages de référence s'inscrivent dans une perspective à la fois analytique et descriptive des situations de travail, organisées autour de diverses normes et valeurs. Celles-ci conditionnent et codifient les comportements et représentations des différents acteurs en interaction. Néanmoins, l'on ne saurait analyser la question de l'emploi d'une structure dans un espace donné, sans auparavant donner un état global de la situation. Pour ce faire, que peut-on retenir de l'état des lieux de l'emploi au Burkina Faso, précisément dans le secteur privé ?

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo