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L'auteur-interprète à  l'ère du numérique: application et évolution


par Charles PAGE
Université Jean Moulin Lyon III - Master 2 Droit de la Propriété Intellectuelle 2014
  

Disponible en mode multipage

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Année Université 2013-2014

Université Jean Moulin Lyon III - Faculté de Droit

Master II Droit des Affaires, Mention Droit des Entreprises, Spécialité Droit de la Propriété

Intellectuelle

L'auteur-interprète à l'ère numérique : Applications et évolutions

Mémoire soutenu par Charles PAGE

sous la direction de

Monsieur Nicolas BOUCHE, Directeur du Master Droit de la Propriété Intellectuelle Madame Anne-Emmanuelle KHAN, Directrice du Mémoire

Remerciements

Je tiens à remercier avant tout,

Monsieur le Maître de conférences Nicolas Bouche, pour m'avoir permis d'intégrer ce Master II d'étude de la Propriété Intellectuelle et son plaisir non dissimulé de transmettre son savoir à ses étudiants. Madame Anne-Emmanuelle Khan, pour ses conseils avisés, son engouement pour la culture artistique, et la qualité de son enseignement.

Je remercie également mes parents et leur regard critique sur cette étude, et Mathilde Besnard, pour tous les encouragements et conseils qu'elle m'a prodigué au cours de cette année.

Sommaire

Introduction 4

Titre I - L'application délicate des droits d'auteur sur

Internet 11

Chapitre 1 : Des phénomènes majeurs difficilement appréhendables 12

Section 1 : L'incontrôlable phénomène du téléchargement pair-a-pair 12

Section 2 : L'épineuse question du streaming 19

Chapitre 2 : Des solutions contemporaines insuffisantes 24

Section 1 : La réponse apportée par les mesures techniques de protection 24

Section 2 : La réponse apportée par l'offre légale 28

Titre II - Une modification sous-estimée des rapports entre acteurs 33

Chapitre 1 : Des rapports auteur-producteur bouleversés 34

Section 1 : Une situation classiquement monopolistique des majors 35

Section 2 : Un déclin annoncé de la figure classique du producteur 37

Chapitre 2 : Des rapports auteur-public encouragés 39

Section 1 : L'Internet en faveur d'un rapport direct 40

Section 2 : Le public, au centre d'un nouveau modèle économique ? 41

Conclusion 44

1

« La musique seule a une place dans le monde actuel, précisément parce qu'elle ne prétend pas dire des choses déterminées »

Mikhaïl Bakounine

1. Le droit de la propriété littéraire et artistique a cet intérêt si particulier d'être
étroitement lié à la création, à l'esthétique et à la culture. Parmi les nombreuses déclinaisons de ce que l'on définit comme artistique, la musique apparaît être l'expression la plus sensible de l'art. Tout un chacun est sensible à la musicalité, sans considération de son âge, origine, classe sociale ou personnalité1. Cette universalité en fait donc un enjeu social, juridique, et économique majeur.

2. Le concept même de « droit d'auteur » naît à Rome, où l'on distinguait déjà entre le
support de l'oeuvre et son contenu. Sous l'Ancien Régime français, le droit d'auteur n'existait pas en tant que tel et la seule protection que le créateur pouvait espérer émanait alors des privilèges octroyés de façon discrétionnaire par le Roi. Cas rare, puisque l'usage était la vente de l'oeuvre de l'auteur à l'éditeur, qui demandait alors l'octroi du privilège à son propre compte. En matière musical, l'auteur était alors soumis aux Académies de musique, véritables corporations bénéficiaires de privilèges. Ce n'est qu'en 1784 que Louis XVI leur accorde un début de reconnaissance2. Il faudra attendre les Décrets des 19 et 24 Juillet 1793 pour que les prémices d'un réel droit d'auteur au profit des « compositeurs de musique » soient reconnues, par l'octroi d'un droit de reproduction exclusif d'une durée de dix ans post mortem auctoris. Le XIXème siècle permettra ensuite la maturation progressive du droit d'auteur, et les discussions internationales entraîneront la rédaction de la Convention de Berne du 09 septembre 1886, socle de protection commune aux différents Etats membres. Au début du XXème siècle sont ensuite élaborés le principe de la protection de l'oeuvre sans considération de son mérite (1902), la reconnaissance de la distinction entre l'oeuvre et son support (1910), et le droit de suite (1920). Et c'est près de 150 ans après la première législation française du droit d'auteur que la grande loi du 11 mars 1957 est promulguée pour que soient misent en place les bases du droit d'auteur appliqué aujourd'hui. Codification principalement à droit constant, par la consécration des jurisprudences nombreuses en la matière, elle reconnaît aux auteurs un droit moral conséquent ainsi que des droits patrimoniaux : les droits de reproduction de représentation, tout en prévoyant les différentes modalités de conclusion des contrats de représentation et d'édition. L'élargissement par la suite progressif de la protection connaît un réel coup de fouet à la

1 Barbara Tillman, Novembre 2008 « La musique, un langage universel » [en ligne]

http://www.pourlascience.fr/ewb pages/a/article-la-musique-un-langage-universel-18508.php (consulté le 02/06/2014)

2 Pierre-Yves Gautier. Propriété Littéraire et Artistique. Puf, Collection Droit Fondamental Civil, 2012 p.16

2

fin du XXème siècle par l'impulsion des directives communautaires. L'arrivée au troisième millénaire, synonyme de passage à l'ère numérique et de consécration de la société de l'information, voit naître alors trois grandes lois aux ambitions d'adaptation à cette évolution technologique. Celle du 1er août 2006, écho à la Directive relative aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société d'information (Directive DADVSI), et celles des 12 Juin et 9 Juillet 2009, derniers actes législatifs franco-français en la matière, établissant la célèbre mais non moins discutée Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI).

3. La conciliation entre droits d'auteur et numérique est pourtant particulièrement délicate.
Alors que le droit d'auteur serait potentiellement nuisible au développement de la société de l'information promise par le numérique, celle-ci permettrait dans le même temps la multiplication des copies illicites et autres violations des droits, rendant sa mise en oeuvre impossible3. Le droit d'auteur, par le monopole d'exploitation temporaire conféré à son titulaire, est manifestement un mécanisme de réservation du marché visant à ériger une barrière propre à sortir l'objet de la protection de l'usage commun. C'est le but de rémunération de l'effort créateur, ex post, de son titulaire4. Néanmoins, la réservation n'est pas absolue. Le respect des intérêts des utilisateurs a entraîné la reconnaissance d'exceptions à l'exclusivité. Le droit admet il est vrai certaines utilisations gratuites sur les oeuvres protégées, avec pour objet d'assurer le respect du droit à la vie privée des utilisateurs et la prise en compte de l'impossibilité matérielle et juridique de contrôler chaque utilisation frauduleuse potentielle, afin de favoriser un accès plus large aux oeuvres, la critique, et l'apprentissage. Principalement, la copie privée, la parodie, l'utilisation dans le cercle familial, l'utilisation à des fins pédagogiques, la reproduction pour les bibliothèques numériques, et accessoirement, toute utilisation d'une oeuvre tombée dans le domaine public, une fois la durée de protection de 70 ans post mortem auctoris expirée, avec pour seule limite le respect du droit moral perpétuel de l'auteur et de ses ayants-droits et ayants-cause. Le droit d'auteur peut donc être vu comme un système de compromis social5. La sempiternelle question de la conciliation entre le respect du travail de l'auteur, son apport pour la société, et les intérêts du public, s'exacerbe à l'occasion de l'apparition du numérique.

4. « Everything you always knew about intellectual property is wrong ». Monsieur John P.
Barlow, fondateur de l'Electronic Frontier Foundation parvient à résumer par ce postulat à la fois provocant et pertinent les turpitudes auxquelles doit faire face le droit à l'ère du numérique. Si la propriété intellectuelle est un concept bien établi depuis plus d'un siècle, la démocratisation de l'internet en a ébranlé le fondement, la légitimité, et l'applicabilité. Si les débats portent sur l'ensemble de la matière, leur intensité n'en n'est que renforcée en matière musicale en raison de son caractère universel.

3 J. Farchy, 2001 « Le droit d'auteur est-il soluble dans l'économie numérique » in Réseaux Volume 19 - n°110/2001 - Edition La Découverte p.17

4 M. Vivant et J.-M. Bruguière, 203 Précis Droit d'auteur et droits voisins - Edition Dalloz p. 13.

5 J. Farchy, op. cit. p.23

5.

3

Mais pourquoi tant de remises en cause, pourquoi les sentiments se déchainent-ils tant à
cette occasion ? Selon Jérôme Huet, l'internet est « un phénomène de culture et de communication autant, si ce n'est plus, qu'il est un phénomène marchand »6. Les internautes sont imprégnés d'une culture non marchande. En effet, l'internet repose depuis sa démocratisation sur les principes de gratuité et de libre accès7. Alors que le numérique apporte l'espoir d'une société d'information sans limites, permettant la promotion et la diffusion exponentielle des contenus, le droit d'auteur vient quant à lui en limiter la portée, excluant de ces avancées une partie de la population : les « info-pauvres »8.

6. Les critiques s'élèvent de tous bords concernant la législation des droits d'auteur
appliqués sur internet. Tandis que Messieurs M. Vivant et J-M. Bruguière n'hésitent pas à juger la loi DADVSI « sans philosophie directrice, mal construite, mal écrite et partant d'une lecture difficile [et] très timorée sur certains points »9, d'autres voient le droit d'auteur comme un obstacle au développement de la société de l'information10. D'autres encore sont plus catégoriques, à l'image de Joost Smiers selon qui le droit d'auteur est devenu « un moyen de contrôle du domaine public intellectuel et créatif par un nombre très limité de grands groupes », favorisant non plus les créateurs mais seulement les investisseurs, le droit n'étant plus au service de l'art mais du marché11. Foucault avait d'ailleurs déjà considéré auparavant que le droit d'auteur n'était qu'une « production économique, idéologique et sociale visant à favoriser le commerce des oeuvres et la surveillance de leur contenu »12.

7. En parallèle des critiques de praticiens experts en droit, ont également émergées deux
grandes théories plus populaires : Le « No copyright » et le « Copyleft ». Le « No copyright » consiste à remettre en cause l'existence même du droit, en ce qu'il serait un obstacle à l'accès à la connaissance et « exclurait une partie de la population de la société de l'information » creusant ainsi les inégalités entre ceux qui ont les moyens de financer leur culture et ceux qui ne les ont pas13. Cette théorie reprend notamment certains postulats de Roland Barthes et plus spécifiquement les idées rédigées dans « La mort de l'auteur » publié en 1968, selon lequel l'auteur -si tant est qu'il le soit vraiment, dépassant le cadre de l'intertextualité obstacle à l'originalité de nouveaux écrits- cède sa place au lecteur une fois son oeuvre transmise, ne justifiant dès lors plus le monopole exclusif temporaire d'exploitation au profit du premier. En conséquence, sans droit

6 Jérôme Huet, in « L'internet et le droit - Droit français européen et comparé de l'internet, actes du colloque organisé les 25 et 26 Septembre 2000 » Collection Légipresse.

7 Après paiement de l'abonnement internet, bien entendu.

8 Joëlle Farchy, op. cit. p.23

9 Michel Vivant et Jean-Michel Bruguière, op. cit. p.25

10 Joëlle Farchy, op. cit. p.17

11 Joost Smiers, « L'abolition des droits d'auteur au profit des créateurs » in Réseaux Volume 19 n°110/2001 - Edition La Découverte p.61

12 Joëlle Farchy, op. cit. p.23

13 Joëlle Farchy, Internet et le droit d'auteur, la culture Napster. Paris, CNRS Ed., coll. CNRS Communication, 2003 p.77

4

d'auteur n'existerait plus l'industrie culturelle monopolistique imposant une standardisation de la culture où apparaissent quelques vedettes calibrées. Tout artiste pourrait alors trouver plus aisément son public, notamment à l'échelle planétaire, grâce à internet, et ainsi gagner sa vie de manière plus décente. Cette multiplication des artistes contribuerait alors à l'amélioration même de la diversité culturelle14. Si cette théorie emporta l'adhésion d'une partie considérable de l'opinion publique au début des années 2000 et bénéficia d'une seconde jeunesse lors des débats liés à l'HADOPI, elle n'apparaît pas adaptée aux nécessités contemporaines de certaines oeuvres nécessitant des investissements substantiels en amont, qu'il s'agisse des réalisations

cinématographiques ou jeux vidéo.
La seconde approche apparaît quant à elle plus modérée. Si elle reconnaît la légitimité d'un droit d'auteur, elle discute la pertinence de son modèle économique. Alors que le législateur et les lobbys cherchent à appliquer de façon quasi identique le droit dans le monde numérique que dans le monde réel, son effectivité est rendue particulièrement ardue par les milliards de contrefacteurs potentiels et la difficile détection des actes contrefaisants. Le postulat est donc clair : S'il devient presque impossible d'interdire, faut-il encore persévérer dans une logique d'interdiction ? Apparue en 1991 de l'esprit de Richard Stallman, elle fait prévaloir le système des General Public Licences ou Licences Art Libre favorisant la diffusion et le partage des oeuvres artistiques. Par ce biais, l'auteur s'engage à délaisser ses droits en permettant aux tiers d'utiliser, copier, redistribuer et modifier l'oeuvre, sauf à ce qu'il soit sujet à utilisation commerciale ultérieure sans accord15. Simplement, l'auteur resterait titulaire de droits, mais conserverait la possibilité d'aménager ses prérogatives et d'en délaisser certaines. Il s'agirait donc, in fine, d'une licence légale sans rémunération, sur une oeuvre n'étant pas libre de droit. Mais encore faut-il que le contributeur aménage la preuve de son antériorité et de sa paternité en cas d'appropriation frauduleuse. Par ailleurs, si l'ère numérique permet à l'auteur d'aménager ses pouvoirs et d'abandonner ses prérogatives patrimoniales, encore faut-il qu'il puisse accepter d'abandonner la capacité d'être rémunéré par sa création... D'autres préféreraient opter pour un système proche à ce que l'on connaît aujourd'hui en matière de copie privée : Si le caractère incitatif du droit d'auteur est discuté, l'artiste ne créant en principe pas parce qu'il est protégé, le caractère rétributif ne fait aucun doute. A défaut d'assurer un monopole d'exclusivité sur internet, il conviendrait de prélever une taxe sur toutes les entreprises utilisant des oeuvres, sur tous les moyens permettant d'accéder à l'Internet et d'accéder à des oeuvres (via ordinateurs, abonnements, disques durs externes...), les recettes étant ensuite placées sur des fonds spéciaux soumis à des règles strictes de répartition catégorielles : Groupes d'artistes, institutions culturelles, artistes individuels... Afin que l'artiste ne soit plus en lien direct avec sa rémunération et mettre alors fin au caractère devenu essentiellement mercantile de l'art16. Mais encore faut-il que le système soit soumis à des règles neutres, et soumettre la rémunération d'un artiste à des critères spécifiques ne seraient-il pas un

14 Joost Smiers, « L'abolition des droits d'auteur au profit des créateurs » in Réseaux Volume 19 n°110/2001 - Edition La Découverte p.69

15 David Geraud, « Le copyleft : Un ver dans le verger des titulaires de droit » in Réseaux Volume 19 n°110/2001 - Editions La Découverte p.155

16 Joost Smiers op. cit. p.65

5

risque de nouvelle standardisation de la culture, où une administration composée de « sages » établirait les critères de ce qu'est la musicalité, et de ce qui mérite d'être subventionné ?17

8. Si la légitimité du droit est remise en cause à l'occasion de l'apparition du numérique, son application, seconde étape du processus, apparaît tout autant problématique. Le numérique raisonne en terme de dématérialisation. Alors que l'on pouvait auparavant détecter les contrefaçons par la vente de CD-Roms ou cassettes, le pirate est aujourd'hui fantôme anonyme. L'oeuvre se distingue pleinement de son support et la copie ne se distingue plus de l'original. L'immatériel devient absolu et se pose alors la question de la possibilité d'interdire sa mobilité. Le rapport Lévy-Jouvet présenté au nom de la Commission sur l'économie de l'immatériel en Novembre 2006 avait déjà établi ce constat selon lequel « l'économie a changé. En quelques années, une nouvelle composante s'est imposée comme un moteur déterminant de la croissance des économies : l'immatériel [...]. Aujourd'hui, la véritable richesse n'est pas concrète, elle est abstraite. Elle n'est pas matérielle, elle est immatérielle ». Dès lors, le droit d'auteur serait-il un héritage du passé, incapable de survivre à la pratique massive de copiage des oeuvres permise par le numérique ?18. Pas si sûr. En effet, l'on peut distinguer trois grands moyens de lutte contre la piraterie :

- La mise en place de logiciels de recherche des contrevenants : A l'image de l'HADOPI et sa « réponse graduée », visant à envoyer un avis de supprimer la copie et mettre fin aux actes contrefaisants, puis le cas échéant, l'engagement de poursuites.

- L'élaboration de sanctions commerciales à l'encontre des Etats dépendant de leurs exportations afin qu'ils durcissent leur propre règlementation en matière de contrefaçon.

- La mise en place de mesures techniques de protection, introduites en droit français par
la loi DADVSI et définies notamment par l'article L331-5 du Code de la Propriété Intellectuelle comme « Les mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées par les titulaires d'un droit », ces mesures pouvant consister, à titre d'exemple, en restrictions de lecteurs, limitations géographiques, limitations de copie privée, identifications ou tatouages numériques incorporés à l'oeuvres, en permettant le traçage ultérieure sur l'internet...

9. Mais l'auteur-interprète de musique à l'ère numérique n'est pas soumis qu'à une simple modification de ses droits. Sa situation même évolue, renforçant sa position, légitimant ses prétentions, et justifiant potentiellement de nouvelles transformations juridiques en sa faveur. En effet, comme l'a noté Madame Anne-Emmanuelle Kahn, la faille du droit d'auteur reste son instrumentalisation par d'autres que son premier destinataire, et c'est ainsi que le plus grand risque pour la protection de l'auteur est l'utilisation qu'en font les autres. Les enjeux économiques sont conséquents : En 2013, le marché mondial de la

17 [En ligne] http://cupfoundation.wordpress.com/2013/12/11/pourquoi-la-culture-numerique-doit-etre-marchande/(consulté le 02/06/2014)

18 Joëlle Farchy, op. cit. p.28

6

vente de musique s'élevait à 15 milliards de dollars19. La proportion des ventes numériques représentait 39% des ventes totales. Pourtant, la répartition du prix d'un téléchargement est loin d'être au profit de l'auteur, puisqu'en moyenne, 61.6% du bénéfice revient au producteur du disque, tandis que seulement 10% revient à l'auteur20.

10. L'on peut néanmoins prédire -toutes proportions gardées- un regain de profits pour l'auteur. Le numérique se caractérise par l'instantané, la communication directe et immédiate entre utilisateurs. Alors que, classiquement, le producteur est celui qui organise et finance l'enregistrement de l'interprétation puis en assure la fabrication, commercialisation et promotion, ce rôle perd de son importance sur internet. S'il restera toujours nécessaire de financer l'enregistrement, la fabrication n'est plus nécessaire, la commercialisation peut s'effectuer à moindres frais par le biais de sites hébergeurs et la promotion des titres peut se faire par les différents réseaux sociaux et plateformes de partages21. En outre, alors que le public intervient traditionnellement en fin de processus par sa fonction de consommateur, le web lui accorde un rôle progressivement actif et déterminant dans la création par le biais de sites de financements participatifs, à l'image du désormais célèbre « My Major Company », plateforme comparable à l'investissement au capital social d'une société : L'utilisateur investit un montant x destiné à produire l'album de l'artiste et peut bénéficier à la commercialisation d'un intéressement proportionnel sur les ventes22. De là à conclure que le producteur perdra progressivement sa position dominante sur le marché du disque à mesure que l'auteur-interprète et le public renforceront leurs relations, il n'y a qu'un pas.

11. Au regard de ces différentes considérations, il conviendra donc d'étudier les différentes activités numériques potentiellement nuisibles aux droits d'auteur. Si le droit est subdivisé entre prérogatives patrimoniales et morales, les dispositions extrapatrimoniales resteront anecdotiques dans le cadre de ce propos principalement tournés vers l'appréhension économique du droit. Qu'il s'agisse du fortement critiqué téléchargement via réseaux pair-a-pair, le streaming et l'offre légale, sont impactés aussi bien les droits de reproduction et de représentation du titulaire. Ces diverses pratiques présentent des failles importantes que le droit actuel n'est pas en complète mesure de combler. L'analyse devra être donc à la fois contemporaine, au regard du droit actuellement applicable, mais aussi prospective, dans le but d'étudier les propositions non encore retenues par les autorités et les pistes encore peu abordées, qui justifient au moins en partie les échecs subis par la règlementation contemporaine. Par ailleurs, le droit n'a de raison d'être que dans une société complexe caractérisée par son économie, ses caractéristiques sociales et culturelles. Il sera ainsi indispensable de se prononcer sur les évolutions apportées par le numérique sur ces différents points, par leurs traductions dans les rapports entre l'auteur-interprète et ses partenaires principaux, qu'il s'agisse des producteurs ou du public, autant d'aspects sans doute négligés lors de l'élaboration des dernières législations du numérique.

19 IFPI Digital Music Report 2014 « Lighting up new markets »

20 André Nicolas, Observatoire de la musique 2013 « Etat des lieux de l'offre de musique numérique »

21 L'on pense ici à Facebook, Myspace, Youtube, Dailymotion ou encore Viméo.

22 http://www.mymajorcompany.com/about

7

12. Il apparaît donc opportun d'analyser l'approche juridique des phénomènes numériques par le droit d'auteur (Titre I), dans le but de déterminer l'efficacité et les lacunes de celui-ci, pour ensuite mener l'étude des relations de l'auteur-interprète et de ses partenaires dans l'ère numérique (Titre II) sous-tendant une modification des rapports juridiques entre ces acteurs.

8

TITRE I : L'APPLICATION DELICATE DES DROITS D'AUTEUR SUR INTERNET

13. La problématique de l'application des droits sur internet est relativement récente. Le sommet d'Ottawa de 1998, organisé par l'OCDE, a pour la première fois cherché à réunir les différents Chefs d'Etats pour discuter des difficultés juridiques soulevées par ce nouveau moyen de communication. La question était déjà essentielle et les décideurs ont vite compris les implications de l'internet sur la société : Qu'il s'agisse du commerce, de la protection des consommateurs et des données personnelles. Néanmoins, la question de la culture ne sera pas encore abordée23.

14. La particularité de l'internet, sa nouveauté, en font un outil difficilement appréhendable par le droit d'auteur « classique ». En effet, de nouvelles pratiques apparaissent : Parmi elles, l'on peut en dégager deux grandes : Le téléchargement d'une part, notamment via le système pair-à-pair, et le streaming d'autre part. De cette grande classification découlent nombres de subdivisions sous forme de divers modes de diffusions.

15. Si ces modes de diffusion ne font pas l'objet d'un vide juridique, la législation en la matière semble imparfaite. La première loi franco-française mentionnant l'internet apparaît en 1976. Son objectif principal : La protection des données personnelles. Le web effraie : Ses prétentions tentaculaires, sa nature dématérialisée, sa démocratisation voient se dévoiler le spectre de l'utilisation abusive d'informations confidentielles. La première réaction législative incluant des dispositions propres au droit d'auteur fut la Loi Perben II du 09 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, réaction répressive portant la sanction de la contrefaçon en matière de droits d'auteurs à 3 ans d'emprisonnement et 300.000 euros d'amende au lieu des deux ans et 150.000 euros précédemment prévus24. La loi de transposition du 01 août 2006 relative aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) complète le dispositif pénal par la répression du contournement des mesures techniques de protection. La première rédaction prévoyait en outre la contraventionnalisation des échanges illégaux pair-à-pair, disposition néanmoins censurée pour violation du principe d'égalité devant la loi pénale par le Conseil Constitutionnel le 27 juillet 2006, en raison du traitement différent de celui des autres services de communication au public en ligne sans justification, puisque les mêmes actes de contrefaçon peuvent tout à fait être effectués via ces autres moyens de communication25. La Loi HADOPI 1 « Création et Internet » du 12 juin 2009 repose sur une philosophie nouvelle, plus éloignée de la répression pénale et du durcissement des sanctions. La réponse pénale est modifiée : le dispositif repose sur une obligation de surveillance de l'accès internet par l'abonné qui

23 L'internet et le droit - Droit français, européen et comparé de l'internet. Colloque des 25 et 26 septembre 2000 - Collection Légipresse p.183.

24 Alain Bensoussant, 2004 « La loi Perben II renvorce la lutte contre la cybercriminalité» [en ligne] http://www.01net.com/editorial/240503/la-loi-perben-ii-renforce-la-lutte-contre-la-cybercriminalite/ (consulté le 02/06/2014)

25 « Considérant que les requérants soutiennent que cette disposition méconnaît le principe d'égalité devant la loi pénale en instituant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui reproduisent ou communiquent des objets protégés au titre du droit d'auteur [...] selon qu'elles utilisent un logiciel de pair à pair ou un autre moyen de communication électronique »

9

doit s'assurer que cet accès n'est pas utilisé pour effectuer un acte de contrefaçon. Le cas échéant, le célèbre système de sanction par « réponse graduée » est enclenché : L'abonné reçoit dans un premier temps un message d'avertissement par courriel, à pure visée pédagogique, préventive et dissuasive. Si un acte de contrefaçon est renouvelé sous six mois, l'abonné reçoit une seconde recommandation par courriel et lettre recommandé avec accusé de réception. Si dans les douze mois un acte est de nouveau réalisé, l'abonné est soumis à l'étape répressive : Il est coupable de l'infraction de négligence caractérisée, sanctionnée par 1.500 euros d'amende ainsi que d'une coupure d'accès internet d'un mois maximum. Si le Conseil Constitutionnel, dans une décision du 10 juin 2009 a mis fin à cette disposition en jugeant que « la suspension [de la connexion internet] peut porter atteinte à la liberté d'accès à internet, droit fondamental rattaché à la liberté d'expression et de communication » 26et ne peut ainsi être prononcée que par un juge et non par une simple autorité administrative, le reste du dispositif n'a pas été remis en cause. Suite à cette inconstitutionnalité de fond, le législateur a réagi par la rédaction de la Loi HADOPI 2 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique promulguée le 28 octobre 2009. Cette dernière prévoit la création d'un juge unique, statuant par voie d'ordonnance pénale, afin de respecter les prescriptions du juge constitutionnel. La suspension de la connexion est rétablie et peut courir jusqu'à un mois pour l'abonné, un an pour le pirate. La loi prévoit en outre une contravention annexe de 3.750€ si le contrevenant souscrit un nouveau contrat d'abonnement dans le délai de sanction. Par ailleurs, les Lois HADOPI établissent un nouvel objectif : la labellisation de l'offre légale destinée à aider les internautes à repérer les sites licites.

16. Malgré un véritable arsenal législatif à l'encontre des utilisations frauduleuses d'oeuvres protégées sur l'Internet, l'application des droits sur internet est pourtant mise à rude épreuve. D'une part du fait des phénomènes nouveaux, difficilement appréhendables par le droit (Chapitre I), d'autre part en raison de solutions contemporaines, sinon mal rédigées, tout du moins insuffisantes (Chapitre II).

CHAPITRE I : DES PHENOMENES MAJEURS DIFFICILEMENT APPREHENDABLES

17. Le numérique et son illustration la plus grande, l'Internet, permettent de nombreuses pratiques nouvelles, mais certaines prédominent. Si l'on parle de « phénomènes majeurs », c'est bien parce que téléchargement et streaming sont des pratiques tout à fait révolutionnaires et populaires. De véritables phénomènes de société, voire même de mode27, qu'il s'agisse du téléchargement pair-à-pair (Section 1), ou du streaming (Section 2).

Section 1 : L'incontrôlable phénomène du téléchargement pair-à-pair

18. Les systèmes pair-a-pair permettent à un ensemble d'utilisateurs d'Internet de communiquer entre eux et de partager des fichiers. Alors que la figure classique du téléchargement repose sur des protocoles centralisés, entre un serveur et son client,

26CC 10/06/2009 n°2009-580 DC, HADOPI : D.2009, point de vue p.2045n par L. Marino et point de vue p.1770 par J-M Bruguière, RLDI 2009/51, n°1699 note D. Rousseau, RSC 2009, p.609, obs. J. Francillon

27 Emmanouil Georgakakis, 2006 « Le phénomène du peer-to-peer et la distribution de musique ». Mémoire p.6

10

cette forme de partage est fondée sur un protocole décentralisé : l'utilisateur devient à la fois serveur et client, émetteur et récepteur de contenu. Le téléchargement s'effectue via un « portail », logiciel de dialogue entre ordinateurs et permettant l'échange de données, le plus populaire restant BitTorrent. Plusieurs sources d'information agissent alors simultanément, et plus les fichiers sont populaires, plus les sources sont nombreuses, plus le téléchargement devient rapide, et ce de façon exponentielle28. On entre alors dans un cercle vicieux incitatif : plus la contrefaçon est effectuée, pas elle est efficace, plus le contrefacteur est noyé dans la masse des utilisateurs.

19. Si le téléchargement « classique », centralisé, ne pose pas de problèmes particuliers quant au fait de déceler le serveur et le client, les serveurs décentralisés opposent des difficultés bien plus grandes : En effet, en raison de la multiplicité des sources, quand bien même l'on peut déterminer qui est client, on ne peut savoir précisément de quelle source provient le fichier partagé. Et c'est ici que le bât blesse : Est-il plus efficace de sanctionner le récepteur, ou l'émetteur du fichier original ?

20. Le pair-à-pair n'est pas, en tant que telle, illégal. Rien n'empêche plusieurs utilisateurs de partager des contenus libres de droit, ou leurs propres créations, protégées mais dont le partage est effectué avec leur consentement. Mais il n'en n'est pas moins un moteur privilégié des violations de droits d'auteurs : Permettant la copie à prix faible ou nul, à qualité proche ou égale de l'original, rendant la répression plus délicate en raison de l'anonymat des réseaux, de la rapidité des échanges, des techniques de brouillage de l'identification, du nombre toujours plus grand de plateforme et portails de téléchargement, le pair-à-pair est incontestablement la plateforme privilégiée des échanges illégaux.

21. La meilleure illustration du sujet, qui en est aussi la genèse, reste sans nul doute l'affaire Napster. Logiciel et site informatique consacré aux phonogrammes numériques, créé par Shawn Fanning en juin 1999, étudiant américain d'à peine 20 ans, sa technologie est la première à reposer sur le pair-à-pair. Le but était alors simple et idéaliste : favoriser le partage de fichiers musicaux entre utilisateurs, sans que le site ne contrôle l'origine et le contenu des fichiers. Joëlle Farchy en a très bien résumé l'idéologie, selon laquelle :

« plus que tout autre, Napster symbolisait le rêve, grâce à Internet, d'une autre forme d'accès au savoir et à la culture, rêve des internautes devenu cauchemar pour les producteurs d'oeuvres protégées par la propriété intellectuelle. Ce que la technologie nous promet d'une main, le droit d'auteur ou le copyright nous le reprennent de l'autre »29. Bien entendu, Napster n'avait pas pour objectif admis d'enfreindre le droit d'auteur. Les volontés alternatives de No copyright ou Copyleft n'étaient alors qu'à l'état d'embryon - si tant est qu'elles fussent déjà formalisées-. Mais indéniablement, Napster favorisait, indirectement, la duplication non autorisée d'oeuvres protégées. D'abord site de partage

28 Joëlle Bissonnette, 2009 « L'industrie du disque à l'ère du numérique : l'évolution des droits d'auteur et l'édition musicale » Mémoire p.23

29Joëlle Farchy, Internet et le droit d'auteur, la culture Napster. Paris, CNRS Ed., coll. CNRS Communication, 2003

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sans prétentions mercantiles, Napster devint rapidement une société ayant pour but de tirer profit de ses activités publicitaires. Et c'est sans doute cette nouvelle politique qui entraîna la violente réaction des ayants-droits.

22. Napster est ainsi poursuivi en 2001 par le groupe Metallica devant l'US District Court du District Nord de la Californie. Selon le juge Marilyn Hall Patel, qui présidait alors au Tribunal, Napster était complice de contrefaçon, ou « contributory copyright infringement », n'étant pas en mesure de « prouver que son système [était] capable d'une utilisation commerciale significative sans violer le copyright »30. Napster se rendait également responsable du fait d'autrui, ou « vicarious copyright infringement », puisque, selon la juridiction « Napster [avait] le droit et la capacité de superviser la conduite de ses utilisateurs ». En juillet 2001, la forme en cause du site fut alors fermée par voie judiciaire. Racheté par la suite par Best Buy, en faisant un magasin de musique en ligne, puis racheté par Rhapsody en 2011, Napster a donc pris le chemin de la rédemption en devenant un site d'offre purement légal.

23. Le système de téléchargement pair-à-pair pose deux grandes questions, qu'il conviendra d'étudier successivement. Tout d'abord, ce système remet en cause les prérogatives patrimoniales classiques de reproduction et de représentation par l'absence de distinction entre émetteur et récepteur (Paragraphe I), Ensuite, ce système, confronté aux limites du droit d'auteur, révèle d'autres problématiques encore bien plus tumultueuse, rendant la pratique particulièrement complexe à aborder (Paragraphe II).

Paragraphe I : Des prérogatives patrimoniales classiques mises à mal par le pair-à-pair A] Les violations des prérogatives patrimoniales par le système pair-à-pair

24. Il n'est pas étonnant que des prérogatives, créées à l'origine pour un univers matériel soient difficilement applicables en l'état dans l'univers numérique. L'article L222-1 du Code de la Propriété Intellectuelle indique que l'auteur bénéficie sur son oeuvre d'un droit d'exploitation, subdivisé entre droit de représentation et de reproduction. L'article L222-2 du même Code définit le droit de représentation comme consistant en « la communication de l'oeuvre au public par un procédé quelconque ». S'ensuit une liste de procédés, non exhaustive. L'auteur dispose donc du droit exclusif de contrôler la diffusion de son oeuvre, avec ou sans reproduction, qu'il s'agisse d'une diffusion directe ou indirecte. La représentation peut prendre deux formes originaires : la représentation primaire d'une part, lorsqu'une personne est à l'origine de la représentation, et la représentation secondaire, lorsqu'une personne donne accès à des oeuvres à des personnes qui n'auraient pas dû y avoir accès. Le droit de reproduction est quant à lui défini à l'article L122-3 du Code de la Propriété Intellectuelle. Il s'agit de « la fixation matérielle de l'oeuvre par tous procédés qui permettent la communiquer au public d'une manière indirecte », quand bien même cette reproduction serait simplement éphémère. L'adjectif « matériel » renvoie donc à la fabrication d'exemplaires matériels, palpables de l'oeuvre.

30 Giovanni B. Ramello « Napster et la musique en ligne : Le mythe du vase de Pandore se répéterait-il ? » in Réseaux Volume 19 n°110/2001 - Editions La Découverte p. 131

25.

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Si en matière de reproduction, la lettre du texte laisse entendre que le droit se cantonne au matériel, la jurisprudence en a apporté une lecture plus large et s'est rapidement saisie de la qualification des actes propres à l'ère numérique. Dans deux arrêts du 14 août 1996, le Tribunal de Grande Instance de Paris a affirmé que l'acte de numérisation d'une oeuvre relevait du droit de reproduction au motif que « toute reproduction par numérisation d'oeuvres musicales protégées par le droit d'auteur, susceptible d'être mise à la disposition de personnes connectées au réseau Internet, doit être autorisée expressément par les titulaires ou cessionnaires des droits »31. Moins d'un an plus tard, la même juridiction persiste et signe en indiquant que la numérisation « constitue une reproduction de l'oeuvre qui requiert en tant que telle, lorsqu'il s'agit d'une oeuvre originale, l'autorisation préalable de l'auteur ou de ses ayants-droits »32. A la lecture des différents arrêts, il semble évident que les juges - sans doute pour conserver la lettre du Code - recherchent systématiquement un support matériel nécessaire à la réalisation de l'acte. Qu'il s'agisse de la fixation sur un support CD à la suite du téléchargement33, ou du stockage sur la mémoire de l'ordinateur, sur son disque dur34.

26. En matière de pair-à-pair, certains auteurs ont néanmoins considéré que l'internaute « émetteur », mettant l'oeuvre à disposition du public, n'effectuait pas de copie de l'oeuvre, celle-ci n'étant réalisée que par l'utilisateur « récepteur »35. Si le postulat semble justifié pour la première copie, l'on a déjà remarqué que le téléchargement pair-à-pair s'effectuait entre une multitude d'utilisateurs, étant à la fois « émetteurs » et « récepteurs ». Dès lors, ne serait-ce non pas seulement la réception, mais également l'émission, par la numérisation nécessaire de l'oeuvre pour en assurer le transfert numérique, qui constituerait une reproduction frauduleuse, étant effectuée dans un but de communication indirecte au public via le réseau pair-à-pair comme le prévoit le Code ?

27. Du point de vue du récepteur, celui-ci effectue manifestement une reproduction de l'oeuvre sur son disque dur. Sa copie devient ensuite « l'original » des reproductions ultérieures effectuées par des tiers. Chaque utilisateur rediffuse l'oeuvre, sa reproduction se liant alors à une communication indirecte de l'oeuvre. Un acte de téléchargement, un seul « clic » sur un lien entraîne donc une double lésion du droit d'auteur. Le Tribunal de Commerce de Paris l'a d'ailleurs rapidement compris, sanctionnant la mise en réseau d'une oeuvre de manière illicite car portant atteinte à la fois au droit de reproduction et au droit de représentation du titulaire36.

28. Ainsi, l'Internet n'est pas un « paradis » où le droit d'auteur ne saurait être respecté. Le réseau est un terrain de reproduction et de représentation apparemment comme un

31 TGI Paris, ord. Réf. 14/08/1996 (deux espèces « Brel » et « Sardou ») JCP E 1996, II. Note Edelman B

32 TGI Paris, ord. Réf. 05/05/1997 « Queneau I » JCP G 1997 II n°22906 note Olivier F.

33 TGI Montpellier 24/09/1999 Com. Comm. Electronique 2000, comm. 15, note Caron C.

34 CA Paris 29/09/1999 D.1999 act. Jurispr. P37 Com. Comm. Electr. Déc. 1999, actual. 47, obs. Haas G.

35 G. Georgakakis, op. cit. p.13

36 Com. Paris ord. Réf. 03/03/1997, JCP G, 1997-II-22840, obs. Olivier et Barby ; RTD com. 1997, p.457, obs. Françon S.

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autre où la contrefaçon est omniprésente et sa sanction applicable. Néanmoins, la nécessité constante d'un support matériel à la contrefaçon et le particularisme propre au numérique nécessitent de se questionner sur la pertinence du schéma classique droit de reproduction/droit de représentation.

B] La remise en cause du schisme classique entre droit de reproduction et droit de représentation

29. Comme nous avons pu le voir précédemment, l'application d'un droit prévu pour un univers matériel dans un espace dématérialisé rend la distinction classique entre droits de reproduction et de représentation ardue. L'avènement de la société de l'information a bouleversé les notions traditionnelles, et permet une reproduction parfaite, infinie, peu coûteuse ainsi qu'une circulation instantanée par la voie des réseaux. Les frères Lucas l'on résumé de façon très simple, considérant que « la dématérialisation liée aux nouvelles technologies de la communication brouille la frontière entre le vecteur qui porte l'oeuvre (donnant lieu à l'exercice du droit de représentation) et le support qui la fixe (donnant lieu à l'exercice du droit de reproduction »37, puisqu'en effet, l'Internet est le lieu par excellence d'imbrication des exploitations. Ainsi, faudrait-il sans doute non pas penser en termes de droits mais en termes d'utilisation des oeuvres38. Il est clair qu'en matière de pair-a-pair, le cumul entre reproduction et représentation est nécessaire et que ce flou entraîne des complications pour la catégorisation des pratiques.

30. Les pratiques de pair-a-pair impliquent une violation des deux prérogatives comme il l'a été remarqué plus tôt. Lorsque l'autorisation du titulaire n'a pas été donnée, la seule difficulté réside dans la qualification éventuelle des poursuites ou de l'indemnisation, de quantifier les dommages subis par la représentation, et ceux infligés par la reproduction. Mais lorsque l'autorisation porte sur une seule pratique, les problèmes apparaissent rapidement. Si le titulaire a autorisé la représentation, ou la reproduction seule, à une personne à la fois représentatrice et reproductrice, les difficultés, non insurmontable néanmoins, apparaissent et compliquent une situation déjà fort complexe.

31. Pour une partie de la doctrine, l'instauration d'un droit patrimonial unique, sans sous-distinction semble nécessaire « au moment où la simplicité est d'or »39. Il s'agirait d'un « droit d'exploitation numérique » unique, mêlant les droits patrimoniaux classiques40. Ainsi, une seule autorisation du titulaire des droits suffirait pour exploiter l'oeuvre sur l'Internet. Il s'agirait alors d'une sorte de « droit d'utilisation » de l'oeuvre sur les réseaux. Reste que le contrefacteur semble être insensible aux qualifications juridiques et qu'une telle dénomination ne mettrait pas fin aux pratiques abusives de téléchargement illégal...

37 Lucas A et H-J, Traité de la PLA, 2ème édition, Paris, Editions Litec 2001, p.237

38 Passa J. Internet et droit d'auteur, J.- CI. PLA, Fasc. 1970, juin 2001, n°14 s.

39 E. Georgakakis, op. cit. p. 17

40 P.Y. Gautier, op. cit.

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Paragraphe II : La conciliation délicate du pair-à-pair et des limites du droit d'auteur A] La conciliation avec les exceptions légales

32. En droit français, la notion d'exception renvoie à des actes qui, étant dans la sphère du droit d'auteur, devraient nécessiter l'autorisation du titulaire mais qui échappent pourtant à son monopole du fait de la volonté du législateur. Selon le professeur Gautier, « l'exception à un droit exclusif peut fort bien reposer sur un droit, voire une liberté » et s'impose au titulaire des droits comme une « sorte de servitude légale »41. Les différentes exceptions au monopole exclusif d'exploitation conféré au titulaire du droit sont listées à l'article L122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle. Il s'agit principalement des exceptions à l'usage privé de l'oeuvre, telle la représentation privée et gratuite dans le cadre du cercle familial, ou la copie privée ainsi que les exceptions permettant un usage public, fondées sur la diffusion de l'information, la liberté d'expression, par la parodie, pastiche ou caricature, et enfin les exceptions dites « catégorielles », fondées notamment sur la personne (commissaire-priseur, personne handicapé) ou en lien avec un logiciel.

33. Ces différentes exceptions bénéficient d'une rédaction limpide et précise et n'opposent pas de particulières difficultés quant à leur interprétation. Néanmoins, et c'est là tout l'intérêt de notre sujet, il en est autrement lorsqu'il s'agit de les appliquer sur l'Internet. Il a été par exemple nécessaire de rappeler qu'un réseau intranet, sur lequel les utilisateurs partageaient leurs fichiers musicaux, accessible par mot de passe, ne relevait pas du cercle familial car composé d'un nombre trop important de personnes n'ayant pas entre elles de liens assez forts42. Quant à la copie privée, encore faut-il que sa source soit licite. La preuve de l'achat d'une oeuvre spécifique ne vous permettra donc pas par la suite de la télécharger de manière illégale43.

34. Outre ces exceptions légales propres au droit d'auteur, il semble opportun de mentionner une autre limite parfois négligée, intervenant non au stade de l'autorisation mais au stade de la contrefaçon. Il s'agit du respect de la vie privée, exception à part, et à part entière. En effet, l'usage de licences d'utilisations et autres Conditions Générales d'Utilisation permettent aux plateformes de téléchargement -légales et illégales-d'amasser les données produites par les utilisateurs à des fins, non de prévention contre les atteintes aux droits, mais à celles de fichage, profilage, au profit du ciblage publicitaire44. Si l'usage privé fait obstacle au droit exclusif, la prévention et détection des actes contrefaisants, via les logiciels pair-à-pair notamment, nécessite la collecte de données personnelles, collecte chapeautée par la CNIL. Ces données personnelles - essentiellement les adresses Internet Protocol (IP)- ne peuvent faire l'objet d'une appropriation sans limite de la part des ayants-droits. En effet, si l'adresse IP permet

41 P.Y. Gautier, op. cit.

42 TGI Paris, ord. Réf. 14/08/1996 (deux espèces « Brel » et « Sardou ») JCP E 1996, II. Note Edelman B : A propos d'un intranet composé par des étudiants d'un réseau de grandes écoles.

43 CA Versailles 16/03/2007

44 Mélanie Dulong de Rosnay et Hervé Le Crosnier, 2013 Propriété Intellectuelle, Géopolitique et mondialisation - Les essentiels Hermès, CNRS Edition 2013 p. 141

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d'identifier un utilisateur, le lien n'est pas direct, et l'anonymat relatif ne saurait être levé qu'en cas de procédure judiciaire. Par ailleurs, si ce respect de la vie privée est indéniablement nécessaire et supérieur au respect du droit d'auteur, il révèle une difficulté majeure pour contrôler et poursuivre la contrefaçon : identification complexe, coûts élevés de recherche et donc poursuite des « pirates » les plus gourmands seulement.

B] Un épuisement des droits comme limite au droit d'auteur sur Internet ?

35. La théorie de l'épuisement des droits a été décrite pour la première fois par Köhler à la fin du XIXème siècle. Pour lui, le droit d'auteur repose sur l'utilité sociale, ayant pour but ultime le renouvellement du patrimoine commun de l'humanité. Le droit d'auteur n'est donc pas fondé sur une rémunération ex post mais uniquement comme une récompense due par la société à son titulaire pour un temps limité, sans valeur absolue. Cet épuisement peut avoir comme justification principale la liberté de circulation -nationale ou européenne-, quand bien même certains auteurs, à l'instar d'André Lucas, considèrent qu'il « est impossible en effet d'admettre que la règle de libre circulation des marchandises implique l'épuisement pur et simple du droit de reproduction de l'auteur »45.

36. L'épuisement peut prendre plusieurs formes géographiques. Lorsqu'il est national, il empêche au titulaire d'exercer son monopole sur un produit précédemment commercialisé sur le territoire de l'Etat par lui-même ou avec son consentement. Lorsqu'il est européen, la première mise en circulation de l'oeuvre sur le territoire de l'Union Européenne par le titulaire ou avec son consentement épuise les droits patrimoniaux afférents à la diffusion de l'oeuvre46.

37. La Cour de Justice de l'Union Européenne est venu remettre en cause la théorie de l'épuisement comme elle était jusqu'alors connue. Le 03 Juillet 2012, à l'occasion d'un litige opposant UsedSoft GmbH et Oracle International Corp., les juges ont considéré que l'épuisement s'appliquait non seulement aux exemplaires physiques d'un logiciel, mais aussi aux logiciels téléchargés légalement sur le serveur de l'acheteur. L'on ne peut d'emblée affirmer que cet arrêt admet l'existence d'un épuisement des droits absolu, applicable à toutes les branches de la propriété littéraire artistique. D'une part puisque l'espèce était particulière, concernant des logiciels dont on sait que leur protection par le droit d'auteur est étonnante au point que certains défendent une protection par la propriété industrielle et les brevets, et d'autre part car un contrat spécifique avait été conclu entre les parties, sur lequel le juge n'hésite pas à s'appuyer pour rendre sa décision. En effet, il est noté que « le droit de distribution de la copie d'un programme est épuisé si le titulaire, qui a autorisé le téléchargement de cette copie sur un support informatique à partir d'Internet, a également conféré à titre onéreux un droit d'usage de ladite copie, sans limitation de temps ». Dès lors, si le contrat n'autorise qu'un droit d'usage temporaire, il s'agit d'une location, non couverte par cette décision.

45 A. Lucas, op. cit

46 CJCE 08/06/1971 Deutsche Grammophon

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Apparaissent donc deux conditions pour qu'un logiciel puisse être légalement revendu : Une durée illimitée et un paiement forfaitaire. En outre, l'acquéreur devrait rendre inutilisable la copie sur son propre PC après la revente, puisque le droit de distribution est distinct du droit de reproduction, ce dernier ne s'épuisant pas47. On peut donc parler d'une semi-consécration de l'épuisement en matière de logiciel, et la logique jurisprudentielle pourrait éventuellement se généraliser à l'ensemble de la propriété littéraire et artistique si de telles conditions sont réunies.

Section 2 : L'épineuse question du streaming

38. Le terme streaming renvoie à une notion très particulière. Il peut être traduit en français par « lecture en continu », « lecture en transit », « diffusion en continu »...48Il s'agit simplement de la lecture d'un fichier audio ou vidéo, copié sur la mémoire local « cache » de l'ordinateur de l'utilisateur afin d'en permettre l'écoute ou le visionnage en instantané ou en différé. Ce procédé se distingue du téléchargement par deux grandes particularités. Premièrement, la lecture du fichier peut s'effectuer immédiatement, avant même que ces données aient été entièrement récoltées. En outre, le fichier n'est pas stocké sur le disque dur de l'ordinateur de manière durable, et on ne peut donc en principe le relire à volonté une fois la première lecture achevé, et sans connexion Internet au site hébergeur.

39. Le streaming se différencie du téléchargement pair-a-pair en ce qu'il se limite à la diffusion de contenu, représenté sans être téléchargé et donc reproduit. Tout comme le pair-a-pair, le streaming n'est pas en soi illégal, ce ne sont que certaines utilisations spécifiques qui sont illicites, lorsque la représentation porte sur une oeuvre protégée dont l'auteur n'a pas consenti la diffusion.

40. Alors qu'existent pléthores de règlementations quant à la lutte contre le « piratage », le streaming, phénomène bien plus récent, reste peu appréhendé par les différentes législations. Si le 04 mars 2011 l'Espagne a voté une loi pour l'Economie Durable, dite Ley Sinde, la France reste bien en retard en la matière et pour le moment, les solutions ne se trouvent que dans le droit commun de la contrefaçon et du recel. En effet, seul l'internaute qui met en ligne le contenu est contrefacteur, puisqu'au terme de l'article L122-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, la représentation consiste notamment en une télédiffusion de l'oeuvre, la télédiffusion étant « la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d'images, de documents, de données ». Si la qualification ne fait pas de doute, l'on ne retiendra qu'un arrêt en la matière, concernant un logiciel d'écoute et de partage non autorisé d'oeuvres musicales protégées, condamnant ses propriétaires49. L'hébergeur ne saurait quant à lui engager sa responsabilité civile et pénale que s'il a été prévenu de l'existence d'un contenu illicite et qu'il ne l'a pas

47Michèle Battisti « Le droit d'auteur face au principe de libre circulation des oeuvres » [en ligne] http://www.paralipomenes.net/archives/8361 (consulté le 02/06/2014)

48 J. Bissonnette, op. cit. p.23

49 Crim. 25/09/2012

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supprimé promptement50. L'utilisateur ne pourra être qualifié de complice de contrefaçon puisqu'au terme de l'article 121-7 du Code Pénal, n'est complice que la personne qui « sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation ». Reste l'incrimination de recel-profit, prévue par l'article 321-1 du Code Pénal puisque l'utilisateur bénéficie du produit du délit de contrefaçon, stocké provisoirement sur la mémoire temporaire de son ordinateur. Mais reste à prouver que ce recel est effectué « en connaissance de cause ». Si telle démonstration est aisée pour l'internaute visionnant le dernier film sorti au cinéma ou le dernier album produit, et non encore commercialisé, la preuve semble plus ardue pour des oeuvres plus anciennes.

41. Cette absence de règlementation spécifique peut s'expliquer par une qualification juridique ardue (Paragraphe I), qu'il est nécessaire de rapidement encadrer du fait de son expansion de plus en plus rapide (Paragraphe II).

Paragraphe I : Une qualification juridique ardue

A] Une opération dans le champ du droit de représentation

42. Si les réseaux pair-a-pair sont principalement fournis par des particuliers, agissant sans but lucratif, la diffusion d'oeuvres en streaming est bien plus souvent effectuée par des entreprises professionnelles fournissant des services complémentaires payants51 et se finançant en outre par les revenus publicitaires. Megaupload était au streaming ce que Napster était à son époque au téléchargement.

43. L'article L335-2-1 du Code de la Propriété Intellectuelle sanctionne d'une peine de trois ans d'emprisonnement et 300.000€ d'amende le fait « d'éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'oeuvres ou d'objets protégés », ou « d'inciter sciemment, y compris à travers une annonce publicitaire, à l'usage d'un [tel] logiciel ». Cette disposition, créée initialement pour les éditeurs de logiciels de téléchargements pair-a-pair52 peut s'appliquer également au streaming même si une seule condamnation a été pour le moment prononcée sur ce fondement53.

44. Quant à l'utilisateur d'un tel service, l'on peut légitimement présumer que la lecture des oeuvres protégées n'est pas effectuée dans un schéma de représentation ultérieure à un nouveau public. Les autorités cherchent néanmoins à sanctionner de telles pratiques du point de vue de leurs utilisateurs, et si elle ne peut entrer dans le champ du droit de

50 Art. 6.I.2 et 6.I.3 de la Loi de Confiance en l'Economie Numérique

51 Qu'il s'agisse d'une augmentation du débit de chargement, d'une suppression de restriction de temps de vision quotidien...

52 Marie-Françoise Marais, «Rapport sur les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement

direct illicites» p.33

53 Crim. 25/09/2012

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représentation du titulaire, elle peut éventuellement concerner son droit de reproduction.

B] Une opération dans le champ du droit de reproduction ?

45. Le streaming est caractérisé par la reproduction seulement temporaire effectuée sur la mémoire de l'ordinateur de l'utilisateur du service. L'article L122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose qu'une telle reproduction est une exception au droit de reproduction du titulaire lorsqu'elle présente « un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu'elle est une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et qu'elle a pour unique objet de permettre l'utilisation licite de l'oeuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d'un réseau faisant appel à un intermédiaire ». Comme nous avons pu le mentionner précédemment, une exception légale exprime la volonté d'autoriser certaines utilisations entrant pourtant dans le champ des droits exclusifs du titulaire. L'on peut donc considérer qu'effectivement, le streaming entre, du point de vue de l'utilisateur, dans le champ du droit de reproduction.

46. Si une telle utilisation est par principe autorisée, encore faut-il -comme en matière de copie privée - que la source de celle-ci soit elle-même licite. A défaut, l'exception ne saurait jouer et l'on pourrait considérer que l'utilisateur d'un service de streaming effectue une reproduction au sens de l'article L122-3 du Code de la Propriété Intellectuelle. Néanmoins, aucune jurisprudence n'est intervenue en ce sens54 à ce jour et l'on doute que l'évolution s'effectue au plus vite, puisque telle décision serait alors même contraire à la jurisprudence européenne55.

47. En outre, en raison du principe d'interprétation stricte de la loi pénale, le streaming ne semble pas pouvoir entrer dans le champ de la contrefaçon par reproduction. En effet, ni les travaux préparatoires, ni la loi n'évoquent le streaming56. Cette considération a d'ailleurs été clairement confirmée par Marie-Françoise Marais, Présidente de l'Hadopi, dans le cadre d'un rapport de recherche rendu le 15/02/201357, selon qui le caractère répréhensible du streaming est bien moins certain que pour le téléchargement pair-a-pair « notamment en raison des exigences constitutionnelles de légalité des délits et des peines, et d'intelligibilité de la loi ».

54 Crim 05/01/2005 : Les images n'ont été « ni imprimées, ni enregistrées sur un support, et [...] la simple consultation de sites pornographiques ne suffit pas à caractériser le délit [de contrefaçon] »

55 CJUE 04/10/2011 : « Le spectateur d'une oeuvre, diffusée en streaming, sans l'autorisation des ayants droit ne se rend pas coupable de contrefaçon, même lorsque l'oeuvre est reproduite temporairement et partiellement dans une mémoire d'ordinateur et sur l'écran du spectateur ». Ainsi, la théorie de la licéité de la source est rejeté au motif que la « simple réception de ces émissions en tant que telle, à savoir leur captation et leur visualisation, dans un cercle privé, ne présente pas un acte limité par la règlementation de l'Union [...] cet acte étant par conséquent licite »

56 « Téléchargement direct et streaming, des atteintes au droit d'auteur sur internet » [en ligne]

http://peregrinationsjuridiques.wordpress.com/2013/03/09/telechargement-direct-et-streaming-des-atteintes-au-droit-dauteur-sur-internet-3/ (consulté le 02/06/2014)

57 M.F. Marais, op. cit.

48.

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A défaut d'incrimination spéciale pour les utilisateurs, la répression ne porte que sur les éditeurs et hébergeurs, sources des phénomènes de contrefaçon sur l'Internet. Pour Madame Marais, « il n'y a pas une solution unique, mais un ensemble de mesures cohérentes et complémentaires à la fois efficaces et respectueuses des libertés fondamentales (...),qui tendent à une implication des intermédiaires dans la prévention et la cessation des infractions »58 . Pour certains, il n'est alors nul besoin de perfectionner la règlementation et de chercher à sanctionner les simples utilisateurs, « puisque pour lutter contre le streaming de fichiers protégés, la seule façon est de s'attaquer à la source, à savoir les sites web diffuseurs »59.

Paragraphe II : Un phénomène en pleine expansion

49. Avec l'annonce de l'arrivée en France en Septembre 2014 de la célèbre plateforme de streaming Netflix60, l'on peut s'attendre à une réelle explosion du recours à cette pratique par les utilisateurs. En effet, pour un abonnement mensuel estimé à 10 euros, l'abonné pourra bénéficier d'une bibliothèque proche de l'exhaustivité, mise à jour quotidiennement et bénéficiant même de certaines exclusivités. A ce sujet, Aurélie Filipetti, alors Ministre de la Culture, avait annoncé qu'elle n'était pas « fermée aux nouveaux acteurs du numérique, surtout lorsqu'ils proposent une offre légale de films et de séries, une de (ses) priorités pour lutter contre le piratage », tout en précisant que « Netflix doit se plier aux régulations qi font le succès de nos industries (...). C'est une condition sine qua non pour préserver notre « écosystème unique » (sic) ».

50. Néanmoins, nous avons déjà pu remarquer que, tout comme en matière de téléchargement illégal, le streaming peut faire l'objet d'abus et de contrefaçons. Il apparaît donc nécessaire et urgent d'en règlementer les contours de façon précise. L'on pense immédiatement au contrôle des utilisateurs mais un débat tout autre, semblant préoccuper certains artistes de façon plus sérieuse, fait rage : Si les producteurs et autres cessionnaires de droits semblent voir dans le streaming une nouvelle offre légale prometteuse, une partie des auteurs remettent en cause des abus déjà existants et qui n'iraient qu'en s'accroissant avec l'encadrement de cette pratique.

A] Des producteurs séduits par le procédé

51. La part du numérique ne cesse de progresser. C'est le résultat d'une étude menée par l'IFPI en 201361. Les revenus de la musique s'élèvent alors à 15 milliards d'euros, dont 39% de ventes numériques, soit 5.9 milliards de dollars, soit une augmentation de près de 50% en 5 ans. Sur la même période, le streaming couvrait 9% des revenus numériques en 2008 pour passer à 27% en 2013, parts de marché gagnées avant tout sur les revenus

58 « Téléchargement direct et streaming, des atteintes au droit d'auteur sur internet »

59 « Parlons Hadopi avec maître Eolas », Interview [en ligne] http://journaldupirate.com/parlons-hadopi-avec-maitre-eolas/ (consulté le 02/06/2014)

60 Marie Charlotte, 2014 « Netflix arrive en France en septembre » [en ligne] http://www.madmoizelle.com/netflix-france-227025 (consulté le 02/06/2014)

61 Voir annexe 1

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de sonneries pour téléphones mobiles (-21 points) et accessoirement sur le téléchargement (-3 points). Annonce symbolique : Universal, première major mondiale du disque, a annoncé que son chiffre d'affaire lié aux ventes numériques dépassait celui réalisé par les ventes physiques. En outre, pour la première fois en 2013, les plateformes Spotify et Deezer ont dépassé le milliard de dollars de chiffre d'affaires, avec 51% d'abonnés supplémentaires en 2013 à des services d'écoute musicale en ligne62. Par ailleurs, l'offre en la matière a explosé puisqu'on en compte désormais 450 différentes. En la matière, les pays scandinaves sont les plus à jour puisqu'en prenant l'exemple de la Suède, 2.5 millions d'utilisateurs (soit environ 25% de la population) sont abonnés au service Spotify, dont 81% par le biais d'un abonnement payant. Au contraire, la France semble en retard sur ce modèle puisqu'elle dispose du même nombre d'abonnés pour une population près de six fois plus importante... Ce qui annonce d'importantes marges de progression pour les industriels de la musique. Cette progression n'est d'ailleurs pas limitée aux pays européens puisqu'en Amérique latine, l'écoute via streaming a progressé la même année de 149% au Pérou et de 85% en Colombie et au Venezuela, sans évoquer la Chine, bien en retard avec 82.6 millions de dollars de recettes mais à l'appétit grandissant de ses 618 millions d'internautes potentiellement mélomanes...

52. Placido Domingo, président du syndicat des majors, confirme : « Nous voyons clairement des cieux dégagés devant nous », tout en ajoutant que « la technologie change, mais la musique reste ». Les industriels mettraient-t-ils donc en arrière-plans les problématiques inextricables liées au « piratage » pour se concentrer sur le nouveau phénomène en vogue qu'ils espèrent contrôler le plus rapidement possible et ne pas commettre une seconde fois l'erreur d'attentisme qui leur avait valu d'être dépassé par le téléchargement illégal ?

B] Vers de nouveaux abus de pratique ?

53. A côté de producteurs plus qu'enjoués à l'idée de prendre d'assaut une pratique en pleine expansion, certains auteurs n'hésitent pas à prendre le contre-pied et à se retirer des plateformes pourtant particulièrement appréciées des utilisateurs. L'exemple le plus frappant reste celui de Thom Yorke, leader du groupe emblématique Radiohead qui a décidé de retirer ses créations et projets personnels des plateformes Spotify et Deezer, et de son producteur artistique, Nigel Godrich, pour qui Spotify serait « mauvais pour la musique »63. Selon le leader emblématique, « Ne vous y trompez pas, les nouveaux artistes que vous découvrez sur Spotify ne seront pas payés. Pendant ce temps, les actionnaires vont rapidement s'en mettre plein les poches ». La critique apparaît purement économique, loin des considérations juridiques du droit d'auteur. Mais pourtant, si le droit d'auteur confère un monopole d'exploitation à son titulaire, c'est

62Alain Beuve-Méry, 2014 « Les majors de la musique veulent croire au streaming » [en ligne] http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/03/18/les-majors-de-la-musique-veulent-croire-au-streaming 4384939 3234.html (consulté le 02/06/2014)

63 Philippe Vion-Dury « Pourquoi le chanteur de Radiohead s'en prend à Spotify », le Nouvel Observateur, 17/07/2013

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principalement -exception faite des considérations liées au droit moral- en vue d'une exploitation économique. Dès lors, quel intérêt d'un droit sans réalité économique ? L'écoute d'un titre rapporterait entre 0.003 et 0.005 centimes d'euro à son auteur, et il faudrait donc environ 200.000 lectures uniques pour que celui-ci puisse tirer un SMIC - avant imposition...- de son oeuvre. En réponse, Spotify a rappelé qu'elle versait annuellement 500 millions de dollars aux artistes, sans préciser le détail des retours, sans doute dans une mécanique de partage inégale ne favorisant qu'une frange extrêmement restreinte des auteurs et artistes présents.

54. La situation semble délicate : Des artistes ayant le sentiment d'être sous-rémunérés, des plateformes au sentiment de légitimité, et des utilisateurs qui risqueraient de voir le prix de leur abonnement augmenter si la rémunération était plus élevée. Mais un abonnement plus élevé est-il moins attractif ? Et la corrélation avec une augmentation des pratiques illégales est-elle évidente ? Ces nouvelles formes d'utilisation des oeuvres présentent des questionnements pointus et les intérêts des différents acteurs semblent divergents. Face à une situation sensible, le législateur a mis en place différentes solutions qui, reposant sur des principes légitimes, ne parviennent pas à satisfaire les attentes de chacun.

CHAPITRE II : DES SOLUTIONS CONTEMPORAINES INSUFFISANTES

55. Les solutions contemporaines propres à l'ère numérique sont relativement récentes. Il s'agit principalement des lois DADVSI et HADOPI précédemment évoquées. Après une étape répressive initiée par la Loi Perben II, l'objectif préventif et pédagogique a été avancé face à l'inefficacité de la répression et l'admission d'un contrôle impossible du comportement de toute une population dans une sphère immatérielle sans frontières. Comme l'on a pu dégager deux grands phénomènes propres au numérique, et plus spécifiquement à l'Internet, l'on peut également dégager deux grandes mesures leur faisant écho: Les mesures techniques de protection (Section 1) et la volonté de développement de l'offre légale (Section 2)

Section 1 : La réponse apportée les mesures techniques de protection

56. Ces mesures techniques de protection sont sans doute les premiers outils technologiques avancés pour répondre aux problématiques soulevées par le numérique. Pour les étudier au mieux, il convient de les introduire en analysant l'objectif et le régime juridique de telles mesures (Paragraphe I), avant d'étudier les différentes raisons de leur imperfection et disfonctionnement (Paragraphe II)

Paragraphe I : La protection juridique des mesures techniques de protection

57. La première réponse apportée par les instruments internationaux au téléchargement illégal d'oeuvres protégées fut les mesures techniques de protection ou Digital Right Management. L'article 9 de la Convention de Berne a apporté la possibilité pour les Etats de mettre en place de telles mesures, capacité confirmée par le Traité de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle sur le droit d'auteur du 20 décembre 1996. Aux Etats-Unis, le fondement est le Digital Millenium Copyright Act tandis qu'en France, c'est

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la loi de transposition du 01 août 2006 de la Directive DADVSI du 22 mai 2001 qui les a introduites. Ces mesures techniques peuvent être appréhendées sous deux angles : D'une part, la protection qu'elles confèrent aux oeuvres protégées, et d'autre part, la protection entourant ces mesures elles-mêmes.

A] La protection offerte par les mesures techniques de protection

58. L'article L331-5 du Code de la Propriété Intellectuelle indique que les mesures techniques de protection sont des outils techniques permettant aux titulaires des droits de contrôler l'utilisation faite de leur oeuvre grâce à une technologie, un dispositif, ou composant, leur permettant d'en empêcher ou limiter les utilisations non autorisées. Il peut alors s'agir de l'application d'un code d'accès, d'un procédé de protection tel le cryptage, ou les mécanismes obstruant la possibilité de copie de l'oeuvre. Deux types de mesures peuvent être envisagées : Les mesures permettant de contrôler l'accès aux oeuvres, et celles permettant d'en contrôler et d'en limiter l'utilisation.

59. Les mesures techniques de protection permettent donc de contrôler l'utilisation de l'oeuvre en y apposant un verrou. Il s'agit d'une sorte de tatouage lié à l'oeuvre, en assurant la traçabilité ou le contrôle. Ces mesures permettent ainsi de protéger l'oeuvre et de garantir l'effectivité des droits d'auteur. C'est au titulaire des droits de prévoir les objectifs de ces mesures selon ses propres intérêts et les tentatives d'atteintes qu'il prévoit sur ses oeuvres. En parallèle, ces mesures permettent de définir les utilisations qu'il autorise à l'acquéreur.

B] La protection conférée aux mesures techniques de protection

60. Les mesures techniques de protection bénéficient d'une protection qui leur est propre, sanctionnant le contournement de celles-ci. Cette protection se développe sous trois volets différents : L'interdiction du contournement de ces mesures, l'interdiction de la commercialisation de dispositifs de contournement, et l'obligation de l'interopérabilité des mesures. Ces dispositions, visées aux articles L331-5 et suivants et R335-3 et suivant du Code de la Propriété Intellectuelle permettent de sanctionner toute atteinte volontaire portée à une mesure technique de protection destinée à empêcher sa mise en oeuvre, quand bien même l'utilisateur estimerait bénéficier d'une exception au droit d'auteur64.

61. Les articles L335-3-1 1° et L335-4-1 1° du Code de la Propriété Intellectuelle indiquent que « le fait de porter atteinte, sciemment, à une mesure technique [...] à une mesure technique efficace [...] afin d'altérer la protection d'une oeuvre par un décodage, un décryptage ou toute autre intervention personnelle destinée à contourner, neutraliser ou supprimer un mécanisme de protection ou de contrôle » est punit de 3.750 euros d'amende. Ainsi, la protection de telles mesures est subordonnée à deux conditions : La mesure doit être « efficace », c'est-à-dire appliquer un verrou effectif de protection sur l'oeuvre, et l'atteinte doit être intentionnelle.

64 CA Paris 22/04/2005 affaire « Mullholand Drive », Comm. Com. Electr. 2005, p26 et s.; Légipresse 2005, III, p.148 note M. Vivant et G. Vercken

62.

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En outre, au regard de l'article L335-3-2 I du même Code, la modification ou la suppression d'information « dans le but de porter atteinte à un droit d'auteur, de dissimuler ou de faciliter une telle atteinte » est également sanctionnée par 3.750€ d'amende.

63. Par ailleurs, l'article L335-3-1 3° prohibe la fourniture de services aux fins prévues au 1° du même article cité plus haut. Cette acceptation permet même de sanctionner la simple fourniture d'informations propres à permettre le contournement de mesures techniques de protection.

64. Ces différents modes de protections des mesures techniques couvrent donc les différentes atteintes envisageables, et les différents acteurs pouvant être impliqués. Qu'il s'agisse du simple utilisateur ou du technicien monnayant ses services pour contourner ces mesures, ou encore l'internaute qui, dans un but altruiste ou de rébellion, publie des solutions propres à porter échec à ces outils de protection. La protection légal promet donc une réelle effectivité de ces mesures qui permettent de limiter les atteintes aux droits d'auteurs. Pourtant, ces mesures se révèlent inefficaces. En effet, si la législation ne semble pas à parfaire quant au dispositif propre aux mesures techniques, elle reste mince concernant les limitations à leur utilisation. Face à ce que l'on peut qualifier d'abus de la part des titulaires de droits, les consommateurs ont pu se sentir acculés et cette pression des ayants-droits a entraîné un effet tout à fait contreproductif, causant l'impossibilité de rendre l'utilisation de ces mesures pérenne en matière musicale.

Paragraphe II : Des mesures techniques de protection inefficaces

65. Les mesures techniques ont suscité l'on s'en doute des espoirs conséquents chez les ayants-droits. La capacité de protection des oeuvres par des mesures y étant directement liées laissait penser qu'il s'agirait d'un obstacle technique insurmontable pour les éventuels contrefacteurs. Malheureusement pour eux, ces mesures ont fait l'objet de vives critiques ayant nuit pas tant aux utilisateurs qu'aux ayants-droits. Par ailleurs, ces mesures techniques, coûteuses à introduire produisent un effet anti-commercial65, effet ayant causé leur abandon.

A] Des mesures sanctionnées pour leurs atteintes aux droits des utilisateurs

66. Schématiquement, les mesures techniques de protection permettent d'apposer un verrou sur l'utilisation faite d'une oeuvre par le titulaire de son support. Cette capacité est particulièrement critiquable, entrant en conflit frontalier avec l'usage normal du propriétaire et notamment son « droit » à la copie privée. L'auteur ne devrait en principe pas pouvoir interdire cette possibilité. Néanmoins, la jurisprudence a choisir de faire prévaloir ces mesures sur l'exception de copie privée qui, n'étant pas un droit, ne

65 Laure Marino, 2013, Droit de la propriété intellectuelle Thémis Collection Droit p.68

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saurait être opposée à titre principale à l'encontre de mesures techniques de protection, mais seulement en défense dans le cadre d'une action en contrefaçon66.

67. En outre, l'article L331-5 du Code de la Propriété Intellectuelle précise que « les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en oeuvre effective de l'interopérabilité ». C'est-à-dire que de telles mesures ne peuvent en principe empêcher à l'acquéreur d'un contenu de le lire sur n'importe quel lecteur, ou logiciel. Mais la réalité fut pourtant toute autre. Des DVD et CD soumis à des restrictions de lecteur ont alors empêché leur acquéreur d'accéder à leur contenu, n'ayant pas de matériel compatible du fait de ces mesures. De telles mesures ont pu ainsi laisser les consommateurs insatisfaits, mécontents et perplexes : Chaque mesure technique ayant ses spécificités, un CD pouvait être lu sur un lecteur alors qu'un autre, en apparence identique, acheté chez le même distributeur, était illisible. On n'hésite donc pas à parler de réelle atteinte aux droits des consommateurs, hiérarchiquement soumis face à la protection de la propriété intellectuelle67.

68. Par ailleurs s'est posée la question de l'atteinte à la vie privée des utilisateurs par de telles mesures. Mises en place dans un but d'anti-piratage ou dans une logique marketing, elles peuvent parfois permettre la transmission d'information en provenance d'un ordinateur, sur les fichiers lus, les sites visités, les heures de connexion, sans l'autorisation de cet utilisateur68. Par exemple, en novembre 2005, Sony BMG a introduit une nouvelle mesure, installant sur l'ordinateur de l'utilisateur un programme spécifique masquant l'activité de la protection anti-copie, mais qui par la même masquait la présence de certains virus...69

69. C'est à vrai dire le fondement même de ces mesures qui est remis en cause. Ces restrictions sont basées en effet sur l'idée que le partage, même privée et pourtant licite, menacerait les industries culturelles, alors que de nombreuses études ont pu démontrer que ces industries peuvent tendre vers de nouvelles formes de rentabilité du fait du numérique, et que ceux qui partagent le plus de contenu sont aussi ceux qui consomment et achètent le plus de biens culturels70.

70. En réponse à ces différentes problématiques, l'Autorité de régulation des mesures techniques a été créées par la Loi DADVSI du 01 août 2006. Elle a pour objectif principal l'interopérabilité des mesures techniques et le respect de l'exception de copie privée et le contrôle du respect par ces outils techniques des différentes prescriptions légales et règlementaires. Cette entité a par la suite été absorbée par la Haute Autorité mise en place par la loi Hadopi 1 du 29 décembre 2009.

66 Affaire Mullholand Drive précitée

67 E. Georgakakis, op. cit. p.37

68 J. Bissonnette, op. cit. p. 21

69 Curien et Moreau, 2007, L'industrie du disque, Coll. Repères, éd. La Découverte p.69

70 Gurry F. « Blue Sky Conference : l'avenir du droit d'auteur », OMPI, Sydney 25/02/2011

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B] L'abandon des mesures techniques de protection par leurs instigateurs

71. Les mesures techniques de protection ont progressivement été abandonnées par les ayants-droits, et surtout ceux qui avaient alors été à l'initiative de leur législation. Ces mesures apparaissent en effet inefficaces face au téléchargement pair-a-pair de copies contrefaites et non soumises à ces verrous. Les accords Olivennes du 23 Novembre 2007 furent d'ailleurs signés entre le gouvernement et la filière musicale, afin que cette dernière retire de son catalogue français toute mesure technique71.

72. Apple anticipa alors dès fin 2007 en renonçant à l'installation future de mesures techniques de protection sur les fichiers présents sur son site en ligne ITunes72. Universal Music France supprima quant à elle, en 2008 toutes les mesures techniques présentes dans son catalogue73, suivie ensuite par Sony BMG, EMI, et Warner Music Group, avant qu'Apple supprime la quasi-totalité des mesures techniques de son catalogue. Ainsi, Apple, comme tous les grands groupes, offre désormais des services musiques absouts de toute mesure technique.

73. Les mesures techniques de protection se sont ainsi révéler être un véritable échec pour la protection des oeuvres musicales, devenues véritablement contre-productives et dissuasives pour les consommateurs, non au stade de l'acte illicite, mais au moment de l'acte même d'acquisition. Toutefois, celles-ci persistent sur les jeux vidéo et DVD où elle semble faire bien moins de vagues74.

Section 2 : La réponse apportée par l'offre légale

74. Le meilleur moyen de lutter contre une activité illicite reste de la frapper au portefeuille en lui faisant perdre des clients. Multiplier les offres légales à bas prix, les forfaits mensuels ou annuels illimités pour l'écoute de musiques, sont tant d'alternatives qui, liées à une pédagogie enclenchée par l'Hadopi, permettraient de réduire les atteintes de manière efficace. A son époque, Napster permettait aux internautes de télécharger des titres à volonté sans aucune considération aucune des droits d'auteurs. Dès 2001, après la fermeture de la plateforme, les majors ont mis en place des plateformes légales de téléchargement : Musicnet pour Time Warner, AOL et EMI, ou Pressplay pour Sony et Vivendi75. Il s'agissait donc d'apporter aux utilisateurs une offre licite. Mais cette pratique n'est devenu légale que lorsque le législateur s'y est penché, et c'est la loi Création et Internet du 12 juin 2009, dite Hadopi I qui en a précisé les contours. Cette offre, quantitativement satisfaisante, reste toutefois paradoxalement jeune et non finie. Pour

71 C. Lamboni et C. Sénéchal, 2012 « Naviguer jusqu'à l'épuisement ? ». Revue de Droit : Université de Sherbrooke Vol. 42 issu 3 p.648

72 2008, « Musique sans DRM : Apple discute avec Universal, Sony et Warner » [en ligne] http://www.zdnet.fr/actualites/musique-sans-drm-apple-discute-avec-universal-sony-et-warner-39384982.htm (consulté le 07/06/2014)

73 « Universal Music devance la loi anti-piratage » Le Figaro 28/10/2008

74 C. Lamboni et C. Sénéchal, op. cit. p.651

75 A. Bertrand, op. cit. p.19

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comprendre l'étendue concrète de l'offre légale, il convient d'en étudier son cadre juridique (Paragraphe I) et ses imperfections (Paragraphe II).

Paragraphe I : Une pure création législative

75. La Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet, organisme indépendant français de régulation, a pour mission notamment la labellisation de l'offre sur internet. L'article L331-13 du Code de la propriété intellectuelle indique ainsi que la Haute Autorité assure « une mission d'encouragement au développement de l'offre légale », l'article L331-23 du même Code précisant qu'elle « publie chaque année des indicateurs, [...] attribue aux offres proposées par des personnes dont l'activité est d'offrir un service de communication au public en ligne un label permettant aux usagers de ce service d'identifier clairement le caractère légal de ces offres [et] veille à la mise ne place, à la mise en valeur et à l'actualisation d'un portail de référencement de ces mêmes offres ». La plateforme dédiée à la musique compte actuellement 40 services différents, dont 23 labellisés76. L'offre légale pouvant constituer un des plus puissants moyens de réduire le piratage77, cette labellisation est soumise à une procédure spécifique assurant la complète légalité de l'offre.

76. Dans le cadre de la mission d'observation des usages licites et illicites et d'encouragement au développement de l'offre légale, l'Hadopi identifie les données qu'elle a recueillies. Elle effectue alors un recensement des différentes plateformes artistiques et s'appuie sur les données publiées par l'Observatoire de la musique78. L'autorité vérifie ensuite que ces plateformes présentent une offre pouvant être regardée comme légale. Il s'agit de plateformes proposant des oeuvres dématérialisées, celles proposant exclusivement l'acquisition de supports physiques n'étant pas retenues. Sont également écartées les web radios et les sites étrangers ne s'adressant pas à un public français (la plateforme doit donc être disponible en français, depuis la France, et les prix proposés doivent être exprimés en euros).

77. Le label attribué par la Haute Autorité permet aux éditeurs de services de mettre en avant le caractère légal de leurs contenus. Concrètement, l'identification du label s'effectue par un logo apposé sur ces sites79. La procédure a deux avantages : Le respect des droits des auteurs, et l'identification du caractère légal de l'offre par les utilisateurs80.

78. Afin de bénéficier du label, les éditeurs de services doivent remplir un dossier de demande de labellisation. Après publication de la demande sur le site internet de l'Hadopi, les titulaires de droits disposent de quatre semaines pour présenter leurs objections et d'éventuels atteintes à leurs droits. Le cas échéant, l'éditeur dispose de

76 www.offrelegale.fr.sites-et-services/categorie/musique/ (consulté le 07/06/2014)

77 Laure Marino, op. cit. p71

78[en ligne] http://www.offrelegale.fr/a-propos/methodologie-de-recensement-des-plateformes (consulté le 07/06/2014

79 Voir annexe 6

80 [en ligne] http://www.offrelegale.fr/label/qu-est-ce-que-le-label-offre-l%C3%A9gale-Hadopi (consulté le 07/06/2014)

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deux mois pour aboutir à un accord avec le titulaire. A défaut, la demande est rejetée. A l'issu de la période « d'opposition », si les conditions de conformité au droit de la propriété littéraire et artistique sont remplie, le label est attribué par l'autorité administrative. Cette labellisation vaut alors pour une période d'un an à compter de sa publication et devra être renouvelée chaque année selon la même procédure.

79. Dans le cadre d'un rapport de recherche81, l'Hadopi a déterminé que pour 35% des internautes, le caractère payant d'une offre était une garantie de légalité. Les meilleures garanties seraient la notoriété du site (44%), l'existence d'une charte et de conditions d'utilisation (42%), et la labellisation par un « organisme de confiance » (37%). La même étude montre que, concernant la labellisation, ce sont les 15-24 ans qui semblent être le plus sensibles (45%) et les inactifs (40%) tandis que les 40 ans et plus restent plus sceptiques (la proportion chute de 10 points). Ce rapport ayant été rédigé il y a plus de trois ans, l'on peut penser que les habitudes des utilisateurs ont évoluée et que leur sensibilité à la propriété intellectuelle s'est affutée par le mécanisme de la réponse graduée instauré par l'Hadopi. Ainsi, l'on peut conclure que la labellisation est un critère prépondérant de distinction de la légalité pour les utilisateurs, pouvant entraîner indirectement une hausse de la notoriété des plateformes en cause. Dès lors, peut-on considérer que l'offre légale fonctionne, et qu'elle permet d'attirer les utilisateurs vers la légalité ? En l'absence d'études concrètes sur ce point, il n'est pas certain de s'en assurer. Néanmoins, nous pouvons espérer une hausse de la consommation de l'offre légale par sa démocratisation et sa plus grande visibilité sur l'Internet. Malheureusement, si de nombreuses plateformes d'offre légale existent, des réticences se font encore entendre à leur égard, freinant sans doute un usage responsable des outils numériques.

Paragraphe II : Une offre légale aux résultats mitigés

80. Il semble exister un gouffre entre la théorie de l'offre légale et son effectivité. De nombreuses critiques affluent à l'encontre de cette labellisation. Premièrement, l'on peut critiquer cette « tentative d'étiquetage d'Internet » qui reviendrait à « jeter l'opprobre et à rejeter dans l'illégalité des pratiques de partage que la société elle-même ne condamne [pas] »82. D'autre part, une labellisation qui se veut -et se présente- jeune, mais qui repose sur un système payant, de fichiers mp3 dont la qualité est de plus en plus critiquée après 20 ans d'existence, et certains n'hésitent d'ailleurs pas à en faire la satire83. D'autre part, si le label permet l'apposition d'un logo sur le site en cause, peu l'effectue. Ainsi, à moins d'avoir visité le site de référencement de l'Hadopi, la labellisation perd tout son effet d'identification.

81 Hadopi, biens culturels et usages d'internet : pratiques et perceptions des internautes français. 2ème vague barométrique. 18 mai 2011

82 2013 « Le mirage de l'offre « légale » et ce qu'il nous coûte » [en ligne] http://scinfolex.com/2013/05/12/le-mirage-de-loffre-legale/ (consulté le 07/06/2014)

83 « Le mp3, ce nouveau phénomène qui gagne Internet » 2014 [en ligne]

http://www.legorafi.fr/2013/02/27/le-mp3-ce-nouveau-phenomene-qui-gagne-internet/ (consulté le 07/06/2014)

81.

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Mais un des gros écueils de l'offre légale semble être son manque de qualité et de variété. Une célèbre bloggeuse a décidé en 2013 d'enquêter sur l'ensemble des sites proposés par la plateforme Hadopi et le constat apparaît effarant, voire même effrayant84. Films « mal catalogués, sites bugués, sites hors-ligne, sites compatibles uniquement avec les mobiles ou uniquement avec un accès ADSL, voire des sites ne proposant absolument aucune vidéo ou téléchargement », des sites qui « ne fonctionnent pas, des téléchargements qui échouent [...] et globalement une demi-douzaine de saisons orphelines de séries en VF qui se battent en duel avec des clips des années 90 (sic) ». Pour exemple, le site Mega Vod référencé renvoi à plus de 11.000 résultats lorsqu'il est associé à « arnaque » dans les recherches Google, de quoi décrédibiliser l'ensemble d'une initiative pourtant originellement louable. Ainsi, une fange des utilisateurs de l'Internet perdent toute confiance en des sites pourtant créés par initiative étatique, et sont sans aucun doute encouragés à se tourner vers une offre illicite présentant dans le même temps une réelle communauté et un contrôle des administrateurs. Et un budget de 3 millions d'euros annuel pour la campagne de labellisation ne peut que renforcer ce sentiment de méfiance. A côté de ces constats extrêmes, peuvent également être mis en avant le manque de diversité dans les choix proposés, le manque de nouveautés (Aucun site français n'est aujourd'hui capable de retransmettre à quelques jours d'intervalle une série diffusée aux Etats-Unis en version sous-titrée) l'absence de versions originales sous-titrées. Et en matière musicale, la capacité pour les sites de supprimer le contenu pourtant téléchargé de façon discrétionnaire85... Dans le même temps, le rapport Link Storm de l'Hadopi du 13/03/2013 mettait quant à lui en exergue le manque de visibilité de l'offre légal dans les moteurs de recherche86. Bref, un dialogue de sourd entre l'offre et la demande...

82. Comment expliquer que cette offre demeure « peu diversifiée, coûteuse et difficile d'accès ? »87. 82% des utilisateurs trouvent l'offre légale trop chère88. Pour Jean-Yves Mirski, représentant des éditeurs et distriuteurs vidéos, l'étude serait pourtant biaisée par le manque d'objectivité des consommateurs, qui auraient tendance à systématiquement répondre par l'affirmative à la question « payez-vous trop cher ce service ? »89. Si en effet, payer de manière légale semble être a priori plus attractif que de ne pas payer de manière illégale, ces considérations révèlent un problème de fond des débats autour du numérique : le manque de confiance des professionnels à l'égard des utilisateurs, qui seraient toujours enclin à se tourner vers l'illégalité. Il semble présomptueux d'apporter une réponse à cette question complexe, à savoir la capacité des utilisateurs à accepter d'acheter des contenus, en se tournant vers une légalité

84 Klaire, 2013, « Ivre, Hadopi adopte le label PUR foutage de gueule » [en ligne]

http://www.klaire.fr/2013/06/10/ivre-hadopi-adopte-le-label-pur-foutage-de-gueule/ (consulté le 07/06/2014)

85 Voir Annexe 7

86 Linkstorm, Département Recherche, Etudes, et Veille 13/03/2013

87 V. de Beaufort, op. cit. p.105

88 Baromètre de l'offre légale, 1er baromètre-étude quantitative Avril 2013 Hadopi Département Recherche, Etudes et Veille

89L. Gallet, « La Hadopi relève une offre légale bien visible mais trop chère » [en ligne] http://pro.clubic.com/legislation-loi-internet/telechargement-illegal/actualite-554580-hadopi-mesurer-succes-offre-legale.html (consulté le 07/06/2014)

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payante plus que vers une illégalité gratuite. Cette opposition de front entre ayants-droits et utilisateurs remonte aussi loin que l'Internet s'est démocratisé. Mais la force de frappe des ayants-droits, et notamment de l'industrie de la culture musicale, lui a permis de se faire rapidement entendre des organes délibérants, ayant alors mis en place des règlementations peut-être plus tournées vers le respect des ayants-droit que des utilisateurs. Ce déséquilibre a entraîné de nombreux dysfonctionnements, comme nous avons pu le remarquer dans les développements précédents : la règlementation s'est attachée à attaquer des phénomènes nouveaux et mal appréhendés tout en semblant négliger l'envergure socio-économique et culturelle impliquée par le numérique et son bras armée qu'est Internet. L'étude de ces modifications semble donc nécessaire pour comprendre l'origine des imperfections précédemment abordées et envisager de nouvelles solutions conciliant les intérêts des différentes parties.

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TITRE II : UNE MODIFICATION SOUS-ESTIMEES DES RAPPORTS ENTRE ACTEURS

83. Le droit de la propriété intellectuelle est le « reflet d'une époque, de sa culture politique, de son environnement économique », ce qui en fait un droit « nécessairement évolutif »90. Le progrès a constamment été le moteur du droit et des avancées sociétales. Et qui mieux que le droit peut-il illustrer cette progression ? Face à un idéal d'élaboration juridique, la réalité ne semble pourtant pas être aussi resplendissante. Nous avons pu voir les différents écueils de la législation actuelle. Qu'il s'agisse de la qualification même d'une frange non négligeable des utilisateurs de « pirates », des mesures techniques de protection abandonnées après avoir démontré leur inefficacité relative ou une offre légale non satisfaisante, le droit n'a pas encore pris la mesure pleine et entière des nouvelles possibilités offertes par le numérique et il est nécessaire d'en parfaire les contours.

84. Dès 2002, les phénomènes de contrefaçon démocratisés ont d'après ces producteurs entraînés une diminution des ventes, de 50% en 5 ans, alors que l'industrie du disque connaissait auparavant une progression annuelle de 2 à 3%. Les majors n'ont eu d'autre choix que de recourir à la restructuration pour limiter les pertes, en divisant par deux leurs effectifs, réduisant leurs investissements pour les artistes et leur nombre dans leurs catalogues. Pour certains, la conclusion est frappante : « La piraterie a donc eu pour effet de conduire à un appauvrissement de la création musicale en terme de diversité, de chances pour un artiste de rencontre un public. Et si cela continu, il n'y aura plus de productions nouvelles »91. Un tel constat, aux allures de fin du monde artistique, laisse pourtant sceptique. Rappelons que l'art se définit par lui-même et la création se fait ex post, sans idée de rétribution. Un musicien compose, un artiste peint, un auteur écrit, non tant pour être rémunéré, mais par un élan artistique, telle une nécessité d'extérioriser une pulsion de l'art. Le raisonnement n'est pas identique dans les domaines à investissement plus importants, et l'on pense directement à l'industrie cinématographique ou à l'univers des jeux vidéo, mais en matière musicale, il n'est nul doute que l'élaboration d'une maquette ne demande pas, en principe, d'investissements majeurs. Bien évidemment, avec des moyens réduits, l'artiste ne peut en faire son activité principale ou recourir aux instruments les plus perfectionnés. Mais de là à sonner le glas de la création, il semble exister un gouffre.

85. Le courant du copyleft, tendant à modifier le droit d'auteur actuel, repose notamment sur un principe particulier : Le numérique a modifié l'économie de l'art et le droit d'auteur a été spolié à ses titulaires originaux par des industriels non contributeurs à l'expansion artistique. Cette idée est résumée au plus simple dans l'Anthologie du Libre d'Olivier Blondeau et Florent Latrive :

« Lorsque les artisans du Libre évoquent l'échange, la connaissance et le partage, les gardiens de la création entendent piratage, copie et plagiat. Lorsque les libres enfants du savoir parlent de

90 L. Marino Thémis, op. cit., p.12

91 V. de Beaufort, op. cit. p.117

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contribuer au savoir collectif, une coalition mêlant les plus avides businessman et nombre d'idéalistes convaincus de la justesse de leur combat leur rétorque : Vous allez étouffer la création »92.

86. L'on peut définir le droit de plusieurs manières. Sans entrer dans des considérations théoriques complètes, nous pouvons considérer qu'il s'agit d'une réponse à des phénomènes sociaux, culturelles, économiques, et ce plus particulièrement en matière de propriété intellectuelle. L'internet a troublé des postulats et visions d'un monde matériel, en bouleversant les réalités dans nombres de domaines. Permettant de donner la part belle au débat et entraînant de profonds bouleversements dans les schémas économiques classique et de répartition des fonctions le numérique a bouleversé les rapports entre l'auteur et le producteur (Chapitre I), ainsi que ceux de l'auteur avec son public (Chapitre II).

CHAPITRE I : DES RAPPORTS AUTEUR-PRODUCTEUR BOULEVERSES

87. Trois à quatre générations. C'est le degré de protection dans le temps conféré par la protection communautaire du droit d'auteur à son titulaire, pour 70 ans post mortem auctoris. Cette durée particulièrement longue -L'on rappellera que celle-ci s'expirait initialement 20 ans après la publication de l'oeuvre-, est vue par certains comme le lobbying des industries culturelles, personnes morales. A l'image de Joëlle Farchy, cette durée de protection ne se justifie pas, et perd tout son sens lorsque les droits sont cédés auxdites personnes morales : « Des pans entiers de ce qui aurait pu tomber dans le domaine public sont ainsi privés d'une diffusion large au profit des intérêts de grandes compagnies »93

88. Ces grandes compagnies se comptent sur les doigts d'une main tout en concentrant 71.7% des parts de marché sur le marché mondial des ventes de productions musicales représentant plus de 50 milliards de dollars: Universal Music Groupe (38.9%), Sony Music Entertainment (21.5%) et Warner Music Groupe (11.3%)94.Agents économiques qualifiés de producteurs, il s'agit de personnes morales, organisant et finançant l'enregistrement de l'interprétation de l'artiste, ce qui implique notamment la location d'un studio et la rémunération des musiciens. Celui-ci devient généralement le propriétaire de l'enregistrement une fois terminé et en assure alors la fabrication, commercialisation et promotion95.

89. Progressivement, les critiques qui s'élevaient de prime abord contre le droit d'auteur se déplacent vers les producteurs. Les dérives de ces derniers n'ont pas manqué d'interpeller certains auteurs, à l'image de Joost Smiers pour qui ces industriels de la culture ne sont qu'une simple copie des patent box. Ces entreprises amassent les oeuvres, se font céder les droits attachés, et juridicisent la création : Ces nouveaux titulaires ont alors un comportement frénétique de protection stricte et systématique de leurs droits par des règles contractuelles sévères ou actions en justice systématiques,

92 J. Farchy, Internet et le droit d'auteur, la culture Napster p.74

93 J. Farchy, « Le droit d'auteur est-il soluble dans l'économie numérique ? » p. 22

94 [en ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Major (industrie musicale) (consulté le 07/06/2014)

95 A. Bertrand, op. cit. p.16

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face à des artistes aux faibles moyens de réponse. Le producteur serait-il donc non pas un auxiliaire de la création96, mais un frein à la création ?

90. Certains auteurs opposent donc la liberté et la culture à l'industrie musicale. Une position peut-être exacerbée, exagérée, mais reflet d'une réalité. En effet, les industriels de la musique, ou Majors, ont toujours su profiter d'une situation monopolistique en leur faveur (Section 1), qui semble progressivement leur échapper aujourd'hui au profit d'une société de l'information qui remet en cause la balance économique de l'industrie musicale (Section 2).

Section 1 : Une situation classiquement monopolistique au profit des Majors

91. Certains économistes soulignent que l'expansion du droit d'auteur favorise avant tout les investisseurs et non les créateurs et interprètes97. Ces cessionnaires de droits, vastes groupes internationaux, font appel aux marchés financiers, son côtés dans la plupart des grandes bourses et tendent à conserver une position de surpuissance et l'on ne doute pas que l'apparition de nouveaux acteurs, modes de financement et techniques les amènent à se défendre par l'attaque, en qualifiant automatiquement ces nouveaux phénomènes de contrefaçon, de « piratage » ou de parasitisme98. Ces réactions ne sauraient étonner si l'on se penche sur l'historique des comportements de telles industries. Les phonogrammes furent un temps vus comme une menace pour les vendeurs de partitions, les radio « pirates » sont devenues des radios « libres », le magnétoscope était qualifié d'outil privilégié et dédié à la copie contrefaisante, et aujourd'hui, la situation n'est pas nouvelle, seul l'objet des craintes évoluent.

Paragraphe I : La surpuissance économique des « Big three »

92. Le système économique dominé par quelques grands producteurs apparaît profondément déséquilibré. Peu d'artistes sont rémunérés et tous sont soumis à des conditions leur étant peu favorables, qu'il s'agisse du partage des marges sur les ventes de CD, la soumission à des contrats d'exclusivité... La musique est devenue indéniablement une industrie, entraînant une concentration abusive de ses revenus. Par exemple, une étude a pu montrer que 1.8% des auteurs-interprètes recevaient à eux seuls 71.9% des droits reversés par la SACEM tandis que 66.8% des sociétaires ne touchaient aucuns droits99. Par ailleurs, cette puissance économique des Majors leur permet d'imposer leurs choix musicaux, et ainsi, d'imposer une certaine culture musicale. La même étude a pu montrer par exemple qu'en 2011, 1.8% des titres du catalogue SACEM représentaient 73.9% des diffusions totales de titres via radiodiffusion100. Cette concentration culturelle semble néfaste et est parfois même

96 Idem.

97 J. Smiers, 2001« L'abolition des droits d'auteur au profit des créateurs » » in Réseaux Volume 19 n°110/2001 - Editions La Découverte p.61

98 M. Dulong de Rosnay et H. Le Crosnier, op. cit. p. 55

99 Voir annexe 2

100 Voir annexe 3

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considérée comme contraire à « un modèle de société démocratique et républicain »101. Par ailleurs, alors que l'auteur reçoit 9% du prix d'un disque physique et 10% du prix d'un téléchargement, les maisons de disque perçoivent respectivement 50.4% et 61.6% du prix total. Cette surpuissance économique se traduit donc par une faible rémunération des auteurs102.

93. Comme dans tout rapport de force déséquilibré, c'est aussi dans les contrats que la surpuissance s'exprime. Outre les contrats d'exclusivité souvent conclus entre un artiste et un producteur, une enquête103 a dévoilé la pratique contractuelle des minimums garantis, seuils versés par la plateforme de musique en ligne pour exploiter le catalogue des maisons de disque. La plateforme Jiwa par exemple a admis avoir versé en 2010 plus de neuf-cent mille euros aux grandes Majors, dont quatre-cent mille uniquement à Sony Music. Ces seuils, indexés sur les parts de marché attendues de l'exploitation, peuvent donc rapidement s'avérer astronomique. Au regard de la proportion d'artistes détenus par de telles entreprises, un éditeur ne semble donc pas avoir de prime abord d'alternative pour diffuser des titres d'artistes sous contrat en toute légalité. Perspective décourageante, supporter l'intégralité du risque d'exploitation des catalogues par les éditeurs pour des risques de pertes tout aussi importants n'encourage pas nécessairement ceux-ci à respecter les droits d'auteur, tant la chape financière apparaît écrasante, a en entraîner parfois la faillite des éditeurs104

94. Pourtant, des alternatives existent pour financer les auteurs. Dailymotion en est un bon exemple. Site de streaming permettant à tout un chacun de mettre ses films à disposition du public, le site a mis en place une veille permettant de s'assurer que les vidéos postées ne contreviennent pas aux droits de leurs titulaires. La rémunération des auteurs se fait par la publicité. Plus la page est visitée, plus l'artiste est rémunéré. En 2012, 90% du chiffre d'affaire du site était lié aux bannières, 10% aux publicités insérées dans les vidéos. Le modèle de Dailymotion n'est pas d'acheter les droits des auteurs, mais de « partager le revenu publicitaire, ce qui, sans doute, explique [qu'ils n'aient] qu'un acteur partenaire au sein de l'industrie musical (Universal) »105, les perspectives de rentabilité de ce nouveau modèle étant sans doute moins certaines que dans le cadre des pratiques de minimum garanti.

Paragraphe II : La surreprésentation lobbyiste des « Big three »

95. Les producteurs n'hésitent pas à se constituer sous forme de groupes de pression afin d'influencer les organes délibérants en vue de verrouiller Internet et conserver leur

101 « Assurer une juste rémunération aux artistes » [en ligne] http://framazic.org/sinformer-et-comprendre/assurer-une-juste-remuneration-aux-artistes/ (consulté le 07/06/2014)

102 Voir Annexe 5

103 P. Astor, 2010, « Numérique et gestion collective, les minimums garantis exigés par les majors au coeur de la polémique » [en ligne] http://www.zdnet.fr/actualites/numerique-et-gestion-collective-les-minimums-garantis-exiges-par-les-majors-au-coeur-de-la-polemique-39712721.htm (consulté le 07/06/2014)

104 « Fermeture du site de musique en ligne Jiwa » Le Monde, 03/08/2010

105 M. Guez, « Confrontation de business models : l'introduction de modèles économiques et juridiques des nouveaux entrants » in V. de Beaufort, op. cit., p.123

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monopole. Cet interventionnisme s'exprime à tous les niveaux, et notamment au niveau national, avec la loi HADOP et européen, avec la Directive DADVSI.

96. Selon les Majors, un milliard de titres sont téléchargés chaque année en France, ce qui correspond à un manque à gagner de plus de dix millions d'albums, et près de 80% des utilisateurs se sont rendus coupables au moins une fois d'acte de piraterie106. Un postulat qui mérite d'être pris avec des pincettes, puisque l'on peut partir du principe opposé selon lequel les « pirates » sont souvent ceux qui n'ont pas les moyens de se procurer l'oeuvre au prix original. Selon les majors, un titre téléchargé illégalement correspond à un titre qu'elles n'ont pu vendre. 4 français sur 5 sont qualifiés de « pirates », c'est-à-dire de criminels. Fer de lance de leur campagne lobbyiste, attentivement écoutés par le législateur, certains gardent un goût amer de ces déclarations. En premier lieu, la CNIL « constate avec une certaine amertume que les seuls motifs évoqués par le gouvernement afin de justifier la création du mécanisme confié à l'Hadopi résultent de la constatation d'une baisse du chiffre d'affaire des industries culturelles. Or, le projet de loi n'est pas accompagné d'une étude qui démontre clairement que les échanges de fichiers via les réseaux pair-a-pair sont le facteur déterminant d'une baisse des vente »107. D'autant que les chiffres avancés auraient été multipliés par 12 pour prendre en compte « la marge d'erreur »108.

97. Autre indice de cette influence conséquente sur les organes décisionnaires, l'argument selon lequel le téléchargement illégal aurait entraîné une perte de chiffre d'affaire des Majors. S'il s'agit effectivement d'une réalité quant au marché de la vente de disques, il apparaît que depuis 2005, les revenus de la vente de musique digitale ont fait un bon de 1.2 milliards de dollars à près de 6 milliards, depuis 2008, l'industrie des concerts est passée de 12 milliards de dollars à 26 milliards109. Alors que l'industrie de la musique sonnait l'alarme et clamait son effondrement, la réalité semble toutefois être bien différente. Ainsi, une règlementation fondée sur de fausses données ne nous semble que devenir inexorablement déséquilibrée.

98. Dans un système français ou la place des lobbys est difficilement assumée, contrairement à la situation législative aux Etats-Unis, leur rôle reste néanmoins essentielle. Il est légitime qu'un groupe intervienne dans l'élaboration d'une règle qui aura vocation à leur être appliquée. Le droit tend vers l'utilité publique, l'intérêt générale, et le contradictoire permet manifestement de tirer la qualité du travail intellectuel vers le haut, et servir l'intérêt général. Malheureusement, cet aspect contradictoire semble cruellement manquer au travail législatif en matière de droit d'auteur, la plupart des artistes étant encore peu sensibilisés à la propriété intellectuelle et laissant à leurs producteur le soin de gérer les considérations juridiques. De fait, son élaborées des législations ultra-

106 O. de Tissot, « Confrontation de business models : « piraterie » informatique et rémunération des auteurs, artistes interprètes et producteurs », idem, p131

107 Idem p.132

108 « Les chiffres du piratage cités par le Ministère sont multipliés par 12 » Le Monde 07/04/2008

109 Recorded Music and Internet Mobile from PWC, 2012, Global Entertainment and Media Outlook

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protectrices des cessionnaires de droits et ne se questionnant que trop peu sur la situation du créateur. Pourtant, le numérique vient bouleverser ce schéma classique, l'avènement de la société de l'information permet une plus grande connaissance des droits et devoirs de chacun et les autres acteurs sont amenés à se prononcer plus fréquemment et fortement, ayant pour conséquence un rééquilibre des force dans la balance des projets législatifs et règlementaires, et ne justifiant plus l'omnipotence des grands producteurs tels qu'ils sont aujourd'hui.

Section 2 : Un déclin annoncé de la figure classique du producteur

99. Avec la fusion de Sony Music Entertainment et BMG Entertainment ainsi que le rachat d'EMI Group par Universal Music Group, deux majors sur cinq ont disparu en cinq ans. Si les principaux intéressés avancent comme principale raison la crise de l'industrie du disque, c'est peut-être avant tout une réelle crise interne d'un modèle inadapté au numérique qui est remis en cause. Cette perte de puissance trouve des justifications aussi bien économiques, par des politiques archaïques (I) que culturelles, par la remise en cause sociétale de l'industrie musical (II).

Paragraphe I : Des politiques de protection archaïques

100. Qu'il s'agisse du rapport Levy-Jouyer, Cedra, Attali ou Cohen-Verdier, la conclusion est unanime : « Les industries culturelles se préoccupent d'avantage de la préservation des acquis que de la recherche de profits tirés des nouvelles possibilités ouvertes par l'ère numérique »110. Reposant sur un système de rente, ce modèle économique s'effrite progressivement. D'une part parce que de tels industries perdent leur place privilégiées dans l'ère numérique, où les réseaux centralisés de distribution de la musique sont délaissés au profit de réseaux décentralisés, ou tout du moins concurrencés. Par ailleurs, l'industrie est frappée en son centre par une crise interne majeure. Alors qu' à la baisse des ventes de CD physique est opposé le téléchargement illégal, l'on peut interpréter cette diminution du chiffre d'affaire par la perte d'attrait d'un tel support, vieillissant, encombrant et onéreux au profit du format numérisé111. D'une bibliothèque matérielle rapidement encombrante et poussiéreuse, l'on peut passer à une bibliothèque sans réelle limite tenant sur des milliers de Giga octets et une poignée de centimètres concentrés sur une clé USB. « En restant focalisée sur la crise du CD, l'industrie du divertissement n'a [ainsi] pas cherché à innover afin d'utiliser toutes les potentialités d'internet. De plus, les grands disquaires (Fnac, Virgin, etc.) ont fait un choix délibéré de réduire considérablement leur diversité de CD, diminuant ainsi d'autant plus l'intérêt d'acheter un disque »112

101. Position archaïque donc. Archaïque car rébarbative. Après un véritable âge d'or de l'industrie du disque dans les années 1970 et 1980, où le disque vinyle était vendu à plus

110 V. de Beaufort, op. cit. p.105

111 Comme nous avons pu le mentionner précédemment, même si le format privilégié (mp3) est vieux de plus de 20 ans, il reste encore bien plus avancé que le format classique CD-ROM

112 « Assurer une juste rémunération aux artistes », op. cit.

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de 60 millions d'unités chaque année. Puis en l'espace de dix ans, la vente chute à à peine plus de deux millions d'exemplaires113. Alors que l'invention des cassettes, walkman et CD-Rom apparaît la raison la plus plausible d'un tel déclin, l'industrie préfère avancer la contrefaçon encouragée par ces nouveaux procédés. Et pourtant l'industrie a su par la suite s'adapter et tirer profit de ces nouvelles avancées technologiques. Dans le même temps, la K7 permet de réaliser des copies privées, et l'industrie soutient alors l'impact d'une telle pratique sur le secteur musical, qui n'a pourtant pas tant pâti de cette situation. Ces schémas semblent se renouveler de façon identique avec l'avènement du numérique, avec encore une fois des arguments tirés du comportement malsain des utilisateurs. La chute peut donc avant tout s'expliquer par la nécessité pour l'industrie musicale de se réorganiser et s'adapter, et une fois cette évolution effectuée, si la situation est identique pourrait-elle de nouveau retrouver sa croissance antérieure.

102. Le constat apparaît donc frappant : L'industrie musicale ne sait pas anticiper les effets des mutations technologiques et restent cramponner à ses acquis et à un business model vieillissant avant de s'adapter. Le protectionnisme agressif de l'industrie musical marque toutefois les esprits. Et malgré une volonté tardive mais non inutile de s'adapter au numérique, il n'est pas certain que le public soit en mesure d'accepter encore la position de force d'un acteur pourtant encore particulièrement puissant.

Paragraphe II : La remise en cause culturelle de l'apport du producteur

103. Avec une législation catégorisant les utilisateurs et les taxant de criminelles avec légèreté, il n'apparaît pas étonnant que les « webers » et autres « bloggeurs » s'élèvent et contre-attaques. Pour Olivier Tissot114, le terme même de pirate est contestable. Il ne faut en effet pas oublier ce qu'est en réalité la piraterie. Le téléchargement, « est exempt de toute violence contre les personnes, à la différence des actions normalement définies par ces termes. Les pirates de la mer ou les pirates de la route sont généralement lourdement armés et ne craignent pas de blesser ou de tuer leurs victimes dans le seul but de s'enrichir injustement, alors que les pirates du téléchargement en menacent [...] personne et ne cherchent généralement pas à s'enrichir. C'est donc par un véritable abus de langage qui n'est évidemment pas innocent car il assimile à des dangereux criminels les pratiquants de ces téléchargement »Les Majors elles-mêmes n'hésitent pas à reconnaître leurs erreur et par la même perdre un peu plus d'une légitimité déjà mise à mal : Guy Hand, directeur de la Major EMI, a par exemple déclaré publiquement que la perte de chiffre d'affaire sur les CD musicaux n'était non pas due à la piraterie mais essentiellement à « la frilosité des politiques économiques menées par les majors depuis l'émergence d'Internet comme grand média »115. Ainsi parviendrait-on à éradiquer toute forme de contrefaçon numérique qu'il ne serait pas évident que le marché des CD physiques repartirait à la hausse116.

113 « Parts de marché du Vinyle depuis 1980 : De l'apogée au déclin » [en ligne] http://www.vinyle-actu.fr/parts-de-marche-du-vinyle-depuis-1980-de-lapogee-au-declin (consulté le 07/06/2014)

114 O. de Tissot « Confrontation de business models : piraterie informatique et rémunération des auteurs, artistes interprètes et producteurs » op. cit. p129

115 Cédric. L., 2008 « Guy Hand prévoit de licencier 2.000 employés chez EMI » Numérama

116 V. de Beaufort, op. cit. p. 133

104.

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De plus, si les majors sont titulaires d'un nombre impressionnant de droits et que leurs catalogues sont remplis d'artistes et auteurs, certains pensent qu'ils ne participent pas - contrairement à leur leitmotiv- à la création musical mais qu'il s'agit au contraire des producteurs indépendants qui découvrent et financent les jeunes artistes et nouveaux talents, avant que ceux-ci décident de rejoindre les sphères des grands producteurs aux contrats plus attrayants117. En effet, les majors produisent 75% des CD mis en vente mais ne produisent que 25% des nouveaux artistes mis pour la première fois sur le marché. Les petits producteurs sont réellement ceux qui prennent les risques financiers de produire les jeunes auteurs inconnus avant de les voir rejoindre les majors ou se faire eux-mêmes racheter par celles-ci118.

105. D'autre part, une partie du public remet en cause le « star system » mis en place par l'industrie musicale. Ce modèle économique vise en fait à surproduire un artiste, voire de le formater pour le public le plus large, et par la suite bénéficier d'une situation de rente à long terme. Cette « économie de l'art » semble éloignée des fondements mêmes de la création artistique et certains considèrent qu'elle entraîne une diminution particulièrement grave de la qualité des oeuvres diffusés et consultables, et par la même une diminution du niveau de sensibilité artistique du public français, comme le montrent les meilleurs ventes françaises. « Souvenez-vous bien que le titre « Quand il pète il troue son slip » est passé en tête des ventes devant Daft Punk aujourd'hui récompensé de six Grammy Awards devant le monde entier » 119. Pour Rachid Ferrache, « la France est remplie de [bons artistes] faisant mieux en home studio que tout ce qu'on nous sert à longueur d'année. Mais les labels continuent de les ignorer, proposant des compilations hommages ». Son constat est sans appel : « La puanteur musical [...] a vendu plus de singles, non pas parce que les gens aiment, mais parce que des connards en on fait la promo, [...] ciblant les gamins de neuf ans déjà abrutis par les [émissions] de la télé réalité ». Des mots durs, peut-être trop forts, mais qui a obtenu de nombreuses critiques en son sens. Les discours inverses, remettant en cause la crédibilité d'une telle position, mettent néanmoins en exergue la réalité de la production actuelle certains lui opposant, en s'adressant directement à lui que les labels et producteurs sont soumis « (...) aux dictats du marché, de la monnaie qui doit remplir les caisses, et [si vous étiez producteur] vous ne changeriez rien, ou vous feriez faillite en tentant de promouvoir des artistes talentueux, certes, mais pas vendeurs »120. L'on peut donc considérer que les producteurs n'ont pas pour objectif de réduire la qualité artistique, ou de profiter de leur position de force pour obtenir des conditions contractuelles désavantageuses pour leurs partenaires, mais que la loi du marché, la loi du plus fort, les oblige à mettre en place des standards de qualité et de rentabilité nécessaire pour pouvoir perdurer dans la production musical.

117 Idem. p136

118 Idem.

119 Ferrache, R. 2014, « La France ce n'est pas Daft punk... », [En ligne] http://www.zealjournal.com/la-france-ce-nest-pas-daft-punk-lindustrie-musicale-francaise-se-prend-une-belle-soufflante-par-rachid-ferrache/ (consulté le 04/06/2014)

120 De la Biche A. , 2014, Lettre ouverte en réponse à Rachid Ferrache. [En ligne]

http://www.musicalementnotre.fr/2014/02/lettre-ouverte-en-reponse-rachid.html (consulté le 04/06/2014)

106.

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Face à des professionnels vus comme des exploitants de la création, une partie du public n'hésite alors pas à se revendiquer du « syndrome de robin des bois »121, en revanche contre les producteurs et leurs bénéfices substantiels. Pendant longtemps, il a été avancé que les intérêts des grands producteurs étaient les mêmes que ceux des artistes. Postulat inexact puisque « l'artiste crée pour l'amour de l'art [...] alors que les industries créent uniquement pour l'argent qu'elles ont à y gagner »122. Le droit d'auteur devient un droit pour l'industrie culturelle, détaché des intérêts du public et des auteurs. Et de ce constat naissent les contestations de ces laissés pour compte qui revendiquent une plus grande écoute, mais « encore faut-il pour cela que le droit d'auteur s'adapte à l'ère numérique. S'il ne le fait pas de bon gré, il le fera de force I »123.

CHAPITRE II : DES RAPPORTS AUTEUR-PUBLIC ENCOURAGES

107. La démocratisation de l'internet est récente. Ce n'est que depuis le début des années 2000 que le plus grand nombre -tout du moins dans les pays développés- y a accès. La jeunesse d'aujourd'hui est née dans l'ère numérique et a grandi en utilisant ces différents outils. Pour Lawrence Lessig, la jeunesse est née d'une tradition de libre culture, semblable à la liberté d'expression, à la liberté du commerce ou aux marchés libres124 . Comme nous l'avons vu plus tôt, la protection effective des droits d'auteur sur internet et la volonté de sanction des usagers finaux est encore plus récente. Ces jeunes sont alors imprégnés d'une culture non marchande, où l'internet permet l'accès gratuit et quasi illimité aux contenus.

108. Mais l'accès à la société de l'information, la diffusion des contenus, l'accès à la culture si ardemment défendu par les utilisateurs méritent-ils le non-respect absolu des droits de propriété intellectuelle ? Quand bien même la réponse serait négative, la situation resterait inchangée. Il semblerait donc opportun, comme le proposent les partisans du « No copyright » et du « Copyleft », de promouvoir la gratuité pour l'utilisateur final, ou un nouveau mode de financement des artistes et de leur rétribution. Internet est un outil démocratique permettant aux auteurs de se faire connaître, partager leurs oeuvres et favorisant l'égalité des chances. L'auteur n'est plus enfermé dans des barrières territoriales et il peut s'adresser en simultané à un public international grâce à une visibilité accrue. Il est en relation directe avec son public et peut bénéficier ainsi des retours de celui-ci et de ses conseils pour améliorer ses travaux et s'assurer une chance de succès commercial bien plus grande.

121 Idem.

122 S. Canevet, et B. Jean, 2009 « L'évolution du droit d'auteur à l'ère numérique », in La Bataille Hadopi InLibroVeritas p.300

123 Benjamin Bayart

124 L. Lessig, 2004 «We come from a tradition of « free culture » -no « free » as in « free beer » [...] but « free » as in « free speech », « free markets », « free trade » » in Free Culture, How big medias uses technology and the law to lock down culture and contrôle creativity p.14

109.

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Joost Smiers, dont l'hostilité pour l'industrie musicale et le droit d'auteur tel qu'on le connaît n'est plus un secret, souligne avec adresse que « grâce aux réseaux numériques, les paiements directs des artistes par le public seront facilités sans passer par de grands groupes. L'enjeu [étant] de briser les pouvoirs monopolistiques dans les industries culturelles et de créer un nouveau système plus favorable aux intérêts financiers des artistes et à la diversité culturelle »125.

Section 1 : L'Internet en faveur d'un rapport direct

110. Le partage favorise l'innovation. Une oeuvre musicale est un bien non rival, inépuisable. La libre diffusion participe à la notoriété de l'auteur, cette notoriété favorisant alors la rémunération de celui-ci par la vente de produits dérivés (les concerts par exemple), favorisant de nouveau la création. Le partage serait donc lié au cercle vertueux de la création126

111. Grâce aux licences libres et Creative Commons, le public n'est plus borné à son simple rôle de consommateur de musique. Il peut désormais s'approprier les oeuvres, les améliorer, mixer, intégrer dans ses propres créations, les citer, traduire librement...127 Les meilleurs exemples d'une telle mise en commun de la connaissance restent Wikipédia, Linux et Firefox. Ces licences d'autorisation, contractuelles, respectant le cadre légal de la propriété intellectuelle, mettent en place un degré variable de liberté mais toutes ont en commun certaines caractéristiques : La libre reproduction, la libre diffusion, l'obligation de citer le nom de l'auteur, l'obligation de soumettre les dérivés de l'oeuvre sous les conditions de la licence, et impossibilité d'exercer un quelconque monopole sur cette oeuvre dérivée. La limite reste toutefois la Licence Art Libre, lorsque l'auteur est affilié à une société de gestion collective. Le cas échéant, la SACEM pourrait alors demander une rémunération pour l'utilisation faite des oeuvres de son catalogue128.

112. En outre, le numérique facilite en partie l'exploitation par un artiste de ses oeuvres. Alors qu'auparavant, la communication était essentielle et nécessitait l'engagement de coûteux frais de publicité pour l'affichage, la diffusion de spots publicitaires télévisés ou radiodiffusés, désormais, l'artiste peut louer un nom de domaine en son nom à faible coût, être référencé pour gagner en visibilité, et profiter des plateformes de streaming pour diffuser ses maquettes et singles. Tout en dépensant peu, il peut même rentabiliser son activité de promotion par des encarts publicitaires ajoutés sur sa page web ou par les plateformes de streaming qui lui reversent une partie des revenus, indexés sur le nombre de visionnages de ses vidéos. Par ailleurs, dans l'espace physique, il était nécessaire de produire des supports physiques engrangeant des coûts de production et de distribution, et les disques non vendus pouvaient constituer pour l'auteur une véritable perte sèche. Le numérique permet la diffusion de titres dématérialisés, sans coût de production du support, les titres invendus sont indifférents puisque dématérialisés, la notion de stock

125 J. Smiers, op. cit. p.61

126 L. Marino, op. cit. p.107

127 M. Dulong et H. Le Crosnier, op. cit. p.146

128 D. Geraud, op. cit. p.155

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apparaît superflue. Egalement, si le monde physique nécessite l'intervention de distributeurs prélevant une marge sur la vente, et gérant la commercialisation, le numérique permet à l'artiste de gérer tous les stades de la production et de la distribution. Des sites comme PayPal permettent à l'artiste d'être directement crédité du montant des achats effectué par les utilisateurs, avec des frais relativement faibles129. Exit donc les réseaux de production et de distribution complexes mettant en jeu de nombreux intermédiaires. L'Internet permet à l'artiste de contrôler l'ensemble du processus.

113. Toutefois, l'on ne peut nier le rôle nécessaire de certains intermédiaires, véritables professionnels de la communication et de l'investissement. L'artiste, s'il peut être autonome, devrait toutefois conserver à l'esprit cette idée. Non formé aux arts de la communication et du commerce, il pourrait commettre certaines erreurs, ne pas profiter au maximum des potentialités offertes par la communication numérique, perdre en rentabilité et en visibilité. Le numérique a cela d'intéressant en ce qu'il permet une exploitation autonome mais ne l'oblige pas. C'est alors à l'artiste de faire le choix des intermédiaires qu'il considère nécessaire selon leur pertinence, choix permis avant l'avènement de l'ère numérique qu'à une partie minime des artistes professionnels disposant des fonds nécessaires et conséquents pour diffuser leurs oeuvres.

Section 2 : Le public, au centre d'un nouveau modèle économique ?

114. Les principes fondateurs de l'Internet sont la gratuité et le libre accès, principe opposés de prime abord au droit d'auteur. Les théories du No Copyright et Copyleft rejettent le droit d'auteur dans sa forme actuelle. Si l'un rejette l'idée même de monopole exclusif et la notion de droit d'auteur, l'autre se limite à en questionner la pertinence du fonctionnement actuel, et cherche une conciliation nouvelle et plus poussée entre ce droit et l'intérêt du public. Cette conciliation ne peut se faire que par de nouveaux modes de financement des productions culturelles et de rémunération des artistes, et l'on trouve pléthore de propositions sur Internet contrairement au modèle classique du droit d'auteur fondé sur le droit de reproduction et celui de représentation.

Paragraphe I : Le public, socle d'un nouveau modèle économique

115. Alors que les systèmes d'abonnement classiques restent anecdotique et cantonnés à certains domaines, qu'il s'agisse de la pornographie ou des relations entre professionnels, serait privilégiée la rémunération indirecte de l'artiste, par le biais des revenus publicitaires ou subventions diverses.

116. Lors des débats préparatoires de la loi Hadopi, la question de la licence globale a rapidement été rejetée, car considérée comme non rentable pour les artistes et l'industrie du disque, malgré que cette proposition ait été validée par le Rapport Attali.

129 3.4% du montant de la transaction et 0.25 centimes d'euro, cette commission diminuant plus montant de la transaction est élevé. [En ligne] https://www.paypal.com/fr/webapps/mpp/paypal-fees (consulté le 07/06/2014)

41

La licence globale repose sur un principe relativement proche de celui de la copie privée : La règlementation autorise les internautes à accéder librement aux contenus artistiques et de les exploiter à des fins non commerciale, en contrepartie d'une rémunération versée aux artistes en fonction de leur popularité sur les réseaux. Cette rémunération trouverait sa source dans une taxe prélevée sur l'achat d'outils informatiques, les abonnements à Internet ou sur le chiffre d'affaire réalisé par les diffuseurs. Pour Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture, « la légalisation des échanges non marchands se heurte aujourd'hui à trop d'obstacles juridiques, économiques et pratiques pour pouvoir constituer, à court terme, une réponse crédible à la problématique du piratage », propos confirmés par son successeur, Madame Fleur Pellerin, désormais ministre déléguée à l'Economie numérique. Madame Filipetti semble avoir oublié le temps où elle luttait devant l'Assemblée Nationale pour « l'émergence d'un nouveau modèle économique associant artistes et internautes (...) fondés sur une contribution créative associée à des budgets publics massifs de soutien à la création »130. Par ailleurs, l'on regrette qu'une telle initiative soit écartée pour des raisons pratiques, alors qu'une telle licence serait à rapprocher de la copie privée qui a su faire ses preuves au fil des ans. Parmi les principales critiques , l'on retrouve : des critères d'allocation des subventions arbitraires, décidés par l'administration, des règles variables d'un Etat à l'autre, une source induite d'inégalité et d'injustice, avec une rémunération non fondée sur le mérite mais sur le seul statut, induisant une démotivation des artistes, motivation déviée pour rechercher des subventions, et pour les artistes non subventionnés, la nécessité de « bâcler » leur travail pour augmenter leur rendement. De plus, exiger des créateurs une production gratuite, non rémunérée directement, ne favorise sans doute pas la création simple, immédiate et impulsive dictée par l'impulsion artistique.

117. Il semblerait que des groupes de réflexion planchent sur la légalisation du partage non marchand, sans licence globale, permettant aux utilisateurs de diffuser des oeuvres numériques sans l'autorisation de leurs auteurs. Cette possibilité apparaît particulièrement dangereuse : Les utilisateurs seraient bien naturellement attirés vers les sites gratuits et légaux, au détriment des sites proposant les mêmes biens, mais cette fois payants. Les auteurs seraient alors privés d'un revenu tiré de la vente directe de leurs oeuvres. De l'hégémonie des producteurs l'on passerait à la surpuissance des diffuseurs, seuls capables de fournir des revenus publicitaires importants à ceux qu'ils hébergent. Le piratage apparaît alors bien moins néfaste pour l'auteur-interprète que la légalisation de cette pratique. « Il est nécessaire que l'interdit persiste pour retenir une trop grande pratique »131. Cette légalisation permettrait à chacun de reproduire et représenter n'importe quelle oeuvre, de la publier gratuitement sur un réseau pair-a-pair, afin de le partager tout en écartant le créateur et en le privant d'une possibilité de revenu. D'autant que la plupart des consommateurs de biens culturels sont prêts à payer. Ceux qui ne le sont pas ne consomment généralement pas, que ce soit payant ou gratuit. La

130 Débats parlementaires du 22/09/2009

131 « La HADOPI contre l'emploi du future ! » [en ligne]

http://cupfoundation.wordpress.com/2014/04/03/hadopi-contre-emploi/ (consulté le 07/06/2014)

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gratuité ne profiterait donc qu'à une frange de la société132, ou ne ferait qu'inciter une partie plus grande des utilisateurs à ne pas investir dans la culture.

118. Le public pourrait donc être la base d'un nouveau modèle économique en ce qu'il participera toujours financièrement au développement de la culture, mais de façon indirecte et généralisée, par la création d'un réel « impôt pour la culture ». Néanmoins, l'idée d'une légalisation du partage non-marchand sans contrepartie des utilisateurs apparaît être manifestement néfaste pour la culture. Si l'idée est pourtant étudier, et sera sans doute abordée lors de prochains débats parlementaires, l'on peut considérer qu'il s'agit de l'illustration de la création d'un nouveau groupe de pression s'opposant au lobbying des industries de la production musicale. Le risque est alors que le public prenne la force de ces derniers et influe sur l'instauration de règlementation en sa faveur, ce qui encore une fois ne pourrait pas tourné à l'avantager des titulaires naturels des droits d'auteurs : les auteurs eux-mêmes. Néanmoins, d'autres propositions émergent sur l'Internet de la part d'utilisateurs sensibilisés aux problématiques que nous avons pu développer au long de cette étude et d'autres pistes de réflexions émergent, imaginant l'instauration d'un modèle économique tout à fait nouveau en matière musicale.

Paragraphe II : Le public, nouveau groupe d'influence pour l'instauration d'un nouveau modèle économique

119. Des plateformes de financement participatif ou crowdfunding émergent progressivement. Les principales sont aujourd'hui les sites My Major Company et Kick Starter. Une des premières utilisations de tels sites pour la création et la rémunération des auteurs fut le film cinématographique « Le Projet Blair Witch ». Avec un budget de 40.000 euros, il a permis de récolter 15 millions d'euros de bénéfices133. Ces sites regorgent aujourd'hui de nombreux projets faisant appel au financement des internautes, et des artistes méconnus ont pu gagner le devant de la scène grâce à ces plateformes tremplin, à l'image d'Irma (Nomination aux Victoires de la Musique 2013), Grégoire (Multiples nominations aux Victoires de la Musique et Disque de Diamant pour son album « Toi + Moi »). Le système séduit : L'artiste n'a nul besoin de recourir aux prêts couteux auprès des banques, l'investisseur sait précisément où son argent va être investi contrairement au système bancaire, si le projet n'atteint pas la somme espérer, le financeur reprend sa mise, le système repose sur un réel altruisme où l'un permet à l'autre d'obtenir le financement nécessaire pour réaliser son projet... Le Parlement a d'ailleurs parfaitement compris les enjeux de telles plateformes et ces possibilités d'expansion, préparant depuis peu une législation propre à la matière134

132 J.M. Bruguière, 2007 Droit d'auteur et culture Thèmes & Commentaires, La propriété intellectuelle autrement Ed. Dalloz p.68

133 J. Farchy, 2003, Internet et le droit d'auteur, la culture Napster op. cit. p.56

134 P. Ordonneau « Crowdfunding : Finance émotionnelle ou rationnelle ? » [en ligne] http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-98939-crowdfunding-finance-emotionnelle-ou-rationnelle-1006967.php (consulté le 07/06/2014)

120.

43

Mais la révolution se situe sur un autre terrain. Framasoft, association francophone de la « culture du libre »135, fer de lance de la promotion des logiciels libres, dispose dans sa base de données de plusieurs millions de logiciels, services en lignes, livres et musiques. Cette nébuleuse autour de laquelle se développent de nombreux projets (Une maison d'édition : Framabook, un blog d'information : Framablog, une équipe de traduction : Framalang, une plateforme de vidéos : Framatube, une « forge logicielle » : Framacode...) est la plateforme tournante des utilisateurs, informaticiens et développeurs web. Selon son fondateur, Alexis Kauffman, les logiciels libres garantissent quatre libertés : L'utilisation libre et gratuite du logiciel , la possibilité d'étudier le fonctionnement du logiciel, de le modifier et l'adapter, et le droit de dupliquer et de redistribuer des copies, gratuitement ou à titre onéreux136. Selon lui, « le logiciel libre s'est développé en réaction à la tentative de certains, comme Bill Gates ou Steve Jobs, de privatiser cela. C'est une façon de préserver la situation antérieure ». Et d'ajouter que l'on « criminalise des gens qui ne font que partager [...]. Or, Internet est un outil dont la respiration est la copie ». A l'origine centrée sur le développement de logiciels libres, cette philosophie a été ensuite transposée dans le domaine de l'art, avec pour objectif de promouvoir l'esprit du libre et la diffusion des oeuvres, considérées comme des biens communs137. Un « code de bonne conduite » diminue le risque que le travail des différents intervenants ne soit récupéré par le secteur marchand. Le volet musical de cette véritable sphère numérique est le site web Framazic, concentrant la musique « libre ». Mais ce que ses développeurs entendent par liberté n'est pas tant la gratuité, mais les libertés d'utilisation accordées aux utilisateurs138. Avec l'apparition des tablettes et smartphones, l'utilisation d'annuaires et site web dédiés a diminué au profit des « stores » tels ITunes et Google Play. Mais les récents scandales liés à l'espionnage généralisé par la NSA ou la censure systématique d'Apple ont rendu les utilisateurs méfiants, qui ressentent un besoin toujours plus fort de préserver la confidentialité de leurs données, ce que Framasoft prétend garantir.

121. Une autre piste de réflexion, révolutionnaire et sans doute bien difficile à mettre en oeuvre, a été proposée par la cupfoundation139. Partant du principe que le commerce des biens immatériels repose encore sur le modèle économique et commercial des biens matériels, avec un prix indépendant du nombre d'acheteur, ses auteurs ont élaboré un nouveau modèle supprimant les intermédiaires et liant directement le succès d'une oeuvre aux revenus de son créateur. Le prix d'une oeuvre reste aujourd'hui élevé car tentant de prendre en compte les effets de la copie illégale, l'offre légale reste ainsi chère, incitant à un cercle vicieux où l'usager continue à se tourner encore et toujours plus vers la copie illégale. Dans ce nouveau modèle, l'oeuvre serait mise en vente par l'auteur à un prix déterminer « P1 », prix payé par le premier acheteur. Le prix initial serait fonction du nombre d'acheteurs le précédant. Pour les derniers acheteurs, le prix

135 Framasoft est une association loi 1901 au budget de 100.000€ annuels, dont 80% de donations.

136 A. Rousseaux, 2013, « L'univers de la culture libre et non-marchande a sa galaxie : Framasoft » [en ligne] http://www.bastamag.net/L-univers-de-la-culture-libre-et(consulté le 07/06/2014)

137 Idem.

138 Idem

139 L. Fournier, 2012 « Economie des biens immatériels, le réseau ?net » [en ligne] http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/75/73/33/PDF/eco_fr.pdf (consulté le 07/06/2014)

44

serait alors proche de 0. L'auteur fixerait également un prix « R » correspondant au maximum de bénéfices qu'il accepte de recevoir de la vente de son oeuvre, tout en renonçant à un revenu potentiellement infini. Une fois ce maximum atteint, l'excédent viendrait en remboursant du prix versé par les acheteurs précédents jusqu'à obtention d'un prix nul ou quasi nul. La transaction ne serait alors plus instantanée, mais initiée à un instant T sans fin dans le temps. Elle est établie entre un vendeur et un ensemble croissant d'acheteurs. Le vendeur se voit crédité de P1 jusqu'au maximum attendu tandis que l'acheteur versera P1 avant de tendre vers un remboursement au moins partiel de ce prix. Plus il y a d'acheteurs, plus on tend vers une limite donnant satisfaction à chacun, en toute transparence. Enfin, comme le vendeur fait connaître explicitement son revenu maximal escompté, l'acheteur potentiel peut évaluer la popularité de l'objet et estimer le montant du remboursement et sa vitesse. Le principal écueil de cette théorie reste la crainte d'une saturation du système du fait du nombre important d'opérations financières. Les auteurs de la proposition suggèrent, pour pallier ce risque, la création d'une nouvelle monnaie, propre aux biens immatériels. Un compte fonctionnant comme une carte de téléphone prépayée, sans possibilité de débit, cette monnaie ne servant qu'à acheter des biens immatériels, directement à leurs auteurs, sans intermédiaires. Par ailleurs, ce nouveau modèle étant automatisé, sans intervention humaine, les banques ne pourraient - a priori - prélever de commissions. L'avantage majeur serait l'abolition des droits patrimoniaux de l'auteur à son décès, qui n'auront plus de raison d'être puisqu'il n'y aurait plus à résoudre le problème de l'attribution des gains sur les oeuvres anciennes. Il s'agirait alors d'un nouveau modèle de partage marchand, incompatible avec la légalisation du partage non marchand cité plus tôt.

122. Ainsi, qu'il s'agisse du financement participatif, des propositions propres au No Copyright comme la mise en place d'une économie culturelle numérique, ou des idées rattachables au Copyleft comme la vulgarisation des licences libres, le public, qui peut s'entendre de toute personne consommant de la musique sur l'Internet semble ouvert à des discussions pour la modification et l'amélioration du droit d'auteur appliqué à l'Internet. Ces propositions, légitimes et viables, donnent une image raisonnable des utilisateurs, non campés sur leurs positions et avides prétentions égoïstes. Cette crédibilité, couplée à une connaissance de plus en plus grande du droit d'auteur par ces acteurs, pourrait alors à court terme leur permettre d'avoir un réel impact sur les instances décisionnaires.

45

CONCLUSION

123. A l'ère du numérique, l'auteur-interprète joue ainsi un rôle majeur. Au centre des débats entre public et professionnels, utilisateurs et producteurs, s'ouvre à lui en ensemble de moyens de communication et de commercialisation qui lui permettent d'acquérir notoriété et indépendance. En quinze ans, l'Internet a influencé les moeurs sociologiques, économiques et culturelles et la technologie n'a de cesse de s'améliorer et d'influer toujours plus sur la vie de tous, promettant toujours plus d'innovations, de « phénomènes », élargissant de façon exponentielle la société de l'information. Mais ces développements sont à double tranchant : Les bénéfices de ce nouveau monde sont à nuancer avec les atteintes potentielles aux droits et intérêts des créateurs.

124. Le droit actuel appréhende difficilement les nouvelles exploitations numériques. Partant d'une volonté légitime de protéger le Droit d'auteur, il ne sait pourtant pas encore protéger au mieux les droits des auteurs. Il n'est nul doute qu'il doit et peut s'appliquer sur Internet, comme la jurisprudence a pu rapidement le démontrer, mais il ne sait encore prendre la mesure des implications de ce nouveau milieu. La prise en compte tardive des profondes modifications enclenchées par le numérique, et les alternatives proposées pour instaurer un droit d'auteur moderne, adapté à un univers totalement dématérialisé pourraient ainsi poser le socle d'une éthique numérique et d'une réelle paix sociale entre les différents acteurs, motivée par l'auteur-interprète, moteur et essence de la création musicale. L'auteur-interprète pourra alors pleinement s'adapter à l'ère numérique grâce aux évolutions nécessaires du droit

125. L'hégémonie des producteurs risque de s'effacer en l'absence de politiques nouvelles et adaptées à l'ère numérique au profit d'un public plus alerte quant aux problématiques de la culture et de sa consommation. On ne peut nier la réalité d'un système de demande et d'offre, fondement du commerce et de la société. Les professionnels doivent donc savoir adapter leur offre à la demande et non tenter d'imposer leur offre pour harmoniser la demande. L'on peut se prendre à espérer une balance des intérêts de l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des producteurs et labels, des musiciens, et des consommateurs. Toutefois, certaines propositions sérieuses, comme la légalisation du partage non-marchand, annoncent un possible renversement de situation au profit des utilisateurs. L'on pourrait donc aboutir à un droit d'auteur au profit de ceux-ci, au détriment des auteurs eux-mêmes. Ces derniers doivent donc saisir cette opportunité qu'est l'Internet et son champ d'expression et de connaissance grandiose pour se faire enfin entendre des instances décisionnaires et s'assurer de la mise en place d'une règlementation destinée à servir au mieux leurs intérêts, dans le respect de ce que le droit d'auteur a historiquement eu l'ambition d'être : Une protection de leurs créations, oeuvres intimement liées à leur personne, à leur profit, conciliée aux intérêts de l'ensemble des acteurs du processus culturel.

46

Annexe 1

47

Annexe 2

48

Annexe 3

49

Annexe 4

Annexe 5

50

Annexe 6

51

Bibliographie

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TGI Montpellier 24/09/1999 Com. Comm. Electronique 2000, comm. 15, note Caron C.

CA Paris 29/09/1999 D.1999 act. Jurispr. P37 Com. Comm. Electr. Déc. 1999, actual. 47, obs. Haas G.

Conseil Constitutionnel, n°2009-580 DC 10/06/2004 TGI Paris, ord. Réf. 14/08/1996 (deux espèces « Brel » et « Sardou ») JCP E 1996, II. Note Edelman B

CA Paris 22/04/2005 affaire « Mullholand Drive », Comm. Com. Electr. 2005, p26 et s.; Légipresse 2005, III, p.148 note M. Vivant et G. Vercken

Conseil Constitutionnel, n° 2006-540 DC 27/07/2006

55

Table des matières

Remerciements 2

Sommaire 3

Introduction 4

Titre I - L'application délicate des droits d'auteur sur Internet 11

Chapitre 1 : Des phénomènes majeurs difficilement appréhendables 12

Section 1 : L'incontrôlable phénomène du téléchargement pair-à-pair 12

Paragraphe I : Des prérogatives patrimoniales classiques mises à mal par le pair-à-pair 14

A] Les violations des prérogatives patrimoniales par le système pair-à-pair 14

B] La remise en cause du schisme classique entre droit de reproduction et droit de représentation 16

Paragraphe II : La conciliation délicate du pair-à-pair et des limites du droit d'auteur 17

A] La conciliation avec les exceptions légales 17

B] Un épuisement des droits comme limite au droit d'auteur sur Internet ? 18

Section 2 : L'épineuse question du streaming 19

Paragraphe I : Une qualification juridique ardue 20

A] Une opération dans le champ du droit de représentation 20

B] Une opération dans le champ du droit de reproduction ? 21

Paragraphe II : Un phénomène en pleine expansion 22

A] Des producteurs séduits par le procédé 22

B] Vers de nouveaux abus de pratique ? 23

Chapitre 2 : Des solutions contemporaines insuffisantes 24

Section 1 : La réponse apportée par les mesures techniques de protection 24

Paragraphe I : La protection juridique des mesures techniques de protection 24

A] La protection offerte par les mesures techniques de protection 25

B] La protection conférée aux mesures techniques de protection 25

Paragraphe II : Des mesures techniques de protection inefficaces 26

A] Des mesures sanctionnées pour leurs atteintes aux droits des utilisateurs 26

56

B] L'abandon des mesures techniques de protection par leurs instigateurs 28

Section 2 : La réponse apportée par l'offre légale 28

Paragraphe I : Une pure création législative 29

Paragraphe II : Une offre légale aux résultats mitigés 30

Titre II - Une modification sous-estimée des rapports entre

acteur 33

Chapitre 1 : Des rapports auteur-producteur bouleversés 34

Section 1 : Une situation classiquement monopolistique des majors 35

Paragraphe I : La surpuissance économique des « Big three » 35

Paragraphe II : La surreprésentation lobbyiste des « Big three » 36

Section 2 : Un déclin annoncé de la figure classique du producteur 38

Paragraphe I : Des politiques de protection archaïques 38

Paragraphe II : La remise en cause culturelle de l'apport du producteur 39

Chapitre 2 : Des rapports auteur-public encouragés 41

Section 1 : L'Internet en faveur d'un rapport direct 42

Section 2 : Le public, au centre d'un nouveau modèle économique ? 43

Paragraphe I : Le public, socle d'un nouveau modèle économique 43

Paragraphe II : Le public, nouveau groupe d'influence pour l'instauration d'un nouveau modèle

économique 45

Conclusion 48

Table des Annexes 49

Bibliographie 54

Table des matières 58






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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius