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L'enseignement de l'histoire en Bolivie

( Télécharger le fichier original )
par Julian Saint-Martin
Université Paris 7 Paris Diderot - Master 2018
  

Disponible en mode multipage

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Université Paris 7 Paris Diderot

U.F.R. Géographie, Histoire, Économie et Sociétés
Master Histoire et Civilisations Comparées, Histoire des Mondes.

L'enseignement de l'histoire dans la Bolivie d'Evo Morales.

Jaquette d'un DVD pédagogique produit par l'enseignant aymara Fidel Rodriguez, 2012. (Photo Saint-Martin)

Présenté par Julian Saint-Martin

Sous la direction d'Aurélia Michel

Et la sous-direction de Sophie Lewandowski

Années universitaires 2016/2018

2

Remerciements :

Je tiens avant tout à remercier Aurélia Michel, qui m'a accordé beaucoup de son temps pour m'accompagner et m'aider dans mon travail mais surtout qui m'a toujours encouragé et soutenu dans mes projets. Je la remercie également pour son humanité et sa bienveillance qui ont rendu ces années très agréables et motivantes.

Je remercie aussi Sophie Lewandowski, qui m'a beaucoup aidé lors de mon terrain à La Paz, d'un point de vue professionnel aussi bien que d'un point de vue humain. Cela ne fait aucun doute que mon expérience et mon travail en Bolivie aurait été bien moins appréciable sans les contacts, les informations et la formation méthodologique qu'elle m'a donné et sans sa présence. Je la remercie d'avoir été là pour me permettre de réaliser ce terrain et ce travail avec confiance.

Je remercie toutes les formidables personnes qui m'ont aidé, qui m'ont accueilli, qui m'ont fait découvrir et mieux comprendre ce merveilleux pays qu'est la Bolivie. Parmi ces nombreuses personnes, je remercie particulièrement Elise Gadea, dont sa compagnie me fut particulièrement précieuse et agréable. Je remercie également Piedades Parada, Ruth, Rolland et Naderlina qui m'ont accueilli avec une grande gentillesse et dont il me fut fort douloureux de me séparer.

Je remercie également ma famille, qui m'a toujours soutenue dans tous mes projets et qui m'a permis de me rendre en Bolivie. Je la remercie d'être constamment là pour moi et pour mon épanouissement. Je remercie en particulier mes parents et mes frères qui m'ont accompagné virtuellement et même physiquement durant mon séjour en Bolivie et tout au long de mon travail.

Je remercie Félicien Gayraud, pour sa présence et ses conseils avisés. Je le remercie bien plus encore pour son humour et sa bonne humeur.

Je remercie aussi tous mes amis proches, qui me permettent d'avancer dans la vie et de prendre les bonnes décisions. Je remercie en particulier Charlotte Raison et Florian Le Marrec pour leur intérêt pour mon sujet.

Je remercie ma chère Noémie, qui a supporté bien des désagréments durant la réalisation de ce travail, qui m'a même parfois relue et souvent écouté. Elle a toujours était là pour me motiver quand cela était nécessaire. Une fois encore, ce travail n'aurait pas put aboutir sans cette personne. Merci.

3

Sommaire :

Remerciements 2

Sommaire : 3

Introduction 4

PARTIE 1 : L'évolution de l'enseignement de l'histoire en Bolivie, des transformations constamment

dictées par la question indigène. 22
Chapitre I : Le développement de la discipline historique au service du projet nationaliste du MNR :

la création d'une identité bolivienne unique de 1955 à 1971. 24
Chapitre II : De 1971 à 1994 : Une éducation antirévolutionnaire et l'essor des revendications

culturelles indianistes 28
Chapitre III : De 1994 à 2010, la loi 1565, le début de l'éducation interculturelle et bilingue dans

un contexte d'effort pour le développement. 32

Chapitre IV : A partir de 2005, l'histoire pour revaloriser le caractère indigène de la Bolivie. 42

PARTIE 2 : L'enseignement de l'histoire à Santa Cruz de la Sierra, l'application de la réforme de 2010

dans un foyer de régionalisme et d'opposition politique et culturelle. 66

Chapitre I : Santa Cruz, capitale de l'Orient et des projets autonomistes. 66

Chapitre II : L'application de la loi 070 : un contenu andin et indigène dans la capitale de l'Orient.

77

PARTIE 3 : L'enseignement de l'histoire dans le Bajo Isoso. 91

Chapitre I : L'autonomie indigène originaire paysanne de Charagua, l'autonomie guarani en

Bolivie. 91

Chapitre II- L'enseignement de l'histoire dans un territoire enclavé, le Bajo Isoso. 98

Chapitre III- Le programme régionalisée dans le contexte indigène : une intégration ou une

exclusion ? 113

Conclusion 124

Bibliographie 129

Table des illustrations 140

Table des matières. 141

Introduction :

L'enseignement de l'histoire dans la Bolivie d'Evo Morales de 2006 à

2017.

« Ce que disait Tupac Katari, nous sommes en train de l'accomplir maintenant non seulement nous sommes socialement, culturellement des millions et des millions, mais en plus les dernières élections du 12 octobre de cette année démontrent que nous sommes aussi des millions d'un point de vue électoral...1 » Cette phrase fut prononcée par le président bolivien Evo Morales lors de la commémoration de la 233ème année de l'exécution de Tupac Katari, le meneur d'une grande révolte indigène 2 contre la couronne espagnole en 1781 3 qui avait proclamé au nom des indigènes révoltés :« Nous reviendrons et nous serons des millions. » De cette manière, Evo Morales, d'origine Aymaras, se positionne comme l'héritier de Tupac Katari qui aurait permis l'accomplissement de cette prophétie. Evo Morales est le premier président indigène de l'histoire de Bolivie. Il s'appuie fortement sur les symboles historiques indigènes, plus particulièrement aymaras, comme ses investitures célébrées à Tiwanaku, le plus grand centre archéologique de la Bolivie andine4. Il souhaite revaloriser ces symboles après des siècles de colonisations. L'histoire occupe donc une place importante dans son projet politique de revalorisation des cultures, identités et connaissances indigènes. Par cette commémoration, il célèbre ainsi la prise de pouvoir des indigènes et leur reconsidération en Bolivie, amorcées au début du XXIème siècle. En effet, les années 2000 sont marquées par de nombreuses vagues de manifestations et de conflits civils contre les gouvernements néolibéraux en place depuis 1982. Ainsi, suite à la guerre de l'eau en 2000 et celle du gaz en 2003, le président Gonzalo Sanchez de Lozada finit par s'enfuir aux États-Unis. Juan Evo Morales Ayma, qui était alors un syndicaliste cocalero5 mène ces luttes à la tête de son parti le MAS-IPSP6 depuis 2002. Il accède à la présidence le 19 décembre 2005 et met alors en place un « proceso de cambio7 afin de changer la société bolivienne et les mentalités, notamment pour ce qui est de la considération des indigènes. Pour la première fois, les indigènes semblent représentés et accèdent en plus grand nombre aux hautes sphères du pouvoir en Bolivie, il s'agit d'un moment très fort symboliquement dans l'histoire des indigènes boliviens. Evo Morales propose une nouvelle constitution qui est acceptée par referendum, ce qui lui permet d'instaurer l'État plurinational de Bolivie le 7 février 2009, dans lequel les droits et valeurs

1 MORALES Evo, 14 novembre 2014, Perlas, Bolivie : « Lo que dijo Tûpac Katari estamos cumpliendo no solamente ahora somos socialmente, culturalmente millones y millones, sino las ûltimas elecciones del 12 de octubre de este arlo demuestran que electoralmente también somos millones, por tanto lo que dijo Tûpac Katari, ahora somos millones »,

2 Il existe deux mots pour qualifier les indigènes : «indigena » ce qui signifie indigène et « indio » qui se traduit
par indien. Le premier est le terme le plus utilisé en Bolivie pour qualifier ces populations, il désigne les personnes originaires du pays en question, ici la Bolivie, en opposition avec les blancs ou autres ethnies qui sont venus d'autres continents et leurs descendants. En français, le terme indien renvoie à l'appartenance à un groupe ethnique. Le terme indigène a acquis une portée politique dans les courants indianistes des années 1970, lorsque plusieurs peuples originaires employèrent ce terme pour qualifier l'ensemble des originaires afin de promouvoir leurs droits. Cependant, le terme indien est un terme colonial imposé par les occidentaux, du fait de l'erreur de Christophe Colomb qui pensait arriver en Inde. Ce mot est péjoratif voire raciste. Pour cette raison, au risque de perdre en justesse de l'analyse, le terme indigène sera systématiquement employé dans ce travail.

3 MINISTERIO DE CULTURAS Y DE TURISMO, VICEMINISTERIO DE LA DESCONOLISACION, Morales dice que se cumplió legado de Tûpac Katari: somos millones, 2014 in : http://descolonizacion.gob.bo/index.php/517-morales-dice-que-se-cumplio-legado-de-tupac-katari-somos-millones

4 CANESSA, Andrew, « Les paradoxes des politiques multiculturelles en Bolivie : entre inclusion et exclusion » Problèmes d'Amérique latine. 2014.

5 Un cocalero est un cultivateur de coca, la plante sacrée des indigènes andins.

6 Movomiento al Socialisme - Instrumento Político por la Soberanía de los Pueblos : Mouvement vers le Socialisme Instrument politique pour la Souveraineté des Peuples.

7 Processus de transformations.

4

5

des indigènes sont inscrits. Cet État est dit « plurinational » car il est formé de plusieurs nations qui revendiquent leurs spécificités. Il souhaite « décoloniser » le pays : la décolonisation de la Bolivie vise à briser la hiérarchisation ethnique de la société bolivienne mise en place par la colonisation. Il veut aussi rendre sa souveraineté au peuple bolivien en luttant contre les mesures néolibérales et en nationalisant l'exploitation des ressources naturelles du pays8.

La restructuration profonde de la Bolivie pour le gouvernement d'Evo Morales essaye d'instaurer un fonctionnement viable face au plus grand défi de ce pays : la diversité culturelle, ethnique, politique et économique.

Qu'est-ce qu'être Bolivien ?

Dans l'imaginaire collectif, la Bolivie est souvent perçue comme un pays andin, montagneux et terre de la civilisation Inca. Pourtant, l'Altiplano, la région des plateaux montagneux et berceau de la culture andine, ne correspond qu'à une petite portion du territoire bolivien. En effet, la Bolivie se découpe en trois ensembles géographiques : l'Altiplano, les Vallées et enfin les Plaines : l'Orient. Ces trois ensembles regroupent des environnements, des climats et des cultures très différents. L'Altiplano est un plateau à une altitude moyenne de 3300 mètres qui présente donc une grande aridité et une sobre vie végétale et animale. Les villes de La Paz, Potosi et Oruro sont les principaux centres urbains de cette région9.

Les Vallées correspondent à la zone entre l'Altiplano et l'Orient ; cette région est moins élevée puisqu'elle se situe à 2000 mètres d'altitude de moyenne. Le climat y est donc plus chaud et la nature plus luxuriante. Cette petite zone regroupe les villes de Cochabamba, Sucre et Tarija10. Ces deux premières zones regroupent les cultures indigènes andines dont les Aymaras et les Quechuas en sont grandement majoritaires. Enfin, l'Orient est la zone la plus vaste, elle couvre plus de 650 000 km2, soit presque 60% du territoire bolivien11. L'Orient correspond aux plaines, les « tierras bajas 12». Cette zone présente des températures chaudes et des paysages différents entre la forêt amazonienne et les plaines du Chaco. La nature est ici très luxuriante, et la diversité ethnique est la plus grande des trois zones. En effet, les Guaranis et les Chiquitanos sont les plus nombreux dans le sud, mais il existe une multitude de peuples diversifiés en Amazonie13. On trouve dans cet immense territoire les villes de Trinidad et de Santa Cruz de la Sierra14. Selon les chiffres du recensement de 2012 de l'Institut National de Statistique, en ne comptabilisant que les départements de Santa Cruz, du Béni et du Pando, la population de l'Orient s'élève à 3 186 716 habitants, soit 32% de la population nationale15. Plus encore, Santa Cruz est depuis 2016, le département le plus peuplé du pays avec plus de 3 millions d'habitants16.

La ville de Santa Cruz de la Sierra, véritable capitale économique du pays, se pose comme capitale de l'Orient. L'industrialisation, l'agriculture de masse et l'exploitation des riches ressources d'hydrocarbures font de la région de Santa Cruz le moteur économique du pays. De ce fait, Santa Cruz de la Sierra ne cesse de croître grâce à l'immigration interne de Boliviens en quête de travail

8 SUAREZ Hugo José et BAJOIT Daniel, Bolivie / La Révolution Démocratique, Charleroi, Couleur Livres, 2009.

9 ROLLAND Denis, Pour comprendre la Bolivie d'Evo Morales, Paris, Harmattan, 2007.

10 Ibid.

11 INSTITUTO NACIONAL DE ESTADÍSTICA, CENSO NACIONAL DE POBLACIÓN Y VIVIENDA 2012, Estado Plurinacional de Bolivia, 2013.

12 Les « Terres basses » en opposition au monde montagneux de l'altiplano.

13 ERCO VILCA Juan Carlos, Las formas de propiedad y su registro : las tierras indigenas y recursos naturales, AECID, Bolivia, 2008.

14 ROLLAND Denis, Pour comprendre la Bolivie d'Evo Morales, Paris, Harmattan, 2007.

15 INSTITUTO NACIONAL DE ESTADÍSTICA, CENSO NACIONAL DE POBLACIÓN Y VIVIENDA 2012 , Estado Plurinacional de Bolivia, 2013.

16 INSTITUTO NACIONAL DE ESTADÍSTICA, Santa Cruz concentra la mayor población de Bolivia, Sant Cruz, 2016.

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rémunérateur17 . Les cultures départementales occupent une place très importante pour certains Boliviens, de telle manière qu'à l'identité nationale s'opposent souvent des identités départementales. Il y a une superposition entre une identité nationale, une identité régionale et une identité départementale. En Orient par exemple, la culture régionale « camba18 » correspond à l'identité métisse des orientaux, elle s'est construite en opposition avec la culture « colla19», une expression seulement employée par les habitants de l'Orient pour qualifier péjorativement, les andins qui peuplent les deux autres régions. Ainsi, la nationalité bolivienne recouvre des personnes qui s'auto-identifient très différemment les unes des autres.

Pourquoi cette forte composante territoriale, géographique et économique de la Bolivie et plus généralement, la diversité environnementale, climatique et culturelle est-elle cachée par la représentation d'un pays montagneux et andin ? D'une part, parce que la majorité de la population est bel et bien andine, les deux ethnies majoritaires démographiquement étant les Aymaras et les Quechuas. D'autre part, car le centre intellectuel et politique a toujours été à La Paz ou à Sucre, mais jamais en Orient. Plus encore, l'Orient est souvent méprisé dans les discours des andins, présenté comme le foyer de racistes et d'oligarques blancs qui glorifient la colonisation. A cela s'ajoute le fait que la connaissance de l'Orient ne s'est fait que très tardivement et suite à un long processus historique. L'histoire de l'Orient et de la ville de Santa Cruz de la Sierra est l'histoire de régions défavorisées au profit des régions du pouvoir20. De plus, l'Orient regroupe les terres cultivables à l'échelle industrielle et les plus grandes réserves d'hydrocarbures. Ils aspirent à une meilleure coopération avec les firmes multinationales pour optimiser leurs exploitations, à l'inverse du monde andin. De ce fait, les orientations politiques et économiques divergent aussi grandement entre ces deux ensembles. Le rapport avec le centre politique et les projets économiques différents ont créé de fortes revendications d'autonomies, dont Santa Cruz de la Sierra en est la première actrice, notamment après son fulgurant essor économique dans les années 1950. Ainsi, le 4 mai 2008, les États de la demi-lune21, le Pando, le Béni, Tarija et à leur tête Santa-Cruz, organisent un référendum pour l'autonomie de ces régions face au gouvernement d'Evo Morales auquel ils sont en totale rupture. Dans ces départements, de véritables massacres et discriminations se déroulèrent envers les indigènes andins. Evo Morales déclare alors l'État de siège et réprime avec force l'Orient et tout particulièrement en 2009, emprisonnant ou forçant à l'exil les dirigeants autonomistes22. Face à l'échec de ses tentatives de sécession, l'Orient essaye de trouver une place dans le nouvel état plurinational d'Evo Morales tout en essayant de préserver ses cultures et ses identités, qu'elles soient cambas ou indigènes. Ses événements sont très révélateurs de l'importance de la reconnaissance des différentes cultures qui composent la Bolivie pour la stabilité et l'unité du pays. Comment l'Orient essaye-t-il de revendiquer son existence et son importance dans la Bolivie ? Comment le gouvernement bolivien lutte-t-il contre le danger séparatiste de l'Orient ?

Cette diversité, la différence de considération et de représentation révèlent qu'être bolivien recouvre des réalités très différentes, autant d'un point de vue économique, culturel que politique. Les Boliviens se définissent par leur identité nationale certes, mais aussi par leur identité départementale. A cette dernière s'ajoute parfois une identité ethnique ou du moins une identité rurale ou urbaine.

17 FISBACH Erich, La Bolivie, ou l'histoire chaotique d'un pays en quête de son histoire, Paris, Editions du Temps, 2001.

18 Camba signifie « ami » en langue guarani, ce terme désigne la culture et l'identité métisse de l'Orient.

19 Un Colla est un mot quechua désignant un habitant de la partie Bolivienne de l'ancien empire Incas, le Collasuyo.

20 PENA HASBUN Paula, La construcción de la identidad cruceña. Le Monde diplomatique. Número 13, 2003.

21 La demi-lune était le nom donnée à l'alliance des départements souhaitant faire sécession : Pando, Beni, Tarija et Santa Cruz.

22 BOULANGER Philippe, «Le Comité Pro Santa Cruz. Genèse et déclin de l'autonomisme institutionnel en Bolivie», Evo Morales ou le malentendu bolivien, Editions Nuvis, 2017.

Illustration 1: Carte des trois aires géographiques de la Bolivie.

La zone en gris correspond à l'Altiplano, celle en beige aux vallées et celle en vert aux terres basses, l'étoile représente Saimapata, la limite de l'extension de l'empire Inca à l'ouest. [21] (Ezilon, Large physical map of Bolivia with major cities, 2009)

7

23 Ezilon, Large physical map of Bolivia with major cities, 2009 in :

http://www.mapsland.com/south-america/bolivia/large-physical-map-of-bolivia-with-major-cities

8

Qu'est-ce qu'être indigène ?

Lors de la colonisation, la Bolivie, comme bon nombre de ses voisins, a subi la mise en place d'un fonctionnement dual de sa société. Les indigènes, largement majoritaires, travaillaient en tant que main d'oeuvre de base dans les champs et les mines, dans le monde rural donc. Les blancs, qui exploitaient les premiers, se sont concentrés dans les centres urbains. Même les grands propriétaires terriens d'haciendas avaient de forts liens avec la ville. Le cas des métis étaient un peu moins évident puisque ces derniers oscillaient entre le statut d'exploitant et celui d'exploité. Cette situation a perduré après la colonisation. De tel sorte que lorsque le MNR24 fait sa révolution en 1952, le terme « indio » est remplacé par celui de « campesino », c'est-à-dire paysan. L'association de l'indigène au monde rural, qui existait déjà, n'en fut que renforcé. Cependant, au XXème siècle, l'exode rural provoqué par l'industrialisation du pays a bouleversé cette situation. En effet, la population bolivienne rurale est passée de 73% en 1950 à 58,7% en 1976 puis pour devenir minoritaire en 1992 avec 42,5 %25. Le dernier recensement national de 2012 révèle que 32,7 % de la population est rurale contre 67,3% d'urbains26, et la situation a probablement encore évolué aujourd'hui. Ainsi, une grande partie de la population rurale indigène s'est installée en ville au cours du vingtième siècle. L'indigène n'est plus seulement le rural dès lors.

Ces migrations internes ont provoqué une évolution des méthodes de recensement du pourcentage de la population indigène en Bolivie depuis le premier recensement national en 1831. En effet, les recensements de 1976 et de 1992 identifiaient la population indigène aux personnes pratiquant au moins une langue indigène. Ainsi, la part de la population considérée comme indigène, selon ces sondages, s'élevait à 46,1% en 1976 et 45,2% en 199227. Cependant, ces chiffres posent problèmes puisque l'identité ne passe pas uniquement par la langue. Dans les mentalités, l'association de l'indigène au paysan continue de s'appliquer, même pour ceux qui ont migré en ville28. Lors du recensement de 2001 en revanche, la question de l'auto-identification ethnique est posée aux Boliviens, ceux-ci se reconnaissent à 62% comme indigènes29 . Pour ce qui est des résultats du recensement de 2012, ils sont controversés. En effet, l'identité métisse ne figurait pas parmi les choix de réponses possibles, cette action « indigénisante » du MAS fut vivement critiquée par les opposants de tout le pays et particulièrement par ceux de Santa Cruz qui prônent leur culture « camba » métisse30. Les résultats sont donc difficilement exploitables, mais ils révèlent tout de même une baisse de 21% de la population se revendiquant indigène. Selon Luis Enrique Lopez, un sociolinguiste et éducateur péruvien spécialisé dans l'Éducation Interculturelle et Bilingue, le début des années 2000 se démarque par une amélioration des relations interethniques et une amélioration de la considération des indigènes dans le pays, comme le démontre la présence de 42 députés se revendiquant indigènes sur 157 au parlement en 200231. La chute du nombre de personnes s'auto-identifiant comme indigène ne signifie pas forcément une déconsidération des indigènes et donc une dégradation des rapports interethniques mais il interroge sur les résultats d'une valorisation des cultures indigènes de la part du gouvernement et sur la définition de l'identité indigène. Cependant, d'autres phénomènes expliquent cette évolution, notamment l'exode rural.

En effet, l'identité indigène reste majoritairement présente dans le monde rural. Ainsi, l'arrivée des

24 Le Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (Movimiento Nacionalista Revolucionario) est un parti populiste qui fut au pouvoir de 1952 à 1964.

25 Instituto Nacional de Estadisticaa, Distribucion de la poblacion empadronada por area, censos de 1950, 1976, 1992, 2001 y 2012.

26 Ibid.

27 INE, Censo Nacional de Población y Vivienda 1992, Resultados Finales, La Paz, 1993.

28 CASEN Cécile, « Le katarisme bolivien : émergence d'une contestation indienne de l'ordre social », Critique internationale, 2012.

29 INE, Censo Nacional de Población y Vivienda 2012, Resultados Finales, La Paz, 2013.

30 Gustavo Pinto Mosqueira, Paula Peña.

31 ENRIQUE LOPEZ Luis, De resquicios a boquerenes, La educacion intercultural bilingue en Bolivia, Plural editores, La Paz, 2005.

9

indigènes en ville s'accompagne souvent d'un renoncement progressif à la culture indigène. L'exode rural pose donc un réel problème pour la survivance des cultures indigènes en Bolivie. Cela est d'autant plus vrai à Santa Cruz, où les cultures indigènes sont particulièrement dévalorisées face à la culture métisse « camba ». Ainsi, le recensement de 2001 révèle que la population urbaine du département de La Paz se revendiquant indigène constitue 70% de la population paceña. Dans la campagne du département de La Paz, cette proportion de personnes s'auto-identifiant comme indigène s'élève à 92%. Cependant, dans le département de Santa Cruz, seulement 34% des urbains et 48% des ruraux cruceños se considèrent comme indigènes32. Enfin, au-delà de l'association de l'indigène au paysan effectuée par la plupart des urbains, ils associent aussi l'indigène au pauvre. Au début des années 2000, la population rurale vit à 80% dans une situation de pauvreté et à 60% d'extrême pauvreté33. Ces données sont révélatrices des différentes considérations des indigènes dans la société selon les départements boliviens.

Quoiqu'il en soit, les indigènes représentent une part très importante de la population bolivienne, sans doute l'une des proportions les plus élevées de tous les pays d'Amérique du Sud. La question du traitement et de l'intégration des indigènes dans la société est donc d'une importance primordiale. L'identité indigène est un concept flou et relatif. Pour certain, l'identité indigène est rattachée au fait de parler une langue indigène, pour d'autre, il s'agit des codes vestimentaires, de l'alimentation et des pratiques religieuses. D'autres penseront qu'il s'agit d'un mode de vie ou avant tout de caractéristiques physiques. Il s'agit surtout d'une auto-identification et d'une identité de groupe portée par une ethnie mais surtout par des valeurs et par des moeurs.

Lorsqu'on parle des « indigènes de Bolivie », il faut bien comprendre que cela regroupe une multitude de peuples très différents. En effet, la Bolivie présente sur son territoire une quarantaine d'ethnies qui ne partagent pas la même culture, les mêmes croyances, les mêmes moeurs ni la même histoire. De plus, au sein d'une même ethnie, il n'est pas rare de trouver des différences entre les communautés. Certains peuples comme les Aymaras, les Quechuas ou les Moxenos possèdent une histoire impériale et urbaine tandis que d'autres peuples comme les Cayubaba ou les Tonalla vivent de manière nomade dans la forêt. Ces différences sont d'ailleurs parfois la cause d'une hiérarchisation des sociétés indigènes entres elles. Ainsi, les Aymaras et les Quechuas s'estiment souvent supérieurs aux peuples des terres basses qu'ils considèrent parfois de « sauvages ». Il ne faut donc pas imaginer un peuple indigène, mais bien une multitude de peuples différents sur le plan culturel aussi bien que phénotypique. Ainsi, l'usage du terme indigène est commode mais parfois réducteur pour parler d'une si grande variété d'identités.

La question de la place et de la considération des indigènes en Bolivie occupe une place très importante dans les politiques des gouvernements boliviens. La fin du XIXème siècle et le XXème siècle ont présenté de nombreux exemples de politiques indigénistes, c'est à dire des politiques de non indigènes qui visent à intégrer les indigènes dans la société et qui prennent en compte leurs spécificités. La fin du XXème siècle et surtout la présidence d'Evo Morales voient les premiers exemples d'application de politiques indianistes, c'est à dire des politiques pensées par et pour des indigènes. Si les politiques indigénistes sont parfois accusées de paternalisme, les politiques indianistes sont parfois porteuses de projets racistes et essentialistes34.

Le statut d'indigène a acquis une portée très politique avec les présidences d'Evo Morales. Le président lui-même en est un très bon exemple, son origine Aymara est souvent l'objet de controverses. L'origine indigène est parfois proclamée afin de pouvoir bénéficier des avantages et des politiques de revalorisation en cours de la part d'individus se réclamant métis auparavant. Face à la difficulté de définir « l'indigénéité », le gouvernement d'Evo Morales crée cette identité en opposition aux gouvernements des descendants européens35. Néanmoins, la poursuite des marches et manifestations

32 INE, Censo Nacional de Población y Vivienda 1992, Resultados Finales, La Paz, 1993.

33 Insituto Nacional de Estadicas, Mapa de pobreza- censo 2001, 2004.

34 CHONCHOL, M. Jacques, and Marie-Chantal BARRE. «Indigénisme Et Indianisme En Amérique Latine.» Cahiers Du Monde Hispanique Et Luso-Brésilien, no. 37, 1981.

35 CANESSA, Andrew. « Les paradoxes des politiques multiculturelles en Bolivie: entre inclusion et exclusion. »

10

indigènes envers le gouvernement d'Evo qui se revendique indigène révèle la nature complexe de la question indigène en Bolivie36.

Bien que la représentation des indigènes ne reste pas moins dépréciative au début du XXIème siècle par les élites urbaines, elle a grandement évolué ces dernières années. Certes l'indigène est imaginé comme un paysan analphabète, peu qualifié et souvent pauvre. Même lorsqu'il vient vivre en ville, il reste discriminé mais il est de plus en plus présent dans les médias et les sphères politiques. A la fin du XXème siècle par exemple, le racisme étant courant et assumé envers les indigènes en ville, à la place Murillo à La Paz, là où siège le gouvernement : l'accès était interdit aux indigènes en tenue traditionnelle37. Désormais, ils siègent au parlement aux côtés des élites urbaines hispanisés. Plus encore, les représentants du gouvernement sont souvent indigènes, il y a une véritable volonté de représenter un nouveau gouvernement, même dans le personnel38. Cependant, le racisme, bien qu'il soit désormais puni par la loi, reste présent dans les mentalités. Il règne encore une méconnaissance et un mépris certain entre les indigènes et le reste de la population et plus généralement entre les ruraux et les urbains.

Les projets d'autonomisation de l'État Plurinational de Bolivie.

C'est face à cette multitude d'identités tant diversifiées qu'Evo Morales essaye d'apporter une structure politique et territoriale permettant de répondre à toutes ces demandes de reconnaissances identitaires tout en évitant une fragmentation du pays.

Ainsi, afin d'essayer de répondre aux demandes d'autonomie de la part des départements, l'État plurinational met en place 9 départements autonomes39. Les départements du Béni, du Pando, de Santa Cruz, de Tarija, d'Oruro, de La Paz, de Potosi, de Cochabamba et de Chuquisaca. Ces départements sont divisés en provinces qui sont elles-mêmes divisées en municipalités. Chaque département est dirigé par un gouverneur et bénéficie d'une assemblée départementale autonome. Cette institution qui siège dans la capitale du département, est censée posséder des pouvoirs « de délibération, de contrôle et de législation sur le territoire de ses compétences et par un organe exécutif40. ». La mise en place de ces autonomies départementales s'insère dans une politique de décentralisation inscrite dans la constitution politique de l'État de 2009. De cette manière, l'Etat plurinational est supposé reconnaître les identités et les spécificités départementales en leur accordant un statut autonome et certains droits.

Les indigènes dans la Bolivie d'Evo Morales.

D'autre part, la question des indigènes occupe une place centrale dans les politiques d'Evo Morales. En effet, celui-ci est présenté comme un indigène Aymara, il se présente surtout comme le défenseur des droits indigènes et de leur considération en Bolivie. Quel que soit le domaine de ces actions, aussi bien la justice comme l'écologie, il base la légitimité de son action sur le respect des peuples indigènes.

Problèmes d'Amérique latine. 2014.

36 CANESSA, Andrew. « Les paradoxes des politiques multiculturelles en Bolivie: entre inclusion et exclusion. » Problèmes d'Amérique latine. 2014.

37 Entretien avec Carolina Loureiro, Directrice de Santillana à La Paz. Jeudi 16 mars 2017, La Paz.

38 Entretien avec Salustiano Ayma M. directeur du secteur primaire du ministère de l'éducation, 29 mars 2017, La Paz.

39 SUAREZ Hugo José et BAJOIT Daniel, Bolivie / La Révolution Démocratique, Charleroi, Couleur Livres, 2009.

40 MORALES Evo, Constitución Política del Estado, El Alto, 2009 : « ... facultad deliberativa, fiscalizadora y legislativa departamental en el ámbito de sus competencias y por un órgano ejecutivo. »

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Illustration 2 : Carte de la répartition des Indigènes sur le territoire bolivien

Les zones géographiques des 36 Nations et Peuples Indigènes Originaires Paysans reconnus par l'État (MERCO VILCA Juan Carlos, Las formas de propiedad y su registro : las tierras indigenas y recursos naturales, AECID, Bolivia, 2008.).

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Désormais, les droits des communautés indigènes sont assurés par la constitution politique de l'État de 2009 qui développe un ensemble de droits des Nations et Peuples Indigènes Originaires Paysans (NyPIOC). Les NyPIOC sont définis en ces termes dans la constitution de 2009 : « Est nation et un peuple indigène originaire paysan toute la collectivité humaine qui partage une identité culturelle, une langue, une tradition historique, des institutions, une territorialité et une vision du monde, dont l'existence est antérieure à l'invasion coloniale espagnole. 41» Le terme « originario » est un concept important que déploie le gouvernement du MAS afin de valoriser les cultures préexistantes à la colonisation, basant leur droit et leur statut particulier sur leur légitimité historique en tant que premiers habitants. Les NyPIOC correspondent donc aux 36 ethnies reconnues par l'État, qui sont disséminées à travers le pays.

L'État plurinational se donne comme responsabilité de préserver et de développer les cultures existantes du pays. Pour ce faire, en plus de ces statuts de NyPIOC, l'État met en place des Autonomies Indigènes Originaires Paysannes (AIOC42) en 2010.

Les AIOC sont définies dans l'article 290 de la CPE. Les AIOC sont des NyPIOC disposant d'une souveraineté sur un territoire donné. Ce dernier est constitué sur les territoires ancestraux des NyPIOC. La gouvernance de l'AIOC est à la charge des indigènes concernés selon leurs principes et moeurs tout en respectant la constitution et la loi43. Il s'agit donc d'un district où les populations indigènes qui l'occupent s'autogouvernent. La législation Bolivienne permet aux gouvernements autonomes indigènes de décréter des lois et de dicter des politiques sur son territoire. Les compétences des AIOC sont instituées dans l'article 304 de la CPE. Parmi ces compétences, il y a la gestion du développement économique, social, politique, des ressources naturelles, des terres et des infrastructures. Plus encore, l'AIOC exerce sa propre justice selon les principes du NyPIOC en accord avec la loi et la constitution. Ici, les AIOC détiennent de nombreux droits et compétences.

Les AIOC sont parmi les plus grands symboles du dévouement d'Evo Morales à la décolonisation du pays, il redonne la terre volée par les colonisateurs aux indigènes originaires. Ces structures sont censées encourager la formation d'organisations indigènes proposant un modèle alternatif à l'organisation politique occidentale. Le 6 décembre 2009, un référendum pour acquérir l'AIOC fut organisé pour 12 communautés sur 18 qui l'avaient demandé. Seule la municipalité de Curahuara de Carangas, d'Oruro, a voté « NO », les 11 autres communautés sont entrées dans le processus de transformation en AIOC. En juin 2018, seulement 3 AIOC sont effectifs : l'autonomie guaranie de Charagua à Santa Cruz, l'autonomie quechua de Raqaypampa à Cochabamba, et l'autonomie des Uru Chipaya qui porte leur nom, à Oruro44.

La loi Avelinano Sinani-Elizardo Perez : une nouvelle éducation pour un nouvel Etat.

Avec le projet de décentralisation et d'autonomisation à la fois des départements et à la fois des indigènes, la question de l'identité devient un enjeu d'autant plus important afin d'éviter une fragmentation du pays. L'éducation et en particulier l'enseignement de l'histoire ont des rôles très importants à jouer dans ce but. De ce fait, cette refonte de la structure de l'État bolivien s'accompagne et s'appuie sur une réforme de l'éducation. La loi numéro 070, qui est nommée loi Avelino Sinani - Elizardo Perez (ASEP) est publiée le 20 décembre 2010. Cette réforme a pour vocation de « décoloniser » le pays et de revaloriser les cultures et connaissances indigènes. Elle met en place une

41 MORALES Evo, Constitución Política del Estado, El Alto, 2009, articulo 30 :« Es nación y pueblo indígena originario campesino toda la colectividad humana que comparta identidad cultural, idioma, tradición histórica, instituciones, territorialidad y cosmovisión, cuya existencia es anterior a la invasión colonial española. »

42 Autonomia Indigena Originaria Campesina

43 MORALES Evo, Constitución Política del Estado, El Alto, 2009

44 TOCKMAN Jason, La Construccion de Autonomia Indigena en Bolivia, 2017.

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éducation interculturelle, intraculturelle et bilingue. L'éducation interculturelle consiste diffuser la connaissance des moeurs et coutumes des autres peuples qui composent la Bolivie. L'aspect intraculturel en revanche, doit permettre aux enfants de tirer des connaissances des autres cultures du pays des leçons qu'ils pourraient appliquer dans leur vie courante, il s'agit d'une conception où l'élève fait partie d'un tout et dans laquelle il apprend toutes les cultures indigènes comme une part de son histoire et de son identité45. Enfin, le bilinguisme est présenté comme essentiel pour « décoloniser » l'école en permettant aux enfants indigènes d'apprendre dans leur langue maternelle et par leurs propres mots et concepts mais aussi afin d'apprendre aux enfants hispanophones à parler une langue indigène. Un aspect très important dans cette réforme éducative est la mise en place d'un programme régionalisé. En plus du contenu du tronc commun enseigné dans tout le pays, les enfants devraient recevoir un enseignement sur leur histoire locale.

Les enjeux de l'éducation en Bolivie

En Bolivie, l'importance de la mission éducatrice de l'état est instaurée par la première constitution de 1825 : « L'éducation est la plus haute fonction de l'État [...] elle devra favoriser la culture du peuple, la liberté de l'enseignement est garantie par l'État.46 ». Ces principes font de l'éducation le ciment de la république. Cette importance donnée à l'éducation, que l'on retrouve dans toutes les premières constitutions sud-américaines, est établie par le héros des guerres de libérations du début du XIXème siècle, celui qui affirmait : « Les nations progressent vers leur grandeur aussi vite que progresse leur éducation47. », Simon Bolivar.

L'éducation scolaire est un outil étatique puissant. Elle permet tout aussi bien de maintenir les clivages sociaux en assurant le monopole des connaissances à une élite privilégiée que d'encadrer le plus grand nombre dans une éducation de masse visant à soutenir l'État. Théoriquement, il peut s'agir aussi d'un moyen d'émancipation collectif vers plus d'égalité sociale. Or l'observation de la situation éducative révèle une autre réalité.

En effet, depuis le milieu du XXème siècle, la Bolivie a connu un développement rapide de la scolarisation. Cependant, cette progression de l'éducation n'a pas profité à tous les groupes de la société bolivienne. Les femmes, les classes populaires et les ruraux n'en ont pas bénéficié de la même manière que les autres boliviens. De ce fait, le développement de l'éducation contribue à accroître l'écart entre populations rurales et urbaines et entre les hommes et les femmes. Les espaces ruraux n'en sont que plus marginalisés et ce processus freine l'intégration des populations indigènes dans le reste du pays. De la même manière, la différence de qualité de l'éducation selon les types d'écoles provoque une différenciation de niveau entre les élèves d'origines sociales aisées et les autres.

L'éducation est donc révélatrice des inégalités d'investissement et de moyens à la fois entre les départements, avec le cas de Santa Cruz par exemple, et à la fois entre le monde urbain et le monde rural. Ces différences sont souvent dictées par le contexte économique et matériel. Théoriquement, l'éducation a pour rôle de doter tous les citoyens boliviens de connaissances communes afin qu'il y ait une égalité des chances dans le monde du travail.

L'éducation des populations indigènes semble être la plus difficile. La loi ASEP est directement conçue pour l'éducation indigène. Ce qui pose d'ailleurs des problèmes d'incompatibilité

45 Définition donnée par Elias Caurey, sociologue guarani, le 17 mars 2017, La Paz.

46 MARTINEZ Françoise, `«Pour une nation blanche? métisse? Ou pluriethnique et multiculturelle ? Les trois grandes réformes éducatives du XXe siècle», in Rolland Denis, Chassin Joëlle, Pour Comprendre La Bolivie d'Evo Morales, Paris, Harmattan, 2007.

47 GELFENSTEIN Sergio, El pensamiento y la obra del Libertador en materia de Educación, La Habana, 2009.

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dans le milieu urbain. Comment se passe l'éducation en milieu rural, dans les communautés indigènes « originaires », ceux qui étaient installés avant la colonisation ? Quels sont les conséquences des nouvelles connexions entre les mondes urbains et ruraux sur les cultures indigènes ? Comment l'éducation indigène de la loi ASEP s'applique-t-elle en milieu indigène ? Favorise-t-elle l'intégration ou exclut-elle les Nations et Peuples Indigènes Originaires Paysans (NyPIOC48) ?

La Bolivie est un pays qui dépend grandement de ses productions et exportations de matières premières, telles que le soja, le pétrole, l'étain, dernièrement le lithium et dans un autre registre, la coca et ses dérivés49. L'exploitation de ces matières premières s'appuie donc sur la coopération avec les populations rurales et leur capacité à exploiter ces ressources. De plus, le nouvel Etat Plurinational d'Evo Morales initie de nouveaux statuts pour les communautés indigènes qui leur permettent de gérer leurs propres ressources. L'éducation est donc importante pour l'exploitation de ces ressources et la connaissance de ses droits. Plus encore, les communautés rurales indigènes ont appris l'histoire nationale homogénéisante et blanche depuis la colonisation. L'école de Warisata et la loi 1565 ont marqué les débuts d'un apprentissage de la composante indigène de l'histoire Bolivienne. Désormais, l'enjeu du MAS avec sa loi 070 est de revaloriser les cultures indigènes et de « décoloniser » le pays. Pour cela, l'éducation de l'histoire et de la culture s'adapte au contexte. Evo Morales déploie de grands efforts dans le monde rural afin de garder un de ses principaux foyers électoraux que constituent les indigènes ruraux. La reconnaissance et l'apprentissage de l'histoire et de la culture locale est une réponse aux travaux et demandes des acteurs indigènes.

Ainsi, l'éducation en milieu rural revêt une importance capitale et intimement liée à des enjeux économiques et politiques. Il s'agit à la fois de garantir l'accès et l'exploitation des ressources premières du pays, mais aussi de dynamiser des régions enclavées et non productives. D'un autre côté, l'enseignement de l'histoire et de la culture locale permet de déployer une politique qui s'affiche comme favorable aux indigènes afin de garantir le soutien de ces derniers au président.

Les enjeux de l'enseignement de l'histoire.

L'histoire à l'école est le fruit d'une construction nationale, présentant une identité collective à l'élève qui peut ainsi se considérer comme membre de la nation car il partage la même histoire que ces concitoyens. Cependant, les relations avec les minorités, qu'elles soient ethniques, religieuses ou politiques, sont souvent conflictuelles. L'élève qui ne se reconnaît pas forcément dans l'histoire nationale du fait de sa propre histoire différente, est confronté au rejet des autres, ce qui renforce sa perte identitaire. L'orientation et le contenu de cet enseignement peuvent avoir des conséquences sur l'attitude et le développement des enfants. Ainsi, un enseignement hiérarchisant les sociétés pourrait développer la xénophobie et le racisme tandis qu'une présentation égalitaire des cultures, orienterait les enfants vers des principes de bonne entente et de respect mutuel. Ainsi l'enseignement de l'histoire peut être émancipateur dans la manière d'aborder les rapports historiques entre les pays et les minorités. Cet enseignement est un des facteurs clé de la construction de la considération de l'enfant envers ces compatriotes d'autres groupes ethniques, religieux ou politiques et envers les étrangers. L'enseignement de l'histoire des minorités d'un pays permet ainsi d'éviter des cas d'élèves en recherche d'identité et permet aux élèves de mieux se connaître entre eux et donc de mieux cohabiter50. Ainsi l'histoire enseignée dépend du contexte, des attentes et objectifs du gouvernement. L'enseignement de l'histoire sert à unir le peuple et légitimer le pouvoir, la construction de son identité collective et s'appuie parfois sur une cause commune qui permet d'effacer les différences dans la

48 « Naciones y Pueblos Indigenas Originarios Campesinos »

49 OEC: Observatorio de Economía y Complejidad, What does Bolivia export? 2014 in: https://atlas.media.mit.edu/es/visualize/tree_map/hs92/export/bol/all/show/2014/

50 KNIBIEHLER Yvonne. « Les finalités de l'enseignement de l'histoire-géographie dans le deuxième degré. » In: Revue française de pédagogie, volume 38, 1977.

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coopération pour la nation. Cela fut ainsi le cas lors de la première Guerre Mondiale, où l'histoire enseignée et les références historiques étaient des moteurs de l'union sacrée et de la haine envers l'ennemi de la France51. Ces périodes de conflits ou de crises provoquent des surexploitations de concepts historiques qui formatent les représentations du peuple sur lui-même et sur les autres. Pour le cas Bolivien, la perte de la mer est l'élément nationaliste par excellence, dont tous les gouvernements, quels que furent leur orientation politique ou leur nature, ont exploité le potentiel de mobilisation et d'unification. Le gouvernement actuel n'en est pas exempt, puisque des représentants chiliens ont même dû se rendre au tribunal pour négocier avec la Bolivie, ce qui représente déjà une victoire symbolique pour le gouvernement d'Evo Morales aux yeux du peuple, ce qui renforce le soutien de ce dernier à Evo52.

En effet, comme il a été montré pour les rapports avec et entre les minorités, le contenu joue un rôle primordial dans la construction de l'identité nationale et de l'identité de l'élève. Il ne s'agit pas uniquement de la manière d'appréhender certains événements, il s'agit de choisir ce qu'il faut faire apprendre et ce que l'on n'étudie pas. Un élève qui a appris uniquement l'histoire de son pays n'aura pas la même conception du monde qu'un autre qui aurait appris une histoire plus mondiale sur tous les continents. Dans de nombreux pays, à l'identité nationale s'ajoute l'identité continentale, qui se superpose malheureusement parfois à une identité ethnique, l'élève étudie donc une histoire continentale. Les sujets abordés et omis en classe d'histoire sont donc le résultat d'une réflexion sur la construction de l'enfant. La méthode enfin, est tout aussi importante dans la construction de l'élève. L'histoire peut être enseignée comme une science exacte et dans un but nationaliste de dévouement à la nation. Ou bien elle peut être un sujet de réflexion critique afin de développer le jugement de l'enfant53 . Il existe une multitude de méthodes d'apprentissage qui correspondent là aussi à des objectifs différents. Bien que le contenu et la méthode varient d'un enseignant à un autre, ces éléments révèlent donc des logiques nationales qui rendent compte d'un contexte politique et culturel.

L'enseignement de l'histoire ne dépend pas uniquement des directives gouvernementales, il va de pair avec les revendications de reconnaissances culturelles. Ceci est d'autant plus vrai dans un pays où l'histoire de la plus grande majorité a été bafouée durant des siècles, comme cela est le cas en Bolivie.

Les enjeux de l'enseignement de l'histoire en Bolivie

Dans le cas de l'Amérique du Sud et tout particulièrement pour la Bolivie qui présente une si grande population indigène, l'éducation de l'histoire des peuples indigènes et de la colonisation sont des choix très importants et délicats. Du fait de l'énorme diversité présentée précédemment, mais aussi des revendications politiques, identitaires et culturelles, l'enseignement de l'histoire en Bolivie a une fonction très politique. Il est à la fois au centre des revendications des autonomistes et nations autonomes et à la fois au coeur des politiques nationales du gouvernement central.

L'enseignement de l'histoire est particulièrement important pour créer une identité commune. La Bolivie étant un pays créé sur plusieurs territoires préexistants, l'histoire bolivienne est une complexe superposition d'histoires locales très différentes les unes des autres54 . Certains peuples comme les Uru Chipaya par exemple furent colonisés dès le Xème siècle par les Aymaras, les Incas puis Espagnols tandis que d'autres comme les Guaranis, ne furent colonisés que par la république

51 JAN Jansen, « Une autre « Union Sacrée » ? Commémorer la Grande Guerre dans l'Algérie colonisée (19181939) », Revue d'histoire moderne & contemporaine, 2014 .

52 BOULANGER Philippe, La revendication maritime de la Bolivie envers le Chili, Quelles perspectives pour l'Etat plurinational de Bolivie ? Paris 13, 2018.

53 KNIBIEHLER Yvonne. « Les finalités de l'enseignement de l'histoire-géographie dans le deuxième degré. » In: Revue française de pédagogie, volume 38, 1977.

54 MARTINEZ, Françoise. « «Vivre ensemble. Le rôle de l'école libérale dans la construction d'une citoyenneté du XXe siècle», Dossier «Citoyenneté et nationalité en Bolivie à l'aube du XXIème siècle», Lazos n°7, 2005.

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bolivienne à la fin du XIX ème siècle. De ce fait, chaque région se sont construits différemment et possèdent leurs propres histoires, leurs références, leurs symboles et leurs héros. L'enseignement de l'histoire cherche donc à créer un lien entre ces citoyens si différents en les rattachant à une histoire nationale commune. Face aux inégalités entre les départements et les groupes sociaux et ethniques, la mission de l'enseignement de l'histoire semble être double pour la viabilité de l'instauration de l'État Plurinational d'Evo Morales. Cet enseignement doit à la fois transmettre la connaissance de l'environnement de l'enfant tout en créant une identité commune à tous les Boliviens et à la fois développer la connaissance des autres cultures, notamment entre les ruraux et les urbains. L'enseignement de l'histoire doit donc transmettre l'histoire locale du programme régionalisé, qu'elle soit départementale ou ethnique, mais elle doit aussi diffuser l'histoire nationale établie dans le programme de base.

Une autre fonction de l'enseignement de l'histoire est la bonne entente entre pays sud-américains. Ainsi, la convention de Bello Andres, instaure la fonction de l'enseignement de l'Histoire en tant qu'assureur de bonne entente entre les pays sud-américains dans une quête pacificatrice et identitaire55. Ceci est un réel défi en cette fin du XXème siècle et début du XXIème siècle, où le ressentiment envers le Chili influence encore la politique et l'économie et où la déconsidération totale des Péruviens se voit dans la culture commune56.

L'enseignement de l'histoire de la loi 070 souhaite revaloriser les indigènes en leur donnant plus de place dans l'histoire apprise à l'école. Le but de cet enseignement est d'améliorer les rapports entre les ethnies, entre les urbains et les ruraux et de redonner un caractère indigène à la Bolivie. L'histoire est beaucoup utilisée par le MAS, certains parlent même d'une réécriture « indigénisante » de l'histoire de la Bolivie. Le développement de ces histoires locales répond à de nombreuses demandes de reconnaissance de la part de minorités. Ces mesures s'insèrent dans le processus de décolonisation. L'observation des statistiques sur l'éducation et de l'évolution de celle-ci révèle que les grandes évolutions de l'éducation ont souvent été inspirées par des réflexions sur l'intégration des populations indigènes. « Réfléchir aux grandes réformes éducatives de l'histoire moderne de la Bolivie, c'est faire apparaître les enjeux politiques, les débats intellectuels et tensions sociales qui se sont joués à chaque étape historique57 .» Françoise Martinez confirme finement que les choix en matière d'éducation sont révélateurs des évolutions des projets politiques de chaque périodes clés de l'histoire Bolivienne. Les trois plus grandes réformes du XXème et du XXIème siècle, le code de l'éducation de 1955 du MNR, la loi 1565 de 1994 et la loi 070 de 2010 ont toutes été pensées à partir d'un projet et d'une considération différentes vis à vis des indigènes en Bolivie.

Il s'agit de la question fondamentale qui reste au centre de tous les débats sur l'éducation. Comment éduquer les populations indigènes ? Dans quel but ? Afin de les intégrer, de les exclure ou de les former ? Et a quelles conditions ? Et surtout quelle place leur donner dans l'histoire et donc dans la société contemporaine de Bolivie ? L'éducation, et particulièrement l'enseignement de l'histoire, sont au centre d'enjeux pour le traitement des populations indigènes et pour les définir dans la société bolivienne.

Cependant qu'en est-il pour la diffusion d'une histoire de Santa Cruz, d'une histoire camba dans les écoles de l'Orient ? Cela ne constitue-il pas un risque d'entretenir la flamme sécessionniste ? De la même manière, l'apprentissage d'une histoire indigène locale dans un contexte éducatif médiocre, ne freinerait-il pas l'intégration de ces populations isolées du reste du pays ? L'enjeu de

55 CAJIAS DE LA VEGA Fernando, La enseñanza de la historia: Bolivia. Convenio Andrés Bello, 1999.

56 BRUSLE Laetitia Perrier. « La Bolivie, sa mer perdue et la construction nationale ». Annales de géographie, no 689, 2013 et témoignages récurrents, observations personnelles.

57 MARTINEZ, Françoise `«Pour Une Nation Blanche? Métisse? Ou Pluriethnique et Multiculturelle ? Les Trois Grandes Réformes Éducatives Du XXe Siècle», in Rolland Denis, Chassin Joëlle (Eds.), Pour Comprendre La Bolivie d'Evo Morales, Paris: Harmattan, 2007.

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l'enseignement de l'histoire est donc de trouver le juste équilibre entre l'enseignement régionalisé et l'enseignement national afin d'être cohérent avec un État plurinational qui regroupe des citoyens ayant leurs spécificités mais partageant des valeurs et des références communes.

L'éducation durant ces dernières 60 années visait avant tout à créer une nouvelle société en transformant les mentalités. C'est particulièrement le cas du projet porté par la loi ASEP. Evo Morales souhaite changer les mentalités vis à vis des indigènes. L'enseignement de l'Histoire est un outil qui s'adapte pour répondre aux problèmes propres à chaque période et chaque lieu. Il constitue à la fois un moyen de reconnaissance et un outil de contrôle étatique

Les paradoxes d'Evo Morales, les limites de la décolonisation.

Evo Morales apparaît alors comme un personnage ambigu, à la fois adoré et à la fois détesté. Bien qu'il veuille s'assurer le soutien des indigènes, il reste avant tout un ancien cocalero58. Tout en prétendant promouvoir les droits de Pachamama, la terre mère, en l'instaurant dans la constitution, et en revendiquant un aspect écologique de légitimité indigène, il mène une politique extractive et d'urbanisation.

Ainsi, le MAS ne se prive pas parfois de ne pas respecter les droits indigènes qu'il a établis ou qui existaient déjà. C'est ce qu'a révélé la crise du TIPNIS. En 2011, le gouvernement d'Evo Morales met en place un projet d'autoroute pour développer l'exploitation de la coca. Or cette autoroute devait traverser le Territoire indigène et parc national Isiboro-Sécure (TIPNIS) institué en 1990. Les 600 indigènes d'Amazonie qui marchaient sur La Paz pour contester cette atteinte à la territorialité indigène, furent entravés par les cocaleros puis réprimés violemment par la police. Face au ralliement de la Centrale Ouvrière Bolivienne aux manifestants et à l'ampleur de la contestation, le MAS finit par annuler ce projet. Cette crise a démontré les contradictions de ce gouvernement, tiraillé entre respect des droits indigènes et de l'environnement et entre la volonté de développer économiquement le pays59 . Cet événement fut la cause des premières défections de la part d'indigènes envers le président Morales. Son gouvernement montre aussi des contradictions troublantes sur le thème de l'éducation. En effet, malgré l'importance de l'éducation donnée dans les discours et décrets gouvernementaux, le financement des écoles et le salaire des enseignants restent très limités, de telle manière que ces derniers doivent parfois avoir plusieurs emplois pour subvenir à leurs besoins et les élèves doivent payer leur équipement scolaire, comme les photocopies60. De plus, ses politiques ont parfois l'effet inverse de celui escompté ou du moins annoncé. Les NyPIOC par exemple, sont rattachées à un territoire établi comme ancestral. Ces territoires sont régis par une juridiction particulière puisque le territoire est attribué collectivement. De ce fait, les indigènes sont encouragés à rester sur leur territoire rural pour bénéficier des nouveaux avantages à leur égard. Ce nouveau statut qui se veut valorisant, rend les termes « indigenas et « campesinos indissociables. Ce faisant, il réaffirme que la vraie culture indigène réside dans le monde rural. Ainsi, à travers les NyPIOC, l'association des termes indigènes et paysans perdure. De manière plus générale, la valorisation et les traitements de faveurs comme l'exemption d'impôt ou l'investissement dans les communautés indigènes rurales font croître le racisme et le rejet de la part d'une part de la population.

Il présente son action comme « décolonisatrice » mais dans les faits, il déploie un réseau de clientélisme et impose la culture Aymara sur les autres. Enfin, il se positionne en tant que défenseur du peuple tout en portant parfois atteinte aux droits des hommes en réduisant l'âge légal des enfants ou en se représentant aux élections présidentielles plus de deux fois par exemple. Ce dernier point est

58 Les cocaleros sont les cultivateurs de coca, la feuille sacrée des andins, qui sert aussi à la fabrication de la cocaïne.

59 LAVAUD, Jean-Pierre. « La Bolivie d'Evo Morales: continuités et ruptures. » Problèmes d'Amérique latine. 5 octobre 2012. N° 85.

60 Mira Kohl, `La Historia Y La Educación: El Fomento de Una Identidad Nacional', Independent Study Project (ISP) Collection, 2009.

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au centre de nombreuses controverses et illustre l'évolution d'Evo Morales. En effet, celui-ci développe un culte de la personnalité. Cela s'observe notamment avec la publication de son autobiographie : Mi vida. De Orinoca al Palacio Quemado61 publié en 2014. Ou encore avec l'ouverture d'un musée à sa gloire dans son village de naissance, Orinoca en 2017, « le musée de la révolution démocratique ». Mais aussi avec la réputation de travailler une vingtaine d'heures par jours ou l'information qu'il joue souvent au football et intègre même un club de première division pour la saison 2014-2015. Au-delà de cette construction, il souhaite rester au pouvoir et se représenter pour un quatrième mandat. Malgré la victoire du NO à 60% au référendum du 21 février 2016 proposant de supprimer l'article de la constitution qui limite le nombre de mandat, le juge du tribunal constitutionnel politique l'a supprimé en arguant que le président était trop bénéfique pour la transformation de la nation pour ne pas pouvoir se représenter62. Après 12 ans de présidence, Evo Morales souhaite donc conserver le pouvoir jusqu'en 2025, ce qui interroge sur l'évolution de la forme de son pouvoir.

Face à cette situation complexe, on peut se demander comment l'enseignement de l'histoire en Bolivie est-il révélateur des contradictions de la révolution d'Evo Morales et de l'établissement de l'État plurinational en Bolivie ?

L'enseignement « décolonisateur » de l'histoire instauré par la loi indianiste ASEP a-t-elle pour simple vocation de promouvoir les histoires régionales et indigènes et de valoriser la place des indigènes dans l'histoire et la société bolivienne ? L'enseignement de l'histoire est-il un outil de décentralisation ou à l'inverse un moyen de contrôler les nouveaux territoires autonomes ?

Pour m'aider dans ce travail et accumuler suffisamment d'informations, j'ai séjourné durant environ quatre mois en Bolivie. En effet, je suis resté 45 jours, de 18 février au 05 avril 2017 dans la capitale administrative de Bolivie, La Paz. En ce lieu, j'ai concentré mon travail sur l'étude des sources étatiques, archivistiques et universitaires ainsi que sur les manuels scolaires. D'autre part je me suis efforcé de rencontrer des membres du gouvernement, d'organisations non gouvernementales et gouvernementales et des intellectuels travaillant sur le thème éducatif.

Je me suis ensuite rendu dans la ville de Santa Cruz de la Sierra durant un mois du 05 avril au 05 mai. Mon travail dans ce lieu fut à la fois de rencontrer des intellectuels de l'Orient et de consulter leur production et les manuels scolaires locaux, mais aussi de me rendre dans les écoles, privées, publiques et religieuses, afin d'observer la transmission de l'histoire et de la culture en milieu urbain et afin de mener des entretiens et des questionnaires aux enfants et aux professeurs.

Enfin, du 05 mai au 27 mai, j'ai cherché à compiler des informations sur l'évolution de l'éducation de l'histoire et de la culture en milieu rural et indigène, dans le Bajo Isoso, une région de l'autonomie indigène originaire et paysanne de Charagua. Dans la ville de Charagua et dans les communautés guaranis de Rancho Viejo et Rancho Nuevo, mon travail était avant tout basé sur des entretiens et questionnaires avec le corps enseignant, les enfants et parents ainsi qu'avec les autorités de l'autonomie indigène.

61 MORALES AYMA Evo, Mi vida. De Orinoca al Palacio Quemado, Iván Canelas Alurralde, 2014

62 AUDUBERT Victor, « Le Tribunal constitutionnel plurinational et le référendum du 21

février 2016 : constitutionnalité contre légitimité ? », Quelles perspectives pour l'État plurinational de Bolivie ? Journée des Bolivianistes 2018.

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État de l'art

Depuis les indépendances au début du XIXème siècle, l'éducation revêt une grande importance en Amérique latine. Cependant, les enjeux de l'éducation évoluent durant les histoires républicaines. En effet, de nombreux pays sud-américains, tels que la Colombie, le Paraguay et la Bolivie, partagent une succession de politiques éducatives, parfois diachroniquement, qui révèlent des mouvements continentaux plus que nationaux.

Pour ce qui est de l'histoire de l'éducation en Bolivie, elle se structure en plusieurs grands mouvements. Les alternances entre politiques d'assimilations, d'intégrations et de multiculturalismes tout au long du XXème siècle, sont ainsi longuement présentées par les travaux de Françoise Martinez, spécialiste du monde hispanique et de l'enseignement en Bolivie au XXème siècle. À Françoise Martinez s'ajoutent les ouvrages de la famille Cajias de la Vega. En premier lieu, la spécialiste de l'éducation Beatriz Cajias de la Vega, mais aussi son frère historien Fernando Cajias de la Vega et enfin sa soeur historienne et ancienne ministre de l'éducation Magdalena Cajias de la Vega. Ces auteurs offrent un ensemble intéressant sur l'histoire de l'éducation en Bolivie.

L'éducation en Bolivie est le sujet de nombreux travaux étrangers comme boliviens. La réforme de 1994 s'est accompagnée de nombreuses publications d'études et d'observations sur l'Éducation Interculturelle et Bilingue. Luis Enrique Lopez est un des auteurs de ce corpus le plus important. La mise en application de l'éducation « décolonisatrice » du MAS est aussi l'objet de nombreux travaux.

Au sujet de l'enseignement de l'histoire en Bolivie, le nombre d'auteurs est réduit, Fernando et Magdalena Cajias de la Vega ont écrit quelques articles. Les principaux ouvrages traitant de la question viennent de la directrice de la chaire d'histoire de La Paz, Maria Luisa Soux et de sa nièce, l'historienne Marianelar WAYAR. Leur ouvrage le plus pertinent étant Diversidad cultural, interculturalidad y integracion en programas y textos escolares de ciencias sociales, Il existe aussi une recherche ethnographique réalisée et publiée en 2009 par l'américaine Mira Kohl, La Historia y la Educación: El Fomento de una Identidad Nacional, qui permet de se rendre compte de l'important écart existant entre l'enseignement théorique et la réalité dans les classes. Enfin, une partie non négligeable de cette histoire de l'éducation et de l'enseignement de l'histoire vient du pouvoir, ou de partisans de celui-ci. Ces dernières sources sont donc à relativiser selon le gouvernement auquel elles se rattachent.

La documentation sur l'Orient est bien plus réduite, d'autant plus sur l'histoire de l'Orient. L'Orient est longtemps resté méconnu des intellectuels boliviens qui se concentrent à La Paz. Et bien malheureusement, le nombre de chercheurs boliviens comme étrangers, qui travaillent sur l'Orient reste très peu élevé. Les travaux d'intellectuels crucenos tels que Paula Peña Hasbun, directrice du musée d'histoire et de Gustavo Pinto, philosophe et historien, furent parmi les principales sources.

Pour ce qui est de l'étude des Guaranis, les travaux les plus importants sur la thématique de l'enseignement et de l'histoire sont principalement présentés par l'anthropologue française Isabelle Combes et par le sociologue guarani Elias Caurey.

Plus qu'une simple question de transmission de savoirs, les enjeux de l'éducation sont multiples dans un pays comme la Bolivie, qui possède un paysage ethnique des plus atypiques et un État, qui se dit plurinational, reconnaissant ainsi 36 nations et langues.

De ce fait, dans tous les pays d'Amérique latine, mais tout particulièrement dans celui-ci, les réflexions sur l'enseignement sont directement liées à un autre champ d'étude, l'indigénisme. L'Amérique du Sud constitue une terre de divers exemples de multiculturalisme et de

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plurinationalisme, sujets au centre de nombreux ouvrages philosophiques et politiques. L'élection d'Evo Morales et la fondation de son État plurinational n'est possible que grâce à ces mouvements et courants de pensées. Comme il a été dit, ce président veut mettre en place une école pour apprendre à bien vivre ensemble, une école décolonisatrice et affirmant le caractère indigène de la nation. Le gouvernement, l'éducation et en particulier l'enseignement de l'histoire sont donc au centre de vifs débats sur la question du multiculturalisme. La question du multiculturalisme a soulevé de nombreuses études et permet de proposer des modèles de politiques pour un monde qui connaît une accélération du brassage ethnique. Ce sujet met en confrontation les opposants au multiculturalisme, arguant que les droits des minorités, et donc de la citoyenneté diversifiée, ne sont pas compatibles avec les droits individuels, tandis que les défenseurs du multiculturalisme avancent que les droits des minorités assurent l'égalité et la liberté à tous, agrandissant même l'aspect démocratique du pays. Les démocraties libérales de l'ancien continent présentent avant tout des problèmes de «polyethnie63», selon le terme de Will Kymlicka, c'est-à-dire, de minorités formées par la migration. En revanche, les pays d'Amérique du Sud (et dans une autre mesure, du Nord), présentent un autre centre d'intérêt dans les débats sur le multiculturalisme : l'indigénisme.

Dans le cas Bolivien, ce conflit idéologique se concentre dans l'opposition entre le gouvernement du MAS, parti du président Evo Morales et avec les anciens sécessionnistes de l'orient. En effet, le premier, produit des revendications traditionalistes des cocaleros, défend un multiculturalisme qui reconnaît les droits particuliers et traditionnels. Les seconds quant à eux, sont constitués des provinces de l'Orient sous la direction de Santa Cruz. Ceux-ci arguent que ces politiques multiculturelles affaiblissent la nation et crée plusieurs formes de citoyenneté. Plus encore, l'école souhaitée par Evo Morales, institutionnalisée par la loi Avelino Sinani - Elizardo Perez, cherche à rompre avec l'étranger et revaloriser les cultures indigènes. Ce point aussi constitue un élément de rejet pour Santa Cruz qui tire ses revenus de l'exploitation des hydrocarbures et donc qui est plutôt favorable aux multinationales étrangères et aux méthodes de modernisation occidentales. Ainsi, les réceptions et historiographies sur l'enseignement de l'histoire depuis le retour à la démocratie sont influencées par les opinions politiques des auteurs.

La manière d'étudier l'Amérique latine est aussi source de débats. En effet, en 2000 paraît la Cambridge History of natives peoples, imposant ensemble de travaux de prestigieux chercheurs américains. Suite à cela des historiens et anthropologues français, Serge Gruzinski et Carmen Bernandont ont publié en 2003, dans la revue des annales, de vives critiques à l'égard de ce travail, initiant ainsi un débat qui révèle à la fois des oppositions idéologiques et méthodologiques des chercheurs français et américains. Idéologique d'une part, car la tradition française d'une république à la citoyenneté unifiée constitue le principal foyer de critique du multiculturalisme, à l'inverse des américains dont le système de souveraineté est basé sur les communautés. Opposition méthodologique d'autre part, d'une école française plus axée sur l'analyse sociale qui reproche à l'école américaine de marginaliser les indigènes et de ne pas voir l'aspect social en niant la construction historique sur le long terme et par interaction et réaction avec la colonisation.

Ce débat relève l'un des plus grands défis de l'étude d'une question ayant un rapport aux indigènes, il s'agit de prendre en considération les spécificités de ces peuples sans pour autant ne pas voir les autres facteurs sociaux, et sans les marginaliser.

63 KYMLICKA Will, La citoyenneté multiculturelle, une théorie libérale du droit des minorités, Paris, Éditions de la Découverte, 2001.

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Le travail se structure en trois étapes. Dans un premier temps, il est important de comprendre l'évolution de l'enseignement de l'histoire en Bolivie, surtout à partir de la révolution indigéniste du MNR en 1952. Afin de bien comprendre que la « révolution » éducative d'Evo Morales n'est pas autant en rupture qu'elle le prétend, il faut prendre en compte le développement de la discipline historique et de son enseignement au service de l'état, toujours autour de la question indigène. Il s'agit surtout de connaître le contenu et les fondements des projets éducatifs portés par les réformes éducatives des différents gouvernements.

Ensuite, l'étude du cas de Santa Cruz de la Sierra révèle que l'enseignement est un enjeu crucial de contrôle politique, notamment pour une région dissidente. Il existe donc un grand écart entre l'enseignement de l'histoire présenté dans la loi ASEP et celle appliquée à Santa Cruz de la Sierra, notamment sur le plan de la régionalisation du contenu. L'enseignement de l'histoire est plus que jamais le terrain de lutte entre un gouvernement centralisateur et des intellectuels de l'Orient autonomistes ou fédéralistes.

Enfin, l'étude de l'AIOC guarani de Charagua permet de découvrir l'application de l'enseignement de l'histoire dans les communautés indigènes rurales. Le cas guarani démontre que l'éducation de la loi 070 est avant tout pensée pour les indigènes, mais cette éducation qui vise à contrôler ces populations, présente pour ces dernières des dangers d'exclusions et paradoxalement, d'acculturation.

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PARTIE 1: L'évolution de l'enseignement de

l'histoire en Bolivie, des transformations

constamment dictées par la question indigène.

L'enseignement de l'histoire en Bolivie, l'importance qu'on lui a attribuée et son utilisation ont suivi les grandes évolutions des politiques éducatives. L'enseignement de l'histoire permet de doter un peuple de références communes. De l''apprentissage d'un passé commun, les pouvoirs publics attendent en général le développement d'un sentiment d'appartenance à une même nation, que l'histoire façonne des identités et crée une société partageant les mêmes valeurs mais aussi donnant à chacun sa place. L'enseignement historique permet de se rendre compte des représentations de la nationalité bolivienne qu'avaient les dirigeants selon les périodes. En particulier, cet enseignement permet de constater les politiques d'intégration, d'assimilation ou d'exclusion, qui sont mises en place envers les minorités à travers les politiques éducatives.

Avant la colonisation, les peuples indigènes transmettaient leurs connaissances dans le cadre de la famille, par le travail et par l'expérience de la vie. Plutôt qu'une discipline historique, il s'agissait de récits de légendes et des vies passées des anciens64 . Cependant, la multitude de peuples qui occupaient le territoire actuel de la Bolivie présentaient des situations hétéroclites. La colonisation s'est grandement appuyée sur l'Église catholique pour se légitimer et pour structurer un nouveau territoire. Ainsi, l'éducation des indigènes se résumait souvent au catéchisme dans le but de propager la foi catholique. Le catéchisme et l'évangélisation s'appliquaient par la mémorisation en espagnol, remplaçant ainsi la pratique par l'apprentissage65 . Avec l'indépendance et la mise en place de la République en 1825, les enjeux de l'enseignement de l'histoire évoluèrent. La Bolivie est un pays « fabriqué » pour reprendre l'expression de Françoise Martinez66. En effet, le territoire de ce nouveau pays n'est pas établi sur une ancienne entité politique ou sur un groupe culturel uni, bien au contraire, puisqu'il présente une grande diversité de cultures et d'ethnies. Ainsi, le concept de nation bolivienne est très théorique lors de la mise en place de la République67. A partir de ce moment, le principal rôle de l'enseignement de l'histoire est officiellement la création de la nation et de l'identité nationale. Des écoles sont alors construites à travers le pays afin de diffuser des valeurs civiques communes à partir de la vie des héros et de l'apprentissage des caractéristiques du territoire bolivien. L'histoire à l'école a alors comme mission de fabriquer l'amour pour la patrie et l'esprit civique. Des années 1860 aux années 1930, l'État ne produisait pas de matériel pédagogique pour ces enseignements. Il s'agissait d'intellectuels qui écrivaient des brèves d'histoire que le gouvernement choisissait selon leur contenu. Pour ce qui est de la méthode, l'apprentissage par coeur reste de mise68. Ainsi, on trouvait différentes histoires selon les régions, mais il ne s'agissait pas pour autant d'histoires indigènes ou locales. Bien que les récits historiques fussent critiques envers le colonialisme, le blanc restait le modèle à suivre dans la société bolivienne.

64 CHOQUE CANQUI Roberto: «La educación indigenal boliviana. El proceso educativo indígena-rural» en Revista Estudios Bolivianos 2. La Paz. 1996 et COMBES Isabelle, Etno-historias del Isoso Chané y chiriguanos en el Chaco boliviano (siglos XVI a XX), Fundación PIEB; IFEA Instituto Francés de Estudios Andinos, 2005 ainsi que les témoignages d'anciens guaranis.

65 Ibid.

66 MARTINEZ Françoise, "Régénérer la race". Politique éducative en Bolivie (1898-1920), Paris : IHEAL-La Documentation Française, 2010

67 Ibid.

68 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad e interacion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, Bolivia, 2006.

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En 1898, un conflit éclate entre les conservateurs au pouvoir depuis 20 ans et les libéraux. Ces derniers accèdent au pouvoir en 1899 notamment grâce à leur alliance avec les mutins indigènes. Les libéraux mettent en place un projet de modernisation du pays69. Dans la conception évolutionniste70 et positiviste71 de l'époque, les élites pensaient la modernisation de la Bolivie possible seulement si les populations indigènes, ignorantes et considérées comme un frein au progrès, étaient civilisées. Plus encore, les mutineries de la masse indigène contre les oligarques blancs en 1898 ont réveillé la peur de l'indigène. Cette double raison explique le projet visant à « civiliser » l'indigène et à créer un sentiment d'unité dans cette société inégalitaire. Ainsi, le projet libéral est le premier à s'appuyer principalement sur l'éducation. C'est donc pour des raisons politiques que l'éducation s'adresse au plus grand nombre, et ce faisant, les enjeux de l'enseignement de l'histoire évoluent. Celui-ci vise désormais à façonner une identité nationale ainsi qu'à conserver la hiérarchie sociale et ethnique tout en la légitimant. Pour ce faire, l'histoire (ainsi que les sciences « dures ») est enseignée de manière à démontrer la supériorité de la race blanche face aux indigènes et autres races aux histoires de vaincus et de colonisés. Les blancs sont présentés comme les plus aptes à diriger le pays. Suivant les idéologies du gouvernement, la Bolivie est « malade » du fait des indigènes, il faut donc la « régénérer » en « civilisant » les indigènes72. Cette éducation civilisatrice se traduit finalement par une « désindianisation73 ». L'école cherche à créer une identité nationale en imposant des rites nationaux au détriment de rites locaux. L'école devient un lieu d'apprentissage du patriotisme74. De manière plus concrète, la réforme éducative libérale de 1899 à 1920, construite à l'aide de consultants européens, met en place les matières d'histoire, de géographie et d'instruction civique. Cette réforme introduit les premières tentatives de sortie d'un apprentissage historique basé sur la mémorisation, mais son contenu reste très factuel75.

Parallèlement à cette éducation civilisatrice en espagnol, apparaît un projet indépendant dans l'ayllu76 de Warisata, une communauté du département de La Paz à partir de 1931. Un paysan aymara, Avelino Sinani, qui apprenait à lire aux enfants de sa communauté dans une école clandestine et Elizardo Perez, un enseignant rural envoyé par l'État, s'associèrent pour former une école d'un nouveau genre à Warisata. En plus de salles de classe, cette école comprenait des dortoirs mais aussi de ateliers pour pratiquer le tissage, le travail du bois et de la forge ainsi qu'un grand jardin pour acquérir les savoirs agricoles. En effet, l'école de Warisata était extrêmement innovante puisqu'elle proposait non seulement d'adapter totalement l'enseignement au quotidien dans la communauté, de suivre les valeurs aymaras mais aussi d'enseigner en langue aymara. Ainsi, les enfants participaient au travail communautaire, apprenaient par la pratique de l'artisanat, du chant et de l'agriculture aymara dans les principes fondamentaux de la réciprocité et de la solidarité. Le succès de cette école fut tel que l'école de Warisata devint le centre d'un ensemble de quatre écoles reproduisant ce modèle en 1934, puis de 33 écoles en 1936 dans plusieurs régions andines du pays.

L'expansion de cette forme d'éducation communautaire allait à l'encontre du projet politique

69 FISBACH Erich, La Bolivie, ou l'histoire chaotique d'un pays en quête de son histoire, Paris, Editions du Temps, 2001.

70 L'évolutionnisme est un concept anthropologique qui avance que toutes les sociétés évoluent en suivant les mêmes étapes vers le modèle de la société occidentale.

71 Le positivisme place la science comme base de tous raisonnements, ce courant présente l'histoire comme une évolution linéaire d'un mode de pensée basée sur la théologie et sur les mythes vers une conception des événements et du monde plus rationnelle, basée sur le scientifique.

72 MARTINEZ Françoise, "Régénérer la race". Politique éducative en Bolivie (1898-1920), Paris : IHEAL-La Documentation Française, 2010

73 FISBACH Erich, La Bolivie, ou l'histoire chaotique ...

74 MARTINEZ Françoise, "Régénérer la race".

75 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad e interacion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, Bolivia, 2006.

76 Communauté quechua ou aymara pratiquant le travail collectif, dont les membres se revendiquent d'une origine commune.

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homogénéisateur et à l'encontre du fonctionnement économique du pays. En effet, les grands propriétaires miniers et terriens, très influents sur le pouvoir, virent en cette éducation un danger pour l'ordre établi et le fonctionnement de leurs entreprises. Les indigènes éduqués auraient la possibilité de connaître leurs droits et de se défendre face aux exploitations et abus des élites blanches. Pour ces raisons, l'école de Warisata et toutes les écoles satellites furent détruites et interdites par le gouvernement bolivien en 194177.

L'évolution de l'enseignement de l'histoire depuis la colonisation jusqu'au XXème siècle est révélatrice de l'imprégnation profonde des valeurs coloniales dans les structures de l'éducation bolivienne. Mais aussi de la continuité de la représentation duale d'une élite blanche au centre de l'histoire et au pouvoir, opposée à une masse populaire et rurale indigène qui doit être civilisée par les premiers. L'enseignement de l'histoire est resté centré sur des héros et des faits, omettant toute histoire indigène ou de groupe. La méthode d'apprentissage par coeur, héritée du catéchisme, ne visait pas à développer un sens critique ou une identité propre, mais bien une culture générale puis des références communes dans un processus de construction de la nation. Finalement, l'instrumentalisation de l'enseignement de l'histoire ne s'est vraiment observée que lors du projet d'unité nationale et de modernisation par l'acculturation des indigènes du gouvernement libéral. Cependant, l'expérience de Warisata nous rappelle que la Bolivie est un grand pays qui présente une grande diversité de situations, parfois en décalage avec les décisions étatiques. Plus encore, cette expérience fonde la lutte pour la valorisation de la culture indigène dans l'éducation par des urbains comme par des ruraux dès 1931.

Chapitre I :Le développement de la discipline historique au service du projet nationaliste du MNR : la création d'une identité bolivienne unique de 1955 à 1971.

I-A/ Le développement de la discipline historique en Bolivie au service du gouvernement révolutionnaire.

La guerre du Chaco, de 1932 à 1935, crée un réel sentiment de patriotisme et fait sortir les indigènes de leur cadre rural en les impliquant dans la défense de la nation. Ce nationalisme ne cesse de croître jusqu'à son aboutissement avec la révolution menée par le MNR78 en 1952. Le MNR qui gouverne aux côtés des syndicats ouvriers, met en place plusieurs réformes afin de transformer la société selon son idéologie nationaliste, selon une vision marxiste de la société bolivienne79.

En Bolivie, il existe trois types d'écoles. Les écoles publiques, les écoles privées et les écoles religieuses. Les écoles « fiscales » sont financées par l'État et sont donc gratuites, ce sont les écoles les plus nombreuses et les plus fréquentées. Elles dépendent directement du gouvernement. Les écoles « particulares » quant à elles sont financées par les frais d'inscriptions des parents. Il existe cependant une grande variété d'écoles privées, certaines sont extrêmement onéreuses et donc réservées aux élites, tandis que d'autres sont relativement abordables pour les classes moyennes et présentent des conditions de travail relativement proches de celles des écoles publiques. Les écoles religieuses, dites de « convenio » fonctionnent grâce à l'entente de l'Église et de l'État. Elles sont

77 MARTINEZ, Françoise `«Pour Une Nation Blanche? Métisse? Ou Pluriethnique et Multiculturelle ? Les Trois Grandes Réformes Éducatives Du XXe Siècle», in Rolland Denis, Chassin Joëlle (Eds.), Pour Comprendre La Bolivie d'Evo Morales, Paris : Harmattan, 2007.

78 Parti politique Movimiento Nacionalista Revolucionario, fondé en 1942.

79 ROLLAND Denis, Pour comprendre la Bolivie d'Evo Morales, Paris, Harmattan, 2007.

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construites dans les quartiers pauvres et elles sont orientées pour ces derniers. Les frais d'inscriptions sont donc minimes, mais ces écoles s'appuient en grande partie sur la participation des parents dans le processus éducatif des enfants. Le personnel enseignant est en majorité laïc, mais des membres du clergé interviennent souvent dans ces établissements. Ces trois types d'établissements offrent des formations de qualité très variable. Ce système est créateur de grands écarts de niveaux d'éducation entre les classes sociales. Les écoles de « convenio » sont apparues lors de la séparation de l'État et de l'Église dans la constitution de 1952. C'est à cette même époque, sous l'impulsion du MNR que l'éducation se développe de telle manière qu'entre 1952 et 1962, le nombre d'écoles, d'enseignants et d'élèves a doublé80.

Dans sa construction de la nation, le MNR octroie une grande importance à l'histoire. Ceci se traduit par l'opposition à l'aide de l'histoire révisionniste. En effet, dès 1942, dans le manifeste fondateur du parti, "Bases y principios de acción inmediata del Movimiento Nacionalista Revolucionario", on constate que la plus grande part de cet écrit consiste à une analyse de l'histoire bolivienne depuis l'empire de Tiwanaku à la guerre du Chaco. L'auteur de ce manifeste, José Cuadros Quiroga, dénonce alors historiographie libérale qu'il juge mensongère. Cet intellectuel explique le retard de la Bolivie, non pas par des raisons biologiques ou géographiques comme les libéraux le prétendaient, mais à cause des élites de propriétaires terriens et de mines, suivant l'idéologie du MNR qui base son discours sur la lutte contre l'oligarchie. Plus qu'un problème racial, il met en cause la classe bourgeoise qui accapare les richesses du pays. Des intellectuels proches du MNR81 ont ainsi rédigé des ouvrages historiques appliquant un prisme nationaliste révolutionnaire à l'histoire bolivienne. Ils y dénoncent l'accaparement des richesses par les oligarques, qui constituent une anti-nation face à la vraie nation, la classe moyenne, les paysans et ouvriers qui restaient dans la pauvreté à cause des premiers82. L'histoire devient donc un élément central pour se différencier des régimes précédents. De même, la critique d'une anti-histoire ou d'une historiographie anti-bolivienne révèle leur attention à l'enjeu politique de la maîtrise de l'histoire officielle.

Cette réécriture historique permet alors d'insérer l'avènement du MNR comme un événement majeur, au même titre que l'indépendance de la Bolivie. Les réécritures de l'histoire par les intellectuels du MNR permettent de légitimer leur parti, les présentant comme des nouveaux libérateurs face aux élites oligarchiques qui auraient volées l'indépendance à la véritable nation bolivienne. Il s'agit avant tout d'une histoire téléologique conduisant au MNR. Ce gouvernement fait donc ostensiblement de l'histoire un outil politique d'opposition et de légitimation. De ce fait, une fois au pouvoir, le parti révolutionnaire décide de développer la discipline historique en la professionnalisant, afin de s'en assurer le contrôle et en fait un des principaux moteurs du projet nationaliste. Le MNR accuse l'historiographique libérale d'avoir été oligarchique mais aussi de ne pas être basée sur assez de sources. Ainsi, le gouvernement du MNR crée en 1954 la commission nationale d'histoire qui doit constituer des archives nationales à la disposition des historiens83. Le but est de « reconstruire la vraie Histoire de Bolivie pour que la citoyenneté connaisse son authentique passé.84 ». Dans les faits, cette commission avait avant tout pour but de donner un crédit supérieur à l'historiographie révolutionnaire. Néanmoins, cet effort est révélateur de la nouvelle importance donnée à la véracité historique auprès des citoyens. L'accès à une histoire cachée ou faussée par des autorités ennemies du peuple est un discours qui devient récurrent à partir de ce moment. Plus encore, l'objectivité des oeuvres historiques est devenue un critère des plus importants pour la valeur d'un ouvrage. Mais cette

80 Direction National d'Information, 1962.

81 Augusto Céspedes, Carlos Montenegro, José Cuadros Quiroga

82 GILDER Matthew. La historia como liberación nacional: creando un pasado útil para la Bolivia posrevolucionaria. Revista Ciencia y Cultura, Laura Lima, 2012.

83 Ibid.

84 Decret Suprême N°. 3708, 9 de abril de 1952, «reconstruir la verdadera Historia de Bolivia para que la ciudadanía conozca su auténtico pasado »

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fois encore, il s'agit plutôt d'une mesure visant à valoriser l'historiographie nationaliste face à l'historiographie libérale. En effet, cette professionnalisation de l'histoire constitue l'apparition d'une histoire qui se prétend scientifique mais qui est contrôlée par et pour l'État85.

Le MNR est donc le premier gouvernement à s'appuyer autant sur l'histoire et sur sa transmission. L'histoire légitime sa place au pouvoir grâce à une critique de l'historiographie libérale oligarchique et en proposant une histoire réécrite qui place le MNR comme l'aboutissement logique des luttes révolutionnaires depuis l'indépendance. La discipline historique se développe dans ce contexte de politisation de l'histoire. L'histoire devient un outil étatique institutionnalisé et contrôlé.

I-B/ L'enseignement de l'histoire pour créer une identité bolivienne selon l'idéologie du MNR

Le MNR souhaite transformer la société bolivienne et bâtir une nouvelle nation. Son action révolutionnaire s'opère par des grandes réformes dans les premières années qui suivent son élection. Des réformes : législatives, notamment avec le suffrage universel dès 1952, économiques, avec la réforme agraire en 1953 mais aussi sociales, avec la réforme de l'éducation en 1955. Ce code de l'éducation vise avant tout à démocratiser l'éducation en Bolivie, mais aussi à unifier l'éducation pour formater la population dans les valeurs du MNR.

L'utilisation de l'histoire pour légitimer et diffuser les idéologies nationalistes et populiste se retrouve dans l'enseignement de l'histoire à l'école. Ainsi, l'enseignement historique à l'école ne présente que brièvement l'histoire du pays. Il s'agit plus d'une présentation de la Bolivie contemporaine, des situations à travers le pays et surtout des agissements du MNR tout cela afin de propager les valeurs du MNR86 Dans le livre de Carlos Montaño Daza, Así es Bolivia publié en 1958, qui sert de manuel d'histoire, on peut lire dans un dialogue fictif : « La terre et les métaux sont au peuple, qui est le seul qui commande parce qu'il est le seul qui travaille [...] De même la terre doit retourner à nos frères paysans. 87» Le MNR est ici glorifié dans son oeuvre libératrice face à l'accaparement des richesses boliviennes par les oligarques, aux dépens de la vraie nation, c'est-à-dire la masse ouvrière et paysanne. Il est intéressant de noter que le peu de contenu historique sur le pays présent dans ce même ouvrage est très andinocentré. Ainsi, Carlos Montaño Daza, un historien du MNR présente la Bolivie en ces mots : « ...le quatrième « suyo » de l'empire des Incas : le Kollasuyo, où la conquête espagnole a modifié en plus de trois siècles les coutumes des Incas. 88». Or le Kollasuyo ne correspond qu'à la partie andine de la Bolivie. Cet andinocentrisme s'explique par l'origine andine des intellectuels de cette époque mais aussi par leurs très faibles connaissances du reste du pays. L'enseignement historique est donc réduit à propager les valeurs du MNR aux enfants et à mettre en avant l'action de ce gouvernement afin de construire des boliviens patriotes et partageant la vision classiste et andinisante du MNR.

En effet, le projet politique du MNR vise à créer une nouvelle identité nationale pour tous les Boliviens. De ce fait, l'histoire est mobilisée pour façonner l'identité bolivienne et le nationalisme.

85 GILDER Matthew. La historia.

86 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad e interacion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, Bolivia, 2006.

87 MONTANO DAZA Carlos, As! es Bolivia, 1958« La tierra y los metales son del pueblo, que es el único que manda porque él es el único que trabaja [...] También la tierra ha de ser devuelta a nuestros hermanos campesinos. »

88 MONTANO DAZA Carlos, As! es Bolivia, 1958 :« ...el cuarto «suyo» del Imperio de los Incas: el Kollasuyo, donde la conquista española modificó en más de tres centurias las costumbres del Incario. »

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Pour ce faire, de nombreux lieux de mémoire89 sont mis en place afin de favoriser la construction d'un sentiment d'appartenance à une même nation par un passé commun. L'histoire révolutionnaire envahit alors l'espace public grâce à la construction de monuments et par le biais du changement des noms de places et rues au profit de personnages de l'histoire nationaliste. Avec le MNR se développe le devoir de mémoire soutenu par l'État, ce qui permet au pouvoir de diffuser ses idéaux révolutionnaires à travers son histoire révisionniste. Un ensemble de fêtes civiques sont mises en place afin de célébrer l'histoire révolutionnaire dans toutes les municipalités et écoles90.

Plus encore que dans l'espace public, l'histoire est avant tout employée pour construire l'identité nationale dans les écoles. Le code de l'éducation de 1955 transforme l'école de caste en école de masse. En effet, l'idéologie révolutionnaire ne prend plus en compte les différences ethniques mais bien les différences sociales. Le MNR a une réelle volonté de gommer les différences entre les indigènes, les métisses et les blancs. Ainsi, les indigènes sont désormais appelés « paysans »91. Le prisme des classes sociales occulte toutes les identités ethniques. Et là est bien le but de ce point de vue, puisque le projet du MNR est un projet nationaliste homogénéisateur qui ne laisse guère de place aux particularismes régionaux. De plus, ce point de vue permet de se démarquer de l'ancien gouvernement libéral qui avait mis en place une école pour acculturer les indigènes. Cependant, dans les faits, l'école nationaliste reste un outil d'acculturation des indigènes. Un des grands principes du code de l'éducation de 1955 propose de « donner de la dignité au paysan, dans son environnement, avec l'aide de la science et de la technologie, en faisant de lui un producteur et consommateur efficace92. ». Par cette nouvelle terminologie, le rôle d'acculturation de l'école est moins frappant, mais il s'agit encore de civiliser et de moderniser les indigènes pour les intégrer à un système économique national.

En effet, du fait de leur grande diversité, les indigènes sont considérés comme des menaces dans la quête de la construction d'une identité nationale homogène.

La promesse de ce projet éducatif, qui s'insère dans un projet global, est d'intégrer l'indigène dans la nation, à condition qu'il accepte de se considérer comme paysan de la nation bolivienne plutôt qu'indigène. De ce fait, l'histoire nationaliste rejette le racisme scientifique, et présente les indigènes comme acteurs de la révolution en tant que paysans contre les grands propriétaires terriens. Plus encore, la réforme du MNR présente les premières tentatives de valorisation du passé indigène dans l'histoire de Bolivie, tout en évitant de trop le développer, afin de ne pas mettre en danger la construction de l'identité homogène souhaitée93. Les périodes de l'histoire indigène qui sont étudiées sont des périodes d'insurrections afin d'être intégrées comme un rouage de la grande histoire nationale qui aurait mené à la révolution de 1952. Ainsi, les rébellions indigènes pour leurs propres causes sont présentées comme des luttes pan-ethniques contre l'oligarchie. Mais de manière générale, le parti politique préfère promouvoir le « peuple bolivien94» à qui il donne une origine métisse. Ainsi, les protagonistes métis sont mis en avant en comparaison des personnalités locales et indigènes.

Cette recherche d'un nationalisme écrasant les particularismes locaux se lit dans un autre grand

89 Institution publique ayant pour but de sauvegarder l'histoire, un musée, une archive, un monument... (Pierre Nora)

90 GILDER Matthew. « La historia como liberación nacional: creando un pasado útil para la Bolivia posrevolucionaria. » Revista Ciencia y Cultura, Laura Lima, 2012

91 MARTINEZ, Françoise `«Pour Une Nation Blanche? Métisse? Ou Pluriethnique et Multiculturelle ? Les Trois Grandes Réformes Éducatives Du XXe Siècle», in Rolland Denis, Chassin Joëlle (Eds.), Pour Comprendre La Bolivie d'Evo Morales, Paris: Harmattan, 2007.

92 Codigo de la Education, La Paz, 1955. « Dignificar al campesino, en su medio, con ayuda de la ciencia y de la técnica, haciendo de él un eficaz productor y consumidor. »

93 GILDER Matthew. « La historia como liberación nacional: creando un pasado útil para la Bolivia posrevolucionaria. » Revista Ciencia y Cultura, Laura Lima, 2012

94 Ibid.

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principe du code de l'éducation qui affirme la nécessité de : « revigorer le sentiment de « bolivianité 95 ».» en combattant les régionalismes non constructifs et en exaltant les valeurs traditionnelles, historiques et culturelles de la Nation Bolivienne.96» Ainsi, la diversité des histoires et des cultures entre les peuples indigènes ou entre les régions n'est pas prises en compte. Seule l'uniformisation des références historiques et nationales importe dans le projet du MNR. L'enseignement se déroule donc en espagnol et présente une histoire très andine, encore une fois bien éloignée des situations en Amazonie ou dans les plaines de Santa Cruz.

Les années 1950 constituent un moment important dans le développement de l'utilisation politique de l'histoire pour asseoir un nouveau régime et assurer la propagation de ses idéaux. L'institutionnalisation de l'histoire se déroule dans un processus d'asservissement de celle-ci au service de l'État. Désormais l'histoire est un outil étatique qui permet de légitimer le pouvoir, d'encadrer la société et de définir l'identité bolivienne.

Chapitre II : De 1971 à 1994 : Une éducation antirévolutionnaire et l'essor des revendications culturelles indianistes.

En 1964, les militaires menés par René Barrientos Ortuño renversent le leader du MNR, Victor Paz Estenssoro. Ce faisant, ils mettent fin à 12 ans d'expérience révolutionnaire. S'en suit alors une période de succession de coups d'État et de juntes militaires jusqu'en 1982. Durant cette période, un de ces chefs militaires, le général Hugo Banzer s'est illustré par son autoritarisme, mais aussi par sa loi de l'éducation en 1973. Ce dictateur fut ministre de l'éducation sous René Barrientos Ortuño, ce qui lui permit de préparer son projet éducatif. Sa dictature, de 1971 à 1978 s'instaure grâce au soutien américain dans un contexte de Guerre Froide et donc de lutte contre le communisme97. La réforme de l'éducation de Banzer a donc pour objectif de construire une société d'ordre et d'aller à l'encontre des courants socialistes de la précédente décennie.

II-A/ Un enseignement historique conservateur dans un contexte de Guerre Froide.

Comme dans le projet du MNR, la loi de 1973 vise à diffuser une éducation homogène. Cependant, le contrôle étatique de l'enseignement va bien plus loin puisque désormais, l'usage des manuels scolaires publiés par le ministère de l'Éducation est obligatoire dans toutes les écoles du pays98. Les enseignants sont obligés de suivre le programme officiel, qui est présenté comme « un instrument flexible99», dans les faits totalement impossibles à modifier ou adapter à un contexte. Les enseignants ne sont là que pour transmettre les informations étatiques à l'élève.100 L'enseignement de

95 Ibid.

96 Código de la Educación, La Paz, 1955 « Vigorizar el sentimiento de bolivianidad combatiendo los regionalismos no constructivos y exaltando los valores tradicionales, históricos y culturales de la Nación Boliviana. »

97 ROLLAND Denis, Pour comprendre la Bolivie d'Evo Morales, Paris, Harmattan, 2007.

98 Ministerio de Educación. Programa de Estudios Sociales. La Paz. 1975.

99 Ibid.

100 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad e interacion en

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l'histoire est donc à l'image du régime de Banzer, autoritaire. L'enseignement se fait en espagnol et l'encadrement des élèves par les enseignants est très strict, réprimant l'échec ou l'indiscipline par des punitions physiques101. L'histoire enseignée vise à expliquer la situation du pays dans le contexte des juntes militaires et encore une fois à créer une union nationale à l'aide d'actes civiques aux allures de cérémonies militaires. Dans ce contexte de Guerre Froide, la coopération d'Hugo Banzer avec les États-Unis se constate dans le contenu de l'enseignement historique. En effet, l'histoire enseignée est tournée vers l'Occident. Cela se remarque dans le programme de la 6eme année de primaire de 1975 qui présente trois chapitres. Le second chapitre traite de la découverte et la conquête de l'Amérique et révèle un point de vue très européen de ces événements. Le dernier chapitre porte sur la colonisation et détaille la structuration des sociétés sud-américaines par la colonisation102.

Le premier chapitre présente les grandes civilisations préhispaniques. Ce chapitre permet d'observer la place des indigènes dans l'éducation de 1973. Les populations indigènes ne sont ensuite plus jamais évoquées dans le contenu historique après ce chapitre. De cette manière, les cultures indigènes sont associées au passé. Ainsi, les Aymaras (faussement associé aux collas) sont présentés dans la période préhispanique comme une entité du passé, n'existant plus aujourd'hui en tant que tel. Plus encore, au lieu d'apprendre les structures politiques et sociales des Aymaras qui sont encore à cette époque une part de l'identité bolivienne, seuls des détails de la culture aymara sont étudiés. Et pourtant les cultures aymaras et quechuas sont de loin les plus présentées dans le programme parmi les cultures indigènes. Les références aux cultures indigènes contemporaines sont presque inexistantes. Ainsi, de nouveau, l'histoire indigène et la considération de la composante indigène de la Bolivie sont totalement reniées103.

On retrouve l'andinocentrisme habituel dans le programme de 1975 de la loi 1973 puisqu'il ne présente pas une seule partie sur l'Orient bolivien, une fois encore à cause du manque de connaissances historiques. A cela s'ajoute désormais une hiérarchisation des indigènes dans la présentation des andins et des peuples de l'Orient. En effet, si les peuples andins sont présentés depuis un angle historique, le peu d'informations données sur les indigènes des terres basses relève plus de l'ethnographie que de l'histoire. Leur histoire n'est jamais étudiée, et pire encore, ils sont présentés de manière très péjorative en comparaison aux andins. Ils sont en effet qualifiés de « sylvicoles », de « tribus » qui « vivent à l'état sauvage »104. Les différentes ethnies qui composent ces peuples ne sont pas prises en compte. Ces faits révèlent une supériorité des indigènes de l'altiplano sur les indigènes des terres basses dans les représentations des années 1970.

Du fait de l'imposition du programme et des manuels étatiques, les contextes et histoires régionaux et indigènes ne sont donc pas pris en compte pour l'enseignement. Ainsi, l'école et l'enseignement de l'histoire restent un outil d'acculturation des indigènes. Le régime de Banzer souhaite diffuser une identité bolivienne, ne laissant pas de place aux particularismes indigènes ou régionaux. Finalement, Hugo Banzer croit aux théories raciales expliquant le retard de la Bolivie, jadis enseignées par les libéraux,105 le modèle métisse et blanc reste celui à suivre dans l'école de 1973.

Comme sous le MNR l'enseignement de l'histoire s'adapte au régime en place pour répandre sa conception de la citoyenneté. L'histoire enseignée sous cette loi de 1973 est une histoire de dates,

programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, Bolivia, 2006.

101 Témoignages de personnes ayant été scolarisé entre 1973 et 1994, d'origines ethniques et sociales diverses : Guaranis intellectuels comme Elias Caurey, Guaranis ruraux comme Gumercindo Lizarraga, Pacena comme Esther Aillon, Crucena comme Paula Hasbun Peña, etc..

102 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural,

103 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad e interacion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, Bolivia, 2006.

104 Ibid.

105 CASEN, Cécile. « Le katarisme bolivien : émergence d'une contestation indienne de l'ordre social », Critique internationale, vol. 57, no. 4, 2012.

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de batailles mais surtout de héros qui s'illustrent à la guerre106. L'union nationale passe ainsi dans l'histoire militaire du pays. Plus encore, l'enseignement historique ne vise pas à développer l'esprit critique en analysant les événements. Il s'agit au contraire d'apprendre par coeur une histoire universelle, totalement déconnectée du contexte de l'élève. Dans ce contexte de Guerre Froide, l'enseignement de l'histoire a pour rôle de reproduire la hiérarchie sociale et ethnique. Ainsi, cet enseignement exclut les femmes ou les indigènes de l'histoire bolivienne. Finalement, le travail historique de l'État régresse d'un point de vue scientifique et au niveau de l'utilisation de sources récentes pour leurs travaux107.

Dans un contexte de Guerre Froide, Hugo Banzer met en place de manière autoritaire une éducation conservatrice. L'aspect scientifique de la discipline historique et la considération des indigènes font un pas en arrière. L'enseignement de l'histoire de 1973 reste actif au-delà de la fin des juntes militaires, jusqu'à la réforme éducative de 1994. Pourtant, il s'agit bien d'un enseignement historique visant à détruire l'historiographie nationaliste du MNR fondamentalement socialiste et révolutionnaire.

II-B/ La naissance de l'indianisme sous les régimes militaires répressifs.

Cependant, ces années d'imposition d'un programme national, ainsi que la déconsidération que les indigènes ressentent vont faire naître chez eux des revendications identitaires qui passent en partie par l'éducation. Les indigènes ont constaté l'impossibilité de l'intégration par l'acculturation pour une identité bolivienne fabriquée par l'État sous le MNR à cause de la continuation du racisme. La discrimination, le dénigrement des cultures indigènes et l'impossibilité de sortir du statut rabaissant de « paysan » indignent les indigènes venus étudiés ou vivre en ville108. A défaut de les avoir intégrés réellement dans la société bolivienne, l'École a permis l'apparition d'intellectuels indigènes politisés et militants qui maîtrisent la langue espagnole. Ainsi, dans les années 1970, le Katarisme, un mouvement syndical indigène, lutte pour la reconnaissance de la culture indigène, dénonçant la domination économique et sociale des indigènes par les élites blanches et métisses urbaines. Le nom de ce mouvement fait référence à Tupac Katari, chef de la rébellion de 1780. Ce personnage sert de figure à la résistance indigène contre les élites qui oppressent les indigènes. L'histoire est ici utilisée, à l'aide d'un héros national indigène afin de valoriser la place des indigènes dans l'histoire et dans la société bolivienne. Le Katarisme reprend la dénonciation d'une classe sociale opprimée, les « paysans », mais ce mouvement ajoute une dimension identitaire en se revendiquant comme indigène109. Mais Hugo Banzer interdit le syndicat katariste une fois au pouvoir en 1971. C'est pourquoi le manifeste de Tiwanaku, qui recueille toutes les propositions des intellectuels kataristes, se diffuse clandestinement en 1973. Ce manifeste indianiste, dénonce la période révolutionnaire comme hypocrite, ne faisant que changer le terme d'indigène par paysan. Le manifeste de Tiwanaku remet en cause l'éducation rurale. Le manque d'adaptation du contenu et de la méthode de l'enseignement chez les indigènes est un des plus importants reproches de ce manifeste. Parmi ces critiques, la projection du modèle individualiste occidental leur semble inadaptée à des personnes qui vivent en communauté110. La lutte sociale du Katarisme fut un moteur important de la transition démocratique qui aboutit en 1982, avec la fin des dictatures militaires et l'élection de Hernán Siles Zuazo111. Ce manifeste va grandement influencer les intellectuels indianistes. Ainsi, dès la fin de la

106 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad...

107 Ibid.

108 CASEN, Cécile. « Le katarisme bolivien : émergence d'une contestation indienne de l'ordre social », Critique internationale, vol. 57, no. 4, 2012.

109 Ibid.

110 Ibid.

111 LE BOT Yvon, « Le renversement historique de la question indienne en Amérique Latine », Amérique Latine Histoire

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dictature d'Hugo Banzer, très répressive à l'égard des indianistes, des avancées remarquables en matière d'éducation indigène se mettent en place. En effet, le second congrès pédagogique de déroule en 1979 et se base sur une étude de la connexion entre l'éducation et le milieu éduqué112. Ce congrès estime que les valeurs culturelles des communautés doivent être mieux prises en compte, ce qui donne lieu à deux grandes décisions : l'affection de maîtres dans leur région natale et la production de matériel bilingue, en langue espagnole et originaire113.

Cependant, ce n'est qu'avec le retour à la démocratie et donc l'arrêt des répressions que les publications, manifestations et propositions de projets éducatifs multiculturels se développent. Ces demandes d'éducation adaptée aux indigènes montent en puissance en même temps que les syndicats indigènes, la CSTUCB114 notamment dans les années 1980. Ce retour à la démocratie passe par un gouvernement libéral qui coopère grandement avec les institutions internationales et les États-Unis d'Amérique. En effet, après les dettes engendrées par la mauvaise gestion des dictateurs, la Bolivie applique des plans de développement à l'aide de financements de la Banque Mondiale. Parmi ces efforts pour le développement, l'éducation occupe une grande place. C'est ainsi qu'en 1983, un programme d'alphabétisation massive est déployé dans le pays. Ce Plan National d'Alphabétisation et d'Éducation Populaire (SENALP115) s'applique dans tout le pays et surtout dans le monde rural, ce qui permet de mieux connaître la situation éducative dans ce milieu. Ce plan permet d'observer les premiers pas vers une éducation interculturelle, c'est à dire qui fait apprendre les autres cultures en Bolivie. En effet, la méthode proposée pour alphabétiser promet d'adapter les programmes à la réalité bolivienne d'une part mais aussi de prendre en compte les particularités culturelles, ethniques et linguistiques des peuples116. Cette campagne encourage l'alphabétisation bilingue et l'égalité sociale entre les différents peuples et cultures de Bolivie117. Parallèlement, dans une démarche d'effort pour développer la démocratie, les revendications indianistes sont écoutées et les premiers projets multiculturels apparaissent dans les livres blanc et rose, qui constituent les prémices de la réforme de 1994118 . Ces livres, publiés respectivement en 1987 et 1988 par le ministre de l'Éducation Ipina Melgar, dénoncent les problèmes de l'éducation et pour la première fois, le rôle de l'éducation pour former une nouvelle identité bolivienne unique est remis en question par l'État119. D'autre part ces livres proposent des actions pour améliorer l'éducation. Parmi ces propositions, l'interculturalité tient une place importante120.

Dans un contexte de Guerre Froide, la période des dictatures militaires de 1964 à 1982 et la réforme de l'éducation d'Hugo Banzer marquent la mise en place d'un enseignement de l'histoire rigide et stricte. Cet enseignement se déploie au service de la construction d'une société d'ordre, hiérarchisée, évolutionniste et raciste. Or, les indigènes qui se sont intellectualisés grâce à l'école du MNR sont confrontés à la déception de l'illusion de l'intégration par l'acculturation. Face à cette désillusion, les régimes autoritaires et dénigrants les indigènes ne font que renforcer l'indignation des indigènes qui s'organisent et développent des courants de pensées indianistes dans la clandestinité. Cette période de répression accélère la politisation des indigènes en Bolivie. De telle manière, qu'en 1982, avec la fin des juntes militaires et le retour à la démocratie, les syndicats indigènes montent en

et Mémoire. Les Cahiers ALHIM, 10 | 2004

112 CAJIAS DE LA VEGA Beatriz, Hitos de la Educacion en Bolivia, PIEB, La Paz, 2017.

113 Ibid.

114 Confédération syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie, syndicat des cocaleros dans lequel Evo Morales a commencé sa carrière politique.

115 SENALP : Servicio Nacional para la Alfabetización y Educación Popular.

116 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad e interacion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, Bolivia, 2006.

117 Entretiens avec Juan Martinez, ancien vice-ministre de l'éducation, 17 avril 2017, Santa Cruz.

Et avec un technicien ayant travaillé sur l'application du plan d'alphabétisation mais souhaitant rester anonyme.

118 VILLARROEL Edith, « Historia de La Educación En Bolivia », Calameo in : http://www.calameo.com/read/0006773922ebc426d9c9e [accessed 29 September 2016]

119 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural.

120 IPINA MELGAR, Enrique. Cien años de reformas educativas: 1910-2010. Estudios Bolivianos, La Paz, n. 18, 2013 .

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puissance, ce qui permet aux revendications indianistes d'être prise en compte et d'influencer les réflexions et productions étatiques en matière d'éducation jusqu'à inspirer la réforme de 1994.

Chapitre III : De 1994 à 2010, la loi 1565, le début de l'éducation interculturelle et bilingue dans un contexte d'effort pour le développement.

III-A/ La loi 1565, un projet oscillant entre réponses aux demandes indigènes et efforts internationaux pour le développement.

Les années 1990 sont un moment d'investissement de la part de l'État dans l'éducation. L'aide des Nations Unies et de la banque mondiale permet d'avoir l'un des plus grands taux de réduction de la pauvreté durant la première décennie du XXIème siècle, une diminution de 30 %121. Dans cette démarche, l'État investit 24 % de ses dépenses en 1994 dans l'éducation122 . Le plan national d'alphabétisation et d'éducation populaire123 et la réforme de l'éducation de 1994, la loi 1565 vise à « moderniser » et améliorer le niveau d'éducation du pays. Ces efforts ne sont pas vains puisque de 1970, à 1999, le taux d'inscription à l'école primaire augmente de 30 %124. De ce fait, cette réforme progressive se fait au détriment du secondaire qui n'aura pas le temps de se voir réformer. Le 7 juillet 1994 paraît la loi 1565 sous le mandat du président Gonzalo Sánchez de Lozada, qui adopte une politique néolibérale. Cette réforme de l'éducation est à la fois le fruit de la prise en compte des revendications culturelles indigènes depuis les années 1970 et de la mise en place des plans pour le développement par des ONG depuis les années 1980. Plus encore, cette réforme s'insère dans la vague de multiculturalisme qui parcourt l'Amérique latine, accordant la reconnaissance des identités indigènes, avec notamment l'influence de la réforme éducative du Nicaragua en 1985125. La loi de 1994 est avant tout le produit du ministère de l'Éducation. Elle vise à développer le pays en appliquant le constructivisme126 et un système basé sur des compétences et des indicateurs, selon les méthodes scientifiques modernes européennes127. La loi 1565 se caractérise par sa volonté d'être démocratique, elle insiste sur les droits égaux de tous les citoyens boliviens, la lutte contre la discrimination sous toute ses formes, mais aussi le droit et devoir de participation du peuple dans l'éducation pour qu'elle lui corresponde pleinement.

Sur le plan du projet d'identité nationale, la loi définit l'éducation en ces termes : « Elle est nationale [...] cherchant l'intégration et la solidarité de ses habitants pour la formation de la conscience nationale à travers un destin historique commun 128 ». Ici, on retrouve le projet classique de

121 CAVAGNOUD Robin, LEWANDOWSKI Sophie et SALAZAR Cecilia, « Introducción Pobreza, desigualdades y educación en Bolivia (2005-2015) », Bulletin de l'Institut français d'études andines, 44 (3) | 2015.

122 Banque Mondiale, U.N.E.S.C.O. Institut de statistique, 2017.

123 Decreto supremo 19453 de lucha contra analfabetismo, 14-05-1983

124 Banque Mondiale, U.N.E.S.C.O. Institut de statistique, 2017.

125 Entretien avec Juan Martinez, ancien vice-ministre de l'éducation, Santa Cruz, lundi 17 avril 2017

126 Le constructivisme est une théorie d'apprentissage postulant que l'élève apprend par ses réflexions personnelles basées sur ses expériences.

127 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad e interacion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, Bolivia, 2006.

128 Articulo 1,5, Ley 1565 , La Paz, 7 juillet 1994.« Es nacional, [...], buscando la integración y la solidaridad de sus

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l'utilisation de l'histoire afin de créer une identité nationale. Néanmoins le point suivant précise que l'éducation doit aussi être « interculturelle et bilingue parce qu'elle assume l'hétérogénéité socioculturelle du pays dans une ambiance de respect entre tous les Boliviens, hommes et femmes129 ». Ainsi, pour la première fois, une loi éducative reconnaît les différentes cultures qui composent la Bolivie et prône leur connaissance. Plus encore, l'éducation doit « fortifier l'identité nationale, en exaltant les valeurs historiques et culturelles de la Nation bolivienne dans son énorme et diverse richesse multiculturelle et multirégionale130». Désormais l'identité nationale existe non plus à travers un modèle unique et dominant mais bien dans la diversité. Finalement, cette réforme innove une fois encore sur les nouvelles thématiques éducatives que sont l'égalité des genres et sur le respect de l'environnement131.

Ainsi, la loi 1565 répond aux demandes de reconnaissance de la diversité des cultures indigènes dans l'éducation nationale en mettant en place une éducation interculturelle et bilingue. Celle-ci vise à connaître les différentes cultures régionales et originaires qui constituent la Bolivie. Cela représente un grand tournant dans les politiques éducatives, ce qui rend compte de l'évolution de la position des indigènes dans le pays.

Le bilinguisme répond à la difficulté d'enseigner en espagnol dans le monde rural. La loi éducative 1565 promeut l'emploi de la langue maternelle afin de faciliter la lecture, la compréhension des enseignements et la formation d'une conscience historique du sentiment d'appartenance à son « groupe socioculturel spécifique, son pays, sa région, son continent et au genre humain en général 132 ». Ainsi, la reconnaissance des langues indigènes, qui sont désormais qualifiées d' « originaires », dans l'institution qu'est l'école, permet aux enfants indigènes de comprendre leurs identités plus aisément. L'enseignement bilingue est encouragé par l'obligation des enseignants de maîtriser l'espagnol ainsi que la langue indigène pratiquée sur leur lieu de travail133, ce qui revient dans la plupart cas à leur langue maternelle. Finalement, la grande production de manuels bilingues permet l'application du bilinguisme à travers un contenu national. Ces manuels scolaires partiellement en aymara, en quechua et en guarani, pour la plupart, sont issus d'études ethnographiques et linguistiques134 . Dans les faits cet enseignement bilingue s'est avéré être une éducation uniquement en langue indigène135.

III-B/ L'histoire dans le programme et les manuels scolaires de la loi 1565.

Dans la loi 1565, l'article sur l'identité nationale et celui sur l'interculturalité et le bilinguisme se succèdent, ceci n'est pas anodin. En effet, il s'agit de bien énoncer que ces dernières nouveautés ne remettent pas en question ni en péril l'identité nationale bolivienne. La reconnaissance des identités et cultures indigènes soulèvent des craintes de balkanisation de la Bolivie. A partir de ce moment, l'enseignement de l'histoire acquiert le rôle crucial d'éduquer les indigènes à la fois sur leur propre

pobladores para la formación de la conciencia nacional a través de un destino histórico común. »

129 Articulo 1,6, Ley 1565 , La Paz, 7 juillet 1994 :« Es intercultural y bilingüe porque asume la heterogeneidad socio cultural del país en un ambiente de respeto entre todos los bolivianos, hombres y mujeres. »

130 Articulo 2,4, Ley 1565 , La Paz, 7 juillet 1994. : « Fortalecer la identidad nacional, exaltando los valores históricos y culturales de la Nación Boliviana en su enorme y diversa riqueza multicultural y multiregional. »

131 Articulo 2,8 et 9, Ley 1565 , La Paz, 7 juillet 1994.

132 Articulo 30,3, Ley 1565 , La Paz, 7 juillet 1994 : « grupo sociocultural específico, su país, su región, y del sentimiento de pertenencia a su su continente y al género humano en general. »

133Articulo 30, 4 Ley 1565 , La Paz, 7 juillet 1994.

134 Entretien avec Ana Evi Sulcata,sociologue de l'éducation, spécialiste travaillant pour les C.E.P.O. Lundi 20
mars 2017, La Paz.

135 Entretien avec Monica Sahoneno, sociologue de l'éducation. Mercredi 29 mars 2017 La Paz.

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histoire mais aussi de les maintenir dans un sentiment d'appartenance à la nation. L'éducation doit « construire l'unité dans la diversité 136».

La réforme éducative de 1994 donne comme mission à l'histoire de parvenir à une meilleure connaissance des évolutions et héritages des peuples, à l'aide d'un travail systématique sur trois plans : la Bolivie, l'Amérique Latine et le Monde. L'histoire telle qu'elle est présentée dans la loi semble vouloir développer un esprit critique tout en expliquant les processus historiques pour pouvoir se projeter dans le futur137. Le rôle identitaire de l'enseignement de l'histoire prend désormais tout son sens pour les indigènes. Les connaissances historiques doivent se baser sur des expériences de la vie quotidienne et du milieu de l'enfant. Ainsi, les expériences personnelles, familiales, scolaires et communautaires servent de support pour l'enseignement de l'histoire. Cela dans le but de créer le sentiment d'appartenance à un groupe social et d'en comprendre ses spécificités tout en connaissant les autres peuples qui composent la Bolivie138.

Pour parvenir à cette éducation historique adaptée au contexte de l'écolier, le ministère de l'Éducation déploie un tronc commun, un curriculo base, un programme de base qui peut être complété par un curriculo diferenciado, un programme différencié selon le contexte. Ce dernier doit prendre en considération les spécificités ethniques, culturelles mais aussi environnementales pour rendre l'enseignement concret et utile pour l'enfant. Dans un but de participation des différents acteurs de l'éducation, les programmes sont conçus par les écoles, les juntes scolaires139 et par des spécialistes en pédagogie 140 . La réforme de 1994 institue également les Conseils Éducatifs des Peuples Originaires141 (CEPOs), au nombre de quatre, qui représentent les peuples aymaras, quechua, guarani et l'ensemble des peuples amazoniens. Ces conseils assument la mission de participation sociale des peuples originaires dans l'éducation en tant qu'auxiliaires des juntes scolaires. Ces instances sont le fruit des luttes sociales pour une éducation indianiste, entamées dans les années 1970 par les kataristes, et poursuivies par les syndicats indigènes dans les années 1980. Les CEPOs doivent participer aux politiques publiques pour l'application de l'éducation interculturelle et bilingue142.

Cependant, dans le but de conserver le sentiment d'appartenance à la nation bolivienne avant leurs origines indigènes ou régionales, un tronc commun est imposé à l'ensemble du pays. Une fois encore, cette réforme de l'éducation constitue une véritable révolution en reconnaissant le rôle des indigènes dans l'histoire bolivienne. En effet, l'analyse du programme révèle de nombreuses évolutions dans l'enseignement historique en Bolivie. Le programme historique différencie désormais la culture occidentale et la culture sud-américaine. Ainsi, dans le programme de second cycle du primaire, qui correspond aux années 4,5 et 6 (9, 10 et 11 ans) l'enseignement historique se divise entre l'histoire de l'humanité, l'histoire de l'Amérique et l'histoire de la Bolivie. L'histoire de l'humanité regroupe, entre autres, les énoncés suivants : « La datation historique dans le monde occidental à partir de la naissance du Christ143.», « ...les périodes classiques de l'histoire européenne (Antiquité, Moyen Age, époque Moderne et époque contemporaine)144. », « Les périodes de l'histoire américaine :

136 Articulo 30, 7 Ley 1565 , La Paz, 7 juillet 1994.

137 Articulo 43 Ley 1565 , La Paz, 7 juillet 1994.

138 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad e interacion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, Bolivia, 2006.

139 Les « juntas escolares » sont les associations de parents d'élèves qui se doivent de s'impliquer dans l'éducation de leurs enfants et dans le fonctionnement de l'école selon la loi 1565 (et 070).

140 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad e interacion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, Bolivia, 2006.

141 Consejos Educativos de Pueblos Originarios.

142 Ministerio de Educación. Reforma Educativa. Plan y programas de estudio para el nivel primario: segundo ciclo. Ministerio de Educación. La Paz, 2003.

143 Ley 1565 , La Paz, 7 juillet 1994

144 Ibid.

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précolombienne, coloniale et indépendances.'45» Ce programme historique réparti en trois années de primaire montre bien une volonté de connaître le monde occidental mais aussi de comprendre que la Bolivie n'en fait pas partie. Cette introduction des historiographies permet de comprendre que certaines normes occidentales sont en vigueur en Bolivie sans pour autant les assimiler comme fondamentalement boliviennes.

L'histoire de l'Amérique présente le peuplement des Amériques puis les grandes civilisations précolombiennes : Mayas, Aztèques, Aymaras, Incas et Guaranis et enfin le système d'étages écologique des peuples andins'46 . L'histoire de Bolivie aborde la période coloniale incluant les soulèvements indigènes. Le XIXème siècle permet d'étudier les conflits entre les communautés et les haciendas dans les régions andines et dans l'Orient. Durant le XXème siècle, les mouvements sociaux, telles que les insurrections paysannes, doivent être étudiés. Ainsi contrairement à précédemment, les indigènes sont étudiés dans toutes les périodes, que ce soit dans l'histoire américaine comme nationale. Pour la première fois aussi, l'Orient fait partie du programme de base.

Finalement, le programme de sciences sociales, qui inclut les enseignements d'histoire, doit aussi présenter certains thèmes rattachés à la culture et à l'identité. Pour ce cycle, il s'agit de l'apprentissage des symboles de la patrie, mais aussi des autres cultures en Bolivie. Enfin, cet enseignement a aussi comme nouvelle vocation de démentir les stéréotypes à la base du racisme, du machisme et du classisme, toujours dans une recherche de plus d'équité et de respect mutuel'47. Les sciences sociales sont les matières les plus adéquates pour développer les thèmes de la diversité et de l'interculturalité. Ces thématiques s'observent notamment dans les contenus sur les présentations des espaces ruraux et urbains, sur les nouvelles revendications sociales des groupes ethniques. Néanmoins, il est à noter que l'enseignement de langue sert aussi en grande partie de support pour l'enseignement de la diversité et de l'interculturalité'48.

La réforme de 1994 s'est surtout illustrée par la gigantesque production de matériel scolaire avec la bibliothèque de la réforme éducative, « les dix millions de livres '49» produits par l'État et les maisons d'éditions de manuels scolaires tel que Santillana.'50 En effet, la coopération avec l'UNICEF'5' et l'UNESCO'52 ainsi qu'avec la Banque Mondiale, apportent leurs expériences et un financement, ce qui rend possible la production de nombreux manuels qui remplissent les bibliothèques des écoles'53.

Des maisons d'édition telles que Santillana et La Hoguera publient de nombreux manuels scolaires qui servent de support aux enseignants, et qui constituent le plus souvent, la base du cours. Ces manuels ne prennent en compte que le tronc commun du programme de la réforme éducative de 1994, le contenu ne comprend pas d'éléments des programmes diversifiés. Dans l'étude qui suit, les textes analysés sont ceux des années de 4ème, 5ème et 6ème de primaire.

145 Ibid.

146 Les peuples andins produisaient et échangaient différentes denrées complémentaires sur les plateaux, le littoral et les vallées.

147 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad e interacion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, Bolivia, 2006.

148 Ibid.

149 Expression pour qualifier l'ensemble des productions de la loi 1565.

150 Un conseillé présidentiel souhaitant rester anonyme, 2017.

151 United Nations International Children's Emergency Fund : Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance

152 United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization : L'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture.

153 Entretien avec Juan Martinez, ancien vice-ministre de l'éducation,Santa Cruz, le lundi 17 avril 2017

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Santillana

Santillana est une grande compagnie espagnole présente dans de nombreux pays hispanophones. Il s'agit du principal producteur de manuels scolaires en Bolivie. Cette maison d'édition s'est introduite en Bolivie en 1994 dans le cadre d'une coopération avec l'État pour produire les livres de la réforme. Santillana regroupe des spécialistes de diverses nationalités afin de produire des ouvrages d'une grande qualité mais aussi d'un prix élevé154. Ces manuels sont avant tout destinés aux enfants d'écoles privées. Bien qu'on puisse trouver des points de distribution dans les principales villes du pays, basée à La Paz, Santillana est proche du gouvernement et donc de la culture andine155.

De manière générale, les textes de Santillana sous la réforme de 1994 cherchent à suivre les principes de la loi 1565. Ainsi, ces manuels abordent des thématiques de l'éducation pour la démocratie, l'équité, la diversité et l'interculturalité de manière transversale. Pour ces deux derniers points, il existe une section « tenemos la palabra 156», un récit fictif d'un enfant qui présente sa culture, sa région et les caractéristiques de son peuple157.

Les manuels furent étudiés aux archives du siège de Santillana qui regroupé les manuels édités en 1995 et en 2003. Les manuels scolaires de sciences sociales de 5ème et 6ème année de primaire, édités en 1995 par Santillana permettent de constater l'accent mis sur la découverte de la diversité de la Bolivie. Ces ouvrages s'adressent clairement à des enfants issus de milieux urbains. Ainsi le monde rural est présenté bien plus longuement que le monde urbain, ce qui constitue une nouveauté. Cependant, l'analyse de ces deux ouvrages révèle une histoire nationale encore très importante, qui ne vise pas spécialement à développer le sens critique des élèves. De plus, les femmes sont très peu représentées dans l'histoire enseignée dans ces manuels158.

Le manuel de 6ème année de primaire de Santillana publié en 2003 est un bon exemple du respect à outrance de l'enseignement de la diversité. En effet, la place consacrée à l'histoire sert ici à présenter les peuples indigènes et leurs moeurs. Cependant, les histoires des Aymaras et des Quechuas sont développées en profondeur, établissant ainsi l'histoire préhispanique de la Bolivie comme fondamentalement andine. Un seul chapitre regroupe tous les peuples des terres basses et les présentent de manière englobante comme des chasseurs cueilleurs sylvicoles. Pire encore, il présente les cultures des basses terres comme sous-développées en comparaison aux Aymaras et aux Quechuas. Les auteurs de ces manuels affirment à propos des peuples des basses terres que « Aucun d'entre eux n'ont réussit à développer une technologie agricole complexe. 159»

Ainsi, douze pages sont consacrées aux Aymaras contre un paragraphe pour les Guaranis, comme pour la plupart des autres peuples, qui sont, de ce fait, présentés comme de seconde importance. L'établissement de l'interculturalité ne passe pas par la fin de l'andinocentrisme pour Santillana, au contraire, interculturalité rime ici avec supériorité de l'importance des indigènes andins sur les autres.

154 Environ 100 Bolivianos par ouvrage, soit 13 euros, une somme importante pour un pays où le salaire minimum est d'environ 150 euros. En comparaison, un repas coûte 15 Bs.

155 Entretien avec Carolina Loureiro, Directrice de Santillana à La Paz. Jeudi 16 mars,2017 La Paz.

156 « Nous avons la parole. »

157 Departemento de Ediciones Educativa de Santillana, Ciencias Sociales 6, Santillana de Ediciones S.A. La Paz, 1995.

158 Departemento de Ediciones Educativa de Santillana, Ciencias Sociales 6, Santillana de Ediciones S.A. La Paz, 1995. Departemento de Ediciones Educativa de Santillana, Ciencias Sociales 5, Santillana de Ediciones S.A. La Paz, 1995.

159 Departemento de Ediciones Educativa de Santillana, Ciencias Sociales 6, Santillana de Ediciones S.A. La Paz, 2003.

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La Hoguera

La Hoguera est une maison d'édition de Santa Cruz de la Sierra qui met en avant son origine bolivienne. Cette compagnie présente des moyens plus réduits mais aussi des prix plus abordables que ceux de Santillana160. Plus encore, La Hoguera oriente sa production pour répondre aux différents moyens financiers des écoles et des élèves en produisant trois types de manuels. La Hoguera, la version la plus complète présentant une discipline et des activités pédagogiques. La Siembra, une édition sans activités et donc plus courte et plus économique. Et enfin, la moins onéreuse, Multitexto, un manuel qui regroupe quatre disciplines. Ainsi, les écoles publiques de Santa Cruz regorgent de manuels de La Hoguera161 . Les textes de La Hoguera appliquant la loi 1565 furent étudiés aux archives du siège de La Hoguera à Santa Cruz de la Sierra. Cette archive regroupait les manuels de 4eme, de 5eme et de 6eme années de primaire publié en 2004, en 2005 et en 2007.

Ces derniers ne prennent pas autant en compte la diversité culturelle que ceux de Santillana. La présentation de la diversité est ici abordée sous l'angle du folklore, délaissant ainsi les caractéristiques culturelles des différents peuples. L'enseignement de l'histoire dans ces ouvrages reste très factuel. A l'inverse des ouvrages de Santillana qui ont recours à des activités pédagogiques, les ouvrages de La Hoguera n'actualisent pas l'enseignement historique selon les directives de la loi 1565. Pire encore, La Hoguera, basée à Santa Cruz de la Sierra ne présente les indigènes des terres basses, c'est à dire les indigènes de la région, sur une seule page du manuel de 5ème année de primaire162. Et il en est de même pour la ville de Santa Cruz, qui n'apparaît que sur 6 lignes lors de l'indépendance. Ainsi, La Hoguera répète l'histoire andinocentrée afin de suivre le programme163. L'enseignement de l'histoire permet de présenter la diversité du pays mais comme l'histoire n'est pas rattachée au présent, cet enseignement ancre les peuples originaires dans le passé.

Les ouvrages de La Hoguera publiés en 2004 et 2005 pour les années de 4eme, 5eme et 6eme mettent en place des activités et réflexions sur l'égalité des genres, sur la compréhension historique mais aussi un nationalisme à travers l'étude de fêtes et chants civiques164. Certains éléments révèlent la différence des enjeux pour une maison d'édition de Santa Cruz en comparaison à une maison d'édition de La Paz. Ces manuels présentent la diversité du pays dans sa totalité, pas seulement par la diversité des cultures indigènes, mais aussi entre les cultures métisses des différentes villes boliviennes. Dans le manuel de 5ème, les cultures aymara (appelées colla) et inca ne sont pas présentées aussi longuement que dans les manuels de Santillana165. Plus encore, la civilisation de Tiwanaku est présentée comme une première grande civilisation de l'Occident et non pas du pays. Ainsi, la vision dichotomique de

160 Selon le type d'ouvrage, les prix oscillent entre 40 et 70 Bolivianos, soit environ entre 5 et 10 euros.

161 Entretien avec Edgar Lora Gumiel, Assesseur Pédagogique pour La Hoguera, 10 avril 2017, Santa Cruz.

162 Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 5, La Siembra, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2003.

163 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad e interacion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, Bolivia, 2006.

164 Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 4, La Hoguera, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2004.

Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 5, La Hoguera, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2004.

Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 6, La Hoguera, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2004.

Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 5, Multitexto,, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2005.

Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 6, Multitexto,, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2005.

165 Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 5, La Hoguera, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2004.

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l'Orient166 et Occident et le sentiment de deux histoires distinctes pour les orientaux s'affirme à travers les manuels de La Hoguera. Dans l'ensemble des ouvrages de La Hoguera pour les années 2005 et 2007, les thèmes de la découverte des Amériques et de l'époque coloniale gardent un point de vue très européen167. Le sujet semble être abordé de manière objective, sans jugement mélioratif ou péjoratif. L'histoire reste cependant factuelle et centrée sur les dirigeants.

Illustration 3: La Hoguera, une histoire très factuelle.

Le manuel de 6eme de primaire de La Hoguera présente une histoire factuelle et centrée sur des acteurs individuels, ici, une liste des présidents du XXème siècle, et de leurs actions ,2007.

(Photo : Saint-Martin)

166 L'Orient regroupe les départements de Santa Cruz, le Béni et le Pando.

167Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 5, Multitexto,, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2005.

Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 6, Multitexto,, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2005.

Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 5, La Hoguera,, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2007.

Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 6, La Hoguera,, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2007.

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El Pauro

La maison d'édition El Pauro, comme La Hoguera, fut fondée à Santa Cruz de la Sierra. Les livres étudiés regroupent l'ensemble des disciplines pour les 5emes et 6emes années de primaire, publiés en 2007. Ces ouvrages débutent par un remerciement à Dieu en introduction, rappelant ainsi l'impossible dissociation du catholicisme et de l'école dans les faits. Cette introduction rappelle aussi la liberté de positionnement religieux des maisons d'édition. Dans l'enseignement de l'histoire de la Bolivie pour les 5èmes, on retrouve l'idée de hiérarchisation des indigènes en faveur des civilisations andines : « les peuples sédentaires étaient déjà plus évolués. 168 » Le progrès technologique reste l'indicateur de développement dans ce manuel scolaire : « Cependant, ils n'arrivèrent pas à connaître la roue ni l'écriture.169». Ainsi, même les civilisations andines sont rabaissées en comparaison au modèle de civilisation qu'est l'Europe, qui apporte ces technologies. Dans cet ouvrage, les premières civilisations sont illustrées par l'image d'un indigène mâchant la coca, une représentation tout à fait contemporaine des indigènes ruraux, rattachant ces derniers aux antiques civilisations.

Illustration 4: La représentation stéréotypée des Indigènes.

Le manuel de El Pauro pour les 5eme de primaires illustre les premières civilisations avec l'image d'un indigène mâchant la coca, ce qui correspond au stéréotype du paysan indigène contemporain, 2007. (Photo : Saint-Martin)

Les périodes historiques de Tiwanaku, des seigneuries aymaras ou encore de l'empire Inca sont présentées comme des événements sans liens historiques. Il s'agit plus d'une liste de cultures du passé. Ce livre offre un savoir encyclopédique sans réelles réflexions sur les processus historiques

168 El Pauro, 5eme de primaire, multitexto, Santa Cruz, 2007 : « Los pueblos sedentarios ya eran mas evolucionados. »

169 Ibid : « Sin embargo, no lograron a conocer ni la rueda ni la escritura. »

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menant au présent. Dans ces manuels aussi, l'histoire reste très factuelle et centrée sur le récit de vie de héros. Enfin, une carte de la répartition de certains grands peuples indigènes en Amérique du Sud révèle l'inexactitude de cet ouvrage, plaçant les peuples aux mauvais endroits'70. Le manuel scolaire dédié à la 6eme révèle d'autres informations douteuses. Ce livre présente ainsi une théorie du peuplement israélien par les européens'7'. Cet ouvrage se rattache à l'Orient, Tiwanaku est présenté comme une culture parmi les autres cultures précolombiennes, et 4 pages sont réservées à la présentation des Guaranis. Il s'agit de l'histoire Guarani la plus développée parmi tous les manuels de La Hoguera ou de La Santillana. Il s'agit bien d'un travail historique et non pas d'une simple présentation ethnographique'72.

La réforme de 1994, à travers la reconnaissance de la diversité, permet de découvrir l'Orient bolivien. Pour la première fois, les cultures d'Amazonie et des plaines sont étudiées dans l'éducation nationale. Ainsi, la Bolivie découvre une identité autre que Andine, une identité bien plus variée. Cependant, le point de vue andin de l'histoire enseignée persiste'73. Cela s'observe dans le programme, avec le presque inexistant contenu réservé à l'histoire des régions et des peuples originaires de l'Orient en comparaison à la part consacrée aux régions andines'74. L'observation des manuels scolaire de La Hoguera et de Santillana rend bien compte de cet andinocentrisme. Les connaissances de la fin du XXème siècle ne permettent pas d'établir une histoire aussi précise pour les peuples andins que pour les peuples de l'Orient. Ainsi, les terres basses ne sont que peu prises en compte dans l'histoire de la Bolivie. Ces cultures sont associées au passé et leur présentation est biaisée par un point de vue civilisateur. Les intellectuels qui ont participé à la rédaction du programme et des manuels de Santillana sont soit étrangers, soit originaires de La Paz, ce qui explique cet andinocentrisme'75. Pour ce qui est de La Hoguera, la nécessité de répondre au programme et le manque de matériel historique à disposition mais aussi le racisme inhérent à Santa Cruz peut expliquer le manque d'informations sur les peuples des terres basses.

De manière générale, le contenu de ces manuels présente une histoire linéaire qui reste une histoire de personnages, de héros, au détriment d'une histoire de groupe'76. De la même manière ; les indigènes sont incorporés dans l'histoire nationale à travers des figures héroïques comme Tupac Katari. L'histoire indigène est surtout valorisée par la reconnaissance du passé indigène de la Bolivie. Néanmoins, il est remarquable de constater l'écart dans les approches du contenu historique ainsi que dans la qualité et le respect à la réforme des manuels scolaires selon leur maison d'édition.

Il est intéressant de noter que l'éducation interculturelle et bilingue s'est appliquée de manière très inégale dans le pays, surtout pour ce qui est du bilinguisme. En effet, comme il a été dit, certains peuples indigènes sont démographiquement plus importants que d'autres en Bolivie et de manière générale, le bilinguisme s'est appliqué pour les langues aymara, quechua et guaranis, les langues les plus parlées après l'espagnol. De même la conception d'histoire propre à chaque peuple indigène n'a pas eu lieu pour les peuples « minoritaires » qui présentaient une faible population et des moyens financiers et intellectuels quasi inexistant, du fait de leur marginalisation dans la société bolivienne. Il est ici surtout question des peuples sylvicoles de l'Amazonie'77. Si les nations quechuas et aymaras

170 El Pauro, 5eme de primaire, multitexto, Santa Cruz, 2007.

171 El Pauro, 6eme de primaire, multitexto, Santa Cruz, 2007.

172 Ibid.

173 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad e interacion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, Bolivia, 2006.

174 Ley 1565 , La Paz, 7 juillet 1994.

175 Entretien avec Paula Peña Hasbun, historienne et archiviste et directrice du musée d'histoire de Santa Cruz. Le 7 avril 2017, Santa Cruz.

176 SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural.

177 Entretien avec Ana Evi Sulcata, sociologue de l'éducation, spécialiste travaillant pour les C.E.P.O. Lundi 20 mars 2017, La Paz.

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ont reçu un traitement privilégié du fait du caractère andin du gouvernement, le peuple guarani par exemple a mené une lutte de revendications politiques et sociales pour bénéficier de cette nouvelle éducation178. Les ONG jouent un rôle fondamental dans la constitution de matériel pédagogique et d'histoire locale. Les Guaranis Izocenos par exemple ont pu bénéficier d'une histoire locale179, grâce au travail sur place de l'anthropologue Isabelle Combes, financé par l'UNICEF. La production de matériel historique et bilingue constitue donc désormais un enjeu politique pour les peuples indigènes.

Malgré les énormes efforts consacrés à la mise en place de cette réforme de l'éducation, ce projet éducatif se heurte à plusieurs difficultés. L'un des principaux problèmes de cette réforme est sa mise en place annuelle par classe. C'est à dire que chaque année, une nouvelle classe était réformée, en commençant par la 1ere année de primaire. De ce fait, la mise en place effective de la réforme éducative est lente et fastidieuse180. Pire encore, le secondaire n'étant pas réformé, il continue de suivre les programmes de la loi de 1973, qui est totalement opposé à la réforme de 1994, notamment sur le thème de la reconnaissance de la diversité et sur l'identité nationale. Un autre problème qui lui est souvent reproché réside dans le manque de formation des enseignants181. Les efforts de la réforme de 1994 se sont concentrés sur le plan technique, sur la réalisation d'un ensemble de matériel pédagogique et d'un programme cohérent, mais la formation des enseignants n'a pas été réformé comme il aurait fallu pour une transformation si importante de l'éducation. Les enseignants, baignant encore dans les héritages du colonialisme, ont du mal à appliquer une éducation interculturelle et à promouvoir l'égalité des genres ou des ethnies. Enfin, le dernier point, sans doute le plus problématique, est l'opposition des enseignants à ce projet. En effet ceux-ci sont furieux car ils n'ont pas été consultés pour la réalisation de la loi 1565. Néanmoins, ce rejet se comprend principalement par le contexte. Le syndicat des enseignants, d'influence trotskiste, se place en opposition contre le gouvernement libéral de Gonzalo Sánchez de Lozada. Or, en ces années de renforcement de l'influence des syndicats, les enseignants écoutent et suivent les prérogatives de leur syndicat182 . Finalement, le chaos des années 2000 met fin à tout espoir d'établissement réel de la réforme de 1994. Pourtant, le projet qu'il porte, issu d'un long processus, ne s'éteint pas malgré l'élection du syndicaliste cocalero Evo Morales le 18 décembre 2005. Son élection, suite à des vagues de contestations sociales très violentes, notamment de la part des indigènes qui se sentent toujours défavorisés économiquement, met fin aux régimes néo-libéraux en place depuis 1982183. Le nouveau président, qui s'inscrit dans la tradition révolutionnaire du MNR des années 1952, souhaite transformer profondément la Bolivie, c'est pour cela qu'il établit une nouvelle constitution en 2009 et qu'il souhaite réformer l'éducation en 2010 à l'aide de la loi 070 Avelino Sinani - Elizardo Perez.

178 Entretien avec Esther Aillon, historienne de l'éducation en Bolivie au XXème siècle, le 22 mars, La Paz et CNC CEPOs, Una Educación desde la identidad, 2017 in : https://youtu.be/nuMBau9G7Xw

179 COMBES Isabelle, Arakae historia de las comunidades Izocenas, Proyecto KAA- YIA, Santa Cruz, 1999.

180 Entretien avec Monica Sahoneno, sociologue de l'éducation. Mercredi 29 mars, La Paz et Daniel Armando Pasquier Rivero, directeur de l'école privée Santo Tomas de Aquino lundi 10 avril 2017, Santa Cruz

et SOUX Maria Luisa, SOUX Maria Eugenia, WAYAR Marianela, Diversidad cultural, interculturalidad e interacion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, Bolivia, 2006.

181 Ibid.

182 Entretien avec Juan Martinez, ancien vice-ministre de l'éducation,Santa Cruz, le lundi 17 avril 2017 183ROLLAND Denis, Pour comprendre la Bolivie d'Evo Morales, Paris, Harmattan, 2007.

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Chapitre IV : A partir de 2005, l'histoire pour revaloriser le caractère indigène de la Bolivie.

IV- A/ La révolution démocratique d'Evo Morales et du MAS : le déploiement d'une nouvelle idéologie.

Evo Morales Ayma base sa crédibilité sur son origine indigène, car il se revendique aymara, et sur son origine paysanne, comme en témoigne son ascension via le syndicat des cocaleros, le CSUTCB.184 Très marqué par l'ingérence américaine dans la guerre contre les narcotrafiquants dans les années 1980 et 1990, il construit un discours indianiste basé sur le rejet des étrangers qui exploitent les ressources du pays et contre l'impérialisme américain185. En quelque sorte, il inverse le discours du gouvernement libéral du début du XXeme siècle. Dans son raisonnement, la Bolivie est affaiblie non pas par sa population indigène, mais bien par tous les blancs et étrangers qui ont détruit ce pays dans le but de l'exploiter. De ce fait, la Bolivie doit être décolonisée pour qu'elle redevienne un pays indigène et prospère, car seuls les indigènes sont aptes et en droits de gérer les ressources du pays justement186. Cependant, le président indigène ne souhaite pas pour autant exclure les blancs et métis de la société bolivienne, il souhaite une coopération. Son parti politique, le Movimiento Al Socialismo (MAS) est en fait un regroupement des forces sociales du pays. La décolonisation de la Bolivie occupe une place centrale dans le projet d'Evo Morales. Tout ce discours est clairement orienté vers la base de son électorat, les masses paysannes indigènes qui n'ont jamais eu autant d'influence qu'au cours de ces dernières années, grâce à leurs puissants syndicats. La «décolonisation» de la Bolivie laisse miroiter aux indigènes une amélioration de leurs conditions économiques et sociales.

Il s'engage à respecter dans les institutions de l'État les valeurs capitales de l'empire des Incas de «Ama Suwa, Ama Kella, Ama Llulla», expressions quechua qui signifient ne pas être voleur, ne pas être paresseux et ne pas être un menteur. Mais aussi le principe de de «ivimaraei»187 un mot guarani qui signifie terre sans mal, un concept regroupant les valeurs guaranis188.

Evo Morales veut faire une révolution culturelle pour décoloniser la Bolivie. Il met en application son projet décolonisateur avec plusieurs mesures. Sa première grande décision est de nationaliser les entreprises étrangères qui exploitaient les ressources gazières et pétrolifères du pays en 2006. Le président indigène ne peut les chasser du territoire car il ne peut se passer de leur maîtrise technologique pour exploiter ces ressources. Néanmoins, cela lui permet de mettre en avant ses efforts pour l'indépendance de la Bolivie face aux puissances étrangères. Pour révolutionner le pays, Evo Morales crée une nouvelle constitution qui instaure l'Etat Plurinational de Bolivie le 7 février 2009189. La Constitution Politique de l'État permet surtout d'inscrire dans la constitution bolivienne l'importance de la reconnaissance de la diversité et du caractère indigène de la nation bolivienne.

La décolonisation de la Bolivie vise à briser la hiérarchisation ethnique de la société bolivienne mise en place par la colonisation. La valorisation des cultures et connaissances indigènes font donc parti des grands projets d'Evo Morales. Pour changer les mentalités, Evo Morales souhaite

184 Confédération Syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie.

185 ROLLAND Denis, Pour comprendre la Bolivie d'Evo Morales, Paris, Harmattan, 2007.

186 CANESSA, Andrew. « Les paradoxes des politiques multiculturelles en Bolivie: entre inclusion et exclusion. » Problèmes d'Amérique latine. 2014.

187 MORALES Evo, Constitución Política del Estado , El Alto, 2009 : « ... facultad deliberativa, fiscalizadora y legislativa departamental en el ámbito de sus competencias y por un órgano ejecutivo. »

188 CAUREY Elias, Arakuaa Jembo (Educación, Lengua y Cultura de la Nación Guaraní), APG, Camiri, 2014.

189 LAVAUD, Jean-Pierre. « La Bolivie d'Evo Morales: continuités et ruptures. » Problèmes d'Amérique latine. 5 octobre 2012. N° 85.

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s'appuyer sur l'éducation. C'est pourquoi il travaille dès les premières années de sa première présidence à l'élaboration d'une réforme de l'éducation. Ce temps d'élaboration est l'occasion pour Evo Morales d'afficher les limites de la radicalité de son projet. En effet, en 2007, il renvoie son ministre de l'éducation Felix Patzi qui prévoyait une éducation où les langues indigènes s'enseignaient au détriment de la langue espagnole et plus encore, où les religions chrétiennes serait interdite à l'école. Or, cette dernière interdiction semble inacceptable pour la population bolivienne, largement chrétienne190. Ces travaux aboutissent le 20 décembre 2010 avec la publication de la loi numéro 070 qui est nommée loi Avelino Sinani - Elizardo Perez (ASEP) en hommage aux fondateurs de l'école Warisata qui opérait dans l'organisation sociale privilégiée d'Evo : l'ayllu. Le gouvernement d'Evo Morales légitime la nécessité d'une réforme de l'éducation par des critiques de la réforme de 1994. Suivant l'idéologie du MAS le gouvernement dans son programme de base édité en 2012 décrit la réforme de 1994 en ces mots : «...développant les compétences individuelles [...] formation de ressources humaines comme main d'oeuvre peu chère pour engrosser les industries, usines et entreprises transnationales privatisées par l'État, en réponse aux politiques économiques du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale 191 .» On retrouve ici le discours classique nationaliste, qui accuse les étrangers d'exploiter les ressources au détriment du vrai peuple. Cette critique envers la loi 1565 permet de légitimer de nouveau le gouvernement d'Evo Morales qui vient libérer les indigènes. Elle permet aussi et surtout de justifier la mise en place d'une nouvelle réforme de l'éducation, toujours dans ce but « décolonisateur ». Le MAS reproche à la loi 1565 d'être une production de la Banque mondiale, conçue uniquement par des spécialistes étrangers selon des plans internationaux de développement et de mondialisation et surtout sans prendre en compte les principaux acteurs de l'éducation en Bolivie192

Pour se démarquer du gouvernement néolibéral et pour aller plus loin dans la participation sociale dans l'éducation, le MAS charge la Commission Nationale de la Nouvelle Loi de l'Éducation Bolivienne (CNNLEB) de produire la nouvelle loi éducative. Cette commission regroupe ainsi 40 personnes représentant 22 institutions étatiques et syndicales, qui comprennent, entre autres, des syndicats indigènes et du corps enseignant193. Contrairement à la loi de 1994, le gouvernement d'Evo Morales instaure une formation obligatoire pour les enseignants, le Programa de Formación Complementaria para Maestros y Maestras194 (PROFOCOM). Cette formation, sur deux ans, est censée expliquer le projet éducatif aux enseignants de manière à ce qu'ils puissent appliquer correctement la réforme. Dans les faits, le PROFOCOM est avant tout une formation qui présente le positionnement politique du MAS. Le PROFOCOM manque de contenu méthodologique et technique195. Le PROFOCOM est obligatoire et permet d'obtenir le statut de « licenciado196 », ce qui offre des avantages financiers et un meilleur statut. Le but de cette formation semble donc de formater les enseignants selon les pensées du MAS197 . Le gouvernement d'Evo Morales critique même la production intensive de livres de la réforme de 1994. N'ayant pas les moyens de produire autant de matériel pédagogique, certains intellectuels proches du gouvernement accusent ces livres d'avoir été commandés à Santillana, ce qui aurait donc surtout profité aux établissements privés et urbains.

190 VILLARROEL Edith, « Historia de La Educación En Bolivia », Calameo in : http://www.calameo.com/read/0006773922ebc426d9c9e [accessed 29 September 2016].

191 Minsiterio de Educacion, Curriculo base de educacion regular, La Paz, 2012: «... desarrollando competitividad individualizada [...] formación de recursos humanos como mano de obra barata para que engrosen las industrias, fábricas y empresas transnacionales privatizadas por el Estado, respondiendo a las políticas económicas del Fondo Monetario Internacional y el Banco Mundial.»

192 Decret Suprême 28 725

193 Entretien avec Ana Evi Sulcata,sociologue de l'éducation, spécialiste travaillant pour les CEPO 20 mars, La Paz.

194 Programme de Formation Complémentaire pour Maîtres et Maîtresses.

195 Entretien avec Weimar Ino, Enseignant chercheur en science de l'éducation à l'UMSA Lundi 27 mars, La Paz.

196 Diplômé

197 Entretien avec Juan Martinez, ancien ministre de l'éducation et de nombreux enseignants et directeurs, 2017 Santa Cruz.

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Faisant de la réforme de 1994 une réforme orientée pour les riches, à l'inverse de celle de 2010 qui oeuvrerait pour les ruraux et les plus démunis198. Or dans les faits, cela n'est pas vrai, on retrouve des ouvrages de 1994 même dans des écoles rurales démunies de tout le reste199. Ainsi, un discours de décrédibilisation de la réforme néo-libérale se construit afin de légitimer la réforme de 2010 et afin de la valoriser.

Pourtant, la loi 070 ASEP reprend grandement la loi loi 1565 et l'approfondit. Par exemple, si la loi 1565 promouvait une éducation interculturelle et bilingue, désormais la loi 070 ASEP instaure une éducation interculturelle, bilingue et intraculturelle. L'intraculturalité de l'éducation consiste à tirer une utilité pour la vie de l'enfant de l'apprentissage des autres cultures qui composent la Bolivie200. Concrètement, l'intraculturalité se traduit par le soutien pour le développement des cultures des Nations ou Peuples Indigènes Originaires Paysans (NPIOC) et par l'incorporation de leurs connaissances et leurs cosmovisiones 201 dans le programme de base. La connaissance des cosmovisiones indigènes est un enjeu important dans cette nouvelle réforme. Cette nouvelle loi établit des principes qui ne sont souvent pas réalistes ou qui ne s'accompagnent même pas de tentatives de mise en place. C'est le cas par exemple de la laïcité de l'école, qui est loin d'être effective202. La loi ASEP utilise la base de la loi précédente et elle y insère l'idéologie portée par le MAS, de nombreux intellectuels opposés au MAS dénoncent ici une « idéologisation ». C'est à dire que les textes officiels de cette réforme de l'éducation servent surtout de support pour illustrer la représentation et la place des indigènes dans la société bolivienne contemporaine plutôt qu'à offrir un texte technique et précis permettant d'appliquer convenablement un projet éducatif203.

Le caractère indigène de ce gouvernement est omniscient. Ainsi, l'éducation doit oeuvrer pour le « vivir bien », un concept andin de société harmonieuse, et pour le respect de Pachamama204 . L'éducation doit aussi respecter les principes fondamentaux quechua et guaranis déjà évoqués précédemment pour les institutions étatiques205 . L'établissement du nouvel État plurinational se déroule grâce au développement de nouveaux symboles nationaux. Il fait par exemple de la feuille de coca, une denrée pourtant principalement cultivée et consommée par les indigènes andins, un symbole « panindigène». La feuille de coca représente la lutte pour la préservation des cultures et droits indigènes face à la répression des occidentaux, incarnée par la lutte des États-Unis d'Amérique contre la cocaine206 . Un autre exemple important est celui du Wiphala, le drapeau des peuples andins. Comme pour la coca, ce symbole andin est projeté à l'ensemble des peuples indigènes et finalement il est érigé en symbole national, puisqu'il est présent à côté du drapeau national dans les musées, sur les mairies et autres monuments étatiques. Evo Morales crée de nouveaux symboles pour la nation bolivienne. Ceci révèle un paradoxe de sa politique, tout en prétendant promouvoir la reconnaissance de la diversité des indigènes, il développe des références communes indigènes prenant comme modèle la culture andin dominante qu'il érige en symboles nationaux207.

Certains symboles nationalistes n'ont pas évolué en revanche. C'est le cas de la guerre du Pacifique, la revendication de l'accès à la mer est ici même instaurée dans les objectifs de l'éducation208. Pour

198 Un conseillé présidentiel souhaitant rester anonyme, 2017.

199 Bibliothèque de l'école de Charagua et de Rancho Viejo.

200 Entretien avec Elias Caurey, sociologue guarani, membre du C.E.P.O.G. Vendredi 17 mars, La Paz.

201 Visions du monde

202 Articulo 1,6 Ley 070, La Paz, 2010.

203 Daniel Armando Pasquier Rivero, Gustavo Pinto, Cecilia Salazar, Marianela Soux, Monica Sahoneno.

204 Pachamama est la terre mère dans les mythologies quechuas et aymaras, Articulo 4,8 Ley 070, La Paz, 2010.

205 Articulo 4,13 Ley 070, La Paz, 2010.

206 SUAREZ Hugo José et BAJOIT Daniel, Bolivie / La Révolution Démocratique, Charleroi, Couleur Livres, 2009.

207 CANESSA, Andrew. « Les paradoxes des politiques multiculturelles en Bolivie: entre inclusion et exclusion. » Problèmes d'Amérique latine. 2014.

208 Articulo 4,10 Ley 070, La Paz, 2010 et BRUSLE Laetitia Perrier. « La Bolivie, sa mer perdue et la construction nationale ». Annales de géographie, no 689, 2013.

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ce qui est de la construction de l'identité nationale, la loi 070 encourage le développement de l'unité et de l'identité des Boliviens comme membre de l'État Plurinational, et il en est de même pour les identités des NPIOC. Cependant, les identités métisses, régionales ou urbaines ne sont jamais évoquées209. Dans la conception de l'identité du MAS il ne semble y avoir que l'identité indigène et bolivienne.

L'école doit être « unique, diverse et plurielle 210». Un programme de base est censé assurer une école unique dans sa qualité que ce soit dans le public comme dans le privé ou à la ville comme à la campagne. Elle est aussi diverse et plurielle car elle doit s'adapter au contexte. Ainsi la loi ASEP instaure une coexistence du programme de base, qui est interculturel, et des programmes régionalisés et diversifiés qui sont intraculturels211. La loi 070 définit les programmes régionalisés sous ces termes : « Le programme régionalisé fait référence à l'ensemble de plans et programmes (scolaires), objectifs, contenus, critères méthodologiques et d'évaluation dans un sous-système et dans un niveau éducatif donné, qui exprime la particularité et la complémentarité dans l'harmonie avec le programme de base du système éducatif plurinational212 ». Les programmes régionalisés sont des outils qui permettent l'incorporation de données du contexte culturel, historique et linguistique dans l'éducation. Ils sont élaborés par les Conseils Éducatifs des Peuples Originaires, fondés en 1994, avec la collaboration des acteurs de l'éducation. Ils doivent ensuite être acceptés par le Ministère de l'Éducation puis harmonisés avec le programme de base213. Cependant, l'article 80 de la loi révèle une inégalité de droit important entre les autonomies régionales et municipales d'une part et les Autonomies Indigènes Originaires Paysannes (AIOC). En effet, si les deux premières autonomies n'ont de droit sur l'éducation que de la financer, les autonomies indigènes ont bien plus de droits, dont la réalisation de programme régionalisés et l'application de l'éducation particularisée214. Cette inégalité révèle une fois encore que la loi 070 et plus généralement, le nouvel État plurinational d'Evo Morales favorise les indigènes ruraux sur les autres autonomies et sur l'autre part de la population.

Cet écart est révélateur de la nouvelle vision du pays fournie par l'Etat, si la diversité des cultures urbaines est reconnue par le gouvernement dans l'éducation, le prisme de l'indigène occulte beaucoup de choses.

IV-B/ La loi 070 dans les programmes et les manuels scolaires : une « indigénisation » de l'histoire.

Dans sa quête prétendument décolonisatrice, l'éducation réformée accorde à l'histoire une grande importance. En effet, il s'agit de revaloriser les connaissances, langues et traditions indigènes mais aussi leurs histoires et leurs places dans l'histoire nationale. Le programme de base de l'éducation régulière de l'année 2010 insère les sciences sociales et donc l'histoire dans le processus de la révolution culturelle. L'histoire doit être un outil de transformation des mentalités mais aussi un outil de compréhension du « développement sociocommunautaire215 ». Ainsi, les sciences sociales doivent officiellement développer un esprit critique tout en promouvant les actions du gouvernement en place. La discipline se base sur les savoirs et cosmovisiones des NPIOC afin de « consolider la

209 Articulo 5,3 Ley 070, La Paz, 2010.

210 Articulo 4,4 Ley 070, La Paz, 2010.

211 Articulo 63,2 Ley 070, La Paz, 2010.

212 Articulo 70 Ley 070, La Paz, 2010.

213 Articulo 63,3 Ley 070, La Paz, 2010.

214 Articulo 80 Ley 070, La Paz, 2010.

215 Minsiterio de Educacion, programme base de educacion regular, La Paz, 2012

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révolution démocratique et culturelle216 ». Dès lors, l'instrumentalisation de l'histoire pour appuyer le projet politique du MAS est assumée. En effet, le MAS se fonde sur les principes du katarisme mais aussi de la révolution de 1952. De ce fait, le MAS rejette à la fois le concept d'État nation homogénéisant aussi bien que l'oligarchie, qui est à nouveau qualifiée d'anti-nation217. Comme le MNR, le MAS utilise l'histoire afin de légitimer son pouvoir. De nouvelles fêtes et célébrations s'ajoutent au calendrier des actes civiques218. Le MAS s'appuie grandement sur l'école pour instaurer cette nouvelle histoire indigène nationale mais aussi pour en faire le coeur du nationalisme avec la réalisation d'actes civiques par les enfants dans les écoles et sur l'espace publique.

Avec cette réforme, l'enseignement s'effectue en quatre dimensions : être, savoir, faire, décider219. Le programme de la 3eme année de primaire propose une visite de l'institution publique de l'autonomie de l'enfant (régionale ou municipale) pour y apprendre l'histoire de la province. Le programme présente donc bien un effort d'activités faisant participer l'entourage pour une histoire locale.

Dans le programme de 4eme année de primaire en revanche, les élèves doivent transcrire des histoires et contes locaux en langue originaire. Cette activité semble déjà adaptée pour des enfants indigènes ruraux plus que pour des enfants urbains qui n'ont pas forcément les moyens d'accéder à ces informations. De même, l'apprentissage de l'hymne national s'effectue à la fois en espagnol et à la fois en langue originaire correspondante à la région. Finalement le contenu historique à proprement parler traite de l'histoire républicaine, qui comprend les résistance et rébellions des peuples originaires durant la période coloniale et la révolution du MNR En 1952. Le programme de l'année de 6ème est le plus révélateur car il montre l'évolution de la terminologie et de la manière de présenter certains événements historiques. En effet, il n'est plus question de découverte et de conquête de l'Amérique d'un point de vue européen. Désormais, ce chapitre est nommé ainsi : « Invasion Européenne de Abya Yala, conséquences néfastes sur les cosmovisiones220 ». Ce simple titre renverse totalement la manière d'aborder ces thèmes. Les Européens ne sont plus des grands explorateurs mais bien des envahisseurs qui détruisent une société présentée comme stable et harmonieuse. L'emploi de l'expression Abya Yala est très politique, il s'agit d'une expression en langage indigène qui a été choisie pour qualifier l'Amérique en opposition à ce terme imposé par les Européens. Il s'agit du même processus pour le mot « originaire », qui est bien plus mélioratif que le mot « indien », terme rabaissant et attribué à tord par les espagnols. Cette évolution terminologique rend compte d'efforts qui visent à s'éloigner de l'historiographie européenne. Décoloniser l'histoire passe donc par réécrire l'histoire d'un point de vue indigène.

Ce travail historique se constate dans les manuels de La Hoguera et de Santillana qui furent édités en suivant les principes de la réforme.

Santillana

Pour ce qui est des manuels de Santillana, la fonction nationaliste de l'histoire est toujours de mise comme le montre le premier enseignement historique que reçoivent les enfants à l'école. En effet, les chapitres sur La Guerre du Pacifique, La perte du littoral et Eduardo Avaroa sont parmi les premiers chapitres étudiés dans le manuel de 3eme année de 2017221, ce qui correspond à l'initiation

216 Ibid. : « consolidar la revolucion democratica y cultural. »

217 LAVAUD, Jean-Pierre. « La Bolivie d'Evo Morales: continuités et ruptures. » Problèmes d'Amérique latine. 5 octobre 2012. N° 85.

218 Journée de la loi contre le racisme et la discrimination, célébration de Tuapac Katari...

219 Articulo 80 Ley 070, La Paz, 2010. « estar saber hacer decidir »

220 Ministerio de Educacion, Ley 070, La Paz, 2010.: « Invasión Europea al AbyaYala, consecuencias nefastas en las cosmovisiones. »

221 Departemento de Ediciones Educativa de Santillana, Ciencias Sociales 3, Santillana de Ediciones S.A. La Paz, 2017.

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à l'histoire. L'effort pour l'interculturalité se fait parfois au détriment de l'histoire. Ainsi, le manuel de 4eme année de Santillana publié en 2017 ne contient pas un seul chapitre sur l'histoire, il s'agit d'une présentation des régions et des peuples indigènes qui les occupent222.

Les versions de 2013 de Santillana sont assez similaires au niveau du contenu que celles de 2017. On trouve en 5eme année une présentation des périodes historiques de la Bolivie, de la préhistoire à la période coloniale puis de l'indépendance jusqu'à la période contemporaine, sans traiter la période préhispanique223. En effet cette période est devenue la plus importante, puisqu'elle est la seule à être étudiée dans le manuel de 6eme année. Cinq chapitres lui sont consacrés. Le passé indigène de la Bolivie est développé afin de bien répandre l'imaginaire d'une Bolivie idyllique qui existait avant que les espagnols viennent tout détruire. L'histoire qui se veut décolonisatrice, cherche donc à montrer ce qui a été colonisé, là ou auparavant, les manuels expliquaient en profondeur les processus de colonisation et ce qui en découlait. Il s'agit d'une réelle « indigénisation » de l'histoire, qui se fait au détriment de l'histoire républicaine224.

La différence majeure dans le contenu entre les versions de 2013 et de 2017 réside dans l'ajout de de deux chapitres d'histoire dans la dernière version : « Peuples indigènes d'Amérique : période coloniale 225 » et « Peuples indigènes d'Amérique : du XIX ème siècle à aujourd'hui226 .» Ces évolutions sont révélatrices de l'approfondissement du point de vue indigène qui est imposé sur l'Histoire. Les indigènes, qui étaient jadis exclus ou cachés de l'histoire bolivienne, sont désormais au centre de l'apprentissage de l'histoire. Un élément secondaire permet de constater cette évolution. Dans le manuel de 6eme de 2017, il est rare d'observer un personnage blanc et les tenus sont bien plus diversifiés que dans les manuels des années précédentes227. L'enseignement de l'histoire vise à donner un caractère indigène à la Bolivie, occultant ainsi les autres identités et les réalités des périodes. Cependant, dans le manuel de Santillana de 3eme année de primaire de 2017, sur le thème « connaissons notre histoire » on peut observer dans les illustrations, des enfants dans l'ensemble assez blanc, et vêtues de manière très européennes. Cela permet aux enfants de se projeter, car ces livres sont dans l'ensemble réservés à l'élite urbaine du pays, qui reste assez blanche et proche des coutumes occidentales.

De plus cette nouvelle histoire indigène sert à légitimer le MAS. Ce révisionnisme historique n'est pas sans rappeler celui MNR qui appliquait son prisme à l'histoire afin de se présenter comme l'aboutissement d'un long processus révolutionnaire pour arriver à un gouvernement libérateur et juste. Le MAS reproduit cette utilisation de l'histoire en développant une histoire d'oppression des indigènes dans les deux nouveaux chapitres. Les indigènes sont oppressés et exploités sous la colonisation, jusqu'à leur libération, entamée par le MNR et aboutie par Evo Morales qui les mène vers le « vivir bien ». Par la même occasion, le MAS se place en héritier historique de la révolution du MNR228.

Autre fait que révèle ce manuel, l'histoire indigène ici enseignée correspond à une histoire avant tout andine. Les civilisations de Tiwanaku et de l'empire Inca sont alors désignées comme le glorieux passé de la Bolivie. L'urbanisme est présenté comme un critère d'évolution. Ainsi, les Moxos, un des rares peuples des basses terres considérés comme une civilisation, sont qualifiés en ces termes : « Tandis que Tiwanaku s'était déjà converti en une cité qui attirait de grandes quantités d'habitants, dans d'autres lieux de notre territoire il existait toujours des sociétés de type villageois (qui correspond au chapitre étudié précédemment). 229». De cette manière, les cultures andines sont présentées comme

222 Departemento de Ediciones Educativa de Santillana, Ciencias Sociales 4, Santillana de Ediciones S.A. La Paz, 2017.

223 Departemento de Ediciones Educativa de Santillana, Ciencias Sociales 5, Santillana de Ediciones S.A. La Paz, 2013.

224 Departemento de Ediciones Educativa de Santillana, Ciencias Sociales 6, Santillana de Ediciones S.A. La Paz, 2013.

225 Departemento de Ediciones Educativa de Santillana, Ciencias Sociales 6, Santillana de Ediciones S.A. La Paz, 2017.

226 Ibid.

227 Ibid.

228 GILDER Matthew. « La historia como liberación nacional: creando un pasado útil para la Bolivia posrevolucionaria. » Revista Ciencia y Cultura, Laura Lima, 2012.

229 Departemento de Ediciones Educativa de Santillana, Ciencias Sociales 6, Santillana de Ediciones S.A. La Paz, 2017.

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étant en avance dans le temps sur les autres cultures du pays, ce qui n'est pas sans rappelé les idées évolutionniste du début du XXème siècle230 . L'histoire de l'Orient est encore une fois très peu représentée dans cette histoire indigène qui se substitue à l'histoire nationale. L'histoire reste andinisante, toujours du fait de la conception de la réforme et des manuels à La Paz, sans la participation d'intellectuels de l'Orient. Ce point révèle un grand paradoxe de l'éducation et du gouvernement d'Evo Morales. Il se prétend décolonisateur mais il établit en réalité une domination des peuples aymaras et quechuas sur les autres ethnies qui sont considérées comme minoritaires et dénuées de passé intéressant.

Illustration 5: La représentation d'une élite blanche et occidentale dans Santillana.

Les enfants boliviens représentés ici sont à l'image des élèves ayant les moyens de s'acheter un manuel de Santillana selon les auteurs. Illustration du manuel de Santillana pour les 3èmes années de primaire,2017. (Photo : Saint-Martin)

L'idée de progrès, bien que moins évidente à déceler qu'avant, reste présent dans les livres de Santillana. Ainsi les Urus sont présentés comme n'ayant pas réussi à domestiquer des animaux et plantes, vivant comme des peuples des époques antérieures231. Cette présentation semble assimiler les Urus à un peuple primitif. Cela rappelle la considération des Urus par le reste des indigènes comme des sous hommes, comme une sorte de race précédant l'humanité232.

« Mientras en Tiwanaku ya se habia convertido en una ciudad que atraia grandes cantidades de pobladores, en otros lugares de nuestro territorio aun pervivian las sociedadesde tipo aldeano »

230 Evolutionnisme : toutes les sociétés suivent des étapes linéaires pour tendre vers le modèle de développement de la société occidentale.

231 Departemento de Ediciones Educativa de Santillana, Ciencias Sociales 6, Santillana de Ediciones S.A. La Paz, 2017.

232 WACHTEL Nathan, Le retour des ancêtres: les Indiens Urus de Bolivie, Xxe- XVIe siècle, essai d'histoire régressive, Paris, Gallimard, 1990.

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Les manuels de Santillana travaillent en étroite collaboration avec le gouvernement depuis 1994. Malgré les critiques du monopole et de l'origine étrangère de cette compagnie par Evo Morales, cela ne l'empêche pas d'y faire publier son autobiographie et son ministère de l'éducation accepte les ouvrages de Santillana233. Les manuels appliquent avec soin les directives de la réforme que ce soit dans le contenu comme dans les activités pédagogiques proposées. Santillana doit bénéficier d'une certaine liberté vis à vis de l'État, comme le montre la mention de la marche pour le TIPNIS234, une contestation indigène contre la violation des droits indigènes par Evo, qui constitue une des principales contradictions de ce dernier235.

La Hoguera

Les manuels de La Hoguera présentent une organisation du contenu tout à fait différente. Cette maison d'édition ne dispose pas des mêmes moyens et des mêmes équipes d'auteurs pour réaliser leurs manuels. Ainsi, les manuels de 4eme, 5eme et 6 eme année de primaire de 2013 ne présentent que très peu d'évolution avec ceux de 2005. L'histoire est restée factuelle et centrée sur les présidents et héros. Les manuels de 2016 présentent en revanche de grandes transformations dans son enseignement historique. Le manuel de 5eme diffuse une histoire révolutionnaire. Le chapitre 5 présente les périodes révolutionnaires de la Bolivie, allant même jusqu'à présenter la guerre fédérale comme la « révolution fédérale »236. Ce processus permet d'insérer le gouvernement du MAS comme l'aboutissement d'une longue lutte révolutionnaire. Il s'agit d'une histoire de la prise du pouvoir des masses ouvrières, du vrai peuple, en approfondissant l'action du MNR Le contenu des manuels de La Hoguera se plie aux exigences de la réforme de 2010 et transmet les valeurs de l'idéologie du MAS. Alors que Santillana, place le MAS comme la réponse à une lutte ethnique, La Hoguera adopte une analyse très politique et économique de la question. Il s'agit plus d'une histoire de l'arrivée au pouvoir du MAS où les indigènes sont des acteurs de plus en plus politisés plutôt qu'un peuple opprimé. Ces ouvrages fondent une tradition contestatrice, les manifestations sont valorisées comme moyen d'expression de la démocratie237.

Le dernier chapitre propage les principes fondateurs du MAS au travers des concepts anticapitalistes et communautaires habituels au gouvernement. L'histoire bolivienne est remplacée par une histoire de l'ascension d'Evo Morales, qui s'appuie sur de nombreuses photographies montrant la politisation des indigènes. Le manuel de la 6eme année présente la conquête et la découverte des Amériques en reprenant une partie de la terminologie du programme de la loi 070 : « l'invasion européenne 238». Le point de vue est bien sud-américain, il n'est plus question d'une extraordinaire découverte par des grands hommes espagnols mais ce sont les motifs de leur venue qui sont ici expliqués. Néanmoins, à part cela, le contenu ne change guère par rapport aux livres précédents. Le rôle des indigènes dans la guerre d'indépendance est mis en avant, accordant un chapitre entier aux révolutions indigènes. Comme pour l'invasion européenne, le terme « Abya Yala », préconisé par le programme, est employé pour qualifier l'Amérique. Certaines pages du manuel sont consacrées à diffuser l'idéologie du MAS un peu comme les récits et dialogues fictifs du MNR. Ici, une fiche de lecture rend compte du mal causé par les multinationales aux indigènes en citant plusieurs exemples239. Cette fiche de lecture est

233 Entretien avec Carolina Loureiro, Directrice de Santillana à La Paz. Jeudi 16 mars, La Paz.

234 Territorio Indigena y parque nacional Isiboro-Secure : le Territoire Indigène et parc national Isibore-Secure est un territoire indigène dont Evo Morales comptait violer sa souveraineté en construisant une autoroute traversant ce territoire.

235 CANESSA, Andrew. « Les paradoxes des politiques multiculturelles en Bolivie: entre inclusion et exclusion. » Problèmes d'Amérique latine. 2014.

236 Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 5, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2016.

237 Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 5, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2016. Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 6, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2016.

238 Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 6, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2016.

239 Ibid : « Pueblos indigenqs en america latina muriendo por culpa de las multinacionales. »

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totalement orientée pour les habitants de la région de Santa Cruz qui est favorable à l'exploitation des ressources d'hydrocarbures par les firmes multinationales. Finalement, comme précédemment, l'ultime chapitre présente les principes de l'État plurinational bolivien. L'enseignement historique de La Hoguera place l'histoire bolivienne dans une histoire sud-américaine, voire pan-indigène. Elle présente les morales indigènes qui sont officiellement appliquées à l'État mais aussi les événements civiques nouvellement mis en place, tel que le jour de la décolonisation.

Illustration 6: L'éloge et la normalisation de la contestation.

« -Donc, ce qu'ils réclament est juste ! »

« -C'est cela. Parfois, les personnes se voient obligées d'exiger ce qui leur revient. »

, La culture de la contestation et l'édulcoration du monde ouvrier : la persistance du modèle occidental. Manuel de 5eme de primaire de Santillana, 2017, (Photo : Saint-Martin).

Dans ce manuel aussi, les illustrations mettent souvent en scène des enfants de couleur blanche, ce qui est en décalage avec l'histoire enseignée. Le manuel La Siembra pour 6eme année de primaire de La Hoguera de 2016 affiche une liste des succès d'Evo Morales à la fin de son livre240. Enfin, le manuel de 6eme année publié en 2017 ne fait que confirmer l'asservissement de La Hoguera au MAS. L'enseignement des peuples précolombiens permet d'insérer la révolution indigène dans une lutte continentale. Le MAS veut se présenter comme un gouvernement qui répond aux luttes sociales de tous les indigènes de l'Amérique du Sud. Ce faisant, le projet masiste casse les régionalismes dans une sorte de pan-indigènisme qui ne prend pas en compte les particularités de chaque peuple. Plus

240 Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 6, Grupo Editorial La Hoguera, La Siembra, Santa Cruz de la Sierra, 2016.

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encore, le MAS porte la culture andine, même dans les manuels de La Hoguera : « dans le cas de l'Amérique du sud, les mouvements indigènes se construisent dans les espaces géographiques qui appartenaient jadis à la civilisation Inca... 241. »

Illustration 7: L'insertion de l'avènement du MAS dans un long processus d émancipation indigène.

Les manuels récents de La Hoguera illustrent la politisation croissante des indigènes, manuel de 5eme année de primaire, 2016. (Photo : Saint-Martin)

De manière générale, les manuels de La Hoguera présentent le discours officiel du gouvernement d'Evo Morales, utilisant l'histoire pour légitimer ce dernier comme libérateur des indigènes d'Amérique du Sud. Malgré la transformation terminologique de certains sujets, le contenu n'évolue pas grandement, et certaines idées de progrès restent présentes dans l'analyse historique. Plus encore, la diversité du pays est laissée de côté pour une présentation de la lutte indigène sous un angle très politique. Malgré son origine crucena242, La Hoguera ne propose pas d'adaptations du contenu à son contexte. Cela s'explique par la lourde surveillance du ministère de l'éducation sur le contenu de ces manuels.

241 Direccion de produccion Editorial, CIENCIAS SOCIALES 6, Grupo Editorial La Hoguera, Santa Cruz de la Sierra, 2017. « en el caso de america del sur, los movomientos indigenas se construyen en los espacios geograficos que anteriormente pertencieron a la civilizacion inca... »

242 Cruzena : originaire de Santa Cruz

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Santillana

 

La Hoguera

1 Premiers habitant d'Amérique

1 Peuples et civilisations de l'Amérique

précolombienne.

2 Le temps des villages

1

3 Le temps des cités

1

4 L'empire Inca

1

5 Cultures de Mésoamérique

1

6 Peuples indigènes d'Amérique : période coloniale

2 Invasion européenne : l'Époque coloniale

3 Premiers soulèvements subversifs en Amérique

4 L'indépendance de l'Amérique :

7 Peuples indigènes d'Amérique : du XIX siècle jusqu'à aujourd'hui

5 Mouvements sociaux et de peuples originaires dans l'Abya Yala

6 Principes et valeurs sociaux-communautaires de l'État plurinational de Bolivie.

Tableau 1: La Hoguera et Santillana, deux approches mais un même contenu.

Tableau comparatif des chapitres d'histoires des manuels de 6eme année de primaire de La Hoguera et de Santillana, publiés en 2017 (Tableau : Saint-Martin).

Ainsi l'analyse des manuels de Santillana et de La Hoguera rendent bien compte de l'évolution de l'enseignement de l'histoire avec la nouvelle réforme. L'état impose une lecture indigène de l'histoire du pays, afin de faire de ces derniers les premiers acteurs de l'histoire bolivienne, et même sud-américaine. Plus précisément, les indigènes altiplaniques sont mis en avant, en tant que passé du pays et en tant que principaux moteurs de la révolution culturelle. L'analyse de cette histoire indigène passe par l'analyse ethnique chez Santillana, alors qu'elle passe par l'analyse politique et sociale pour La Hoguera, Cette différence révèle l'adaptation de l'axe selon le public visé. En effet, ces deux analyses différentes correspondent aux représentations propres à chaque département. La Paz et le monde andin ont une conception de l'identité qui est bien plus basée sur le caractère indigène tandis qu'à Santa Cruz, elle se fonde sur l'économie et le politique. Plus encore, il s'agit de bien instaurer dans les mentalités que les indigènes ont pris de l'importance pour des cruceños qui dénigrent parfois ces populations243.

Qu'importe le biais pris par les manuels, il s'agit d'une histoire bien plus centrée sur les groupes et acteurs collectifs que précédemment. Les manuels propagent l'histoire révisionniste de l'État qui insère le MAS comme l'aboutissement d'un long processus d'une histoire indigène et révolutionnaire. Enfin, le contenu historique est idéologisé grâce à l'emploie d'une terminologie anticapitaliste et nationaliste propre au MAS.

243 BOULANGER Philippe, «Le Comité Pro Santa Cruz. Genèse et déclin de l'autonomisme institutionnel en Bolivie», Evo Morales ou le malentendu bolivien, Editions Nuvis, 2017.

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IV-C/ La coexistence théorique d'une histoire nationale et d'une histoire locale.

Les manuels de La Paz de Santillana comme les manuels de La Hoguera et de El Pauro originaires de Santa Cruz ne présentent pas d'autre contenu que celui du programme de base. Et pour cause, ces manuels s'achètent dans tout le pays et ils ne sont publiés qu'avec l'accord du Ministère de l'éducation qui vérifie que les manuels présentent bien uniquement le programme de base. En effet, l'État et les maisons d'éditions privées ne produisent pas de matériel pédagogique sur l'histoire locale. La loi de la réforme éducative de 2010 impose aux enseignants de produire leur propre matériel pour leurs classes. Les enseignants doivent écrire leurs propres leçons et livres d'histoire régionale. Cette mesure vise à intellectualiser les enseignants en les initiant au travail de recherche et d'écriture244. Ce faisant, les enseignants apprendraient à connaître le sujet qu'ils enseignent et à progressivement être de moins en moins dépendant envers les manuels scolaires qui recueillent un savoir qu'ils ne connaissent souvent pas. La loi a aussi pour finalité de provoquer la production d'une multitude de matériel sur les histoires locales, qui passerait par des petites maisons d'éditions.245 Cette mesure s'explique à la fois par le manque de financement et par la volonté d'améliorer les compétences et connaissances des enseignants.

Les programmes régionalisés répondent en quelques sortes à ces mêmes attentes. La production de programmes régionalisés par les CEPOs permet l'apparition d'intellectuels indigènes bilingues qui travaillent sur leur propre peuple. Cela permettrait donc la récupération d'une histoire qui jusqu'ici était écrite depuis l'extérieur. En effet, pour le cas Guarani par exemple, son histoire fut écrite par les missionnaires jésuites et même avant, les espagnols retranscrivirent des récits des incas246 . Le processus de production des programmes régionalisés est en lui-même décolonisateur. Il permet une réappropriation de l'histoire des différents peuples indigènes. Cette fois encore, tous les peuples originaires ne sont pas égaux face à ce processus247. Les programmes régionalisés produisent des histoires qui permettent de mieux connaître et présenter à l'échelle nationale interculturelle et donc théoriquement de sortir des présentations folkloriques et ethnographiques. Enfin, ces programmes régionalisés insinuent une participation sociale dans l'éducation248. Les programmes régionalisés sont construits grâce aux travaux d'ethnologues, de linguistes et de pédagogues qui sont envoyés par l'État. Les CEPOs, institutionnalisées en 1994, voient leur nombre grandir à sept et sont désormais responsables de la fabrication de ces programmes régionalisés pour les indigènes. Les contenus des programmes régionalisés varient grandement selon les nations indigènes et surtout leur rapport avec l'histoire. En effet, un peuple organisé en chefferie avec une tradition orale ne va pas avoir la même histoire que les Quechuas par exemple. Une chefferie est une organisation politique où le chef ne détient pas sa légitimité de sa parenté mais de son prestige, à l'inverse d'un système royale ou impériale qui repose sur des dynasties, ce qui induit un ancrage dans le temps et donc un rapport différent avec le passé et avec l'histoire. Ces travaux permettent ainsi de transcrire la tradition orale qui est en perdition. La proportion d'histoire à proprement parler dans ces programmes régionalisés est souvent bien minoritaire face au développement des valeurs, modes et règles de vies, légendes et contes249. Que ce soit dans une situation urbaine comme dans une situation de communauté paysanne indigène, le sentiment d'appartenance à la nation n'est pas censé être remis en question, grâce au programme de base qui diffuse les valeurs et l'histoire de la Bolivie interculturelle250.

244 Entretien avec un conseillé présidentiel souhaitant rester anonyme.

245 Ibid.

246 HAUBERT Maxime, La Vie quotidienne au Paraguay sous les jésuites, Hachette, 1967.

247 Entretien avec Ana Evi Sulcata, sociologue de l'éducation, spécialiste travaillant pour les CEPO. Lundi 20 mars, La Paz.

248 Entretien avec Elias Caurey, sociologue guarani, membre du C.E.P.O.G. Vendredi 17 mars, La Paz.

249 APG CEPOG, Curriculo regionalizado de la nacion guarani, 2014.

250 MORALES AYMA Evo, Ley de Educacion Avelino Sinani-Elizardo Perez 20-12-2010, in :

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L'enseignement de l'histoire depuis la réforme de 2010 est donc destiné à légitimer le MAS et à former la jeunesse dans son idéologie révolutionnaire et indianiste. Pour décoloniser la Bolivie, l'histoire étudiée a été transformée de manière à adopter un regard indigène, ou du moins bolivien sur l'histoire. Plus encore, la connaissance et la valorisation des cultures et connaissances indigènes occupent une grande place dans cet enseignement historique. Il s'agit d'une histoire des indigènes plutôt que d'une histoire de la Bolivie, « les Peuples indigènes d'Amérique : période colonial 251», « les Peuples Indigènes : du XIXème siècle à aujourd'hui 252», etc... Le reste de la population est occulté par cette focalisation. La proportion du contenu historique consacrée aux indigènes est telle que l'histoire universelle ou ne serait-ce que Sud-Américaine ne sont que très peu étudiés. Plus grave encore, les blancs ne sont désormais présents dans l'histoire bolivienne qu'en tant qu'envahisseurs, ou en tant qu'oligarques oppressant la vraie nation. Et il est de même pour la culture métisse qui ne se sent pas reconnue par ce gouvernement et qui est écartée dans sa propre histoire. Ce genre de situation crée de nombreux déséquilibres dans la société bolivienne. C'est par exemple le cas à Santa Cruz, où la population réclame un programme régionalisé métisse, de camba253. La revalorisation de l'identité indigène se fait au détriment des autres identités. Sous ce régime, on ne peut être qu'indigène et bolivien. La réforme de l'éducation de 2010 fait donc de l'histoire un enseignement adapté aux milieux indigènes paysans. Inversant pour la première fois depuis l'histoire de la Bolivie la situation, en imposant une éducation rurale à caractère indigène dans les écoles urbaines et métisses254

IV-D/ La situation éducative dans la Bolivie d'Evo Morales.

Le gouvernement d'Evo Morales, au pouvoir depuis 2006, s'illustre par des efforts renouvelés pour développer l'éducation. L'investissement de l'État dans l'éducation est le même que lors de la réforme précédente, cela représente 24 % des dépenses étatiques. Cependant, Evo Morales a fondé son discours politique sur la résurgence de la culture bolivienne, il se place en rupture avec le gouvernement précédent et les projets de développement affiliés à la Banque Mondiale. Ainsi, il arrête le Plan Stratégique de l'Education Bolivienne255 en 2006 afin de mettre en place le programme Bolivie Digne, Souveraine, Productive et Démocratique pour le « Vivir Bien »256. Il ne disposait donc pas des mêmes aides financières et techniques que la réforme de 1994, portée par la Banque Mondiale. Ainsi, alors que les dépenses pour la réforme de 1994 ne représentaient que 4.7 % du PIB, celles de 2010 en représentent 8 %257. Or, il semblerait que le taux de scolarisation en primaire chute avec l'avènement d'Evo Morales, pire encore, cette baisse s'est accélérée à partir de 2009, sans que la réforme de 2010 ne corrige cela.

http://www.cedib.org/post_type_leyes/ley-070-educacion-avelino-sinani-diciembre-2010/

251 Departemento de Ediciones Educativa de Santillana, Ciencias Sociales 6, Santillana de Ediciones S.A. La Paz, 2017, Chapitre 6 « Pueblos indigenas de America : periodo colonial

252 Ibid, Chappitre 7 : « Pueblos indigenas de America : del siglo XIX a la actualidad. »

253 PINTO MOSQUEIRA Gustavo, Bases para la escuela y educación en el oriente boliviano, Landivar S.R.L. Santa Cruz de la Sierra, 2004.

254 Entretiens avec Weimar Ino, Paula Peña, Gustavo Pinto et des enseignants.

255 « plan Estrategia de Educación Boliviana

256 « Bolivia Digna, Soberana, Productiva y Democrática para Vivir bien. »

257 Banque Mondiale, U.N.E.S.C.O. Institut de statistique, 2017.

Illustration 8: Courbe de l'évolution du pourcentage de scolarisation en Bolivie.

Pourcentage (net) d'élèves en âge scolaire inscrits en Bolivie entre 1999 et 2015, (Banque Mondiale, Institut de statistique de l'UNESCO ).

55

Les actions du gouvernement d'Evo sont très influencées par l'objectif de maintenir le soutien politique de son électorat, les indigènes, les masses populaires et les intellectuels de gauche. De ce fait, l'investissement du MAS dans l'éducation est excessivement mis en avant afin de souligner les actions du gouvernement tournées vers le peuple et pour le développement du pays. Parmi la propagande étatique, le ministère de l'éducation publie de nombreux rapports et articles sur ses travaux et les résultats de ceux-ci. De telle sorte que de nombreuses statistiques sur l'éducation dans les années 2010 proviennent du ministère de l'éducation afin de promouvoir la réussite de la réforme et du MAS Ces données sont souvent bien différentes des autres sources et sont organisées de manière à présenter des résultats positifs.

Illustration 9: L'utilisation des données éducatives par le MAS.

Nombre d'étudiants inscrits en Bolivie entre 2000 et 2014, (Ministère de l'éducation, La Paz, 2015).

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Ce graphique met en scène une progression positive du nombre d'enfants inscrits à l'école en Bolivie de 2000 à 2014. Les indications sur la droite mettent seulement en avant les statistiques positives, ne faisant aucun commentaire pour la régression d'inscrits en primaire. Plus encore, l'écart des statistiques des années 2010 inférieur à celles des années 2000 est justifié par l'ancien système de recensement qui serait moins précis, ce qui expliquerait une surestimation du nombre d'inscrit avant 2009, soit juste un an avant la mise en place de la réforme éducative. De manière générale, les informations du ministère de l'éducation et la plupart des sources étatiques sont donc à prendre en considération avec un certain recul. Ces sources ne sont pas forcément fausses, mais elles sont organisées de manière à démontrer l'efficacité du projet éducatif gouvernemental.

Par exemple, les données de la Banque Mondiale sont à peu près les mêmes pour ce qui est du nombre d'inscrits au secondaire. Cependant, l'emploi de ce graphique imprécis permet de ne pas révéler que l'augmentation du pourcentage d'inscrits en secondaire s'est surtout produite entre 2000 et 2005, passant de 60 % à 75 % et a ralenti dans les années 2010, évoluant de 73% à 77% en 2015.

Ainsi, les inscriptions en secondaire sont en hausse dans les années 2010 comme elles le furent dans les années 1990 et 2000. Cette augmentation suit une évolution internationale d'une hausse constante de besoin de travailleurs plus qualifiés en Amérique du sud. Pour ces mêmes raisons, l'accès aux études supérieures a augmenté de 8 à 38% de 1970 à 2007258 . Cependant, le nombre n'est pas

258 Banque Mondiale, U.N.E.S.C.O. Institut de statistique, 2017.

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révélateur de la qualité éducative. Les réformes de 1994 comme de 2010 s'étant concentrées sur le primaire, le nombre d'enseignants et les infrastructures attribuées au secondaire est bien insuffisant pour assurer un enseignement de qualité. En effet, si le taux d'achèvement du primaire s'élève à 50%, il n'atteint que 20% des étudiants du secondaire. De même la couverture scolaire est de 90% en primaire contre 50% pour le secondaire259. Or la volonté de ce travail était de percevoir l'éducation de base transmise au plus grand nombre. C'est pour cette raison que malgré les conseils de Paula Peña Hasbun qui prônait l'observation de l'enseignement de l'histoire au secondaire, cette étude porte avant tout sur l'enseignement de l'histoire en primaire.

Des statistiques nationales qui rendent difficilement compte de la diversité des situations éducatives.

Toutefois, ces données nationales rendent difficilement compte d'une réalité générale bolivienne du fait de la multitude de situations différentes présentes en Bolivie. En effet, l'immense territoire bolivien regroupe des situations économiques, sociales et politiques très différentes. La comparaison des statistiques des départements et entre le monde rural et urbain permet de se rendre compte de la diversité des situations et de l'inégalité des conditions éducatives présentes sur le territoire bolivien.

Ce graphique met en scène une progression positive du nombre d'enfants inscrits à l'école en Bolivie de 2000 à 2014. Les indications sur la droite mettent seulement en avant les statistiques positives, ne faisant aucun commentaire pour la régression d'inscrits en primaire. Plus encore, l'écart des statistiques des années 2010 inférieur à celles des années 2000 est justifié par l'ancien système de recensement qui serait moins précis, ce qui expliquerait une surestimation du nombre d'inscrit avant 2009, soit juste un an avant la mise en place de la réforme éducative. De manière générale, les informations du ministère de l'éducation et la plupart des sources étatiques sont donc à prendre en considération avec un certain recul. Ces sources ne sont pas forcément fausses, mais elles sont organisées de manière à démontrer l'efficacité du projet éducatif gouvernemental.

Par exemple, les données de la Banque Mondiale sont à peu près les mêmes pour ce qui est du nombre d'inscrits au secondaire. Cependant, l'emploi de ce graphique imprécis permet de ne pas révéler que l'augmentation du pourcentage d'inscrits en secondaire s'est surtout produite entre 2000 et 2005, passant de 60 % à 75 % et a ralenti dans les années 2010, évoluant de 73% à 77% en 2015.

Ainsi, les inscriptions en secondaire sont en hausse dans les années 2010 comme elles le furent dans les années 1990 et 2000. Cette augmentation suit une évolution internationale d'une hausse constante de besoin de travailleurs plus qualifiés en Amérique du sud. Pour ces mêmes raisons, l'accès aux études supérieures a augmenté de 8 à 38% de 1970 à 2007260 . Cependant, le nombre n'est pas révélateur de la qualité éducative. Les réformes de 1994 comme de 2010 s'étant concentrées sur le primaire, le nombre d'enseignants et les infrastructures attribuées au secondaire est bien insuffisant pour assurer un enseignement de qualité. En effet, si le taux d'achèvement du primaire s'élève à 50%, il n'atteint que 20% des étudiants du secondaire. De même la couverture scolaire est de 90% en primaire contre 50% pour le secondaire261. Or la volonté de ce travail était de percevoir l'éducation de base transmise au plus grand nombre. C'est pour cette raison que malgré les conseils de Paula Peña Hasbun qui prônait l'observation de l'enseignement de l'histoire au secondaire, cette étude porte avant tout sur l'enseignement de l'histoire en primaire.

259 CAJIAS DE LA VEGA Beatriz, Hitos de la Educacion en Bolivia, PIEB, La Paz, 2017.

260 Banque Mondiale, U.N.E.S.C.O. Institut de statistique, 2017.

261 CAJIAS DE LA VEGA Beatriz, Hitos de la Educacion en Bolivia, PIEB, La Paz, 2017.

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Des statistiques nationales qui rendent difficilement compte de la diversité des situations éducatives.

Toutefois, ces données nationales rendent difficilement compte d'une réalité générale bolivienne du fait de la multitude de situations différentes présentes en Bolivie. En effet, l'immense territoire bolivien regroupe des situations économiques, sociales et politiques très différentes. La comparaison des statistiques des départements et entre le monde rural et urbain permet de se rendre compte de la diversité des situations et de l'inégalité des conditions éducatives présentes sur le territoire bolivien.

Illustration 10: Comparaison de la scolarisation selon les départements.

Effectifs d'enfants scolarisés et population en âge scolaire de chaque département, données du Ministère de l'Education, 2009 (Graphique : Saint-Martin)

Illustration 11: Des situations éducatives différentes selon les départements.

Taux d'encadrement par département en Bolivie en 2008, La frontière rouge délimite l'Orient du monde andin, données du Ministère de l'Education, 2009 et de PEREDO VIDEA, Rocío de los Ángeles. « Estado de la educación primaria en Bolivia en cifras e indicadores.» Revista de Psicologia, La Paz, 2013. (Carte: Saint-Martin)

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Ces deux derniers graphiques permettent de visualiser la grande disparité des situations éducatives entre les différents départements de Bolivie. Les départements les plus peuplés, tels que La Paz, Cochabamba et Santa Cruz présentent les plus mauvais taux d'encadrement et de déscolarisation. Ces trois départements sont aussi les plus dynamiques économiquement du pays. Les grandes possibilités de travail pour les enfants, ainsi que les difficultés de répondre aux besoins d'espaces urbains fortement peuplés peut expliquer les forts pourcentages de déscolarisation. En effet, les départements peu urbanisés et faiblement peuplés, tels que le Pando, Oruro ou encore le Beni présentent des meilleurs taux de scolarisation et d'encadrement.

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L'observation de ces données permet de mettre en avant la situation particulièrement mauvaise du département de Santa Cruz. En effet, ce département est le véritable moteur économique du pays et possède le plus grand centre urbain de Bolivie, offrant des conditions de vie bien plus élevées que dans le reste du pays. Pourtant, il présente 17 % de déscolarisation et le taux d'encadrement le plus bas de tout le pays, ne disposant que d'un professeur pour 42 élèves. En effet, seulement 21% du nombre d'enseignants y travaillent, contre 28% pour La Paz, qui ne possède qu'une dizaine de milliers d'élèves de plus. Cette situation éducative très mauvaise révèle une fois encore le délaissement de Santa Cruz par le gouvernement bolivien. La grande diversité de situations entre les départements provoque une inégale évolution de la situation éducative à travers le Pays. De ce fait, cette éducation à plusieurs vitesses accentue les clivages et inégalités entre les départements du pays. De la même manière, le travail infantile qui est estimé à 16,2% en 2008 en Bolivie262, crée des inégalités au sein de mêmes départements. La nécessité de travailler pour les enfants se retrouve principalement dans les classes sociales les plus pauvres de la société bolivienne. Ainsi, l'inégalité à l'accès à l'éducation est flagrante dans les milieux urbains où cohabitent différentes classes sociales.

L'éducation des indigènes et en zones rurales.

L'éducation des indigènes se développe en premier lieu lors des gouvernements libéraux de 1890 à 1920 puis avec le Codigo de la Educacion du MNR en 1955 qui fonde nombreuses écoles dans les campagnes. La réforme de 1994 vise quant à elle à établir une éducation interculturelle et bilingue afin de mieux connaître les indigènes et de faciliter pour eux l'apprentissage à l'école. Cependant, malgré cela, la réforme ne parvient pas à supprimer les inégalités entre le monde urbain et le monde rural. En 1999, les infrastructures éducatives sont rustiques. Seuls 38 % des écoles étaient dotées de l'électricité, 47 % de l'eau et seulement 20 % de système d'évacuation des déchets263. Dans l'intention d'améliorer l'accès à l'éducation des ruraux, le gouvernement néo-libéral investit grandement dans la construction d'écoles dans les campagnes. De telle sorte que les écoles rurales deviennent bien plus nombreuses que les écoles en ville. De 1999 à 2002, les classes en ville sont chargées avec en moyenne 35 élèves, contre seulement 14 dans les milieux ruraux. Ces nouvelles écoles sont très importantes pour garantir la scolarisation dans le monde rural où les transports sont rares et où les populations sont moins concentrées. Malgré tous ces efforts, la situation éducative reste plus préoccupante en campagne qu'en ville. Pire encore, l'écart continue de se renforcer.

L'écart du nombre d'années de scolarité varie fortement entre les milieux urbains et ruraux et entre les hommes et les femmes. Les enfants vivant en ville vont plus à l'école que ceux de la campagne, et les garçons plus que les filles. Si le nombre d'années de scolarité a un peu progressé entre 1992 et 2001, l'écart entre garçons et filles ainsi qu'entre urbains et ruraux s'est encore creusé.

De la même manière, l'analphabétisme se concentre principalement dans le monde rural, bien qu'il se soit réduit grâce aux campagnes d'alphabétisation. Ainsi, l'analphabétisme est passé de 36,5 % en 1992 à 25,8 % en 2001. Mais les femmes restent les plus défavorisées, présentant jusqu'à 50 % d'analphabètes dans les campagnes de 1991 contre 23 % chez les hommes264. La mise à disposition d'écoles ne suffit pas à donner les mêmes conditions d'études aux enfants de paysans qu'aux enfants de citadins. En effet, le contexte social, économique et culturel de la campagne, qui n'a pas été transformé, fait que les enfants doivent travailler plus qu'en ville et donc être moins assidus à l'école.

262 Robin Cavagnoud, Sophie Lewandowski et Cecilia Salazar, « Introducción Pobreza, desigualdades y educación en Bolivia (2005-2015) », Bulletin de l'Institut français d'études andines, 44 (3) | 2015

263 PEREDO VIDEA, « Rocío de los Ángeles. Estado de la educación primaria en Bolivia en cifras e indicadores. » Revista de Psicologia, La Pa , n. 9, p. 9-26, 2013 .

264 Ibid.

Illustration 12: Une formation inégale selon le genre et le lieu.

Moyenne d'années de scolarité de la population de 19 ans ou plus, par genre et par aire géographique en 1992 et en 2001, 2002 ( PEREDO VIDEA, Rocío de los Ángeles. Estado de la educación primaria en Bolivia en cifras e indicadores. Revista de Psicologia, La Paz , n. 9, p. 9-26, 2013 . )

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Mais de manière générale, bien que la forte scolarisation puisse témoigner d'une baisse du travail infantile, celui-ci ne disparaît jamais, surtout dans les campagnes. Sur ce point, le spécialiste de l'Education Interculturelle et Bilingue Luis Enrique Lopez regrette le manque d'adaptation de la loi 1565 à l'organisation de ces populations. Selon ce dernier, le calendrier scolaire devrait se calquer à l'organisation des familles indigènes, en programmant les vacances lorsque les adultes vont travailler à la ville, période durant laquelle les enfants remplacent les adultes dans leurs tâches et sont donc particulièrement absents.

Avec Evo Morales, l'absentéisme et le travail infantile vont en augmentant tandis que les écarts entre monde rural et urbain ainsi qu'entre hommes et femmes semblent statistiquement se réduire progressivement. Avec la loi de l'éducation Avelino Sinani Elizardo Perez en 2010, la structure éducative reste la même mais désormais, l'éducation initiale doit se faire «en famille communautaire», c'est à dire avec la coopération de la famille, de la communauté et de l'école. L'éducation primaire dure dorénavant de 6 à 12 ans et doit être «communautaire et professionnelle» afin de trouver une vocation et d'expérimenter des professions avec l'aide de la communauté. Finalement, l'enseignement secondaire s'étend lui aussi sur 6 ans, et gagne la qualification de «communautaire productive», c'est à dire l'apprentissage adapté d'une profession selon les besoins et les opportunités de la communauté265. Evo Morales imprègne la structure éducative de son idéologie dont on voit dans sa terminologie son orientation vers le monde rural. De plus, le raccourcissement de la période primaire va de pair avec l'abaissement de l'âge légal pour travailler à 10 ans par Evo Morales le 6 août 2014. En effet, tout en affichant un programme éducatif et un développement des écoles, Evo Morales prône «l'école de la vie» dont il est lui-même issu266. Cette dynamique peut expliquer en partie la chute de scolarisation de ces dernières années. En 2008, sur environ 3,3 millions d'enfants en âge scolaire, seulement approximativement 2,8 millions étaient inscrits à l'école. En 2008, la

265Ministerio de la Educacion, Ley de Educacion Avelino Sinani-Elizardo Perez 20-12-2010, in http://www.cedib.org/post_type_leyes/ley-070-educacion-avelino-sinani-diciembre-2010/

266 Código de la infancia y la adolescencia Ley N° 548, Capítulo VI : Ley sobre el trabajo infantil, La Paz, 2014.

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Bolivie présentait donc 15% d'enfants non scolarisés à l'échelle nationale267.

Il est remarquable de constater que le taux d'achèvement du primaire des filles comme des garçons, en hausse depuis 1990, n'a cessé de chuter depuis 2006, année d'arrivée au pouvoir du MAS. En 2008, le taux d'abandon est plus haut de 2.5% dans le monde rural qu'urbain. De ce fait, dans cette réforme aussi, les efforts se sont concentrés sur la réforme de l'éducation primaire, considérée comme la plus importante et la plus suivie, au détriment du secondaire qui commence seulement à être réformé.

La politique éducative d'Evo Morales est franchement orientée vers le monde rural, notamment dans les dernières années du cycle primaire. Cependant, les sources du ministère de l'éducation présentent un rapprochement des résultats ruraux vers ceux des urbains, bien qu'ils restent un peu plus bas dans toutes les mesures.

En 2011, 9 % de la population rurale inscrite au primaire fréquente des établissements religieux, et seulement 0.46 % des établissements privés. La grande majorité des enfants ruraux est donc à l'école publique. Dans le milieu urbain, pour la même année 2011, 15% vont à l'école religieuse, 13% au privé et presque 72% au public. Cette répartition ne fait qu'accroître les différences entre une masse populaire urbaine, le monde rural et une élite urbaine.

De plus, les populations utilisant couramment une langue native présentent un taux d'analphabétisme plus élevé. Une fois encore, l'opposition entre les départements révèle ces contrastes. Ainsi, en 2001, Potosi est le département le plus pauvre et analphabète du pays alors qu'il accueille le plus grand pourcentage de personnes parlant une langue native, tandis que le département de Santa Cruz qui en compte le moins, est le département le plus riche et le moins analphabète268 . La moins bonne éducation du monde rural et des indigènes urbains sur le reste de la population est une certitude. Cela s'explique par plusieurs facteurs, tels que les difficultés de l'application de l'EIB269, qui provoquent des redoublements bien plus nombreux chez les enfants parlants une langue native plutôt que l'espagnol270. Les conditions dans le monde rural expliquent aussi ces difficultés, que ce soit l'accès à l'eau, l'électricité, aux meubles et aux infrastructures nécessaires à l'éducation. Ainsi, les conditions éducatives sont très dépendantes de la richesse du milieu et des élèves.

267 PEREDO VIDEA, Rocío de los Ángeles. « Estado de la educación primaria en Bolivia en cifras e indicadores. » Revista de Psicologia, La Paz , n. 9, p. 9-26, 2013 .

268 Insituto Nacional de Estadicas, Mapa de pobreza- censo 2001, 2004.

269 Educacion Intercultural y Bilingual : Education Interculturelle et Bilingue.

270 ENRIQUE LOPEZ Luis, De resquicios a boquerenes, La educacion intercultural bilingue en Bolivia, Plural editores, La Paz, 2005.

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L'enseignement de l'histoire en Bolivie a très vite joué un rôle primordial dans l'élaboration d'une identité nationale et pour la question de la considération des indigènes dans cette identité. Dans la société coloniale, mais aussi républicaine, du fait du racisme, les indigènes ne furent pas intégrés dans l'histoire de la Bolivie. L'histoire était alors conservatrice, servant à légitimer l'hégémonie blanche et la soumission indigne. La révolution du MNR en 1952 développe l'instrumentalisation de l'histoire, en basant sa légitimé face à ses prédécesseurs grâce à une histoire révisionniste qui remplace le clivage ethnique par la lutte des classes. Bien que l'histoire enseignée reste assimilationniste puisqu'elle promeut une identité nationale unique proche de la culture métisse urbaine, les indigènes sont intégrés dans la nation en tant que paysans. Le MNR met en place un état populiste et nationaliste qui professionnalise l'histoire pour mieux l'asservir. A partir de ce moment, le contrôle de l'histoire officielle est un enjeu important. Celle-ci sert avant tout d'outil de propagande qui diffuse les idéaux du MNR Avec les dictateurs militaires et surtout avec Hugo Banzer, l'histoire sert à former un nationalisme et une société obéissante. Dans un contexte de Guerre Froide, l'histoire a pour mission de contrer les élans révolutionnaires fondés par le MNR et de rapprocher les boliviens du bloc de l'ouest. L'histoire européenne et le modèle blanc sont donc mis en avant, au détriment des masses ouvrières et paysannes. La période néolibérale permet la mise en place de la réforme éducation de 1994 qui s'insère dans les plans de développement de la Banque Mondiale. Il s'agit d'une véritable révolution éducative, puisque la diversité de la Bolivie est reconnue et enseignée. L'histoire enseignée doit révéler aux enfants la diversité et son rôle dans l'histoire du pays. Cette réforme s'illustre en particulier par la constitution d'un grand nombre de matériel pédagogique, notamment des livres bilingues. L'enjeu de l'enseignement de l'histoire est ici de développer la démocratie et l'égalitarisme en Bolivie. Cet enseignement répond aux demandes de reconnaissances des cultures et histoires indigènes. Tout cela révèle le lien extrêmement fort entre le traitement de la question indigène et l'enseignement de l'histoire en Bolivie. Mais aussi l'emploie systématique de l'histoire et de son enseignement pour l'instauration d'une nouvelle forme d'État.

Enfin, le gouvernement d'Evo Morales, met en place la révolution éducative avec la loi 070 ASEP. Evo Morales hérite de ce long processus historique, la loi ASEP se définit par rapport à cette histoire. Elle se positionne dans l'héritage du MNR et du code de l'éducation de 1955. Dans les faits, l'utilisation de l'histoire et l'aspect révisionniste du MAS s'inspire grandement du MNR. La loi 070 se définit aussi dans l'opposition avec la réforme de 1971 d'Hugo Banzer et surtout dans la réforme de la loi 1565 des gouvernements néolibéraux. La critique du dernier gouvernement et de sa loi de l'éducation permet de justifier la nécessité du MAS et de la loi 070. Bien que le MAS et que la loi ASEP se prétend en rupture avec ces gouvernements et réformes de l'éducation, ils présentent de nombreuses continuités. Malgré les critiques, la loi 070 ne fait que reprendre, adapté et « indigéniser » la loi 1565. Et il en est de même pour bien des aspects de la politique d'Evo Morales271. Le MAS invente l'innovation, notamment grâce au déploiement d'une nouvelle terminologie.

Ce qu'il est important de retenir de l'histoire de l'enseignement de l'histoire en Bolivie, c'est que l'ouverture de l'enseignement de l'histoire aux indigènes et à une histoire de plus en plus indigène est le fruit d'un long processus de politiques indigénistes mais aussi et surtout de luttes sociales des indigènes depuis les années 1970 qui n'ont pas attendu d'être convié a participer à l'élaboration de textes éducatifs pour en produire 272 . Evo Morales n'a pas inventer une éducation indigène et « indigénisante », il n'a fait que répondre aux demandes de reconnaissances des syndicats et intellectuels indigènes, en les incluant dans le gouvernement, ce qui lui permet par la même occasion

271 LAVAUD, Jean-Pierre. La Bolivie d'Evo Morales : continuités et ruptures. Problèmes d'Amérique latine. 5 octobre 2012. N° 85.

272 CNC CEPOs, La Educación que queremos, 2017, in : https://youtu.be/uof4EVIp6ec

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de les encadrer et de les politiser273.

Néanmoins, dans les faits, il faut reconnaître qu'il s'agit d'une totale inversion de la situation puisque dorénavant les indigènes sont au centre de l'histoire enseignée à l'école. L'histoire sert à légitimer le MAS mais aussi à changer les mentalités, plus précisément, changer les représentations des indigènes dans la société bolivienne. Cependant, l'enseignement de l'histoire depuis la réforme de l'éducation projette une histoire andine, indigène et rurale à des enfants urbains qui sont bien étrangers à tout cela. Malgré l'existence théorique de possibilité d'appliquer un programme régionalisé, dans les faits, l'accès à une histoire régionalisée est très difficile. En effet, le ministère de l'éducation contrôle fermement les contenus des manuels scolaires afin qu'ils correspondent au programme de la loi 070, ce qui n'est pas sans rappeler les mesures d'Hugo Banzer274. De ce fait, les contestations et les revendications identitaires montent dans les villes. L'enseignement de l'histoire dans un État plurinational qui reconnaît les autonomies régionales, a pour mission de maintenir ces autonomies dans un sentiment d'appartenance à la nation supérieur au sentiment d'appartenance à la région autonomie. L'autonomisation des régions boliviennes ouvre la porte aux dangers sécessionnistes. C'est ce qui se produisit avec la tentative de sécession du croissant de Lune menée par Santa Cruz en 2009 275 . L'État après avoir réprimé violemment ce mouvement, cherche à contrer les désirs d'autonomie et l'enseignement de l'histoire apparaît comme un outil d'encadrement. Désormais l'enseignement de l'histoire et l'histoire officielle sont au centre d'enjeux autonomistes et centralisateurs. De la même manière, l'enseignement de l'histoire joue un rôle crucial dans le développement de l'interconnaissance et des rapports entre urbains et ruraux. Par leur politisation et leur prise de pouvoir, les indigènes paysans ne sont plus une sous-culture. Les concepts de rural, d'urbain et d'indigène ont alors évolués là où avant dire paysan revenait à dire indigène.

Illustration 13: La conception binaire de l'identité bolivienne : paysans et citadins.

Le manuel de La Hoguera pour les enfants de 4eme associait les ruraux aux coutumes et ethnies indigènes et les urbaines aux coutumes occidentales et aux ethnies métisses, manuel La Hoguera, 4eme, 2004. (photo : Saint-Martin)

273 Entretien avec Ana Evi Sulcata, sociologue de l'éducation, spécialiste travaillant pour les C.E.P.O. Lundi 20 mars, La Paz.

274 SOUX María Luisa et SOUX, María Eugenia et WAYAR Marianelar, Diversidad cultural, interculturalidad y integracion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, 2006.

275 BOULANGER Philippe, «Le Comité Pro Santa Cruz. Genèse et déclin de l'autonomisme institutionnel en Bolivie», Evo Morales ou le malentendu bolivien, Editions Nuvis, 2017.

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Enfin, les enseignants urbains protestent massivement contre cette réforme qu'ils voient comme une régression, notamment à cause de la prise en compte des connaissances indigènes276. La loi 070 ASEP est avant tout un recueil de l'idéologie du MAS et bons nombres de ce qui y est écrit est théorique. C'est une caractéristique qui semble assez bien correspondre à cette réforme. Un bon exemple pour illustrer cela pourrait être l'écart entre les vidéos d'histoires mises à disposition aux enseignants ruraux, et le coffret de 8 D.V.D. distribué aux chercheurs par un bureau du ministère de l'éducation, l'UPIIP277. Les premières sont issues d'une compagnie de tourisme et de qualité médiocre, tandis que le coffret, très élégant, présente de manière élaborée et complète les différentes nations peuplant la Bolivie278. Ainsi, il y a un écart entre l'éducation officielle et l'éducation effective.

276 Manifestations des enseignants à La Paz, 2017.

277Unidad de Politicas Intracultural Interculutral y Plurilinguismo : Unité de politiques intraculturelles interculturelles et plurilingues

278 Ministerio de educación, estado plurinacional, Unidad de Políticas Interculturales Intraculturales y Plurilinguismo, Biblioteca Virtual. 8 DVD présentant les différentes ethnies composant la Bolivie et les travaux du UPIIP.

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PARTIE 2 : L'enseignement de l'histoire à

Santa Cruz de la Sierra, l'application de la

réforme de 2010 dans un foyer de régionalisme

et d'opposition politique et culturelle.

Chapitre I : Santa Cruz, capitale de l'Orient et des projets autonomistes.

I-A/ Santa Cruz de la Sierra, une autre Bolivie.

L'histoire de l'Orient et de Santa Cruz de la Sierra est bien différente de l'histoire andine. Il est important de préciser en premier lieu que cette histoire est très récente, du fait du centralisme andin intellectuel et de la rareté des travaux sur cette espace. Comme la partie précédente l'a évoqué, l'Orient ne fut découvert par les Boliviens de l'Altiplano qu'avec la réforme de 1994 et les efforts d'interculturalité279. N'ayant pas de traditions écrites ni de structures impériales, les seules sources traitant des peuples de l'Orient proviennent de Quechuas ou d'Espagnols, qui donnent un point de vue dédaigneux de civilisés envers les « sauvages des terres basses280 ». En effet contrairement aux indigènes des vallées qui furent soumis à l'empire Inca, les peuples des terres basses résistèrent farouchement aux envahisseurs. De telle manière que l'empire Inca dut renoncer à leurs ambitions expansionnistes à l'Est et se mit à bâtir des séries de forteresses afin de se protéger de ces hommes281. La résistance et les attaques des Guaranis, ethnie dominante en Orient, sur l'empire Inca, firent de ce peuple des valeureux guerriers respectés. La forteresse de Saimapata, à la limite entre vallée et plaine, marque la limite de l'expansion de l'empire Inca à l'est. Pour les Incas, l'Orient était mystérieux et dangereux, peuplé de « chunchos ». Ce terme, employé pour qualifier les hommes de l'Orient, révèle la méconnaissance des différentes ethnies peuplant cette zone et l'ancrage historique de la représentation d'un peuple des terres basses en opposition aux peuples andins. Les indigènes des terres basses ne subirent pas la première uniformisation sous l'empire Inca, contrairement aux peuples andins282. L'Orient présente la plus grande diversité de peuples et de cultures indigènes, avec une vingtaine de nations indigènes « originaires 283» aujourd'hui reconnues, ayant toutes des langues et cultures propres. Les départements du Pando et du Béni regroupent des petites communautés éparses vivant dans la forêt amazonienne. Pour ce qui est du département de Santa Cruz, les Guaranis, qui se sont mélangés avec les Chanés, sont majoritaires démographiquement284. Une autre grande différence entre le monde altiplanique et l'Orient réside dans la colonisation. En effet, la conquête et la colonisation de l'empire Inca s'est déroulée dans la violence, la destruction et la perte d'identité et de sens pour les indigènes285. La société coloniale mise en place par les Espagnols était une société

279 SOUX María Luisa et SOUX, María Eugenia et WAYAR Marianelar, Diversidad cultural, interculturalidad y integracion en programas y textos escolares de ciencias sociales, La Paz, 2006.

280 ROLLAND Denis, Pour comprendre la Bolivie d'Evo Morales, Paris, Harmattan, 2007.

281 Ibid.

282 PINTO MOSQUEIRA Gustavo, Educacion y Curriculo Escolar para Gobiernos Departementales Autonomos en el Oriente Boliviano, UNION, Santa Cruz de la Sierra, 2006.

283 Les originarios, sont les indigènes existants là où ils résident actuellement avant la colonisation. Ce sont les premiers habitants.

284 ROLLAND Denis, Pour comprendre la Bolivie d'Evo Morales, Paris, Harmattan, 2007.

285 WACHTEL Nathan, La Vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la Conquête espagnole 1530-1570 ; Paris,

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violente de classes où les indiens étaient exploités et en bas de l'échelle sociale. La colonisation de l'Orient quant à elle, est le fruit de la recherche de l'eldorado par des explorateurs espagnols qui venaient du Rio de la Plata. La colonisation de l'Orient s'est déroulée relativement pacifiquement, avec beaucoup de métissage286 . De plus, comme l'empire Inca, les Espagnols eurent de grandes difficultés à soumettre les peuples des basses terres. Ainsi, la conquête du territoire oriental s'effectue sous la République bolivienne depuis les villes de Santa Cruz et Tarija à la fin du XIXème siècle287. De ce fait, les peuples de l'Orient et de l'Altiplano ont une histoire très différente. Les premiers ayant profité d'une longue liberté et subit une intégration dans la république bolivienne que tardivement, tandis que les seconds ont vu se succéder des empires dominateurs et de plus en plus assimilationnistes. Il en ressort un monde altiplanique uniformisé et centre du pouvoir qui s'oppose à un monde oriental regroupant un ensemble de peuples sans réelle unité ni importance politique.

La ville de Santa Cruz de la Sierra fut fondée le 26 février 1561 par le capitaine Nuflo de Chaves288. En 1825, l'indépendance est une victoire des élites andines avant tout. De ce fait, le mythe fondateur andin et le symbole de Tiwanaku sont instrumentalisés dans la constitution indépendante, laissant de côté les autres cultures de la Bolivie. Dès lors, Santa Cruz de la Sierra, qui est considérée comme une ville de seconde importance, est délaissée au profit des villes andines289. Ainsi, dès le XIXème siècle, avec le développement du réseau ferroviaire et du commerce international, les élites dirigeantes de Santa Cruz de la Sierra réclament la mise en place de voies de fer pour relier la ville au pays et permettre d'exporter les productions du département au Brésil. Cependant, le gouvernement bolivien d'alors, gouverné par des grands propriétaires terriens et miniers investissent les fonds de l'État pour favoriser leurs propres activités, c'est à dire en développant l'exportation des mines d'étains de Potosi290. Face au désintérêt du gouvernement bolivien, Santa Cruz de la Sierra se retrouve isolée du reste du pays et agit telle une capitale. L'unité de l'Orient derrière Santa Cruz s'explique par leurs origines communes. Lors de la déclaration d'indépendance, l'état de Santa Cruz regroupait le Beni et le Pando, ces départements ne furent séparés de Santa Cruz qu'en 1842 pour le Béni et en 1938 pour le Pando. De ce fait, dans la conscience commune, Santa Cruz reste la capitale des trois régions. La ville organise l'exploration, la colonisation et l'exploitation du territoire oriental. Dans les années 1950, la ville se modernise grâce à la découverte et l'exploitation de grandes ressources pétrolifères dans le département. Santa Cruz devient alors le moteur économique du pays291.

Dans l'Orient, et surtout à Santa Cruz, se développe une contre-culture, la culture « camba ». « Gamba ». Cette vision dichotomique « camba/colla » va à l'encontre du modèle indigéniste multiculturel mis en place dès la fin du XXème siècle. En effet, le terme « colla » est péjoratif, il englobe les indigènes ruraux altiplaniques sous une même identité (les peuples jadis soumis à l'empire Inca), ne prenant pas en compte la diversité ethnique et culturelle du pays. Plus encore, le terme « camba », promeut l'identité métisse, diminuant la place et l'importance des origines indigènes, pourtant particulièrement diversifiées dans l'Orient. Selon Gustavo Pinto Mosqueira, grand auteur autonomiste de l'Orient et régionaliste originaire du Beni, le camba se définit par trois aspects : son histoire orientale, sa nature et sa culture métisse.292

Selon certains régionalistes cruceños, la supériorité des cambas sur les collas s'expliquerait par la colonisation différente subie par ces deux ensembles ethniques. Le directeur Daniel Armando

Bibliothèque des Histoires, Gallimard, 1971.

286 PINTO MOSQUEIRA Gustavo, Educacion y Curriculo Escolar para Gobiernos Departementales Autonomos en el Oriente Boliviano, UNION, Santa Cruz de la Sierra, 2006.

287 COMBES Isabelle, Etno-historias del Isoso Chané y chiriguanos en el Chaco boliviano (siglos XVI a XX), Fundación PIEB; IFEA Instituto Francés de Estudios Andinos, 2005.

288 PEÑA Paula et LANDIVAR Jorge, La fundacion de Santa Cruz, Rolando Nunez N, Santa Cruz de la Sierra, 2016.

289 ROLLAND Denis, Pour comprendre la Bolivie d'Evo Morales, Paris, Harmattan, 2007.

290 Ibid.

291 Ibid.

292 PINTO MOSQUEIRA Gustavo, Bases para la escuela y educación en el oriente boliviano, Landivar S.R.L. Santa Cruz de la Sierra, 2004.

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Pasquier Rivero avance ainsi que les cambas se distinguent par une culture de la liberté, de l'égalité du fait des coutumes des indigènes orientaux et de la colonisation pacifique et de métissage. Tandis que les andins, vivant déjà dans des sociétés très hiérarchiques, ont subi une colonisation violente qu'ils reproduiraient aujourd'hui sur l'Orient293. De manière générale, que ce soient à La Paz comme à Santa Cruz, de nombreux Boliviens présentent les cambas comme plus ouverts, plus chaleureux et plus sympathiques que les collas qui seraient aussi rudes que leur environnement.

L'élite de Santa Cruz est composée de grands propriétaires terriens ou de grandes entreprises. Santa Cruz mène une politique extractive et a recours à de nombreuses firmes multinationales afin d'exploiter ses ressources294 . Santa Cruz de la Sierra apparaît alors comme une ville moderne et occidentalisée, qui arbore fièrement ses origines coloniales. La Paz et Santa Cruz sont deux villes tellement différentes qu'il est difficile de croire qu'elles appartiennent au même pays. Le délaissement de l'Orient par le pouvoir andin et le fossé culturel sont des éléments qui ont contribué à la lutte autonomiste de Santa Cruz au fil de son histoire.

I-B/ Le foyer de l'opposition autonomiste et des revendications identitaires.

Du fait des raisons évoquées précédemment, Santa Cruz s'est démarquée au fil de son histoire comme le coeur des mouvements autonomistes en Bolivie. Les premiers débats sur la demande d'une plus grande autonomie de Santa Cruz commencèrent dans les années 1870 sous la demande de la mise en place d'un État fédéral. Face à la centralisation de La Paz, le militaire cruceño Andrés Ibanez regroupe le peuple pour un projet révolutionnaire de fédéralisme295. Inspiré par la commune de Paris, il souhaite la mise en place d'une décentralisation du pouvoir politique au profit des communes et municipalités. Cette décentralisation devait s'accompagner d'une redistribution des terres et des ressources productives entre les communautés et les travailleurs. Andrés Ibanez s'appuie sur les classes moyennes plutôt que les élites cruceñas dirigeantes et, profitant d'une mutinerie, il prend le pouvoir en 1877 et fait sécession avec l'État Bolivien en déclarant l'indépendance de l'État fédéral de Santa Cruz296. Durant 9 mois, il gouverne Santa Cruz et il crée le drapeau de Santa Cruz. Le gouvernement bolivien finit par envoyer une armée réprimer cette « révolution fédérale », forçant le révolutionnaire à s'exiler297. Andrés Ibanez reste un héros local à Santa Cruz, preuve de l'attachement historique et symbolique aux tentatives d'autonomie. En 1891, les colonels cruceños Domingo Ardaya et José Domingo Avila font la révolution des Domingos. Ce coup d'État reprend l'idéologie d'Andrés Ibanez en créant la junte gouvernementale fédérale de l'Orient. Une fois encore, le gouvernement bolivien doit intervenir militairement enfin de réprimer cette révolution, laissant cette fois sur place une présence militaire298.

En prétendant reprendre la lutte de ces mouvements fédéralistes, le comité Pro Santa Cruz est fondé le 30 octobre 1950. Cette institution, qui regroupe aujourd'hui plus de 200 entités cruceñas, fut créée par trois grandes coopératives privées régionales (CRE, Saguapac et Cotas299) dans le but de porter la lutte contre l'état centralisateur bolivien300. A partir des années 1950, les luttes autonomistes seront

293 Entretien avec Daniel Armando Pasquier Rivero, directeur de l'école privée Santo Tomas de Aquino lundi 10 avril 2017, Santa Cruz.

294 BOULANGER Philippe, «Le Comité Pro Santa Cruz. Genèse et déclin de l'autonomisme institutionnel en Bolivie», Evo Morales ou le malentendu bolivien, Editions Nuvis, 2017.

295 PEÑA HASBUN Paula, La permanente construcción de lo cruceño: un estudio sobre la identidad en Santa Cruz de la Sierra, PIEB, 2003

296 Ibid.

297 BOULANGER Philippe, «Le Comité Pro Santa Cruz.

298 PEÑA HASBUN Paula, La permanente construcción de lo cruceño: un estudio sobre la identidad en Santa Cruz de la Sierra, PIEB, 2003

299 Il s'agit des plus grandes coopératives d'électricité, d'eau et de télécommunications.

300 BOULANGER Philippe, «Le Comité Pro Santa Cruz. Genèse et déclin de l'autonomisme institutionnel en Bolivie», Evo

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menées par ce comité. Dès 1951, il réunit des milliers de personnes pour une grève afin de dénoncer le manque d'autonomie politique et surtout économique de Santa Cruz. En effets, les dirigeants de ce comité sont depuis sa fondation des grands industriels qui promeuvent surtout les intérêts économiques de la région. L'influence de ce comité s'étend sur les universités qu'il finance et dans la sphère culturelle, de telle manière que les élites cruceñas sont formées par les idéaux autonomistes du comité Pro Santa Cruz. Dans les années 1950, le comité Pro Santa Cruz demande des avancées pour l'économie : ils demandent le rattachement du département au reste du pays par le train, l'approvisionnement de la ville en eau et en électricité, une route entre Cochabamba et Santa Cruz et enfin et surtout un plus grand profit sur l'exploitation des ressources pétrolifères.

Mais en 1952, le comité se rapproche du FSB301, un parti politique fasciste d'envergure nationale qui prône la violence pour régénérer le pays. Le rejet du communisme contraste avec l'engouement du reste du pays pour le mouvement révolutionnaire du MNR en cette même année 1952. Le gouvernement cruceño refuse par exemple d'appliquer la réforme agraire. Le rejet du gouvernement révolutionnaire par Santa Cruz est tel qu'en 1957 et en 1959, les élites dirigeantes du comité Pro Santa Cruz et de la FSB sont accusés de séparatisme. Ceci provoque, une fois encore, une intervention répressive militaire de l'armée bolivienne à Santa Cruz de la Sierra en 1959302.

Les demandes sont obtenues progressivement, le gouvernement bolivien répondant de plus en plus aux demandes de Santa Cruz du fait de l'augmentation de l'importance économique et politique de cette dernière depuis les années 1950. Le Comité Pro Santa Cruz est conservateur comme le montre son appui au dictateur Hugo Banzer en 1971. Ce dernier, originaire de Santa Cruz, favorise les départements de Santa Cruz et du Béni une fois au pouvoir303.

A partir des années 1980, les revendications économiques sont complétées par des demandes accrues de décentralisation. Le discours autonomiste se développe et le Comité instrumentalise l'histoire pour développer son idéologie. D'importants travaux historiographiques et éditoriaux sont menés par le Comité afin de raviver l'identité régionale. C'est à cette occasion que le drapeau régional est réutilisé, instituant même le 24 juillet comme « jour du drapeau cruceno ». La culture orientale est mise en avant par l'organisation de démonstration de nourritures, de danses et de jeux traditionnels304.

Finalement, le début du XXIème siècle est marqué par un durcissement du discours autonomiste et des idées séparatistes. A la fin du XXème siècle, Santa Cruz est influente auprès du gouvernement bolivien, bon nombre de ministres et de parlementaires sont crucenos. Sous les gouvernements néolibéraux des années 1990, ils parviennent à obtenir de plus amples pouvoirs départementaux, notamment en 1994. Santa Cruz est plutôt favorable aux présidents néolibéraux avec lesquels elle coopère et il est intéressant de noter que le Comité perd en influence durant cette période305. Les mouvements syndicaux indigènes et ruraux des années 2000 sont alors perçus comme des anarchistes qui bouleversent cette situation positive pour Santa Cruz. Les industriels blancs conservateurs du Comité Pro Santa Cruz voient d'un très mauvais oeil l'essor politique des indigènes ruraux. De ce fait, les années 2000 voient l'apogée du Comité qui se positionne comme leader de la lutte contre les mouvements indigènes306. Plus encore, une véritable peur d'une révolte indigène apparaît, des groupes paramilitaires s'organisent pour défendre les grands propriétaires terriens face aux ruraux indigènes. Le Comité Pro Santa Cruz se radicalise, certaines branches racistes telles que « Nación Gamba voient le jour. C'est à cette période que la dichotomie colla/camba se développe, le colla étant imaginé

Morales ou le malentendu bolivien, Editions Nuvis, 2017.

301 Falange Socialista Boliviana

302 PEÑA HASBUN Paula, La construcción de la identidad cruceña. Le Monde diplomatique. Número 13, 2003.

303 BOULANGER Philippe, «Le Comité Pro Santa Cruz. Genèse et déclin de l'autonomisme institutionnel en Bolivie», Evo Morales ou le malentendu bolivien, Editions Nuvis, 2017.

304 PEÑA HASBUN Paula, La permanente construcción de lo cruceño: un estudio sobre la identidad en Santa Cruz de la Sierra, PIEB, 2003

305 BOULANGER Philippe, «Le Comité Pro Santa Cruz.

306 Ibid.

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comme un anarchique et un narcotrafiquant307. Ainsi, lorsque le président Sanchez de Lozada doit fuir La Paz face aux mouvements sociaux et à la guerre du gaz en 2003, il se rend à Santa Cruz de la Sierra d'où il s'enfuit aux États-Unis d'Amérique. La ville de Santa Cruz entretien de bonne relation avec ces derniers, qui sont très présents depuis la lutte contre les narcotrafiquants dans les années 1990308. Evo Morales correspond au colla par excellence, portant la culture andine au rang de culture nationale. L'idéologie cruceña est donc totalement aux antipodes des pensées portées par les syndicalistes et partis indigènes qui prennent le pouvoir en 2005. Le comité Pro Santa Cruz regroupe 500 000 signatures lors de « l'agenda de janvier » en 2005, qui demande un référendum pour l'autonomie309. Durant ces années, les tensions sont très fortes entre les différents partisans et entre l'Orient et le monde andin. Evo Morales ne contrôle pas vraiment l'Orient durant les 3 premières années de sa présidence. L'apogée de ces tensions se cristallise sur l'année 2008. Le 4 mai 2008, les États de la demi-lune 310, le Pando, le Béni, Tarija et à leur tête Santa-Cruz, organisent un référendum pour l'autonomie de ces régions. Bien qu'il soit déclaré illégal par Evo Morales, le « oui » l'emporte largement dans ces régions. Ces États se déclarent alors autonomes et de nombreuses exactions s'ensuivent. Les institutions gouvernementales sont prises d'assauts et de nombreux conflits éclatent entre les partisans du MAS et ceux de l'Orient. A Santa Cruz, la population andine est victime de chasses à l'homme, nombre d'entre eux sont obligés de fuir dans les campagnes environnantes où ils sont parfois encore mal considérés311. Les conflits aboutissent parfois à des morts, c'est le cas du massacre du Porvenir, le 11 septembre 2008, durant lequel 12 indigènes masistes furent tués au Béni par les forces départementales. Evo Morales déclare alors l'État de siège et réprime avec force l'Orient et tout particulièrement en 2009, emprisonnant ou forçant à l'exil les dirigeants autonomistes. Cette dernière répression, la réélection d'Evo Morales en 2009 et la nouvelle constitution de 2010 mirent un coup d'arrêt au Comité Pro Santa Cruz et aux ambitions d'autonomie de la ville et de l'Orient. En effet, le MAS remplace désormais les élites du comité, et la nouvelle Constitution Politique de l'État réduit les pouvoirs départementaux. Désormais, le Comité existe encore, mais il n'est plus influent312.

Pour résumer, Paula Peña Hasbun, principale auteure sur l'identité cruceña et son histoire, exprime l'évolution des revendications cruceñas en ces termes : « En un demi-siècle, le discours idéologique d'une bonne partie de la société de Santa Cruz est donc passé d'une demande accrue d'intégration à l'espace national (décennie 1960) à une volonté de le contrôler (décennies 1980 et 1990) puis de s'en séparer (décennie 2000). 313» Il existe donc une longue et douloureuse histoire d'opposition avec le gouvernement centralisateur pour accéder à plus de pouvoir et de reconnaissance, que ce soit par l'intégration comme par l'autonomie.

L'identité « camba » affirmée et le rejet du gouvernement centralisateur se ressent aussi dans l'espace urbain. En effet le contraste des symboles avec la ville de La Paz est frappant. Dans cette dernière, il est difficile de ne pas voir un drapeau bolivien, les enseignes du pays ou le portrait d'Evo Morales dans tous les quartiers. L'espace publique est envahie par le patriotisme et la propagande étatique. Ainsi, les institutions gouvernementales affichent les drapeaux de Bolivie, des indigènes andins (Wiphala314) et parfois du département, c'est à dire de La Paz. Les murs des maisons sont des

307 Ibid.

308 PEÑA HASBUN Paula, La construcción de la identidad cruceña. Le Monde diplomatique. Número 13, 2003.

309 Ibid.

310 La demi-lune était le nom donnée à l'alliance des départements souhaitant faire session : Pando, Beni, Tarija et Santa Cruz.

311 Daniel Armando Pasquier Rivero, directeur de l'école privée Santo Tomas de Aquino lundi 10 avril 2017, Santa Cruz et observations à Charagua.

312 BOULANGER Philippe, «Le Comité Pro Santa Cruz. Genèse et déclin de l'autonomisme institutionnel en Bolivie», Evo Morales ou le malentendu bolivien, Editions Nuvis, 2017.

313 PEÑA HASBUN Paula, La construcción de la identidad cruceña. Le Monde diplomatique. Número 13, 2003.

314 Le Wiphala est un drapeau à damier multi-couleur qui représente la diversité des ethnies composant la Bolivie, il est rattaché au monde andin et parfois à l'empire Inca, son invention est sans doute récente, symbole des luttes indigènes en Bolivie.

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supports d'expressions politiques, ils sont souvent recouverts de « SI » (faisant référence au référendum permettant Evo de se représenter) ou encore de « MAS »315. A Santa Cruz en revanche, il est bien plus rare de voir le drapeau bolivien. Le drapeau cruceño flotte partout dans la ville et surtout sur la place centrale. Cette dernière, la place 24 de septiembre, regroupe la casa de Gobierno, et el Gobierno Municipal de Santa Cruz de la Sierra qui se remarque par une longue série de drapeaux cruceños. Plus encore, il n'y a aucun portrait d'Evo Morales dans l'espace urbain de Santa Cruz. La seule présence de la propagande étatique subsiste dans les radios qui vantent les actions du MAS et qui appellent à la lutte contre le racisme316 . Ainsi l'espace urbain et les symboles qui l'occupent renforcent l'impression de se situer dans un autre pays qui est déjà présente par le climat, l'environnement, la culture et l'architecture.

Illustration 14: Les symboles de l'autonomie de Santa Cruz.

Le siège du gouvernement autonome de Santa Cruz, au style colonial, arbore une longue rangée de drapeaux cruceño. Celui-ci est constitué de deux bandes vertes encadrant une bande blanche, Santa Cruz, Avril 2017 (Photo : Saint-Martin).

Depuis 2010, le MAS est positionné dans les véritables sphères décisionnelles de l'Orient, le parlement départemental notamment. Les autonomistes sont dénigrés par le MAS qui les présentent comme des « oligarques suprématistes contrôlés par les Américains » pour reprendre les termes d'un partisan du MAS317. Les migrations de plus en plus nombreuses vers Santa Cruz de la Sierra font de la ville un centre métisse de plus en plus partisan d'un projet urbain en adéquation avec la logique de l'Etat Plurinational plutôt qu'avec un projet régionaliste et homogénéisant. Néanmoins, les intellectuels, qui ont été formés dans l'école du Comité Pro Santa Cruz et qui ont vécus ces événements, continuent de rêver à l'autonomie de leur département, ou du moins, a plus de pouvoirs départementaux.

315 Observations personnelles pour mars 2017 à La Paz

316 Observations personnelles pour avril 2017 à Santa Cruz.

317 Conseillé présidentiel ayant souhaité rester anonyme.

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I-C/ L'enseignement de l'histoire au coeur de ces enjeux : des projets d'histoires régionales.

Établir une histoire de l'enseignement de l'histoire à Santa Cruz et dans l'Orient est encore plus difficile que pour le cas national, en vue de la grande difficulté pour trouver des sources sur la question. Cependant, les ambitions politiques des élites dirigeantes de Santa Cruz de la Sierra et les relations avec les projets étatiques permettent de concevoir les choix éducatifs de Santa Cruz. Ces suppositions sont partiellement confirmées par l'histoire de l'éducation à Santa Cruz et en Orient dressée par Gustavo Pinto Mosqueira dans deux ouvrages : Bases para la escuela y educacion en el oriente boliviano 318 et Educacion y curriculo Escolar para Gobiernos Departementales Autonomos en el Oriente Boliviano 319. Gustavo Pinto est docteur en philosophie et en histoire à Santa Cruz de la Sierra. Ce dernier, en tant qu'autonomiste et en tant que virulent opposant du MAS, correspond bien aux positions des élites cruceñas. Il ne traite pas de l'éducation préhispanique, ce qui correspond à la conception cruceña de l'histoire de la Bolivie qui conçoit sa naissance et son identité par le métissage et donc par la colonisation. Sous la colonie, l'enseignement était transmis par les jésuites, l'Église et certains particuliers, sous la forme de catéchisme et d'apprentissage cognitif. Gustavo Pinto dresse un portrait exemplaire du niveau éducatif de l'Orient vis à vis du reste de la Bolivie. Les cambas seraient ainsi dotés de plus d'écoles et mieux alphabétisés que les collas au XIXème siècle320. Même pour ce qui est de l'éducation, la situation de l'Orient se définit par comparaison avec l'Altiplano.

Pour ce qui est de la fin du XIXème siècle, l'auteur insiste sur le fait que « l'éducation, l'école et les contenus étaient libres, c'est à dire, il y avait une autonomie éducative, et que l'État andinocentré ne s'occupait pas entièrement de l'école.321 ». L'éducation était prise en charge par les municipalités. Cette gestion municipale de l'éducation a perduré près de 80 années, entre 1850 et 1939. Gustavo Pinto affirme ensuite que la réforme libérale du début du XXème siècle s'est surtout appliquée dans le monde andin, Santa Cruz ne reçut une école Normale qu'en 1941. Les politiques éducatives envers les indigènes ne se seraient appliquées que sur les indigènes andins322 . Malgré le contrôle de l'éducation par l'État national depuis 1939, l'élaboration du contenu se faisait toujours avec la collaboration des intellectuels locaux et en rapport avec le contexte. Ce fut le cas jusqu'au code de l'éducation de 1955, qui est une mesure du MNR. Le rejet du Comité pro Santa Cruz et les conflits entre ces deux mouvements laisse suggérer un rejet de cette réforme. Gustavo Pinto dénonce cette école unificatrice, qui ne prenait pas en compte la diversité orientale. L'école du MNR était selon lui une école andinisante qui appliquait leur idéologie révolutionnaire. Fait intéressant, Gustavo Pinto ne traite pas de l'influence de la réforme de l'éducation d'Hugo Banzer. La réforme éducative de ce grand dictateur soutenu par Santa Cruz a sans doute dû être appliquée à Santa Cruz en 1973. Peut-être pour ne pas rappeler cette alliance aujourd'hui honteuse, l'auteur n'aborde pas le sujet. En effet, Hugo Banzer est considéré comme le dictateur ayant le plus atteint aux droits ds hommes en Bolivie et il a causé de graves conflits civils lors de son en 1997. La réception de la réforme de 1994 semble plutôt positive à Santa Cruz, bons nombres d'intellectuels cruceños actuels l'acclament, sans doute influencés par le rejet de la réforme actuelle. Elle est appréciée notamment car grâce à elle, le reste de la Bolivie découvre l'Orient et pour son caractère multiculturel, reconnaissant la composante orientale de l'identité bolivienne. Cette réforme qui s'est développée sous la période d'influence et de coopération des politiciens cruceños avec le pouvoir central, révèle l'influence de ceux-ci dans les décisions étatiques à la fin du XXème siècle. De plus, les cruceños qui prennent comme modèle

318 PINTO MOSQUEIRA Gustavo, Bases para la escuela y educación en el oriente boliviano, Landivar S.R.L. Santa Cruz de la Sierra, 2004.

319 PINTO MOSQUEIRA Gustavo, Educacion y Curriculo Escolar para Gobiernos Departementales Autonomos en el Oriente Boliviano, UNION, Santa Cruz de la Sierra, 2006.

320 Ibid.

321 PINTO MOSQUEIRA Gustavo, Educacion y Curriculo Escolar para Gobiernos Departementales Autonomos en el Oriente Boliviano, UNION, Santa Cruz de la Sierra, 2006 :« ...la educacion, la escuela y los contenidos eran libres ,es decir, habia autonomia educativa, y aun el Estado andinocentrico no se ocupaba enteramente por la escuela... » p90.

322 Ibid.

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l'occident, apprécient l'aspect scientifique et international de cette réforme323. Le point qui intéresse les régionalistes et autonomistes comme Gustavo Pinto est finalement la théorique coexistence d'un contenu régional en complément du tronc commun324 . Enfin, la réforme de 2010 ne convient absolument pas aux intellectuels de Santa Cruz. Bien qu'elle apparaisse comme une réponse aux demandes de régionalisation des programmes, cette réforme est perçue comme une andinisation et une indigénisation du contenu éducatif. Pire encore, les possibilités d'application de contenus régionaux s'avèrent mensongères, l'État luttant même pour empêcher sa mise en place. Ainsi, depuis 1955, l'éducation à Santa Cruz est contrôlée par l'Etat, ne laissant guère de place à une histoire régionale.

Selon Philippe Boulanger, docteur en droit public ayant travaillé sur la Bolivie et sur Santa Cruz, la CPE de 2009 qui instaure l'État plurinational s'avère paradoxalement très centraliste là où la CPE de 1967 en vigueur précédemment permettait aux départements de gérer la police, la propriété des terres et les lois sur le travail et enfin l'éducation325. Ce dernier point est important puisque la fonction éducative du département permettait la promotion de la culture orientale par l'éducation, ce qui n'est plus le cas avec la nouvelle CPE. L'État bolivien déploie une politique d'unification et d'acculturation de ces départements séparatistes notamment via l'éducation. Face à la répression récente des élites politiques, les moyens de contestations et de développement de l'identité cruceña passent par des domaines moins sensibles. L'histoire joue un rôle central dans la promotion de l'identité camba, orientale ou cruceña face à l'identité nationale bolivienne qui s'avère être andine et imposée par le gouvernement.

L'observation de l'enseignement à Santa Cruz et les entretiens avec les enseignants et surtout avec les intellectuels régionalistes ont révélé que tout en prétendant promouvoir la régionalisation des programmes, le gouvernement contre toute proposition régionale326. En effet, le programme de base est tellement important qu'il ne laisse pas le temps aux enseignants d'enseigner l'histoire régionale. Pire encore, les directeurs surveillent l'application et l'avancement de l'enseignement du programme de base dans les classes327 . Aucun programme régionalisé n'est mis à leur disposition pour les y encourager. De plus, toutes les propositions, comme celle de Gustavo Pinto, sont rejetés par l'État328. Le contrôle de l'enseignement de l'histoire est un enjeu majeur dans la lutte pour l'unification et l'apaisement des tensions pour l'État bolivien. Pour les intellectuels autonomistes de l'Orient, l'enseignement de l'histoire régionale est une nécessité pour lutter face au « colonialisme culturel andin329».

Certains intellectuels de l'Orient oeuvrent pour l'autonomie ou le fédéralisme en créant des institutions officieuses afin de contourner le centralisme andin ou en réalisant des projets privés. C'est le cas notamment de Paula Peña Hasbun et de Daniel Armando Pasquier Rivero.

Paula Peña Hasbun est la directrice du Musée de l'indépendance et directrice des archives historiques de Santa Cruz située en ce même lieu. La ville de Santa Cruz ne disposant pas de chaire d'histoire, le musée d'histoire a pris cette fonction, sous l'initiative et la direction de Paula Peña à sa tête. Cette historienne écrit des ouvrages sur l'identité et l'histoire cruceña et essaye de promouvoir

323 Entretien avec Paula Peña Hasbun, historienne et archiviste et directrice du musée d'histoire de Santa Cruz. Vendredi 7 avril 2017, Santa Cruz.

324 PINTO MOSQUEIRA Gustavo, Educacion y Curriculo Escolar para Gobiernos Departementales Autonomos en el Oriente Boliviano, UNION, Santa Cruz de la Sierra, 2006.

325 BOULANGER Philippe, «Le Comité Pro Santa Cruz. Genèse et déclin de l'autonomisme institutionnel en Bolivie», Evo Morales ou le malentendu bolivien, Editions Nuvis, 2017.

326 Paula Peña Hasbun, Gutavo Pinto Mosqueira, Daniel Armando et enseignants.

327 Entretien avec Piedades Parada, Enseignante de 6ème à l'école publique Warnes, 26 avril 2017, Santa Cruz.

328 Entretien avec Gustavo Pinto, historien et philosophe ayant proposé des curriculum régionalisés. Jeudi 13 avril à la chaire d'histoire et le mercredi 19 avril 2017, Santa Cruz.

329 PINTO MOSQUEIRA Gustavo, Bases para la escuela y educación en el oriente boliviano, Landivar S.R.L. Santa Cruz de la Sierra, 2004 : « el colonialismo cultural andino »

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l'enseignement de l'histoire cruceña dans les écoles et les universités de la ville. En effet, elle regrette que « les étudiants ne connaissent rien de l'histoire de Santa Cruz après toute une scolarité et une formation universitaire en histoire330. ». Plus encore, elle fait partie de ces intellectuels qui produisent du matériel de vulgarisation sur l'histoire régionale aux enseignants du département. Elle a ainsi publié, grâce à la coopération de la mairie de Santa Cruz, deux petites brochures sur l'histoire de la ville, destinées aux enfants cruceños. Ces brochures sont illustrées par des dessins mettant en scène le progrès de la ville et de la technologie apportée par des Européens et appliquée par des métis. Face à cela, des indiens s'enfuient en lâchant leurs arcs et flèches331. Ces dessins sont assez représentatifs de l'éloge de la modernisation par la colonisation européenne et de la dépréciation des indigènes, idées fortement présentes à Santa Cruz332. Elle a aussi distribué des CD présentant la situation et l'histoire guarani pour les enseignants ruraux du département. Finalement, son opposition à La Paz lui fait paradoxalement participer à la loi ASEP en produisant du contenu sur l'histoire locale, comme le préconise cette loi. Cependant, selon Paula Peña, l'histoire enseignée en Bolivie est partout la même. Elle dénonce le mensonge de la réforme de 2010 qui idéologise, qui « indigénise » mais qui ne régionalise pas333.

Daniel Armando Pasquier Rivero quant à lui, est psychologue et directeur de l'école privée Santo Tomas de Aquino. Cet homme dirige un établissement pour les enfants de classe sociale très aisées334, dans lequel une histoire régionale est enseignée en cours supplémentaire. Lors d'un long entretien, Daniel Armando Pasquier Rivero s'est présenté comme un autonomiste qui dénonce la « colonisation andine »335 . Son raisonnement « anti-colla » est extrême, allant jusqu'à comparer l'ethnocentrisme des andins au régime nazi336. Il existe chez certains de ces intellectuels une forme de racisme, pas seulement de blanc envers les indigènes, car ils sont souvent blancs (comme souvent à La Paz également), mais surtout contre les collas. Ce notable cruceño regrette le nouvel État plurinational qui donne le titre d'autonomie au département mais qui, dans les faits, centralise de plus en plus les pouvoirs. Face au contrôle étatique très fort sur le programme enseigné dans son établissement, il est obligé de le faire sur son temps libre. Afin de contourner ces contraintes, il a fondé une ONG, qui reste malgré tout surveillée par l'État, mais plus libre que son établissement scolaire. Cette ONG, l'ICEES337, regroupe des intellectuels de Santa Cruz, opposé au MAS338. Entre autres publications, l'ICEES produit des textes qui visent à combler les manques des textes officiels, c'est à dire l'histoire locale. L'ICEES propose des cours gratuitement aux étudiants et écoliers qui le souhaitent à son établissement. Il estime que l'histoire est instrumentalisée et biaisée par un point de vue andinocentré. Selon lui, « la mission de l'histoire est de mieux coexister dans une société.339».

Dans son école, certains enseignants d'histoire ne cachent pas leur opposition à Evo. L'un d'entre eux qualifie cette réforme de régression de l'histoire, dénonçant le manque de scientificité dans la discipline historique de l'État bolivien, qui republie des articles trop vieux, ne portant de l'intérêt que

330 Entretien avec Paula Peña Hasbun, historienne et archiviste et directrice du musée d'histoire de Santa Cruz. Vendredi 7 avril 2017, Santa Cruz.

331PEÑA Paula et LANDIVAR Jorge, La fundacion de Santa Cruz, Rolando Nunez N, Santa Cruz de la Sierra, 2016.et PEÑA Paula et LANDIVAR Jorge, Siempre libres, cruceños seamos!, Rolando Nunez N, Santa Cruz de la Sierra, 2016.

332 ROLLAND Denis, Pour comprendre la Bolivie d'Evo Morales, Paris, Harmattan, 2007.

333 Entretien avec Paula Peña.

334 Le prix mensuel est de 1400 bolivianos, soit environ 170 euros, une somme conséquente pour la Bolivie dont le revenu mensuel minimum est de 1440 bolivianos en 2018 (INE).

335 Entretien avec Daniel Armando Pasquier Rivero, directeur de l'école privée Santo Tomas de Aquino lundi 10 avril 2017, Santa Cruz.

336 Ibid.

337 Instituto de Ciencia, Economía, Educación y Salud

338 L'IPEES se présente en ces termes sur son site : http://www.icees.org.bo/quienes-somos/ :« Nuestro propósito es aglutinar emprendedores intelectuales que compartan la visión de conformar una sociedad de individuos libres y responsables, basada en el respeto a las libertades del ser humano dentro del contexto de un gobierno limitado a la protección de la vida...»

339 Entretien avec Daniel Armando Pasquier Rivero, : « la mision de la ensenanza de la historia es de convivir mejoraremente en una sociedad»

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pour le soutien à l'idéologie du Mas que peut apporter un article scientifique. Cet enseignant donne un enseignement clairement opposé au gouvernement, comme le montre la une d'un journal affiché dans la classe, où Evo demande aux écoles d'enseigner Hugo Chavez. Ce journal doit dénoncer « l'abrutissement de l'histoire par le MAS 340».

Il est intéressant de constater une grande différence entre les intellectuels paceños et cruceños. A La Paz, les intellectuels, majoritairement blancs et métisses étaient très abordables, réalisant des entretiens dans des cafés ou a leurs domiciles ou à leurs bureaux qui étaient sobres. Ils présentaient tous une bien-pensance à l'égard des indigènes et des politiques visant à les valoriser. A Santa Cruz en revanche, les intellectuels, majoritairement blancs, étaient bien plus protocolaire, affichant fièrement un mode de vie très occidental en affichant leur statut et leur richesse. Et la relation avec les politiques indianistes et même avec les indigènes était tout autre. Ainsi, Paula Peña recevait les visites dans un gigantesque bureau avec salon dans le Musée d'histoire au style colonial. Elle bénéficiait des services d'une secrétaire sans doute indigène a qui elle s'adressait de manière autoritaire. La hiérarchisation sociale et ethnique était très visible. Ces différences sont révélatrice des différences de mentalités entre les intellectuels paceños et cruceños, qui peuvent expliquer l'incompréhension et l'absence de collaboration qui règne entre les uns et les autres.

Un autre intellectuel cruceño actif dans la valorisation de l'Orient par l'enseignement de l'Histoire est l'auteur évoqué précédemment, Gustavo Pinto Mosquiera. Lors de plusieurs entretiens, celui-ci s'est présenté comme un fervent défenseur de la culture camba, il dénonce « l'indigénisation » de la société bolivienne et le manque de reconnaissance de l'identité métisse. Il a constitué des propositions de programmes régionalisés pour Santa Cruz qu'il a soumis à l'examen des autorités gouvernementales. Ces projets furent rejetés, du fait de la volonté de ne pas appliquer l'éducation régionalisée selon lui. Cependant, il est intéressant de constater qu'il adopte le même ethnocentrisme et égocentrisme que les programmes officiels, cette fois ci sur la culture de l'Orient. Dans ces propositions de programmes régionalisés, il y a très peu de sujets qui portent sur une autre partie de la Bolivie, recréant la situation inversée d'une culture dominante (ici les cambas), et les autres. Les contenus qui sont présentés comme nationaux, comme la Guerre du Pacifique, sont étudiés dans la catégorie « histoire andine », faisant ainsi deux histoires distinctes, sans réels liens341 . L'histoire proposée par cet intellectuel ressemble à un programme d'un Orient autonome, il ne correspond pas ni à l'idéologie de la loi 1565 et encore moins à celle de la loi ASEP. Il n'est donc pas étonnant que ce projet soit refusé, surtout dans le contexte récent de la censure et de la répression des courants et pensées autonomistes.

Outre ces travaux, il récolte actuellement des fonds pour créer une école populaire officieuse afin d'enseigner l'histoire régionale dans les quartiers pauvres. Il veut que tous les Boliviens prennent conscience de l'andinisation imposée dans tout le pays depuis les projets unificateurs du début du XXème siècle342. Il ne rejette pas tous les aspects de la réforme, notamment pour ce qui est de l'étude des connaissances indigènes. Sur ce point, il se différencie des discours des enseignants urbains qui voient en la réforme une régression343.

Ainsi, l'analyse des productions d'histoire ou de programmes régionalisés révèle qu'ils sont construits dans l'opposition politique au MAS et au monde andin. Ces documents se révèlent tout aussi tout aussi peu interdépartementaux que les contenus proposés par La Paz, il s'agit d'une histoire partisane qui promeut la supériorité des orientaux sur les occidentaux. Ces projets se positionnent plus ou moins en rupture avec le projet éducatif de la loi ASEP et avec l'État bolivien ce qui révèle les différents degrés de radicalité de ces intellectuels. En effet, certains demandes un plus grand fédéralisme comme Paula Peña ou Daniel Armando et d'autres revendique encore une autonomie

340 Entretien avec un Enseignant d'histoire en secondaire de l'école Santo Tomas de Aquino. Le mardi 11 avril 2017, Santa Cruz.

341 PINTO MOSQUEIRA Gustavo, Educacion y Curriculo Escolar para Gobiernos Departementales Autonomos en el Oriente Boliviano, UNION, Santa Cruz de la Sierra, 2006.

342 Entretien avec Gustavo Pinto, historien et philosophe ayant proposé des curriculum régionalisés. 19 avril 2017, Santa Cruz.

343 Ibid.

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comme Gustavo Pinto.

Désormais, après la répression politique de 2009, l'élite cruceña autonomiste étant muselée dans la sphère politique, ils continuent leur lutte par l'éducation et la transformation des consciences. L'enseignement de l'histoire locale est un outil qui permet de dénoncer l'impérialisme andin dans l'Orient. Bien que l'État contingente ces écrits et propositions en refusant de les accepter comme programmes régionalisés et en les présentant comme racistes et oligarchiques, les intellectuels cruceños trouvent des manières officieuses pour diffuser leurs idéaux. Quoiqu'il en soit, ces travaux permettent le développement d'une histoire locale et une meilleure connaissance des orientaux sur leur histoire régionale, notamment grâce à Paula Peña Hasbun.

L'Orient et Santa Cruz de la Sierra forment un monde bien différent du reste du pays. Il forme une autre Bolivie, une Bolivie oubliée et sous représentée344. Après avoir souffert d'un manque de reconnaissance sous les projets politiques et éducatifs unificateurs du MNR, L'Orient avait réussi à coopérer et à trouver sa place dans les gouvernements néolibéraux des années 1990, au point de se plaire dans la réforme de 1994. Mais les bouleversements des années 2000 ont totalement rompu les rapports entre l'Orient et le monde andin. Après la crise de 2005 à 2009 entre ces deux mondes, Evo Morales crée l'État Plurinational de Bolivie. Ce faisant, il répond officiellement aux demandes d'autonomies en donnant le statut d'autonomies aux 9 gouvernements départementaux. Un an plus tard, le gouvernement déploie sa nouvelle loi éducative, la loi ASEP, qui là aussi est censée répondre aux demandes de régionalisation, ici de l'éducation. Cependant, ces efforts politiques et éducatifs sont dans les faits inexistants, les départements soi-disant autonomes de l'Orient ont bien moins de pouvoir que précédemment, et le clientélisme et le positionnement des masistes permettent au MAS de contrôler effectivement l'Orient345. Les entretiens avec les intellectuels de l'Orient opposés au MAS346 révèlent une situation où les propositions de programmes régionalisés sont systématiquement refusées. Les enseignants qui sont censés constituer leur matériel pour l'histoire locale, n'ont pas le temps ni pour le concevoir, ni pour l'enseigner, le tronc commun étant trop lourd. Ainsi, le gouvernement bolivien contrôle la politique et l'éducation de Santa Cruz, il y projette un enseignement andinocentré, nationaliste, qui crée une identité avant tout bolivienne. L'enseignement de l'histoire permet aussi de propager les idéaux des syndicats indigènes ruraux et de les insérer dans un processus historique national long. Cependant, cette éducation si exogène à Santa Cruz s'applique de bien différentes manières selon les contextes.

Chapitre II : L'application de la loi 070 : un contenu andin et indigène dans la capitale de l'Orient.

Les raisonnements sur l'éducation scolaire à Santa Cruz développés dans cette partie sont basés sur des observations de leçons de 5ème et de 6ème année de primaire dans quatre établissements cruceños. Ils sont aussi le fruit d'entretiens avec les directeurs, les enseignants et les élèves durant le mois d'Avril 2017. Ici, il sera toujours question du cas des écoles de Santa Cruz de la Sierra. Mes observations se sont concentrées sur les classes de 5ème et de 6ème de primaire. En effet, l'histoire n'est abordée que vaguement qu'à partir de la classe de 3ème, puis elle disparaît des

344 PEÑA HASBUN Paula, La construcción de la identidad cruceña. Le Monde diplomatique. Número 13, 2003.

345 BOULANGER Philippe, «Le Comité Pro Santa Cruz. Genèse et déclin de l'autonomisme institutionnel en Bolivie», Evo Morales ou le malentendu bolivien, Editions Nuvis, 2017.

346 Gustavo Pinto, Paula Peña et Daniel Armando Pasquier.

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programmes en 4ème. Les classes de 5ème et 6ème sont donc les années qui présentent le plus de contenus historiques pour le primaire347.

En Bolivie, il existe trois types d'écoles, les écoles publiques, les écoles privées et les écoles religieuses. Les situations dans ces établissements sont extrêmement différentes, ce qui rend compte de la difficulté de parler de l'école en Bolivie. C'est pour cette raison que j'ai essayé de mener des observations dans les trois types d'écoles du 25 avril au 5 mai à Santa Cruz de la Sierra. Pour réaliser mes observations aux seins des écoles cruceñas, il m'a fallu obtenir une autorisation nécessaire auprès de la direction éducative départementale de Santa Cruz et auprès des directeurs et directrices qui m'ont finalement accordé quelques créneaux.

L'école publique coronel Igniaco Warnes se trouve dans le centre de Santa Cruz de la Sierra, dans une très ancienne demeure cruceña de la rue Pari. L'autre école publique observée, l'école Jose Manuel Mercado se trouve à la limite du centre-ville, dans un quartier plus défavorisé, sur la rue Santa Barbara. L'observation de ces écoles me permit d'observer l'influence du niveau de vie du quartier sur deux écoles publiques. J'ai eu plusieurs occasions de mener des observations dans l'école coronel Igniaco Warnes. Le mardi 25 avril, j'ai assisté à une leçon de 6ème de communication et langage ayant comme thème l'apprentissage de la langue indigène guarani. Le mercredi 3 mai, après plusieurs tentatives infructueuses, je fus accepté de nouveau pour une leçon de sciences sociales des 6èmes sur l'histoire républicaine de la Bolivie, notamment à travers les vies de Simon Bolivar et d'Antonio Jose de Sucre. L'enseignante de cette classe, Piedades Parada, s'est révélée très coopérative, ce qui a abouti à des entretiens semi-dirigés mais aussi libres avec cette dernière, lors des observations mais aussi en dehors de l'école lors d'une visite de sa famille au village de Porongo. Dès la première leçon, j'eus l'occasion de mener un entretien dirigé avec les enfants de cette classe. Les questions furent les suivantes :

- Quels peuples indigènes de Bolivie connaissez-vous ?

- Que connaissez-vous du monde rural ?

- Y a-t-il des enfants originaires de la campagne parmi vous ?

-Que préférez-vous, la campagne ou la ville ?

- Êtes-vous déjà allé à La Paz ?

Le directeur de l'école publique Jose Manuel Mercado s'est montré très peu coopératif. Il ne m'accorda qu'une journée d'observation, le mardi 2 mai, durant laquelle j'eus l'opportunité d'observer un cours de science sociale de la classe de 5ème sur l'économie bolivienne puis d'un cours de science sociale de la classe de 6ème sur les seigneuries aymaras. Si l'enseignante de 5ème fut très loquace, ce ne fut pas le cas de celle de 6ème avec qui je ne suis pas parvenu à mener un entretien. Finalement cette journée s'est achevée par la réalisation d'un acte civique pour la fête du travail.

L'accès à l'école privée Cristo Rey ne fut pas aisée à atteindre, du fait de sa grande infrastructure et de son service d'accueil qui rend la directrice ou les enseignants inaccessibles depuis l'entrée, contrairement aux autres écoles. Mais une fois les démarches effectuées, la directrice s'est avérée être la plus coopératrice, et de loin. Ainsi, elle me permit d'assister à trois leçons de 6èmes avec l'enseignante Norma Josas. Le jeudi 27 avril pour une leçon sur les premiers villages en Bolivie, puis, le mardi 2 mai pour une leçon sur Tiwanaku et avec une autre classe sur l'Empire Incas. Une enseignante de 5ème m'a aussi accueilli pour une leçon de 5ème en salle informatique sur les indigènes es terres basses, le vendredi 28 avril.

L'observation de l'école religieuse Fe y Alegria, située en dehors du centre-ville, fut réduite à la journée du 4 mai, durant laquelle se déroulait une journée d'exposition de travaux réalisés par les enfants sur la présentation de la région de Santa Cruz. Cette journée fut l'occasion d'avoir des entretiens semi dirigés avec l'enseignante et un entretien dirigé avec les enfants afin de les interroger sur certains points.

347 Minisiterio de Educacion, Curriculo base de educacion regular, La Paz, 2012.

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Connaissez-vous La Paz ?

Connaissez-vous des indigènes ?

Qu'est ce qui les différencie des autres Boliviens ?

Quelles figures historiques connaissez-vous ?

Quelle est la date de l'indépendance de la Bolivie ? De Santa Cruz ? De la Guerre du Pacifique ?

Enfin, lors de la visite avec l'enseignante Piedades Parada du village de Porongo, dans la campagne proche de Santa Cruz de la Sierra, j'ai bénéficié de la présence d'un local, le neveu de Piedades Parada, pour observer de manière informelle l'école Hugo Banzer et pour mener un entretien avec le directeur de cette école.

II-A/ Un enseignement historique aux objectifs différents selon la nature des écoles : la création d'une identité sociale.

Dans cette ville, les écoles publiques disposent dans la plupart des cas de locaux certes rudimentaires mais corrects. Les écoles du centre-ville sont situées dans d'anciennes propriétés possédant une cour fermée servant à la récréation. Bon nombre d'intellectuels travaillant sur l'éducation en Bolivie, qu'ils soient de La Paz comme de Santa Cruz, s'accordent pour dire que la qualité de l'éducation dans les écoles publiques est lamentable348. L'observation de l'école Coronel Igniaco Warnes et de l'école Jose Manuel Mercado confirme malheureusement ce constat. Quatre problématiques principales apparaissent rapidement. En premier lieu, le manque de formation des enseignants. De manière générale, les enseignants ne connaissent pas très bien ce qu'ils enseignent de telle sorte que leur fonction se réduit souvent à dicter le contenu des manuels de La Hoguera ou d'El Pauro, manuels majoritairement présents dans les écoles publiques de Santa Cruz349. L'observation des leçons de 5eme et de 6eme à l'école Jose Manuel Mercado se réduisaient à la lecture du manuel par les enseignantes350. La formation obligatoire du PROFOCOM, censée former les enseignants pour appliquer convenablement la nouvelle réforme, est jugée comme insuffisante par de nombreuses personnes351. D'après ces dernières, la formation du PROFOCOM explique comment les enseignants doivent transmettre l'idéologie du MAS à travers l'enseignement scolaire, elle donne aussi une méthodologie de notation qui se veut totale, avec les quatre dimensions du ser, saber, hacer, decidir. Néanmoins, cette formation ne semble pas fournir les connaissances nécessaires aux enseignants pour maîtriser les contenus historiques enseignés. Cependant, les cas varient selon les enseignants, Piedades Parada par exemple, enseignante d'une classe de 6eme à l'école Igniaco Warne, s'intéresse particulièrement à l'histoire et appuie les leçons d'histoire de ses propres connaissances, à l'aide d'analogies et d'anecdotes352. Néanmoins, cette dernière n'a reçu aucune formation en pédagogie. Ce dernier point permet de souligner le deuxième grand problème présent dans ces écoles publiques : l'abandon des enseignants. Ceux-ci sont désabusés, ils sont tous exténués, si la plupart disent avoir choisis ce métier par vocation, ils avouent volontiers ne plus être satisfait dans leur profession353. Leur attitude envers les enfants est souvent agressive, n'hésitant pas a dénigrer ouvertement les

348 Entretiens avec Carolina Loureiro, Paula Peña Hasbun, Monica Sahonero, 2017.

349 Entretien avec Edgar Lora Gumiel, Assesseur Pédagogique et Gustavo Lora V. Coordinateur d'édition technique La Hoguera, lundi 10 avril 2017, Santa Cruz et observations dans les écoles Coronel Igniaco Warnes et Jose Manuel Mercado

350 Mardi 2 mai 2017 : école Jose Manuel Mercado , classe de 5ème.

351 Paula Peña Hasbun, Marianela Soux, Isabelle Combes enseignants, 2017.

352 Entretiens et observations de Norma Josas, enseignante à l'école privée Cristo Rey, mardi 2 mai 2017, Santa Cruz.

353 Entretiens avec Piedades Parada et l'enseignante de 5ème de l'école Mercado.

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enfants turbulents354. Ce problème est fortement lié avec le troisième : le problème de la discipline. Les élèves sont très indisciplinés, surtout les garçons, ce qui empêche dans la plupart des cas un déroulement efficace du cours355. Les enseignants sont obligés de couper la leçon constamment afin d'obtenir un semblant de silence. La récréation et les actes civiques constituent une explosion de violences et d'agitations, qui ne sont même pas encadrées par les enseignants356 . Ce manque de discipline s'explique par le dernier problème majeur des écoles primaires, le manque d'investissement des parents. Les populations qui fréquentent ces établissements sont avant tout des populations pauvres. Le taux d'absentéisme, du fait du travail infantile, est très fort et les parents ne font absolument pas de l'éducation une priorité357 . Ceux-ci, souvent eux-mêmes peu éduqués, sont dépassés par les connaissances de leurs enfants assez rapidement, et ils ne peuvent et ne veulent les aider pour la réalisation de leurs devoirs. De ce fait, le travail avance très lentement et les résultats aux examens sont catastrophiques358. De plus, selon enseignants interrogés359, un problème provoqué par le manque d'intérêt pour la scolarisation et parfois même pour la vie de leurs enfants est le manque d'éducation parentale. Cet élément est fortement critiqué par les enseignants qui dénoncent le laxisme grandissant de l'éducation parentale en Bolivie.

Les enfants de ces écoles sont d'origines variées, la plupart viennent de Santa Cruz mais certains sont originaires de la campagne, la plupart sont métisses ou indigènes. Face à la pauvreté de ces enfants et pour les encourager à venir à l'école, le gouvernement autonome de Santa Cruz distribue dans tous les établissements publics des rations alimentaires depuis 2013. Cela évite ainsi que certains enfants ne mangent pas de la journée360.

Dans ces établissements, l'enseignement de l'histoire est comme partout celui de La Hoguera ou de El Pauro, les élèves apprennent donc l'histoire des Aymaras, de l'Empire Inca, de Tiwanaku361. La plupart des enseignants n'ont pas la volonté ou les compétences pour fournir un travail supplémentaire nécessaire à la réalisation d'une éducation sur l'histoire régionale362. L'histoire ici a avant tout pour fonction la promotion du nationalisme chez les enfants. Les classes sont décorées par des affiches sur « El dia del Mar » ou encore sur les présidents boliviens. Pour le jour du travail, le 2 mai, un acte civique se déroule dans la cour de l'école Mercado, devant le drapeau, les élèves dans leur semblant d'uniforme et maintenu tant bien que mal en rang, entonnent l'hymne national363 . Les chants patriotiques et les cours sur les thèmes du travail ou encore des investissements de l'état, soulignent bien cette éducation au service du nationalisme. L'enseignement historique vante les valeurs du travail et du service à la nation, l'école publique forme des travailleurs, des ouvriers. En effet, a discipline de science sociale, dans laquelle l'histoire est enseignée, prend souvent un point de vue économique. Les thèmes historiques sont abordés sous cet angle. Les enfants étudient les modèles de production des Aymaras, des Incas, et que c'était bien cette organisation productive qui en faisait des grandes civilisations. Le moment de la prière à l'ouverture du cours et du chant de l'hymne sont les seuls deux moments où les élèves sont respectueux364, ce qui est révélateur de l'importance donnée aux symboles nationaux. Dans ces écoles, les enseignants transmettent une histoire nationaliste, et au contenu majoritairement andin.

354 Observations Mardi 2 mai 2017 : école Mercado : 5eme et Mercredi 3 mai 2017 : ecole Igniaco Warnes,

355 Entretiens et observations avec l'enseignante du Mardi 2 mai 2017 : école Mercado : 5eme et avec Piedades Parada , le Mardi 25 avril 2017, école colonel Igniaco Warnes

356 Observations Mardi 2 mai 2017 : école Mercado : 5eme (économie Bolivie)et 6eme ( seigneuries aymaras) puis acte civique.

357 Entretiens avec l'enseignantes du 5eme de l'école Mercado et avec Piedades Parada, enseignante de 6eme à l'école Igniaco Warnes, 2017.

358 Observations Mercredi 3 mai 2017 : ecole Igniaco Warnes, 6eme science sociale: république.

359 Entretiens avec les enseignants de 6eme des écoles Mercado et de 5eme et 6 eme de Igniaco Warnes.

360 Observations Mardi 2 mai 2017 : école Jose Manuel Mercado , classe de 6ème.

361 Manuels et programmes, et entretiens et observations des leçons de science sociales dans les écoles Mercado et Igniaco Warnes, 2017.

362 Entretien avec Piedades Parada, Enseignante de 6ème à l'école publique Warnes, mercredi 26 avril 2017, Santa Cruz.

363 Observations Mardi 2 mai 2017 : école Mercado

364 Ibid.

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Les écoles privées, bien qu'ils recouvrent des réalités très diversifiées, présentent de manière générale, des situations bien plus propices à l'éducation des élèves. L'école Cristo Rey figure parmi les meilleurs établissements de Santa Cruz de la Sierra. Il dispose d'une grande infrastructure moderne, à la limite du centre-ville. Il s'agit d'un établissement fréquenté par les classes aisées. L'école dispose de tout ce qu'il y a de plus moderne dont une salle d'ordinateurs. Chaque élève possède son manuel de Santillana et bien d'autres objets personnels révélateurs du niveau de richesse grandement supérieur à celui des élèves du public365. Ici, les enseignants sont choisis pour leur compétence, ils sont très bien formés et viennent souvent eux même de milieux aisés. Bien que les parents ne participent guère plus que dans les écoles publiques366, ils donnent de l'importance à l'éducation et les enfants sont bien plus rigoureux. De même ils sont bien plus disciplinés367. Le rapport de domination entre les enfants et les élèves est mis en avant par une estrade dans toutes les classes qui positionnent les enseignants au-dessus des élèves368. Les élèves étant investis, la discipline passe par des pertes de points dans le système de notation qui s'applique continuellement. Les cours sont construits et particulièrement participatifs, notamment grâce à des travaux de groupes et à des activités conçus par les enseignants369.

L'enseignement de l'histoire est ici axé sur l'enseignement moral. Les enseignements sont réfléchis lors de réunions entre les enseignants. Le collège Cristo Rey apparaît comme un établissement transmettant une culture internationale et andine. Le collège s'évertue à respecter l'application de la réforme de 2010370. Ainsi, lorsqu'on interroge les enfants sur leurs connaissances sur les autres départements et sur le reste du monde, il apparaît que les élèves d'écoles publiques connaissent bien les coutumes et productions des départements boliviens tandis que les élèves d'écoles privées en savent bien plus sur le reste du monde, sur La France, les États-Unis et connaissent bien l'histoire nationale andine371. Plus encore, ces enfants ont conscience de connaître plus la culture et l'histoire andine que celles de Santa Cruz. Ce collège suit à la lettre les directives gouvernementales, il vise à former des élites intégrées dans le nouvel État plurinational Bolivien. Cette fois les enseignants ont les capacités pour proposer un contenu régionalisé, mais ce n'est pas la politique de leur établissement et cette thématique semblait déranger l'enseignante Norma Josas372.

Les établissements religieux enfin, fondent le fonctionnement de leurs écoles sur la coopération des parents d'élèves dans l'éducation et la vie de l'école. Il s'agit d'écoles à faible coût d'inscription mais où les parents sont souvent sollicités pour financer ou travailler pour l'école ou avec les enfants. Et cette participation est effective, de telle manière qu'ils sont parfois évacués de l'école car trop nombreux. Les écoles religieuses fonctionnent grâce aux financements et aides de l'Église, de l'État et des parents. Les moyens de ces écoles sont rudimentaires mais les enseignants comme les élèves sont très volontaires. L'école Fe y Alegria de Santa Cruz appartient à la confédération du même nom. Cette école est un cas un peu particulier puisqu'elle fait partie des écoles qui avaient expérimenté la régionalisation du contenu des sciences sociales après la loi 1565 et qui ont inspiré la réforme de 2010373. Dans cette école, la culture cruceña était mise à l'honneur, les élèves connaissant très bien leur ville et leur département. Plus encore, la gastronomie, les coutumes et tenues traditionnelles cambas sont connus. Des affiches et maquettes ayant même étaient réalisés sur ce sujet. Seulement, une fois encore, les connaissances en sciences sociales sont centrées sur l'économie374. De manière

365 Observations Cristo Rey, avril 2017.

366 Entretiens avec Paula Peña Hasbun, historienne et archiviste et directrice du musée d'histoire de Santa Cruz. avril 2017, Santa Cruz.

367Observations Cristo Rey, avril 2017.

368 Ibid.

369 Ibid.

370 Entretien avec Norma Josas, enseignante à l'école privée Cristo Rey, mardi 2 mai 2017, Santa Cruz.

371 Observations et entretien dirigé, Jeudi 27 avril 2017: Cristo Rey : 6ème

372 Entretien avec Norma Josas, enseignante à l'école privée Cristo Rey, mardi 2 mai 2017, Santa Cruz.

373 Entretien avec l'enseignante de 6 eme et avec la directrice de Fe y Alegria, Jeudi 4 mai 2017.

374 Observations Jeudi 4 mai 2017: Fe y Alegria

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générale, les enseignants de tous types d'écoles dressent un portrait très positif de ces établissements.

Cet établissement promeut la place de première importance de Santa Cruz dans la région. Ici les enfants ne connaissent guère la diversité ethnique de leur pays, associant les pauvres aux indigènes, mais ils connaissent bien l'histoire nationale, surtout l'histoire républicaine375. Si le cas de l'école de Fe y Alegria est un cas particulier, il permet tout de même de constater une alternative intéressante pour les populations précaires et les classes moyennes à l'école publique376.

Les moyens à disposition, la formation des enseignants et l'orientation donnée à l'éducation font des différents types d'écoles des reproducteurs de classes sociales. En effet, l'école publique fréquentée par les populations pauvres n'offrent pas de réelle possibilité d'ascension sociale, elle n'est pas une priorité ni pour les parents ni pour les enfants. Cette éducation populaire se développe dans un encadrement nationaliste andin. Pour ce qui est des écoles privées, il faut distinguer les écoles privées élitistes des écoles privées très abordables qui présentent des situations similaires à celle des écoles publiques. Les premières offrent une qualité d'éducation incomparable avec celle des écoles publiques. Les écoles privées élitistes dotent les enfants aisés des outils nécessaires pour se développer dans les sphères élitistes, que ce soit les élites nationales avec l'école Cristo Rey ou les élites régionales avec l'école San Thomas de Aquino. Mais dans tous les cas, ces établissements propagent le contenu andinocentré élaboré par le gouvernement bolivien. Finalement, l'école de Fe y Alegria est un exemple un peu particulier d'une école rattachée à une grande organisation très populaire en Amérique du Sud et qui détient une certaine liberté. Cette école expérimentale révèle cependant l'échec de diffuser des connaissances locales, nationales tout en respectant le projet d'interculturalité et d'intraculturilatié de la loi 070. Néanmoins, l'école religieuse, de convenio semble la plus apte à faire de l'école un outil capable de créer de la mobilité entre les classes sociales. Cela révèle que le problème réside dans l'importance donnée à l'éducation, à la fois des parents qui déconsidèrent l'éducation, notamment à cause du discours gouvernemental qui prône « l'école de la vie 377» et à la fois des enseignants qui sont déconsidérés et payés insuffisamment par l'Etat378.L'école qui est souhaitée révolutionnaire et décolonisatrice par la réforme de 2010 reste dans les faits une école conservatrice qui reproduit les inégalités sociales.

375 L'histoire républicaine s'étend de 1825 à 2010.

376 Observations Jeudi 4 mai 2017: Fe y Alegria

377 Código de la infancia y la adolescencia Ley N° 548, Capítulo VI : Ley sobre el trabajo infantil, La Paz, 2014. en Bolivia : Evo Morales encourage les enfants à travailler dès l'âge de dix ans.

378 Enseignants, Monica Sahoneno, Weimar Ino

et KOHL, Mira. La Historia y la Educación: El Fomento de una Identidad Nacional. Independent Study Project (ISP) Collection. 1 avril 2009.

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II-B/ Les enseignants, premiers acteurs de la transmission de l'histoire.

Bien que peu d'enseignants ne possèdent le temps et les capacités nécessaires à la réalisation d'un support pour l'histoire locale, certains parviennent a acheter ou consulter des sources afin de se construire une connaissance de l'histoire locale. Il s'agit avant tout de faire apprendre aux enfants les symboles majeurs de leur lieu de vie379. L'enseignante Piedades Pareja de l'école publique Ignacio Warnes s'intéresse particulièrement à l'histoire de Santa Cruz. Elle s'appuie sur plusieurs ouvrages380 qu'elle a achetés avec son propre argent.

Illustration 15: L'apprentissage des symboles régionaux en guise d'histoire locale.

Cette page d'un cahier d'un élève de 6eme de l'école publique coronel Ignacio Warnes concentre les connaissances acquises par les élèves sur l'histoire locale. Cette dernière se réduit aux symboles de la ville : le drapeau et au blason ainsi que la date de fondation et le nom du fondateur de Santa Cruz de la Siera. Ecole coronel Ignacio Warnes, 2017 (Photo : Saint-Martin).

Piededad Pareja est plus intellectualisée que bon nombre de ces confrères, sans doute du fait de ses origines relativement aisées qu'elle aime mettre en avant381.

379 Voir illustration n°15.

380 Grupo Editorial La Hoguera, 450 anos de Santa Cruz de la Sierra, la fundacion en la llanura : Santa Cruz de la Sierra, 2011. Atlas del estado plurinacional de Bolivia, Historia de Bolivia.

PARRAGA Jose, ARAKAE, La historia crucena que nunca te contaron... ! Santa Cruz, 2016.

PARRAGA Jose, Canoto y yo, Historia Crucena para ninos y jovenes, Santa Cruz, 2017.

381 Entretiens avec Piedades Parada, Enseignante de 6ème à l'école publique Warnes, avril 2017, Santa Cruz.

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Cependant, la production de contenu historique par les enseignants ou par des intellectuels est très difficile à contrôler par l'État. Ainsi, certains enseignants relatent une histoire favorable au régime Nazi, ou encore traitant d'extraterrestres382. Cette mesure représente donc une vraie menace pour la qualité de l'enseignement de l'histoire. De manière moins exceptionnelle, les enseignants créent leur enseignement à l'histoire locale selon leurs convictions. Ainsi, certains enseignants cruceños s'inspirent des travaux de Gustavo Pinto qui érige le libérateur de Santa Cruz, Andres Ibanez, en héro fédéraliste383. Mais certains travaux diffusent une histoire qui prône la supériorité d'une ethnie sur les autres. C'est le cas notamment des nombreux travaux de l'enseignant aymara Fidel Rodriguez qui essaye de démontrer la supériorité aymara et quechua en ancrant son histoire dans une grande histoire de l'humanité, à l'aide d'un syncrétisme entre la culture andine et la religion chrétienne.

Illustration 16: Le difficile contrôle de la production de contenu historique.

Le professeur aymara Fidel Rodriguez a produit une dizaine de DVD qui démontrent en quoi l'histoire andine s'ancre dans l'histoire de la Bible et de l'humanité, grâce aux mathématiques, à la géographie et à l'histoire. Ces productions sont révélatrices du danger de révisionnisme historique non contrôlée face à la loi 070.

Musée d'histoire de Santa Cruz, 2017 (Photo : Saint-Martin).

Outre le manque de connaissance et la qualité relative des livres d'histoire régionales, les autorités

382 Entretien avec un conseillé présidentiel ayant souhaité rester anonyme.

383 PINTO MOSQUEIRA Gustavo, Andres Ibanez, heroe cruceno libertario federalista, Santa Cruz, 2018.

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disposent de moyens de contrôle pour surveiller l'application de la réforme et du contenu du tronc commun dans les écoles. Par le biais d'un clientélisme et de distribution des postes de directeurs d'école religieuses et publiques à des partisans du MAS par le ministère de l'éducation tous les trois ans384. Les enseignants doivent faire des rapports réguliers à ces derniers, afin de rendre compte de l'avancement dans le programme et le respect de celui-ci385 . Dans les établissements privés, les directeurs sont certes embauchés par les actionnaires ou propriétaires, mais ces établissements sont sous le contrôle de l'État via une résolution ministérielle qui ne peut être obtenu qu'à la suite d'inspection par le ministère de l'éducation. Cependant, parmi les enseignants des écoles publiques, de très nombreux enseignants n'aiment pas la loi 070 et s'y opposent fermement386. Pour la plupart ils ne la connaissent pas bien. Bons nombres y voient une réécriture historique afin d'ancrer le caractère indigène de la société bolivienne dans son histoire. L'apprentissage des connaissances indigènes est perçu comme une régression par beaucoup d'entre eux. Ils préféraient celle de 1994, qui distribuaient des manuels avec des consignes précises387. Plus encore, ils appréciaient avant 1994 où les sanctions physiques étaient légales. Ce regret est une constante chez bon nombre d'enseignants d'écoles publiques urbaines comme rurales388. L'apprentissage du Guarani, devenu obligatoire avec la réforme de 2010, est souvent considéré comme superflu et trop complexe pour eux.

Face à cela, les enseignants trouvent alors des moyens d'orienter l'enseignement selon leurs idéaux, de manière plus ou moins subtile. Les croyances des enseignants et leur conception du rôle de l'enseignement de l'histoire influent grandement sur cette transmission. Ainsi, Norma Josas, enseignante de primaire spécialisée en langues et en sciences humaines à l'école de Cristo Rey, fait de l'histoire un support pour l'éducation des valeurs chrétiennes. Cette dernière veut continuer « d'être au service de Dieu et de suivre sa parole389. » Ainsi, comme dans toutes les classes des autres écoles observées à Santa Cruz, la leçon commence par une prière. Ici la prière est suivie d'une lecture d'un extrait de la Bible. Sur une leçon sur la période de l'organisation en village, elle demande d'extraire les valeurs qui ressortent d'un texte sur l'entraide. Le contenu historique, qui est basé sur les manuels de Santillana, sert de support à un enseignement moral. Ainsi, pour les Aymaras ou encore l'empire Inca, les valeurs de ces civilisations sont étudiées. Le sujet en lui-même devient un prétexte à cette éducation quasi-religieuse390.

L'influence des enseignants sur la transmission de l'histoire passe aussi par la manière d'aborder les sujets, en associant des idées et par le subconscient. Ainsi, le vendredi 28 avril 2017, une autre enseignante de Cristo Rey décide de présenter le chapitre sur les peuples des basses terres pour la classe de 5ème année de primaire, à la salle d'informatique. Elle ancre sa démarche dans la loi 070 en rappelant à toute la classe l'intérêt d'étudier les peuples indigènes, l'intraculturalité et l'interculturalité. Cependant, elle détourne ce chapitre de ces fonctions vers une vision très engagée pour la modernisation391 . En effet, dans son Powerpoint, elle affiche des images successives d'indigènes dénudés puis de l'arrivée des Espagnols et enfants d'indigènes urbanisés et heureux, associant ainsi la colonisation à la civilisation des indigènes qui seraient désormais intégrés dans la société. Elle présente ensuite des restes archéologiques de la région, qu'elle compare à Tiwanaku, rattachant ainsi l'artisanat indigène au passé. Les indigènes sont présentés comme historiques, comme lointain. Le choix de faire ce cours dans la salle d'informatique n'est pas anodin, l'enseignante fait l'éloge de la technologie et de la modernisation, mettant en opposition directe le quotidien des enfants avec ces indiens dénués de tout. De plus on retrouve la conception évolutionniste présente chez Santillana dans le discours de l'enseignante qui valorise les civilisations structurées et sédentaires sur les peuples

384 Entretien avec Esther Aillon, 25 décembre 2017.

385 Entretiens avec Piedades Parada, Enseignante de 6ème à l'école publique Warnes, mercredi 26 avril 2017, Santa Cruz.

386 Marche de manifestation des enseignants de tous le pays contre la loi 070, mars 2017.

387 Entretiens avec enseignants qui manifestaient à La Paz, avec les enseignants de Santa cruz, et entretien au Magistère des enseignants urbains de Bolivie.

388 Entretiens avec enseignants d'écoles publiques de Santa Cruz, de Charagua et du Bajo Isoso.

389 Entretien avec Norma Josas, enseignante à l'école privée Cristo Rey, mardi 2 mai 2017, Santa Cruz.

390 Observations Jeudi 27 avril 2017, Mardi 2 mai 2017 : Cristo Rey : 6ème

391 Observation : vendredi 28 avril 2017: Cristo Rey : 5ème science sociale: originaire des terres basses.

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nomades et tribaux. Ainsi, elle répète à trois reprises qu'elle applique les mesures et le programme de la réforme de 2010, tout en développant un raisonnement totalement opposé avec le projet de la loi 070. Elle présente les indigènes comme des sauvages et fait un éloge du progrès technologique. Ce faisant, elle creuse l'écart entre les indigènes ruraux et les élèves urbains en créant un sentiment de supériorité chez ces derniers sur les indigènes. Il n'est pas à douter que cette enseignante, qui n'a pas souhaité s'exprimer à ce sujet, ne soit pas partisane du projet du MAS. Ainsi, il est possible pour certains enseignants d'orienter le contenu du tronc commun selon leurs convictions tout en respectant la structure de la loi 070392.

Enfin, la dernière action observée est la réorganisation du planning du tronc commun. L'enseignante Piedades Pareja de l'école publique Ignacio Warnes est fortement opposée au gouvernement du MAS, à tel point qu'elle ne reconnaît pas l'État Plurinational Bolivien. Elle prétend ne reconnaître que la république bolivienne. Or elle regrette que l'histoire de la république soit devenue minoritaire face à la part de l'histoire indigène du tronc commun portée par les manuels de La Hoguera. En effet, comme il est très difficile de faire tout le programme dans l'année, le dernier chapitre sur la république ne sera sans doute pas travaillé393.

Illustration 17: L'orientation de l'enseignement de l'histoire.

Piedades Parada, grande défenseure de la République unifiée bolivienne, dresse un éloge de cette période à travers l'apprentissage de la vie des libérateurs. Ici elle tient le portrait d'Antonio Jose de Sucre, le bras droit de Simon Bolivar, classe de 6eme de l'école coronel Ignacio Warnes, Santa Cruz, 2017 (photo : Saint-Martin).

Bien qu'elle n'en ait normalement pas le droit, elle décide alors de changer l'ordre des chapitres et de présenter la république bolivienne avant les chapitres sur l'histoire indigène. Son cours est très engagé, un véritable éloge des libérateurs et de l'Indépendance. Elle insiste sur le fait que la république fut la

392 Ibid.

393 Entretien avec Piedades Parada, Enseignante de 6ème à l'école publique Warnes, mercredi 26 avril 2017, Santa Cruz.

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véritable libération des Indigènes, et non pas les mouvements du XXIème siècle. Evo Morales est tourné en ridicule par la comparaison avec les libérateurs devant les enfants qui rient à cela, ce qui révèle la politisation de cet enseignement par Piededas Pareja394 . Cependant, son discours n'est nullement autonomiste, au contraire elle rappelle l'importance d'une république unifiée où chacun participe pour le développement de celle-ci. Elle condamne les mouvements séparatistes qui nuisent au pays395.

Les enseignants peuvent donc toujours manier le tronc commun de la loi 070 afin de les orienter en leur sens. Il est intéressant de noter qu'il existe une multitude de positionnements, les enseignants ne sont pas tous des autonomistes rejetant le MAS. Plus encore, cela révèle que le rejet du MAS s'exprime de diverses manières et pas seulement dans une position autonomiste. Les convictions personnelles des enseignants déterminent leur enseignement de l'histoire. Ce qui s'avère souvent encore vrai en revanche, c'est la persistance du dénigrement des indigènes par les enseignants à Santa Cruz. Cette donnée freine grandement l'éducation à la tolérance et l'intraculturalité de l'école.

II-C/ L'enseignement indigène dans un milieu urbain dominé par l'identité métisse du camba.

Le contenu historique de la loi 070 donne une place aux populations indigènes dans l'histoire nationale. Le PSP, le « projet socio-productif » communautaire est une nouveauté de la réforme qui se traduit souvent par la matière sciences sociales. Il s'agit d'une mesure qui révèle que la réforme de 2010 a été réfléchie avant tout pour les ruraux. Ce PSP est censé établir l'apprentissage par la pratique de savoirs traditionnels d'agriculture ou d'artisanat. Dans une ville industrialisée comme Santa Cruz de la Sierra, cette application semble impossible. Le PSP prend alors la forme de campagne de prévention sur les questions de la pollution ou encore de la nutrition 396 . La recherche de l'interculturalité et de l'intraculturalité font théoriquement voir aux enfants beaucoup de peuples indigènes qui constituent l'État plurinational Bolivien. Cependant, comme il vient d'être démontré, le contenu peut être détourné selon l'opinion de l'enseignant et de manière générale, ces informations restent très abstraites pour les enfants cruceños qui vivent dans la ville la plus moderne et la plus urbaine du pays. Est-ce que ce travail permet une véritable meilleure connaissance et respect des peuples indigènes par les urbains et inversement ?

Dans les écoles, malheureusement le dénigrement reste présent dans le corps enseignant, culturellement très urbain et métis. Ainsi, les élèves venant d'arriver de la campagne sont parfois discriminés397. Ils sont jugés comme moins bons et plus timides que les autres élèves398. Pire encore, deux enseignantes qui se revendiquaient blanches, ont apportées comme explication aux faibles résultats de leurs classes, la « bêtise génétique ». L'enseignante Piedades Parada affirmait aux sujets de ces élèves : « ils sont stupides, ils ont ça dans leur sang399. ». L'école n'est pas encore un lieu de tolérance et d'échange entre les indigènes et les métis, le racisme est toujours présent, d'autant plus que dans les écoles observées, aucun enseignant indigène n'a été rencontré, la plupart sont métis et relativement blancs. Les élèves connaissent souvent des noms de peuples, surtout les principaux, Quechuas, Aymaras et Guaranis. Cependant leur connaissance sur leurs cultures sont très limitées. Ainsi, à la fin du cours sur les peuples originaires des basses terres, lors d'un entretien dirigée, un

394 Observation Mercredi 3 mai 2017 : école Igniaco Warnes, 6eme science sociale

395 Observations Mardi 25 avril 2017, Mercredi 3 mai 2017, école colonel Igniaco Warnes : 6ème, voir illustration n°17

396 Entretiens avec Norma Josa, Piedades Parada et des enseignants.

397 Observation Mardi 25 avril 2017, école colonel Igniaco Warnes, 6ème

398 Ibid.

399 Entretien avec Piedades Parada, Mercredi 3 mai 2017 : ecole Igniaco Warnes : « Son estupidos, tienen eso en su sangre... »

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enfant a reconnu un Guarani là où il s'agissait d'un Sioux400.

De plus, on peut voir comment les rapports vis à vis des indigènes diffèrent entre Santa Cruz et les autres villes. La ville de La Paz présente dans ses plus vieilles rues des musées de la culture et de l'histoire indigènes tels que le musée de la coca, le musée des instruments, de l'ethnographie, des textiles andins. La culture indigène est présente à La Paz, elle se voit notamment dans les coutumes vestimentaires. Le port de ces tenues vestimentaires est une manière d'affirmer les progrès des droits des indigènes. En effet, là où il y a quelques décennies, les indigènes en tenue traditionnelle étaient interdits d'entrée sur la place Murillo, ils siègent désormais au Parlement dans ces même tenues. A Sucre, dans la casa de la libertad où fut actée l'indépendance de la Bolivie, Evo Morales a fait rajouter en 2015 les tableaux de Bartolina Sisa et de Túpac Katari aux côtés de Simon Bolivar, de Jose Sucre et de Jose Ballivian ainsi que le Wiphala parallèlement au drapeau national.

Illustration 18: L'indigénisation des symboles nationaux.

Dans la Casa de la libertad, les tableaux des figures indigènes Bartolina Sisa et de Túpac Katari siègent depuis 2014 aux côtés de Simon Bolivar, de Jose Sucre et de Jose Ballivian dans la salle principale. A droite, le Wiphala complète aussi le drapeau national, Sucre, 2017 (Photo : Saint-Martin).

Ces nouveaux éléments visent à montrer la participation active des indigènes dans l'indépendance du pays. Ces ajouts imposés par le MAS visent évidemment à intégrer les indigènes dans l'histoire bolivienne. Evo propose des figures indigènes qu'il place à la même importance que les libérateurs, figures nationales par excellence. A Santa Cruz en revanche, nul espace n'est attribué pour promouvoir les cultures indigènes des terres basses ou autres. L'histoire dans l'espace urbain est avant tout Cruceña, blanche ou métisse. Le musée d'histoire, le museo de la independencia, qui est situé sur la place centrale de la ville, présente quelques objets archéologiques des cultures indigènes des terres basses, mais plus sous l'angle d'un passé lointain que de celui d'un patrimoine encore vivant. Et il en est de même pour les vêtements traditionnels, seuls les immigrés andins pauvres sont vêtus traditionnellement, toutes les autres ethnies portent des vêtements occidentaux. Alors que le nom des institutions gouvernementales est écrit en espagnol, en aymara, en quechua et en guarani à La Paz401, les institutions départementales de Santa Cruz sont nichées dans des bâtiments au style colonial dont le nom est écrit uniquement en espagnol. Ainsi, sur le plan du bilinguisme et de la multiculturalité, le rejet des propositions gouvernementales par Santa Cruz de la Sierra apparaît déjà

400 Entretien avec un élève de cinquième à la fin de la leçon : vendredi 28 avril 2017: Cristo Rey : 5ème

401 Salustiano Ayma M. directeur du secteur primaire du ministère de l'éducation. Mercredi 29 mars 2017, La Paz.

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dans l'espace public.

Les intellectuels régionalistes et autonomistes s'identifient comme camba ou comme cruceño avant tout et leurs rapports envers les indigènes sont parfois ambigus. Les collas sont très mal considérés à Santa Cruz, ils sont accusés de coloniser l'Orient et d'obtenir des postes intéressants du simple fait de leurs origines ethniques. De nombreuses théories circulent à leur sujet, ils occuperaient les postes politiques, militaires, éducatifs afin de contrôler le département402 . Dans les faits, la plupart des migrants andins occupent des petits travaux déconsidérés, comme chauffeurs de taxis ou vendeurs de rue.

Enfin, le concept d'indigène reste flou pour les enfants, certains les associent aux pauvres403, d'autres aux paysans404.Quoiqu'il en soit, très peu de ces enfants ont déjà fréquenté des indigènes. Et là aussi, les rapports entre les urbains et les ruraux ne sont pas cordiaux. De nombreux indigènes ruraux se rendent chaque année à Santa Cruz afin de travailler et certains s'y installent définitivement. De véritables communautés et quartiers guaranis se sont ainsi formés. Ces quartiers présentent une architecture et une organisation assez indigène qui rappelle plus les villes andines. Ces quartiers sont réputés comme peu recommandables par les cruceños du centre-ville. A tel point, que le grand marché de La Ramada, véritable quartier marché, est menacé par des cruceños qui réclament la disparition de ce qu'ils estiment comme un marché illégal et arriéré pour leur ville. La municipalité remplace ce marché indigène par un gigantesque centre commercial des plus modernes405, ce qui ne manque pas de portées symboliques.

De même, certains enseignants se méfient de la campagne et des ruraux, les percevant comme des personnes dangereuses. Ces quartiers présentent des niveaux de vie précaires, les Guaranis sont souvent ouvriers ou domestiques. Ces populations présentent un faible taux de métissage406, mais ces quartiers sont des quartiers indigènes plus que Guaranis, les habitants viennent de différents peuples. Finalement, les Guaranis qui migrent en ville, utilisent de plus en plus l'espagnol, au détriment du guarani, qui est discriminé en ville. De même, une part de la population s'acculture, adoptant un mode de vie et de consommation plus cruceño407. La migration indigène à Santa Cruz pose des problèmes identitaires pour les indigènes migrants en ville, la politique cruceña n'offrant pas de cadre d'épanouissement d'une culture indigène en ville, à l'inverse de certaines villes andines. Isabelle Combes présente ces populations comme des « indigènes oubliés 408», la municipalité ne prend pas en compte ces populations et leurs particularismes et d'un autre côté, les organisations guaranis préfèrent développer les zones d'origines, dépréciant les guaranis qui ont renoncé à la vie traditionnelle409.

Finalement, la culture indigène n'est honorée à Santa Cruz que par le folklorique, lors de défilés ou lors du carnaval. Ainsi, pour célébrer l'anniversaire de leur école, les enfants font des défilés en se déguisant en tenues traditionnelles des différentes cultures et nations indigènes de l'Orient410.

La hiérarchisation des races et des cultures est donc encore fortement présente à Santa Cruz de la Sierra. La culture métisse ou blanche et urbaine est bien plus valorisée que les cultures indigènes qui

402 Entretiens avec Gustavo Pinto, Daniel Armando, avril 2017

403 Questionnaires aux enfants Jeudi 4 mai 2017: Fe y Alegria à détailler

404 Questionnaires aux enfants vendredi 28 avril 2017: Cristo Rey

405 SOSA DE PEROVIC, Angelica, El nuevo mercado La Ramada ofrece orden y seguridad, La estrella del oriente, Santa

Cruz, 2017 in :

http://www.laestrelladeloriente.com/index.php?option=com_k2&view=item&id=7539:el-nuevo-mercado-la-ramada-

ofrece-orden-y-seguridad&Itemid=716

406 COMBES Isabelle, KINJO TOMORI Chiaki, IZQUIERDO José Ros, Los indígenas olvidados : los guaraní-chiriguanos urbanos y periurbanos en Santa Cruz de la Sierra, Fundación PIEB, Programa de Investigación Estratégica en Bolivia, La Paz, 2003 : 70% des couples restent entre Guaranis en 2000

407 Ibid.

408 Ibid.

409 Ibid.

410 Observation pour l'anniversaire d'une école de Santa Cruz, avril 2017.

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sont encore perçues dans la plupart des cas comme des peuples d'un autre temps. L'éducation à ce sujet a encore un long chemin à faire, et le détournement du contenu interculturel et intraculturel par des enseignants évolutionnistes ralentit ce processus. La situation précaire et le manque de reconnaissance des populations indigènes à Santa Cruz ne font que grandir le fossé entre les indigènes et les métis et blancs.

Santa Cruz et l'Orient présentent un univers culturel, politique et environnemental qui fait de lui un pays dans le pays. Le manque de reconnaissance et d'investissement de l'État central bolivien ont fait naître une tradition autonomiste dans l'Orient, qui après une tentative d'intégration et « d'Orientalisation » du pays, est resurgit face au rejet violent de l'avènement du MAS.

C'est à cause de ce contexte que l'enseignement de l'histoire est devenu un enjeu primordial dans le contrôle politique et culturel de la région. Après avoir réprimé les tentatives de sécession, le gouvernement bolivien souhaite unifier sous une identité bolivienne avant de promouvoir l'identité régionale. Toute la force du projet politique d'Evo Morales réside dans cette subtilité. Tout en prétendant reconnaître les autonomies départementales dans son État Plurinational et promouvoir la régionalisation de l'éducation sous les traits d'un projet indianiste, Evo Morales applique dans les faits une politique très centralisatrice qui impose une culture dominante comme la culture indigène bolivienne : la culture aymara/quechua. Le gouvernement du MAS lutte contre les velléités séparatistes en enfermant les Orientaux dans un rôle de sécessionnistes et d'oligarques racistes, ce qui permet d'éviter les négociations pour l'établissement d'un fédéralisme, action aujourd'hui la plus entreprises par les élites orientales. Ainsi, le ministère de l'éducation peux rejeter tous les projets de programmes d'histoire régionalisés et rendre son enseignement le plus difficile possible en tout légitimé. Le but est de diffuser la nouvelle identité bolivienne et de faire oublier les identités régionales. D'un autre côté, les intellectuels autonomistes ou régionalistes ont investi le champ de l'enseignement de l'histoire comme nouveau terrain de lutte pour promouvoir le besoin de représentation et de pouvoirs départementaux de l'Orient. Cependant, les projets proposés par ces derniers sont souvent radicaux et incompatibles avec le projet national. La régionalisation de l'enseignement de l'histoire passe alors par les initiatives des enseignants et des intellectuels et directeurs engagés.

L'école « révolutionnaire » de la loi 070 est censée contribuer à une cohabitation pacifique et harmonieuse en Bolivie. Cependant, l'observation de cette éducation révèle que l'école est conservatrice et qu'elle reproduit les inégalités entre les classes sociales et ethniques. L'application d'une école nationaliste est particulièrement surveillée. Les actes civiques, le levé de drapeau et le chant de l'hymne national sont des activités hebdomadaires dans ces écoles. L'histoire nationale andine est bien plus connue par les élèves que l'histoire régionale et l'identité nationale a bien plus de sens et de profondeur pour les enfants que celle du département. Plus encore, les enfants apprennent une histoire andine et indigène qui est très éloignée de leur quotidien ou même de leur propre histoire. Dans la plupart des cas, ils apprennent le contenu des manuels scolaires qui est le même pour tout le pays, Santa Cruz ou les Guaranis sont donc présentés brièvement comme dans toutes les autres villes de Bolivie. Cependant, les enseignants détournent le contenu de la loi 070 selon leurs opinions personnelles, qui vont souvent à l'encontre du projet éducatif du MAS qu'il juge « indigénisant 411». L'école contribue donc à l'incompréhension et la distance entre le monde urbain et le monde rural, présentant les indigènes comme une sous-culture face à la modernité des urbains. L'école à Santa Cruz de la Sierra renforce donc les clivages sociaux et ethniques.

Dans la campagne proche de Santa Cruz, au village de Porongo, on trouve une école où s'applique le Curriculo Reginalizado Guarani (CRG). Ici, les populations circulent entre Santa Cruz et Porongo, les élèves vont systématiquement à Santa Cruz après leurs études, que ce soit pour aller à l'université

411 Entretien avec Piedades Parada, Enseignante de 6ème à l'école publique Warnes , avril 2017 « La educacion actual es una indigenizacion de la historia y de la sociedad. »

ou pour aller travailler. Ce village, qui tend à devenir une ville, correspond à un sas entre la ville et le monde rural profond. Et l'éducation le montre bien, entre éloge du progrès et de la modernité et entre valeurs guaranis412. Les habitants ne sont pas forcément guaranis, beaucoup sont métisses, de la ville, et d'autres sont de diverses origines indigènes. Cependant, le CRG est appliqué dans la région de Santa Cruz, ainsi que pour le Béni et Tarija, car il s'agit du peuple majoritaire en ce lieu et surtout le plus influent politiquement. La composante guarani de l'éducation et de l'histoire est ici reconnue, là où elle est absolument rejetée et oubliée à Santa Cruz. Cependant, l'histoire reste une histoire avant tout nationale, le CRG s'applique surtout pour l'enseignement moral et culturel plus qu'historique413.

Cette différence éducative marquée entre deux lieux pourtant proches interroge sur l'éducation dans le monde rural profond. L'enseignement de l'histoire est-il régionalisé chez les guaranis ? le CRG est-il aussi factice que la promesse d'histoire régionalisée ? L'éducation en milieu rural rapproche-t-elle les espaces ruraux du monde urbain ou comme c'est le cas pour l'éducation à Santa Cruz, accentue-t-elle les différences et l'incompréhension entre ces mondes. Finalement, comment cette éducation indigène est-elle reçue parmi les premiers concernés ?

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412 Directeur de l'école Hugo Banzer de Porongo, 5 mai 2017.

413 Directeur de l'école Hugo Banzer de Porongo, 5 mai 2017.

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PARTIE 3 : L'enseignement de l'histoire dans

le Bajo Isoso.

Chapitre I : L'autonomie indigène originaire paysanne de Charagua, l'autonomie guarani en Bolivie.

Tout comme les mesures éducatives qui reconnaissent les cultures et identités indigènes en Bolivie, la mise en place des AIOC sont la réponse à une longue tradition de demandes d'autonomie des populations indigènes. En effet, de l'indépendance de 1825 jusqu'aux années 1970, la participation politique des indigènes n'a existé qu'à travers des demandes autonomistes. Les causes de soulèvements indigènes sont presque tout le temps l'expropriation de leurs terres par des gouvernements peu favorables aux indigènes. Ainsi, des autonomies autoproclamées ont vu le jour, comme en 1920 avec le gouvernement communal de Jesus de Machaca. Cette autonomie indigène fut fondée lors d'un soulèvement de ces derniers et se solda par un massacre en 1921414. Avec la réforme agraire de 1952 qui met fin aux haciendas et redistribue les terres, les revendications deviennent plus identitaires que territoriales. Mais l'organisation syndicale du monde indigène rural permet de promouvoir la protection et les droits des indigènes sur leurs terres ancestrales jusqu'aux crises des années 2000 qui voient leur accession au pouvoir. Désormais, Evo Morales répond à ce long processus de demande d'autonomie territoriale. Ainsi, Jesus de Machaca qui avait jadis fait sécession par la violence est désormais dans le processus de transformation en AIOC.

Cependant, les AIOC posent certains problèmes. En premier lieu, la capacité juridique des AIOC inquiète. En effet, la justice indigène cohabite avec la justice nationale sans forcément respecter la loi et la constitution. Ainsi, cette justice indigène donne parfois lieu à des lynchages et des lapidations, surtout dans le monde andin415. Dans ces cas-là, les AIOC ne respectent pas la loi bolivienne dans laquelle la peine de mort a été abolie416.

Les AIOC promeuvent une ethnie en particulier, cette institution répond aux revendications identitaires et culturelles de certains peuples minoritaires. Ainsi, les Aymaras et les Quechuas sont minoritaires dans les projets d'AIOC car dans la conception d'Evo Morales, ce sont les modèles type des indigènes, ce sont les Boliviens. Leurs cultures et identités sont déjà garanties dans l'espace urbain andin et par le gouvernement du MAS. Les AIOC sont aussi des structures servant au gouvernement centralisateur.

Il s'agit d'une récompense attribuée aux foyers de soutien du MAS, comme le montre le fait que seulement 12 communautés furent autorisées à faire un référendum en 2010 pour avoir ce statut. De ce fait, une fois encore, les indigènes sylvestres d'Amazonie ne profitent pas des mesures déployées pour revaloriser et avantager les indigènes en Bolivie417. Ainsi, Le Béni, Le Pando ne présentent aucune AIOC. Plus encore, l'Orient ne présente que l'autonomie de Charagua qui est une AIOC Guarani, le seul peuple non andin bien considéré et important du fait de son histoire et de son poids démographique. Ainsi, les peuples orientaux sont eux aussi exclus de ces avantages. L'AIOC est une

414 TICONA ALEJO Esteban, Pueblos indígenas y Estado boliviano. La larga historia de conflictos, Gazeta de Antropologia, 2003.

415 AZCUI Mabel, La brutal justicia que atemoriza Bolivia, El Pais, 2010 in: https://elpais.com/diario/2010/06/11/internacional/1276207208_850215.html

416 Entretien avec Elise Gadea, chercheuse sur la justice communautaire, en charge de l'IHEAL en Bolivie, 17 mars 2017, La Paz.

417 Entretien avec Ana Evi Sulcata,sociologue de l'éducation, spécialiste travaillant pour les CEPO, 20 mars 2017, La Paz.

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nouvelle mesure permettant de favoriser les indigènes andins sur les autres indigènes.

D'autre part, le gouvernement promeut son action pour les indigènes avec les AIOC mais il lutte parfois pour empêcher la création de certaines AIOC, ces autonomies rendant l'exploitation aux ressources naturelles par l'État plus difficile418.

La victoire du non au référendum pour l'AIOC de Curahuara de Carangas s'explique par l'efficacité de la municipalité qui jouit d'une grande décentralisation et d'un fonctionnement efficace. Les AIOC sont parfois perçues comme un danger de balkanisation du pays, est certains partisans du MAS s'y opposent au nom de l'unité du pays, ce qui explique partiellement le manque de financement et de soutien à l'application de ces AIOC419. De ce fait, la mise en place des AIOC est lente. De telle manière que le référendum pour l'obtention du statut d'AIOC est reconduit en 2015 pour Totora et pour Charagua. Si le oui l'emporte à Charagua, qui devient la première AIOC effective, le non l'emporte a plus de 70% à Totora. Ce renversement de situation à Totora s'explique par l'aspect extrême du projet de gouvernement et lois pour l'AIOC de Totora420 . L'obligation du culte de Pachamama421 par exemple est un des principaux facteurs de défections des indigènes de Totora, majoritairement catholiques. L'opposition à l'autonomie indigène à Totora fut composée en majorité par les jeunes, les enseignants, les chrétiens et les indigènes établis en ville, qui voyaient en ce projet un « retour dans le passé dans une époque de modernité422». Enfin, les jeunes ne veulent pas travailler obligatoirement dans les champs et rejettent le système de pouvoir rotatif qui permettrait de diriger qu'à partir de 36 ans423. Les AIOC sont parfois critiquées comme une manière de stigmatiser l'indigène dans un projet idéaliste et impossible de retour aux origines, pour reproduire une situation semblable à avant la colonisation, sans prendre en compte les évolutions des identités indigènes dans la société actuelle424. Le manque d'effort du gouvernement, la désunion des institutions culturelles et politiques au sein des communautés et les projets considérés souvent comme trop extrêmes, expliquent qu'en 2018, seuls trois AIOC sont véritablement en place : l'autonomie guarani de Charagua à Santa Cruz, l'autonomie quechua de Raqaypampa à Cochabamba, et l'autonomie des Uru Chipaya qui porte leur nom, à Oruro. D'autres communautés désirent le statut d'AIOC et ce processus est en plein développement, dirigé par le ministère de l'autonomie indigène. Elles sont au nombre de 6 : Lomerío à Santa Cruz, Corque Marka à Oruro, le Territoire Indigène Multiethnique TIM-1 dans le Beni, qui offre un cas particulier intéressant, Cabineños dans ce même dernier département, Yuracaré à Cochabamba et Jatun Ayllu Yura à Potosí.

Cependant, le fait que 9 ans après le premier référendum, seulement trois communautés soient parvenues à devenir de véritables autonomies indigènes montre les difficultés pour y arriver et le manque d'investissement de l'État. Cela révèle aussi le contrôle de l'état sur ce processus. L'échec du projet extrême de Totora est révélateur que les AIOC ne représentent pas un danger de fragmentation du peuple et du territoire bolivien. Au contraire, l'État plurinational soutien les AIOC qui collaborent avec lui et s'en sert pour instaurer et de contrôler un système politique dans la ruralité profonde, comme le montre le cas de Charagua.

418 PORTUGAL MOLLINEDO Pukara, El último referendo: Revés autonómico indígena pachamamista en Totora Marka, Periódico Qollasuyu Bolivia Año 9 Número 111 2015

419 TOCKMAN Jason, La Construccion de Autonomia Indigena en Bolivia, 2017.

420 PORTUGAL MOLLINEDO Pukara, El último referendo

421 Pachamama est la divinité la plus importante dans les cultes andins, il s'agit de la terre mère.

422 PORTUGAL MOLLINEDO Pukara, El último referendo : « es retorno al pasado en tiempo de modernidad. »

423 Ibid.

424 Ibid.

Illustration 19: Les Autonomies Indigènes Originaires Paysannes en Bolivie

Carte de la Bolivie et des propositions d'AIOC instaurées par référendum le 4 avril 2010 (carte :Saint-Martin). 1 : Charagua (Guarani).= effective dès 2015

2: Huacaya (Guarani)

3: Tarabuco (Yampara)

4: Mojocoya (Mojocoya)

5: Chayanta (Charka qara qara)

6: Pampa Aullagas (Jatun killakas)

7: Salinas de Garci Mendoza (jatun kilka asanaquis)

8: Chipaya (Uru Chipaya) =effective dès 2018

9: San Pedro de Totora (Jach'a kaeangas) =annulée en 2015

10 : Jesus de Machaca (Urus de Irohito)

11 : Charazani (Kallawaya)

12 : Raqaypampa ( Raqaypampa) =effective dès 2018.

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I-A/ L'Autonomie guarani de Charagua.

Charagua est la première Autonomie Indigène Originaire Paysanne, instituée par la victoire du « si » à 55,66% au référendum le 20 septembre 2015. Il s'agit aussi de la plus grande et de la plus peuplée puisqu'elle s'étend sur 74 424 km2 et regroupe plus de 38 mille habitants425. Il n'existe pas beaucoup de travaux sur l'histoire de Charagua, sa colonisation fut très tardive et comme bon nombre de régions de l'Orient, les historiens boliviens ne connaissaient et ne s'intéressaient que très peu à l'Orient. Charagua se situe dans le Chaco, une grande région Sud-Américaine semi-aride et faiblement peuplée. Les paysages sont assez variés, allant du désert aux forêts très denses. Initialement, la région était peuplée d'indigènes arawak426, les Chané. Cependant, les Guaranis, à la recherche de la terre sans mal « Ivi Maraëi » en guarani, migrèrent de l'actuel Paraguay et du Brésil pour venir s'installer dans le Chaco Bolivien vers le XVème et le XVIème siècle, soumettant les Chané à l'esclavage et attaquant fréquemment l'empire Inca, au point que ce dernier bâtisse des fortifications aux limites des vallées427. Les Guaranis, initialement nomades chasseurs cueilleurs se mélangèrent aux Chané, se sédentarisant par l'agriculture. Le terme « Guarani », comme « Quechua » ou « Aymara », désigne un groupe linguistique, il existe de nombreux groupes différents de Guaranis. En Bolivie, il y en a cinq : les Yukis de Carrasco, à Cochabamba, les Tapiete de Gran Chaco à Tarija, les Siriono de Guarayos à Santa Cruz et de Cercado au Beni, les Guarayos à Santa Cruz et les Chiriguanos, le groupe le plus nombreux et présent un peu dans tout l'Orient et à Charagua et auquel le mot « guarani » est aujourd'hui rattachée en Bolivie. Parmi ces Chiriguanos, il existe trois groupes : les « Ava », les « Simba » et enfin les « Isoseños »428. Ce dernier groupe correspond au groupe le plus métisse entre Chanés et Guaranis, ils sont les moins nombreux. Les Guaranis s'organisent en sociétés patriarcales sans véritable chef. En effet, ils vivent en communautés allant de 50 à 1500 Guaranis, ils élisent une personne pour un an, le capitan, en guarani : tuvicha ou mburuvicha. Ce dernier ne gouverne pas la communauté, il doit être un chasseur, un mari et un père exemplaire, il préside les conseils hebdomadaires qui regroupent tous les hommes de la communauté afin de prendre les décisions suite à un débat. Il n'y a pas de hiérarchie ni de rôles, tous les hommes sont chasseurs, pêcheurs et guerriers429. Les Guaranis sont restés autonomes durant toute la période coloniale. Souvent considérés et représentés comme de farouches guerriers, ils lancent de nombreux raids sur les forces espagnoles et les indigènes soumis. Les conflits ne cessent pas avec la République bolivienne, ils s'accentuent même avec l'expansionnisme de la République dont les expéditions sont lancées depuis Santa Cruz de la Sierra. Finalement, les Guaranis ne perdent leur indépendance qu'en 1892 avec leur défaite lors de la bataille de Kuruyuki face aux soldats boliviens, qui se solde par un massacre de presque un millier de Guaranis et la mise en place d'un système d'hacienda particulier : le patronage430. Les terres des Guaranis sont distribuées à des « karai », c'est à dire des étrangers, des non Guaranis, des Boliviens. Chaque communauté indigène est mise sous la responsabilité d'un patron. Les Guaranis travaillent dans les champs contre de la nourriture et des vêtements431. Finalement, c'est dans ce lieu excentré et méconnue que se déroule l'événement initiateur de la création de la nation Bolivienne, la Guerre du Chaco. La région de Charagua se situe entre le Paraguay et la Bolivie, sans que la frontière soit précise, du fait du découpage approximatif des territoires lors de l'indépendance. De telle manière que le Paraguay invite des mennonites432 à fonder des colonies sur ces terres, ce qui lui permet de les

425 INE, Charagua, Ciudad Benemérita de la Patria, tiene más de 38 mil habitantes, Santa Cruz 2017.

426 Groupe linguistique venant des Antilles qui s'est diffusé dans l'Amérique du Sud vers 3000 avant Jésus Christ.

427 CAUREY Elias, Asamblea Del Pueblo Guaraní: Un breve repaso a su historia, Camiri, 2015

428 COMBES Isabelle, Etno-historias del Isoso Chané y chiriguanos en el Chaco boliviano (siglos XVI a XX), Fundación PIEB; IFEA Instituto Francés de Estudios Andinos, 2005.

429 CAUREY Elias, Asamblea Del Pueblo Guaraní: Un breve repaso a su historia, Camiri, 2015

430 COMBES Isabelle, Etno-historias del Isoso

431 Témoignages de nombreux anciens.

432 Les Mennonites forment un mouvement religieux extrême. Ils vivent dans une immense colonie proche de la ville de Charagua, ils suivent un code de vie religieux très stricte qui leur interdit d'utiliser la technologie ou encore de boire

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revendiquer. La population de Charagua se retrouve au coeur de ce conflit, la ville de Charagua est même prise par les Paraguayens. La lutte de la ville est honorée par le titre de « cité méritoire de la Patrie 433 ». La Guerre du Chaco est importante pour la construction de l'identité des Guaranis. En effet, d'une part ces derniers se sont battus pour la Bolivie et ont découverts des Boliviens indigènes ou non du reste du pays, mais surtout, le conflit a permis d'instaurer des frontières précises, permettant ainsi aux Guaranis de Charagua de s'identifier comme Guaranis boliviens434. Enfin, la municipalité de Charagua fut fondée en 1984 par le président Mariano Batista. Si les indigènes Guaranis furent colonisés bien plus tardivement que le monde andin, ils furent aussi libérés de l'asservissement bien plus tard. En effet, du fait des troubles politiques à Santa Cruz et de l'isolement des Guaranis, la réforme agraire du MNR en 1952 mettant fin aux haciendas ne s'applique pas aux Guaranis. Ainsi, ce n'est qu'à partir des années 1970, avec l'éducation des indigènes et leur syndicalisation que les Guaranis commencent à reprendre possession de leurs terres 435 . Cependant, il existe encore aujourd'hui des communautés vivant sous le contrôle de patrones, les indigènes sont désormais obligés d'être payés, mais ils le sont misérablement : les hommes touchent 15 Bolivianos par jour (soit à peu près 2 euros) et les femmes entre 7 et 10 Bs par jour436. Ainsi, 89% de la population est rurale dans la municipalité de Charagua et 70,4% sont pauvres.

I-B/ L'AIOC de Charagua, une entité qui permet de contrôler et de politiser les communautés Guaranis.

La perpétration du patronage, ajoutée à une culture et des moeurs préservés grâce à la colonisation tardive, font des Guaranis des grands acteurs des évolutions de la condition indigène en Bolivie. Ils se syndicalisent et manifestent activement pour la reconnaissance de la culture Guarani et des cultures indigènes à partir des années 1970.

Plus encore, face au racisme de Santa Cruz de la Sierra, les Guaranis ont soutenu activement le MAS et l'obtention du statut d'AIOC peut s'expliquer par la volonté de s'émanciper de la juridiction de Santa Cruz, peu favorable aux indigènes. Les Guaranis bénéficiaient aussi d'institutions unificatrices pour développer leur AIOC et leur projet autonome. Parmi ces institutions, la plus importante est l'Assemblée du Peuple Guarani (APG) fondée en 1987 à Charagua qui réunit les Guaranis de Bolivie et promeut leurs droits et revendications sur la scène politique nationale437.

Les Guaranis forment le seul NyPIOC non andin à avoir autant d'importance, les documents et infrastructures du gouvernement sont présentés en Espagnol, Aymara, Quechua et Guarani. Le MAS comme les Guaranis partagent souvent la même vision de valorisation des cultures indigènes, l'objectif de décoloniser le pays et les deux tirent profit de leurs coopérations. Ainsi, les intellectuels guaranis sont parmi les plus actifs dans la production de travaux universitaires sur leurs connaissances, organisation, culture et vision du monde. Cependant, ces efforts sont menés par une élite intellectuelle guarani tels qu'Elio Ortiz ou encore Elias Caurey qui ont été formés à l'université en ville et vivent souvent en milieu urbain, loin de la réalité de Charagua. La revendication de l'identité et de la culture guarani par ces derniers semble être instrumentalisée pour donner un crédit supplémentaire à leur travail, car dans les faits ils semblent tout à fait occidentalisés. Ainsi, lors d'un entretien avec Elias Caurey à La Paz, ce dernier vêtu en tenue urbaine occidentale, mastiqua quelques petites feuilles de coca avec distinction après avoir bu son café expresso. Cette consommation de coca est hautement

de l'alcool. Ils ne se mélangent pas avec les autres Boliviens et parlent un vieux dialecte Néerlandais.

433 « Ciudad Benemérita de la Patria »

434 Entretien avec Gumercindo Lizarraga, Capitan de Rancho Nuevo, le vendredi 12 mai 2017, Rancho Nuevo.

435 COMBES Isabelle, Etno-historias del Isoso Chané y chiriguanos en el Chaco boliviano (siglos XVI a XX), Fundación PIEB; IFEA Instituto Francés de Estudios Andinos, 2005.

436 Ministerio de la Presidencia, Viceministerio de Justicia, Pueblos Indigenas y Empoderamiento, C.C.CH., Defensor del pueblo, nicobis, 2005.

437 CAUREY Elias, Asamblea Del Pueblo Guaraní: Un breve repaso a su historia, Camiri, 2015

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symbolique mais bien éloignée de la mastication intensive et continuelle des Guaranis ruraux438. Le MAS met en avant dès qu'il le peut les intellectuels qui se revendiquent indigènes afin de montrer le succès de son projet.

La population se revendiquant guarani est passée de 81 011 en 2001 à 58 990 en 2012439. Il s'agit du 4ème groupe indigène le plus nombreux en Bolivie, après les Quechuas, les Aymaras et les Chiquitanos. Ainsi, le nombre de personnes s'auto-identifiant comme Guarani diminue, sans doute du fait de l'exode rural.

La Municipalité de Charagua est composée à environ 68% de personnes se revendiquant Guaranis440, elle présente une situation duale. Le monde rural est composé quasiment exclusivement de Guaranis et de Mennonites tandis que la ville de Charagua regroupe une population karai441 de métis et de créoles blancs. La ville de Charagua, d'environ 3000 habitant en 2001, est la plus grande ville et la capitale de la municipalité.

L'Autonomie Indigène est dirigée par 46 autorités du Gouvernement Autonome Guaraní Charagua Iyambae442 . Ils sont divisés en trois organes : Ñemboati Reta, le pouvoir de décision collective, Mborakuai Simbika Iyapoa Reta, le pouvoir législatif et enfin Tëtarembiokuai Reta, le pouvoir exécutif.

Ces représentants sont des Masistes qui veillent à favoriser les communautés masistes sur les autres. L'AIOC permet de mettre en place un réseau de clientélisme grâce à la redistribution des aides gouvernementales. Ainsi, la comparaison de deux communautés guaranis, l'une masiste et l'autre dans l'opposition, permet de constater des situations très différentes. La communauté de Rancho Nuevo, soutenant le MAS, dispose ainsi d'une grande école disposant des enseignants pour toutes les classes du primaire et du secondaire. Un enseignant de Physique Chimie venant de La Paz y fut assigné en 2017443 . Des responsables du gouvernement autonomes passent afin d'observer la situation, de communiquer avec le directeur et de payer des enseignants volontaires444.

Tandis qu'à Rancho Viejo, une communauté voisine du même nombre d'habitants mais opposée au MAS, ils ne disposent que d'une école délabrée avec quatre enseignants pour assurer les cours de préscolaire (équivalent de la maternelle) et pour les 6 années de primaire. Ici, le responsable de l'éducation, Richard Padilla, vient pour faire du chantage à la communauté et afin de rejeter les demandes de nouveaux enseignants445. L'éducation est un enjeu excessivement important dans ce milieu rural qui est utilisé comme moyen de récompense et de sanction par le gouvernement autonome pour favoriser les masistes sur les opposants politiques.

L'AIOC établie en 2015 est aussi un moyen de détourner une partie des 35 Millions de Bolivianos446 donnés par l'État pour tout l'AIOC de Charagua447 . Sur cette aide, le capitan de Rancho Nuevo regrette n'avoir vu aucune amélioration financière. Et pour cause, un réseau d'emplois fictifs s'est déployé avec l'AIOC. En effet, désormais, les capitanes arrivent à détourner l'argent mis à leur disposition pour la communauté comme en attestent plusieurs témoignages, tel que celui de l'enseignant Rolland ou celui des autorités de Rancho Nuevo448. L'AIOC a élu des capitanes grandes pour le Bajo isoso et l'Alto Isoso, mais ceux-ci ne sont pas reconnus par les habitants qui veulent les élire eux même. Il y a donc quatre capitanes grandes, et presque toutes les communautés possèdent

438 Entretien avec Elias Caurey, sociologue guarani, membre du CEPOG,17 mars, au café, Sopocachi, La Paz.

439 INE, Censo Nacional de Población y Vivienda 2001 y 2012, Resultados Finales, La Paz, 2013.

440 INE, Censo Nacional de Población y Vivienda 2012, Resultados Finales, La Paz, 2013.

441 Karai est un mot guarani qui signifie l'étranger, le non-guarani d'un point de vue ethnique.

442 Gobierno de la Autonomía Guaraní Charagua Iyambae

443 Entretien avec le directeur de l'école et avec Guido Mamani, nouvel enseignant du secondaire à Rancho Nuevo d'origines aymaras. Mardi 16 mai 2017, Rancho Nuevo.

444 Observations et entretiens avec l'enseignante Ruth le jeudi 11 Mai 2017, à l'école de Rancho Nuevo.

445 Observations de la réunion parents professeurs et entretiens avec l'enseignante Naderlinda Salses et le notable « Quitito », Rancho Viejo, mai 2017.

446 ? 35 Millions de BS équivaut à presque 4,2 Millions d'euros.

447 Entretien avec Gumercindo Lizarraga, Capitan de Rancho Nuevo, le vendredi 12 mai 2017,à son domicile, Rancho Nuevo.

448 Rolland, Naderlinda, Ruth, autorité de Rancho Nuevo, Capitan de Rancho Nuevo.

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désormais deux capitanes, un du peuple et un de l'AIOC, ces capitanes de l'AIOC occupent en fait un poste factice afin de détourner une portion de l'argent distribué aux communautés isoseñas. Les Isoseños essayent de communiquer avec le gouvernement autonome, mais ils n'y parviennent pas, ce dernier s'avérant peu ouvert449. Ce fonctionnement pourrait expliquer la richesse et la fermeture à mon égard du capitan de Rancho Viejo450. Certains Isoseños reprochent souvent aux élites dirigeantes du gouvernement autonome d'être incompétentes et cupides. Le cas du responsable de l'éducation du Bajo Isoso en est un bon exemple. Celui-ci est bien plus riche que ses voisins comme en atteste ses possessions (plusieurs chevaux, une voiture, deux motos), mais aussi son incompétence et son inaction, attestée par les autorités de Rancho Nuevo qui disent le connaître seulement de nom, celui ne traitant qu'avec certaines personnes, refusant de participer aux conseils451. Lors de mon entretien avec celui-ci, il avait de grandes difficultés à répondre à mes questions techniques ou de statistiques, ne semblant que peu connaître la situation éducative et maîtrisant très peu l'espagnol452. La distance entre son discours prônant les valeurs guaranis dont la générosité et sa cupidité fut démontrée lorsqu'il me demanda une somme d'argent exorbitante453 pour payer le transport de Charagua au Bajo Isoso, là où les Isoseños ne me demandaient jamais de l'argent lorsqu'ils m'offraient à manger ou un lieu où dormir. De nombreux Isoseños dénoncent le fait que les responsables de l'AIOC soient des personnes maîtrisant la parole, des démagogues plutôt que des techniciens compétents dans leur assignation. L'AIOC a introduit une structure politique dans la région de Charagua. Ainsi, l'AIOC de Charagua permet la mise en place d'un projet politique et social indigène tout en établissant un réseau de clientélisme pour s'assurer le soutien de ce grand groupe au MAS.

La situation éducative dans l'AIOC de Charagua est mauvaise. Elle révèle une moyenne d'année scolaire de 7,3 ans et 34% de la population ne sont pas allés au-delà du secondaire454 . Cependant, sur le plan de l'éducation, la structure de l'AIOC a permis la mise en place d'un projet Guarani, animé par l'Assemblée du Peuple Guarani et par Le conseil Éducatif du Peuple Originaire Guarani (CEPOG455) instauré par l'APG en 1997. L'application de l'éducation Interculturel et Bilingue et l'incorporation d'éléments qui permettent l'analyse de l'histoire régionale font partie des priorités des efforts sur l'éducation pour l'APG. L'éducation revêt une importance première dans le projet Guarani,d'autant plus l'éducation de l'histoire. Le CEPOG présente l'éducation comme « le bras idéologique de tout l'ensemble de l'APG, qui illumine le chemin de la vérité avec la connaissance de notre histoire nationale, régionale, proche et communale 456».

449 Entretiens avec les Autorités de la communauté. Le jeudi 11 mai 2017, sur la route principale, Rancho Nuevo et avec Gumercindo Lizarraga, Capitan de Rancho Nuevo, le vendredi 12 mai 2017,à son domicile, Rancho Nuevo.

450 Entretien avec Marcelo Segundo, capitan de Rancho Viejo, mardi 16 mai 2017.

451 Entretiens avec les Autorités de la communauté. Le jeudi 11 mai 2017, sur la route principale, Rancho Nuevo

452 Entretien avec Richard Padilla, responsable de l'éducation dans le Bajo Isoso. Mardi 9 mai 2017, durant le chemin vers le Bajo Isoso.

453 Il me demanda 600 Bolivianos, soit presque 75 euros pour un trajet qui coûte 30 Bolivianos ( 3,5 euros) en taxi.

454 INE, Charagua, Ciudad Benemérita de la Patria, tiene más de 38 mil habitantes, Santa Cruz 2017.

455 Consejo Educativo del Pueblo Originario Guarani

456 CNC CEPOs, 2016 : http://www.cepos.bo/cepog/ :« Es el brazo ideológico de todo el conjunto de Asamblea del Pueblo Guaraní, que alumbra el camino de la verdad, con el conocimiento de nuestra historia nacional, regional, zonal y comunal. »

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Chapitre II- L'enseignement de l'histoire dans un territoire enclavé, le Bajo Isoso.

II-A/ Les communautés guaranis Isoseños de Rancho Nuevo et de Rancho Viejo.

Afin d'étudier l'enseignement de l'histoire en milieu rural, l'étude d'une communauté Guarani, permet d'observer l'application de l'éducation de la loi 070 parmi un peuple acteur de cette politique éducative. Plus encore, cela permet de faire une comparaison entre la situation d'indigènes en milieu urbain où ils forment une part de l'histoire locale, à Santa Cruz et dans leurs terres ancestrales. D'autre part, les Guaranis proposent une situation intéressante puisqu'ils ne sont pas Andins, mais font tout de même parti des NyPIOC les mieux représentés et considérés dans le discours national. L'enseignement de l'histoire locale et nationale dans ce contexte est donc très intéressant. L'AIOC de Charagua permet d'observer l'application la plus profonde du projet de revalorisation de la culture indigène actuellement en place en Bolivie, disposant théoriquement d'une plus grande liberté sur le plan de l'éducation457. Lors d'un séjour de cinq jours à la ville de Charagua, j'ai essayé d'observer et de comprendre la situation de la ville et de l'éducation, en interrogeant le directeur de l'école de Fe y Alegria, le Curé de Charagua, et certains enseignants présents lors de défilés et actes civique en l'honneur, entre autre, de Fe y Alegria, de la journée contre le racisme et la discrimination et lors de jeux plurinationaux, qui se déroulaient dans les deux lieux centraux de la ville : la place principal et le stade.

Charagua est une ville située à 6 heures de voiture vers le Sud de Santa Cruz, reliée à cette dernière par le train et par une route de terre. Elle dispose de toutes les infrastructures nécessaires, de l'électricité et de l'eau courante et même d'internet. Elle est peuplée de métis, de créoles, de Guaranis et les Mennonites la fréquentent souvent pour commercer et acheter des denrées qu'ils ne produisent pas, du fait de leur mode de vie particulier. La ville de Charagua présente trois écoles, deux écoles religieuses, dont un établissement de Fe y Alegria et un établissement public. Il n'y a pas d'établissement privé dans le monde rural458. La ville de Charagua dispose de bonnes infrastructures pour une si petite ville. L'école de Fe y Alegria, qui regroupe environ 400 élèves, dispose ainsi d'une petite bibliothèque dans chacune de ces classes. Ces livres viennent des dons des parents, de l'État et des productions bilingues et interculturelles de la réforme de 1994. Le PSP ici met en place une prévention contre la pollution et pour la propreté. La plupart des enseignants viennent de la municipalité, ils furent formés à l'école normale de Camiri459. Comme à Santa Cruz, tous les lundis commencent par un acte civique, avec le chant de l'hymne national et la levée du drapeau. Le curé participe aussi à l'éducation460 en organisant des sermons dans la cour de l'école, encadré de porteurs du drapeau national, ici il n'y a pas de drapeau régional461. Ainsi, la situation éducative dans la ville de Charagua est relativement proche de celle de Santa Cruz. Charagua centralise les aides et avantages de l'État pour la municipalité, profitant de son statut de chef-lieu.

Ce séjour fut surtout nécessaire pour acquérir les autorisations afin de me rendre dans les

457 MORALES Evo, Constitución Política del Estado , El Alto, 2009.

458 Entretien avec le directeur du district de Charagua, Hubert Julio Tejerina Toledo, le lundi 8 Mai, Charagua et PEREDO VIDEA, Rocío de los Ángeles. Estado de la educación primaria en Bolivia en cifras e indicadores. Revista de Psicologia, La Paz , n. 9, p. 9-26, 2013 .

459 Entretien avec le Directeur de l'école 14 de abril de Charagua. Mardi 9 mai 2017, dans son bureau, Charagua.

460 Entretien avec le curé de Charagua, mardi 9 mai 2017, dans l'église de Charagua, Charagua.

461 Observation de l'Acte civique pour l'anniversaire de Fe y Alegria, Ecole 14 de Abril mardi 9 mai 2017, Charagua.

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communautés indigènes et de pouvoir observer dans leurs écoles. L'AIOC de Charagua se divise en quatre zones : Charagua centre, Charagua Norte, Charagua Sur et l'Isoso. Selon Isabelle Combes et certains membres du gouvernement autonome de Charagua, la culture et les moeurs guaranis étaient le mieux préservés et appliqués dans l'Isoso462 . Bien que méfiant de mon travail, puisqu'ils me demandèrent un rapport après mon séjour, la section du secteur Isoseño du gouvernement autonome de Charagua me permit de me rendre dans deux communautés guaranis du Bajo Isoso : Rancho Nuevo et Rancho Viejo.

L'Isoso correspond au lieu d'habitation des Guaranis Isoseños, concentrés sur les rives du fleuves Parapeti au Nord-est de Charagua. Cette région fut découpée pour des raisons administratives en deux zones : le Bajo Isoso et l'Alto Isoso. Mais ces deux zones ne présentent pas de différences particulières. Ces communautés se sont installées le long du fleuve car ce sont seulement dans ces rivages sylvestres que les terres sont assez fertiles pour pratiquer la culture du maïs, du riz et du manioc, bases de leur alimentation. L'élevage constitue l'autre activité pour s'alimenter et pour le commerce. La chasse et la pêche sont deux activités traditionnelles que les hommes pratiquent toujours afin de subvenir à leur alimentation. Enfin, chaque année, les hommes se rendent dans les campagnes de Santa Cruz afin de récolter la canne à sucre, afin d'acheter ce qu'ils ne produisent pas463. Les Isoseños sont une dizaine de milliers de personnes464. Ils ne présentent pas forcément une unité ethnique, de tous les Guaranis, ce sont les plus métissés avec les Chanés465. Isabelle Combes va plus loin en présentant les Isoseños comme « les descendants des Chané « guaranisés » 466» qui se seraient réfugiés dans l'Isoso. Ceci explique leur déconsidération auprès des Guaranis Avas qui les appellent « Tipii , c'est à dire « esclaves ». Ils sont majoritairement indigènes, bien que certains soient métisses et plus rarement, blancs. Il existe des fermes ou des communautés uniquement habités par des métis, descendants de colons, c'est le cas de Saint-Sylvestre467. Ces derniers sont souvent des grands éleveurs. Les Guaranis sont organisés en capitaineries, ils élisent un capitan tous les ans. Il n'y a pas vraiment de hiérarchie, seulement des seconds au capitan, des « autorités » de la santé, de l'éducation, du commerce. Il existe un capitan grande, élu pour un temps relatif par l'assemblée de tous les capitanes. Il y a donc deux capitanes grandes, un pour le Bajo Isoso et un autre pour l'Alto Isoso. La Capitania del Alto y Bajo Isoso (CABI) défend les intérêts des Isoseños auprès de l'APG et de Santa Cruz. Ainsi, l'Isoso devint en 1994 le premier district municipal indigène du pays.

Iyambae signifie à la fois « terre sans mal », mais aussi la terre des Isoseños libres, sans maîtres . Ce concept central dans les valeurs guaranis, qui peut être comparé au « vivir bien » des andins, explique l'importance de ne pas avoir de patrones et de posséder la terre. Les Isoseños en servitude ne sont plus véritablement des Isoseños, car ils n'ont plus la Iyambae.

462 Entretien avec Isabelle Combes, anthropologue spécialisée sur les Guaranis, avril 2017, Santa Cruz.

463 Entretiens avec Don Romelio Choipa Soria, Président de la junte scolaire. Mardi 16 mai 2017, à son domicile, Rancho Viejo.

464 Ils sont 9000 selon le recensement de 1999 et 11 000 selon le capitan de Rancho Nuevo.

465 COMBES Isabelle, Etno-historias del Isoso Chané y chiriguanos en el Chaco boliviano (siglos XVI a XX), Fundación PIEB; IFEA Instituto Francés de Estudios Andinos, 2005.

466 Ibid: « son los descendientes de chané, «guaranizados» »

467 Observations et COMBES Isabelle, Etno-historias del Isoso Chané y chiriguanos en el Chaco boliviano (siglos XVI a XX), Fundación PIEB; IFEA Instituto Francés de Estudios Andinos, 2005.

Illustration 20: Les communautés guaranis Isoseños.

Le Bajo Isoso et l'Alto Isoso regroupent un ensemble de communautés guaranis installées le long du fleuve Parapeti. Les communautés de Rancho Nuevo et Guirapembi (Rancho Viejo) symbolisées respectivement par une étoile bleue et une étoile rouge, se trouvent à la frontière entre les deux zones ( COMBES Isabelle, Etno-historias del Isoso Chané y chiriguanos en el Chaco boliviano (siglos XVI a XX), Fundación PIEB; IFEA Instituto Francés de Estudios Andinos, 2005.) .

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L'histoire des communautés ici présentée, est détenue par les « anciens » qui la transmettent par tradition orale468. Les anciens détiennent un statut particulier dans les sociétés guaranis ? Il s'agit des hommes âgés, ils ne travaillent plus et sont entretenus par leurs descendants. Il s'agit des personnes les plus respectés qui sont censés détenir une sagesse et donc une légitimité pour être écouté lors des conseils. Le récit suivant fut raconté par le capitan de Rancho Nuevo Gumercindo Lizarraga et par Don Elinar de Rancho Viejo.

Rancho Viejo, ou de son ancien nom Guirapembi est une grande communauté d'environ 510 habitants, constituée presque exclusivement de Guaranis Isoseños. Les Guaranis de cette communauté ne sont sortis du patronage qu'en 2005, en rachetant à leur dernier patron le titre de propriété des terres. En 1969, les terres attribuées aux Guaranis de Guirapembi pour leur productions vivrières par leur patron étaient trop restreinte. Face à cette situation, une partie de la communauté a décidé de quitter Guirapembi et de s'installer ailleurs. C'est ainsi que cinq familles fondèrent Rancho Nuevo, aujourd'hui peuplé d'environ 500 personnes, sur la rive opposée du fleuve Parapeti. Ces deux communautés présentent donc une situation extrêmement intéressante à observer. Elle révèle l'évolution différente d'un même peuple. D'un côté, à Rancho Viejo, isolée du reste du monde par le fleuve Parapeti, les Guaranis ont préservé leurs activités. Le travail au Chaco : leurs parcelles agricoles sylvestre le long du fleuve Parapeti, mais aussi la chasse, la pêche et la capture de perroquet. La fin de leur soumission à un karai étant récente, ils ont un rapport bien moins ouvert envers les karai ou les étrangers. En effet, au-delà du statut de « karai », il y a aussi celui du « gringo », l'étranger blanc d'un autre pays qui n'est pas forcément présent dans le reste du pays. Une méfiance et du mépris lui est adressé à la place d'une curiosité et d'une admiration à Rancho Nuevo. A l'inverse, à Rancho Nuevo, la communauté s'est bâtie sans Patron, et plus encore, ils sont situés sur une autre grande route qui relie les communautés entre elles et qui mène de Charagua à Santa Cruz de la Sierra. Ces Guaranis sont donc habitués aux passages de gens extérieurs et commercent beaucoup avec ces deux villes et avec les Mennonites. Là où le cheval est de rigueur pour traverser le fleuve et se déplacer dans la forêt et les déserts à Rancho Viejo, il est remplacé par la moto à Rancho Nuevo. Ces deux communautés présentent donc deux situations différentes vis à vis de l'influence des rapports avec le monde extérieur.

Pour ce qui est des moeurs et du fonctionnement social, les deux communautés sont semblables. Le travail communautaire existe dans les deux communautés, afin de répondre aux besoins de la communauté. Il n'y a pas de notion de propriété terrienne. La terre et le bétail sont possédés collectivement par la communauté, et tout le monde s'en occupe. Il s'agit des économies de la communauté, ils peuvent être vendus en cas de besoin d'argent pour financer un projet ou répondre à une crise. De grands troupeaux de chèvres et de poules sont laissés en liberté, menacées seulement par les prédateurs naturels. Cependant, un projet de développement du gouvernement d'Evo Morales a été mis en place en 2006 et abouti en 2009 à Rancho Viejo469. Il s'agit de la fabrication d'un corral et de la distribution de cinq vaches à chaque habitant. La gestion de ces vaches par les uns et les autres ont développé l'apparition d'un système capitaliste, avec l'enrichissement des uns sur l'appauvrissement des autres. Ainsi, les notions d'individualité et de propriété sont plus marquées à Rancho Viejo qu'à Rancho Nuevo. La générosité et l'hospitalité sont bien moins présentes à Rancho Viejo, en faveur de la recherche du gain470.

468Entretiens avec Don Elar Medina, doyen de l'histoire, métisse mais originaire de la communauté. Mercredi 17 mai 2017, à son domicile, Rancho Viejo et Gumercindo Lizarraga, Capitan de Rancho Nuevo, le vendredi 12 mai 2017,à son domicile, Rancho Nuevo.

469 Entretien avec Don Romelio Choipa Soria, Président de la junte scolaire. Mardi 16 mai 2017, à son domicile, Rancho Viejo et plaque à l'honneur du financement par Evo Morales.

470 Observations comparatives entre les deux communautés, mai 2017 : observations récurrentes de demande d'argents pour un service à Rancho Viejo là où a Rancho Nuevo cela était offert et même honteux de demander de l'argent.

Illustration 21: Plan de Rancho Viejo.

Plan de Rancho Viejo, le terrain de jeu, l'école et l'arbre du conseil se trouvent souvent au centre de la communauté. Les familles se regroupent en quartiers, dès que des jeunes se marient, ils construisent une maison à côté de la famille de la femme (Plan:Saint-Martin).

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Les deux communautés ne disposent ni de l'électricité, ni du réseau internet, ni de l'eau courante, seulement de réservoirs d'eau et des moteurs à essence pour générer de l'électricité qui servent à alimenter occasionnellement le terrain de sport, l'église ou l'infirmerie. La religion est omniprésente dans ces communautés. Les deux présentent une forme de syncrétisme entre les croyances anciennes, basés principalement sur le respect des esprits de la nature, de la forêt, du fleuve et entre l'évangélisme, grandement majoritaire dans ces communautés. Cependant, la religion est presque absente de l'éducation à Rancho Nuevo et à Rancho Viejo, il n'y a ni prières, ni remerciement à Dieu, ni morales religieuses, qu'elles soient chrétiennes ou animistes. La société Isoseña est très patriarcale, les hommes mangent souvent avant les femmes. Ces dernières sont assignées à la maison pour y effectuer les tâches ménagères tandis que les hommes travaillent au Chaco, va à la pêche au filet selon la tradition et à la chasse471.

Illustration 22: L'habitat guarani.

Les Guaranis vivent dans des maisons faites de terres séchées et de tôles, disséminées aléatoirement sur un vaste territoire le long de la route ou autour de l'école et de l'église. Ici, des habitations de la communauté de Rancho Nuevo, mai 2017. (Photo : Saint-Martin)

Pour essayer de comprendre la vie et l'éducation en science humaine dans ces deux communautés je suis resté une semaine du 9 mai au 16 mai 2017 à Rancho Nuevo et 8 jours du 16 mai au 24 mai 2017 à Rancho Viejo. Les observations se sont déroulées dans l'unique école de Rancho Nuevo et dans l'unique école de Rancho Viejo. Après avoir été mené par le responsable de l'éducation

471 Observations à Rancho Nuevo et Rancho Viejo, mai 2017.

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dans le Bajo Isoso au directeur de la junte scolaire de Rancho Nuevo, ce dernier m'a présenté au principal qui m'a lui-même introduit auprès des enseignants de 5ème et 6ème année de primaire. Comme précédemment, je me suis concentré sur les classes de 5ème et de 6ème car ce sont les cycles qui présentent le plus de contenu historique. L'aide du directeur m'a permis d'avoir un entretien semi dirigé durant une heure avec l'enseignante guarani originaire de Rancho Nuevo, Ruth Gomez Parra dès le mercredi 10 mai. Ce premier entretien avait pour but d'avoir une vision générale de l'éducation à Rancho Nuevo et d'acquérir le point de vue d'une enseignante locale sur les différentes politiques éducatives depuis 1994, mais aussi d'organiser les séances de la semaine. J'ai eu ensuite de nombreuses occasions d'avoir des entretiens libres avec cette dernière tout au long de la semaine à son logement de fonction, à proximité de l'école. Elle me permit aussi de consulter ses sources : le manuel scolaire multitexto El Pauro de 2005, un dictionnaire des indigènes et surtout les vidéos misent à disposition par l'État pour enseigner l'histoire.

Certains seconds du capitan, appelés « autorités » sont venus vers moi pour m'informer des problèmes politiques dans l'Isoso le jeudi 11 mai, cette conversation dura une demie-heure. J'ai mené un entretien avec le capitan Gumercindo Lizarraga le vendredi 12 mai à la fois pour le questionner sur sa fonction et sur les décisions en matière éducative mais aussi pour l'interroger en tant qu'ancien sur l'évolution de la situation à Rancho Nuevo durant plus d'une heure. Le samedi 13, j'ai assisté à une soirée organisée par Benjamin à l'église pour les jeunes, l'église joue un rôle éducatif aussi. Afin d'en apprendre plus sur la participation des parents dans l'éducation, j'ai mené un entretien semi dirigé avec le président de la junte scolaire, Luiz Romero le dimanche 14 mai.

J'ai assisté à la réunion décisionnelle hebdomadaire afin d'observer le système politique et comment les questions éducatives étaient abordées, d'abord introduites par Luiz Romero puis discutées par l'enseignant de 5ème au village voisin, Tamachindi, Teofilo Ibanez Cuellar. J'ai pu mener un entretien semi dirigé puis libre avec celui-ci le jour même.

Je suis allé interroger le nouvel enseignant d'origine aymara Guido Mamani, afin d'en apprendre plus sur les assignations de postes et l'adaptation pour un indigène andin dans ce milieu guarani lors d'un entretien libre le lundi 15 mai.

Enfin, j'ai souhaité rencontrer des anciens, afin de constater le rapport des autres membres de la communauté avec ceux-ci et les questionner sur leurs connaissances historiques et l'évolution de la situation. J'ai souhaité rencontrer le doyen de l'histoire, Don Nazario, mais celui-ci ne fut jamais présent. J'ai réussi à communiquer avec l'ancien Cecilio Coueya, mais celui-ci étant sourd, l'entretien fut fastidieux et peu productif.

Enfin, mes ultimes entretiens à Rancho Nuevo furent avec l'enseignant de 5ème Rolland et sa femme, enseignante d'Histoire en secondaire, le lundi 15 mai. L'entretien libre avec cette dernière fut bien plus informatif que l'entretien semi dirigé avec Rolland. Ce dernier m'a invité à l'accompagner à la pêche avec lui et son frère pêcheur, une activité traditionnelle. Loin du contexte de la communauté et de l'école et sous l'effet de l'alcool et de la drogue, Rolland me donna des informations nouvelles et très intéressantes.

Enfin, les dernières personnes interrogées à Rancho Nuevo furent la jeune aide-soignante Eldy Puellar Carillo, en stage à Rancho Nuevo et l'enseignant Eliso Romero originaire du Charagua Sud.

A l'école de Rancho Nuevo, j'ai eu l'occasion de mener des observations à 5 séances. Une séance de deux heures de la classe de 5ème pour un cours de « communication et langage » qui s'appuyer sur la lecture et l'analyse d'un conte en espagnol : Le rat et le lion, puis le travail sur un conte en Guarani. La même journée, j'ai observé la séance de deux heures de la classe de 6ème de « communication et langage » également. Cette séance, basée sur le manuel El Pauro, abordait les différents moyens de communication.

Le jeudi 11 mai j'ai de nouveau observé une séance de 6eme d'art qui consistait à la visite d'une tisserande afin d'en apprendre l'importance et la technique. Je n'ai pu que suivre une heure de la séance des 5èmes sur l'écriture du conte en Guarani puisque toutes les leçons étaient interrompues à 11 heure pour rendre visite à la famille de l'enseignant d'EPS Benjamin, qui avait perdu sa Tante dans la nuit. Ce fut l'occasion d'assister à l'importance donnée aux valeurs guaranis et aux syncrétismes religieux dans les rites funéraires.

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Enfin, la dernière séance fut observée le vendredi 12 mai pour une séance de 4 heures où la matière enseignée fut les sciences sociales suite à ma demande répétée auprès de Ruth. J'avais demandé à un habitant du village de me servir de traducteur, afin de comprendre les échanges en guarani sans perturber le déroulement de l'enseignement. La séance présente les valeurs guaranis et leur importance puis le visionnage d'une vidéo étatique sur la conquête de l'Amérique. Cette séance fut pour moi l'occasion de faire un entretien dirigé avec les élèves de la classe de 6ème. Mes questions étaient les suivantes :

- Êtes-vous fier d'être Guarani ? D'être Bolivien ? Vous ressentez vous plus l'un que l'autre ?

- Connaissez-vous l'histoire des migrations guaranis ?

- Connaissez-vous Kuruyuki ?

- Savez-vous ce qu'est un patron ?

- Qu'est-ce que la Guerre du Pacifique ? Et la Guerre du Brésil ?

- Citez-moi certains personnages historiques célèbres.

- Citez-moi certains événements historiques.

- Citez-moi d'autres peuples originaires.

- Connaissez-vous Charagua ? Santa Cruz ?

- Où préféreriez-vous vivre ?

- Selon vous, quelle est l'utilité de l'histoire ?

- Pouvez-vous me citer d'autres peuples boliviens ?

- Pouvez-vous me citer un pays Européen ?

- Vous souhaitez vivre en ville ou à la campagne ? Connaissez-vous Santa Cruz ? La Paz ?

- Qui sait tisser ? Chasser ? Pêcher ?

Enfin, tout au long de mon séjour à Rancho Nuevo je me suis rendu chez plusieurs familles afin de partager un repas, de mener un entretien ou simplement de discuter. La famille de l'enseignante Ruth et la famille de l'enseignant d'EPS Benjamin, la famille du responsable de la santé César, la famille du Capitan Gumercindo Lizarraya, la famille de l'enseignant de 5ème Rolland, la famille de Don Jamy, l'époux d'une tisserande et la famille d'un ancien ayant fait office de traducteur, la famille de l'enseignant de 5ème à Tamachindi Teofilo Ibanez Cuellar et finalement, mes hôtes composés d'un couple, de trois enfants et d'une femme célibataire.

A ces occasions, je pouvais mener des entretiens libres sur des sujets très diversifiés avec les anciens et les hommes. En effet, les femmes et les enfants étaient malheureusement très fermées. Ce dernier point fut un problème majeur pour l'accomplissement de mes observations. En effet, peu de femmes acceptaient de me répondre, exceptées mes hôtes. De plus, les enfants, malgré toutes mes tentatives plus ou moins ludiques, refusez de me répondre à cause de la honte de leur maîtrise de l'espagnol et par peur ou défi envers moi. Ils furent intimidés par moi et parfois honteux. Du fait, selon le capitan de Rancho Nuevo472, du manque d'amour propre lié à leur ethnie face à l'ethnie blanche dominante, il me fut impossible de communiquer directement avec eux. Face à cet échec, j'ai interrogé Denar Mendez, le fils aîné de mes hôtes, âgé de 16 ans lors d'un entretien semi dirigé sur son éducation, ses connaissances et son opinion sur les nouvelles générations.

A Rancho Viejo, la situation était moins propice aux observations. D'une part parce que la population était moins ouverte et moins hispanophone mais aussi parce qu'il y avait qu'une même enseignante pour les classes de 5ème et 6èmes qui étaient regroupées en une seule même classe mixte. De ce fait, j'ai eu, là aussi de nombreuses occasions de discuter avec l'enseignante de cette classe, une créole de Charagua, Naderlina Salses Cortez qui est aussi la directrice de l'école de Rancho Viejo. Cette dernière, m'a permis de rencontrer ses deux soeurs, son frère, ses deux neveux et sa mère à Charagua et dans l'Isoso, ces derniers approvisionnant les épiceries du Bajo Isoso de denrées de Santa Cruz. Sa soeur Maria était aussi enseignante. Ils m'invitèrent à une fête à la communauté métisse de San Silvestre. Ce fut l'occasion d'observer les relations interethniques dans le Bajo Isoso.

Mon autre interlocuteur privilégié était mon hôte, Don Romelio Choipa Soria, un ancien et le

472 Gumercindo Lizarraga, Capitan de Rancho Nuevo, le vendredi 12 mai 2017, à son domicile, Rancho Nuevo.

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président de la junte scolaire. Ce dernier me présenta le doyen de l'histoire de RV, Don Elar Medina, un créole se considérant comme Guarani qui s'était intéressé à l'histoire guarani. Lors de mon entretien avec le capitan Marcelo Segundo, celui se montra très peu coopératif. Comme précédemment, j'ai interrogé des anciens comme Don Santiago Choipa lors d'un entretien semi dirigé. J'ai interrogé tous les autres enseignants de primaire de l'école, Gloria Romero Soria et Roberto Arriafa Barrientos. J'ai essayé de me rendre compte de l'état de connaissance et l'aperçu sur les différentes éducations à Rancho Viejo de deux jeunes de 19 et 22 ans, Fidel Ety et Marcelo Segundo Ety. Finalement, j'ai interrogé un jeune notable diplômé, Miguel Antonio Sanchez Vaca. J'ai également essayé d'interroger sa soeur, sans succès, du fait de la pression de sa mère et de son autre soeur.

A Rancho Viejo, je n'ai pu observer que trois séances à cause de l'absence de l'enseignante les deux premiers jours. La séance de 4 heure le vendredi 19 traitait des contes guaranis dans le cadre de l'enseignement « communication et langage. ». Ce fut aussi pour moi l'occasion de consulter les cahiers des élèves. Le lundi 22 mai, la séance reprend l'enseignement sur les contes puis Naderlina organisa une réunion parents/professeurs pour organiser la fête des mères. La séance du mardi 23 de sciences sociales enseignait la géographie locale à travers des mythes et histoires isoseñas. Malgré un bien meilleur contact avec les enfants qu'à Rancho Nuevo, je n'ai pas réussi à parler avec eux autrement que par un entretien dirigé. J'ai reposé les mêmes questions qu'à Rancho Nuevo en rajoutant des questions géographiques : j'ai dessiné une carte du monde au tableau et demandé à des élèves de situer la Bolivie, le Bajo Isoso, l'Espagne, l'Afrique et l'Inde.

II-B/ La réinvention d'une histoire et d'une identité Guarani pour l'unification de Charagua dans le contexte Isoseño.

L'histoire Isoseña est assez méconnue, surtout avant la seconde moitié du XIXème. Heureusement, le travail d'Isabelle Combès : ETNO-HISTORIAS DEL ISOSO, Chané y chiriguanos en el Chaco boliviano (siglos XVI a XX), réalisé en 2005 et basé sur le recueil de traditions orales guaranis et de documents boliviens, permet de connaître un peu cette histoire.

Isabelle Combès met en avant qu'il est réducteur d'appeler le peuple Isoseño « Guarani », car leur histoire et ethnie sont intimement liées avec les Chané. L'histoire coloniale est une histoire d'isolement, de rares contacts avec des explorateurs. L'histoire républicaine reste assez floue, du fait de la position frontalière de l'Isoso et de sa colonisation tardive. L'arrivée des karai à Isoso commence par celle d'éleveurs de bovins vers 1858. Puis l'armée intervient afin de garantir la réalisation de la route de Santa Cruz vers le Paraguay pour faciliter l'exportation et pour garantir la domination des éleveurs et propriétaires terriens karai sur les Isoseños. Durant la Guerre du Chaco, les Isoseños servirent de guides et d'aides de camp à l'armée bolivienne. Ensuite, dans les années 1980, les Isoseños, influencés par les mouvements syndicaux, commencèrent à se revendiquer comme Guaranis, et comme Indigènes de Bolivie. Finalement, les années 2000 voit un conflit entre le Bajo Isoso qui veut devenir l'égal de l'Alto Isoso et ce dernier qui veut conserver sa situation avantageuse473.

Dans les années 1990 et 2000, des ONG ont mis en place des programmes de développement dans l'Isoso. Ces programmes ont souhaité s'appuyer sur les notables locaux. Ce faisant, l'argent a corrompu le fonctionnement en permettant aux capitanes de positionner leur famille dans tous les postes importants et de profiter de ce financement474. Plus encore, la mise en place de l'AIOC en 2015 voit l'apparition de doubles capitanes, comme évoqué précédemment. La situation en Isoso reste très conflictuelle et les Isoseños se sentent encore plus isolés et tristes de cette situation car désormais, ils se font volés par des membres de leur propre communauté.

473 Gumercindo Lizarraga, Capitan de Rancho Nuevo, le vendredi 12 mai 2017,à son domicile, Rancho Nuevo.

474 Entretien avec Rolland et Gumercindo Lizarraga, mai 2017.

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Les Isoseños, n'ont que peu de connaissances sur leur histoire, un exemple concret est celui de la connaissance de la bataille de Kuruyuki. Du fait des rivalités entre Guaranis Ava et Isoseños, bons nombres de ces derniers combattirent aux côtés de l'armée karai contre l'union de Guaranis. Isabelle Combès rapporte que le journal crucénien La Estrella del Oriente affirme que leur armée était composée de « 250 blancs et de 2100 allées indiens475 ». Il ne s'agissait donc pas d'une simple guerre opposant les blancs aux Guaranis, mais d'un conflit bien plus complexe, impliquant les rivalités entre Guaranis eux-mêmes. Or aucun ne s'en souvient ou ne veut s'en souvenir. De telle manière qu'en 1992, les Isoseños ont participé à la célébration du massacre de Kuruyuki organisée par l'APG. Il y a un effort de l'APG pour créer une union sacrée entre les peuples guaranis. L'APG a alors réinventé une histoire guarani, avec le mythe fondateur de la nation guarani unie face aux Karai lors de la bataille de Kuruyuki476. L'éducation de l'histoire dans les communautés de Rancho Nuevo et Rancho Viejo est censée respecter le Curriculo Regionalizado Guarani et transmettre l'histoire Guarani en tant qu'histoire locale puis l'histoire nationale. L'APG et le gouvernement autonome tente d'unifier les peuples de Charagua sous l'identité commune de Guarani. Ainsi, le gouvernement de Charagua veut diffuser une culture Guarani sans prendre en compte les particularités des ethnies qui compose la nation guarani. Cette action n'est pas sans rappeler l'action du MAS qui prétend défendre et valoriser la diversité et les indigènes tout en promouvant une histoire et un modèle indigène Aymara/Quechua. L'APG profite de l'absence de tradition historique pour appliquer cette réécriture historique sur le peuple Isoseño et sans doute sur d'autres peuples guaranis. Aujourd'hui les Isoseños et les autres boliviens les considèrent comme des Guaranis, durant mon séjour, je n'eus à aucun moment l'occasion d'entendre les termes, « Tapii » ou « Chané » ; le terme « Isoseño » était utilisé rarement afin de se différencier des autres districts de l'AIOC de Charagua. L'histoire du peuple Isoseño et de ses origines Chanés sont totalement remplacées par une histoire guarani commune à tous les habitants de l'AIOC de Charagua.

En effet, l'une des grandes difficultés de l'enseignement de l'histoire dans le Bajo Isoso est l'absence de tradition historique. Chez les Isoseños, l'histoire se transmet par tradition orale. Dans cette société où les anciens sont traditionnellement détenteurs des connaissances, il y a généralement dans chaque village un ancien spécialisé sur la médecine, la religion, l'agriculture, mais aussi sur l'histoire : un « arakua iya ». A Rancho Nuevo, ce fut Don Nazario, qui malheureusement ne fut pas présent à aucune de mes nombreuses visites. A Rancho Viejo, il s'agissait d'un cas un peu particulier avec Don Elar Medina. Ce dernier était un créole qui se revendiquait Guarani. Il exposa l'histoire du premier capitan d'Isoso, Ca Pote, arrivé il y a 400 ans. Il aurait acquis ces connaissances par un chercheur urbain qui lui aurait enseigné. Il se vantait d'être le seul à avoir de l'intérêt pour l'histoire guarani et de Rancho Viejo. Cela est révélateur de deux choses : que son intérêt historique vient sans doute de son père Argentin et de sa mère Espagnol, et qu'il n'y a pas de véritable histoire mais plutôt des mythes de fondations477.

Le récit de Don Medina illustre un aspect de la tradition orale : elle s'intéresse surtout aux « Capitan Grande » et aux mythes lointains plus que sur les événements historiques récents. Un autre exemple est l'histoire des conflits contre les Ava, ainsi, une bataille contre des Ava supérieurs en nombre sur les rives du fleuve Parapeti lui aurait donné son nom Parapiti en Guarani : « l'eau qui tue »478. Les traditions orales plus récentes sont plus instrumentalisées, sont transformées pour dénigrer les rivaux. Dans la conception historique des Isoseños, seuls les Capitanes grandes sont des agents historiques,

475 COMBES Isabelle, Etno-historias del Isoso Chané y chiriguanos en el Chaco boliviano (siglos XVI a XX), Fundación PIEB; IFEA Instituto Francés de Estudios Andinos, 2005.

476 Ibid.

477 Entretien avec Don Elar Medina, doyen de l'histoire, métisse mais originaire de la communauté. Mercredi 17 mai 2017, à son domicile, Rancho Viejo.

478 COMBES Isabelle, Etno-historias del Isoso Chané y chiriguanos en el Chaco boliviano (siglos XVI a XX), Fundación PIEB; IFEA Instituto Francés de Estudios Andinos, 2005.

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les causes extérieures des événements qui affectent l'Isoso ne les intéressent pas479 . De manières générales les habitants de Rancho Nuevo comme de Rancho Viejo avaient une très mauvaise connaissance de l'histoire. Sur ce thème, le responsable de l'éducation dans le Bajo Isoso, Richard Padilla affirma que la mémoire est plus importante que l'histoire, qu'il est important de s'appuyer sur les anciens qui ont de l'expérience, notamment sur les vétérans de la Guerre du Chaco480. Et en effet, les anciens sont les derniers à connaître, par la tradition orale l'histoire locale et à constater l'uniformisation des moeurs indigènes. Ainsi, un ancien de Rancho Nuevo, Don Cecilio s'offusquait d'une évolution : « La coca, c'est bon pour les « collas », mais maintenant tous les indigènes la consomment481. » En effet, Evo Morales a fait de la feuille de coca le symbole des indigènes boliviens et les Guaranis la consomme en très grande quantité, quotidiennement. Cette évolution est bien révélatrice de l'andinisation des indigènes en Bolivie, qui n'épargne pas les Isoseños.

L'absence de tradition historique peut s'expliquer par deux autres éléments. L'organisation politique : comme la fonction de capitan n'est pas censée être héréditaire, (bien que ce soit parfois le cas) l'histoire n'est pas sollicitée pour appuyer une dynastie comme cela a pu être le cas dans la plupart des royaumes. L'autre raison est la religion évangéliste. En effet, cette branche radicale du protestantisme qui s'applique majoritairement à Rancho Nuevo et Rancho Viejo a une approche bien moins historique que le catholicisme. Les cérémonies sont plus basées sur le chant et les récits moraux que sur l'apprentissage de l'histoire transmise par la Bible482.

Quoiqu'il en soit l'absence de réelle tradition historique révèle un paradoxe du projet éducatif de la loi 070 : en voulant décoloniser par l'apprentissage de l'histoire locale, l'État, et ici l'AIOC de Charagua utilisent un concept et une méthode étrangère aux Isoseños et même aux Guaranis. Pour aller plus loin et reprendre les propos de Monica Sahoneno : « l'école est une structure coloniale, dans sa forme actuelle, elle ne peut nullement être décolonisatrice483. ». C'est le cas dans les communautés de Rancho Nuevo et Rancho Viejo où les écoles sont parmi les seuls bâtiments en briques, construits par l'État, et surtout le seul endroit où le drapeau bolivien est visible. Une plaque rappelle l'évergétisme d'Evo Morales dans les deux communautés pour chaque construction de l'État. L'école est le lieu le plus important de la communauté, située au coeur de la communauté, elle sert en quelque sorte de mairie, les réunions, la réception d'étrangers et les formations de l'État s'y déroule. L'école apparaît alors comme une intrusion de l'État dans la communauté. Les actes civiques et le chant de l'hymne national en rang devant le drapeau tous les lundis rappellent la fonction nationaliste de l'éducation484 . D'une certaine manière, l'enseignement de l'histoire qui se veut « décolonisatrice » perpétue une assimilation dans une culture dominante, ici la culture guarani et l'identité indigène occultent le passé particulier des Isoseños.

II-C/ Les barrières matérielles et idéologiques à l'enseignement de l'histoire à Rancho Nuevo et Rancho Viejo.

L'absence de tradition historique dans le Bajo Isoso n'est pas la seule raison qui explique le désintérêt pour l'enseignement de l'histoire. En effet, il existe des raisons bien plus pragmatiques : la pauvreté à Rancho Nuevo et Rancho Viejo. Le Capitan de Rancho Nuevo, Gumercindo Lizarraga, puise dans ses souvenirs pour constituer une histoire de l'éducation à Rancho Nuevo. Selon ses dires, en 1972, il n'y avait pas d'école, la communauté était bien moins connectée au reste de la région. En

479 Ibid.

480 Entretien avec Richard Padilla, responsable de l'éducation dans le Bajo Isoso. Mardi 9 mai 2017.

481 Entretien avec Don Cecilio Coueya, ancien de Rancho Nuevo, 2017.

482 Observations messe Rancho Nuevo samedi 13 mai, et discussion avec responsable église RV le mercredi 17 mai, et entretien avec le curé de Charagua à San Sylvestre le dimanche 21 mai 2017.

483 Entretien avec Monica Sahoneno, sociologue de l'éducation. Mercredi 29 mars, La Paz

484 Observations à Rancho Nuevo et Rancho Viejo.

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1985, les premiers cours sont donnés, une maison servant alors d'école pour cinq classes. L'éducation était uniquement en espagnol et très stricte et violente, les Isoseños étaient dévalorisés face aux Karais. La loi 1565 en 1994 bouleverse la situation, les enseignants étaient perdus et ne savaient pas comment appliquer l'EIB485. De là, l'éducation devient bilingue et finalement entièrement en langue indigène. En 2003, le premier bâtiment de l'école aujourd'hui désaffecté, sert d'école pour trois classes. Gumercindo Lizarraga estime que la réforme de 2010 a redonné de l'estime aux Guaranis. Tous les enseignants suivent la formation du PROFOCOM. Le capitan se souvient qu'en 2011, l'école religieuse Fe y Alegria est fondée, accueillant les 12 classes du primaire au secondaire. Cette école est devenue publique en 2015. Désormais, l'école prend le relais de la tradition orale. Selon le capitan, la première mission de l'école est de permettre aux Guaranis de se défendre face aux Karai et de se soustraire à leur abus486. L'école de Rancho Nuevo est dans un état médiocre. Bons nombres d'élèves doivent apporter leur propre chaise, il n'y a pas de vitres aux fenêtres, il n'y a ni électricité ni eau, l'état du peu de meubles et du bâtiment est mauvais. Les enfants ne disposent pas tous de cahier, de stylo de sac ou d'uniforme et encore moins de manuels scolaires. Il est important de se rendre compte de l'immense fossé qui sépare la qualité de l'éducation entre le Bajo Isoso et Santa Cruz, ce qui rend sans doute compte de l'écart entre le monde urbain et le monde rural487. Les enfants ne vont à l'école que quatre heures par jour. Mais les enseignants sont souvent très en retard, quittant parfois même leur cours durant plus d'une demie heure pour parler avec un responsable ou un collègue. Les récréations sont d'une durée variable, la pause de 10h est l'occasion pour les enfants et les enseignants de rentrer chez eux prendre une collation. Enfin, le moindre événement, tel que le départ des secondaires pour un tournoi sportif dans village voisin le mardi 09 mai, est un prétexte pour passer un long moment hors de l'école. Tout cela fait que les journées scolaires sont très courtes. Le reste du temps étant consacré à la chasse d'oiseau ou à l'aide de la famille au Chaco ou à la maison pour les filles. L'absentéisme est très élevé, il est rare que tous les élèves soient présents, parfois les élèves s'en vont lors de la récréation. Les enseignants ne contrôlent pas la présence, l'absentéisme se justifiant par le travail auprès de la famille. Lors de mes observations, le nombre moyen d'élèves étant absent par leçon s'élève à 9 pour des classes d'environ 25 élèves. Parfois, plus de la moitié étaient absents.

La plupart des jeunes de Rancho Nuevo rêvent de travailler en ville pour avoir des meilleures conditions de vie. A Rancho Nuevo, avec la route reliant Charagua à Santa Cruz passant dans le village, les jeunes sont exposés à la culture urbaine de Santa Cruz et de Charagua. Les jeunes ne pêchent pas, ne chassent pas et travaillent encore moins au Chaco488. La culture urbaine semble être devenu le modèle à suivre pour les jeunes qui essayent d'en reproduire les codes. A Rancho Viejo, la situation est bien pire, Naderlina explique que l'école était jadis dans une petite salle aujourd'hui en ruine adjacente à l'école actuelle qui n'offre que 4 classes. Le terrain de l'école sert de lieu de repos pour un troupeau de chèvres qui défèquent dans la cour comme dans les salles. Pire encore, la communauté ne dispose pas de formation secondaire. Les jeunes doivent alors faire le choix de se rendre dans la communauté voisine à 7 kilomètres à travers la jungle, le désert et le fleuve, au risque de croiser des jaguars, anacondas ou autres mygales dont le Chaco regorge, ou d'arrêter l'école. La plupart choisissent cette option sans hésiter, consacrant la plus grande partie de leur temps à jouer au football, à travailler en ville et à aider leur famille489. Bien que le travail du Chaco, la chasse, la capture de perroquets et l'élevage offrent une situation alimentaire plus stable, les jeunes de Rancho Viejo se retrouvent rapidement en situation de pauvreté. Une fois encore, le travail à la ville s'impose comme une solution et un rêve d'une vie plus opulente. Afin de rendre les enfants aptes à la fois à

485 Education Interculturelle et Bilingue.

486 Gumercindo Lizarraga, Capitan de Rancho Nuevo, le vendredi 12 mai 2017,à son domicile, Rancho Nuevo.

487 L'aperçue de l'éducation dans le Bajo Isoso est basé sur les observations sur place et sur les entretiens avec divers spécialistes de l'éducation ayant travaillé en zones rurales, tels que Carolina Loureiro ou encore Monica Sahoneno.

488 Entretiens avec les anciens, questionnaires aux enfants.

489 Entretiens avec Naderlina Salses Cortez, directrice de l'école de Rancho Viejo et enseignante de la classe 5ème et 6ème de primaire.

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défendre leurs droits face aux Karais, et à la fois capables de travailler en ville, la priorité est donc l'apprentissage de l'espagnol. En effet, de nombreux parents, comme en atteste Romero Choipa, le président de la junte scolaire, critiquent l'apprentissage en langue guarani et prône une école uniquement en espagnol490. Les réalités matérielles prennent le dessus sur la quête de la protection de la langue guarani. L'éducation de 1994 est souvent critiquée pour avoir mis en place dans le Bajo Isoso une éducation soi-disant bilingue en partageant des horaires d'espagnol et des horaires de guarani, mais dans les faits, ce fut une éducation presque uniquement en langue guarani491. Avant 1994, l'éducation se faisait exclusivement en espagnol, l'usage du guarani, qui était dénigrée dans l'enceinte de l'école donnait lieu à des punitions corporelles par les enseignants, systématiquement originaire de la ville. Ainsi, les anciens parlent souvent bien mieux que les autres. Ceci est d'autant plus vrai à Rancho Viejo qui, ne profitant pas du passage de la route, présente une population très peu bilingue. En effet, seuls les anciens et les notables, commerçants ou responsables maîtrisaient bien l'espagnol, la grande majorité des habitants de Rancho Viejo ne pouvaient pas communiquer convenablement en espagnol. En effet, aujourd'hui encore, l'éducation qui se prétend bilingue est avant tout une éducation en Guarani.

À Rancho Nuevo, Ruth et Rolland parlaient en Guarani et répétaient parfois en espagnol, mais ils devaient insister longuement et mettre en place des exercices en espagnols pour que les enfants utilisent cette langue. En effet, les enfants isoseños avaient honte de leur niveau d'espagnol et n'osaient pas parler en cette langue de ce fait. A Rancho Viejo, Naderlina étant une karai originaire de Charagua, elle ne parlait pas le Guarani mais le comprenait, à l'inverse des enfants. Ces leçons étaient donc données en espagnol mais les enfants répondaient et travaillaient en guarani. La langue est au centre des enjeux de l'éducation en milieu rural. Une autre difficulté liée à la langue réside dans l'apprentissage de l'écriture du Guarani. En effet, du fait de l'absence d'uniformisation des différents dialectes guaranis dans l'écrit, il est difficile de le concevoir492. Ainsi les enseignants (qui ont parfois du mal avec l'écriture de l'espagnol aussi), qu'ils soient Guaranis ou non, maîtrisent mal cet enseignement. L'espagnol fut la langue rattachée à la tradition écrite depuis la colonisation et son usage dans les lettres, messages ou autre forme d'écrit est appliquée, à l'inverse du Guarani, qui sert uniquement de langue orale493.

Ainsi, l'apprentissage de l'espagnol pour pouvoir aller travailler en ville et pour protéger ses droits, constitue un des enjeux les plus importants de l'école dans le Bajo Isoso. Dans l'école de Rancho Nuevo comme dans celle de RV, Rolland, Ruth et Narderlina centre leur enseignement sur les langues et les mathématiques, matières nécessaires à la réussite d'études supérieures dans un secteur productif. Ainsi, sur les faibles créneaux horaires effectifs d'enseignement, l'histoire n'est étudiée que très rarement dans ces deux écoles. La consultation des cahiers de classes des élèves de 5eme, de 6eme de Rancho Nuevo et de 5/6eme de Rancho Viejo révèlent une absence de contenu historique. Ce fait s'explique aussi par le mauvais niveau des enseignants. Si j'ai dû tant insister pour pouvoir assister à une leçon de science sociale, outre le fait que cela soit considéré comme superflu par ces communautés, c'est sans doute à cause du mauvais niveau de connaissance des enseignants guaranis ou non à Rancho Nuevo et Rancho Viejo.

Ainsi, Ruth organise sa séance de science sociale en faisant visionner une vidéo fournie par l'État sur la colonisation de la Bolivie. Cette vidéo présente les méfaits de la colonisation et de l'exploitation occidentale sur les peuples indigènes et sur la nature. Ruth rapproche la vidéo à

490 Entretiens avec Don Romelio Choipa Soria, Président de la junte scolaire, mai 2017, Rancho Viejo.

491 Entretiens avec Don Romelio Choipa Soria et Victor S. Quispe Santander, représentant de la chambre des députés de l'assemblée législative plurinationale et Santos Paredes Mamani, président de la commission des nations et peuples indigènes originaires paysans, culture et interculturalité. Jeudi 23 mars 2017, au Parlement, La Paz. et un conseillé présidentiel souhaitant rester anonyme.

492 Entretien avec le responsable de l'Unidad de Políticas de Intraculturalidad Interculturalidad y Plurilingüismo Le vendredi 31 mars 2017, au ministère de l'éducation, La Paz.

493 Entretien avec Rolland, enseignant en charge des 5ème de primaire à Rancho Nuevo. mai 2017.

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l'histoire Guarani, expliquant que la colonisation s'est appliquée dans l'Isoso par l'exploitation des Guaranis par les Patrones. Cependant, elle n'explique pas la différente temporalité entre la colonisation du reste de la Bolivie par les Espagnols et des Guaranis par les Boliviens. Elle utilise des références historiques locales pour expliquer : ainsi elle compare la résistance des indigènes à l'Empire espagnol à celle des Guaranis durant la Guerre du Chaco. Finalement ce sujet sert de support pour développer la revalorisation de la culture Guarani. L'enseignante émet une critique des méfaits causées par le mode de vie occidental qui détruit la nature et qui provoque la cupidité plutôt que la vie harmonieuse avec la nature. Elle développe un discours très partisan pour un retour à l'ancienne manière de vivre : « Nous devons retourner à notre ancienne culture, les hommes doivent aller à la chasse et les femmes doivent faire les tissus traditionnels afin que la culture ne se perde pas494. ». Elle diffuse ensuite la vidéo étatique sur le mythe guarani de création du monde. Puis, une vidéo sur l'histoire du Chaco et enfin une dernière qui présente de manière générale la Bolivie avec une dominance de la culture altiplanique. Finalement, Ruth se sert de ces vidéos pour soutenir le projet « décolonisateur » de la loi 070 et de l'AIOC. Elle présente un passé idéalisé où les Guaranis vivaient heureux. Elle associe le fait d'aller travailler en ville à un retour à l'esclavage. Au final, l'enseignante n'apporte pas d'éléments historiques à l'échelle nationale ou internationale, elle concentre son propos sur la culture Guarani, rappelant ses valeurs fondatrices. Elle va même jusqu'à critiquer les méfaits des missions chrétiennes sur les Guaranis alors qu'elle est fille d'un missionnaire et fondamentalement chrétienne. Bien qu'elle semble connaître l'histoire Guarani, elle ne connaît pas particulièrement l'histoire isoseña et les particularités de ce peuple vis à vis des autres peuples guaranis. Finalement, Ruth ne sert que de propagatrice du contenu étatique déployé par le ministère sur l'histoire de Bolivie. L'exemple de Ruth correspond à une enseignante guarani engagée qui applique avec vigueur l'idéologie de la loi 070 pour promouvoir sa culture.

La séance de science sociale de Naderlina à Rancho Viejo révèle un autre cas. Son cours sur la géographie de l'Isoso s'appuie sur l'histoire du « lac des mères ». Elle s'appuie sur les discours des anciens : il s'agissait d'un lieu où il y avait beaucoup de poisson. Elle met en avant l'importance du fleuve pour la survie des Isoseños. A l'inverse de Ruth, elle promeut les progrès technologiques qui rendent l'accès au fleuve et à ce lac plus facile. Elle ne rejette pas la technologie et la modernité mais elle met en avant l'importance de préserver les arbres et l'environnement. Elle fait appel aux enfants pour savoir si leurs aïeuls se rendaient dans ce lieu et finalement elle fait apprendre la géographie de l'Isoso. Naderlina, qui n'est pas une Guarani mais qui s'est investie personnellement pour bien comprendre la réforme de 2010, essaye de mobiliser les connaissances locales des anciens et des élèves pour faire apprendre la géographie et les activités guaranis. Il s'agit d'une autre application du projet de régionalisation de l'histoire495. Dans les deux cas, plus que d'un enseignement de l'histoire, il s'agit de l'enseignement de la culture et des valeurs guarani. Il s'agit d'apprendre aux enfants les trois valeurs fondamentales guaranis : le respect, la solidarité et enfin l'unité, c'est à dire le travail communautaire496 . L'apprentissage de ces valeurs se constate notamment dans la participation de l'école dans la vie de la communauté. Le nettoyage de l'école qu'effectuent les enfants d'eux même en attendant leurs enseignants en est un exemple révélateur. Plus encore, lors du décès de la tante de l'enseignant d'EPS Benjamin, le jeudi 11 mai, pour la dernière heure de classe, toute l'école s'est rendue dans les quartiers de la famille de la défunte afin d'appliquer la solidarité. Ainsi, environ 200 élèves et leurs enseignants se sont rendus devant la maison de la défunte où se déroulait un rite funéraire de chants mélangés à des lamentations.

L'histoire nationale semble peu maîtrisée aussi bien par les élèves que par les enseignants.

494 Ruth Gomez Parra, enseignante en charge des 6ème de primaire à Rancho Nuevo : «Debemos volver a nuestra antigua cultura, los hombres deben ir a la caza y les mujeres deben hacer los tejidos para que la cultura no se pierde.»

495 Observation : Mardi 23 mai 2017: classe 5eme/6eme , science sociale : histoire et géographie locale, Naderlina Salses, Rancho Viejo.

496 Observation :Vendredi 12 mai 2017: 6 eme s. sociale : conquête amérique. Ruth Gomez Parra, Rancho Nuevo.

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Cela soulève un autre aspect de cet enseignement : il ne prend en compte que le programme régionalisé guarani. Le curriculo regionalisado guarani (CRG) est l'élément central de l'éducation dans le Bajo Isoso. Les enseignants possèdent un exemplaire chez eux, à l'inverse du Curriculo Base. Ceci dit, il est à noter que les entretiens dirigés adressés aux enfants, aux jeunes qui sont à l'école depuis 2010 révèlent une très mauvaise connaissance de l'histoire, mais une meilleure connaissance de l'histoire nationale, des symboles et héros que de l'histoire isoseña, guarani ou locale497 . Les générations qui étaient à l'école avant 1994, se souviennent d'un enseignement strict et dispensé par des andins, en langue espagnol. Ils apprenaient une histoire générale de la Bolivie et des peuples sud-Américains mais rien à propos de l'histoire Guarani ou même de Santa Cruz. Les informations récoltées pour la génération scolarisée entre 1994 et 2010 sont moins précises. Les enseignements étaient en guarani, délivrés par des Karai et des Guaranis. Les jeunes interrogés ont démontré une très mauvaise connaissance de l'histoire nationale aussi bien que locale. Cela est d'autant plus vrai pour les jeunes sans activités, Eldy Puellar Carillo, une aide-soignante qui a étudié dans une ville de Charagua possédait un niveau de connaissance plus correcte que les jeunes sans activités de Rancho Nuevo et Rancho Viejo.

Enfin, bien que la réforme de 2010 soit très appréciée ici, il n'y a pas beaucoup d'enseignants de l'Isoso qui constituent leur propre bibliographie, contrairement à ce que demande normalement la réforme de 2010. Seul l'enseignant de 5ème de Tamachindi, Teofilo Ibanez Cuellar rédige un livre en guarani Isoseño avec la participation de ses élèves sur la manière de vivre, les pratiques et les traditions orales des ancêtres498. Bon nombre d'enseignants n'ont pas compris la réforme de 2010, et cela malgré l'obligation de suivre la PROFOCOM, et il en est de même pour les parents qui demandent des formations de la part de l'AIOC499.

497 Questionnaire enfants et entretiens avec Fidel Ety et Marcelo Segundo Ety, deux jeunes de 19 et 22 ans, Miguel Antonio Sanchez Vaca, tenant d'une des deux épiceries et grand propriétaire de vaches de Rancho Viejo, 28 ans, Denar Mendez, étudiant de 16 ans et Eldy Puellar Carillo, jeune aide soignante de 21 ans et enfin aux anciens des deux communautés.

498 Entretien avec Teofilo Ibanez Cuellar, Enseignant de 5ème année de primaire au village voisin, Tamaihindi. le dimanche 14 mai 2017, Rancho Nuevo.

499 Témoignages de Rolland, des présidents des juntes scolaires de Rancho Nuevo et Rancho Viejo, de Roberto Arriaga Barrientos.

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Chapitre III- Le programme régionalisé dans le contexte indigène : une intégration ou une exclusion ?

III-A/ Du savoir des anciens au savoir des notables : la pénétration de la culture urbaine par l'éducation.

Les jeunes Isoseños se retrouvent dans une situation de recherche identitaire, tiraillés entre le modèle des anciens et entre ceux de la modernité de la culture urbaine. Les positionnements sur les aspirations professionnelles, sur le mode de vie, sur la mode et sur le rapport avec les traditions sont des sujets très difficiles à abordés. La plupart aspirent à s'engager pleinement dans le mode de vie urbain, mais ils n'osent le dire ou le faire du fait du jugement général des adultes et surtout des anciens qui critiquent fortement certains aspects de la modernisation et de l'extension de la culture urbaine en milieu rural500.

En effet, il y a un véritable choc générationnel entre les anciens et les jeunes. Les premiers ont grandi dans la culture de la méfiance des Karais et de l'application des traditions et moeurs Isoseños dans un monde cohérent où les Guaranis vivaient de manière presque autarcique, du travail au chaco, de la chasse et de la pêche. Les jeunes ont eux évolués dans un environnement dont les traditions et les valeurs n'étaient plus appliqués, dans un espace en voie d'intégration au modèle capitaliste et au pays, avec le développement de l'individualisme et l'exposition de richesse et de statuts501 . Ces jeunes n'aspirent plus tant à vivre en harmonie avec la nature et la communauté que d'amasser des richesses pour avoir une vie qu'ils espèrent meilleure. Ils ne se suffisent plus de nourriture et d'eau, bercés par les récits de leurs aînés qui reviennent de leurs travaux ou de leurs études à Santa Cruz, ils veulent une moto, des jeux vidéo, une télé, une voiture...

Cependant, les jeunes Guaranis ne renient pas leur identité pour autant, ils se retrouvent dans une situation d'entre deux cultures. Ainsi, dès la classe de 6ème année de primaire, les garçons adoptent une attitude qui se veut viril. Suivant le modèle de l'homme urbain et surtout le modèle du joueur de football. Les coupes de cheveux et les tenues vestimentaires en sont directement inspirées. La société guarani étant très machiste, certains objets ou activités sont rattachés à l'homme. Ainsi, les femmes ne font pas de moto, et en allant à la pêche j'ai compris la portée symbolique et la fonction des activités traditionnelles que sont la pêche et la chasse auxquelles seuls les hommes vont. Pour aller à la pêche, les hommes se mettent de grandes bottes de pêcheurs pour finalement aller dans l'eau pied nus et passer la plus grande partie de la nuit à fumer, boire et se droguer. Ces activités sont avant tout des exutoires entre hommes, loin des regards jugeurs des femmes. Il est intéressant de constater que les garçons suivent bien plus les modes urbaines que les filles et que ces dernières sont bien moins timides que les garçons. Dans la société guarani, les hommes et les femmes sont nettement séparés, ce qui pose des difficultés en classe, puisqu'ils ne se parlent pas entre eux, du fait de la pudeur imposée par les normes guaranis. L'étude et donc l'école, sont considérées comme un travail de femme. Les garçons rechignent donc à participer et à travailler. Les garçons guaranis oscillent donc entre les modèles urbains qu'ils essayent de suivre, les projets d'accès à la vie urbaine par l'éducation, leur attitude timide et leur honte du travail, imposée par le groupe et la conception de la masculinité des Guaranis. Ceci provoque une situation paradoxale : les femmes semblent bien plus fidèles à la tradition que les hommes, dans leur attitude comme dans leur apparence.

500 Observations et entretiens avec des jeunes, des enfants et des anciens.

501 COMBES Isabelle, KINJO TOMORI Chiaki, IZQUIERDO José Ros, Los indígenas olvidados : los guaraní-chiriguanos urbanos y periurbanos en Santa Cruz de la Sierra, Fundación PIEB, Programa de Investigación Estratégica en Bolivia, La Paz, 2003.

Illustration 23: Les nouvelles générations guaranis, entre tradition et modernisation.

Ces deux garçons offrent un bel exemple de syncrétisme entre pratiques traditionnelles et modernes. Ici la tradition réside dans la chasse vivrière aux oiseaux à l'aide d'un lance pierre, arme prétendument ancestrale des Guarani, avec le "karapepo", sac traditionnel des hommes. La modernité s'observe au travers des sucreries et des vêtements industriels. Derrière eux, on peut voir la route reliant Charagua à Santa Cruz par l'Isoso. Rancho Nuevo, 2017. (Photo : Saint-Martin)

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Elles travaillent mieux que les garçons et ont de meilleurs résultats mais elles font que très rarement des études supérieures du fait du coût de ces dernières, qui crée une perte d'argent pour les parents qui voient en leur fille une future femme de maison502. A l'inverse, les garçons qui ne sont pas studieux

502 Entretien avec Naderlina Salses Cortez, directrice de l'école de Rancho Viejo et enseignante de la classe 5ème et 6ème de primaire. Jeudi 18 mai 2017, à sa maison de fonction, Rancho Viejo.

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et qui sont timides, rêvent d'aller en ville, ce qu'ils feront parfois, grâce au financement de leurs parents, alors que leurs chances de réussite sont moins élevées.

Tous les anciens regrettent l'évolution de la situation et soutiennent les projets de revalorisation de la culture indigène. Les principaux regrets sont la perte du travail communautaire au chaco, de l'usage des tenues, des fêtes et instruments, de l'artisanat et des activités traditionnelles503. Don Santiago Choipaiti, ancien de Rancho Viejo, regrette surtout la connaissance de la médecine traditionnelle, il connaît beaucoup de choses à ce sujet, mais les jeunes ne s'y intéressent pas et les enseignants ont oubliés ces connaissances à ses dires. Il n'y a pas que les anciens qui regrettent cette perte culturelle, il y a aussi les capitanes et autres responsables qui dénoncent l'absentéisme aux réunions. Tous les hommes de plus de 15 ans doivent y assister et pourtant ils sont nombreux à ne pas s'y rendre, du fait de la perte d'intérêt en la communauté504.

Le nouvel enseignant de physique chimie Guido Mamani qui vient du monde rural aymara explique l'acculturation par l'accès aux technologies. Selon lui, les communautés guaranis gardent encore une partie de leurs moeurs et coutumes grâce à la quasi absence de technologie, notamment l'absence de la télévision et de la radio qui favorisent l'usage de l'espagnol au détriment des langues indigènes505. Cependant, il semblerait que la situation soit plus complexe. La modernisation de Rancho Viejo avec le corral506 par exemple, introduit la notion de propriété et des écarts de richesses selon la gestion du bétail des uns et autres. En un sens, cette modernisation détruit les moeurs guaranis. Mais en un autre sens, elle fournit un outil de production de denrées vivrières et exportables qui permettent aux habitants de travailler moins en ville et donc théoriquement, de moins se corrompre culturellement au contact de la ville.

Cependant l'une des plus grandes modernisations de la société Isoseña passe par l'éducation. En effet, l'éducation remplace la notoriété des anciens par des diplômés. Cela s'explique par un double processus. D'abord, le fait que l'école remplace les traditions orales dont les anciens étaient en charge jusqu'à présent par une tradition écrite. D'autre part, l'école forme des Guaranis qui vont parfois se former à l'université à Santa Cruz de la Sierra. Là-bas ils renforcent leur individualisme dans la compétition du processus scolaire. Lorsqu'ils reviennent, ils utilisent le crédit donné par leur diplôme pour prendre des décisions et diriger les communautés, en étant influant aux conseils ou en accumulant des richesses. Ils se différencient des restent des indigènes, en premier lieu par leur style vestimentaire. Celui-ci devient plus urbain, souvent à l'aide d'une chemise. Ils ne font plus de boules de coca et ils étalent souvent leurs connaissances afin de montrer leur supériorité intellectuelle sur leurs camarades. Ainsi, l'expérience des anciens est remplacée par l'expertise des jeunes diplômés, les « licenciados507 ». Ces diplômés, qui constituent une nouvelle élite, importent la culture urbaine comme l'exemple à suivre, là où précédemment c'était les anciens dans leur représentation et l'incarnation de la sagesse, de l'expérience, de la connaissance et du respect des valeurs guaranis. Contrairement aux anciens, les diplômés ne participent plus aux travaux communs, au contraire, ils les dirigent.

La pénétration de la culture urbaine via l'éducation est plus profonde et sournoise que l'influence de celle-ci sur les travailleurs qui vont récolter la canne à sucre ou travailler annuellement en tant qu'employé à Santa Cruz. En effet, ces derniers ne font que copier le style vestimentaire et les attitudes liés à ces milieux ouvriers tandis que les diplômés adoptent des codes vestimentaires, linguistiques et sociaux construits en rejet des codes guaranis. La plus grande transformation réside dans la politique. En effet, ces diplômés se servent de leur prestige et de leur présumées compétences pour faire de la

503 Entretiens avec anciens.

504 Marcelo segundo, Capitan de RV, à son domicile, mai 2017.

505 Guido Mamani, nouvel enseignant du secondaire à Rancho Nuevo d'origines aymaras. Mardi 16 mai 2017, à son domicile, Rancho Nuevo.

506 Le MAS a construit un corral et distribuer 5 vaches a chaque habitants de Rancho Viejo en 2009.

507 Diplômés.

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politique. C'est à dire que ces personnes interviennent aux conseils et occupent des charges de responsables, de l'éducation, du commerce, de l'agriculture et de la santé. Ces postes leur permettent d'orienter les décisions du conseil selon leurs intérêts personnels.

Illustration 24: Les diplômés, de nouveaux patrons ?

Seulement âgé de 28 ans, le diplômé Miguel Antonio Sanchez Vaca, surnommé « Quitito » est le tenant d'une des deux épiceries de RV et propriétaire d'un cheptel de plus de 100 vaches (environ 1/7 du bétail de RV). Ici, il dirige la réalisation d'un nouveau Chaco pour le PSP des enfants, Rancho Viejo, 2017. (Photo : Saint-Martin)

C'est ainsi que ces derniers s'enrichissent encore plus et deviennent de plus en plus influents. Ces diplômés forment alors une élite qui coopèrent avec les autorités masistes de l'AIOC ou qui forment des groupes de contre-pouvoir locaux, clivant ainsi les communautés Isoseños. La politique est ainsi critiquée par les enseignants guaranis comme Ruth ou Rolland, tandis que Naderlina, riche et influente par sa famille et de culture karai, la pratique. L'éducation est donc à la fois un outil de lutte pour la sauvegarde de la culture chez les jeunes guaranis, mais c'est un aussi une institution qui provoque la destruction du mode de fonctionnement traditionnel de la société Isoseña.

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III-B/ Revaloriser les connaissances et l'artisanat indigènes : vers l'autonomie ou vers l'exclusion ?

L'éducation déployée par la loi ASEP prend tout son sens dans le milieu rural. L'un des exemples concrets qui prouve que cette réforme fut pensée avant tout pour l'éducation en milieu rural est le PSP. Le Projet Sociocommunautaire Productif vise à apprendre les travaux dans la communauté en mobilisant les habitants et en créant de nouvelles dynamiques. A Rancho Nuevo par exemple, le jeudi 11 mai, Ruth a mené sa classe de 6ème chez une tisserande afin qu'elle leur montre et qu'elle leur explique l'importance de cet art ancestral508 . La tisserande était une doyenne et elle a pu transmettre oralement sa connaissance de la technique et de la symbolique des motifs isoseños. Suite à cette visite, Ruth a mis en place un atelier de création de marquette de métier à tisser puis elle a demandé à toutes les filles, puisque les garçons refusaient de faire ce « travail de femme », de faire un tejido d'ici la fin de l'année avec leur mère ou leur grand-mère. Ce fut l'occasion pour Ruth de dénigrer le choix de suivre la culture occidentale portée par le mode de vie urbain qu'elle définit de consumériste et individualiste. « Toute la culture se perd, nous ne sommes que des copieurs, il ne faut pas perdre les connaissances des anciens509. » L'ancienne apprend qu'avant les femmes n'allaient pas à l'école, les techniques de tissages se transmettent par tradition orale mais cela se perd. Un autre PSP appliqué à Rancho Nuevo est l'apprentissage de la notion de pollution et de propreté. Ainsi, les élèves rassemblent tous les déchets dans une fosse creusée dans la cour de l'école, avant d'y mettre le feu. Tous les quartiers en font de même, car il n'y a pas de poubelles, ni de décharges ou de service de traitement des déchets, les Guaranis jettent leurs déchets là où ils sont. Ils ont continué leurs coutumes sans prendre en compte l'arrivée du plastique qui représente une pollution différente des restes alimentaires d'autrefois. L'application de ce PSP semble approximative, les enfants respirent les émanations du plastique qui brûlent en dessous d'un feu laissé sans surveillance. Ici, ce PSP semble être la projection d'un modèle urbain sans effort d'adaptation au contexte510.

A Rancho Viejo, Naderlinda attend avec impatience la fin de la préparation du Chaco pour les enfants, afin qu'elle puisse y faire cours. Ils apprendront grâce à la coopération des adultes le travail de la terre mais ils recevront aussi des cours de toutes les disciplines, le chaco est un support à une éducation depuis le terrain. Naderlinda veut qu'ils plantent un potager afin d'initier les enfants à l'alimentation équilibrée et afin de diversifier la production alimentaire, globalement peu saine pour la consommation quotidienne511. Ainsi, les enfants apprennent le travail ancestral au chaco auprès des parents et de l'enseignant. Cependant, la participation de la communauté passe surtout par les devoirs : comme en ville, les enfants ne sont guère rigoureux ni encouragés à faire des exercices en dehors de l'école, les enseignants essayent souvent de mobiliser les parents et d'entretenir le rôle traditionnel des anciens et des doyens des connaissances en demandant aux enfants de revenir avec un conte par exemple512 ou avec l'histoire de la communauté auprès des anciens513.

Il est intéressant de noter que les acteurs les plus engagés dans le projet éducatif de 2010 sont aussi les Isoseños les moins « traditionnels » dans leur manière de vivre. Ainsi, Ruth est une actrice engagée de l'éducation de la loi 070, elle prône le retour à la vie des ancêtres et la revalorisation des connaissances guaranis. Cependant, elle figure parmi les plus « progressistes » dans sa manière de vivre. Ayant sa famille à Charagua, elle s'y rend souvent et se montre fière de son lien avec Charagua et Santa Cruz. Ainsi, elle parle très bien espagnol, possède un portable et ne pratique aucune des activités dont elle se fait la défenseure. Elle dispose même du gaz qu'elle ramène de Charagua, et de

508 Observation : Jeudi 11 mai 2017 : 6eme et visite d'une tisserande du village, Rancho Nuevo.

509 Ruth Gomez Parra, Jeudi 11 mai 2017, Rancho Nuevo.

510 Observation :Vendredi 12 mai 2017: 6 eme , Rancho Nuevo

511 Entretiens avec Naderlinda et observations.

512 Observation :Mercredi 10 mai 2017, communcation et language : les contes, Ruth Gomez Parra, Rancho Nuevo.

513 Observation :Vendredi 19 mai 2017: classe 5eme et 6 eme : communcation et language : les contes, Naderlina, Rancho Viejo.

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nombreux vêtements. De même, Naderlina qui s'est grandement impliquée pour comprendre la logique de la réforme, est une blanche originaire de Charagua, occupant la seule maison de pierre, dotée d'électricité solaire et d'une télé. A l'inverse, les Guaranis opposés à l'AIOC et l'enseignement indigène sont souvent des paysans ou des enseignants tels que Rolland pratiquant encore la chasse, la pêche, le travail du chaco et menant une vie bien plus « traditionnelle » que les premiers. Certains paysans, comme le président de la junte scolaire de Rancho Nuevo, Don Romelio, regrettent l'AIOC et que des entreprises étrangères ne viennent pas exploiter leurs ressources. Ces gens-là vivent dans des conditions assez médiocres, ils sont fiers de leurs cultures et de leurs pratiques mais aspirent à des meilleures conditions de vie, surtout à un meilleur accès aux services de santé514. Le professeur Rolland après avoir défendu le projet éducatif actuel en public, a avoué ne pas y croire, trouver cela « naïf et irréalisable de vouloir revenir en arrière ». Selon ce dernier, si la culture se perd, ce n'est pas le cas des valeurs guaranis515. Les autres enseignants de Rancho Viejo, voient d'un très mauvais oeil la réalisation du PSP à travers le chaco des enfants. En effet, ceux-ci pensent que ce n'est pas le rôle de l'école516. Ce ne sont pas les seuls, dans les deux communautés, il y a des Guaranis qui pensent que l'apprentissage des activités et traditions guaranis sont à apprendre à la maison, l'école devrait servir à apprendre les connaissances nécessaires pour pouvoir s'intégrer dans le reste du pays. Le président de la junte scolaire de Rancho Nuevo, Luiz Romero affirme ainsi que «la maison est le lieu d'apprentissage de la tradition, l'école de l'intégration. 517 ». Certains parents voient dans cette nouvelle éducation une perte de leur fonction éducatrice. Bien que cela passe par eux, le fait que ce ne soit plus une éducation filiale réduit leur prestige. En effet, en plus d'être plus cultivés qu'eux, les enfants connaissent aussi leurs techniques manuelles. Cette éducation dévalorise complètement les parents vis à vis de leurs enfants.

Le programme régionalisé est à l'origine de deux processus contradictoires. D'une part, cette éducation propose un programme qui permet de redynamiser économiquement des régions rurales en proie au chômage et à la pauvreté qui provoquent un exode rural et une perte partielle de la culture et de l'identité Isoseño, Guarani, voire Indigène de ces migrants. Valoriser et enseigner les pratiques et connaissances locales permet de redonner une activité vivrière à ces indigènes chômeurs qui vivent grâce aux aides de l'état. L'apprentissage de la chasse, de la pêche et surtout du travail au chaco et d'élevage permet d'augmenter les ressources alimentaires disponibles mais aussi les exportations. De plus, la valorisation et l'apprentissage de l'artisanat Isoseño permet de produire des marchandises qui se vendent cher, d'autant plus avec l'augmentation de l'appréciation des produits artisanaux face aux produits industriels et avec l'importance du tourisme. Ainsi, les tisserandes Isoseños produisent par exemple un hamac en un mois. Celui-ci sera vendu plus de 1000 Bolivianos à Santa Cruz, une somme conséquente lorsqu'on prend en compte qu'un poulet coûte 20 Bs à Rancho Viejo.

Au-delà de l'aspect culturel qui est promu par le MAS et dans l'AIOC, il y a aussi un réel projet de redynamisation économique. L'autonomie financière permet de casser le cercle vicieux de l'exode rural. A cause de la pauvreté, les Guaranis vont travailler en ville et font du modèle urbain, qui présente des meilleures conditions de vie, un exemple à suivre. L'exode rural provoque un abandon des activités économiques du monde rural, ce qui augmente l'exode rural et ainsi de suite. Ainsi, le développement économique permet aux communautés de ne pas se rendre en ville pour travailler et devrait augmenter la qualité de la vie dans la campagne, revalorisant donc leurs cultures et leurs identités. Cependant, ce développement économique contribue à transformer les sociétés indigènes et à parfois détruire les fonctionnements sociétaux. Le cas du corral de Rancho Viejo et l'apparition de l'élite de diplômés évoqués antérieurement, en sont des bons exemples.

D'autre part, cette éducation des pratiques guaranis rappelle l'éducation agricole des siècles

514 Don Romelio Choipa Soria, Président de la junte scolaire. Mardi 16 mai 2017, à son domicile, Rancho Viejo.

515 Enseignant Rolland, Lundi 15 mai 2017, à la pêche, Rancho Nuevo.

516 Gloria Romero Soria, le mardi 23 mai 2017, à l'école, Rancho Viejo et Roberto Arriaga Barrientos, enseignant de 3 et 4ème. Mardi 23 mai 2017, à son domicile, Rancho Viejo.

517 Luiz Romero, Président de la junte scolaire, le dimanche 14 mai 2017, à l'école, Rancho Nuevo.

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précédents qui visaient à former des paysans efficaces. En effet, en formant les enfants guaranis aux travaux du champ, de l'élevage, de la chasse, de l'artisanat et de la pêche, l'école les rend totalement inadaptés et surtout sous qualifiés en comparaison des enfants urbains pour pouvoir travailler en ville ou occuper des postes importants. Cette école les voue à une vie de paysan, de rural. Plus encore, l'enseignement de l'histoire et de la culture locale creuse un écart supplémentaire avec les élèves du reste du pays en leur donnant une identité guarani sans leur donner d'identité et de références boliviennes. Enfin, l'éducation bilingue, qui s'avère peu efficace dans l'apprentissage de l'espagnol complète cette éducation qui exclut et enclave les jeunes guaranis dans le monde rural et guarani. Cette éducation régionalisée augmente ainsi la distance entre les urbains et les Guaranis qui ne connaissent pas l'histoire du pays duquel ils font partie.

Ainsi, ces deux aspects révèlent que l'éducation mis en place développe une autonomisation des Guaranis mais qui passe par une exclusion de ceux-ci du reste de la société. La politique éducative mis en place ne fait que renforcer l'écart entre monde urbain et monde rural. Ainsi, tout comme les Cruceños se méfiaient des ruraux et des indigènes, les Guaranis, malgré une certaine admiration, se méfient également de la vie à Santa Cruz, l'accusant d'être dangereuse et de pervertir les Guaranis518.

III-C/ Quels rapports interethniques dans une AIOC ?

Si l'AIOC de Charagua présente une certaine diversité ethnique entre les différents guaranis, les Mennonites, les métisses, certains créoles et quelques rares autres indigènes, (principalement des collas) la population reste majoritairement guarani. Plus qu'une question d'ethnie, il est question d'identité. Le travail d'Isabelle Combès le montre bien, si les indigènes Isoseños sont probablement de l'ethnie Chané, la réinvention de l'histoire de l'Isoso par l'APG les rattache à l'ethnie Guarani. L'identité en Bolivie se construit en une succession de deux ou trois identités. D'une part, l'identité ethnique, elle peut correspondre à l'ethnie imaginée : ainsi les Indigènes Isoseños se revendiquent Guaranis. Se revendiquer métisse pour les populations indigènes immigrées en ville est une manière de rejeter ses origines pour se plier au métissage, ethnie par excellence de la ville. Ensuite, l'identité culturelle rentre en jeu : un créole, un métis ou un indigène peuvent tous se revendiquer de culture isoseña. Enfin, tous les citoyens possèdent la nationalité bolivienne : ils sont tous Boliviens, mais la conception de l'identité nationale a plus ou moins d'importance selon les milieux. Mettre en avant l'identité ethnique, comme c'est le cas à Charagua, culturelle, comme à Santa Cruz ou nationale comme à La Paz sont révélateur de projets politiques différents. L'identité bolivienne est donc le fruit d'une construction complexe.

Un cas intéressant qui illustre la conception de l'identité est celui du doyen de l'histoire à Rancho Viejo : Don Elar Medina. En effet, ce dernier est le fils d'un père argentin et d'une mère espagnole. Cependant, il est marié avec une Guarani et s'auto-identifie comme Guarani. Selon lui, être Guarani n'est pas une question de couleur de peau mais bien de culture et de coutume. Celui-ci vit comme tous les autres anciens de la communauté : il reste chez lui, chasse et pêche mais se fait entretenir par sa femme et ses enfants. Don Elar Medina dénonce le manque d'ouverture de sa communauté vis à vis des étrangers519. Malgré son discours, sa manière de vivre et sa maîtrise de la langue guarani, ce dernier était obligé de revendiquer continuellement son auto-identification Guarani et les autres habitants entretenaient avec lui un rapport ambigu, oscillant entre affection et mépris. Ceci est bien révélateur qu'au-delà de la culture et des moeurs, l'histoire trop récente de la soumission des indigènes aux métisses et aux blancs restent ancrés chez les uns comme chez les autres. Certains

518 Entretien avec Teofilo Ibanez Cuellar, Enseignant de 5ème année de primaire au village voisin, Tamaihindi. le dimanche 14 mai 2017, à la réunion puis à son domicile, Rancho Nuevo.

519 Entretien avec Don Elar Medina, doyen de l'histoire, métisse mais originaire de la communauté. Mercredi 17 mai 2017, à son domicile, Rancho Viejo.

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Guaranis comme l'enseignant de 5ème de l'école de Tamachindi, Teofilo Ibanez Cuellar, condamne le manque de respect des karai envers la nature : « Le Guarani ne chasse pas pour le commerce, seulement pour manger, à l'inverse des karai qui chasse exagérément.520 ». Les Mennonites sont critiqués pour les même raisons, à cause de leurs champs de blé construits sur d'anciennes forêts.

Les habitants originaires de la ville de Charagua font preuve d'un certain sentiment de supériorité sur les autres habitants de la municipalité. A cela s'ajoute un sentiment de supériorité ethnique de la part des créoles et à moindre mesure, des métis sur les indigènes. Les collas, peu nombreux à la ville de Charagua, sans doute suite aux fuites des massacres de Santa Cruz ; occupent, comme à Santa Cruz, des métiers déconsidérés. Ces populations sont mises à l'écart de la société de Charagua, ils sont dénigrés et très renfermés, refusant toutes mes tentatives d'entretiens.

Plus encore, les populations blanches et métisses entretiennent des relations complexes avec les Guaranis isoseños. La famille Salses, dont fait partie l'enseignante Naderlina, en sont un bon exemple. Menant une activité lucrative d'approvisionnement des communautés isoseñas en denrées de Santa Cruz, ceux-ci sont connus et influents. Ils sont traités comme des hôtes de marques dans de nombreuses communautés. L'association entre blanc et patron est encore forte dans l'esprit des Guaranis. Ainsi, lorsqu'en revenant de San Sylvestre, leurs deux 4x4 s'embourbèrent dans les rives du fleuve Parapeti, des cavaliers guaranis qui passaient par là, se joignirent instinctivement aux amis métis et Guaranis qui accompagnaient les Salses et qui étaient occupés à tracter et à creuser sous les roues tandis que les Salses attendaient sans rien faire. Cette situation illustre d'autant plus la continuation de la hiérarchisation sociale, puisque après 4 heures de fructueux travail de 2h à 6h du matin, les Salses leur donnèrent en remerciement de l'alcool à 90° et une poignée de feuille de coca. Les cavaliers guaranis lancèrent alors un « Gracias Patron » avant de reprendre leur route.

La question du statut est très importante, l'éleveur et épicier « Quitito », un ami proche des Salses qui dirige au lieu de travailler sur les travaux communautaires521 , était à ce moment, parmi les plus travailleurs. De la même manière, les Salses s'offusquaient que je puisse aider les indigènes ou rester avec eux dans la remorque plutôt qu'à l'intérieur, du fait de mon statut prestigieux d'européen.

La communauté de San Sylvestre présente une population presque exclusivement métisse, la fête de Saint Isidore s'y déroule ainsi : une course de chevaux est organisée, puis une messe est menée par le curé de Charagua, s'ensuit un repas et enfin une soirée arrosée et dansante. Il est intéressant de noter que durant toutes ces étapes, les indigènes, en grande minorité, sont mis de côtés. Tandis que les métisses et les blancs (les Salses) sont au centre des activités. Seule la messe est un moment où toute l'assemblée est traitée équitablement Le moment le plus représentatif des clivages ethniques reste le moment du repas. Une grande table fut dressée au centre de la piste de danse. Cette table ne pouvant accueillir que 10 personnes pour la cinquantaine de personnes présentes, il fallut faire plusieurs services. Ainsi, les Salses furent conviés au premier service, accompagnés de la femme et des enfants de l'hôte. Ensuite, les métis par ordre de proximité et de prestige furent invités à manger. En dernier, les indigènes qui attendaient dehors sous la pluie purent manger avec les plus jeunes métis. Finalement, un certain rejet envers les étrangers était compréhensible de la part des métis. Les seuls étrangers qui n'ont pas de statut particulier sont les Mennonites, en effet, ceux-ci ne détiennent pas de prestiges particuliers malgré leur origine apparente européenne. Ils vivent reclus dans leur « colonies », se mariant entre eux et ne sortant que pour commercer, il n'y a donc que très peu de rapport entre les Mennonites et les autres. Même les Guaranis ne sont pas intimidés et les traitent comme des égaux. Cela peut s'expliquer par deux facteurs. D'une part, ils ne maîtrisent pas très bien l'espagnol, tout comme eux. D'autre part, ce sont des agriculteurs qui rejettent la modernisation. Ce constat révèle qu'il ne s'agit pas simplement d'une domination ethnique, il s'agit plutôt d'une domination des urbains, incarnés par les métis et les créoles hispanophones sur les paysans.

A Charagua, un grand acte civique est organisé pour célébrer la journée contre la discrimination et le racisme en l'honneur de la loi qui porte le même nom. Les jeunes sont déguisés en une multitude

520 Entretien avec Teofilo Ibanez Cuellar, Enseignant de 5ème année de primaire au village voisin, Tamaihindi. le dimanche 14 mai 2017, à la réunion puis à son domicile, Rancho Nuevo.

521 Voir illustration 21.

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d'ethnies différentes. L'armée est présente et défile pour rappeler ainsi qu'elle veille à ce que cette loi soit bien respectée.

A cette occasion pourtant, un petit garçon me montra du doigt en criant « el diablo ». Cette réaction est bien représentative de l'hypocrisie de la situation. Comme dans le reste du pays, le racisme existe toujours, mais il est désormais interdit et ne s'affiche plus. Ainsi, le capitan de Rancho Nuevo explique l'évolution des rapports avec les autres ethnies en ces termes : « Avant, il y avait beaucoup de discrimination contre les collas et par les collas, mais désormais il n'y a plus de discrimination car la constitution le demande et les Guaranis respectent la constitution.522 ».

Illustration 25: Les actes civiques : la journée contre le racisme.

Lors de la célébration de la journée contre la discrimination et le racisme, les enfants défilent avec des banderoles et déguisés en plusieurs cultures et ethnies du pays sur la place principale de Charagua. L'armée encadre cette célébration afin de rappeler à tous qu'elle veille au respect de cette loi. Charagua, 2017 (Photo : Saint-Martin).

Il faut reconnaître une avancée notable dans l'éducation dans le Bajo Isoso, la formation d'enseignants locaux. En effet, la comparaison des enseignantes karai Naderlina ou Maria Salses et des enseignants guaranis Ruth, Rolland, Teofilo, Benjamin, Eliso révèle deux types d'éducation. Désormais, les Guaranis de Charagua Norte, Sur comme de l'Isoso peuvent être formés à l'école normale de Camiri, souvent après avoir été au secondaire à Charagua. Ils sont ensuite répartis dans les écoles de la région de Charagua. Les enseignants guaranis sont maintenant majoritaires sur le territoire de l'AIOC. L'enseignement de ces derniers, diverge énormément de l'enseignement des karai qu'on peut constater à Santa Cruz de la Sierra. En effet, la conception de la discipline, l'autorité et du fonctionnement de la classe sont bien différents. Il n'y a pas de codes figés, ainsi, les élèves discutent, rigolent, se lèvent, participent sans lever la main. La relation entre enseignants et élèves est bien moins hiérarchisée et ne passe pas par l'autorité. Les enfants sont très autonomes, ils viennent à l'école souvent avant les enseignants et nettoient les classes à l'aide de branches d'arbre. La classe est

522 Entretien avec Gumercindo Lizarraga, Capitan de Rancho Nuevo, le vendredi 12 mai 2017, Rancho Nuevo.

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disposée très différemment qu'en ville, les chaises sont placées le long des murs, ils se lèvent souvent pour accomplir les jeux que mettent en place Ruth ou Rolland.

Il en ressort que les élèves sont moins humiliés qu'en ville, ils sont surtout extrêmement moins violents. Lorsque les enseignants ne sont pas là, ils jouent dans le calme sans jamais se battre, à l'inverse des situations observées dans les écoles publiques de Santa Cruz523. Il n'y a pas de système d'examen dans Rancho Viejo et Rancho Nuevo, ainsi, il n'y a pas de compétition entre les élèves, malgré le fait que certains élèves, ayant souvent des liens avec Charagua, soient meilleurs et moins timides que les autres. Seule la pression que se mettent les garçons vis à vis de la considération de l'étude comme un métier de femme et la honte des rapports entre les genres entravent les rapports entre les élèves.

L'enseignement de Naderlina Salses en revanche est bien différent. Les barrières ethniques, culturelles et linguistiques éloignent les élèves de l'enseignante. Plus encore, celle-ci est plus autoritaire, il n'y a pas de discussion dans son cours, cela étant réprimé par Naderlina. Plus encore, à l'inverse des enseignants guaranis, elle interdit aux élèves de cracher dans la classe ou de jeter des détritus n'importe où. La karai réprime ainsi de nombreuses pratiques jugées tout à fait normales pour les Indigènes isoseñas, qui sont inconvenables dans la culture urbaine. Ainsi, l'éducation par un enseignant blanc est d'autant plus « colonial » puisqu'il oriente les enfants guaranis vers le respect de code urbains parfois en contradiction du contexte (il n'y a pas de traitement des déchets dans le Bajo Isoso et les enfants n'ont pas de mouchoirs). Cependant, une différence remarquable est observable dans ces éducations différenciées. Malgré le fait que la population de RV est bien plus craintive et fermée à l'égard des karai, du fait de son histoire d'asservissement encore récent, les élèves de Naderlina furent bien plus chaleureux et ouverts auprès de moi que ceux de Rancho Nuevo.

La situation a évolué, les Guaranis ont de plus en plus confiance en eux, mais ils restent en retrait et intimidés par les karai. Selon Tefoilo Ibanez, cela fait partie de la culture du Guarani d'être timide. L'enseignant aymara Guido Mamani explique la timidité des locaux par l'absence de technologie, selon lui : « Ils n'ont pas de technologies, ne connaissent que leurs familles et n'utilisent que le Guarani, ils n'ont pas d'ouvertures sur le Monde comme le permet la télévision ou internet. Ceci explique la peur de l'étranger et le manque de curiosité. 524».

523 Observation : Mardi 2 mai 2017 : école Mercado et Mercredi 3 mai 2017 : ecole Igniaco Warnes.

524 Guido Mamani, nouvel enseignant du secondaire à Rancho Nuevo d'origines aymaras. Mardi 16 mai 2017, à son domicile, Rancho Nuevo.

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L'exemple de l'AIOC de Charagua présente une application du projet de revalorisation des cultures indigènes du MAS poussée à l'extrême. Au-delà des discours idéologiques, il s'avère que l'AIOC présente un projet d'encadrement politique et de politisation des sociétés rurales de Bolivie en faveur du MAS. La réinvention de l'histoire par l'Assemblée du Peuple Guarani montre que les autorités guaranis partagent le projet indigéniste uniformisant du gouvernement bolivien. La Bolivie s'organise en un ensemble de structures uniformisantes. Malgré le discours officiel, à cause de l'absence de tradition historique et à cause de la pauvreté, l'enseignement de l'histoire n'est pas une priorité dans le monde rural. De ce fait la régionalisation de l'enseignement s'applique surtout par l'apprentissage de la culture et des activités de la culture dominante, ici la culture Guarani. L'apprentissage de l'histoire locale s'apparente plus à l'apprentissage des valeurs guaranis. Le projet éducatif de la loi ASEP souhaite rendre les NyPIOC autonomes en redynamisant les activités agricoles et artisanales traditionnelles. Ce faisant, l'AIOC s'autonomise mais s'isole par l'apprentissage spécifique des pratiques rurales et par le manque d'apprentissage de l'espagnol. L'enseignement de l'histoire a pourtant donc un rôle très important à jouer afin de donner une identité aux Isoseños, mais l'école est un instrument étranger au fonctionnement Isoseño qui forme des diplômés qui importent le modèle urbain occidentalisé dans le monde rural.

Cependant, contrairement à ce que le discours officiel de l'État affirme, il ne s'agit pas d'un véritable projet de retour en arrière, de «décolonisation». L'AIOC et le CRG répondent aux demandes historiques des NyPIOC d'autonomies territoriales et de revendications identitaires. Mais parallèlement, la mise en place de ces processus modernise et connecte le monde moderne par le commerce et la politique. Il ne s'agit donc pas d'une éducation agricole qui vise à former des paysans compétents, désormais, les produits agricoles pour l'exportation sont produits dans les openfields de Santa Cruz, les faibles productions des indigènes n'intéressent pas le gouvernement. Le but semble plus être de faire du monde rural indigène un véritable sanctuaire, gardien de la culture et des pratiques indigènes. Ce processus vient partiellement du MAS, mais surtout des élites indigènes qui proposent parfois des projets extrêmes, indianistes, comme le montre la proposition rejetée de l'AIOC de San Pedro de Totora. Enfin, les relations interethniques révèlent la persistance de la hiérarchie ethnique et la perte d'identité et d'amour propre des indigènes Isoseños du fait de l'histoire douloureuse et récente de la soumission des Guaranis aux Boliviens.

Les tensions qui en découlent, la politisation de la société Isoseña et l'éducation régionalisée favorise une autonomisation de ces populations. Les effets de ce projet sont difficilement évaluables puisqu'une d'une part ils introduisent la culture et la structure urbaines occidentalisées mais d'autre part, elle autonomise et exclut ces Indigènes du reste du pays. Quoiqu'il en soit, les isoseños se trouvent dans une situation de perte identitaire dans laquelle l'école essaye d'imposer l'identité guarani sur les autres.

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Conclusion :

L'histoire de l'enseignement de l'histoire en Bolivie révèle que la loi ASEP et le projet éducatif du MAS s'insèrent dans une tradition de revendications des populations indigènes. L'éducation des indigènes est au centre des réflexions et des réformes éducatives depuis les gouvernements libéraux de 1890. L'éducation et tout particulièrement l'enseignement de l'histoire constituent les principaux outils des tentatives d'intégration ou d'exclusion des populations indigènes, que ce soit par l'assimilation ou la reconnaissance.

La discipline historique et son enseignement se sont développés au service du pouvoir. L'histoire doit soutenir l'idéologie gouvernementale. Ce fut le cas avec l'éducation raciste qui visait à confirmer la domination des blancs dans les gouvernements libéraux de 1890. Avec le code de l'éducation du MNR en 1955, l'histoire est réécrite en opposition aux libéraux. Le biais raciste est remplacé par une vision marxiste de l'histoire et de la société. Ensuite, l'éducation conservatrice et pro-occidentale d'Hugo Banzer se met en place en même temps que les mouvements indianistes se développent en Bolivie dans les années 1970. Ceci explique qu'en 1994, le gouvernement profite de l'aide internationale et des projets de développement pour répondre à ces revendications indianistes en établissant l'EIB525. Cependant, la production de manuels et le programme de la loi 1565 sont révélateurs du caractère « andinocentré » et urbain de l'histoire enseignée. Finalement, la loi ASEP en 2010 vient appuyer la « révolution » d'Evo Morales, en mettant les indigènes au coeur de l'enseignement historique. Bien que les termes changent, car le MAS s'appuie beaucoup sur une nouvelle terminologie, la loi ASEP s'appuie grandement sur la loi 1565. Elle n'est souvent perçue que comme un approfondissement de cette dernière. Cette école qui se prétend « décolonisatrice » met en place une régionalisation de l'éducation qui correspond à la dynamique d'autonomisation que l'État plurinational de Bolivie instaure.

Ce que cette histoire met en avant, c'est que le régime d'Evo Morales et sa réforme de l'éducation ne sont pas autant révolutionnaires qu'il le prétend. Bien qu'il se place en rupture, Evo Morales hérite de siècles d'expériences et de luttes sociales sur l'éducation des indigènes. Finalement, que ce soit l'éducation comme son nouvel État Plurinational, il se montre en continuité plus qu'en rupture.

Ainsi, l'observation des cas de Santa Cruz de la Sierra et de l'AIOC de Charagua révèle qu'il existe un grand écart entre les discours théoriques et la réalité sur les plans de l'éducation et l'autonomisation du pays.

Du fait de sa tradition autonomiste et de sa très récente tentative de sécession à la tête de la Demi-lune, Santa Cruz fait l'objet d'un lourd contrôle visant, soi-disant, à réprimer les persistances autonomistes. Le MAS stigmatise les habitants de l'Orient dans leurs rôles de sécessionnistes racistes afin de justifier leur répression, mais dans les faits, beaucoup d'élites et intellectuels aspirent uniquement à plus de pouvoirs départementaux. Ainsi, face à la censure politique et médiatique, la constitution et l'enseignement de l'histoire locale sont devenus un enjeu central pour les intellectuels de Santa Cruz. D'un côté l'État impose l'apprentissage d'une histoire nationale andine, ne présentant que très brièvement les cultures de l'Orient et ne laissant pas la place à une histoire locale dans les faits. D'autre part, les intellectuels cruceños qui espèrent désormais un fédéralisme plus qu'une autonomie, désirent plus de reconnaissance de l'identité camba et des cultures de l'Orient dans l'histoire nationale. La régionalisation de l'histoire est donc devenue un nouveau terrain de revendications identitaires et politiques pour Santa Cruz.

Cependant, l'enseignement du contenu du programme est influencé par plusieurs facteurs. En effet, les différents types d'écoles reproduisent les écarts de classes sociales. Il y a une coexistence de plusieurs cultures historiques dans la même ville de Santa Cruz. Les établissements élitistes enseignent une histoire andine et internationale tandis que les établissements publics diffusent une histoire non seulement nationale mais aussi nationaliste.

525 Education Interculturelle et Bilingue

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En outre, les différentes applications des programmes scolaires observées à Santa Cruz montrent que les enseignants restent les premiers acteurs de l'éducation. Malgré l'orientation du contenu, notamment pour ce qui est de la prédominance des chapitres sur les indigènes et malgré le fort contrôle étatique, les enseignants orientent l'enseignement selon leurs convictions religieuses, politiques ou ethniques. Enfin, l'enseignement de l'histoire ne fait que creuser le fossé entre le monde urbain et le monde rural, tout en continuant à assimiler les urbains aux blancs et métis qui seraient supérieurs aux ruraux, assimilés aux indigènes.

Il était nécessaire de voir comment s'applique cette réforme orientée vers les indigènes dans le monde rural, afin de constater si la régionalisation de l'histoire était tout aussi fictive dans la campagne qu'à Santa Cruz de la Sierra. L'étude de l'AIOC de Charagua permet en outre d'essayer d'observer le traitement d'une nation indigène non andine dans cet État qui fait des Aymaras le modèle indigène par excellence. L'étude de Charagua révèle la mise en place d'un mécanisme de politisation et de clientélisation des espaces ruraux isolés sous couvert d'autonomisation et de décolonisation.

L'enseignement de l'histoire dans le Bajo Isoso est très limité, il s'agit plus d'une éducation à la culture, aux pratiques et aux valeurs guaranis. La pauvreté et l'absence de tradition historique expliquent le peu d'importance accordée à l'histoire et donc l'énorme écart de connaissances entre les urbains et les ruraux. Ce n'est pas la seule source d'exclusion que l'école produit puisqu'elle forme les enfants guaranis aux métiers de l'agriculture, les prédestinant à rester travailler dans le monde rural sans les préparer à la vie urbaine ni leur fournir les compétences nécessaires en ville. Cependant, en redynamisant les activités traditionnelles, l'école autonomise les communautés, ce qui évite une perte culturelle par le contact avec la ville lors des travaux saisonniers. Cela ne les isole pas pour autant puisque les échanges commerciaux croissent grâce à la meilleure production des Guaranis. Enfin, tout comme l'histoire, l'école reste une structure étrangère à la culture guarani. De ce fait, elle est le centre de l'imprégnation de la culture urbaine et du nationalisme dans les communautés. Les jeunes diplômés ayant été formés à Santa Cruz utilisent le prestige de leur diplôme pour occuper des fonctions importantes et remplacent les anciens dans leur rôle de conseiller. De plus, ils importent la culture urbaine comme symbole de leur supériorité, preuve de la déconsidération des ruraux sur les urbains. La persistance de la hiérarchisation raciale dans le Bajo Isoso est d'ailleurs encore très forte. Cependant, selon certains, l'éducation régionalisée permet de réduire l'auto déconsidération des indigènes isoseños. Les communautés du Bajo Isoso assistent donc à une véritable transformation de leur culture et de leur fonctionnement sociétal notamment à travers l'école.

L'enseignement de l'histoire constitue un grand enjeu pour le contrôle des populations et il est donc révélateur des mécanismes de l'instauration de l'Etat Plurinational de Bolivie par Evo Morales et de son gouvernement

L'enseignement de l'histoire en Bolivie présenté dans la loi ASEP permet de répondre aux revendications identitaires et politiques élaborées par les départements comme par les peuples indigènes au long des dernières décennies. Cependant, dans les faits, cette politique éducative permet surtout de contrôler des territoires dissidents en déployant une histoire nationale andine comme c'est le cas de la ville de Santa Cruz, ou de s'assurer le soutien du foyer électoral d'Evo Morales, le monde rural, en le confinant dans ses connaissances traditionnelles et agricoles.

Malgré ses prétendues intentions d'oeuvrer pour une meilleure coexistence, l'enseignement de l'histoire ne fait que renforcer l'incompréhension et la distance entre le monde urbain et le monde rural. Le changement des mentalités est un long processus, et « l'indigénisation » du contenu historique est parfois contreproductif selon les convictions des enseignants. Comme toujours, la politique éducative de la loi 070 est avant tout pensée pour le monde andin, un espace où la culture indigène est omniprésente et où ses cultes s'appliquent en ville, même parmi des groupes d'intellectuels comme ceux du CIDES526. Dans l'Orient, ce projet éducatif n'est pas aussi bien reçu et

526 CIDES : Postgrado en Ciencias del Desarrollo , un laboratoire de l'UMSA, la plus grande université de La Paz et du pays.

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cohérent car c'est la culture camba, la culture métisse qui est mise à l'honneur, les indigènes étant très dénigrés en ville, comme en témoigne l'expulsion du grand marché indigène, la Ramada de Santa Cruz. Enfin, c'est surtout dans le monde rural que la réforme prend son sens et peut s'appliquer réellement. Cependant dans les faits, il s'agit d'une éducation presque exclusivement régionalisée, peu de temps est accordé au programme de base. De plus, cette éducation reproduit les inégalités entre les classes sociales et prédestinent les enfants à rester dans leur milieu. Les indigènes sont formés comme des agriculteurs et démunis d'une culture nationale, les enfants des élites sont formés afin d'être ouverts à la culture andine élitiste et internationale tandis que les enfants populaires urbains sont éduqués dans une histoire nationaliste et de mauvaise qualité. En cela, l'éducation de la loi 070 n'a rien de révolutionnaire, elle reproduit une éducation conservatrice.

Sur bien des plans, tels que la justice ou l'éducation par exemple, la réelle volonté d'Evo Morales et de son gouvernement de donner de l'importance aux indigènes en Bolivie est indéniable. Son « processus de changement » est un succès sur ce point, les indigènes sont moins discriminés, ne serait-ce que grâce à la loi contre le racisme et toutes les formes de discriminations527. La participation de ces derniers et leurs représentations dans le monde politique en font des acteurs et des soutiens du gouvernement. Là est bien l'un des objectifs de ces politiques, Evo Morales ayant acquis le pouvoir grâce aux forces syndicales rurales indigènes, il s'assure le soutien du monde rural qui constitue un de ses principaux foyers de soutien électoral. Mais ce soutien est parfois acheté par le développement d'infrastructures de loisirs tels que des stades de football au détriment du développement d'hôpitaux, d'écoles ou de routes. Le déploiement des AIOC permet de politiser et d'encadrer les NyPIOC les plus autonomistes comme les Guaranis. En plus de mettre en place un réseau de clientélisme dans ces zones jadis isolées du reste du pays, cela permet d'intégrer des intellectuels indigènes qui pourraient être dissidents dans le MAS. D'autre part, Evo Morales joue de son statut ambigu de premier président indigène. Bien qu'il n'ait jamais dit qu'il l'était, il ne contredit pas ceux qui le prétendent et va même célébrer sa présidence à Tiwanaku afin de s'assurer le soutien des indigènes.

Ce dernier fait est révélateur de la domination des andins et particulièrement des Aymaras et des Quechuas sur les autres NyPIOC, que renforce ce gouvernement. La valorisation des indigènes est surtout vraie dans le monde andin, surtout à La Paz et elle se fait par une hiérarchisation des NyPIOC. En effet, les indigènes des terres basses sont totalement délaissés, exceptés les Guaranis, du fait de leur organisation unificatrice, l'APG, qui leur assure une bonne représentation au niveau national. Les indigènes les plus ignorés restent les peuples d'Amazonie, ne disposant ni d'AIOC, ni de réelle représentation au Parlement indigène. Ainsi, la situation en Bolivie est très inégale, l'État Plurinational avantage grandement certaines nations sur d'autres ou même sur des départements. L'histoire de la Bolivie est marquée par une succession de tentatives d'uniformisation, malgré l'apparente reconnaissance du multiculturalisme indigène en Bolivie, Evo promeut une uniformisation des indigènes sous le modèle dominant de l'Aymara. Plus encore, les AIOC permettent d'englober plusieurs peuples différents sous une identité commune, comme l'a relevé l'exemple des Isocenos à Charagua qui sont amalgamés dans l'identité Guarani. Malgré cela, il est toujours impossible d'appliquer une observation générale à toute la Bolivie. Ce pays reste défini par son extrême diversité géographique, économique, culturelle, ethnique et politique. La Bolivie est toujours un pays méconnu, ayant au moins la moitié de son territoire et de sa culture qui reste éclipsée par la centralisation politique du monde andin. La politisation des enjeux de l'éducation à l'histoire locale permet de créer des contenus jusqu'alors inexistants sur ces départements boliviens presque vierges de tous travaux historiques.

L'enseignement de l'histoire rend donc compte du processus complexe du MAS. Celui-ci prétend répondre aux demandes d'autonomies et de reconnaissances culturelles et identitaires en

527 Ley 045 contra el racismo y toda forma de discriminacion, La Paz, le 8 octobre 2010.

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déployant des autonomies départementales et indigènes. Mais tout en prétendant décoloniser et décentraliser à travers ces nouvelles entités, l'État bolivien renforce son contrôle sur ces territoires. L'autonomie départementale de Santa Cruz n'a ainsi d'autonome que le nom, ayant même perdu en pouvoir avec cette nouvelle constitution. L'éducation est un enjeu central que le gouvernement autonome ne contrôle pas. Le MAS diffuse alors une histoire andinisante et nationaliste tout en luttant contre le développement du sentiment d'appartenance au département à travers une histoire locale. L'éducation à Santa Cruz est donc totalement l'inverse que celle annoncée dans la loi ASEP. Pire encore, les AIOC permettent de politiser des populations rurales isolées en mettant en place un système de corruption et de clientélisation qui pervertit les valeurs indigènes locales. Cela, tout en prétendant déployer un enseignement à l'histoire, à la culture et aux valeurs des indigènes de la localité. Evo Morales prétend faire des AIOC des sanctuaires des cultures indigènes. Dans les faits, par l'éducation et l'utilisation de concepts étrangers aux peuples indigènes, tels que l'histoire, il transforme ces sociétés et renforce les clivages et écarts entre les urbains et les ruraux. Ce faisant, il ne fait qu'accentuer la dévalorisation des indigènes par le reste de la société et par eux-mêmes.

L'éducation portée par la loi ASEP n'a donc rien de « décolonisatrice », au contraire elle est sans doute plus colonisatrice que la loi précédente, en imposant un modèle andin et en détruisant les cultures et moeurs indigènes par l'imprégnation de l'État dans des terres reculés. Elle n'a non plus rien de décentralisatrice puisqu'elle propage une histoire andinocentrée qui vise à glorifier et légitimer le pouvoir du MAS. L'enseignement de l'histoire est donc bien un outil étatique qui aide la mise en place d'un nouvel État Plurinational qui s'avère être extrêmement centralisateur.

Pour conclure, l'enseignement de l'histoire est bel est bien révélateur des contradictions des présidences d'Evo Morales.

L'une des premières contradictions de l'enseignement de l'histoire réside dans son caractère « révolutionnaire ». En effet, l'enseignement de l'histoire n'est absolument pas révolutionnaire, il est bien moins en rupture que le présente le discours officiel du MAS. La loi 070 reprend en grande partie la loi 1565 et surtout le MAS utilise l'enseignement de l'histoire pour intégrer son avènement dans une histoire longue et nationale. L'histoire de la Bolivie est réécrite afin de lui donner un caractère fondamentalement indigène. Ces procédés sont directement hérités du MNR. L'enseignement de l'histoire ne vise donc pas en premier lieu à développer l'esprit critique des enfants et à changer la société mais bien à légitimer le pouvoir du MAS et à propager son idéologie.

Une deuxième contradiction importante de cet enseignement réside dans son aspect décentralisateur. L'enseignement de l'histoire est censé prendre en compte le contexte local et transmettre un enseignement interculturel et intraculturel. Or, dans les faits, cet enseignement est tout à fait centralisateur et promeut une histoire nationale qui impose le modèle indigène andin. Pire encore, l'enseignement de l'histoire est un outil étatique qui sert à contrôler les populations qui défendent une autre culture que la culture andine dominante sur le plan politique.

L'une des plus grandes contradictions réside dans le coeur du projet d'Evo Morales, la décolonisation par l'éducation. En effet, pour instaurer un enseignement de l'histoire et des connaissances indigènes locales, l'État Bolivien passe par les écoles, ou par l'histoire qui, du fait de leurs natures coloniales, ont pour conséquence de transformer ces sociétés par la valorisation des diplômés. Pire encore, même dans ces lieux ruraux, les particularismes des peuples comme les Isocenos sont englobés dans une identité plus grande, ici celle des Guaranis. De plus, la projection du modèle andin sur l'ensemble du pays est une forme de colonialisme intérieur. Les ethnies sont hiérarchisées, de telle manière que les cocaleros andins par exemple, viennent « civiliser » le Chapare, en prenant les terres des indigènes du Chapare afin de leur apprendre à être plus productif528.

Enfin, la valorisation des indigènes qui peut sembler le réel but du projet éducatif du MAS s'avère être totalement contre-productive. En effet, l'enseignement de l'histoire indigène et des compétences propres aux communautés enferme ces individus dans le monde rural. De plus, bien que le contenu du programme de la loi 070 vise à valoriser les indigènes en les mettant constamment sur

528 LAVAUD, Jean-Pierre. La Bolivie d'Evo Morales : continuités et ruptures. Problèmes d'Amérique latine. 5 octobre 2012. N° 85.

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le devant de la scène, les enseignants restent les premiers acteurs de l'éducation et ils orientent l'enseignement selon leur opinion, qui sont souvent encore racistes. Ainsi, ces deux raisons expliquent que la valorisation des indigènes dans les politiques éducatives en ville comme dans la campagne a pour effet de grandir l'incompréhension et la différence entre les Indigènes et les autres.

Ainsi, l'enseignement de l'histoire met en exergue certaines contradictions du gouvernement d'Evo Morales. L'État plurinational de Bolivie n'est pas autant révolutionnaire qu'il le prétend, il est centralisateur, colonisateur et il n'est pas bénéfique pour l'intégration des Indigènes dans le pays. Finalement, tout cela met en avant le fait que l'enseignement de l'histoire est un outil étatique très important qui accompagne la mise en place de nouveaux régimes et qui vise à changer les mentalités mais qui reste entre les mains des premiers acteurs, les enseignants.

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Index des illustrations

Illustration 1: Carte des trois aires géographiques de la Bolivie. 7

Illustration 2: Carte de la répartition des Indigènes sur le territoire bolivien 11

Illustration 3: La Hoguera, une histoire très factuelle 38

Illustration 4: La représentation stéréotypée des Indigènes. 39

Illustration 5: La représentation d'une élite blanche et occidentale dans Santillana. 48

Illustration 6: : L'éloge et la normalisation de la contestation 50

Illustration 7: L'insertion de l'avènement du MAS dans un long processus d'émancipation indigène51

Tableau 1 : Santillana et La Hoguera, deux mêmes contenus mais deux approches différentes 52

Illustration 8: Courbe de l'évolution du pourcentage de scolarisation en Bolivie. 55

Illustration 9: L'utilisation des données éducatives par le MAS. 56

Illustration 10: Comparaison de la scolarisation selon les départements. 58

Illustration 11.Des situations éducatives différentes selon les départements. 59

Illustration 12: Une formation inégale selon le genre et le lieu 61

Illustration 13: La conception binaire de l'identité bolivienne : paysans et citadins 64

Illustration 14: Les symboles de l'autonomie de Santa Cruz. 71

Illustration 15: L'apprentissage des symboles régionaux en guise d'histoire locale. 82

Illustration 16: Le difficile contrôle de la production de contenu historique. 83

Illustration 17: L'orientation de l'enseignement de l'histoire. 85

Illustration 18: L'indigénisation des symboles nationaux. 87

Illustration 19 : Les AIOC en Bolivie 93

Illustration 20: Les communautés guaranis Isoseños. 100

Illustration 21: Plan de Rancho Viejo. 102

Illustration 22: L'habitat guarani. 103

Illustration 23: Les nouvelles générations guaranis, entre tradition et modernisation. 114

Illustration 24: Les diplômés, de nouveaux patrons ? 116

Illustration 25: Les actes civiques : la journée contre le racisme. 121

141

Table des matières

Remerciements 2

Sommaire 3

Introduction : 4

PARTIE 1 : L'évolution de l'enseignement de l'histoire en Bolivie, des transformations constamment

dictées par la question indigène . 22

Chapitre I :Le développement de la discipline historique au service du projet nationaliste du

MNR : la création d'une identité bolivienne unique de 1955 à 1971 24
I-A/ Le développement de la discipline historique en Bolivie au service du gouvernement

révolutionnaire. 24
I-B/ L'enseignement de l'histoire pour créer une identité bolivienne selon l'idéologie du MNR

26
Chapitre II : De 1971 à 1994 : Une éducation antirévolutionnaire et l'essor des revendications

culturelles indianistes. 28

II-A/ Un enseignement historique conservateur dans un contexte de Guerre Froide. 28

II-B/ La naissance de l'indianisme sous les régimes militaires répressifs. 30

Chapitre III : De 1994 à 2010, la loi 1565, le début de l'éducation interculturelle et bilingue dans

un contexte d'effort pour le développement. 32
III-A/ La loi 1565, un projet oscillant entre réponses aux demandes indigènes et efforts

internationaux pour le développement. 32

III-B/ L'histoire dans le programme et les manuels scolaire de la loi 1565. 33

Chapitre IV : A partir de 2005, l'histoire pour revaloriser le caractère indigène de la Bolivie. 42

IV- A/ La révolution démocratique d'Evo Morales et du MAS : le déploiement d'une nouvelle

idéologie. 42
IV-B/ La loi 070 dans les programmes et les manuels scolaires : une « indigénisation » de

l'histoire. 45

IV-C/ La coexistence théorique d'une histoire nationale et d'une histoire locale. 53

IV-C/ La situation éducative dans la Bolivie d'Evo Morales. 54

PARTIE 2 : L'enseignement de l'histoire à Santa Cruz de la Sierra, l'application de la réforme de

2010 dans un foyer de régionalisme et d'opposition politique et culturelle. 66

Chapitre I : Santa Cruz, capitale de l'Orient et des projets autonomistes. 66

I-A/ Santa Cruz de la Sierra, une autre Bolivie. 66

I-B/ Le foyer de l'opposition autonomiste et des revendications identitaires.

68

I-C/ L'enseignement de l'histoire au coeur de ces enjeux : des projets d'histoires régionales 72

Chapitre II : L'application de la loi 070 : un contenu andin et indigène dans la capitale de l'Orient.

77
II-A/ Un enseignement historique aux objectifs différents selon la nature des écoles : la

création d'une identité sociale. 78

II-B/ Les enseignants, premiers acteurs de la transmission de l'histoire 82

II-C/ L'enseignement indigène dans un milieu urbain dominé par l'identité métisse du camba.

86

142

PARTIE 3 : L'enseignement de l'histoire dans le Bajo Isoso. 91

Chapitre I : L'autonomie indigène originaires paysanne de Charagua, l'autonomie guarani en

Bolivie. 91

I-A/ L'Autonomie guarani de Charagua. 94

I-B/ L'AIOC de Charagua, une entité qui permet de contrôler et de politiser les communautés

Guaranis. 95

Chapitre II- L'enseignement de l'histoire dans un territoire enclavé, le Bajo Isoso. 98

II-A/ Les communautés guaranis Isoseños de Rancho Nuevo 98

et de Rancho Viejo. 98

II-B/ La réinvention d'une histoire et d'une identité Guarani pour l'unification de Charagua

dans le contexte Isoseño. 106
II-C/ Les barrières matérielles et idéologiques à l'enseignement de l'histoire à Rancho Nuevo

et Rancho Viejo 108
Chapitre III- Le programme régionalisée dans le contexte indigène : une intégration ou une

exclusion ? 113
III-A/ Du savoir des anciens au savoir des notables : la pénétration de la culture urbaine par

l'éducation. 113
III-B/ Revaloriser les connaissances et l'artisanat indigènes : vers l'autonomie ou vers

l'exclusion ? 117

III-C/ Quels rapport interethniques dans une AIOC ? 119

Conclusion : 124

Bibliographie 129

Table des illustrations 140

Table des matières 141






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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams