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La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie. La mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques relatifs à  une « espèce emblématique ».

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par Audrey Dupont
Université Aix-Marseille - Master Pro Anthropologie et Métiers du développement durable 2014
  

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III.2. « Savoirs naturalistes locaux » vs « savoirs scientifiques » ?

Dans l'article de Laurence Bérard (et al. 2005), l'auteure acte la naissance de l'expression « savoirs naturalistes locaux » dès la négociation de la Convention sur la diversité biologique en 1992. Ce texte entend mettre en avant le « respect, la préservation et le maintien des connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent un mode de vie traditionnel », c'est-à-dire revaloriser les connaissances et les pratiques locales liées à un objet de la protection de la biodiversité. Un savoir naturaliste local désigne donc toute connaissance écologique, agricole, botanique, anatomique, physiologique, zoologique, paysagère construite, testée et conservée par une communauté dans un territoire donné (définition CDB). Concernant le dugong, ces connaissances sont relatives à l'observation attentive par les populations côtières (en général) de l'animal, mais aussi au nom qu'il possède, à la manière de le classer dans l'univers animalier, à son comportement etc.

III.2.1. Un modèle « local » de classifier cet animal ?

Selon la classification de Linné, un naturaliste suédois du XVIIIème siècle qui a fondé les bases du système moderne de nomenclature des espèces, le dugong appartient à la catégorie des mammifères. Ils forment une classe d'animaux vertébrés, dont l'homme fait également partie, qui sont caractérisés essentiellement par l'allaitement des jeunes individus, un coeur à quatre cavités, un système nerveux et encéphalique développé, une température interne constante et une respiration pulmonaire53. Bien que les mammifères soient initialement adaptés à la vie sur la terre ferme, certains se sont secondairement adaptés à la vie en milieu aquatique ou marin. Le dugong appartient donc au règne des mammifères marins selon la classification scientifique « classique » largement diffusée dans le monde. D'après les entretiens et les discussions menées sur le terrain, il semble que les habitants connaissent globalement bien ce terme et sa signification générale.

Mais notre enquête sur la zone de Pouébo a révélé que beaucoup de Vieux, en continuant de parler leur langue vernaculaire, perpétuent la manière dont leurs parents, leurs grands-parents catégorisaient le dugong parmi les éléments naturels. Que ce soit en Nyelâyu, en Cââc ou en Jawé, l'animal fait partie du grand ensemble des « animaux de la

51 C'est le mot scientifique pour désigner le trou par lequel ils respirent.

52 Qui part de l'observation pour mener à une hypothèse ou à un modèle scientifique.

53 http://fr.wikipedia.org/wiki/Classification_classique

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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et

pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

mer », qu'ils traduisent en français par « poisson » mais qu'ils emploient rarement. Dans la langue traditionnelle, ils invoquent directement le nom de l'animal dont ils parlent et non la catégorie auquel il appartient. Par conséquent, ils ont tendance à dire : « On va pêcher le dawa / ou le picot / ou la tortue / ou le dugong » plutôt que « On va pêcher du poisson ». Nous souhaitons simplement souligner le fait que le système de distinction des espèces dans la culture mélanésienne est différent de la nomenclature « scientifique » de Linné. Et cela se comprend assez facilement si nous considérons le travail d'Isabelle Leblic (2008) qui explique que le monde naturel dans la tradition kanak se découpe entre la terre et la mer. Il existe donc les « animaux de la terre » et les animaux de la mer ».

Cela ne signifie aucunement que les Vieux de la commune ne connaissent pas le terme « mammifère » en français et ne savent pas ce qu'il signifie. Ensuite, puisque la langue, les savoirs et techniques liés à l'animal sont davantage maîtrisés par les Kanak d'un certain âge (plus de cinquante ans), les « jeunes » des tribus de Pouébo ont moins conscience de cette différence de classification entre leur langue et le français. Certains utilisent le terme scientifique de « mammifère » appris à l'école pour le classer, d'autres ne se sont pas poser la question et ne sauraient dire à quelle famille il appartient. Dans la Zone Côtière Ouest, la situation est quelque peu différente. Les personnes, de tout âge et origine confondus, semblent le qualifier de « mammifère » de manière quasi générale. Seules certaines personnes de la tribu de la montagne expliquent ne pas savoir comment le classer. Il s'agit de cas isolés puisque la grosse majorité des personnes arrivent à le classer, notamment dans la famille des « mammifères marins ».

En revanche, à Pouébo, deux Vieux parmi les plus âgés (plus de soixante ans) de la tribu de Yambé et de la tribu de Saint-Denis de Balade ont expliqué que leurs anciens distinguaient deux types de dugong : le « mukâc » et le « poralic » (en Jawé). Selon eux, ces espèces seraient cousins et sont nettement distinguer par leur apparence physique : « c'était deux races différentes et dans les deux, il y avait chez chacun des mâles et des femelles ». Le premier est grand de plus de 3 mètres environ (« il pouvait faire la taille de la table »), d'une forme allongée mais massive et porte la couleur noire ou grise. D'après le Vieux de la tribu de Yambé, le suffixe « kâc » signifie l'« homme » en langue, ce qui lui donne peut-être une valeur supplémentaire - d'autant plus que cette espèce a totalement disparu des côtes de la commune :

« Le court, on le voit encore mais le gros là, on n'en voit plus. Peut-être dans le Nord et sur la Côte Ouest. Ici, avant il y en avait et maintenant, il n'y en a plu. Depuis les années 1960, on n'en voit plus des gros ».

L'autre espèce, le « poralic » doit son nom à un poisson qui se nomme de cette manière en langue vernaculaire : le poisson-ballon. Selon un jeune de la commune, « c'est pour cela que l'on dit "poralic" parce que la forme doit être la même et l'autre est plus comme une baleine, il est long, allongé. » Le « poralic » est donc plus court, de couleur marron « feuille d'automne » et possède un ventre bien gras de la même forme que le poisson-ballon.

Cette manière de distinguer ces deux espèces de dugong semble propre à la région de Pouébo ou du Nord de la Grande-Terre car nous n'avons pas entendu parler d'une telle distinction dans la Zone Côtière Ouest ou dans nos échanges à Nouméa. Elle n'est pourtant pas reconnue par les sciences de la vie et de la terre car il n'existe officiellement qu'une seule et même espèce de dugong, le « dugong dugon ».

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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et

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Toutefois, lors des restitutions des données de l'enquête aux divers partenaires du Plan d'actions, la découverte de cette nomenclature et de l'observation de deux « types » de dugong a particulièrement intéressé le chercheur en biologie marine travaillant sur cet animal, le détenteur des connaissances scientifiques les plus poussées concernant l'animal. Selon lui, cette distinction possède une équivalence scientifique et il émet l'hypothèse que la différenciation de couleur, qu'il a pu aussi observée, s'explique par la différence d'âge des dugongs : le « mukâc » serait un vieux dugong et le « poralic » serait plus jeune. Autrement dit, les connaissances locales lui ont apportées une information jugée importante concernant l'âge des dugongs présents sur la côte nord-est.

Par conséquent, tout comme le biologiste marin Simon Foale dans son article de 2006, le thésard en biologie marine travaillant sur le dugong met l'accent sur la complémentarité des savoirs « autochtones » avec les « savoirs scientifiques ». Et s'« il y aura peut-être toujours des aspects du monde naturel sur lesquels les Mélanésiens qui pratiquent la pêche de subsistance et les scientifiques ne seront jamais d'accord, [...] je pense qu'il existe déjà un degré considérable de concordance épistémologique, ou qu'il est possible d'y parvenir facilement » (Foale, 2006 : 142). Cela signifie donc que certains scientifiques n'opposent pas forcément ces deux types de connaissances. Ils reconnaissent au contraire l'utilité des savoirs autochtones afin de mieux renseigner les savoirs scientifiques qu'ils forment. De même, en commandant une étude en sciences sociales sur les « savoirs » détenus par la population autour du dugong, les acteurs environnementaux y voient aussi un intérêt évident pour servir l'objectif de conservation.

Ainsi, nous comprenons qu'à l'échelle de l'île et des terrains d'enquête, il n'existe pas un modèle local de classer la nature mais des modèles qui dépendent des systèmes cognitifs admis par des groupes sociaux plus ou moins larges. Ensuite, concernant l'opposition au « savoir scientifique », les termes et les représentations sont différents mais ils semblent complémentaires et peuvent s'apporter l'un et l'autre. En effet, en reprenant l'exemple de l'emploi du terme « mammifère » à Pouébo, nous nous apercevons que la population connaît le terme et donc, est influencé par le savoir scientifique. De plus, et c'est l'idée que nous défendons dans la prochaine section, tous ces savoirs se recoupent puisqu'ils partent tous de l'observation d'une même réalité.

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