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La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie. La mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques relatifs à  une « espèce emblématique ».

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par Audrey Dupont
Université Aix-Marseille - Master Pro Anthropologie et Métiers du développement durable 2014
  

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I. Contexte de l'étude

I.1. Contexte sociopolitique et environnement en Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie (cf. figure 2) est un archipel dans l'océan Pacifique - à 1500 km à l'est de l'Australie, à 2000km au Nord de la Nouvelle-Zélande et à plus de 17 000km de la France - qui relève de la souveraineté française depuis 1853, date du début de la colonisation. Selon le recensement de 2014, il compte 268 767 habitantsi (soit 23 200 habitants de plus qu'au dernier recensement en 2009), répartis sur l'île de la Grande Terre, l'île des Pins, l'archipel de Belep et les îles Loyauté (Ouvéa, Lifou et Maré). Sur l'ensemble de l'archipel, environ 23% de la population vit en tribu, 11% en milieu rural et 66 % en zone urbaine (« Évolution et structure de la population », ISEE, 2009).

Cet archipel possède un statut particulier selon le droit français, celui de collectivité territoriale française « sui-generis » et procède à un transfert progressif des compétences régaliennes depuis la signature des accords Matignon-Oudinot en 1988. Suite à ces accords, des consultations électorales sont prévues entre 2014-2018 afin de prendre une décision collective sur la question de l'indépendance nationale et le « pays » travaille à la formation d'une identité et d'une communauté politique néo-calédonienne. L'ensemble de ce processus de « décolonisation » est le fruit d'une « histoire » qui s'est complexifiée dès les premières explorations européennes en 1774.

I.1.1. Du passé colonial au « Destin commun » : bref historique

La population autochtone de Nouvelle-Calédonie, les Mélanésiens ou Kanak, a vu débarquer de nombreux Européens depuis l'arrivée de James Cook en 1774, dont des baleiniers, des santaliers, des aventuriers parcourant le monde et des religieux. Le 24 septembre 1853, le contre-amiral envoyé par l'empereur proclama officiellement à Balade l'annexion de la Nouvelle-Calédonie, ce qui signa la prise de possession du territoire par les soldats français. Pour peupler cette nouvelle colonie, la France s'appuya sur deux types de colonisation : « libre » et « pénale » (des détenus sont envoyés purger leur peine d'emprisonnement en Nouvelle-Calédonie avec souvent une assignation à résidence perpétuelle). Peu de colons libres firent le voyage2 et, face à la difficile implantation d'une colonisation choisie, le gouvernement fonda sa stratégie sur la « colonisation par le bagne ». La Nouvelle-Calédonie devint essentiellement une terre de déportation et de transportation (Terrier, 2010). Au total, les destins de quelques 25 000 personnes ont été contrariés par l'exil pénitencier, dont celui de quelques révolutionnaires de la Commune de Paris en 1871 ou révoltés de la grande Kabylie en 1874 (Atlas Nouvelle-Calédonie, 2012). Ils ont participé au développement des infrastructures de l'île et, une fois leur peine terminée ou après avoir été relâchés pour bonne conduite, ils ont pu jouir d'une possible réhabilitation grâce à la loi du 30 mai 1854. L'installation des anciennes familles

2 Les principaux colons libres sont des anglo-saxons issu des colonies britanniques du Pacifique, des fonctionnaires travaillant sur place, des colons du sucre ou du café, des colons venus du Nord de la France ou des européens à la recherche d'une vie meilleure. (Terrier, 2010 : 15)

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pénales3 a donc constitué les principaux points de peuplement européen sur la Grande Terre, presque exclusivement sur la côte ouest, plus propice à l'exploitation agricole et à l'élevage.

Figure 2 : Carte de la Nouvelle-Calédonie et répartition des trois Provinces et des zones d'enquête : commune de Pouébo et région de Moindou-Bourail-Poya (c) source de la carte : www.senat.fr

Parallèlement à l'installation des populations d'origine européenne et maghrébine, plusieurs vagues d'immigration économique sur le territoire se sont succédées dés le début de la colonisation française. À la fin des années 1850, plusieurs raisons ont poussé les colons a cherché de la main d'oeuvre étrangère pour le développement du pays (Angleviel, 2005). Entre les années 1858-1880, des Malabars4, quelques Wallisiens, des Hébridais5 et des Chinois sont venus prêtés main forte, notamment dans la plantation agricole mais aussi dans les mines à partir de 1874, date de la première exploitation du nickel.

En 1931, la Nouvelle-Calédonie n'était officiellement plus une colonie pénitentiaire (Terrier, 2010) mais l'administration coloniale a continué d'être extrêmement violente et méprisante envers la société mélanésienne puisque, comme le rappelle Isabelle Merle, « la Nouvelle-Calédonie est le seul territoire de l'Empire français où furent créées de véritables réserves indigènes à l'instar des réserves indiennes américaines, dénoncées,

3 Que nous appelons aujourd'hui les « Calédoniens d'origine européenne » ou « Caldoches ».

4 Indiens originaires de l'île de la Réunion ou du Sud de l'Inde. http://fr.wiktionary.org/wiki/malabar

5 Personnes venues des Nouvelles-Hébrides, ancien nom du Vanuatu.

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par ailleurs, comme le symbole de la violence coloniale « anglo-saxonne » » (Merle, 1999 : 1). Le régime délimita arbitrairement les terres dédiées aux indigènes à partir de 1867-1868 sous l'impulsion du gouverneur Guillian. L'État s'appropria les terres jugées « inoccupées » et créa le système et « réserves » et de « tribus », regroupement en « village » de clans sous l'autorité d'un chef défini comme interlocuteur privilégié6, et ce afin de contrôler les déplacements et d'instaurer des taxes (Atlas Nouvelle-Calédonie, 2012).

Suite à ces spoliations répétées, à l'occupation de terres ancestrales et au vagabondage du bétail des « colons », une Insurrection Kanak, conduite par le chef guerrier Ataï, éclata en 1878 et fut sévèrement réprimandée : cela marqua le début du régime de l'indigénat qui exclut peu à peu les Kanak du droit commun en les privant de liberté (Blet, 2014). En 1946, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la Nouvelle-Calédonie fut reconnue en tant que territoire d'Outre-mer, ce qui tourna la page de l'indigénat. Sur le plan juridique, on accorda la citoyenneté française aux Mélanésiens. Même si cela ne signifia pas la fin des discriminations de la part de la société anciennement coloniale, ils avaient néanmoins accès au droit de vote, à la scolarisation, à la liberté de résidence et de circulation, au droit de travail etc. (Ibid.).

Grâce à ces outils, quelques Mélanésiens ont constitué un parti politique, l'Union Calédonienne7, qui visait l'abolition des rivalités ethniques à travers l'autonomie politique et la lutte contre les permanences coloniales (Atlas de Nouvelle Calédonie, 2012). Le gouvernement français sous de Gaulle, qui souhaitait combattre les velléités séparatistes, confisqua l'autonomie fraichement acquise à partir de 1958 et ce jusqu'en 1975, notamment en nationalisant la compétence minière (Ibidem). Ces années furent aussi marquées par le boom du Nickel et l'immigration métropolitaine et polynésienne accrue, qui occasionna un changement social rapide en mixant le corps électoral. C'est également à cette époque que la Nouvelle-Calédonie a accueilli plusieurs vagues d'immigration libre avec des travailleurs « pieds-noirs »8, antillais, réunionnais, malgaches, mais aussi toujours métropolitains, et qui perdure encore (Camille, 2010). Enfin, des enfants ou jeunes adultes des îles voisines du Pacifique Sud (Vanuatu, Tahiti, Wallis et Futuna etc.) sont venus sur la Grande-Terre pour compléter leurs études ou chercher du travail à partir des années 1970-1980 (information issue des entretiens).

A la fin des années 1975, les tensions sociales et politiques se cristallisent autour de la question de la souveraineté et les tensions ne vont cesser de s'accroitre jusqu'à la période des « Évènements » de 1984 à 1988. La succession des remaniements fonciers et des politiques de redistributions des terres (en 1978 et en 1982) n'arrive pas à contenir le mouvement populaire qui ne cherche plus l'autonomie mais l'indépendance, et ce surtout depuis la création en 1984 du Front de Libération National Kanak Socialiste (FLNKS - Blet, 2014). Cette période marqua ainsi la réaffirmation d'une identité kanak forte qui veut s'émanciper et retrouver une place décente dans une société qui le lui avait, jusque là, toujours refusée.

6 Définition de « tribu » : en Nouvelle-Calédonie, une tribu est une invention coloniale qui date du temps de la création des réserves et qui rassemble plusieurs clans, plusieurs familles kanak sur une propriété appartenant au clan « terrien ».

7 Dont le crédo était « Deux couleurs mais un seul peuple ! »

8 Les français originaire d'Algérie ou installés en Afrique du Nord

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pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

La prise d'otage d'Ouvéa, et les meurtres qui en découlent, déclencha la signature des Accords de Matignon-Oudinot de 1988 par les partis indépendantiste (FLNKS) et loyaliste (RPCR) afin « rétablir la paix des coeurs, des esprits et des âmes ... » (Atlas de la Nouvelle-Calédonie, 2012). La poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur est devenu le symbole de la réconciliation et de l'ouverture du dialogue avec les partis. Ces accords reconnaissent l'identité kanak, souhaitent établir une politique de rééquilibrage économique entre les régions du territoire et préparent son autodétermination dans une échéance de dix ans. Ils débouchent alors sur l'Accord de Nouméa de 1998, qui accentue le processus de transfert de compétence, lancé par les accords précédents, et le rend irréversible. La Nouvelle-Calédonie a 20 ans pour réaliser sa « décolonisation programmée » et pour regrouper toutes les communautés de la société néo-calédonienne sous une même nationalité. Ainsi, la notion de « Destin commun » émerge avec cet accord qui vise à construire un nouveau contrat social national basé sur une « communauté de destin » pluriethnique.9 Celle-ci ne peut reposer que sur la reconnaissance de la légitimité de la population kanak mais aussi des autres communautés composant la société de Nouvelle-Calédonie dans la participation à la construction du pays (Ibid.).

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo