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Collectes de fonds humanitaires (fundraising) : comment élaborer une stratégie de communication digitale adaptée aux nouveaux profils de donateurs particuliers.


par Guillaume Dubus
Université Jean Moulin Lyon 3 - IAE Lyon - Master 2 Management et Communication 2019
  

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

Grâce aux technologies de l'information et de la communication, l'être humain est exposé en permanence aux actualités du monde de manière quasi-instantanée. En étant informé du dernier tsunami, du dernier déplacement de population ou de la dernière famine, il est difficile pour le commun des mortels de faire abstraction et d'ignorer les difficultés que certaines populations traversent. Nous l'avons vu, le fait de connaître une situation est l'une des premières conditions de l'engagement et les émotions déclenchées se traduisent par une volonté d'aider son prochain. En agissant, le donateur cherche de manière symbolique à restaurer l'égalité entre les hommes mais cherche aussi à assouvir des besoins personnels, notamment celui de se déculpabiliser afin de repousser le problème hors de sa zone.

Dans cet audit, nous verrons que la générosité a de nombreux visages : certains préfèrent donner leur temps ou leur compétence, d'autres participent au financement de projets concrets ou parfois donnent sans se préoccuper de la finalité. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la manière dont les auteurs décrivent le don pour en comprendre les significations profondes avant de nous attarder sur plusieurs définitions antinomiques pour montrer les ambivalences de cette pratique millénaire. Nous nous appuierons sur des données chiffrées pour rappeler l'état de santé du secteur après avoir fait une chronologie des pratiques de charité, initialement développées grâce aux religions et modernisées grâce aux techniques de fundraising. Dans une volonté de dresser un état des lieux du don le plus exhaustif possible, il nous a semblé utile de lister les différents types de dons humanitaires existants avant d'esquisser une typologie des donateurs, des causes qu'ils soutiennent et des raisons qui les motivent. L'analyse portera sur une double appréhension, celle du donateur d'un côté et de ses caractéristiques sociologiques, et celle des associations de l'autre et de leur effort d'incitation communicationnelle.

1. Approches définitionnelles

L'Homme a un besoin naturel de donner pour se sentir humain, c'est une pensée qui a été théorisée par Gérald Berthoud, professeur d'anthropologie culturelle et sociale, co-fondateur de la Revue du MAUSS : « Le don n'est autre que la vie, comme la condition nécessaire d'une participation effective au monde103. » À travers son geste, le donateur recherche l'appartenance à l'humanité, entendu ici dans le sens de la communauté humaine, mais vise aussi la reconnaissance des autres qui quelque part lui procure une certaine estime de lui-même.

Dans sa forme initiale, le don peut être vu comme une pierre angulaire des relations sociales et des échanges car il a la vertu de créer du lien. Dans ce sens, Jacques T.Godbout et Alain Caillé proposent dans L'esprit du don, de qualifier le don comme « toute prestation de bien ou de service effectuée, sans garantie de retour, en vue de créer, nourrir ou recréer le lien social entre les personnes104 ». Cet acte est donc une manière de reconnaître l'existence de l'autre et son importance.

103 Sandrine Chastang, « Toutes les manières de rater un don humanitaire », Revue du MAUSS 31, no 1 (2008): p.76

104 Jacques Godbout et Alain Caillé, L' esprit du don, Nachdr., Sciences humaines et sociales 86 (Paris: La Découverte Poche, 2010), p.32

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

À cela, Sandrine Chastang, auteure de l'article Toutes les manières de rater un don humanitaire, suppose un geste finalement moins naturel : « Il n'y a pas de générosité pure, dégagée de plaisir égoïste ou d'attente de retour105. » Une vision moins enthousiaste qu'elle précise en amont:

« Celui qui reçoit est dans l'obligation de rendre toujours plus [...] le don est violent car il rend l'autre redevable et crée une dette qui doit être acquittée106. » Au-delà d'une approche qui caractérise un acte désintéressé, le don exprime dans son aspect fondamental, une démarche moins anodine qu'elle n'y paraît.

D'autres analyses partagent aussi ce point de vue, désigné sous la triple logique « donner, recevoir, rendre » et la considère comme « les règles de l'échange social »107. Ce cheminement intègre la notion de « contre-don » qui induit cette obligation de rendre ou de donner à son tour. La seule manière pour celui qui reçoit de garder son estime et sa dignité est de rembourser, mais au final, cette responsabilité morale écrase encore plus les personnes qui n'en ont pas les capacités. C'est le cas dans l'humanitaire, où des victimes lointaines reçoivent des dons anonymes qu'elles ne pourront jamais restituer.

Toutefois, cette notion doit être abordée de manière globale car rendre ne veut pas forcément dire rembourser directement. Celui qui reçoit peut s'acquitter de sa dette comme il le souhaite, c'est peut-être une des raisons pour laquelle des personnes démunies sont aussi très généreuses. Au final, le retour de générosité crée un système circulaire qui participe à l'économie du don.

Naturellement, chacun est libre de respecter ce précepte et de donner sans contrepartie. D'ailleurs, selon une étude de l'Observatoire de la générosité et du mécénat, « aller au-delà de ce qui est exigible [est une manière d'] affirmer son existence autonome et [d'] infirmer la suprématie des règles de l'échange108 ».

Le don crée donc de la réciprocité entre les hommes mais établit aussi des hiérarchies en plaçant, de fait, le généreux donateur au-dessus de celui qui reçoit. Faire un don, c'est une façon de manifester sa supériorité vis à vis du receveur contraint d'accepter sa subordination. Marcel Mauss, célèbre anthropologue et sociologue, évoque cet aspect dans son Essai surle don à travers ce qu'il appelle « le don de rivalité », où les hommes se mettaient au défi de donner leurs richesses pour affirmer leur puissance et éventuellement faire perdre la face à ceux qui ne pouvaient pas rendre. Ce simple geste de charité peut donc avoir des aspects négatifs sur le receveur et créer une situation d'humiliation et de domination.

D'aucuns voient dans cette position de pouvoir des restes d'un comportement colonial des occidentaux. Un courant de la sociologie francophone décrit d'ailleurs la philanthropie comme un « mécanisme de domination employé par l'élite économique pour servir ses intérêts et influencer les pouvoirs publics109 ». À ce propos, il apparaît que le terme charité soit de moins en moins utilisé par la profession dans la mesure où il exacerbe cette relation dissymétrique entre un donateur et un récipiendaire, au lieu de restaurer l'égalité entre les hommes.

105 Chastang, « Toutes les manières de rater un don humanitaire », p.78

106 Chastang, « Toutes les manières de rater un don humanitaire », p.77

107 Norbert Alter, « Théorie du don et sociologie du monde du travail », Revue du MAUSS no 20, no 2 (2002): p.263-85, (consulté le 15 mai 2019), http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2002-2-page-263.htm

108 « Motivations et valeurs associées au don » (SORGEM pour l'Observatoire de la générosité et du mécénat, 2001), p.12, (consulté le 15 mai 2019),

https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/motivation_dons.pdf

109 Arthur Gautier et Laurence de Nervaux, « La France qui donne - Etat de la recherche sur le don en France », Chaire Philanthropie de l'ESSEC, Observatoire de la Fondation de France, décembre 2015, p.16, (consulté le 29 avril 2019), https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/la_france_qui_donne_dec_2015_0.pdf

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

D'un point de vue lexical, les diverses traductions du mot don contribuent à expliquer ses multiples sens : en anglais, on utilise le mot gift, qui pourrait se traduire par cadeau alors qu'en allemand, ce même mot désigne le poison. En français, l'expression cadeau empoisonné raisonne comme une synthèse qui ne doit rien au hasard. Plus pragmatique, le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL) donne la définition suivante du don : « Action de donner, de céder gratuitement et volontairement la propriété d'une chose110. » L'approche étymologique du mot don révèle un acte symbolique : en Grec, le terme sumbolon est un objet partagé entre deux personnes comme signe de reconnaissance. Nous retrouvons donc bien dans le sens propre de ce mot, une dimension de mise en lien qui permet de joindre, de rassembler.

Enfin, pour les donateurs, le mot don est jugé trop « fort, inadéquat et pompeux », les termes aide ou solidarité lui sont préférés, c'est ce qui ressort d'une étude qualitative de la Fondation de France basée sur 30 interviews auprès de donateurs et non-donateurs111.

Nous remarquons qu'il existe une variété de définitions et de significations diamétralement opposées pour qualifier le don, tout est donc question de point de vue. À la fois destiné à l'autre mais aussi à soi, désintéressé mais prépondérant, « le don est fondamentalement ambivalent112 ».

2. Origines et évolutions

Si les sciences sociales se sont fortement intéressées aux motivations des acteurs bénévoles et aux raisons de leur engagement dans les associations, cet intérêt est en revanche beaucoup moins fort en ce qui concerne les dons d'argent dont les pratiques ont plutôt été explorées par les instituts de sondage ou par les professionnels et les spécialistes de l'action humanitaire eux-mêmes. Ces réflexions, qui portent principalement sur le marketing social, s'appuient sur des enquêtes quantitatives pour connaître les pratiques des donateurs sans s'attarder sur les véritables motifs qui font agir et sur les raisons de donner.

Dans cet partie, notre observation s'appuiera par conséquent davantage sur des études quantitatives même si un effort a été fait pour les mettre en perspective avec des sources qualitatives. Nous ferons dans un premier temps un éclairage sur les origines religieuses du don avant d'annoncer les sommes colossales récoltées aujourd'hui. Puis nous aborderons le régime fiscal spécifique de notre pays pour montrer qu'il est un formidable levier de générosité malgré les récentes réformes. Enfin nous montrerons comment le secteur explore de nouveaux canaux pour renouveler son bassin de donateurs et contrer les baisses constatées.

2.1 Un principe ancré dans les religions

Les collectes ont toujours existé dans les différentes sociétés, notamment par l'intermédiaire des quêtes religieuses. Qu'elles aient pour but de récolter l'aumône ou des biens en nature, ces pratiques traditionnelles ont fait leur preuve depuis la nuit des temps et continuent de mobiliser de nombreux donateurs. Selon certains dogmes, donner aux autres, aux pauvres, aux malheureux, fait partie des devoirs fondamentaux.

110 « DON : Définition de DON », (consulté le 29 avril 2019), http://www.cnrtl.fr/definition/don

111 « Motivations et valeurs associées au don », (consulté le 15 mai 2019), https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/motivation_dons.pdf

112 Chastang, « Toutes les manières de rater un don humanitaire»

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

Dans la religion juive, la tsédaka est une forme d'aumône où il s'agit de « rendre à l'autre ce qui lui est dû ». Le radical du mot signifie d'ailleurs justice en hébreu. Dans l'islam, la sadaqa est « un acte de foi et un chemin de purification »113. La charité chrétienne, la dâna bouddhiste, le Takuhatsu dans le bouddhisme japonais (...), à chaque religion son obole pour aider son prochain. Même si le don s'est développé sur le terreau des croyances, ces pratiques sont quelque part ancrées dans les sociétés et font partie des cultures, c'est pourquoi ce geste est porteur de sens même dans l'esprit des personnes athées.

2.2 Un marché structuré qui draine des sommes colossales

Au-delà des cultes, la générosité des français est considérable bien que nous observions un changement de tendance et une diversification des canaux et des modes de collecte. Si nous prenons en compte uniquement les formes numéraires de don, laissant de côté le travail bénévole et les dons en nature, le volume total des dons a été estimé en 2015 à 7,5 milliards d'euros au niveau national,

114.

incluant les contributions individuelles pour 61 % et celles des entreprises pour 39 % Un chiffre

cohérent avec une autre étude plus récente de Recherches & Solidarité qui évalue à plus de 4,7 milliards d'euros, les dons provenant uniquement des particuliers115 (dont 60 % sont déclarés à l'administration soit 2,6 M€). En prenant comme baromètre uniquement ces dons déclarés, cela représente une croissance de plus de 70 % en dix ans116, même si nous verrons que dernièrement la courbe s'est inversée. Le réseau mondial d'ONG Ifp-Fip donne une image de ce que cela représente au niveau international, même si cela peut être soumis au débat : « Si les ONG formaient un pays, celles-

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ci constitueraient la économie mondiale117. »

Ces sommes considérables représentent un enjeu de taille pour les acteurs humanitaires contraints d'adopter des modes de fonctionnement issus du monde marchand et d'évoluer dans un secteur concurrentiel avec les mêmes enjeux que pour les entreprises privées. À ce propos, le terme Charity Business fait désormais partie du vocabulaire lié à l'économie du don : Bernard Kouchner publiait dès 1986 un livre portant ce nom pour dénoncer un milieu qui draine des sommes colossales et qui devient un produit de consommation de masse. Les journalistes l'utilisent pour décrire « les entreprises humanitaires118 » qui s'éloignent du but non lucratif initial : la réalisatrice Sophie Bonnet traite ce sujet dans son documentaire Charity Business : les dérives de l'humanitaire. Quant au président du CerPhi, Antoine Vaccaro, il décrit ce qu'il appelle le marché du don comprenant « une offre (les ONG), une demande (des donateurs disposés à acquérir par leur don, la satisfaction morale de participer à une action philanthropique), et un produit (les actions sociales, humanitaires, de recherche)119 ».

113 « Tous les chemins mènent au don : pourquoi les grandes religions nous invitent à donner », Réussir sa vie : des pistes de réflexion pour construire son projet de vie, 6 décembre 2017, (consulté le 21 mai 2019), https://www.reussirmavie.net/Tous-les-chemins-menent-au-don-pourquoi-les-grandes-religions-nous-invitent-a-donner_a2737.html

114 « Panorama national des générosités » (Fondation de France / Observatoire de la philanthropie, avril 2018), p.51, (consulté le 15 mai 2019),

https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/rapport_generosite4.pdf

115 Bazin, Duros, et Malet, « La générosité des Français 2018 », p.17

116 « Panorama national des générosités », avril 2018, p.8

117 « La stratégie social media des ONG », Ruche&Pollen, 15 juin 2017, (consulté le 9 juillet 2019), https://ruche-pollen.com/blog-social-media/communication-des-ong-sur-les-reseaux-sociaux

118 Dauvin, La communication des ONG humanitaires, p.9 Extrait de Juhem P., « La légitimation de la cause humanitaire », L'humanitaire en discours, Mots, n°65, mars 2001, p.9-26.

119 Antoine Vaccaro, La communication des ONG humanitaires (Paris: Ed. Pepper: L'Harmattan, 2010), p.92

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2.3 Le régime fiscal incitatif comme moteur du don

En France, les associations à but non lucratif sont les principales destinataires des dons des particuliers, viennent ensuite les fondations et les organismes publics. Depuis 2003, les pratiques liées à la philanthropie se sont fortement développées suite à la promulgation d'une loi fiscale dite Aillagon qui permet aux donateurs de défiscaliser une partie de leur don. Cette incitation fiscale permet de réduire de 66 % le montant du don dans la limite de 20 % du revenu imposable. Ce taux peut même atteindre 75 % pour un don à certains types d'associations, dont celles reconnues d'intérêt général présentant un caractère humanitaire (dans la limite de 537 € par an en 2019, au-delà, la réduction de 66 % est appliquée). En matière de communication, ces avantages fiscaux sont fortement mis en avant pour inciter au don. En plus d'un affichage visible sur les différentes plateformes de communication, ces taux sont intégrés directement dans les modules digitaux de don afin de calculer en temps réel la réduction fiscale dont pourra bénéficier le donateur. Sur le site Internet de l'ONG CARE France, après sélection de la somme 200 € pour un don ponctuel, la mention « Votre don vous coûte 50,00 € après réduction fiscale » apparaît. Cette tactique marketing interactive et incitative a un effet immédiat sur l'acte de don.

Mais si le système fiscal français était jusque-là un moteur d'incitation au don, les réformes récentes semblent avoir des conséquences sur les collectes. D'après les responsables associatifs, l'augmentation de la CSG a pénalisé les retraités, le remplacement de l'ISF par l'IFI a découragé les grands donateurs et enfin, le prélèvement à la source, instauré en janvier 2019, a ajouté une incompréhension sur la manière dont seraient défiscalisés les dons120. La journalise Isabelle Rey Lefebvre écrit dans Le Monde que ces réformes « assèchent la générosité des Français ». D'après elle, le nombre d'assujettis à l'IFI a fondu de 350 000 à 150 000 foyers, ce qui représente « une perte de donateurs potentiels qui pouvaient, jusqu'en 2017, réduire leur imposition de 75 % du montant de leurs dons, dans la limite de 50 000 euros, mais ne voient plus l'intérêt de le faire121 ». Résultat, une perte pour les associations estimée entre 130 et 150 millions d'euros.

D'après le Baromètre des comportements donateurs face aux changements fiscaux, réalisé par Kantar Public en août 2018 : « 20 % des donateurs retraités confiaient avoir l'intention de réduire leurs dons [du fait de la hausse de la CSG]122. » Des chiffres confirmés dans une infographie du Monde qui prédit aussi que 28 % des personnes imposables vont modifier leurs dons après la mise en place du prélèvement à la source en 2019. Bien que l'impact réel de ce nouveau mode de prélèvement de l'impôt ne soit pas encore mesurable au moment de la rédaction de ce mémoire, Nicolas Duvoux, sociologue à l'Université Paris-VIII, dénonce « un accident industriel pour les associations, que le gouvernement n'avait peut-être pas anticipé ».123

2.4 Une tendance à la baisse inédite

D'après une étude publiée en avril 2018 par l'Observatoire de la philanthropie, l'évolution du montant cumulé des dons est très significative depuis le début du siècle, bien que le nombre de donateurs ne progresse pas de manière analogue : « le total des dons déduits a été multiplié par 2,5 passant de

120 Mathieu Castagnet, « La baisse des dons a bien eu lieu », La Croix, 8 avril 2019, (consulté le 1 mai 2019), https://www.la-croix.com/Economie/France/baisse-dons-bien-lieu-2019-04-08-1201014241

121 Isabelle Rey-Lefebvre, « Les associations et fondations caritatives victimes d'une chute historique des dons », Le Monde, 9 janvier 2019, (consulté le 17 mai 2019), https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/01/09/les-associations-et-fondations-caritatives-victimes-d-une-chute-historique-des-dons_5406484_3224.html

122 « Baisse de la générosité en 2018 », francegenerosites, 9 avril 2019, (consulté le 1 mai 2019), http://www.francegenerosites.org/baisse-de-generosite-2018/

123 Rey- Lefebvre, « Les associations et fondations caritatives victimes d'une chute historique des dons»

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1,137 milliard en 2003 à 2,620 milliards en 2015. » Il est à noter que dans le même temps, le nombre de foyers donateurs n'a progressé que de 35 %, passant de 4,254 à 5,759 millions.124

Mais malgré cette nette progression, la tendance semble s'inverser : « Entre 2017 et 2018, le montant des dons reçus par les associations et fondations françaises a baissé en moyenne de - 4,2 %. Une baisse

125

significative après une progression constante des dons entre 2013 et 2017 .» Dans un article publié

par La Croix, Mathieu Castagnet évoque « un recul inédit depuis plus de 20 ans » et cite Jacques Malet, président du réseau d'experts Recherches & Solidarités : « C'est du jamais vu depuis au moins 1995, lorsque les grandes grèves avaient totalement perturbé les collectes de fin d'année126. » Depuis plus de 20 ans, les dons avaient chaque année enregistré une progression du montant global collecté ou du moins une stabilisation, même si parfois le nombre de donateurs avait lui diminué, comme l'évoquent d'autres statistiques publiées en novembre 2018. D'après cette dernière source, le montant moyen des dons déclarés avait atteint la barre des 500 € en 2017, indiquant une augmentation de 23 % entre 2013 et 2017.127

Nous l'avons vu, certains mettent en cause les récentes réformes fiscales pour expliquer cette tendance à la baisse. Mais parmi ces chiffres, qui sont interprétables de différentes manières, il est possible de trouver des points positifs car, s'il y a bien eu une baisse du montant total collecté en 2018, le nombre de dons s'est maintenu, porté par les donateurs réguliers qui cumulent 92 % des dons reçus128. Dans un contexte difficile, les donateurs français montrent qu'ils restent fidèles et attachés aux associations, c'est ce que conclut Pierre Siquier, président de France générosités : « On voit que le nombre de dons ne fléchit pas. Cela montre la fidélité des donateurs. Ils ont parfois donné moins, mais ils ont continué à donner129. »

2.5 Un secteur qui évolue à travers de nouveaux canaux d'acquisition

Aujourd'hui, malgré une baisse significative, nous pouvons avancer que le secteur se porte plutôt bien, mais les enjeux se complexifient et imposent une adaptation permanente. Outre la multiplication des acteurs humanitaires, tout individu peut désormais facilement lever des fonds auprès de son entourage, via les réseaux sociaux ou les plateformes de financement participatif dit crowdfunding, pour soutenir une cause. D'après une étude de Kantar pour France générosités, 10 % des Français déclarent donner de l'argent par le biais du crowdfunding (hors cagnottes lancées directement par des associations ou fondations faisant appel à ce canal)130.

À travers le digital, les réseaux sociaux et ces nouvelles formes de don, des donateurs plus jeunes s'engagent et compensent la diminution récente des contributions. Mais le comportement du donateur change, il se montre de plus en plus actif dans son acte et devient une sorte de relais ou de partenaire pour les ONG. D'autres modes de récolte prometteurs comme les produits partage ou encore les options de générosité embarquée comme les arrondis représentent de nouveaux vecteurs de générosité même si leur recette reste relativement modeste. Nous détaillerons plus spécifiquement ces pratiques innovantes dans la Partie III, sous-partie 4 Les formes émergentes de communication humanitaire et de collecte digitale.

124 « Panorama national des générosités », avril 2018, p.25

125 « Baisse de la générosité en 2018 », http://www.francegenerosites.org/baisse-de-generosite-2018/

126 Castagnet, « La baisse des dons a bien eu lieu »

127 Bazin, Duros, et Malet, « La générosité des Français 2018 », p.6

128 Kantar, « Le portrait robot du donateur du futur », (Government & Nonprofit, octobre 2018), (consulté le 17 mai 2019), https://www.slideshare.net/Sofres/20180928-campagnedonner

129 Castagnet, « La baisse des dons a bien eu lieu »

130 Kantar, « Le portrait robot du donateur du futur»

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don 3. Approche marketing du fundraising

Bien que le don soit en théorie naturel chez l'homme, en pratique il se réalise suite à une demande. Certains dons sont bien sûr spontanés mais bien souvent ils sont sollicités. « Si on ne demande pas, on n'obtient pas », c'est une des premières choses entendues lorsque j'ai intégré le service dédié au développement et à la collecte du HCR France. Structurés et disposant de budgets dédiés, ces services sont en charge de provoquer cette demande. Ils utilisent des techniques de fundraising qui pour rappel, se définit comme « la réflexion stratégique et l'articulation des moyens mis en oeuvre pour développer les ressources des organisations oeuvrant pour des causes d'intérêt général131 ». Plus spécifiquement, cette discipline consiste à « se servir des données statistiques collectives et individuelles et du marketing direct pour déterminer ce qui pousse les gens à donner132 ». L'objectif pour les structures est de récolter de l'argent pour garantir leur autonomie financière et pouvoir se détacher des bailleurs étatiques et ainsi porter plus librement leur voix dans l'espace public.

Nous essaierons de comprendre dans cette partie comment se structure l'économie du don puis, à travers trois exemples, nous expliquerons comment les techniques marketing aident les fundraisers à optimiser la conversion. Enfin nous montrerons que le don fonctionne suivant une temporalité qui lui est propre mais qu'il existe des moyens pour la faire évoluer.

3.1 Des techniques marketing qui optimisent la conversion

La relation avec un donateur se fait au prix d'intenses sollicitations généralement réparties en plusieurs temps. Antoine Vaccaro intègre dans ce qu'il nomme « l'économie du don » un modèle qui repose sur la trilogie : prospection, fidélisation, succession.

§ La prospection est la conquête de nouveaux donateurs en vue de constituer une base de données. § La fidélisation est l'entretien de la relation avec les donateurs à travers une communication continue, orientée vers la proximité, l'information, le remerciement, la relance et la récompense.

§ Enfin la succession, à travers le legs par exemple, est la dernière étape de ce processus, celle qui
sollicite même au-delà de la vie.

En adoptant une approche marketing de la collecte, les fundraisers recherchent la performance à tous les niveaux et rivalisent d'ingéniosité pour convertir davantage leur cible. Nous ne ferons pas ici la liste infinie des techniques marketing utilisées par les services de collecte, nous nous contenterons de faire un focus sur trois tactiques incontournables permettant d'inciter au don.

La première est l'utilisation des équivalences affichées dans les formulaires de don sous la forme : « avec telle somme, nous pouvons faire telle action ». En matérialisant de manière tangible et non symbolique à quoi va servir le don, les fundraisers encouragent l'acte et les donateurs peuvent se projeter en imaginant une utilisation concrète de leur argent.

Nous pouvons prendre en exemple le site de MSF, qui affiche les équivalences suivantes de manière interactive : « 50 €, soit les gilets de sauvetage pour secourir 3 bébés en Méditerranée - 100 €, soit les sachets d'aliments thérapeutiques pour soigner 4 enfants malnutris - 150 €, soit 1 kit d'accouchement - 500 €, soit 1 kit de diagnostic méningite contenant 25 tests133. »

131 « Qu'est-ce que le Fundraising? », Association Française des Fundraisers, 7 juin 2017, (consulté le 22 juin 2019), https://www.fundraisers.fr/fundraising

132 Sylvain Lefèvre, La communication des ONG humanitaires (Paris: Ed. Pepper: L'Harmattan, 2010), p.117

133 « Soutenez notre association », (consulté le 18 juin 2019), https://soutenir.msf.fr/b/mon-don

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

Avec le digital, des moyens existent pour adapter en temps réel l'équivalence en fonction du profil du donateur et de son historique. C'est le cas pour les formulaires en ligne tout comme les annonces publicitaires de recherche (SEA), capables de proposer des équivalences personnalisées.

La personnalisation du message est un autre élément clé pour encourager le don. Il s'agit de faire oublier au donateur le caractère standardisé et mécanique de la sollicitation et de lui montrer que le message lui est adressé directement. Plusieurs moyens sont utilisés pour donner cette illusion, notamment l'utilisation du prénom, du nom voire de l'historique des précédents dons : « lors du dernier appel concernant telle crise, nous avions pu compter sur votre soutien... ». En procédant ainsi, « la puissance des multinationales humanitaires s'évapore et est remplacée par les signes de l'authenticité et de la simplicité134 ».

Enfin la segmentation des bases de données et l'utilisation de logiciels de gestion puissants (CRM) sont devenues nécessaires en vue d'une relation donateurs de qualité. Cela permet de délivrer un message différent à ses sympathisants en fonction de leur profil ou de ne le délivrer qu'à une partie d'entre eux. Cela évite aussi la sur-sollicitation en fournissant les bons messages aux bonnes personnes, ce qui contribue davantage à personnaliser la relation avec les donateurs.

3.2 Une temporalité propre au secteur

La collecte de fonds fonctionne suivant une temporalité et s'articule autour de moments forts. Les moments où les donateurs sont les plus actifs sont communs pour toutes les organisations et se concentrent sur la fin de l'année car c'était jusque-là l'échéance pour faire un don défiscalisé et pouvoir prétendre à une réduction d'impôt pour l'année en cours. C'est aussi une période où la générosité est plus forte car dans les pays occidentaux, les fêtes de fin d'année sont culturellement associées à un

4ème

mouvement de générosité. Au total, ce sont 40 % des dons qui sont faits sur le trimestre dont la

moitié (21 %) en décembre135.

Des efforts sont faits par les ONG pour tenter de mobiliser leurs sympathisants sur une temporalité plus large en créant des moments forts tout au long de l'année en fonction du calendrier : journées mondiales, fêtes des mères, ramadan, anniversaires d'une structure ou d'une convention... De plus, avec la généralisation du prélèvement de l'impôt à la source de manière mensuelle, il paraît moins justifié d'imposer une pression forte aux donateurs en fin d'année avec des arguments de défiscalisation. L'idée est d'engager le donateur en continue sur l'année en lui proposant la juste dose de sollicitation pour ne pas le lasser. Aux fundraisers de faire preuve d'imagination pour trouver les moyens d'envisager une nouvelle saisonnalité des collectes.

En considérant une vision plus théorique de la temporalité, nous remarquons qu'il n'y a pas que les crises urgentes qui nécessitent une mobilisation rapide, les dons en général appellent à une réaction immédiate. Dans une étude de l'Observatoire de la générosité et du mécénat, le don est présenté à la fois comme maintenance et comme urgence:

« Le don comme maintenance a trait au soutien, il s'agit de maintenir la possibilité d'une assistance. L'aide est une béquille. Elle permet de ne pas perdre de terrain sur un mal qui constitue une menace permanente. On ne peut pas arrêter de donner. »

134 Lefèvre, La communication des ONG humanitaires, p.123

135 Kantar, « Le portrait robot du donateur du futur»

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

D'un autre côté:

« L'urgence du don se présente soit comme solution ponctuelle à un problème particulier, soit comme sollicitation à une occasion spécifique. Les causes, elles, sont permanentes. Il s'agit surtout de créer une opportunité et

»136

le passage à l'acte de don.

Les appels à don concernant les catastrophes naturelles ou les urgences sont fortement liés à cette dernière temporalité. Il s'agit de mobiliser le plus rapidement possible en utilisant des arguments liés au temps : « le temps presse, le compte à rebours a commencé, il faut agir vite... ».

L'urgence émotionnelle que cela implique ne fait pourtant pas l'unanimité car cela crée de la méfiance dans la façon dont sont affectés les dons. Selon un sondage de TNS Sofres, parmi ceux qui font habituellement confiance aux associations et aux fondations, près du tiers exprime sa défiance dans ce contexte137.

Le temps présent est aussi un élément utilisé dans les communications humanitaires car les progrès auxquels nous assistons sont censés relever le seuil de ce qui est tolérable en termes de souffrance et d'injustice. Il est fréquent de voir les formulations suivantes : « De nos jours, il est intolérable de laisser des enfants mourir de faim » ou « En 2019, nous laissons toujours des enfants mourir de faim ». De plus, il est courant de voir des boutons d'appel à l'action (CTA) porter la mention : « Faites un don maintenant », une manière de décourager les donateurs de repousser leur geste.

4. Les différents types de dons humanitaires

Si pour l'ethnologue et sociologue Gérald Berthoud, « le don n'est autre que la vie138 », il en existe de nombreuses formes, chacune ayant sa nature et sa portée symbolique. N'ayant pas l'ambition de faire une liste complète de toutes les possibilités, nous nous concentrerons ici sur les principales formes pratiquées dans l'humanitaire afin de dresser un panorama de la collecte de ce secteur particulier. Pour chacune, nous donnerons une brève explication qui nous permettra d'en comprendre les spécificités même si dans ce mémoire, nous nous focaliserons particulièrement sur les dons numéraires (faits en monnaie) par les particuliers. Par souci de complétude, nous irons au-delà des formes purement digitales, en évoquant notamment les possibilités philanthropiques pour les entreprises, à travers le mécénat et d'autres formes de partenariats. Cette liste, qui se veut la plus exhaustive possible est une preuve de la diversité de la philanthropie.

Comme le montre le schéma ci-après, proposé par la Fondation de France, les dons peuvent être classés dans deux familles : ceux des particuliers et ceux des entreprises. Dans ces familles, nous distinguons les dons déductibles des impôts et ceux qui ne le sont pas, à l'intérieur desquels les dons sont classés suivant leur nature.

136 « Motivations et valeurs associées au don », 2001, p.7-8, (consulté le 15 mai 2019), https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/motivation_dons.pdf

137 « Baromètre de la confiance - Vague 8 - TNS Sofres pour le Comité de la Charte»

138 Gérald Berthoud, « Penser l'universalité du don. À quelles conditions ? », Revue du MAUSS no 23, no 1 (2004): p.71, (consulté le 22 juin 2019), http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2004-1-page-353.htm

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

Schéma - Les grands types de dons en France139

4.1 Don en nature

Les dons en nature existent depuis toujours et font partie intégrante des actions liées à l'aide d'urgence et à l'assistance aux populations vulnérables. Bien qu'ils soient un moteur pour certaines organisations, leur utilité est controversée car ils ne correspondent pas toujours au besoin réel des populations mais à une idée supposée du besoin. Les quantités de denrées ou de matériels récoltés sont pesés mais sont rarement valorisés en numéraire par les associations, c'est pourquoi il n'existe pas de comptage global. Les dons en nature comprennent:

Don de nourriture : l'aide alimentaire est une forme très répandue de solidarité mais son utilisation dans le cadre de programmes d'urgence internationaux est loin de faire l'unanimité car la cause est souvent due à un problème de distribution à l'intérieur du pays et non à un manque réel de nourriture. De plus, distribuer de la nourriture est un exercice périlleux qui impose de nombreuses précautions pour être bénéfique.

Pour le donateur, cet acte s'apparente plus à un geste spontané de compassion qu'à une action réfléchie, au sens où c'est l'opportunité qui va créer le don. C'est le cas par exemple des Banques Alimentaires qui créent une occasion de donner en se plaçant à la sortie des supermarchés pour collecter de la nourriture. À titre indicatif, les Banques Alimentaires ont estimé à 39,5 millions d'euros le montant de leurs collectes en nature en 2015, d'après une étude de l'Observatoire de la philanthropie140.

139 « Panorama national des générosités » , avril 2018

140 « Panorama national des générosités », avril 2018, p.39

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Don de médicaments : il peut s'avérer utile tant les inégalités d'accès aux médicaments sont grandes entre les pays du Nord et ceux du Sud. Or celui-ci demande une expertise pour que leur distribution ait un impact positif, tout le monde ne peut pas s'improviser pharmacien.

Don de matériels : fournir du matériel informatique par exemple, pose aussi des questions bien que l'accès aux technologies soit devenu un enjeu de développement. En effet, les pays du tiers-monde n'ont pas besoin de récupérer du matériel obsolète dont les Occidentaux souhaitent se débarrasser. Cela pose des problèmes environnementaux car ils représentent bien souvent des déchets parfois toxiques qui polluent davantage les localités.

Don de vêtements : outre le fait qu'ils sont une alternative à la déchetterie, les dons de vêtements alimentent, selon un article de Sandrine Chastang intitulé Toutes les manières de rater un don humanitaire, « un réseau commercial loin d'être philanthropique [...][car ils] sont soit jetés, soit revendus ».141 Ce type de don, tout comme le précédent, part d'une bonne intention mais doit s'inscrire avant tout dans une optique de développement durable pour être positif.

Don de sang, d'organes et autres : difficiles à classer, ces dons biologiques sont fortement ancrés dans notre société et reposent sur des valeurs fortes. Les collectes sont majoritairement gérées par des institutions liées à l'État comme c'est le cas pour l'Établissement français du sang (EFS). L'incitation au don via des campagnes de communication ont un réel impact sur les volumes de collecte.

4.2 Don de temps

Donner son temps, c'est donner de soi, certains le considère comme « le vrai don142 ». Cette forme de générosité, qui s'exprime à travers le bénévolat ou le militantisme, est perçue comme un acte authentique, un mode noble d'engagement. Les motivations des bénévoles sont variées : d'après Dan Ferrand-Bechmann, professeure à l'Université Paris 8 et présidente de l'Association française de sociologie, elles sont souvent « de l'ordre du plaisir, de la recherche de l'éthique et du sens mais aussi du lien social, de quêtes de nouvelles sociabilités et de reconnaissance ainsi que de pouvoirs143 ».

Le bénévolat demeure le premier poste de générosité en France. Selon une enquête de Recherches & Solidarités réalisée auprès de 3 156 Français, 13 millions de personnes ont donné de leur temps en 2016 144. Diverses mesures plus positives annoncent un nombre bien plus élevé de bénévoles dans le pays mais pour contraster ce chiffre, nous nous baserons sur une étude de Viviane Tchernonog qui dresse un état des lieux des associations françaises en 2018. Celle-ci se base sur un échantillon de 7 421 questionnaires exploitables, pour estimer à 31 millions les participations bénévoles en 2017. Un comptage différent pour lequel il est précisé que « le nombre de participations bénévoles ne permet pas de mesurer le nombre de bénévoles, puisqu'un bénévole peut être actif dans plusieurs associations145 ».

141 Chastang, « Toutes les manières de rater un don humanitaire », p.63

142 « Motivations et valeurs associées au don », 2001, p.16, (consulté le 15 mai 2019), https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/motivation_dons.pdf

143 Dan Ferrand-Bechmann, « Le bénévolat, approche sociologique », juillet 2008, p.5, http://dan.ferrand.bechmann.free.fr/IMG/pdf/juris_e_benevolatjui08.pdf

144 Cécile Bazin et Jacques Malet, « La France bénévole 2017 » (Recherches & Solidarité, juin 2017), p.2, (consulté le 18 mai 2019), https://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/la_france_benevole_2017.pdf

145 Viviane Tchernonog, « Les associations : état des lieux et évolutions - vers quel secteur associatif demain ? », Poids, ressources, bénévolat, emploi salarié, profil des dirigeants, octobre 2018, p.7, (consulté le 18 mai 2019), https://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/tchernonog_associations_fcc_2018.pdf

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

4.3 Don financier

En opposition à la valorisation de la disponibilité des militants et des bénévoles, les dons d'argent sont assimilés à un degré minimal d'engagement. Dans un article sur la sociologie du don caritatif, Ariane Epee, ATER en science politique à l'IEP de Lille, cite Gilles Lipovetsky pour expliquer que ce type de don n'implique aucun engagement personnel durable : « on veut bien aider les autres mais sans trop s'engager, sans trop donner de soi-même. La générosité, oui, à condition qu'elle soit facile et distante, qu'elle ne s'accompagne d'aucun renoncement majeur. » Selon elle, l'accroissement des dons d'argent n'est pas un signe d'un regain de l'engagement associatif, ni du souci que les hommes ont envers leur prochain : « Dans la société moderne, l'augmentation des contributions financières à l'action caritative

»146

et humanitaire est en fait un corollaire de la dépréciation du don de soi. Le « don de soi » faisant

ici référence au bénévolat.

Pour autant, même s'il paraît moins gratifiant que le don de temps, le don d'argent est un geste valorisé et important pour les personnes qui le font comme pour celles qui en bénéficient. Il exprime « un refus de l'égoïsme et un dépassement de son propre intérêt ». Dans le cas d'un don d'argent à une association, il s'agit d'un acte actif qui a un but précis et qui traduit « la poursuite d'une fin rationalisée » (l'envoi d'abris pour les victimes d'un tsunami par exemple). Le fait qu'il s'inscrive dans « une finalité délibérée », lui donne plus de force que le don de la main à la main.147

4.4 Don de la main à la main

Le don de la main à la main n'est pas quantifiable et s'apparente plus à un geste, en opposition à l'acte qui définit le don aux associations. Il part d'une réaction affective spontanée ou fait suite à une sollicitation individuelle. Ce don est immédiat dans sa temporalité et apporte une réponse directe à ce qui est demandé, comme par exemple le don d'une pièce ou d'un ticket restaurant à un mendiant dans la rue.

4.5 Legs et autres libéralités (donations, assurances-vie)

Composantes essentielles du budget de nombreuses organisations, les legs et autres libéralités sont mal connus. Le legs concerne la transmission à titre gratuit de biens ou d'argent par un défunt, faite de son vivant par testament, mais qui ne prendra effet qu'à son décès. Il est révocable et peut être destiné à une association, à condition qu'elle soit reconnue d'utilité publique ou qu'elle soit une association de bienfaisance, d'assistance, de recherche médicale ou scientifique. Ce type de don bénéficie le plus souvent d'une exonération des droits de mutation à titre gratuit148.

Le site officiel de l'administration française nous informe sur la notion d'utilité publique qui peut être attribuée à une association de loi 1901 par décret en Conseil d'État et qui peut être retirée à tout moment. La structure doit remplir les conditions suivantes:

146 Ariane Epee, « Donner aujourd'hui - Elements pour une sociologie du don caritatif. », p.4, (consulté le 15 mai 2019), http://polis.sciencespobordeaux.fr/vol9ns/epee.pdf

147 « Motivations et valeurs associées au don », 2001, p.16-17, (consulté le 15 mai 2019), https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/motivation_dons.pdf

148 « Association à but exclusif d'assistance et de bienfaisance », associations.gouv, 21 mars 2017, (consulté le 24 juin 2019), https://www.associations.gouv.fr/association-a-but-exclusif-d-assistance-et-de-bienfaisance.html

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« Être d'intérêt général, avoir une influence et un rayonnement dépassant le cadre local, avoir un nombre minimum d'adhérents (à titre indicatif au moins 200), avoir un fonctionnement démocratique et organisé en ce sens par ses statuts, avoir une solidité financière tangible (montant minimum de ressources annuelles de 46 000 €, montant de subvention publique inférieur à la moitié du budget et résultats positifs au cours des 3 derniers exercices). Un organisme est réputé d'intérêt général s'il remplit les 3 conditions suivantes : il n'exerce pas d'activité lucrative, sa gestion est désintéressée, il ne fonctionne pas au profit d'un cercle restreint de personnes149. »

Les legs représentent un marché de plus en plus porteur pour les associations qui ont besoin de diversifier leurs canaux de collecte. D'après les calculs de l'Observatoire de la philanthropie qui a analysé les montants des legs, de 2005 à 2016, parmi 300 organisations les plus importantes bénéficiant de ce type de don, le montant des libéralités reçues en 2015 par les bénéficiaires sélectionnés s'élève à plus de 860 millions d'euros150.

D'après une infographie du Figaro datant de mars 2018, qui s'appuie aussi sur cette même étude, le domaine de la recherche bénéficie de la plus grosse part des dons avec 23 % du total. Viennent ensuite la religion et la solidarité avec respectivement 15 % et 13 %. L'humanitaire est loin derrière sur ce type de don et ne collecte que 5 % de l'enveloppe151.

Les legs témoignent de l'intérêt des donateurs pour une cause, donateurs qui sont prêts à poursuivre leur soutien au-delà de leur vie. Dans une interview que nous a accordée Estelle Morange, responsable des partenariats privés à l'UNHCR France, la spécialiste nous explique que les legs imposent un important travail de prospection de la part des associations (par exemple lors de conventions de notaires), ce qui nécessite un investissement notable malgré un retour sur investissement qui ne deviendra positif qu'au bout d'un certain temps. Cette forme de don demande aussi un travail de communication qu'il faut entreprendre bien en amont du décès. Il s'agit d'aborder le sujet en douceur et de manière intelligente avec les futurs légataires afin de leur faire connaître les possibilités et les faire adhérer à l'idée. Conscients de l'enjeu qu'il représente, nombreuses sont les associations qui misent sur ce canal en pleine expansion pour leur stratégie de collecte à venir.

4.6 Parrainage

Le parrainage est apparu dans l'entre-deux guerres au sein des associations chrétiennes puis a ensuite été largement développé par des associations telles que SOS Villages d'enfants, Un enfant par la main, Enfants du Mékong (...). L'idée est de fournir à un enfant démuni, à sa famille ou à sa communauté, une aide matérielle prenant généralement la forme d'un soutien financier. Cet appui peut par exemple permettre de subvenir aux besoins scolaires, aux études supérieures ou d'acquérir une formation professionnelle.

149 Direction de l'information légale et administrative (Premier ministre), Ministère chargé de la vie associative, « Association reconnue d'utilité publique », service-public, 1 janvier 2019, (consulté le 24 juin 2019), https://www.service-public.fr/associations/vosdroits/F1131

150 « Panorama national des générosités », avril 2018, p.32

151 Hayat Gazzane, « Dons: les Français ont versé plus de 7 milliards d'euros », FIGARO, 19 mars 2018, (consulté le 17 mai 2019), http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/03/19/20002-20180319ARTFIG00122-dons-les-francais-ont-donne-plus-de-7-milliards-d-euros.php

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

Certains le voit comme une alternative à l'adoption car il permet aux enfants parrainés de continuer à grandir au sein de leurs familles et dans leurs pays respectifs.

Le parrainage permet de créer une relation de proximité entre un parrain ou une marraine et leur filleul(e). En échange de sa contribution, le donateur peut partager une relation personnalisée avec l'enfant notamment par l'intermédiaire des correspondances. Pour Sylvain Lefèvre, ce lien est créé intégralement par les fundraisers qui se positionnent comme des médiateurs entre « les citoyens d'ici et les victimes des causes lointaines152 ». Grâce à leur capacité à toucher les donateurs, les fundraisers élaborent sans cesse de nouvelles manières pour les solliciter davantage.

Afin de maintenir la relation active, les parrains reçoivent régulièrement de la part de l'association des comptes rendus sur l'évolution de leurs filleuls et sur la façon dont sont utilisés les fonds. Un gage de transparence qui renforce la confiance des donateurs et les conforte sur l'utilité de leur implication. Il existe plusieurs types de parrainage, classés de la manière suivante dans un rapport de la Cour des comptes153 :

§ le parrainage individuel, qui soutient un enfant en particulier;

§ le parrainage collectif personnalisé, qui soutient la communauté d'un enfant mis en avant pour servir d'ambassadeur;

§ le parrainage de projet, qui profite à une communauté ou un projet sans qu'un individu ne soit incarné.

4.7 Partenariat humanitaire

Le don ne concerne pas que les donateurs individuels. Les entreprises s'intéressent aussi à la philanthropie et sont par conséquent amenées à participer. Comme c'est d'usage dans le secteur marchand, les organisations humanitaires tissent des relations privilégiées avec d'autres entités, en particulier avec des entreprises privées, et formalisent souvent cette collaboration sous la forme d'un partenariat. Ce concept a été défini par Guy Pelletier, professeur titulaire au Département d'études en éducation et d'administration de l'éducation, qui le caractérise comme « un projet partagé entre deux ou plusieurs organisations et se manifestant par l'échange formalisé de personnes, d'informations ou de ressources154 ». Les partenaires coopèrent ensemble dans le but de mener à bien un projet commun où chacun y trouve son propre intérêt, c'est une relation gagnant-gagnant. Les diverses formes de partenariats possibles permettent aux parties prenantes d'être plus fortes, plus visibles. Mais si certaines d'entre elles peuvent avoir en surface un objectif philanthropique, l'implication grandissante des entreprises dans des actions humanitaires suppose que leur engagement ne sert pas uniquement des intérêts liés à la cause. Il offre aussi des opportunités servant leur propre condition : les entreprises profitent notamment d'incitations fiscales avantageuses et utilisent cette voie pour valoriser leur action et leur image autant en interne qu'en externe.

Pour les ONG, ces collaborations offrent aussi de nombreux bénéfices, notamment relationnels et financiers, c'est pourquoi elles développent fortement cette thématique sur leur site Internet en réservant un espace dédié et en allouant des ressources humaines chargées de créer ces alliances.

152 Lefèvre, La communication des ONG humanitaires, p.121

153 « Le parrainage international », Rapport sur des organismes bénéficiant de dons (Cour des comptes, mars 2012), p.22-23, (consulté le 27 mai 2019),

https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/Rapport_parrainage_international.pdf

154 Florent A Meyer, Le challenge partenarial: réussir ses partenariats, l'art de la création et de la maîtrise des synergies gagnantes (Paris: Lexitis éd., 2011), p.35

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

Nous listons ci-dessous, de manière non exhaustive, plusieurs types de partenariats :

4.7.1 Produit partage

Il s'agit d'un produit commercialisé par une entreprise à destination des particuliers et dont une partie

du prix de vente est reversée au profit d'une association. Les avantages sont multilatéraux : cela permet de consommer de manière solidaire et de donner du sens à son achat sans que le prix habituel ne soit majoré. L'entreprise diminue sa marge mais en profite pour faire une opération de communication et améliorer son image de marque à moindre coût. L'association gagne en visibilité et bénéficie des recettes de la vente, ce qui lui permet de diversifier ses ressources. L'Observatoire de la philanthropie a estimé la part de dons non-déduits issus de la vente de ce type de produits à 29 millions

155.

d'euros en 2015

4.7.2 Mécénat d'entreprise

Pleinement intégré dans les démarches RSE, qui après un effet de mode sont véritablement en train

de transformer tous les domaines professionnels, le mécénat se définit comme « un soutien financier, humain ou matériel, sans contrepartie directe, apporté par une entreprise au profit d'une cause d'intérêt général156 ». Cet apport est considéré comme un don d'un point de vue fiscal et comptable et bénéficie d'un régime fiscal avantageux. Ce soutien peut prendre plusieurs formes :

§ le mécénat financier, qui représente une part de 84 % du budget total157 et qui concerne un apport en numéraire ou en subventions;

§ le mécénat en nature qui permet de donner des biens, des marchandises, des prestations de services;

§ le mécénat de compétence qui se développe fortement et qui consiste à mettre à disposition gratuitement du personnel ou des prestations dans son propre domaine professionnel. Cette dernière discipline prend aussi le nom de pro bono, par exemple lorsqu'une agence de communication travaille gratuitement sur la création d'une campagne de collecte ou dans le cas d'un partenariat média, quand un diffuseur met à disposition gratuitement (ou à tarif réduit) un espace publicitaire.

La responsable des partenariats privés de l'UNHCR France, Estelle Morange décrit dans une interview qu'elle nous a accordée, les nombreux bénéfices du mécénat de compétence:

« Cela permet aux entreprises de montrer, en interne comme en externe, leur engagement pour des causes d'intérêt général sans engager de frais importants; de fédérer et de motiver leurs collaborateurs en leur proposant des missions singulières ; d'obtenir une réduction fiscale ; mais aussi de réaffecter certains employés proches de la retraite.»

Dans son aspect juridique, le mécénat d'entreprise passe généralement par la création de fondations ou de fonds de dotation. Véritables bras philanthropiques des entreprises, ces structures ont évolué depuis la loi de modernisation de l'économie de 2008 et offrent différents avantages que nous ne détaillerons pas dans ce mémoire.

155 « Panorama national des générosités », avril 2018, p.37

156 « Mécénat d'entreprise : définition, fiscalité, exemple », 11 février 2019, (consulté le 18 juin 2019), https://www.journaldunet.fr/management/guide-du-management/1204904-mecenat-d-entreprise/

157 « Le mécénat d'entreprise en France », (consulté le 17 mai 2019),

http://admical.org/sites/default/files/uploads/admical-le_mecenat_dentreprise-infographie.pdf

60

PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

Il existe aussi des fondations « abritantes » comme la Fondation de France ou CARITAS, qui regroupent des fondations et d'autres entités juridiques proches. Ces structures offrent aux entreprises la puissance de leur réseau, un appui administratif et juridique et la gestion financière de leurs activités de mécénat contre le paiement d'une cotisation. À savoir que certaines fondations « abritantes » récoltent elles-mêmes des fonds pour financer des projets sociétaux.

Le coup de pouce fiscal de l'État est un moteur important pour les mécènes qui déduisent tout ou partie des sommes investies de leurs impôts. En revanche, ce n'est pas l'unique levier de motivation car il ressort que seulement la moitié des entreprises déclarent leurs dons à l'administration158. La contrepartie se situe alors sur les bénéfices en termes d'image et de reconnaissance qui sont profitables pour les entreprises et leur marque. Cet engagement philanthrope leur permet en outre, de construire ou de développer des relations avec des partenaires, d'exprimer et d'incarner les valeurs de l'entreprise via une démarche de communication originale. Cependant, Estelle Morange précise que les gains fiscaux et communicationnels des entreprises sont limités par des lois encadrant les usages et qu'à travers le mécénat, les entreprises cherchent avant tout à servir des causes d'utilité publique.

La promotion des actions de mécénat par les entreprises ou les individus diffère suivant les pays et suivant les cultures. En Asie et au Moyen-Orient, c'est plutôt la religion, les coutumes ou les habitudes familiales qui incitent les mécènes à donner afin d'améliorer la société. Les américains affichent volontiers leurs soutiens au grand public à l'image de Bill Gates et de sa fondation, alors que les européens, qui sont les deuxièmes plus gros contributeurs après les États-Unis, se veulent « plus discrets cachant parfois leurs gestes altruistes. Le mécénat est plutôt considéré comme un devoir que l'individu se doit d'effectuer s'il en a les moyens159 ». Estelle Morange confirme cette pudeur habituelle sur le Vieux Continent mais ajoute que cette discrétion a récemment été remise en cause en France avec la médiatisation des centaines de millions d'euros promis par de grands donateurs pour reconstruire la cathédrale Notre-Dame de Paris. De plus, cet épisode a laissé dans le flou les observateurs sur la part réelle donnée par ces milliardaires en tant qu'individu privé ou celle versée par leurs entreprises via leurs fondations.

Doit-on pour autant en conclure qu'on se rapproche du modèle américain ? Une chose est sûre, la médiatisation outrancière des dons semble contraire au principe désintéressé de l'altruisme.

D'après une étude sur le mécénat d'entreprise en France, publiée par Admical en octobre 2018, le mécénat a concerné 9 % des entreprises françaises en 2017 pour un budget compris entre 3 et 3,6 milliards d'euros160. Comme il est estimé que la moitié des entreprises ne déclarent pas leurs dons ou seulement de façon partielle, les institutions financières étatiques communiquent des chiffres inférieurs, basés uniquement sur les dons déclarés.

158 « Baromètre du mécénat d'entreprise - Les chiffres-clés 2018 », Admical, octobre 2018, (consulté le 17 mai 2019), http://admical.org/contenu/barometre-du-mecenat-dentreprise

159 « Les tendances de la philanthropie », Chari-T, 4 novembre 2016, (consulté le 18 juin 2019), https://www.chari-t.fr/news/a-la-une/les-tendances-de-la-philanthropie

160 « Baromètre du mécénat d'entreprise - Les chiffres-clés 2018 » , Admical, octobre 2018, (consulté le 17 mai 2019), http://admical.org/contenu/barometre-du-mecenat-dentreprise

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

Si nous prenons en compte les statistiques du ministère des Finances, nous pouvons noter une tendance à la hausse :

« Entre 2010 et 2016, le nombre d'entreprises ayant déduit des dons de l'impôt sur les sociétés au titre du mécénat a été multiplié par 2,5 passant de 28 000 à 73 500. De la même façon, le montant des dons déclarés est passé

161

de 945 millions d'euros en 2010 à 1,7 milliard en 2016 (multiplié par 1,8) . »

Une tendance qui s'est poursuivie en 2017 puisque la DGFIP a comptabilisé un total de 2 milliards d'euros versés par 82 000 entreprises162.

Au-delà des sommes parfois élevées, le seul véritable indicateur de générosité des entreprises reste pour Estelle Morange le pourcentage d'investissement qu'elles réservent à des oeuvres de bienfaisance par rapport à leur chiffre d'affaire annuel. Dans la surenchère des chiffres, il apparaît important de prendre en compte cet aspect pour valoriser les entreprises qui proportionnellement se montrent plus généreuses.

Le mécénat d'entreprise a été initié en France par des grandes entreprises du CAC 40 avant de se généraliser par effet miroir à de plus petites entités souhaitant soutenir des causes altruistes. Initialement réservé aux grandes entreprises (car ce sont celles pour lesquelles le mécénat coûte le moins cher), la participation des PME/TPE est de plus en plus significative et a représenté 22 % de l'enveloppe en 2016. Cette somme se répartit au niveau local, régional, national ou international entre diverses activités : le social (qui comprend notamment l'aide à la création d'emploi, la défense des droits et l'aide à l'entreprenariat social), est soutenu à hauteur de 28 %, la culture et le patrimoine à 25 %, l'éducation à 23 %, la santé à 11 %, l'environnement à 7 %, le sport à 2 % et la recherche à 1 %. Le domaine de la solidarité internationale, quant à lui, ne représente que 4 % des investissements163.

En fonction des sommes en jeu, ces partenariats peuvent avoir une influence sur les missions et modifier le discours des associations. Sans parler de lobbying, les entreprises peuvent en effet avoir un poids sur les décisions prises par leur partenaire, sur l'arrêt ou la poursuite d'une mission ou sur le message qui est porté. Une vigilance à cet égard est nécessaire pour conserver les valeurs d'indépendance, de neutralité et de désintéressement, chères au milieu associatif et humanitaire en particulier.

De nombreux autres types de dons humanitaires existent à l'instar de la générosité embarquée. Nous ferons un focus sur certaines de ces pratiques innovantes de collecte dans la Partie III, sous-partie 4, Les formes émergentes de communication humanitaire et de collecte digitale.

161 « Baromètre du mécénat d'entreprise - Les chiffres-clés 2018 » , Admical, octobre 2018, (consulté le 17 mai 2019), http://admical.org/contenu/barometre-du-mecenat-dentreprise

162 « Baromètre du mécénat d'entreprise - Les chiffres-clés 2018 »

163 « Le mécénat d'entreprise en France » , (consulté le 17 mai 2019),

http://admical.org/sites/default/files/uploads/admical-le_mecenat_dentreprise-infographie.pdf

62

PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

5. Les causes soutenues

Le choix des causes à promouvoir est soumis à des antagonismes. Nous l'avons vu, d'un côté les fundraisers sont amenés, dans une logique de marché, à collecter sur celles qui sont les plus porteuses et de l'autre, les questions déontologiques les encouragent à proposer une visibilité égale des crises. Cette réflexion ambivalente, qui se pose en amont par les services de collecte et les membres du directoire des organisations, ne semble pas partagée en aval par les donateurs. D'après une étude qualitative de la Fondation de France intitulée Motivations et valeurs associées au don, « les causes sont perçues comme un ensemble sans aspérités particulières. Les donateurs se refusent à les comparer ou à en faire une hiérarchie : la souffrance humaine est un absolu164 ». Pourtant, nous l'avons vu, Anne Fouchard décrit et condamne l'existence d'une échelle de popularité des victimes qu'elle nomme pour rappel : « les pures [...], les innocentes [...], celles qui ont quelque chose à se reprocher [...] et les désespérantes [...]165. »

Comme les victimes constituent le sujet principal des communications humanitaires contemporaines, il est logique de considérer que cette différence d'affection de la part du public à une conséquence directe sur les crises. Il est utile de savoir que les dons soumis à une crise particulière sont affectés exclusivement à celle-ci. Par conséquent les programmes les moins promus sont susceptibles de collecter moins, ce qui au final peut impacter le programme et pénaliser les bénéficiaires.

Pour contourner ce dilemme, les associations récoltant de l'argent tendent à favoriser les dons non affectés, notamment pour les dons réguliers, ce qui leur permet une plus grande liberté d'action et une facilité de gestion. L'UNHCR France communique dans ce sens pour favoriser la non affectation : « Dans le cadre d'un don régulier, votre don sera affecté aux opérations prioritaires du HCR sur le terrain selon les besoins. Par conséquent, il pourra être réaffecté en fonction des besoins réels sur le terrain ». MSF en fait de même « Nous donnons la priorité aux fonds non affectés : ils nous donnent la capacité d'utiliser l'argent selon les besoins du terrain et d'intervenir immédiatement en cas d'urgence ».

Dans ce contexte, il est difficile de donner des indications figées sur les causes les plus porteuses étant donné que toutes les crises ne bénéficient pas du même niveau de médiatisation. Cependant, de nombreuses études quantitatives ont été menées sur le sujet et nous montrent que les donateurs ne soutiennent pas toutes les causes de la même manière. À l'échelle nationale, les causes les plus soutenues sont celles de proximité comme l'aide et la protection de l'enfance ainsi que la lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Dans une étude réalisée auprès d'un échantillon de Français, Kantar donne les grandes tendances de la générosité en 2018 et indique que ces causes sont soutenues respectivement par 33 % et 29 % des personnes interrogées166. Viennent ensuite l'aide aux personnes âgées (29 %) et le soutien à la recherche médicale (27 %).

Une autre étude qui se penche sur la confiance des donateurs montre que dans tous les domaines (lutte contre la pauvreté et l'exclusion, soutien aux projets dans les pays en développement, aide aux personnes malades ou handicapées, aide d'urgence aux populations victimes de catastrophes naturelles ou d'épidémies, protection de l'environnement...), les associations et les fondations sont, pour les donateurs, plus légitimes que l'État pour traiter ces causes167.

164 « Motivations et valeurs associées au don », 2001, p.17

165 Fouchard, La communication des ONG humanitaires, p.139

166 Kantar, « Le portrait robot du donateur du futur»

167 « Baromètre de la confiance - Vague 8 - TNS Sofres pour le Comité de la Charte»

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

Cet indicateur nous montre que ces structures semblent avoir pris le relai du politique dans l'esprit des Français, ce qui nous permet théoriquement de croire que sur ces sujets, les donateurs seraient prêts à faire un geste pour aider les associations qui s'en occupent plutôt que de laisser cette responsabilité à l'État.

Concernant les causes d'urgence faisant suite à des catastrophes naturelles, cette même étude montre que la confiance est mitigée : à cause de la précipitation que ce type d'intervention engendre, 46 % n'ont pas confiance et craignent que les fonds ne soient pas réellement affectés.

En fonction de l'âge, la préférence des causes diffère : « Les jeunes (moins de 35 ans) sont particulièrement attentifs à l'actualité et aux causes urgentistes tandis que les plus de 50 ans sont sensibles à la protection des plus faibles168. » Le choix des thèmes à aborder en fonction des cibles est donc déterminant et une segmentation spécifique des tranches d'âge dans la base de données pourrait faire sens.

6. La typologie des donateurs

Pour avoir un panorama complet du don, il paraît essentiel de s'arrêter sur le donateur et d'en étudier le profil. À travers une analyse des statistiques, nous nous attarderons sur le sociotype des donateurs français afin d'essayer de mieux les connaître et de comprendre ce qui les motive. Le site Internet Linternaute donne une définition du mot sociotype : « une catégorie, créée d'après une analyse sociologique, définie selon le caractère de ses membres169. » Dans un second temps, nous prendrons une approche plus générationnelle des donateurs pour définir différents segments cibles à travers l'utilisation de personae. Dans la discipline qui nous intéresse, l'objectif de cette catégorisation est de faire un portrait-robot des donateurs et de comprendre comment chacun s'identifie à la marque.

6.1 Aperçu des profils de donateurs grâce aux statistiques globales

La société Kantar, spécialisée dans les études de marché et marketing, annonce que 5,5 millions de foyers français ont fait un don en 2018. Plus de la moitié de nos concitoyens sont concernés par le don d'argent (56 % déclarent soutenir financièrement des associations et fondations et 44 % donnent au moins une fois par an).170 Parmi eux, près d'un tiers ont plus de 73 ans et la moitié plus de 50 ans. Le soutien fidèle de cette génération de donateurs vieillissants constitue actuellement le socle des collectes des ONG, ce qui pose des questions quant à leur pérennité.

L'enjeu pour les fundraisers est de se tourner vers l'avenir et d'accrocher de nouvelles générations avec des pratiques innovantes qui leur correspondent mieux. Les statistiques indiquent que la part des jeunes

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donateurs augmente en France, ils étaient 24 % à avoir moins de 35 ans en 2018 et 67 % ont déclaré

avoir déjà fait un don à une association ou à une fondation172. Prendre en compte ce taux non négligeable impose d'adapter les modes de collecte à cette cible portée sur d'autres canaux, notamment digitaux.

168 « France générosités - Les chiffres clés de l'année 2018 », francegenerosites, 4 avril 2019, (consulté le 24 juin 2019), http://www.francegenerosites.org/chiffres-cles/

169 « Sociotype : Définition simple et facile du dictionnaire », (consulté le 18 juin 2019), https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/sociotype/

170 Kantar, « Le portrait robot du donateur du futur»

171 Kantar, « Le portrait robot du donateur du futur»

172 « FG-CP-Ifop-Donateurs-du-futur-1.pdf », (consulté le 18 juin 2019),

http://www.francegenerosites.org/wp-content/uploads/2018/11/FG-CP-Ifop-Donateurs-du-futur-1.pdf

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France générosités a publié fin 2018 les résultats de son enquête sur le profil du donateur du futur en expliquant qu'il représente un enjeu crucial pour le secteur : 43 % des donateurs de 18-35 ans seraient prêts à organiser une collecte en sollicitant leurs proches via les réseaux sociaux et 57 % seraient enclins à participer à celle d'un proche. Étrangement, seulement 13 % de cette même cible ont répondu à un appel à don d'une association sur les réseaux sociaux173, ce qui nous montre que s'approprier les outils n'est pas une fin en soi pour les ONG, il faut aussi adapter le discours et la forme.

Les jeunes sont disposés à aider leur prochain mais ils veulent être acteurs et pour les séduire, il faut pouvoir leur donner les moyens de s'impliquer. Le crowdfunding est une piste à prendre en compte, 24 % des donateurs de moins de 35 ans déclarent participer à des opérations de financement participatif en ligne alors que ce taux n'est que de 10 % parmi tous les donateurs confondus174. La collecte de rue (street marketing) rencontre aussi du succès chez les jeunes car étant sur-sollicités dans la sphère digitale, ils seraient susceptibles de privilégier de nouveau des échanges plus humains.

D'un point de vue du genre, la répartition femmes-hommes est presque à l'équilibre puisque 53 % des donateurs sont des femmes, mais d'un point de vue géographique il a y a d'importantes disparités entre les régions. La région Grand Est arrive en tête pour la densité de ses donateurs (proportion parmi les foyers fiscaux imposés), et l'Ile-de-France pour le don moyen. Avec l'Auvergne-Rhône-Alpes, ces trois régions réunissent 54 % du total national des montants déclarés. On peut noter aussi des différences entre la densité des donateurs et le montant moyen du don. Ainsi, « la Bretagne figure en deuxième rang pour la densité de ses donateurs, mais seulement en 12ème rang pour le don moyen. Inversement, la région PACA se place au 2ème rang pour le don moyen, mais seulement au 12ème rang pour ce qui concerne la densité des donateurs »175. Ces disparités nous éclairent sur le fait que les régions habitées par des personnes ayant les moyens ne sont pas automatiquement les plus généreuses et qu'un bon équilibre entre un nombre de donateurs important et un don moyen élevé est nécessaire.

Pour avoir une vision illustrée, nous pouvons nous référer aux cartes de la répartition des donateurs par département ci-contre.

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173 « Etude sur le donateur du futur - Novembre 2018 », francegenerosites, 21 novembre 2018, (consulté le 18 mai 2019), http://www.francegenerosites.org/etude-donateur-futur/

174 Kantar, « Le portrait robot du donateur du futur»

175 Bazin, Duros, et Malet, « La générosité des Français 2018 »

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

Source: Direction générale des Finances publiques. Carte extraite de La générosité des Français,
23ème édition, novembre 2018.

Source: Direction générale des Finances publiques. Carte extraite de La générosité des Français,

23ème 176.

édition, novembre 2018

176 Bazin, Duros, et Malet, « La générosité des Français 2018 »

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

La pratique d'une religion favorise le don même si les statistiques en France font moins ressortir ce facteur que dans d'autres pays. Des chiffres précis sur ce critère vu comme discriminant sont difficiles à obtenir mais un sondage de TNS Sofres basé sur des questionnaires suggère une nette influence des convictions religieuses sur le don et souligne « une corrélation élevée avec la pratique religieuse (la pratique, et non la croyance) ».

Cette même étude qualitative nous donne des indications sur la catégorie sociale et le niveau d'étude des donateurs, « deux caractéristiques fortement déterminantes de l'aisance financière, qui suggèrent que l'on donne plus facilement quand on a les moyens ».177

Pour globaliser et donner un profil type du donateur des organisations humanitaires, nous pouvons utiliser la synthèse du directeur de la communication d'ACF Jean-François Riffaux qui aborde cette question dans un reportage radiophonique sur France Culture :

« Le donateur moyen d'ACF ressemble beaucoup au donateur moyen des grandes ONG françaises : il a plus de 55 ans, il donne en moyenne 80 € par an, il est fidèle, c'est à dire qu'il donne depuis plusieurs années, 5,6,7 ans. Il donne à 5 ou 6 associations pas uniquement à ACF. Nous à ACF, des donateurs de ce profil-là, on en a à peu près 200 000 réguliers178. »

À travers une approche souvent marketing, ces enquêtes ou interviews nous donnent des pistes pour comprendre le sociotype des donateurs. Connaître ensuite leurs pratiques, nous permet d'envisager les usages à venir et les canaux à utiliser pour renouveler le panel de donateurs. Par exemple, une enquête fait ressortir que « 36 % des Français ne connaissent pas le principe du micro-don en magasin mais 2/3 d'entre eux seraient prêts à utiliser cette forme de don179 ». Il y a donc tout un travail pédagogique à faire de la part des associations pour expliquer les évolutions et les nouvelles formes de don. La communication peut alors jouer un rôle déterminant dans la diffusion de cette information.

6.2 Focus personae

Pour comprendre leurs cibles et adapter la communication à leurs besoins, les professionnels du marketing des filières marchandes font appel aux personae. Le site définitions-marketing en donne la définition : « Un personae est, dans le domaine marketing, un personnage imaginaire représentant un groupe ou segment cible dans le cadre du développement d'un nouveau produit ou service ou d'une activité marketing prise dans sa globalité180. »

Adfinitas, qui se définit sur son site Internet comme « la seule agence de communication européenne indépendante dédiée aux acteurs de la générosité », expose dans une présentation à destination de ses clients, des personae multigénérationnels créés à partir d'études quantitatives et qualitatives.

177 « Donateur, qui es-tu ? », Kantar, 10 octobre 2013, (consulté le 19 mai 2019), https://www.tns-sofres.com/publications/donateur-qui-es-tu

178 Michel Pomarède, « Où va l'humanitaire ? », LSD, La série documentaire, (consulté le 25 juin 2019), https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/ou-va-lhumanitaire-34-soigner-temoigner-critiquer-msf-sur-tous-les-fronts

179 « Etude sur le donateur du futur - Novembre 2018 », francegenerosites, 21 novembre 2018, (consulté le 18 mai 2019), http://www.francegenerosites.org/etude-donateur-futur/

180 B Bathelot, « Persona en marketing », in Définitions marketing, 12 janvier 2018, (consulté le 24 juin 2019), https://www.definitions-marketing.com/definition/persona-en-marketing/

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Ceux-ci permettent de dresser un portrait des grandes générations de donateurs ainsi que de leur personnalité, leurs attentes et leurs usages.

Les donateurs seniors de plus de 73 ans appartiennent à une génération où la solidarité fait partie de leur ADN, de leur culture, de leur tradition et qui est parfois issue de leur appartenance à une religion ou de leur lien avec le militantisme. En dehors des personnes âgées qui sont laissées de côté dans cette présentation car elles n'utilisent qu'un seul canal (le mailing papier), l'agence définit 4 autres générations :

§ les boomers qui ont entre 54 et 73 ans;

§ la génération X de 39 à 54 ans;

§ la génération Y de 21 à 39 ans;

§ la génération Z de 0 à 21 ans.

L'agence qualifie la première de « leaders rebelles », de révolutionnaires nostalgiques. Ils sont fiers de leur réussite, jeunes dans leur esprit, en quête de concret. Ils sont généreux, approuvent la transition digitale et les innovations. Ils sont optimistes mais réalistes.

La génération X comprend des « actifs réalistes ». Ils sont des décideurs impliqués, en quête d'équilibre et de défis valorisants. Ils aiment remettre en question, critiquer. Ils sont enthousiastes à propos du digital et actifs sur les réseaux majeurs.

La génération Y est surnommée « génération why? ». Ils cherchent du sens mais restent ouverts au changement, ce sont des hédonistes curieux mais parfois impatients. Ils sont mobiles, connectés, achètent des produits via le digital. Ils sont hyper sociaux mais restent individualistes au sein du groupe.

La génération Z regroupe des « narcissiques connectés ». Ils sont entrepreneurs créatifs, engagés très tôt et sans barrière. Ils cultivent leur réseau et veulent tout, tout de suite, bien qu'ils soient novices. Ils sont dépendants au digital mais parfois blasés par la technologie.

Pour mettre en perspective ces personae, nous pouvons nous appuyer sur des interviews qualitatives réalisées pour l'Observatoire de la générosité et du mécénat en 2001. Ce rapport fait ressortir quatre profils-types de donateurs, caractérisés par des attitudes et des comportements différents : les éprouvés, les militants, les épargnés et les généreux :181

Les éprouvés sont:

« Des donateurs jeunes dans notre échantillon (ils ont entre 30 et 40 ans), de catégorie socio-professionnelle modeste, qui ont déjà eu à vivre de la générosité d'autrui et qui côtoient encore la pauvreté dans leur vie quotidienne. Leurs dons sont modestes, le plus souvent de la main à la main, ou en nature. Le geste de don est très peu rationalisé, il répond à une sollicitation de nature émotionnelle. Ces donateurs sont méfiants à l'égard des associations de façon générale qui s'apparentent, pour eux, à des institutions, souvent opaques.»

Les militants sont:

« Des jeunes adultes qualifiés qui ont

des convictions politiques
progressistes, écologistes, et/ou des préoccupations spirituelles. Leurs dons sont réfléchis, programmés, souvent réguliers. Ils vont donner de préférence à des associations qui se positionnent comme des «contrepouvoirs» par rapport aux institutions et à l'État. »

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181 « Motivations et valeurs associées au don », 2001, (consulté le 15 mai 2019), https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/motivation_dons.pdf

PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

Les épargnés sont:

« Des baby-boomers de 40 à 60 ans, aisés

socialement et économiquement, qui se sentent privilégiés et épargnés par le sort et en conçoivent une dette (et une culpabilité) à l'égard des moins favorisés. Leur don est motivé par le souci de préserver un équilibre perçu comme instable entre les pauvres et les riches, le Nord et le Sud... Leurs dons sont le plus souvent réguliers et vont, en général, à plusieurs associations, perçues à la fois comme relais et palliatif aux insuffisances de l'État.»

Les généreux sont le plus souvent:

« Des seniors de catégorie socio professionnelle

supérieure, parfois retraités, qui conçoivent le don comme une forme de générosité, de responsabilité et de libéralité qui découle de leur statut social. Leurs dons peuvent être très importants [...] [et] les causes et associations aidées sont souvent multiples [...]. L'acte de don est rationnel, planifié, il s'inscrit dans une praxis choisie ou héritée, la tradition familiale étant un facteur déterminant dans le comportement de ce type de donateurs.»

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À cette liste, nous pouvons ajouter les grands donateurs souvent nommés Grands Do par les professionnels du milieu. La société Oktos, spécialiste du Big Data et du marketing, a épluché les bases de données de huit fondations et de sept associations comptant au total 8,8 millions de donateurs, pour livrer une étude sur cette cible particulière, choyée par les organisations182. Il apparaît que les Grands Do ont financé 23 % de la collecte totale en 2017. Leurs dons sont supérieurs à 1 000 € et atteignent 3 889 € en moyenne sur l'année. Les organisations distinguent aussi les Très Grands Do, ceux qui démarrent à 5 000 €. Ils représentent 0,1 % des donateurs les plus généreux et 11,5 % de la collecte totale.

Il ressort que les personnes qui constituent ces deux segments sont fidèles dans leur don et vis-à-vis des structures qu'elles soutiennent, souvent plus de deux en moyenne. Ces donateurs sont « très localisés dans les zones les plus riches, âgés comme le sont tous les donateurs, comprennent beaucoup plus d'hommes que de femmes183 ». Ils saisissent les opportunités de défiscaliser, notamment via l'IFI, mais dans un contexte où les optimisations fiscales ont été bouleversées, France générosités insiste sur la nécessité d'avoir une stratégie pour séduire les Grands Do et les Très Grands Do. Celle-ci passe notamment par une communication ciblée, privilégiant des messages spécifiques et une relation personnalisée.

Par relation personnalisée, nous entendons une communication one to one ou one to few consistant à avoir un dialogue direct en face à face, à distance ou par le biais de réunions en petit comité (colloques, séminaires...). L'inverse de la communication de masse. De plus, il est important de construire des opérations de collecte qui leur sont exclusivement dédiées, ayant des objectifs à la hauteur de leur participation et de garder un contact régulier avec eux sans pour autant trop les solliciter.

182 « Etude grands donateurs 2017 de France générosités », francegenerosites, 16 octobre 2017, (consulté le 25 juin 2019), http://www.francegenerosites.org/ressources/etude-grands-donateurs/

183 « Etude grands donateurs 2017 de France générosités»

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don 7. Les motivations des donateurs

Après avoir étudié la typologie des donateurs, nous tentons ici de comprendre quels sont les principaux moteurs de l'altruisme. Nous verrons que la confiance est une des conditions essentielles du don, tout comme l'appartenance à une communauté et le respect des obligations morales liées au statut social. Mais au final les motivations sont multiples et bien souvent propres à chacun.

7.1 La confiance

Une des conditions essentielles pour déclencher un don est la confiance que le donateur voue à une association. Nous l'avons vu, le donateur a besoin de savoir si la promesse est bien tenue, si la cause est bien défendue. Pour cela, il s'appuie sur les informations que l'association lui fournit, notamment sur l'action menée et sur la façon dont sont utilisés les fonds. La notion de confiance est primordiale dans cette relation surtout face aux nombreux scandales qui ont écorné l'image de l'ensemble des structures. Les affaires d'abus de biens sociaux de l'ARC en 1996 et plus récemment d'accusation d'abus sexuels au sein du personnel d'OXFAM ne sont que quelques exemples.

Un sondage TNS Sofres réalisé en 2015 auprès de 1 000 personnes représentatives de la population française184, indique que seules 56 % des personnes interrogées ont confiance dans les associations et fondations faisant appel aux dons, même si ce taux affiche une progression depuis 2012. Ce sondage nous donne aussi des indications sur les leviers de confiance. Nous relèverons ici simplement les éléments qui concernent la communication pour montrer qu'elle est un des facteurs clés dans la construction de la confiance. Les éléments importants qui ressortent sont : « l'affichage clair des missions, la gestion rigoureuse des dons, la communication avec les donateurs et les liens qu'elles tissent avec eux. »

À noter qu'en bas de tableau arrive « la façon dont les structures se présentent sur Internet et ce qui se dit d'elles sur Internet », ce qui nous montre à quel point Internet n'est pas encore un média de poids pour construire la confiance avec les donateurs. Un manque pour lequel la communication digitale peut tenir un rôle majeur à l'avenir, particulièrement pour viser les jeunes générations.

7.2 L'appartenance à une communauté

Comme nous avons pu l'expliquer précédemment, faire un don est un ferment du lien social même si cette notion est remise en cause dans le cas des dons anonymes et l'expansion du digital. Il y a une volonté d'affirmer son appartenance à une communauté et d'aider les personnes qui en font partie. La communauté peut être entendue au sens large (religion, nation, humanité entière...) et c'est finalement l'idée d'égalité des droits entre les hommes qui favorise ces principes humanistes.

Dans ce sens, une enquête qualitative réalisée par TNS Sofres pour France générosités en 2013 nous révèle que certains font des dons par compassion ou par besoin de se sentir utiles. Les personnes interviewées expriment aussi leur envie d'être intégrées à un groupe, elles souhaitent « créer quelque chose ensemble » et ont « envie de sentir qu'on est ensemble, [qu'] on participe à quelque chose » 185.

184 « Baromètre de la confiance - Vague 8 - TNS Sofres pour le Comité de la Charte»

185 « Donateur, qui es-tu ? », Kantar, 10 octobre 2013, (consulté le 19 mai 2019), https://www.tns-sofres.com/publications/donateur-qui-es-tu

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PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

Le don est une manière de replacer l'humain au centre en abolissant l'argent et en laissant de côté, un temps, la société économique, matérialiste dans laquelle nous vivons :

« Renoncer à son argent pour restaurer un autre être humain dans sa dignité, son existence, au seul motif qu'il est un être humain. L'aide apportée à son semblable vaut dans ce geste plus que les bénéfices qu'aurait apporté la somme donnée186. »

7.3 Le statut et la classe sociale

À travers le don, il s'agit également d'affirmer son statut et de montrer sa prospérité. Le don devient alors un comportement normal qui va de pair avec l'accès à une certaine classe sociale et l'acceptation de ses usages. Marie-Claire Villeval, directrice de recherche au CNRS, indique que « l'individu est sensible au fait que d'autres proches donnent ». L'acte de don peut alors résulter d'une pression sociale liée à son entourage ou à son statut dans la société. Cette même chercheuse s'appuie sur la neuro-économie pour expliquer les mécanismes que provoquent le don. L'imagerie médicale révèle une augmentation significative de l'activité neuronale : « Cela traduit un gain en terme d'amour-propre, de statut, de sensation de « faire sa part ».187

7.4 Des motivations propres à chacun

Les entretiens réalisés par TNS Sofres188 nous dévoilent la grande diversité des motivations chez les donateurs. S'il n'est pas utile de tous les citer, en mentionner quelques-unes nous permettra d'avoir un aperçu représentatif. Certains attendent de la réciprocité « demain ça pourrait être moi » ; d'autres le font par compassion « Le Tsunami, si on n'avait pas vu les images » ; d'autres encore le font par habitude (le don mensuel induit cette notion) ou parce que c'est la norme « c'est la moindre des choses de donner de l'argent pour les aider ». Donner peut aussi être un acte gratifiant : « faire ce type de geste ça me donne l'impression de faire une chose importante ».

En étant confronté aux « misères du monde », le donateur ressent une certaine culpabilité dont il a besoin de se libérer. L'aide humanitaire fait du bien à celui qui donne et sa générosité lui permet de s'offrir, à peu de frais et avec un engagement minime une bonne conscience tout en sachant que l'injustice demeure. Les religions ont aussi une influence sur le don car il permet de racheter ses péchés : « Plutôt que de changer de comportement au quotidien, cette algèbre du don permet de se racheter une conduite189. » Enfin, un geste de charité peut être un moyen pour certains de se défaire d'un mauvais sort. L'idée étant de faire un sacrifice pour s'acquitter de quelque chose.

186 « Motivations et valeurs associées au don », 2001, p.13, (consulté le 15 mai 2019), https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/motivation_dons.pdf

187 Fabien Mulot, « Donner, pour se donner bonne conscience », L'écho des Jéco, 9 novembre 2012, (consulté le 19 mai 2019),

http://www.journeeseconomie.org/blog/index.php?post/2012/11/09/Donner,-pour-se-donner-bonne-conscience

188 « Donateur, qui es-tu ? », Kantar, 10 octobre 2013, (consulté le 19 mai 2019), https://www.tns-sofres.com/publications/donateur-qui-es-tu

189 « Motivations et valeurs associées au don », 2001, p.12

PARTIE II - Approche économique et sociologique du don

Pour clore cette partie, nous remarquons que le don ne parait finalement pas tant un acte désintéressé mais résulte d'un intérêt bien souvent personnel. Il a de multiples implications qui relèvent d'une alchimie entre la raison, la passion, l'éducation mais aussi l'occasion. Une étude de la Fondation de France basée sur des interviews qualitatives va même plus loin et annonce qu'il peut correspondre à :

« une nécessité de récréation d'un horizon existentiel et social au-delà des réalités omniprésentes (le pouvoir de l'argent, l'individualisme), ou du recul du symbolique (dépolitisation, recul des idéologies et des religions)190 ».

Une autre enquête se base sur les théories comportementales développées par Daniel Kahneman pour classer ces comportements en deux catégories:

« D'un côté les leviers «réfléchis» ou «raisonnés», qui renvoient dans l'ensemble à la notion de contrat social ; et de l'autre les leviers découlant du mode de fonctionnement associatif du cerveau et des intuitions/impulsions qu'il produit.»

Les premières motivations réfèrent à un comportement moral, raisonnable, légitime. Le don est vu comme quelque chose qui profite à tous et qui bénéficiera, même de manière indirecte, au donateur. Avec le second type de comportement, le don est plus intuitif ou impulsif, il est désiré et acté. Le contexte et les habitudes dictent au donateur ses comportements.

Nous conclurons avec cette phrase tirée de l'article qui commente cette enquête : « Au monde associatif de savoir en tirer parti. »

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190 « Motivations et valeurs associées au don », p.13, (consulté le 15 mai 2019), https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/motivation_dons.pdf

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PARTIE III - Veille à travers les pratiques émergentes de communication pour un renouveau

de la philanthropie digitale

PARTIE III - Veille à travers les pratiques émergentes de communication pour un renouveau de la philanthropie digitale

Les deux audits effectués dans les parties précédentes mettent en lumière la nécessité d'un renouveau de la communication humanitaire dédiée à la collecte de fonds, pour faire face à la baisse des dons et au vieillissement du bassin de donateurs fidèles. Afin de proposer un renouveau de la communication à destination des donateurs, nous nous proposons de rester focalisé sur les innovations digitales car nous pensons que c'est un des canaux les plus prometteurs pour moderniser les collectes de fonds.

Le profil du donateur change ainsi que ses méthodes d'engagement : autrefois fidèle envers les associations soutenues et régulier dans ses dons, il devient plus versatile et plus exigeant. Parfois idéaliste dans son ambition de « changer le monde », il cherche à travers son don à avoir un impact réel et exige de voir des preuves de la bonne utilisation des fonds, en toute transparence.

Parfaitement agile avec les outils digitaux, il est néanmoins difficile de capter son attention car il n'hésite pas à zapper d'une chose à une autre. Les réseaux sociaux et le digital de manière générale ont amené ce que les professionnels du marketing appelle le snacking content, où les utilisateurs privilégient les contenus courts, facilement lisibles, consommés à tous moments de la journée. Or dans la problématique humanitaire, produire ce type de contenu est délicat et peut même s'avérer risqué. Les sujets abordés étant complexes, souvent liés à des enjeux politiques et internationaux, faire le choix de les résumer ou de les simplifier peut amener, comme nous l'avons vu dans la Partie I, sous-partie Une rhétorique basée sur des modèles, à faire des raccourcis trompeurs.

Mais alors comment communiquer sur Internet pour capter l'attention des potentiels donateurs sollicités de toutes parts sur la toile ? Comment mobiliser les donateurs de demain ? Certaines ONG ont placé le numérique au coeur de leur stratégie de collecte, mais au-delà de l'adoption des outils émergents, toutes n'ont pas réussi à adapter leur approche, ce qui explique un engouement encore limité du public.

Se tenir informé des évolutions est primordial mais il s'agit aussi de déterminer comment communiquer sur ces plateformes. Quelle stratégie appliquer pour éviter de calquer sur les supports digitaux, ce qui se faisait à l'ère des fascicules papiers et des coupons-réponse ? Comment susciter de la confiance sur un média qui n'inspire pas les donateurs ? Pour apporter des éléments de réponses, il convient, dans un premier temps, d'appréhender le contexte avant d'analyser les pratiques digitales des Français ainsi que celles des donateurs. Nous ferons ensuite un tour d'horizon des pratiques digitales dominantes et émergentes qui nourrissent le secteur, avant de faire une veille sur les innovations amenées par la publicité dans d'autres domaines et qui seraient adaptables à l'univers caritatif.

1. Un contexte propice à la digitalisation

L'enjeu des ONG est l'appropriation du digital sous toutes ses formes et la maîtrise des nouvelles technologies pour s'adapter aux pratiques et proposer de nouveaux moyens de collecte aux donateurs de demain. Contraintes d'innover en permanence pour rester dans la course et continuer d'exister dans une sphère extrêmement concurrentielle, les organisations ont pris conscience du défi et ont d'ores et déjà entamé le virage du numérique, même si celui-ci demande un investissement peu rentable pour le moment. Une révolution certes énergivore pour les services de fundraising, mais

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nécessaire pour pérenniser le secteur et appréhender l'avenir. Ces derniers espèrent récolter le fruit de leur travail en s'adaptant aux modes de consommation des nouvelles générations de donateurs et en leur offrant des parcours d'engagement innovants, interactifs, multicanal et taillés sur mesure. Pour convaincre chaque frange d'individus ayant chacune ses spécificités et ses codes, les organisations ne peuvent plus se contenter de diffuser leur message de manière globale. L'ultra-personnalisation semble devenir la norme et ce n'est qu'en proposant un fundraising centré sur les générations, sachant s'adapter aux comportements singuliers de chacun que les structures parviendront à séduire de nouvelles niches de donateurs potentiels.

Depuis une vingtaine d'années, les nouvelles technologies bouleversent les stratégies de collectes mais bien qu'elles apportent de nombreux avantages en termes de diffusion, les montants récoltés sont encore mitigés. Une stratégie strictement digitale peine encore à conduire les prospects jusqu'à l'acte de don malgré des statistiques qui montrent un fort potentiel des canaux numériques.

La collecte digitale s'appuie sur un large spectre d'outils : mini sites dédiés (landing-pages), pages de dons, réseaux sociaux, cycles d'emails, bannières publicitaires (display), vidéos, crowdfunding... Les professionnels avisés tendent à considérer le digital comme un écosystème composé de multiples plateformes utilisant le réseau Internet pour diffuser des contenus. Il est de moins en moins envisagé comme un canal isolé mais trouve sa place au coeur de la stratégie globale de collecte.

En optant pour une diffusion multicanal du message, voire de plus en plus cross-canal, le fundraiser multiplie les accroches pour séduire les donateurs à la fois en ligne et hors ligne. Une stratégie multicanal est par définition « l'utilisation de plusieurs canaux de distribution indépendants pour commercialiser un produit ou une offre de service191 ». En diffusant une campagne à la fois sur les réseaux sociaux, par email et sur des bannières publicitaires dans des sites spécifiques, un communicant fait du multicanal. Cela permet de viser « un segment particulier de consommateur [où chacun des] canaux travaillent en silo indépendamment des uns et des autres192 ».

L'approche multicanal tend à être dépassée au profit du modèle cross-canal où « chaque canal propose [au consommateur] une expérience unique et adaptée à son mode de consommation193 ». Des messages distincts sont diffusés sur des canaux complémentaires qui vont, à travers une expérience utilisateur bien pensée, créer un parcours menant à l'acte du don ; et au-delà, notamment pour le remercier et le fidéliser. Le cross-canal utilise d'autres leviers que le digital, par exemple le télémarketing où un opérateur prend en main les dernières étapes du tunnel de conversion : transformer un prospect en donateur ou bien fidéliser un donateur régulier en lui suggérant de souscrire au prélèvement automatique.

Le modèle omnicanal pousse la relation client encore plus loin car c'est le client qui devient le canal ! « Une stratégie omnicanal est la fusion des canaux de distribution et donc la disparition des silos marketing, permettant ainsi d'avoir une vision 360° du client et proposer une expérience d'achat inégalée où l'ADN de [la] marque prend tout son sens194

191 Florian Pouvreau, « Stratégie Multicanal, Cross-canal et Omnicanal », 1FLUENCE DIGITALE, 6 septembre 2016, (consulté le 27 juin 2019),

https://www.1fluencedigitale.com/multicanal-cross-canal-omnicanal-definitions-exemples/

192 Pouvreau, « Stratégie Multicanal, Cross-canal et Omnicanal »

193 Pouvreau, « Stratégie Multicanal, Cross-canal et Omnicanal »

194 Pouvreau, « Stratégie Multicanal, Cross-canal et Omnicanal »

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2. Les pratiques digitales des Français

Internet est en passe de devenir le premier média devant la télévision d'un point de vue de la consommation quotidienne. D'après une étude menée par les sociétés Hootsuite et We Are Social sur l'usage d'Internet et des réseaux sociaux, les Français passent en moyenne 4h38 par jour en ligne195, un chiffre qui a quadruplé en 10 ans196. D'autres mesures, comme celles de l'agence Zenith197, sont plus modérées mais ce qui importe pour notre propos, c'est d'avoir une idée du temps que ce média représente dans le quotidien de nos concitoyens.

En France la société Médiamétrie, spécialisée dans la mesure, annonce que 43,3 millions de personnes se connectent chaque jour sur Internet et que le pays compte 34 millions de mobinautes198.

Plusieurs facteurs ont favorisé l'expansion d'Internet comme média numéro 1, notamment l'explosion du mobile. Celle-ci a été rendue possible grâce à la démocratisation des smartphones dans les foyers, l'adaptation des contenus aux terminaux mobiles ainsi que l'amélioration des couvertures réseaux sans fil et des débits toujours plus puissants. D'ailleurs aujourd'hui, plus d'un quart de la consommation de médias se fait sur mobile. Un communiqué de presse du même organisme emploie les mots suivants pour qualifier la domination du mobile : « après le «mobile-first», voici l'émergence du «mobile-only», notamment chez les plus jeunes. »

De plus, l'utilisation du mobile facilite le multitasking où le fait de consulter plusieurs choses en même temps. Par exemple, 68 % des internautes sont connectés alors qu'ils regardent la TV, un chiffre en hausse de plus de 258 % depuis 2010, d'après le groupement d'acteurs de la publicité sur Internet, Interactive Advertising Bureau199.

Si on pouvait s'attendre à ce que les jeunes apprécient particulièrement Internet, il est plus surprenant de constater que les 35-49 ans sont eux aussi adeptes de ce média. Ils y consacrent 2h30 de leur journée. Les réseaux sociaux prennent la pole position des activités en ligne avec 1/5ème du temps passé toutes tranches d'âge confondues et 1 tiers chez les 15-24 ans200. Les plateformes sociales se livrent une concurrence féroce pour dominer le marché et attirer la plus grande communauté, dont certaines se chiffrent en milliards d'utilisateurs. Sur ce registre Snapchat et Instagram se développent fortement et proposent constamment de nouvelles fonctionnalités pour conserver leurs fidèles utilisateurs et accrocher de nouveaux publics. Un univers qui draine une audience colossale et qui a fortiori suscite des convoitises chez des annonceurs en quête de nouveaux marchés. Dans une partie suivante, nous prendrons l'exemple de ces deux plateformes pour montrer comment les marques s'en saisissent pour toucher leurs cibles.

195 Hervé Ludwig, « Étude: le numérique en France en 2019 » (Hootsuite - We are social, 1 février 2019), (consulté le 28 juin 2019), https://www.blogdumoderateur.com/etude-le-numerique-en-france-en-2019/

196 Extreme Sensio, « L'Année Internet 2018 », Médiamétrie, 14 février 2019, (consulté le 28 juin 2019), https://www.mediametrie.fr/fr/lannee-internet-2018

197 Fluhr François, « En 2019, la consommation Internet dépassera celle de la télévision », Meta-media | La révolution de l'information, 26 juin 2018, (consulté le 28 juin 2019),

https://www.meta-media.fr/2018/06/26/en-2019-la-consommation-internet-depassera-celle-de-la-television.html

198 Extreme Sensio, « L'Année Internet 2018 »

199 « Le mediascope : consommation des médias interactifs », SNPTV, (consulté le 17 juillet 2019), https://www.snptv.org/veilles/le-mediascope-consommation-des-medias-interactifs/

200 Extreme Sensio, « L'Année Internet 2018 »

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Ci-dessous, une infographie présentant les réseaux sociaux les plus actifs en France en 2019. Les chiffres sont donnés d'après une étude basée sur des sondages et s'expriment en pourcentage d'internautes utilisant chaque plateforme.

Cette infographie donne une indication des réseaux sociaux les plus utilisés par les Français. Source:
«GLOBALWEBINDEX (Q2 & Q3 2018). Figures represent the findings of a broad survey of Internet

Users aged 16-64.»

Il ressort des études que les comportements d'achat habituels ne sont pas freinés par Internet. « 39,3 millions d'internautes ont déjà effectué des achats en ligne : c'est près de 9 internautes sur 10. Les journées promotionnelles participent à cet essor du e-commerce et n'ont jamais été aussi populaires : 19 millions d'internautes ont ainsi surfé sur les sites et apps de e-commerce le jour du Black Friday201. » Un engouement généralisé qui explique aussi la popularité de la journée Giving Tuesday, une mobilisation caritative portée par l'AFF et l'agence Hopening et organisée pour la première fois dans l'Hexagone en 2018. Ce mouvement mondial a pour but de (re)mobiliser les citoyens, les entreprises et les acteurs du secteur autour d'actions philanthropiques en prenant comme prétexte cette journée, pour dénoncer la consommation à outrance orchestrée par les mastodontes de l'e-commerce lors des journées promotionnelles telles que le Black Friday.

Selon Médiamétrie, la tendance la plus significative du moment est « le développement de nouveaux modes de consommation autour des notions de partage, de dons, d'anti-gaspillage et d'écologie avec bien souvent une désintermédiation, c'est-à-dire un échange direct entre particuliers ». Le site utilise même la formule « De l'internaute consommateur à l'internaute citoyen »202.

Cependant, au-delà d'une mobilisation efficace sur Internet, les internautes restent frileux lorsqu'il s'agit de sortir le porte-monnaie pour faire un don.

201 Extreme Sensio, « L'Année Internet 2018 »

202 Extreme Sensio, « L'Année Internet 2018 »

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3. Les pratiques digitales des donateurs français

La transformation digitale révolutionne de nombreux secteurs d'activité, la collecte de fonds humanitaire n'en est pas épargnée même si cela se traduit encore aujourd'hui par une timide adoption des outils digitaux par les donateurs. Changer les habitudes et les comportements prend du temps mais les perspectives intéressantes qu'offre le digital pour le secteur justifient un investissement à moyen terme. Pour espérer une adhésion du public, il faut communiquer pour expliquer les nouvelles solutions et petit à petit changer les mentalités pour gagner la confiance des futurs donateurs. Il s'agit aussi de comprendre les nouveaux usages sur ces plateformes et d'adapter les messages en fonction.

Le digital a l'avantage de donner la possibilité aux sympathisants de se faire le relais des actions des associations. Dans sa forme initiale, nous l'avons vu, le don d'argent est passif. Certains donateurs utilisent même ce biais pour se donner bonne conscience ou se déculpabiliser. Or les études montrent qu'une partie des donateurs, particulièrement les jeunes, a la volonté de participer, de devenir acteur. Grâce au numérique, ils peuvent facilement valoriser leur engagement en le partageant dans leur communauté, ce qui potentiellement décuple la portée du message et fait effet boule de neige. Une nouvelle forme d'engagement qui a des points positifs comme négatifs. Jean-François Riffaut, directeur de la communication d'ACF s'exprime sur ce sujet dans une interview de Michel Pomarède sur France Culture :

« Un des grands exercices que nous sommes en train de faire à ACF [...], c'est continuer à donner le plus possible aux gens la capacité de s'engager avec nous. Faire en sorte que le plus grand nombre de parties prenantes, de personnes, d'entreprises, de journalistes, de groupes - parce que la cause les intéresse - décident de porter la cause pour nous. Et cette intermédiation, est beaucoup facilitée par la transformation digitale du monde203. »

Certes les associations bénéficient d'une visibilité plus grande mais cela ne suffit pas pour convertir. Une réaction à une publication, un partage, un j'aime n'ont jamais eu la même valeur ni la même implication qu'un don. Des spécialistes ont même mis un nom sur cette pratique, le slacktivisme, une contraction formée par la fusion du mot « slacker (fainéant) et d'activisme ». John D. Trybus, directeur général et professeur adjoint au Center for Social Impact Communication de l'Université de Georgetown, donne une définition de cette mouvance:

« Le slacktivisme, c'est l'idée que les gens soutiennent, au plus haut niveau, des organisations et des sujets ayant un impact social à travers les réseaux sociaux ou d'autres moyens en ligne. Cela peut prendre de nombreux formats, depuis partager des informations à propos d'une cause sur sa page Facebook au fait d'envoyer un tweet en lien avec une campagne de revendication204. »

203 Pomarède, « Où va l'humanitaire ? »

204 Galaad Wilgos, « Le «slacktivisme» n'a rien d'un militantisme superflu ou nocif (bien au contraire) », Slate.fr, 14 mai 2017, (consulté le 28 juin 2019), http://www.slate.fr/story/145401/militantisme-virtuel-slacktivisme

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Cet engagement virtuel est contesté par ses détracteurs qui affirment que cette forme de militantisme sur canapé est amenée à remplacer d'autres actions militantes plus concrètes. Sur Internet, il existe même des moyens entièrement virtuels de manifester, par le biais d'avatars 3D qui défilent dans les rues ! De leur point de vue, le devoir de donner serait laissé de côté au profit des J'aime, d'un partage ou de l'affichage d'un message sur sa photo de profil.

Bien qu'elles incitent souvent à partager leurs messages sur les réseaux sociaux, des organisations semblent y perdre au change. C'est pourquoi l'UNICEF a fait une campagne dans ce sens intitulée Les likes ne sauvent pas des vies. Ces likes permettent, certes, de faire écho aux messages, mais n'ont pas le même impact qu'un don ou qu'un engagement de volontariat.

Pour autant, dans une tribune postée dans le New York Times, l'éditorialiste Nicholas Kristof relativise: « L'activisme de canapé, c'est toujours mieux que la passivité de canapé. » Des études sur le sujet ont par ailleurs montré que le slacktivisme n'a rien de superflu et ne nuit pas aux autres formes d'engagement : « les personnes qui prennent part à du militantisme en ligne le font aussi, régulièrement, hors-ligne [...] ces individus complètent et non remplacent des actions comme le don,

205.

le volontariat et la planification d'événements »

Côté chiffres, un baromètre réalisé chaque année par la société de sondage Kantar Public pour France générosités analyse les grandes tendances de la générosité dans l'Hexagone. Bien que la dématérialisation facilite la démarche du don, les résultats nous montrent qu'« après deux années de croissance à deux chiffres, la croissance des dons en ligne ralentit en 2017. Elle représentait cette année-là 7,82 % de l'ensemble de la collecte (soit 34 millions d'euros)206 ». Ces chiffres globaux sont confirmés au niveau individuel par le responsable marketing digital d'ACF, interviewé dans un reportage radiophonique intitulé Où va l'humanitaire ? La course de fonds d'Action Contre la Faim207. Le journaliste pose la question :

« Est-ce que ça marche au niveau collecte de fonds de communiquer sur Facebook, Twitter, Instagram et si oui combien ? » à laquelle l'intéressé répond : « C'est pas encore incroyable, on va pas se mentir, disons que c'est pas notre premier levier de collecte. Si je m'intéresse à la partie collecte grand public, aujourd'hui on a à peu près 7,8 % de collecte qui vient du digital et à peu près 1,2,3 % de la collecte qui provient des legs, des grands donateurs. Si maintenant vous me parlez des campagnes spécifiques sur Facebook, Instagram Twitter, on en fait, ça fonctionne pas énormément.»

Les collectes digitales sont particulièrement performantes sur la fin de l'année puisque 40 % de ce type de dons se font sur le dernier trimestre de l'année208. La temporalité est donc pour l'instant la même que pour les autres formes de collecte, charge aux fundraisers d'imaginer tout au long de l'année, des moments forts, propices à la générosité.

205 Wilgos, « Le «slacktivisme» n'a rien d'un militantisme superflu ou nocif (bien au contraire) »

206 « La campagne «Donner fait du bien» a démarré ! », francegenerosites, 4 octobre 2018, (consulté le 25 juin 2019), http://www.francegenerosites.org/francais-toujours-genereux/

207 Pomarède, « Où va l'humanitaire ? »

208 « La campagne «Donner fait du bien» a démarré ! »

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Le digital a apporté de nombreuses nouveautés aux fundraisers : il permet de mieux connaître son audience et leur parcours dans, ce que les professionnels du marketing appellent, le tunnel de conversion. Il offre des possibilités pour faire un ciblage très fin et grâce au reporting, informe en temps réel sur les performances des campagnes et sur les donateurs impliqués. Des statistiques instantanées qui donnent la possibilité d'ajuster le tir en cas de besoin et qui, a minima, donnent des orientations pour les prochaines campagnes.

De plus, les supports numériques procurent une meilleure expérience pour les internautes. Tout le parcours, de la sollicitation aux remerciements, a été pensé pour que le donateur vive une belle expérience et en ressorte grandi.

4. Les formes émergentes de communication humanitaire et de collecte digitale

Lors des recherches effectuées pour découvrir des innovations digitales, nous avons constaté que le domaine du fundraising est à la pointe en ce qui concerne l'utilisation des leviers marketing et des nouveaux canaux de diffusion. Dans cette partie, nous ferons une veille des pratiques numériques dominantes et émergentes utilisées dans le domaine caritatif en prenant à chaque fois un ou plusieurs exemples pour illustrer la technologie.

4.1 L'utilisation d'influenceurs, de micro-influenceurs et du crowdfunding

Printemps 2018, les journalistes Hugo Clément et Clément Brelet se rendent dans la région du Kasaï en République démocratique du Congo, pour faire un reportage sur cette crise oubliée. Suite à la diffusion sur le site Konbini news d'un sujet intitulé Kasaï: la famine silencieuse, une cagnotte de crowdfunding a été mise en place et a permis de récolter 540 000 € à leur retour. Pour expliquer le succès exemplaire de cette opération, nous pouvons évoquer, en premier lieu, le caractère original de la cagnotte digitale pour récolter de l'argent à des fins humanitaires. Le sentiment d'appartenance à une communauté que procure le financement participatif est indéniablement un facteur qui séduit les altruistes. La facilité d'utilisation du crowdfunding, que ce soit pour mettre en place une cagnotte ou pour faire un don, est un autre motif de réussite.

De plus, Hugo Clément, véritable influenceur auprès des jeunes, a utilisé sa notoriété et sa crédibilité de journaliste pour promouvoir à la fois une cause et une levée de fonds. Il a directement touché ses followers et un public plus large grâce à des passages sur des plateaux TV comme Touche pas à mon poste ou sur des antennes de radio comme Europe 1. Cette stratégie cross-canal a permis une médiatisation hors norme pour une levée de fonds humanitaire.

La frontière abstraite entre journalisme et publi-reportage dont nous parlions dans la première partie est encore plus floue avec le digital où les règles déontologiques sont plus souples. En analysant ce sujet d'information, nous remarquons premièrement qu'il utilise tous les codes de la communication humanitaire (victimes, images explicites prises sur le terrain, chiffres factuels...). Ce qui est plus surprenant pour un sujet journalistique, c'est le packshot de fin qui porte la mention suivante : « Action contre la faim a besoin de votre soutien - [Logo ACF] - Toutes les infos dans la description / Chaque jour compte - #AvecLeKasai / Konbini news209. »

209 Clothilde Bru, « Dans l'indifférence générale, les enfants du Kasaï meurent de faim », Konbini News, 11 mai 2018, (consulté le 5 juillet 2019),

https://news.konbini.com/chaud/dans-lindifference-generale-les-enfants-du-kasai-meurent-de-faim/

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Une forme qui ressemble plus à une publicité ou même à un appel à don classique. Cela se confirme à la lecture de la description qui accompagne la vidéo sur la publication Facebook :

« URGENCE ON A BESOIN DE VOUS! [...] Konbini lance une levée de fonds au profit d'Action contre la faim, association française présente au Kasaï. Si vous le pouvez, faites un don. Si vous n'en avez pas la possibilité, partagez,

!210

diffusez, parlez-en autour de vous . »

Pour autant, il est possible de voir les choses sous un autre angle et d'attribuer le succès de cette opération au buzz, à une viralité qui se serait construite naturellement sans stratégie spécifique, ni véritable intervention préalable des équipes d'ACF. C'est en tout cas ce qu'affirme Maximilien Le Ray, chargé de marketing digital d'ACF, interviewé à propos de cette opération : « Laisser des influenceurs gérer un sujet pour nous, on n'est pas dans le cadre d'un partenariat avec Hugo Clément, c'est lui qui est parti sur le terrain, on l'a pas briefé211. » Or il est probable que l'association ACF soit tout de même intervenue au niveau de l'organisation logistique concernant la visite terrain et qu'elle ait coordonné le tournage en proposant des séquences, des intervenants et des bénéficiaires à filmer dans le centre de santé dont elle a la gestion.

Captures d'écran du reportage Kasaï: la famine silencieuse réalisé par Hugo Clément et Clément
Brelet et diffusé sur Konbini news.

210 Hugo Clément et Clément Brelet, Urgence Kasaï, 2018, (consulté le 5 juillet 2019), https://www.facebook.com/watch/?v=399816070500570

211 Pomarède, « Où va l'humanitaire ? »

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Publication Facebook du journaliste et influenceur Hugo Clément pour un appel à don en soutien au
programme d'ACF en ROC.

Annonceur : ACF

Création : Konbini news

Diffusion : Instagram et Konbini - https://news.konbini.com/chaud/dans-lindifference-generale-les-

enfants-du-kasai-meurent-de-faim

Date de publication : mai 2018

Si on s'abstient de juger les règles déontologiques, ce qui ressort finalement c'est le résultat, pas la méthode. Nous retiendrons simplement qu'entremêler information et crédibilité journalistique, stratégie d'influence et diffusion cross-canal, le tout couplé à des moyens de collecte novateurs comme le crowdfunding s'avère être une combinaison payante. ACF tire des bénéfices directs de cette collaboration, non seulement pour la belle enveloppe récoltée mais aussi en termes de notoriété et

de rajeunissement de son bassin de donateurs. Maximilien Le Ray d'ACF le constate suite à cette opération : « le résultat au final, ce qu'on voit, c'est que les donateurs sont très jeunes212 ». Pour

rappel, le crowdfunding a un poids important chez les jeunes donateurs qui affectionnent ces nouvelles formes de don instantané et dématérialisé. Alors que 10 % des Français déclaraient donner de l'argent via les plateformes de crowdfunding en 2018, ce chiffre grimpait à 24 % chez les jeunes donateurs de moins de 35 ans.

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212 Pomarède, « Où va l'humanitaire ? »

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Autre avantage du crowdfunding, il coûte peu pour les associations par rapport à d'autres méthodes de recrutement : « Nos frais de collecte représentent près de 10 % de notre budget. Chercher des nouveaux donateurs est très onéreux213. », détaille Marie-Carmen Carles, directrice du service Générosité et Philantropie du Secours catholique.

Pourtant, le système de cagnotte relayée dans les médias n'a rien de nouveau. Le Téléthon fonctionne sur un modèle similaire en s'appuyant sur des personnalités du PAF pour faire la promotion d'une cause et in fine remplir une cagnotte. Les outils digitaux ont simplement démocratisé cette pratique en la rendant plus accessible et plus rapide. Aujourd'hui monsieur Tout-le-monde peut construire son propre écosystème de don et le diffuser de manière autonome auprès d'une sphère plus ou moins large.

L'essor des micro-influenceurs

Si l'appel aux influenceurs tels que des célébrités, des journalistes ou des personnes suivies par une grande communauté est devenu courant dans l'humanitaire, cap désormais sur ceux qu'on nomme micro-influenceurs. Une pratique émergente permettant de contrer la méfiance des méga-influenceurs, devenus professionnels et dont la parole a perdu en authenticité:

« Aujourd'hui, le digital a redistribué les cartes, et l'influence n'est plus l'apanage des stars du web et des célébrités. Les influenceurs sont désormais polymorphes : [...] les micros et nano-influenceurs ont accès à des communautés plus réduites mais très captives214. »

Il n'existe pas de règles unanimes pour qualifier ces nouveaux porte-paroles mais nous pouvons dire qu'ils sont généralement actifs sur un seul réseau social et qu'ils comptent moins de 10 000 abonnés, voire moins de 1 000 dans le cas des nano-influenceurs.

Une étude de Markerly analyse sur Instagram le comportement des internautes parmi 800 000 comptes et un total de plus 5 millions de publications. Les résultats montrent qu'il y a une corrélation entre la taille de l'audience et le nombre de likes : « Les publications d'utilisateurs suivies par moins de 1 000 personnes ont un taux moyen de likes de 8 % et de commentaires de 0,5 %. En comparaison, celles de personnes suivies par plus de 10 millions d'abonnés ont un taux moyen de likes de 1,6 % et de commentaires de 0,04 %215. »

Ces chiffres probants nous rappellent qu'il est impératif de définir en amont les objectifs d'une stratégie d'influence : soit générer de la notoriété, dans ce cas plus l'influenceur sera suivi, plus la marque sera vue ; soit générer de l'engagement en faisant le choix d'un partenaire ayant peu d'abonnés mais suscitant, pour un coût nettement moins élevé, plus d'interactions. L'étude conclut finalement en disant que le ratio idéal d'abonnés se situe entre 10k-100k, apportant à la fois un taux d'engagement élevé et une large portée.

213 Mathieu Périsse, « Le don gratuit, chimère de l'humanitaire », Slate.fr, 30 juillet 2015, (consulté le 9 juillet 2019), http://www.slate.fr/story/104852/don-gratuit-publicite-humanitaire

214 Julien Chevalier, « Les nano-influenceurs, petits mais costauds », Influencia, 11 juin 2019, (consulté le 5 juillet 2019), http://www.influencia.net/fr/actualites/media-com,tendances,nano-influenceurs-petits-mais-costauds,8485.html

215 « Instagram Marketing: Does Influencer Size Matter? - Markerly Blog », Markerly, (consulté le 5 juillet 2019), http://markerly.com/blog/instagram-marketing-does-influencer-size-matter/

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Laisser la parole aux influenceurs est un concept nouveau et compliqué à appréhender pour les associations. Le directeur de la communication d'ACF Jean-François Riffaux avoue qu'au premier abord, cela peut faire peur mais au final, s'avère positif:

« C'est une grande leçon pour nous, en tout cas pour moi, c'est d'être capable d'abandonner un peu de contrôle, de ce que nous proposons aux gens de voir. Et cette distance elle est vertueuse aujourd'hui, parce qu'elle permet d'éviter la crainte que le Dir Com manipule son image216. »

La liberté de parole des influenceurs est donc une ressource précieuse pour les humanitaires contraints de communiquer en pesant chacun de leurs mots. Mais si ceux-ci peuvent dire des choses que les organisations ne peuvent plus se permettre, encore faut-il leur en laisser la possibilité en leur accordant un certain degré de confiance.

4.2 Les réseaux sociaux, nouvel eldorado?

Il ne s'agit pas ici de faire la promotion d'un réseau social en particulier et de le présenter comme le levier de communication révolutionnaire, mais de souligner le fait qu'il est important pour les organisations de s'adapter en permanence aux évolutions et aux nouveaux outils à disposition. Les modes évoluent ainsi que les usages, et les communicants n'ont d'autres choix que de se les approprier afin de toucher de nouvelles cibles. Par leur nombre d'utilisateurs quotidiens, les réseaux sociaux représentent une formidable opportunité pour les organisations : ils permettent de toucher une audience massive qui peut elle-même se faire le relais du message. Par écho, le message peut se répandre par lui-même, voire devenir viral, pour le meilleur comme pour le pire.

Un article de l'agence social media ruche&pollen questionne : « Si ceux-ci [les réseaux sociaux] prouvent être un levier performant pour amplifier la portée d'un message et sensibiliser à grande échelle, sont-ils pour autant efficaces pour inciter à l'action, et ainsi recruter de nouveaux donateurs et bénévoles217 ? ».

Les ONG sont omniprésentes sur les réseaux sociaux, elles sont d'après l'AFF « 93% à avoir un compte Facebook, 77% un compte twitter et 50% ont un compte Instagram218 ». Être présent sur les réseaux sociaux n'est pas suffisant pour rencontrer le succès, encore faut-il les utiliser de manière appropriée. Le recours massif à ces plateformes par les organisations humanitaires ne s'est pas toujours accompagné d'un changement de tonalité dans le discours. Certaines ONG ont continué à faire ce qu'elles ont fait jusqu'à maintenant, à savoir livrer une information parfois choquante et utilisant un ton catastrophiste voire culpabilisant.

D'autres sont allées plus loin dans leur démarche et ont tenté de comprendre ce qui attirait les socionautes sur ces plateformes ayant chacune leurs spécificités. Sur les médias sociaux, comme en communication, il est important d'adapter le message à la cible et à chaque plateforme.

216 Pomarède, « Où va l'humanitaire ? »

217 ruche&pollen, « La stratégie social media des ONG »

218 « Réseaux sociaux, outil de communication ou levier d'optimisation des campagnes de dons des ONG ? », Association Française des Fundraisers, 29 août 2018, (consulté le 24 juillet 2019), https://www.fundraisers.fr/fundraising/reseaux-sociaux-outil-de-communication-levier-doptimisation-campagnes-de-dons-ong

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Par exemple, il est plus probable qu'un instagrameur se connecte en quête d'inspiration et recherche des contenus à connotation positive alors qu'un utilisateur de Twitter est plus généralement en attente d'informations factuelles lui permettant de se positionner par rapport au débat. De la même manière, Snapchat attire davantage des utilisateurs cherchant à se divertir par l'amusement alors que les utilisateurs de Facebook s'attachent à rester connecté avec leur communauté et à savoir ce qui se passe dans le quotidien de leurs amis.

Pour les marques qui souhaitent communiquer sur ces canaux, un questionnement dans le choix de la syntaxe est élémentaire et il est inefficace de vouloir calquer le même message sur ces différentes plateformes. L'agence ruche&pollen donne un conseil et confirme que pour cibler des internautes en quête d'évasion, il faut arrêter de mettre en avant des problèmes. Les ONG ont tout intérêt à souligner « le caractère concret, positif et mesurable des actions menées » afin d'inciter les sympathisants à continuer leurs efforts plutôt que de marteler des « contenus alarmistes et culpabilisants »219.

Les réseaux sociaux offrent de nombreuses possibilités créatives pour séduire leurs utilisateurs : carrousels, visuels avec rotation à 360°, gifs animés, filtres, vidéo en direct, réalité virtuelle... Certains, à l'instar de Facebook, proposent même une option pour faire un don directement depuis une Page Fan. Aux communicants, la tâche de susciter la curiosité et de faire adhérer les socionautes à l'univers des ONG.

Nous nous proposons ici de faire un zoom sur 3 fonctionnalités innovantes que les organisations humanitaires utilisent pour leur communication.

4.2.1 Les stories Instagram

Les stories Instagram sont en train de surpasser le traditionnel fil d'actualité pour devenir la première manière de publier des contenus. Particulièrement prisées des millénials, les stories ont été plébiscitées par pas moins de 500 millions d'utilisateurs quotidiens dans le monde en janvier 2019, dépassant largement Snapchat, première plateforme à avoir pourtant proposé cette fonctionnalité éphémère220. Certains communicants l'ont bien compris et ont fait de ce format leur nouveau terrain de jeu, d'autant qu'il s'adapte particulièrement bien aux marques et au business.

Pour justifier ce propos, le site Social Report annonce que les stories ont augmenté le temps d'usage de la plateforme, atteignant désormais 28 minutes par jour et que plus d'un tiers des stories les plus populaires a été publié par des entreprises qui les utilisent pour engager leur communauté221. Engager son audience sur les réseaux sociaux signifie l'éduquer en lui donnant de l'information mais c'est aussi l'inspirer ou la divertir en vue de la convaincre. Sur Instagram, les nombreux effets et possibilités créatives apportent des opportunités inédites pour engager son audience. Les outils disponibles permettent de délivrer de l'information d'une manière originale, de susciter de l'envie chez l'abonné et de le faire interagir grâce aux options comme les sondages ou les questions.

219 ruche&pollen, « La stratégie social media des ONG »

220 Léopold Maçon, « Les stories d'Instagram comptent 500 millions d'utilisateurs et écrasent Snapchat - Business », Numerama, 31 janvier 2019, (consulté le 9 juillet 2019), https://www.numerama.com/business/459725-les-stories-dinstagram-comptent-500-millions-dutilisateurs-et-ecrasent-snapchat.html

221 « Infographic Friday: Your Brand Needs to Be Using Instagram Stories in 2018 », Social Report, 24 mars 2018, (consulté le 9 juillet 2019), https://www.socialreport.com/insights/article/360000242983-Infographic-Friday-Your-Brand-Needs-to-Be-Using-Instagram-Stories-in-2018

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Mais la fonctionnalité la plus prisée par les marques est le Swipe Up qui permet aux comptes disposant de plus de 10 000 abonnés de mettre un lien cliquable qui charge un site, un article ou une page de don directement dans l'application.

Plusieurs facteurs expliquent le succès des stories : les utilisateurs apprécient leur simplicité d'utilisation et leur côté ludique, qui plaisent à la fois à celui qui poste comme à celui qui visionne. De plus, elles ont l'avantage d'être interactives par rapport aux publications classiques, ce qui permet d'accentuer l'implication de l'utilisateur. Enfin, le caractère éphémère des publications qui ne durent que 24 heures, favorise l'authenticité. Les utilisateurs, tout comme les marques, osent y poster des contenus spontanés qu'elles n'auraient jamais publiés sur leur site ou sur leurs autres plateformes sociales. L'effet rareté suscite en outre un intérêt supplémentaire des abonnés qui n'ont la possibilité de découvrir que dans ce laps de temps relativement court. La fonction stories à la une permet d'outrepasser la limite de 24 heures et de laisser une histoire visible en permanence.

Dans le cadre humanitaire, les ONG proposent à travers les stories, une plongée dans leur univers quotidien, au siège mais surtout sur le terrain. Les abonnés sont conquis de voir les coulisses d'une mission, de se projeter dans le travail concret des humanitaires sur place ou encore d'entendre la parole de bénéficiaires. Les ONG utilisent les techniques de storytelling pour raconter des histoires qui prennent la forme de véritables sujets journalistiques. Comme le démontre les captures d'écran ci-dessous, extraites d'une story de MSF.

Extrait d'une story visible sur le compte Instagram de MSF. On y découvre la construction d'un hôpital
dans un camp de réfugiés rohingyas au Bangladesh.

Annonceur: MSF

Diffusion : Instagram

Date de publication : mai 2018

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Il arrive parfois qu'un membre de l'équipe anime lui-même le compte de l'association pendant quelques jours; un procédé appelé Take Over qui donne encore plus de crédibilité à ce qui est donné à voir.

Louise raconte à travers une story Instagram son périple pour atteindre Biakato en RDC, où elle se
rend pour effectuer une mission Ebola de 2 mois avec MSF.

Annonceur : MSF

Diffusion : Instagram

Date de publication : novembre 2018

La story est potentiellement un produit marketing abouti pour les marques : c'est un condensé multimédia, où le spectateur absorbe des informations critiques sur une situation, imprime des images chocs dans son esprit, s'émeut grâce aux témoignages qui donnent de la véracité à l'histoire et termine son expérience avec la possibilité d'agir grâce à un bouton d'appel à l'action (CTA).

Bien qu'elles soient un mode de communication encore peu utilisé par les ONG, les stories ont le potentiel de devenir un incontournable car elles offrent un espace pour des contenus authentiques et spontanés qui permettent aux organisations d'humaniser leur activité en créant une relation privilégiée avec leurs abonnés. Tous ces atouts en font un outil idéal pour davantage engager des communautés et inciter à l'action.

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Instagram Shopping, le nouveau-né, pousse encore plus loin les possibilités marketing et de conversion. L'UNICEF a détourné cette fonctionnalité un mois seulement après son lancement pour sa campagne #NoPriceOnKids. En lieu et place des produits, des enfants étaient à vendre sur l'application pour la somme de 0 €. Un bon moyen de rappeler que « La vie d'un enfant n'a pas de prix.»

L'UNICEF a détourné la fonction Instagram Shopping pour sensibiliser le public contre l'esclavage des

enfants.

Annonceur : UNICEF Agence : Brand Station Diffusion : Instagram Date de publication : avril 2018

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4.2.2 Snapchat

Le réseau social Snapchat est bien plus qu'un nouvel outil de communication à la mode. Il fait partie de ces

applications montantes auxquelles les marques s'intéressent pour rester dans la course des innovations digitales. Elles y courtisent un public jeune et connecté et tirent parti du marketing de l'intention, car contrairement à d'autres plateformes, sur Snapchat, c'est l'utilisateur qui choisit ce qu'il veut voir. Selon Snap France, fin 2018, l'application comptait 13 millions d'utilisateurs actifs quotidiens dans le pays, qui se connectent 30 minutes en moyenne par jour222. 57 % des utilisateurs de Snapchat ont moins de 25 ans, 27 % ont entre 25 et 34 ans223.

Nul besoin d'aller plus loin dans les statistiques pour dire que l'application séduit une population justement visée par les ONG qui cherchent à rajeunir leur bassin de donateurs et leurs sympathisants. Nous prenons ici l'exemple de Snapchat car il rassemble un certain nombre de critères intéressants, mais demain, un autre réseau social plus innovant prendra peut-être le relais. L'important pour les organisations c'est d'être réactives pour rester présentes sur les plateformes qu'utilisent leurs cibles, car il ressort que les réseaux sociaux sont bien souvent plébiscités par une tranche d'âge ou une catégorie socio-professionnelle spécifique.

Jusqu'à présent, Snapchat se distingue parce qu'il est toujours considéré comme récréatif par ses utilisateurs, et peu assimilé à un média commercial utilisé par des marques à des fins publicitaires, comme c'est le cas de Facebook. Ceci en fait donc un média de choix pour des campagnes dont le but est de se faire connaître et d'acquérir de la notoriété auprès des millénials, qui représentent les potentiels donateurs de demain.

Si peu d'acteurs humanitaires se sont lancés sur Snapchat, dans le domaine environnemental, WWF a lancé au Danemark et en Turquie une campagne appelée Don't let this be my #lastselfie, où des selfies de 5 espèces d'animaux menacés sont affichés. En utilisant une des fonctions premières de la plateforme, qui est d'afficher un contenu pendant seulement quelques secondes avant qu'il ne disparaisse à jamais, la marque au panda rappelle la réalité et le danger d'extinction qui pèse sur ces espèces menacées. Les visuels choisis sont accrocheurs car il est rare de voir ces animaux sauvages en très gros plans. Les messages sont clairs et directs et nous rappellent que si nous ne faisons rien, ces animaux vont eux aussi disparaître juste devant nos yeux: « Vous devriez faire une capture d'écran, ceci pourrait bien être mon dernier selfie », « Dans 6 secondes, je serai parti pour toujours mais vous pouvez encore sauver mon espèce », « Faites que ça ne soit pas mon dernier selfie ».

En utilisant les codes de la communication directe, le côté tendance du selfie et le caractère éphémère de la publication, la marque parvient à marquer les esprits et pousse à la réflexion.

Le selfie et Snapchat, incarnent la vanité et l'obsession de soi, mais à travers cette campagne, WWF parvient à renverser ce paradigme et à utiliser la plateforme pour transmettre des valeurs altruistes.

Au final, ces selfies ont dépassé le seul réseau de Snapchat, se sont répandus sur Twitter où ils ont été republiés par 40 000 utilisateurs en une semaine et ont touché quelque 120 millions de personnes, soit 50 % des adeptes de la plateforme à l'époque. Le WWF a atteint son objectif de dons mensuels en seulement 3 jours224.

222 Marie Turcan, « Snapchat lance en France ses « shows » sans fiction et quasiment sans exclusivités - Tech », Numerama, 19 novembre 2018, (consulté le 6 juillet 2019), https://www.numerama.com/tech/440505-snapchat-lance-en-france-ses-shows-sans-fiction-et-quasiment-sans-exclusivites.html

223 « Les chiffres Snapchat », Snapologie, 23 avril 2019, (consulté le 7 juillet 2019), https://snapologie.com/les-chiffres-snapchat/

224 Dafna Ben-Yehoshua, « Snapchat for the Animals: The #LastSelfie Campaign », 3 Door Digital, 9 mai 2016, (consulté le 22 juillet 2019), http://3doordigital.com/snapchat-animals-lastselfie-campaign/

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Pour avoir des publications engageantes ou a minima regardées par les socionautes, l'utilisation d'images symboliques est indispensable sur les réseaux sociaux. L'expression une image vaut mieux que 1000 mots est clairement confirmée par les statistiques qui affirment que les jeunes, génération Y comprise, sont plus sensibles aux images qu'aux messages écrits.

WWF a utilisé le selfie, phénomène incontournable de la culture, et le caractère éphémère des
publications Snapchat pour sensibiliser sur le risque d'extinction qui pèse sur certaines espèces
animales menacées.

Annonceur : Entités danoise et turque du WWF

Agence: UncleGrey & 41?29! Diffusion : Snapchat

Date de publication : avril 2014

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La fondation Bill et Melinda Gates a aussi fait une opération de communication sur Snapchat en 2015, lors de la Journée mondiale de lutte contre le sida. Le principe était un peu différent : pour chaque utilisateur qui publiait un contenu avec un des 3 filtres labélisés World AIDS Day, la fondation s'était engagée à abonder une cagnotte destinée à l'ONG (RED), à raison de 3 US$ par Snap publié. Cette opération philanthropique a été une des premières du genre sur Snapchat et a été accompagnée par un autre challenge sur Youtube. Si une vidéo de Scarlett Johansson, Barry Manilow et Jimmy Kimmel, faisant la promotion d'une opération d'achat solidaire (SHOPATHON)RED, atteignait 333 000 vues, la fondation faisait un don supplémentaire de 1 million de US$ à (RED).

 

Annonceur: (RED) Diffusion : Snapchat Date de publication : novembre 2015

À l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida 2015, Snapchat a lancé 3 filtres World AIDS
Day que les utilisateurs peuvent ajouter à leur publication.

 

Annonceur : (RED)

Agence : Virtue Worldwide Diffusion : Youtube - https://youtu.be/1zzQuzIeWHw Date de publication : novembre 2015

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Scarlett Johansson, Barry Manilow et Jimmy Kimmel ont joué dans une vidéo pour promouvoir une
opération d'achat solidaire (SHOPATHON)RED, à l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre le

sida.

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4.2.3 Les collectes d'anniversaires et les cagnottes de financement participatif

Après seulement 1 an de mise en service, la fonction collecte de fonds à l'occasion d'un anniversaire mis en place par Facebook, avait déjà permis de récolter 300 millions de dollars.225 Lors du lancement de cette fonctionnalité, le réseau social leader annonçait que 45 millions de personnes se souhaitaient un joyeux anniversaire chaque jour, d'où l'opportunité de donner à chaque utilisateur la possibilité d'organiser sa propre levée de fonds. À la place d'un cadeau, l'entourage du donateur a la possibilité de donner pour une cause. « L'idée, c'est de toucher, non plus uniquement nos donateurs réguliers, mais aussi leurs réseaux226 », assume Marie-Carmen Carles, directrice du service Générosité et Philanthropie du Secours catholique. Grâce au digital et aux fonctions de partage, « l'internaute peut passer du statut de donateur anonyme à celui d'acteur en devenant co-créateur des campagnes auxquelles il participe227 ». Bien que les récalcitrants y voient un moyen de faire de la manipulation affective, les organisations elles, n'ont rien à faire si ce n'est travailler leur image pour être choisies par le collecteur. Ce dernier prospecte gratuitement pour le compte de l'ONG et rapporte de l'argent, c'est donc un canal profitable pour les structures souhaitant diversifier leurs sources de don.

La fonctionnalité collecte de fonds à l'occasion d'un anniversaire de Facebook permet aux utilisateurs
de créer leur propre levée de fonds auprès de leur réseau. Ici, une collecte pour les Restos du Coeur.

Sur Facebook, il est possible de créer une levée de fonds pour n'importe quelle cause. Ici, une collecte
pour le navire Sea-Watch qui évolue en mer Méditerranée pour sauver des migrants et des réfugiés.

225 Asha Sharma, « People Raise $300M Through Birthday Fundraisers in First Year », Facebook Newsroom, 15 août 2018, (consulté le 9 juillet 2019),

https://newsroom.fb.com/news/2018/08/people-raise-300m-through-birthday-fundraisers-in-first-year/

226 Périsse, « Le don gratuit, chimère de l'humanitaire »

227 ruche&pollen, « La stratégie social media des ONG »

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D'autres acteurs comme Leetchi ou HelloAsso se sont également mis sur le marché du crowdfunding et proposent le même type de service. ACF aussi a bien compris cette tendance et le souhait de ses sympathisants de vouloir s'engager autrement. « Nous vous donnons les moyens d'agir », peut-on lire dans une page dédiée, directement accessible depuis son site Internet228. Grâce à l'outil que l'association a mis en place, chacun peut désormais créer sa propre page de collecte sans intermédiaire et solliciter son entourage pour la cause qu'il souhaite. De nombreuses options sont disponibles : personnalisation de la page, définition d'un objectif à atteindre, possibilité de collecter en équipe, soutien technique et stratégique de la part d'ACF... Le bienfaiteur devient représentant de l'association, ce qui lui donne un statut mais aussi la responsabilité de remplir son objectif. Le travail de mobilisation qu'il va fournir dans l'ombre est plus que bénéfique pour l'association gagnante sur tous les tableaux. Que ce soit pour un anniversaire, pour relever un défi, pour honorer la mémoire d'un proche ou pour soutenir les actions d'ACF, l'entourage du collecteur a toutes les chances de participer au financement de la cagnotte. Pour rappel, 43 % des donateurs de 18-35 ans seraient prêts à organiser une collecte en sollicitant leurs proches et 57 % seraient enclins à participer à celle d'un proche.

ACF a mis en place un outil donnant à chacun la possibilité de créer sa propre page de collecte.

Annonceur : ACF

Site Internet: https://www.actioncontrelafaim.org/nous-aider/peer-to-peer/ Date de publication : 2018

228 « Créer sa propre page de colecte ACF », Action contre la Faim, (consulté le 17 juillet 2019), https://agir.actioncontrelafaim.org/mosaic/collecteurs

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4.3 L'utilisation de la réalité virtuelle

La VR ou réalité virtuelle permet d'immerger un individu dans un environnement. Des expériences dans ce domaine ont déjà été initiées par des ONG, notamment ACF lors de son événement Vies au coeur des conflits en octobre 2018. Grâce à des casques de réalité virtuelle, l'association proposait une immersion sur le terrain et mettait l'utilisateur dans la peau d'un humanitaire intervenant en zone de conflit. Ce dernier est confronté à un scénario en 3D où il doit passer des checkpoints et intervenir dans un centre de soins attaqué. Pour ajouter une dimension sensorielle et du stress, le participant tient une manette vibrante dans sa main qui simule la réception de SMS inquiétants sur un téléphone

portable229.

Grâce à ces nouvelles technologies, le spectateur comprend les enjeux d'une mission et les dangers quotidiens auxquels sont confrontés les professionnels du milieu.

Ce dispositif permet de rapprocher une cause lointaine, ce qui peut s'avérer utile lors des levées de fonds. En outre, ce type de dispositif peut servir sur des opérations de street marketing ou sur des événements mais aussi pour la communication institutionnelle et la sensibilisation grand public.

ACF propose une immersion sur le terrain, où l'utilisateur rentre dans la peau d'un humanitaire grâce
à un film en 3D interactif et des casques de réalité virtuelle.

Annonceur : ACF

Agence : smartVR for Impact

Diffusion : événement Vies au coeur des conflits et Youtube -

https://www.youtube.com/watch?v=xi6YRoDJ2Xg

Date de publication : octobre 2018

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229 Action contre la Faim, Checkpoint, entrez dans la peau d'un humanitaire, 2018, (consulté le 16 juillet 2019), https://www.youtube.com/watch?v=xi6YRoDJ2Xg

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Une autre vidéo en 3D, semblable à la précédente, intitulée Quand je suis parti, raconte l'histoire d'un jeune réfugié syrien qui a fui son pays en quête d'une vie meilleure. On le voit tenter la traversée de la Méditerranée à bord d'un canot pneumatique230.

Le studio smartVR propose un film en réalité virtuelle qui plonge le participant dans la peau d'un
jeune réfugié syrien qui tente de traverser la Méditerranée à bord d'un canot pneumatique.

Annonceur : aucun

Agence : smartVR studio

Diffusion : aucune

Date de création : mars 2017

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230 Amar Silem, « Quand je suis parti... - Créer de l'empathie grâce à la réalité virtuelle », (consulté le 22 juillet 2019), http://blog.smartvr-studio.com/agence-vr-quand-je-suis-parti-social-impact

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L'UNICEF a aussi utilisé un film en réalité virtuelle mais sans 3D, intitulé Clouds Over Sidra pour des opérations de street marketing. Plongés au coeur d'un camp de réfugiés syriens grâce à un casque de réalité virtuelle, l'effet sur les passants est immédiat. Les résultats en termes de notoriété et de conversion sont plutôt représentatifs : sur une opération à Auckland en Nouvelle-Zélande, 1 personne sur 6 a donné de l'argent, 2 fois le taux habituel de ce genre d'opération, indique l'organisation.

Plus intense qu'un film standard, la réalité virtuelle parait plus réelle et permet de générer de l'empathie en mettant le potentiel donateur dans la situation des personnes à qui ils donnent de l'argent. Pour David Cravinho, un spécialiste de la collecte de fonds à l'UNICEF : « Dans des circonstances normales, il faudrait entre dix et treize contacts pour convertir un donateur régulier, mais l'utilisation de la réalité virtuelle pourrait réduire le nombre de contacts à cinq ou six231. »

Ces films en 360° utilisent le plan subjectif pour véritablement plonger le spectateur dans la peau d'un bénéficiaire. Cette forme d'hyper-vérité est brutale mais semble décupler les émotions et, par effet ressort, fait agir.

Le film à 360° Cloud Over Sidra, présenté par l'UNICEF, plonge le spectateur au coeur du camp de
réfugiés de Zaatari en Jordanie. Sidra, une jeune fille de 12 ans, raconte son histoire durant les
18 mois qu'elle a passés dans le camp.

Annonceur : UNICEF

Agence : Vrse.Works production / Within

Diffusion : Youtube - https://youtu.be/mUosdCQsMkM Date de publication : septembre 2015

231 Zeena Al-Obaidi, « Using VR Video Halves the Time to Get Charity Donation According to UNICEF », VRFocus, 23 mai 2016, (consulté le 16 juillet 2019),

https://www.vrfocus.com/2016/05/using-vr-video-halves-the-time-to-get-charity-donation-according-to-unicef/

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Le projet Bangui l'oubliée propose une immersion au coeur d'une mission de nutrition d'ACF, grâce

à un site interactif et une vidéo immersive à 360° dans un hôpital de Bangui en République centrafricaine. L'objectif est de sensibiliser le public en le faisant évoluer à travers un parcours multimédia regroupant des images, des vidéos, des témoignages et qui finit sur un appel à don.

Annonceur : Action contre la Faim

Agence : ?triangulaire

Site Internet: http://bangui-loubliee.com/ Date de publication : juin 2016

Dès 2015, Le New York Times avait déjà réalisé un film immersif et interactif en 360° intitulé The

233,

Displaced faisant le portrait

de 3 enfants racontant les

épreuves endurées et
témoignant de ce qu'ils vivent au quotidien.

Lors d'une des scènes, le spectateur est plongé au milieu d'une distribution de nourriture, larguée par avion. La sensation d'être présent est troublante et l'effet est tout simplement glaçant.

Le film interactif et immersif The Displaced, utilise la technologie 360° pour faire le portrait de 3 enfants témoignant de leurs difficultés quotidiennes.

Annonceur: The New York Times

Agence : Vrse.Works production / Within

Diffusion : Youtube - https://www.youtube.com/watch?v=ecavbpCuvkI Date de publication : novembre 2015

232 « Bangui l'oubliée - Action contre la Faim », Bangui-l'oubliée - Action contre la Faim, juin 2016, (consulté le 16 juillet 2019), http://bangui-loubliee.com/

233 The New York Times, The Displaced | 360 VR Video | The New York Times, 2015, (consulté le 17 juillet 2019), https://www.youtube.com/watch?time_continue=375&v=ecavbpCuvkI

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Amnesty International UK a utilisé cette technique pour sensibiliser le public sur les bombardements aux barils d'explosifs en Syrie. À travers son projet 360syria et sa campagne Fear of the Sky234, l'association anglaise a imaginé une vidéo immersive et impactante en 360° qui peut être visionnée en VR ou en vidéo, accompagnée d'un site informatif qui incite à la fin à agir. Pour Kate Allen, directrice d'Amnesty International UK : « Si une image vaut mille mots, alors une expérience de réalité virtuelle vaut un livre entier ».

360syria est une vidéo à 360° interactive permettant d'immerger le spectateur au milieu d'un quartier syrien qui a été bombardé.

Annonceur : Amnesty International UK Agence : Junior

Site Internet : http://www.360syria.com/ Date de publication : mars 2016

4.4 La genèse des crypto-monnaies et des technologies de blockchain

Les avis sont encore divergents sur la rationalité ou le futur des crypto-monnaies. Une chose est sûre, depuis l'apparition du Bitcoin en 2009, elles n'ont cessé de prendre de l'importance. Aujourd'hui, elles génèrent des sommes virtuelles astronomiques et prétendent devenir un véritable système financier alternatif. Des investisseurs comme Roger Ver parlent de la plus grande invention depuis la naissance d'Internet : « Bitcoin is the most important invention in the history of the world since the Internet»; d'autres comme Leon Louw, nominé pour le prix Nobel de la paix, évoque le plus important développement mondial : « Every informed person needs to know about Bitcoin because it might be one of the world's most important developments »235. Quoi qu'on en pense, il faut pouvoir anticiper une éventuelle révolution monétaire, d'autant plus qu'un tel changement imposerait des connaissances sur le sujet pour pouvoir l'exploiter.

234 « Fear of the Sky », Amnesty International, mars 2016, (consulté le 16 juillet 2019), http://www.360syria.com/

235 Nicolas Verlette, « Citations sur le Bitcoins », Achat Bitcoin, 1 mai 2014, (consulté le 17 juillet 2019), https://achat-bitcoins.com/citations-bitcoin/

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À travers son fond dédié à l'innovation, l'UNICEF explore les possibilités liées aux crypto-monnaies et plus largement à la technologie blockchain, appliquées à l'humanitaire. Outre ces purs travaux de recherche, l'UNICEF France innove en la matière en donnant la possibilité à ceux qui en dispose, de faire un cryptodon, un don en crypto-monnaie. L'objectif est de toucher une nouvelle cible jeune et de faire évoluer le domaine de la collecte avec un dispositif original.

La deuxième option possible est de « miner pour l'UNICEF ». La technologie blockchain requiert des ressources matérielles pour fonctionner et valider des transactions, cela s'appelle « miner de la crypto-monnaie ». Sans rentrer dans les détails, c'est grâce à une communauté d'adeptes, qui mettent à disposition la puissance de calcul de leurs ordinateurs, que la blockchain peut se constituer. Cette mise à disposition génère une récompense monétaire au prorata de la participation au calcul. En cédant la crypto-monnaie générée au profit de l'UNICEF, le mineur fait un don gratuit. Nous expliquerons en quoi consiste le don gratuit dans la partie suivante.

En ce sens l'organisation qui milite pour le droit des enfants, en partenariat avec l'agence BETC, a organisé en 2018 l'opération Game Chaingers, « la première levée de fonds humanitaire au moyen d'une crypto-monnaie236 ». Le but a été de solliciter la communauté des adeptes de l'eSport (potentiellement 711 millions de gamers dans le monde), pour miner et générer de la crypto-monnaie en utilisant leurs cartes graphiques. Cette forme de collecte 2.0, première du genre, a fait parler d'elle et ouvert de nouvelles perspectives, même si le résultat est mitigé après 59 jours de fonctionnement: 85 ETH (Ethereum) collectés par 12 000 ordinateurs, soit l'équivalent de 15 300 € selon le cours de juillet 2019.

Annonceur: UNICEF

Agence : BETC

Site Internet: http://www.chaingers.io/ Date de publication : février 2018

L'opération Game Chaingers permet aux volontaires de miner de la crypto-monnaie grâce à leurs
ordinateurs et ainsi faire des dons gratuits à l'UNICEF.

Le cryptodon ou le minage s'inscrivent résolument dans l'avenir en proposant de nouvelles formes de générosité aux donateurs de demain. Flexibles, transparentes et détachées de toutes structures financières ou étatiques, les crypto-monnaies et plus globalement la technologie blockchain offrent aux organisations humanitaires des perspectives qui vont au-delà de la levée de fonds; notamment pour contourner les systèmes bancaires défaillants dans des zones sinistrées. Parce qu'il vise encore un public de niche, l'usage des crypto-monnaies ne s'est pas encore démocratisé, or les associations ont intérêt à anticiper pour être prêtes, le jour venu, à en affronter la complexité.

236 « UNICEF et BETC présentent une levée de fonds d'un nouveau genre », UNICEF France, 5 février 2018, (consulté le 17 juillet 2019),

https://www.unicef.fr/contenu/espace-medias/unicef-et-betc-presentent-une-levee-de-fonds-dun-nouveau-genre

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4.5 L'utopie du don gratuit

Le don gratuit est une forme de don d'un nouveau genre où c'est la publicité qui paie. En échange du visionnage d'une vidéo ou d'une réponse à un questionnaire, le donateur participe à financer un projet social de son choix. Ce concept est alléchant en surface : l'annonceur s'acquitte d'une somme qui est ensuite reversée à une association caritative mais le processus n'est pas toujours transparent car il est difficile de savoir à combien est valorisé chaque visionnage. Le dirigeant de Goodeed précise, dans un article de Mathieu Périsse sur Slate, que les montants peuvent varier de « quelques centimes à plusieurs euros selon le ciblage237 ».

La start-up Goodeed s'est spécialisée dans ce concept, récoltant au passage les données personnelles des donateurs et des frais de gestion (40 % d'après les informations données par le site)238. Selon eux, 80 % de leurs donateurs ont entre 18 et 35 ans, de quoi attirer l'attention des associations qui souhaitent rajeunir leur bassin de donateurs en leur proposant de s'engager autrement. Pour les annonceurs, c'est un bon moyen de toucher une cible qualifiée mais surtout d'associer leur image à une action caritative. « On est assez proche du concept de RSE239 », estime Denis Maillard, philosophe politique et ancien responsable de la communication de MDM.

De multiples formes de don gratuit existent, du simple lien sur une bannière de publicité au quizz permettant de financer des projets caritatifs, en passant par les moteurs de recherche solidaires comme Goodsearch.com ou Excosia.org.

Ces plateformes évoluent sur un créneau peu porteur pour le moment et qui suscite de nombreuses critiques. Nous avons parlé du slacktivisme et de ces personnes qui pensent avoir un réel impact à travers leurs cliques mais l'engagement est tout autre et va au-delà des simples représentations que ces sites mettent en avant.

La Fondation Abbé Pierre a proposé une variante de ce type de don pour capter l'attention des internautes. Fin 2018, elle a lancé la campagne d'affichage Regardez-moi, qui met en scène des portraits de personnes en difficulté fixant l'objectif, avec un regard puissant plein de désespoir. Le message est simple : « Merci de ne pas avoir baissé les yeux devant cette affiche ». Plutôt que de dénoncer, la fondation prend le parti de remercier ceux qui agissent contre l'indifférence.

En complément des affichages, un dispositif numérique inédit a été créé spécialement sur Dailymotion. Il s'agit d'un faux pré-roll, qu'il est possible d'ignorer au bout de quelques secondes. Un pré-roll vidéo est « un format d'affichage des publicités vidéos sur Internet qui consiste à afficher le message publicitaire vidéo pendant quelques secondes avant la visualisation d'une vidéo de contenu (bande annonce cinéma, émission, vidéo communautaire, catch-up TV240) ».

À travers cette vidéo interactive, l'internaute est confronté au choix d'ignorer ou pas une personne sans domicile. S'il va jusqu'au bout du plan séquence, il découvre le visage du SDF, comme dans les affiches. Un message de remerciement apparaît alors: « Merci de ne pas m'avoir ignoré ». S'il choisit d'ignorer ce qu'il croit être une publicité, un autre message apparaît : « la prochaine fois prenez le temps de ne pas m'ignorer ».

237 Périsse, « Le don gratuit, chimère de l'humanitaire »

238 « Goodeed », (consulté le 9 juillet 2019), https://www.goodeed.com/knowmore/transparency

239 Périsse, « Le don gratuit, chimère de l'humanitaire »

240 B Bathelot, « Pre-roll vidéo », in Définitions marketing, 13 septembre 2015, (consulté le 6 juillet 2019), https://www.definitions-marketing.com/definition/pre-roll-video/

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L'expérience est originale pour surprendre le spectateur qui visionne des vidéos quotidiennement et qui est habitué à ignorer les publicités dès qu'il en a la possibilité. Le digital offre de nombreuses possibilités pour se démarquer, comme l'interactivité qui apporte une dimension supplémentaire par rapport aux publicités passives classiques. L'interactivité permet de faire participer l'internaute pour mieux capter son attention et inclure un bouton d'appel à l'action (CTA) qui incite à agir.

Une fois l'un des deux messages affiché, une invitation au don est proposée, « Contre l'indifférence, aidez-nous à agir, Donnez ».

Sur la landing-page dédiée, la Fondation Abbé Pierre exprime le souhait de créer du lien : « À travers un jeu de regards entre les personnes en difficulté et les passants, la campagne d'affichage établit un lien affectif en faisant appel à l'humanité de chacun241. »

Annonceur: Fondation Abbé Pierre

Agence : Altmann+Pacreau

Site Internet: http://regardez-moi.fondation-

abbe-pierre.fr/

Date de publication : novembre 2018

La campagne Regardez-moi de la Fondation Abbé Pierre, en partenariat avec Dailymotion utilise un
faux pré-roll qu'il est possible d'ignorer au bout de quelques secondes.

100

241 « Découvrez la nouvelle campagne contre l'indifférence », Regardez-moi, 2018, (consulté le 6 juillet 2019), https://mm-abbe-pierre.appspot.com/

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4.6 Les native Advertising

Face à la lassitude des internautes ou mobinautes vis à vis des publicités intrusives, le format native Advertising tire son épingle du jeu. Ce type de publicités, déjà plébiscité par des ONG, concurrence les traditionnelles bannières pour s'intégrer directement dans le contenu d'un site. Par exemple, une annonce sponsorisée sur Le Bon Coin reprenant les mêmes codes qu'une annonce d'un particulier. D'après Benjamin Soubeille, directeur marketing France de Verizon Media, cité dans un article de Barbara Haddad, « ces formats sont 15 % mieux perçus que la publicité classique sur desktop et 37 % sur mobile242 ». Moins agressives, les native Ads ont l'avantage de moins perturber la lecture, ce qui dissuade peut-être les internautes de naviguer avec un bloqueur de publicité.

Les native Ads du site Le Bon Coin permettent d'intégrer une publicité au milieu des annonces du site.

4.7 La générosité embarquée

La générosité embarquée est une action de don qui intervient comme une étape dans un processus. Ce concept, importé des pays anglo-saxons, est en pleine expansion en France. Il est principalement centré sur l'arrondi et concerne des montants généralement minimes, presque insignifiants pour le donateur, c'est pourquoi on parle souvent de micro-dons. Il s'agit par exemple d'un arrondi à la caisse d'un supermarché ou de la cession de ses points de fidélité au profit d'un organisme collecteur.

242 Barbara Haddad, « Comment engager grâce aux nouveaux formats pub ? », https://www.e-marketing.fr/, 1 juillet 2019, (consulté le 15 juillet 2019), https://www.e-marketing.fr/Thematique/veille-1097/Breves/Comment-engager-grace-aux-nouveaux-formats-pub--339414.htm - &utm_source=social_share&utm_medium=share_button&utm_campaign=share_button

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Dans la sphère professionnelle, l'arrondi sur salaire se démocratise même s'il représente encore une part infime. D'après le baromètre 2018 du don sur salaire, réalisé par l'entreprise solidaire d'utilité sociale microDON, cela représente « plus de 762 500€ (+64% en un an, et multiplié par 6 en 4 ans) grâce à la mobilisation de plus de 14 200 salariés donateurs avec un don moyen de 2,52€ par salarié243 ».

Pour Pierre-Emmanuel Grange, fondateur de microDON, l'arrondi sur salaire répond à une volonté affichée des nouvelles générations de mettre du sens dans leur activité professionnelle:

« Aujourd'hui, on estime à plus de 60 % le nombre de jeunes désireux de travailler en priorité pour des entreprises ayant un impact social et environnemental positif! Un chiffre d'autant plus éloquent que les millenials représenteront 75 % des actifs dans le monde en 2030. Il est donc plus que jamais temps que les entreprises intègrent des dispositifs permettant de

!244

générer tout à la fois du sens et de la solidarité »

D'autres alternatives existent comme le don de tickets restaurants, de chèques cadeaux ou de chèques vacances qui séduit un autre type de donateurs, plus enclins à céder un avantage en nature plutôt qu'une ressource financière.

L'association Action contre la Faim utilise ce créneau à travers son opération Je Déj, Je Donne. L'idée est de collecter des titres-restaurant et des chèques cadeaux même périmés, afin de soutenir des programmes de lutte contre la sous-nutrition. Cette alternative au don d'argent a séduit un certain public : près de 400 000 titres-restaurant collectés depuis son lancement en 2009, soit près de 3 millions d'euros. D'après ACF, cela a permis d'aider 14,7 millions de personnes en 2016 dans 49 pays.

L'association ACF donne la possibilité de céder ses titres-restaurant pour soutenir des programmes de
lutte contre la sous-nutrition.

Annonceur : ACF

Site Internet: https://jedej-jedonne.org/accueil

Date de publication : opération reconduite chaque année

243 « Baromètre 2018 du don sur salaire », francegenerosites, 7 juin 2018, (consulté le 22 juillet 2019), http://www.francegenerosites.org/ressources/barometre-2018-don-sur-salaire/

244 Lucie Gaudens, « L'arrondi sursalaire: une pratique solidaire en plein boom dans les entreprises », e-RSE.net, 31 mai 2018, (consulté le 17 juin 2019), https://e-rse.net/arrondi-salaire-solidaire-barometre-2018-microdon-270370/

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Ces nouvelles formes de générosité sont de plus en plus plébiscitées, poussées par des techniques marketing incitatives : il n'est pas rare que les entreprises ou les supermarchés participent à l'opération en abondant de leur côté une somme d'argent à chaque don effectué par un particulier. Un moyen pour eux de redorer leur blason, d'améliorer leur image ou de participer à une démarche RSE. C'est le cas pour l'arrondi sur salaire, dont 78 % des entreprises qui le pratiquent, s'engagent en co-solidarité245 .

La générosité embarquée s'invite partout, jusque dans le secteur bancaire qui propose des cartes caritatives. Même si les sommes récoltées sont aujourd'hui insignifiantes dans l'enveloppe globale, elle est promise à un bel avenir. Pour donner un exemple de son étendue, prenons les résultats de microDON qui s'est donné pour mission de développer ce type de collecte. En 2017, cet organisme a

246.

collecté un total de 2 454 389 euros, soit +246 % entre 2015 et 2017 Un taux de croissance

significatif qui montre le potentiel théorique de ce type de générosité.

4.8 Les courses solidaires

Les courses solidaires ou charity running trouvent leur public en France même si les sommes récoltées ne sont pas comparables avec les grandes courses étrangères, comme le marathon de Londres qui a cumulé 61,6 millions de Livres sterling lors de son édition 2017. Le fonctionnement est simple : il s'agit de collecter auprès de son entourage une somme d'agent définie, grâce à la technique du peer-to-peer (pair à pair). C'est seulement une fois l'objectif atteint qu'il est possible de décrocher un dossard. Une tribune des Echos, écrite par Julie Maillard, évoque le côté ludique de ce concept : « il devient amusant et plaisant de faire un don ». Aussi, l'auteure fait apparaître que le collecteur est entrainé dans une fidélisation naturelle car il a de grandes chances de s'engager par la suite pour l'association en faisant un don par exemple.

L'Oxfam Trailwalker est un exemple représentatif de cette forme d'engagement. Il s'agit d'une course de 100 km par équipe de 4, où il faut pour participer, collecter en amont un minimum de 1 500 € en faveur d'Oxfam France. Cette initiative permet à des citoyens de prendre part à une action de solidarité et de s'investir personnellement pour trouver les fonds nécessaires. L'ONG mobilise grâce à un dispositif enthousiasmant et bénéficie de manière indirecte du travail de notoriété accompli par les participants qui vont créer toutes sortes de dispositifs pour parvenir à rassembler la somme demandée (mini concert, porte à porte, tombola, vente de gâteaux...). Au total plus de 537 200 € ont été collectés depuis sa création en 2010.

En étant eux-mêmes acteurs, ils contribuent à créer de la visibilité pour la marque, suscitent de futurs engagements et rapportent de l'argent. Bien qu'elles représentent un investissement pour les organisations, les courses solidaires comportent de nombreux avantages pour les structures qui ont les moyens de les organiser.

245 Lucie Gaudens, « L'arrondi sursalaire: une pratique solidaire en plein boom dans les entreprises », e-RSE.net, 31 mai 2018, (consulté le 17 juin 2019), https://e-rse.net/arrondi-salaire-solidaire-barometre-2018-microdon-270370/

246 « Panorama national des générosités », avril 2018, p.41, (consulté le 15 mai 2019), https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/rapport_generosite4.pdf

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Oxfam Trailwalker est une course solidaire de 100 km organisée par Oxfam France. Chaque équipe
de 4 s'engage à collecter 1 500 € pour pouvoir participer.

Annonceur : Oxfam France

Agence : Bol d'Air

Site Internet: https://www.oxfamtrailwalker.fr/ Date de l'événement : reconduit chaque année

Dans la même veine, d'autres dispositifs existent. L'UNHCR a lancé une campagne nommée Deux milliards de kilomètres pour survivre - Chaque pas compte, où un compteur cumule les kilomètres effectués par des sportifs souhaitant partager leur effort via leur application sportive favorite. Le but est d'atteindre les 2 milliards de kilomètres parcourus chaque année par les réfugiés pour retrouver la paix et la sécurité. Un moyen pour cette organisation onusienne peu connue du grand public de se faire remarquer avec un dispositif original en apparence gratuit. Cette campagne vise, en plus d'un objectif de notoriété, à fédérer la communauté des sportifs et à récolter des données précieuses (emails, numéros de téléphone) en vue d'une future conversion et fidélisation de ces potentiels donateurs.

Les outils digitaux offrent cette possibilité de capter de nouveaux donateurs en douceur, en respectant plusieurs étapes : tout d'abord en les attirant grâce à dispositif ludique qui, en apparence, n'engage à rien, puis à les sensibiliser petit à petit en leur proposant de l'information à travers une expérience innovante. Le processus se poursuit ensuite en leur suggérant de s'engager plus, via la signature d'une pétition ou le partage d'une campagne par exemple. Enfin, au bout du tunnel, il s'agit de leur demander d'agir en faisant un don ponctuel ou en s'engageant sur la durée à travers un don régulier. Un parcours bien ficelé, envisagé sur la longueur à travers une expérience utilisateur qui, pour se démarquer, doit être riche, originale et innovante.

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La campagne du HCR, 2 milliards de kilomètres pour survivre - Chaque pas compte, offre un dispositif
permettant de cumuler les efforts effectués par des sportifs pour atteindre la distance parcourue par
les réfugiés dans le monde chaque année.

Annonceur : UNHCR

Site Internet : https://stepwithrefugees.org/fr/ Date de publication : 2019

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4.9 Rapprocher les crises lointaines

En juin 2019, l'association Solidarité International profite de la période de vacances, pour lancer une campagne d'affichage dans les gares et les aéroports afin de sensibiliser les voyageurs à la proximité des zones où se déroulent des crises humanitaires.

À travers cette campagne, Solidarité International sensibilise à la proximité des zones où se déroulent des crises humanitaires et souligne l'engagement de leurs équipes sur le terrain.

Annonceur : Solidarité International

Agence : Les Présidents

Site Internet : https://www.solidarites.org/fr/en-direct-du-terrain/reduire-les-distances-

depasser-les-obstacles/

Date de publication : juin 2019

En affichant clairement le temps de trajet insignifiant pour se rendre sur des théâtres d'intervention où sévissent conflits ou épidémies, l'organisation souhaite rapprocher les Français du terrain et les confronter aux problèmes en contournant la fameuse « loi du mort-kilomètre ». Faisons abstraction de l'expression pour pointer du doigt un problème majeur rencontré dans l'humanitaire. Robin Cornet de la rédaction de RTBF qualifie ladite loi en ces termes : « Plus un événement est distant de nous, moins il éveillera l'attention. Plus les victimes semblent éloignées, moins elles susciteront d'empathie. Une catastrophe éclipse l'autre. L'émotion n'a qu'un temps247. »

La campagne de SI joue sur les heures de vol pour accrocher le lecteur. De plus, la baseline « Ce n'est sans doute pas votre destination. Mais c'est la nôtre. » rappelle la promesse portée par l'association « accéder et porter secours à celles et ceux qui sont frappés par les guerres, les épidémies et les catastrophes naturelles. »

247 Robin Cornet, « La loi du mort-kilomètre », RTBF Info, 7 avril 2015, (consulté le 23 juillet 2019), https://www.rtbf.be/info/dossier/chroniques/detail_la-loi-du-mort-kilometre-la-chronique-de-robin-cornet-robin-cornet?id=8950373

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Des vidéos diffusées sur les canaux digitaux et sur les réseaux sociaux ont aussi été créées dans le cadre de cette campagne. Des plans-séquence de 15 secondes montrent des zones totalement détruites ou précaires avec l'accroche : « Ça ne vous donne pas envie d'y aller ? Nous si. » Le message est clair, souligner l'engagement des équipes de SI et leur détermination à oeuvrer pour apporter de l'aide dans ces milieux complexes.

Pour contrer l'indifférence du public pour les causes lointaines, les ONG doivent créer du lien avec les habitants menacés et rendre ces zones plus proches. De nombreux subterfuges fonctionnent pour permettre l'identification aux victimes. Il est possible d'évoquer les liens historiques qui unissent les pays ou encore la ressemblance des cultures ou des modes de vie. Lors des attentats de Paris, les Américains se sont sentis proches des Français car ils partagent la même culture occidentale que nous. De même pour les Européens qui ont été beaucoup plus concernés par les guerres dans les Balkans, que pour d'autres conflits équidistants, en Libye par exemple.

4.10 L'apparition du matching fund public-privé

Même s'il ne s'agit pas d'un levier de fundraising directement lié au digital, nous nous devions d'évoquer le tout dernier né des innovations liées aux collectes de fonds : le matching fund public-privé, utilisé pour la première fois en France par l'UNICEF en juillet 2019. Ce partenariat, qui ressemble au matching gift outre-Atlantique, permet à l'État, et plus précisément au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères français (MEAE), de doubler chaque don versé à l'association. Ce « mode de financement d'un genre nouveau » fait figure d'expérimentation en France jusqu'à la fin de l'année et a pour objectif de financer un programme d'autonomisation et de scolarisation des filles en Mauritanie. Le Président de la République, Emmanuel Macron, a soutenu personnellement cette initiative et l'a annoncé lors d'une conférence à l`UNESCO : « Pour un euro collecté par UNICEF auprès des citoyens, des fondations et des entreprises françaises pour la scolarisation des filles au Sahel entre juillet et décembre 2019, le gouvernement versera un euro supplémentaire. »248

Ce partenariat tripartite qui associe un acteur institutionnel, une organisation humanitaire et des partenaires privés est quintuplement positif pour l'UNICEF qui met en avant le cumul des avantages fiscaux et du coup de pouce de l'État pour inciter les entreprises et les fondations à faire un geste : « un don de 100 000 € revient à 40 000 € [après réduction d'impôt de 60%]. Lorsqu'une entreprise contribue à hauteur de 40 000 €, c'est au final 200 000 € qui iront sur le terrain pour les filles. Ainsi, chaque euro investi aura un impact réel multiplié par cinq249. »

De son côté, l'État se montre volontaire pour financer un projet de développement dans une zone particulièrement pauvre de la planète, le Sahel. Il le fait savoir publiquement mais en dehors de l'originalité de l'opération, nous pourrions nous demander pourquoi il ne le finance pas seul et qu'il appelle à la générosité des acteurs privés et des donateurs individuels pour compléter l'enveloppe. C'est finalement un dispositif qui se rapproche de l'appel lancé par le Président de la République lui-même pour mobiliser les acteurs privés après l'incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

248 « Entreprises et fondations : l'État double votre don pour les filles », UNICEF France, 18 juillet 2019, (consulté le 2 août 2019), https://www.unicef.fr/entreprises-matching-fund

249 « Le gouvernement et UNICEF lancent un « Matching Fund» », UNICEF France, 23 juillet 2019, (consulté le 2 août 2019), https://www.unicef.fr/article/le-gouvernement-et-unicef-lancent-un-matching-fund

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Pour Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, les partenaires nationaux jouent un rôle essentiel dans la mobilisation du public : « Ils contribuent de manière décisive à la mobilisation du grand public et à la mise en oeuvre d'une approche qui fait appel à l'engagement de l'ensemble de la société, en sensibilisant l'opinion, en défendant la cause des réfugiés, en stimulant l'innovation, en diversifiant les soutiens [...]250 ».

Au moment de l'écriture de ce mémoire, aucun article n'est disponible sur le sujet mise à part les communiqués de l'UNICEF. Nous n'avons donc pas de recul ni de retour sur cette levée de fonds mais il est probable qu'elle bénéficiera d'une bonne image auprès des partenaires privés et d'un bon écho médiatique, étant donné que l'État se porte garant du projet, qu'il le fait connaître et qu'il s'engage lui-même à abonder toutes sommes versées.

Pour susciter la générosité des partenaires privés, le gouvernement et l'UNICEF lancent un matching
fund, où l'État s'engage à doubler chaque don effectué pour soutenir un programme
d'autonomisation et de scolarisation des filles en Mauritanie.

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250 « Financement des programmes du HCR » (UNHCR, 2017), p.43, (consulté le 2 août 2019), https://www.unhcr.org/fr-fr/5b4c8f5f7.pdf

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5. Les pratiques publicitaires innovantes adaptables à l'univers caritatif

Pour introduire cette partie, nous pouvons prendre en compte une étude de Microsoft Canada qui indique que la capacité de concentration des humains se réduit : elle était de 8 secondes en 2013 alors

251.

qu'elle était de 12 secondes en 2 000 De plus, d'autres études nous montrent que chaque individu

serait exposé au nombre de 1 000 à 2 000 publicités quotidiennement. Accentué par les effets néfastes du snacking content, où « dans un contexte d'infobésité, les consommateurs ou cibles B2B peuvent avoir tendance à rechercher des contenus au temps de consultation relativement court. Ils consomment alors les contenus par petites doses à tous moments de la journée comme dans le cadre d'un comportement de snacking alimentaire252 ».

Face à cette intense sollicitation et au peu de temps que les utilisateurs ont à consacrer, les publicités mutent pour s'adapter aux nouveaux usages sur les médias numériques. Nous détaillons ici quelques exemples d'outils innovants.

5.1 Des publicités en temps réel et contextualisées

Le digital a permis aux organisations humanitaires d'être beaucoup plus actives face aux urgences qui se déclenchent. Quelques heures après une catastrophe, elles sont capables de diffuser des emails, des communiqués de presse, des articles ou des publications sur les réseaux sociaux pour faire un appel aux dons et collecter de l'argent sur une plateforme dédiée. Cette notion de temps est cruciale car les dons se font principalement dans les jours qui suivent une catastrophe, au moment où cette dernière est sous l'éclairage des médias.

Dans le milieu publicitaire traditionnel, des innovations voient le jour sur ce sujet. Les publicitaires se tournent désormais vers le « moment marketing », qui pousse à son paroxysme cette notion d'instantanéité. L'idée est de s'emparer d'une information d'actualité ou sportive, de la météo, de l'heure de la journée ou de la géolocalisation pour l'inclure en temps réel dans le message publicitaire et surprendre la personne qui visionne. En s'adressant à une cible à un instant précis, les marques utilisent les émotions des internautes pour pénétrer leur inconscient au moment le plus propice, et stimuler leur engagement ou du moins leur mémorisation. La technologie dynamic creative optimization (DCO) permet, grâce au machine learning, d'optimiser une campagne en temps réel en fonction des performances : placement des éléments graphiques, choix des informations à mettre en avant, des tailles de chaque élément, des couleurs... Au-delà des éléments créatifs, des segments d'audience pourraient eux aussi être créés en temps réel.

La publicité digitale continue son évolution vers toujours plus de personnalisation et d'instantanéité. Le temps où un annonceur visait une audience là où elle se trouvait, par un ciblage de contenu, semble révolu. Désormais les campagnes se font en programmatiques, c'est à dire automatisées grâce à des algorithmes et des systèmes d'enchères, et peuvent même générer un contenu dynamiquement en fonction de données acquises en temps réel. Ainsi des campagnes sur mobile pour des marques d'électroménager sont placées automatiquement pendant des émissions culinaires télévisuelles à forte audience.

251 « Microsoft_Étude déficit de l'attention.pdf », (consulté le 15 juillet 2019), https://www.infopresse.com/Uploads/files/Microsoft_Étude déficit de l'attention.PDF

252 B Bathelot, « Snacking content », in Définitions marketing, 26 janvier 2018, (consulté le 15 juillet 2019), https://www.definitions-marketing.com/definition/snacking-content/

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Renault fait des publicités pour ses voitures électriques lors des pics de pollution : en Roumanie, la marque va même jusqu'à indexer le prix de vente en fonction du taux de pollution, plus celui-ci est élevé, plus le prix baisse. Un moyen de sensibiliser les habitants vivant dans la seconde capitale la plus polluée d'Europe.

À Bucarest en Roumanie, un panneau géant ajuste le prix de vente de la Renault ZOE en fonction du
taux de pollution de la ville.

Annonceur : Renault

Diffusion : panneau publicitaire numérique Date de publication : juin 2019

Les techniques d'optimisation dynamique de contenu (DCO) pourraient transformer les appels à don liés aux urgences humanitaires. Des messages générés automatiquement, suivant l'actualité en temps réel, pourraient permettre aux ONG de communiquer sur une catastrophe immédiatement après son déclenchement, apportant simultanément l'information au destinataire et la possibilité d'agir.

D'autre part, le temps réel permet de diffuser un message contextualisé. Une campagne pourrait utiliser la température extérieure, le moment de la journée et la géolocalisation pour sensibiliser au problème du mal-logement dans un quartier précis.

Autre exemple, une personne en vacances dans un pays du tiers-monde pourrait être exposée à une publicité pour soutenir une action précise à proximité du lieu où elle se trouve.

Être sensibilisé à une information d'actualité par l'intermédiaire d'une publicité ou être géolocalisé précisément pose cependant des questions car, en dehors des performances marketing que cela pourrait apporter, il y a des notions d'éthiques et la réglementation RGPD à respecter pour ne pas paraître trop opportuniste ou trop intrusif.

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5.2 Des formats courts, enrichis et interactifs

Le succès indiscutable des stories Instagram et Snapchat inspire les éditeurs. Désormais, la tendance est au format court pour proposer un contenu qui s'adapte aux usages de navigation des internautes. Des formats publicitaires calqués sur les stories sont déjà disponibles en dehors des réseaux sociaux, la société Quantum en commercialise via ses AdStory. Mais c'est le format vidéo court qui se développe le plus : Bumper de Youtube, ou Commercials de Snapchat en sont de bons exemples, avec leurs vidéos non skippable de 6 secondes qui s'insèrent avant un contenu.

Le format Bumper de Youtube propose des publicités vidéos de 6 secondes, non skippable qui
s'insèrent avant une vidéo sélectionnée par l'utilisateur.

L'enrichissement de contenu est un bon moyen de générer des cliques. Plusieurs sociétés proposent ce type de fonctionnalité qui s'insère en surimpression des vidéos.

De nombreux éditeurs sont spécialisés dans l'enrichissement de vidéos interactives. À gauche, un exemple de bannière cliquable, réalisée par la société Adways. À droite, une vidéo enrichie par Teads pour l'UNHCR, qui comporte un bouton d'appel à l'action (CTA) cliquable.

L'interactivité génère plus d'engagement et augmente le temps d'exposition à une publicité. La personne qui visualise l'annonce n'est plus passive mais doit participer pour que celle-ci se déroule. Sur mobile, de nombreuses fonctions sont possibles : secouer, gratter, scroller, taper, incliner, parler... autant d'actions qui génèrent de l'engouement de la part du mobinaute.

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5.3 La réalité augmentée

Après la réalité virtuelle dont nous avons parlé précédemment, place à la réalité augmentée qui fait son apparition sur des formats publicitaires. En exemple, la marque Dior qui donne la possibilité d'essayer des lunettes virtuellement avant l'achat, grâce à un filtre sur Instagram.

 

Annonceur: Dior

Agence : The Mill

Diffusion : Instagram

Date de publication : mars 2019

La marque Dior utilise des fonctionnalités de réalité augmentée pour donner la possibilité d'essayer
ses accessoires de luxe comme ses lunettes, grâce à un filtre sur Instagram.

La réalité augmentée peut trouver sa place dans le domaine caritatif. Là où des marques de cosmétiques proposent de tester des maquillages virtuellement sur son visage grâce au selfie, des ONG luttant contre des maladies de peau comme la lèpre pourraient s'en servir pour sensibiliser tout un chacun à ce fléau. Là où des marques de chaussures proposent d'enfiler virtuellement leurs nouveaux modèles, comme l'a fait Gucci ci-dessous, des associations qui militent en faveur du handicap pourraient attirer l'attention sur le port d'une prothèse...

 

Annonceur : Gucci

Diffusion : application mobile Gucci Date de publication : juillet 2019

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La marque Gucci propose une fonction intégrée à son application mobile qui permet aux utilisateurs
de porter des modèles de chaussures virtuellement.

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de la philanthropie digitale

5.4 Les chatbots au service de la conversion et de la relation client

De plus en plus de chatbots apparaissent sur la toile. Ces robots conversationnels, capables de discuter avec les internautes en répondant à leurs questions, peuvent avoir différentes fonctions et remplacer l'humain pour effectuer certaines tâches. De nombreuses entreprises ont mis en place ce type de programme pour gérer et améliorer leur relation client tout en faisant des économies. De leur côté, les clients trouvent un intérêt aux chatbots grâce à l'obtention instantanée des réponses et à la disponibilité du service 24 heures sur 24. Dans le même temps, ils expriment des réticences face à ces algorithmes et attendent pour certaines demandes, notamment les questions complexes, une relation personnalisée et humaine.

Dans le cas d'un spot publicitaire pour Carte Noire, le diffuseur 6Play a intégré un chatbot pour ajouter une dimension à la vidéo en intégrant de l'interactivité avec le spectateur pour mieux capter son attention.

Un chatbot, robot permettant de répondre instantanément aux questions, est intégré au spot vidéo

de Carte Noire.

Annonceur : Carte Noire

Agence : Carat en partenariat avec M6 Publicité Diffusion : 6Play - https://www.6play.fr/ Date de publication : décembre 2017

Dans le domaine humanitaire et social, la gestion de la relation donateur est un point clé pour créer de la confiance et fidéliser ses sympathisants. En prenant en compte les résultats d'une étude qui prévoit que « 85% des interactions client-marque impliqueront l'usage de chatbots en 2022 », nous avons toutes les raisons de penser que le secteur sera impacté par l'invasion de « ces agents conversationnels »253. D'autant plus qu'un certain nombre de demandes pourraient être automatisées (annulation d'un don, mise à jour des coordonnées personnelles, envoi de reçus fiscaux...). La mise en place de chatbots permettrait un traitement plus rapide, un allégement des tâches récurrentes dans les services de collectes et une amélioration de la satisfaction client.

De plus, cette solution permettrait peut-être de réduire le taux d'abandon sur les formulaires de don, grâce à un accompagnement du début à la fin du parcours.

253 « 19 statistiques sur les chatbots en relation client », Bob le Bot, 10 juillet 2018, (consulté le 23 juillet 2019), https://www.bob-le-bot.fr/blog/statistiques-chatbots-relation-client/

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PARTIE III - Veille à travers les pratiques émergentes de communication pour un renouveau

de la philanthropie digitale

La société Webotit se lance sur un nouveau canal : les dons conversationnels, qui s'effectuent intégralement sur des programmes de messagerie comme WhatsApp, Facebook Messenger ou encore Google Home. Étant donné la très forte utilisation de ces messageries instantanées (comme nous le montre l'infographie de Globalwebindex dans la sous-partie Les pratiques digitales des Français), et le lancement en 2020 du Libra, la monnaie digitale de Facebook, nous pouvons imaginer que cette forme de don peut trouver son marché.

5.5 L'avènement de l'intelligence artificielle

L'IA ou intelligence artificielle n'en est qu'à ses balbutiements et pourtant nul doute qu'elle s'apprête à révolutionner notre monde. D'ores et déjà utilisée dans une majorité de domaines, elle est capable d'analyser des données, des textes, des vidéos ou des images et d'afficher des publicités contextuelles. En septembre 2018, Decathlon, en partenariat avec l'agence Havas Media, a bénéficié de cette innovation proposée par M6 publicité, pour sa campagne Rentrée des sportifs. Des spots faisant la promotion de produits en adéquation avec les contenus étaient suggérés juste après certaines scènes identifiées dans le programme. Différentes catégories de moments sont analysées par des algorithmes : scène de sport ou de loisir, moment ensoleillé ou pluvieux, scène de convivialité, soins-hygiène-beauté. Après le ciblage émotionnel qui détectait les moments positifs ou négatifs, le ciblage visuel amène à toujours plus de mémorisation de la part du spectateur.

L'intelligence artificielle analyse le contenu des vidéos et détermine des catégories pour afficher, de
manière autonome, des publicités en lien avec les séquences.

Annonceur : Decathlon

Agence : Havas Média avec M6 Publicité Diffusion : 6Play - https://www.6play.fr/ Date de publication : septembre 2018

Vers une recherche d'une expérience utilisateur toujours plus séduisante et engageante, la publicité en ligne qui mêle intelligence artificielle, interactivité, ou génération de contenus dynamiques en temps réel, offre de nouvelles perspectives. Les contenus deviennent de plus en plus divertissants, captivants et informatifs. Mais dans cette quête de personnalisation et de ciblage à l'extrême, se posent toujours les questions liées aux libertés et à la collecte des données personnelles.

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CONCLUSION - Préconisations : la recette d'une communication digitale engageante

CONCLUSION - Préconisations : la recette d'une communication digitale engageante

Dans cette partie, nous nous proposons de faire une synthèse des pratiques fondamentales à considérer pour créer une stratégie de collecte digitale engageante et prospère. Cette liste non exhaustive permet d'avoir à disposition des éléments clés à mettre en oeuvre lors de la conception d'une campagne digitale de collecte.

Générer du trafic

La communication peut viser différents objectifs mais une des premières choses souhaitées lorsqu'on

lance une campagne est d'être vu. En digital, il s'agit de générer du trafic sur les différentes plateformes possédées : sites Internet, landing-pages dédiées, réseaux sociaux, emails... Un client qui se rend dans une boutique a de grandes chances d'acheter, c'est la même chose sur la toile. Si un internaute visite un site et que celui-ci lui plait, il se peut qu'il devienne donateur. A minima, il est sensibilisé et s'il laisse ses coordonnées, il est considéré comme prospect et pourra être sollicité plus tard, par d'autres leviers.

Penser référencement

Pour qu'un site soit visité, il faut qu'il soit bien référencé sur les moteurs de recherche. Être bien

référencé signifie apparaître dans les premiers choix proposés, suite à la requête d'un internaute. Le référencement naturel (SEO) joue un rôle prépondérant dans le classement, c'est une discipline accessible par tous et gratuite. Le positionnement est déterminé par des algorithmes, appelés robots, qui vont scanner chaque page du site. Il s'agit de respecter un certain nombre de critères comme l'utilisation de mots clés pertinents dans les textes et dans les titres, la structuration du contenu (paragraphe, titres, sous-titres, chapôs...), l'emploi de liens hypertextes renvoyant à la fois vers d'autres pages du site ainsi que vers des sources externes référentes, l'ajout de contenus multimédias avec légende et d'images proprement nommées. D'autres spécificités plus techniques favorisent aussi le référencement : site responsive, nom de domaine sécurisé, temps de chargement des pages court, fréquence de mise à jour... La liste est longue et il n'est pas utile ici d'en faire le détail.

Faire la promotion du site

Pour créer du trafic sur un site Internet, il faut envisager d'en faire la promotion. Prévoir un plan média

contenant des relais presse on et off line, des bannières publicitaires, des social Ads sur les réseaux sociaux, des relais auprès d'influenceurs ou de personnalités médiatiques (...), figurent parmi les incontournables.

Le référencement payant SEA revient à faire de la publicité sur les moteurs de recherche. Une technique coûteuse mais efficace pour apparaître en premier sur les moteurs de recherche sur une thématique donnée. Il s'agit de créer des annonces qui sont affichées selon un système d'enchère et facturées chaque fois que la publicité est cliquée.

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CONCLUSION - Préconisations : la recette d'une communication digitale engageante

Sur la requête «don réfugiés», les 3 premiers choix proposés par Google sont des publicités SEA payantes. Ils portent la mention «Annonce», c'est-à-dire que les annonceurs ont acheté ces mots clés pour avoir plus de chance d'apparaître en tête de liste sur cette thématique.

Il est d'usage de demander des rabais sur les espaces publicitaires achetés par les organisations altruistes. Le pro bono a toujours fait partie des pratiques et reste très fréquent dans le milieu, encore faut-il le négocier. Aussi, Google met à disposition des associations éligibles, une enveloppe mensuelle de 10 000 US$ à utiliser pour des annonces SEA, dans le cadre de son programme Google Ad Grants.

Créer des landing-pages

Créer des landing-pages dédiées pour mettre en valeur une campagne particulière est un excellent

moyen d'accroitre la visibilité. Il est plus facile de communiquer sur un contenu spécifique par l'intermédiaire d'un site satellite spécialement conçu pour. Le visiteur trouvera plus aisément ce qu'il est venu chercher, plutôt que de se noyer dans un site fourre-tout, contenant tellement d'informations qu'il devient difficile de s'y retrouver. Ces mini-sites sont résolument pensés pour la conversion, ils sont conçus autour d'une idée simple, compréhensible et facile à communiquer. Ils permettent d'utiliser les dernières technologies numériques pour une expérience utilisateur plus immersive. Ils peuvent réserver des espaces pour mettre en avant les partenaires et multiplier les appels à l'action (CTA), comme les boutons permettant de faire un don ou de signer une pétition.

Soigner le contenu

Tout site, aussi performant soit-il en termes de SEO, d'expérience utilisateur ou de graphisme, n'est

rien sans un contenu de qualité. La rédaction, le ton utilisé, la taille des textes, la pertinence des informations sont autant d'éléments permettant de générer du trafic et de se démarquer sur un sujet donné.

CONCLUSION - Préconisations : la recette d'une communication digitale engageante

D'un point de vue du message, la rédaction se construit, selon Antoine Vaccaro, président du Centre d'étude et de recherche sur la philanthropie (CerPhi), autour d'une trame incluant: le mal, la victime, le héros, le bien. Le choix des mots compte pour motiver le don. Il s'agit d'amener le donateur à être convaincu que la cause le concerne personnellement. Pour cela, il faut rapprocher la cause au plus près du donateur et ajouter une dimension d'urgence, voire donner l'impression que c'est une

question de vie ou de mort. Enfin, il faut réussir à convaincre le donateur que par son geste, il permet un changement254.

Envoyer des emails

Les emails restent un excellent moyen de délivrer une information résumée et d'encourager les

lecteurs à se rendre sur le site Internet pour en savoir plus. Le faible coût d'un envoi d'emails et les bons taux d'ouverture généralement constatés, font de ce levier un incontournable pour la promotion d'une cause, d'une campagne ou d'un appel à don. Grâce à la personnalisation et à la segmentation des bases de données et à d'autres astuces marketing, il est possible d'améliorer les performances d'un email.

Cependant, pour que les résultats demeurent, les organisations doivent être vigilantes sur le nombre d'envois mensuels, car si elles dépassent les limites de l'acceptable pour le receveur, celui-ci a de forte chance de se désabonner. La transparence sur l'utilisation des données personnelles et la mise aux normes de la réglementation RGPD sont plus qu'un gage de qualité, une obligation que les organisations se doivent de respecter.

Inspirer confiance

Après être parvenu à attirer des internautes sur ses plateformes et avoir réussi à les informer et à les

sensibiliser, il s'agit de passer à la seconde étape qui consiste à convertir un visiteur en donateur. Un certain nombre de freins, liés à l'ergonomie ou au manque de confiance des visiteurs, empêchent les dons en ligne de s'imposer comme le canal de collecte dominant.

La confiance, nous l'avons évoquée, est une des premières conditions du don. Pour cela, les organisations doivent modeler leur discours et travailler leur notoriété. L'utilisation de dispositifs crédogènes comme le label don en confiance, l'affichage des comptes financiers en toute transparence sur le site, l'illustration des résultats chiffrés et des retours du terrain ou encore la publication d'articles informatifs sont autant de moyens qui permettent d'inspirer confiance.

La difficulté pour un organisme qui collecte de l'argent sur Internet est de sortir du virtuel pour exister dans le monde réel. L'inscription visible des coordonnées de contact et de l'adresse physique des bureaux contribuent à prouver la transparence de la structure.

De plus, il est requis d'organiser des évènements publics pour faire connaître la marque en dehors de la sphère digitale.

Donner du concret

Pour motiver une personne à donner, les fundraisers doivent s'efforcer de rendre tangible l'impact du

don. En donnant des micros objectifs et des exemples concrets de l'utilisation de l'argent, le donateur fera un lien direct entre son engagement et l'action sur le terrain.

Livrer une information en utilisant les codes des journalistes, à savoir des faits irréfutables et des chiffres concrets, permet de gagner en crédibilité.

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254 Vaccaro, La communication des ONG humanitaires, 2010, p.91

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CONCLUSION - Préconisations : la recette d'une communication digitale engageante

Faire participer

Nous l'avons vu, les nouvelles générations de donateurs souhaitent s'impliquer en personne. Grâce au

digital et aux possibilités offertes par le crowdfunding, il est facile de proposer des outils qui donnent les moyens d'agir au quotidien.

Créer des temps forts

Créer des occasions de donner toute l'année pour sortir de la périodicité habituelle du don qui se

concentre en fin d'année et trouver des prétextes pour solliciter les donateurs, comme l'événement Giving Tuesday ou la célébration de Journées mondiales, participent à augmenter les dons reçus.

Solliciter les donateurs sur leurs canaux de prédilection

Pour contrer la baisse globale des dons, il faut aller chercher le donateur là où il se trouve et s'adapter

à ses besoins. La diversité des profils impose aux organisations de multiplier les canaux de collecte afin de révéler l'engagement de toutes les générations de donateurs, même les plus petites niches.

Mettre le digital au coeur d'un écosystème

Les canaux digitaux ne sont pas encore assez mûrs pour fonctionner en autarcie. Au contraire,

envisager le digital comme un écosystème et non comme un canal distinct s'avère être une stratégie payante.

L'idée dans cette conclusion n'est pas de dresser une liste exhaustive de toutes les actions de marketing et de communication possibles pour faire du fundraising mais simplement de créer un pense-bête en citant les fondamentaux à envisager pour créer des campagnes de collecte engageantes.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway