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Comment les commissions vérité et réconciliation s'efforcent-elles de remplir leurs objectifs?

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par Sophie-Victoire Trouiller
Institut Catholique de Paris - Master 1 Géopolitique et relations internationales 2013
  

Disponible en mode multipage

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    Institut Catholique de Paris

    Faculté de Sciences Sociales

    Master 1 « Géopolitique et Relations internationales »

    Comment les commissions vérité et réconciliation

    s'efforcent-elles de remplir leurs objectifs ?

    Mémoire sous la direction

    du professeur Jacques Lecomte

    Sophie-Victoire Trouiller

    2012-2013

    Remerciements

    Je tiens à adresser toute ma gratitude et mes remerciements les plus sincères aux personnes qui m'ont aidées et soutenues tout au long de la rédaction de ce mémoire.

    Le professeur Jacques Lecomte, directeur de ce mémoire, pour la confiance qu'il a bien voulu m'accorder, sa grande disponibilité, ses conseils et ses suggestions constructives.

    Le professeur Charles Girard qui a accepté d'être mon second lecteur et dont l'intervention sur la justice transitionnelle m'a ouvert de nombreuses pistes de réflexion.

    Jacques Godfrain, ancien ministre, pour l'entretien qu'il m'a accordé, les contacts dont il m'a fait bénéficier et sa grande sollicitude.

    Le général Bruno Clément-Bollée, directeur du Centre de la Coopération de Sécurité et de Défense au ministère des Affaires étrangères, pour le temps qu'il m'a consacré et pour la clarté de ses réponses à mes questions sur la gestion de crises.

    Mon amie Isabelle de Person, pour la recherche de certaines sources sur des bases de données auxquelles je n'avais pas accès.

    Mes parents Catherine et Dominique Trouiller, pour nos discussions fructueuses et leur relecture attentive de ce mémoire.

    Sommaire

    Introduction............................................................................................. p. 4

    . Distinction entre CVR et TPI........................................................................ p. 4

    . Historique des CVR :

    des disparitions forcées aux violations des Droits de l'Homme en général................... p. 10

    . Composition des CVR................................................................................ p. 18

     

    Première partie: la Vérité............................................................................ p. 20

     

    1: Le Droit à la Vérité.................................................................................. p. 20

     

    2: La recherche de la Vérité........................................................................... p. 23

     

    3: A quoi sert la recherche de la Vérité ? ........................................................... p. 31

     

    Deuxième partie: la Réconciliation................................................................ p. 39

     

    1 : L'amnistie et la réconciliation.................................................................... p. 39

    2 : Les recommandations............................................................................. p. 43

    3 : Le storytelling : une vérité bonne à dire........................................................ p. 45

    Conclusion.............................................................................................. p. 52

    . Les CVR : des institutions protéiformes............................................................ p. 52

    . De quelle efficacité parle-t-on ?........................................................................ p. 53

    .Quel avenir pour les CVR ?................................................................................................... p. 57

    Bibliographie............................................................................................ p. 59

    Introduction

    Les commissions vérité et réconciliation sont des instances provisoires, généralement mises en place par des gouvernements de transition (d'un régime à un autre ou de la guerre vers la paix). Elles disposent d'un temps de travail limité (deux à trois ans en général1(*)), pour tenter d'éclairer des faits définis comme étant des violations graves des Droits de l'Homme commises par un gouvernement ou ses opposants. Par définition, elles se concentrent sur les crimes commis dans le passé et non sur ceux qui peuvent survenir alors qu'elles accomplissent leur mission. Elles sont perçues comme la manière la moins mauvaise possible de sortir d'un conflit politique violent et d'éviter que de tels faits ne se répètent.

    Certains auteurs considèrent que paix et justice sont inséparables, d'où l'adage qui sert d'intitulé au livre de Jean-Baptiste Jeangène-Villmer2(*) « Pas de paix sans justice ? »3(*). Or négocier en faveur de la paix peut nécessiter un compromis aux dépens de la conception générale de la justice. L'auteur oppose deux écoles : celle des hommes politiques et des diplomates, qui affirment qu'il n'y a pas de justice sans paix, et celle des représentants des institutions judiciaires internationales et des ONG de défense des droits humains qui soutiennent qu'il n'y a pas de paix sans justice. Ce débat se traduit dans la distinction essentielle entre les CVR et les TPI (tribunaux pénaux internationaux).

    Distinction entre CVR et TPI

    Lors d'un conflit armé, ceux qui demandent un cessez-le-feu se sont souvent rendus coupables de crimes punis par la justice pénale internationale (crimes de guerre et crimes contre l'humanité). On se trouve alors en présence d'un dilemme: faut-il les poursuivre devant un tribunal pénal international, comme la justice le requiert, ou bien avoir recours à un système plus favorable au compromis et à la paix, mais moins conforme au droit international comme celui des CVR ?

    Les deux types d'institutions font partie des mécanismes de la justice transitionnelle.

    Le terme de "justice transitionnelle" est apparu en 1992 sous la plume de la juriste états-unienne Ruti Teitel. Elle l'a défini comme « un concept de la justice, intervenant en période de changement politique, qui se caractérise par une réponse juridique aux méfaits de régimes répressifs révolus »3(*). Selon Priscilla Hayner4(*), la justice transitionnelle apparaît quand il devient clair que les besoins des sociétés touchées ne sont pas toujours résolus par l'exercice d'actions en justice à l'encontre des auteurs d'exactions5(*). Avec ce concept, naît l'idée qu'un gouvernement plus démocratique ne peut pas forcément éradiquer tous les faits générateurs d'un conflit ou d'une dictature. Pierre Hazan6(*) distingue trois étapes dans l'histoire de la justice transitionnelle7(*). La première commence à l'heure de l'émergence des commissions vérité, au début des années 1980. A l'époque, la justice transitionnelle ne concernait que les pays sortant de régimes dictatoriaux. Elle visait la réconciliation sociale au sein de ces sociétés. La deuxième période (de 1992 à 2001) est caractérisée par le même objectif, mais dans un contexte très différent, marqué par des conflits identitaires. Son but est alors de contrer la violence par le droit, avec par exemple la création en 1993 du Tribunal pénal international pour la Yougoslavie. La troisième période commence après les attentats du 11 septembre 2001. On assiste alors à un paradoxe : on croit moins en la justice transitionnelle et pourtant ses institutions se multiplient.

    Malgré leur appartenance commune à la justice transitionnelle, les caractéristiques des tribunaux pénaux et celles des CVR semblent opposer ces deux institutions. Les tribunaux pénaux poursuivent des faits juridiquement qualifiés et particulièrement graves, à propos desquels des professionnels du Droit prennent des décisions et en contrôlent l'exécution. Ces juridictions sont créées par le Conseil de sécurité de l'ONU, ce qui les rend totalement dépendantes de ce dernier. De plus, c'est l'atteinte à la Loi qui est jugée et non le tort fait aux victimes. Ces dernières sont donc considérées comme des témoins à charge et à ce titre, n'occupent qu'une place secondaire dans la procédure pénale8(*). Le principal objectif d'un TPI est donc bien la justice pénale, même si la réconciliation peut éventuellement en être la conséquence. Selon le politologue ougandais Mahmood Mamdani, une CVR semble plus capable de faciliter les changements politiques et culturels d'une société et de prêter attention aux besoins des victimes de l'ancien régime. D'ailleurs, la juriste Laura Olson8(*) montre que si la responsabilité individuelle est bien prouvée dans le cadre d'un procès pénal, il en va tout autrement de la responsabilité institutionnelle9(*). Un procès n'a pas pour ambition d'étudier le système régissant la société où un conflit armé s'est installé. Un TPI ne peut donc pas faire de recommandations au même titre qu'une commission vérité.

    Pourtant, il convient de nuancer ces derniers propos. Ainsi, une autre juriste, Sara Liwerant10(*), considère que les tribunaux pénaux internationaux ont également pour vocation de réconcilier les populations touchées par les violences qu'ils poursuivent11(*). En effet, dans leurs décisions, ils s'appuient sur les objectifs qui leur sont assignés par l'ONU, au sein desquels figure souvent la réconciliation nationale. Ainsi, le TPIY (Tribunal pénal international pour la Yougoslavie) rappelle dans ses décisions qu'il a été créé dans le but de mettre fin aux violations du droit international humanitaire et de « contribuer et à la réconciliation nationale en ex-Yougoslavie et au-delà par l'établissement de la Vérité et l'instauration d'un Etat de droit »12(*). De même, le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda) affirme que la mission qui lui a été assignée est « de traduire en justice les personnes responsables de crimes au nom de la Communauté internationale, de contribuer de manière efficace à la répression de la violence et à l'éradication de la culture d'impunité ainsi que de promouvoir la réconciliation nationale et la paix au Rwanda »13(*). De plus, les TPI permettent de favoriser la prise de conscience, aussi bien pour les accusés que pour les victimes, de la bonne application du Droit international, de manière à ce que chacun sache qu'il doit se plier aux lois universellement acceptées. D'autre part, les juges peuvent voir dans les efforts d'un accusé pour contribuer à la réconciliation un motif d'atténuation de condamnation.

    Pourtant, dans les populations elles-mêmes, la mise en place des tribunaux suscite souvent des controverses. En outre, lorsque le TPIY a été institué, une partie des populations serbes et bosniaques ont considéré qu'il imposait une justice des vainqueurs. Ainsi, même si la victime a l'impression que la justice a été rendue, le groupe d'où sont originaires les auteurs des crimes peut accuser les tribunaux d'en faire des boucs émissaires. C'est sur cet argument que s'appuie le discours des CVR. De même, certains problèmes de communication avec le public ou de clarté de la procédure perturbent le fonctionnement de ces tribunaux. Ainsi, dès la création des premiers tribunaux pénaux internationaux (à Nuremberg et à Tokyo en 1945), la défense des accusés s'est avérée très difficile. A commencer par les difficultés résultant de la différence entre les droits allemand et japonais et les procédures largement influencées par le droit anglo-saxon, instituées par le tribunal. De même, durant les premières années d'existence du TPIY, tous les arrêts étaient exclusivement publiés en anglais. Plus grave : dans ces tribunaux, la justice peut être bloquée par des accords internationaux (accords d'extradition, immunités...), ce qui remet en cause sa crédibilité14(*). Enfin, Priscilla Hayner, grande spécialiste des commissions vérité et co-fondatrice de l'International Center for transitional Justice (ICTJ), fait observer qu'il est plus difficile d'instituer de tels tribunaux que de répondre à d'autres besoins d'une société en transition démocratique15(*). D'ailleurs le Droit international public accorde normalement aux Etats la compétence universelle : ils peuvent eux-mêmes juger leurs propres ressortissants, même en cas de crimes punis par le Droit pénal international. Mais les TPI ou les commissions vérité interviennent lorsque l'Etat en cause ne peut, ou ne veut, pas juger ses ressortissants. Lorsque l'Etat ne peut pas le faire, c'est à cause d'un système institutionnel et judiciaire faible. Même si les accusés sont déférés devant un TPI, son indépendance et l'absence de corruption ne sont pas garanties. Or la poursuite en justice des auteurs d'exactions est ce que la société désire le plus au sortir de ses souffrances16(*). Ainsi, le général Bruno Clément-Bollée affirme : « Les commissions vérité, justice et réconciliation ne suffisent pas quand il y a eu des événements graves où les gens ont été touchés humainement, dans leur chair. Il faut aussi que la justice fasse son oeuvre »17(*).

    Les CVR semblent pourtant mieux répondre aux objectifs de la justice transitionnelle. Alexander Boraine, membre de la Commission vérité et réconciliation d'Afrique du Sud et co-fondateur de l'International Center for Transitional Justice, précise que la justice transitionnelle est fondée sur cinq piliers importants : la redevabilité (accountability), la découverte de la vérité, les réparations, les réformes institutionnelles et la réconciliation18(*). La redevabilité souligne l'idée qu'aucune société ne saurait être libre et démocratique sans être dotée de droits fondamentaux et que les souffrances les plus graves que les civilisations ont essuyées ne peuvent être oubliées. Cet objectif exprime la condamnation de l'impunité, qui peut pourtant se révéler nécessaire à la découverte de la vérité. Selon Boraine, la découverte de la vérité comporte différentes notions : la vérité objective ou subjective, la vérité restauratrice, les preuves de violations des Droits de l'Homme, les vérités personnelles de chaque victime et de chaque criminel, les débats à propos de ces différentes vérités. Ces débats sont censés mener les victimes et les criminels à prendre conscience d'une histoire partagée. Or l'objectif des CVR est de confronter les victimes de violations à leurs agresseurs, dans le but de rétablir la paix et la cohésion nationale, mais elles ne prononcent aucune sanction. Elles permettent simplement aux agresseurs de reconnaître leurs torts et aux victimes d'être reconnues comme telles (on peut noter que cet objectif est parfois interprété par certains comme le moyen d'éviter aux auteurs d'exactions d'être jugés pour leurs crimes19(*)). Les commissions permettent donc le passage du crime légalisé à l'état de paix par la découverte de la vérité qui rétablit la dignité des victimes.

    A l'échelle nationale, elles examinent de manière critique les sociétés qui ont autorisé les crimes politiques et collectifs et publient des rapports assortis de recommandations sensées éradiquer les problèmes qu'elles ont observés. Elles tentent donc de déterminer la responsabilité des différents groupes impliqués dans la violence. En s'attribuant un tel rôle, elles vont à l'encontre du principe de Justice universelle, consacré par la Justice pénale internationale.

    Contrairement aux TPI, les CVR sont des organismes non juridictionnels. En outre, Sandrine Lefranc20(*) précise qu'elles peuvent être amenées à considérer des faits que le droit ne poursuivrait pas21(*). Ainsi, la morale intervient pour combler le vide juridique. D'ailleurs, de quel droit se prévaloir quand les dictatures légalisent en général des pratiques comme l'emprisonnement d'opposants politiques, alors qu'elles font partie des graves violations des Droits de l'Homme selon le Droit international ? Les commissions peuvent non seulement réprouver des faits considérés comme acceptables par le pouvoir remis en cause, mais elles peuvent également contribuer à rétablir un droit plus en accord avec la morale.

    Au lieu d'opposer les deux institutions, le général Bruno Clément-Bollée affirme qu'elles sont complémentaires : « En règle générale, quand il y a un TPI, il y a aussi besoin d'un outil de réconciliation »21(*). Pourtant, le travail simultané des deux institutions paraît difficile, le coupable devant changer radicalement d'attitude selon l'institution devant laquelle il se trouve. Devant une CVR, il doit reconnaître son crime, devant un TPI, il doit se défendre.

    Le recours aux CVR suscite donc de nombreux débats. Ainsi, Stéphane Leman-Langlois22(*) souligne la difficulté de satisfaire tout le monde puisque l'objectif des CVR « consiste à la fois à chercher la vérité et à s'assurer la réconciliation des parties »23(*). La difficulté réside donc dans le fait de trouver un juste milieu entre la vérité et la réconciliation. Il faut éviter aussi bien une procédure trop intrusive qui réactive le conflit qui vient de se terminer, qu'une réconciliation construite sur le négationnisme. Bien que les attentes soient énormes, les moyens matériels et le temps dont disposent ces institutions sont parfois insuffisants.

    Il est également à noter que les deux objectifs de vérité et de réconciliation sont très complémentaires et difficilement dissociables, l'un devant mener à l'autre. Par quoi doit-on commencer ? La vérité mène-t-elle à la réconciliation ou la réconciliation favorise-t-elle la vérité ? Pour tout dire, à cette question, le général Clément-Bollée affirme que « la vérité fait partie de la réconciliation »24(*). Mais il ajoute que la condition sine qua non pour déployer de tels outils réside dans la « volonté partagée de tous les acteurs de la crise de faire la paix ». En effet, selon lui, la signature d'un accord de paix ne prouve pas nécessairement que toutes les parties y soient favorables. On peut donc imaginer qu'il faut d'abord un minimum de réconciliation entre les parties pour que la crise cesse et que toute la vérité soit dévoilée.

    Historique des CVR : des disparitions forcées aux violations des Droits de l'Homme en général

    Bien que récentes, les CVR prennent leurs racines dans des pratiques ancestrales, transactionnelles et non pénales.

    Au Moyen-Age, dans certaines zones géographiques, on enraye le cycle de la vengeance par un processus émanant du droit germanique : le Wergeld. Il consistait pour l'auteur d'un crime à donner une somme d'argent pour payer le « prix de l'homme » qu'il avait tué ou gravement offensé. Les familles des deux parties décidaient ensemble du montant de la somme qui devait être payée. De même, en Corse, jusqu'au XIXème siècle, les familles interrompaient la vindetta  et se réconciliaient grâce à des traités de paix appelés paci25(*). Ces traités étaient signés lors de cérémonies rituelles où le criminel était confronté à la famille offensée, qui lui donnait lecture de manière théâtrale, de la gravité de son acte.

    En Afrique également, bien avant l'époque coloniale, il existait déjà des institutions de réconciliation comme les gaçaça (prononcer gatchatcha) au Rwanda et les juges de paix, les bushingantahe au Burundi. Ces mécanismes juridiques d'assise locale étaient en usage dans les régions rurales pour régler les petits litiges familiaux. Aujourd'hui, les gaçaça sont employés pour juger certaines personnes impliquées dans le génocide rwandais. Quant aux bushingantahe, les chercheurs en relations internationales se demandent s'il serait possible de les utiliser pour stabiliser le pays aujourd'hui26(*).

    La première commission vérité et réconciliation est créée en Ouganda en 1974 par Idi Amin Dada. Celui-ci prend le pouvoir en 1971 à la suite d'un coup d'Etat. Il s'attire la sympathie de la population ougandaise en libérant un grand nombre de prisonniers politiques et en démantelant la police secrète mise en place par son prédécesseur, Milton Obote. Mais peu après son arrivée au pouvoir, une ONG, la Commission internationale des juristes, dénonce, dans un rapport adressé aux Nations Unies, les assassinats de 25 000 à 250 000 personnes depuis le coup d'Etat de 1971. A cela, il faut ajouter qu'à la suite de plusieurs disparitions forcées, l'opinion publique ougandaise réclame des enquêtes. C'est donc seulement pour donner satisfaction à ses détracteurs que le dictateur crée la Commission nationale d'enquêtes sur les disparitions de personnes en Ouganda. Celle-ci, par conséquent, a la particularité d'enquêter sur un gouvernement qui est encore en place. En plus de ces investigations, la Commission doit produire un rapport formulant des recommandations pour des réformes. Elle y dénonce les abus de pouvoir de l'armée, de la police et des services de renseignement. En conclusion, elle ouvre des pistes pour réformer ces institutions et appliquer les Droits de l'Homme à l'égard de la population. Or Idi Amin Dada refuse de publier des informations qui mettraient en cause son armée et son administration. Il n'a donc jamais rendu public le rapport de la Commission, qui établissait la responsabilité des corps d'armée mis en place par lui-même dans les cas de disparitions forcées. C'est pourquoi, bien que la Commission ait permit d'établir la vérité sur ces crimes, elle n'a pas empêché les alliés du dictateur de faire preuve de révisionnisme pour se dédouaner de leur responsabilité. D'ailleurs, les abus perpétrés par Idi Amin Dada augmentent massivement dans les années suivantes. Une deuxième commission est mise en place en 1986, après sa chute. Elle a pour but d'enquêter sur les arrestations arbitraires, les tortures et les exécutions sommaires commises par les membres des forces de sécurité de l'Etat. Elle est plus efficace que la première commission : après avoir mené des enquêtes, elle laisse le soin à la police d'engager les poursuites contre les auteurs d'exactions. Pourtant, selon Priscilla Hayner, peu de cas ont été réellement jugés27(*).

    L'Amérique latine est également caractérisée par la mise en place généralisée de pouvoirs dictatoriaux, dont l'arbitraire culmine dans les années 1970 - 1980. La disparition forcée est alors instituée comme un mode de gouvernement directement inspiré du Nacht und Nebel du régime hitlérien. C'est pourquoi les premières commissions ont pour unique but de rechercher les personnes qui n'ont pas donné de nouvelles depuis leur arrestation.

    En 1982, c'est en Bolivie que le président Suazo crée la Commission nationale d'Enquête sur les Disparus (Comision nacional de Investigacion de Ciudadanos Desaparecidos). Elle ne dispose que d'un mandat réduit, puisqu'il lui est impossible d'enquêter sur les cas de tortures, d'exécutions sommaires, d'arrestations arbitraires et de violations du droit de propriété. Elle reçoit 155 dénonciations de disparitions forcées, qui se sont produites entre 1957 et 1962. Mais bien qu'elle ait servi à localiser les restes de certains disparus, les enquêtes de la Commission ne sont guère concluantes. Elle n'a d'ailleurs jamais publié de rapport et les archives nationales de Bolivie affirment ne détenir aucun document écrit de la Commission. Cependant, cette commission, contrairement à celle de l'Ouganda, a réaffirmé le devoir de l'Etat de répondre aux demandes de vérité et de justice des victimes28(*).

    En 1983, en Argentine, le gouvernement de Raul Alfonsin crée une nouvelle commission chargée d'enquêter sur les personnes disparues entre 1976 et 1983, dans le contexte de la « Guerre Sale ». La « Guerra Sucia» désigne une période entre les années 1960 et les années 1980, où une répression d'Etat contre les mouvements d'opposition, a sévi dans toute l'Amérique latine. Elle a été particulièrement dure en Argentine. Durant cette période, les dictatures ont envoyé des agents secrets jusqu'en Europe et aux Etats-Unis pour arrêter des opposants exilés. Ce sont les opérations « Condor ». La FIDH reconnaît que c'est la « première commission importante »29(*). En effet, elle a accès à tous les services de l'Etat et à toutes les régions de l'Argentine.

    Cependant, les procès intentés aux anciens dirigeants de la junte militaire suscitent de vives réactions d'hostilité qui menacent la stabilité du nouveau régime. C'est pourquoi le 24 décembre 1986, des lois d'amnistie dites « du point final » (« Punto final ») et « de l'obéissance due » (« Obediencia Debida ») sont promulguées par Raul Alfonsin, à la frustration manifeste de certaines victimes comme les mères et grand-mères de la « Place de Mai ».

    La Commission uruguayenne pour les Personnes disparues connaît le même destin que celle de l'Ouganda : à la suite d'une dictature militaire incarnée par le président Juan Maria Bordaberry (de 1973 à 1985), une première commission est créée en 1985, alors que le gouvernement en cause vient juste de se retirer. D'une part, elle est très limitée dans son action du fait que l'administration uruguayenne répugne à s'engager dans la recherche de la vérité30(*). D'autre part, elle ne devait enquêter que sur les disparitions et non sur la torture et les détentions arbitraires, alors même que ces dernières exactions constituaient la plupart des violations des Droits de l'Homme perpétrées dans le pays. La Commission ne donne donc pas de résultats probants. Une deuxième commission est créée en 2000 par le président Jorge Battle. Celle-ci manque d'informations, notamment à cause du temps écoulé entre les faits poursuivis et sa création, mais aussi à cause du manque de coopération entre les pays d'Amérique latine.

    C'est avec la Commission du Chili que s'élargit le champ d'investigation des commissions vérité, avec l'examen de davantage de violations des Droits de l'Homme. En 1989, Augusto Pinochet quitte le pouvoir, non sans avoir eu le temps de proclamer une auto-amnistie pour les militaires ayant commis des exactions liées à la politique du régime. Il est remplacé par le démocrate-chrétien Patricio Aylwin. Le décret présidentiel du 25 avril 1990, qui institue la Commission nationale chilienne pour la Vérité et la Réconciliation dispose que cette dernière a pour but « d'aider à clarifier d'une manière exhaustive la vérité concernant les violations des Droits de l'Homme les plus graves commises au Chili ces dernières années (et ailleurs si elles étaient liées au gouvernement chilien ou à la politique nationale) »31(*). C'est la première commission à enquêter sur d'autres violations des Droits de l'Homme que les disparitions forcées. Cette extension du pouvoir des commissions n'est pas négligeable. En effet, la Commission distingue une disparition forcée d'une détention arbitraire ou d'une arrestation32(*). Le terme de « disparition forcée » désigne des cas où des individus, agissant pour le compte de l'Etat dans un but politique, emmènent des opposants dans des lieux inconnus. Les familles demandent souvent des enquêtes mais les Etats ignorent leurs sollicitations ou en diligentent sans les faire aboutir. Plus « acceptable », la détention arbitraire ou l'arrestation impliquent que l'Etat reconnaît la privation de liberté des victimes. Cependant, le décret présidentiel reste flou : il n'évoque que les « violations des Droits de l'Homme les plus graves ». En pratique, la Commission ne se consacre qu'aux crimes ayant entraîné la mort ou la disparition de la victime33(*).

    Il faudra attendre la Commission nationale sur la Détention politique et la Torture (Commission Valech, créée en 2003) pour pouvoir recueillir plus de 35 000 témoignages d'anciens détenus chiliens, dont 28 000 avaient été victimes de torture.

    A l'époque de la création de la première commission chilienne, en 1990, le nom de « Commission Vérité et Réconciliation » (« Comision de la Verdad y Reconciliacion ») devient emblématique. D'autres commissions portant la même dénomination, seront créées non seulement en Amérique latine, mais aussi au Tchad et au Népal en 1991 et en Afrique du Sud en 1995. Les mandats commenceront alors à être définis plus largement. Ainsi, la commission du Tchad a été autorisée à examiner les accusations de corruption en plus des violations des Droits de l'Homme commises par le gouvernement d'Hissène Habré.

    C'est la commission d'Afrique du Sud qui sera la plus influente. Contrairement aux commissions précédentes, elle est créée par une loi votée par les membres de l'Assemblée nationale d'Afrique du Sud. Elle inspirera de ce point de vue la commission de Sierra Leone et celle du Libéria, respectivement créées en 2002 et en 2003. Avant que la commission ait commencé son travail, deux conférences ont réunit en 1994 des Sud-Africains et des spécialistes internationaux, afin d'étudier la façon dont d'autres nations ont pu gérer les violations des Droits de l'Homme lors de sortie de crise. De plus, ses méthodes de travail constituent une innovation radicale, puisqu'elle s'attribue un pouvoir judiciaire qui lui permet d'accorder des amnisties conditionnelles aux auteurs d'exactions. Bien que s'inspirant d'exemples précédents, cette Commission doit faire face au cas très particulier du régime d'Apartheid, institutionnalisé et donc légalisé en 1948.

    En 1995, une loi votée par le nouveau Parlement prévoit la Commission Vérité et Réconciliation. Celle-ci est chargée de faire un rapport sur les homicides, les actes de torture, les enlèvements et les autres mauvais traitements graves infligés aux individus. Son président, l'archevêque anglican Desmond Tutu, justifie le recours à cette Commission plutôt qu'à d'éventuels procès institués par les tribunaux pénaux internationaux. Ainsi, Desmond Tutu considère le pardon comme essentiel pour reconstruire l'Afrique du Sud : « Nous concevons uniquement une justice punitive, qui n'a d'autre but que de châtier. (...) Je soutiens qu'il existe une autre forme de justice, une justice réparatrice qui était le fondement de la jurisprudence africaine traditionnelle. Cette approche est en accord avec le concept d'Ubuntu34(*), terme qui désigne l'essence même de l'être humain, marquée par la sensibilité à autrui et l'hospitalité. Dans ce contexte, le but recherché n'est pas le châtiment, les préoccupations premières sont la réparation des dégâts, le rétablissement de l'équilibre, la restauration des relations interrompues, la réhabilitation de la victime, mais aussi celle du coupable, auquel il faut offrir la possibilité de réintégrer la communauté à laquelle son délit ou son crime ont porté atteinte. »35(*)

    C'est une nécessité éthique, mais également stratégique, notamment parce que les Blancs qui contrôlent encore une partie de l'armée, préfèrent entrer en résistance plutôt que d'être jugés. Ce qui importe n'est pas le châtiment des coupables, mais le fait pour les victimes et leurs proches de pouvoir s'exprimer librement, sans risquer d'être contredits par l'opinion publique ou que leur discours ne soit exploité contre eux dans le cadre d'un procès. Cette commission change le regard sur les CVR en général : dès lors, elles sont vues comme un choix positif et non comme une solution par défaut35(*). De plus, Pierre Hazan tire une leçon de cette commission : elle est plus morale et plus efficace que les TPI, puisqu'elle « produit à la fois des valeurs communes, une nouvelle entité collective et donc du consensus social »36(*) Avec elle naît l'idée que c'est la réconciliation et non la vérité qui constitue l'objectif principal des CVR. Notons cependant que la Commission devait enquêter sur les violations graves des Droits de l'Homme (meurtres, tortures, mauvais traitement...), mais que son mandat ne s'étendait pas aux pratiques abusives mais légalisées de l'apartheid37(*). La Communauté internationale ne pouvant critiquer ouvertement une commission dont le fonctionnement avait été fixé démocratiquement par un Parlement, a fait preuve de flexibilité sur l'impunité, respectant les amnisties accordées par la Commission38(*). D'ailleurs, l'absence de condamnation pour les pratiques abusives de l'apartheid ne signifiait nullement une absence de remise en question. A commencer par les propos de l'archevêque Desmond Tutu réprouvant clairement ce régime qu'il considérait comme un « système intrinsèquement malfaisant » et une « hérésie »39(*).

    Dans toutes ces commissions, il convient de distinguer d'une part les exactions perpétrées par le gouvernement et les gens qui agissent pour son compte, et d'autre part, les exactions des opposants. Dans beaucoup de pays, on considère que les violences des opposants sont presque insignifiantes par rapport à celles des gouvernements. Mais au Guatemala, au Salvador et en Afrique du Sud, elles occupent une place centrale dans le rapport de la Commission40(*).

    Après l'élargissement du champ d'investigation concernant les violations des Droits de l'Homme, vient l'élargissement des objectifs des commissions. En 1995, le président Jean-Bertrand Aristide crée la Commission Vérité et Justice à Haïti. C'est la première qui inclue la justice dans son titre officiel41(*). Cette commission devait enquêter sur les crimes commis entre 1991 et 1994. En effet, après une période de gouvernement militaire, l'ancien président avait repris le pouvoir et avait été pressé par un groupe d'Haïtiens en exil, de mettre en place cette institution. Sa dénomination même ouvre la perspective d'une réparation.

    Depuis 1995, on compte plus d'une trentaine de CVR dans le monde. Elles se situent principalement en Amérique latine et en Afrique. Leurs mandats sont de moins en moins limités. En effet, les champs d'investigation, en temps et en espace, sont de plus en plus extensibles, Alors que les dates butoirs constituaient des limites infranchissables, certaines commissions ont à présent le pouvoir d'enquêter sur des périodes qui ne sont pas mentionnées dans les lois qui les créent. D'autres encore s'accordent elles-mêmes ce droit. Ainsi, la section 6 de la loi instituant la Commission Vérité et Réconciliation de Sierra Leone limite sa compétence temporelle à la période allant de 1991 (début de la guerre civile), jusqu'à 1999 (signature de l'accord de paix de Lomé). Mais selon William Schabas42(*), la commission a fonctionné comme si ses investigations ne se limitaient pas à cette période43(*).

    De même, elles peuvent proroger les délais qui leur sont impartis pour accomplir leur mission. Ainsi, la commission marocaine ne disposant que de vingt-trois mois pour mener à bien la tâche qui lui incombait et rendre son rapport, le délai a été prorogé car il était insuffisant44(*). De plus, elles ont le pouvoir d'enquêter sur toutes les violations des Droits de l'Homme, notamment les violences sexuelles et les violations de propriété. La Commission colombienne de la Réparation et de la Réconciliation va jusqu'à s'intéresser au trafic de drogue. Dans certains cas, cependant, la notion de victime est limitée. Ainsi, cette même commission colombienne considère que ne sont victimes que les personnes « ayant souffert d'une violation dont les groupes armés illégaux sont les auteurs » (article 5 de la loi « Justicia y Paz »). En sont donc exclus les crimes liés aux actions de l'Etat ou des narco-traficants. Il faut préciser que la loi a été créée en 2006 dans le cadre du processus de démobilisation des paramilitaires d'extrême-droite.

    Les commissions des années 2000 ont donc tendance à s'intéresser davantage aux problèmes sociaux qu'aux autres violations des Droits de l'Homme.

    A l'instar de la commission de Sierra Leone, les CVR les plus récentes peuvent enquêter sur des violations de droits économiques et sociaux (violation du droit à l'alimentation et à la santé, spoliation des terres...). Ces agissements peuvent d'ailleurs aussi bien être imputés aux individus qu'aux gouvernements. La commission de Sierra Leone, toujours elle, a même considéré que cette responsabilité pouvait s'étendre aux entreprises internationales ou aux organisations de sécurité.

    Composition des commissions

    La composition des commissions peut avoir un effet important sur leur travail. Ainsi, le général Clément-Bollée affirme : « Une commission ne fonctionne bien que si elle est crédible. Or, la crédibilité de la commission dépend de sa constitution et du profil des personnalités qui la composent44(*) ». On peut donc se demander comment les commissaires sont sélectionnés et s'ils peuvent avoir un regard objectif sur les témoignages qu'ils recueillent. La composition des commissions est fort variable. Elle dépend des éléments constitutifs de la crise qui déterminent qui sont les parties à réconcilier. Elle est sensée refléter la société sur laquelle la commission est chargée d'enquêter.

    Le président de la commission est généralement une personne moralement indiscutable (un religieux, Prix Nobel de la Paix, comme l'archevêque Desmond Tutu en Afrique du Sud, un professeur d'université, comme Salomonn Lerner Febres au Pérou...). Quant aux autres membres, leur nombre varie sensiblement d'une entité à l'autre. Certaines ne sont composées que de quatre personnes, comme la toute première, celle de l'Ouganda, en 1974. D'autres ont non seulement un nombre bien plus important de commissaires (parfois jusqu'à une centaine), mais elles sont organisées en comités qui se répartissent les tâches. Dans ce cas, les commissaires peuvent ne pas être très nombreux, mais ils doivent superviser la tâche d'équipes conséquentes. Ainsi, en plus de ses 17 commissaires, la commission sud-africaine comptait 400 personnes au plus fort de son activité. C'était un nombre bien plus important que celui des employés des autres commissions. Certaines ont fait appel à des juristes, à des religieux ou à des personnes de nationalités différentes pour siéger parmi leurs membres. Au point de vue interne, Claudine Ayano, membre de la commission du Togo, insiste sur la nécessité d'une « cohésion » entre les membres45(*). Mais la composition des commissions est souvent sujette aux critiques des chercheurs, du fait de la mauvaise représentation des diverses partie en conflit au sein des sociétés en transition. Ainsi, les commissaires sont souvent d'anciennes victimes des régimes mis en cause, comme dans le cas du Maroc. A l'inverse, d'autres, comme la Commission colombienne, sont critiquées pour leur surreprésentation gouvernementale, même si on a tenu compte des divergences de leurs origines politiques.

    Enfin, la commission yougoslave était composée de façon à représenter les diverses ethnies. Elle n'a pourtant pas été jugée crédible par les populations, ce qui prouve que la neutralité mathématique ne suffit pas toujours et que l'appartenance ethnique est un critère discutable. Comme leur nom l'indique, les commissions vérité et réconciliation ont deux objectifs à remplir : la vérité et la réconciliation. Nous tenterons donc d'étudier, dans deux parties distinctes, la façon dont les commissions s'efforcent de mener à bien ces tâches.

    Première partie : l'objectif de Vérité

    Certains chercheurs en relations internationales se demandent si les obligations des commissions vérité sont légales ou morales46(*). Pour certains, elles remplissent des obligations tirées des Droits de l'Homme. C'est le cas typique du Droit à la Vérité qui implique d'autres droits bien connus comme le Droit à la Justice. C'est un droit clairement reconnu par le droit international public. Cependant, la Vérité répond également à un objectif moral : celui des victimes et des nouvelles institutions.

    Cet objectif de vérité exprime donc une condamnation du silence et il convient ici de savoir de quelle façon les commissions remplissent un objectif si délicat.

    Par ailleurs, certaines commissions se contentent de mener l'enquête dans le but de réconcilier les parties. D'autres défèrent ceux qui ont commis les actes les plus graves devant des tribunaux pénaux locaux ou internationaux. D'autres encore défèrent devant des tribunaux toutes les personnes qui n'ont pas avoué leurs crimes (l'Afrique du Sud en est un exemple). Il est donc nécessaire de comprendre quels sont les moyens par lesquels les commissions recherchent la vérité. Enfin, il convient d'expliquer à quoi sert l'objectif de vérité.

    1 : Le Droit à la Vérité

    En Droit international, le Droit à la Vérité fait partie du Droit humanitaire. Reconnu d'abord par la plupart des Etats en tant que Droit coutumier, il est codifié dans de nombreux textes, y compris dans les articles 32 et 33 du protocole additionnel des conventions de Genève de 1949. Ainsi, le droit coutumier exige des Etats qu'ils enquêtent sur les crimes de guerre commis sur leur territoire ou par leurs ressortissants durant un conflit armé et qu'ils en poursuivent les suspects47(*). Pourtant, durant la guerre froide, le besoin de justice et de vérité des victimes a été écarté par les Nations Unies sous prétexte du maintien de la paix, celui-ci ne reposant alors que sur des bases fragiles. Après la guerre froide, on observe un retournement de la situation : le silence, autrefois considéré comme le garant de l'unité nationale, est à présent combattu au profit de la parole. On explique ce changement par l'apparition de la justice transitionnelle et des outils de réconciliation qu'elle met en place.

    Le Droit à la Vérité est également reconnu par certaines organisations internationales qui luttent pour promouvoir les Droits de l'Homme. Dans le protocole additionnel aux conventions de Genève signé en 1997, l'article 32 reconnaît aux familles le droit de connaître le sort de leurs membres. L'article 33 énonce des dispositions particulières concernant les personnes disparues. L'alinéa 1 prévoit notamment que «dès que les circonstances le permettent et au plus tard dès la fin des hostilités actives, chaque partie au conflit doit rechercher les personnes dont la disparition a été signalée par une partie adverse. Ladite partie adverse doit communiquer tous renseignements utiles sur ces personnes, afin de faciliter les recherches ».

    Le Droit à la Vérité est ainsi considéré par certains Etats comme un droit à l'information à l'égard des victimes de violations des Droits de l'Homme ou bien à l'égard des proches de victimes disparues. Mais il ne concerne pas uniquement les victimes. D'une part, les dictatures en Amérique latine ont suscité une forte revendication de ce droit, fondé sur une logique de dissuasion : si un responsable de violations des Droits de l'Homme doit publiquement rendre des comptes, cette sanction le dissuadera, ainsi que d'autres personnes, de récidiver. D'autre part, le Droit à la Vérité permet une remise en cause des structures du pouvoir jugé responsable de la répression. Enfin, ce droit constitue une condition fondamentale pour appliquer d'autres droits fondamentaux comme le droit à la justice. Ainsi, dans l'arrêt Velasquez-Rodriguez, rendu en 1987, la cour interaméricaine des Droits de l'Homme affirme que les Etats parties à son texte fondateur ont l'obligation, s'ils ne peuvent empêcher leurs violations, d'enquêter sur les exactions commises48(*). Signalons également que le principe de compétence universel autorise tout Etat à enquêter sur d'autres crimes de guerre, sans égard à la nationalité des individus poursuivis.

    Déjà en 1993, dans le cadre des Nations Unies, le rapporteur spécial Louis Jouanet fonde ses quarante « principes pour la promotion et la protection des Droits de l'Homme par la lutte contre l'impunité » sur quatre droits fondamentaux appartenant aux victimes dont le droit de savoir. Selon ce rapport, le droit inaliénable à la Vérité est « le droit pour chaque peuple ou chaque personne de connaître la vérité sur les événements passés, ainsi que sur les circonstances et les raisons qui ont conduit, par la violation massive ou systématique des Droits de l'Homme, à la perpétration de ces crimes ». Outre la responsabilité individuelle des auteurs d'exactions, l'accent est mis, dans cette définition, sur la responsabilité institutionnelle du système ayant permis que de tels actes se produisent dans une société donnée. Il est ainsi précisé que la vérité n'a pas seulement un effet thérapeutique sur les victimes de violations des Droits de l'Homme, mais qu'elle a une importance considérable pour l'avenir de la société touchée.

    Il est par ailleurs nécessaire d'opérer une conciliation entre le Droit à la Vérité et l'obligation, faite par le droit international, d'engager des poursuites et de punir certains comportements49(*). Pour exécuter cette obligation, l'Etat ne doit pas nécessairement adopter une sanction pénale : les sanctions peuvent également être administratives ou disciplinaires. Le besoin et le désir de vérité justifient que certains auteurs d'exactions ne soient pas poursuivis. En quelque sorte, le criminel échange la vérité contre l'amnistie ou des remises de peines. Reconnaître publiquement la vérité sera sa vraie sanction. La réconciliation peut alors s'accomplir, puisqu'elle est fondée sur une relation de confiance entre la victime et l'agresseur, contrairement à la relation qui s'établit entre eux dans le cadre d'un procès où la vérité est souvent manipulée par l'avocat. Pourtant, les victimes contestent parfois la validité de l'amnistie lorsqu'elle est accordée, considérant qu'elle va à l'encontre du combat contre l'impunité. La question posée par cette conciliation entre ces deux principes est encore d'actualité. Ainsi, lors d'un débat du Parlement tunisien à propos d'une loi sur la justice transitionnelle en Tunisie, le directeur du programme « Vérité et Mémoire » de l'ICTJ, Eduardo Gonzalez, précise que « connaître la vérité à propos du passé fait partie de la justice et n'est pas une alternative aux poursuites »50(*). L'alternative entre amnistie et sanction sera étudié plus loin.

    Ainsi, les Etats peuvent raconter une partie de leur passé, alors qu'ils avaient tenté de l'occulter. Les sujets dangereux, censurés dans les écoles et rarement évoqués dans la presse, peuvent refaire surface. Ainsi, naît l'idée d'un Etat soucieux de préserver son histoire et de ne pas céder au révisionnisme. Le Droit à la Vérité peut donc aider la société à comprendre les causes d'un conflit et des violations des Droits de l'Homme qui en ont résulté. Il peut contribuer à la restauration et à la stabilisation de la paix, ainsi qu'à la réconciliation nationale. En somme, le Droit à la Vérité vise le rétablissement de l'Etat de Droit, le combat contre l'impunité, la satisfaction des victimes et le rachat des bourreaux. En ce sens, c'est le droit fondateur des CVR. Ainsi, leurs mandats doivent-ils leur permettre non seulement de satisfaire ce Droit à la Vérité, mais également de faciliter les poursuites en justice des responsables, par l'établissement d'une vérité la plus exhaustive possible. Si le bourreau peut être amnistié, le commanditaire du crime commis peut être condamné. Par ailleurs, hormis les CVR, le Droit à la Vérité se manifeste aussi par d'autres processus, comme le fait de donner au public un libre accès à l'information et aux archives. C'est notamment le cas au Salvador, où un musée et des parcours de tourisme militaire ont été mis en place pour mieux comprendre la guerre civile opposant la République salvadorienne à des guérillas marxistes de 1980 à 1992. Pour les CVR, la recherche de la vérité reste d'ailleurs très difficile, du fait que les preuves d'exactions sont souvent dissimulées, voire détruites, par le gouvernement qui les a commises ou par ses successeurs désireux de racheter la paix civile.

    2 : La recherche de la Vérité par les commissions

    Au Guatemala, l'accord de paix d'Oslo institue la Commission pour la Clarification historique. Elle doit « clarifier les violations des Droits de l'Homme et les actes de violence qui ont entraîné des souffrances pour le peuple guatémaltèque ». Etienne Jaudel remarque que la recherche de la vérité figure depuis lors dans le mandat de toutes les commissions50(*).

    C'est pourquoi il est nécessaire de comprendre les moyens dont les CVR disposent pour parvenir à leurs fins. Ainsi, si on peut observer des points communs entre toutes les commissions concernant leur création et la publication de leurs rapports, on remarque que la procédure interne et le recueil de témoignages sont beaucoup plus informels. Il convient notamment de souligner l'importance des médias dont les enquêtes et les reportages peuvent être considérés comme des pistes sérieuses voire des sources. Enfin, certaines commissions travaillent en parallèle avec des tribunaux pénaux internationaux devant lesquels seuls les plus grands responsables sont jugés. La coopération entre les TPI et les CVR sera étudiée plus loin.

    La procédure d'une CVR commence et se termine souvent de la même manière. Le mandat de la commission est défini par une autorité publique, qui détermine la période et les exactions sur lesquelles elle doit enquêter, ainsi que le temps de travail qui lui est imparti. Ce mandat est censé refléter les attentes de la population et guider les membres des commissions dans leur travail. La plupart du temps, la commission est créée par une autorité institutionnelle (le parlement ou le gouvernement). Mais bien souvent, les Nations Unies peuvent conseiller les Etats, comme dans le cas de la Sierra Leone, ou bien créer elles-mêmes la commission, comme au Salvador. Parfois, c'est l'ancienne puissance coloniale qui la recommande : au Chili, c'est un magistrat espagnol qui a accompagné la création de la Commission. A l'époque de leur apparition, les commissions vérité n'enquêtaient que sur des conflits armés ou des dictatures. Leurs créateurs déterminaient donc avec précision la période où avaient eu lieu des violations massives des Droits de l'Homme. Aujourd'hui, les commissions peuvent également enquêter sur des violences « d'intensités différentes selon les moments »51(*). Ainsi, l'Instance Equité et Réconciliation du Maroc (2004) et la Commission Justice Vérité et Réconciliation du Togo (2009), enquêtent sur de très longues périodes (respectivement 43 et 47 ans). Mais l'importance des violences et l'intensité du conflit ont varié durant toutes ces années. Ainsi, au Togo, la tension était maximale durant les périodes d'élections. De même, au Maroc, les « opérations de maintien de paix » au Sahara occidental qui continuent sont entrecoupées par des périodes de négociations avec les Nations Unies.

    La procédure interne à la commission est assez variable et fait souvent intervenir la société civile. La source d'enquête principale reste les témoignages de la population, massivement prévenue de la mise en place des CVR par de vastes campagnes de publicité sur des affiches et dans les médias.

    Les commissions ont eu, au fil des années, de plus en plus de pouvoirs parmi lesquels figurent la possibilité de faire comparaître des témoins et de décider selon les cas si la procédure devait être à huis clos ou publique. Pierre Hazan précise que les premières CVR, désireuses de ne pas nuire à la dignité des victimes par la publicité de la procédure, ne recueillent que des témoignages à huis clos (Bolivie, Argentine, Salvador)52(*). Bien peu d'entre elles ont le pouvoir de citer des personnes à comparaître, de consulter des documents ou de faire des perquisitions. La première commission à disposer de tous ces pouvoirs, est celle d'Afrique du Sud en 1995. Pourtant si les victimes viennent souvent témoigner, il n'en est évidemment pas de même pour les auteurs d'exactions. Ainsi, la Commission chilienne a recueilli moins de vingt témoignages de tortionnaires53(*). De même, en Colombie, certains observateurs ont confié à la télévision que seuls 12% des criminels étaient venus témoigner54(*). Beaucoup de commissions se plaignent encore aujourd'hui de ne pas pouvoir coopérer pleinement avec certaines institutions compromises dans les atteintes aux Droits de l'Homme, telles que la justice, l'armée et les forces de sécurité.

    Couramment, certaines commissions peuvent obtenir des photographies des personnes connues pour être impliquées dans les dictatures en cause. Grâce à ces documents, les victimes peuvent très souvent identifier ceux qui leur ont infligé des violences55(*). Aujourd'hui, la possibilité de recourir à des bases de données informatiques permet un traitement plus objectif et plus scientifique des documents et évite d'avoir à auditionner la totalité des victimes. Priscilla Hayner affirme qu'il serait beaucoup plus difficile pour les commissions d'accomplir leur tâche sans une puissante base de données informatiques, en particulier si les témoignages et les documents sont très nombreux. Cependant, elle déplore une telle concentration de chiffres dans les rapports des commissions, considérant que cet excès a un effet contre-productif sur les gens qui en prennent connaissance56(*).

    Le recueil de témoignages se fait souvent grâce à un questionnaire préétabli, ce qui permet à la plupart des victimes de s'exprimer par écrit. En pratique, selon la FIDH, seul 5 à 10% des victimes sont auditionnées57(*). Par exemple, la commission du Libéria, qui couvrait la période de conflit entre 1979 et 2003, a recueilli 22 000 dépositions écrites alors qu'il n'y aura que 500 témoignages en audience publique.

    Beaucoup de déclarations sont compilées, mais les commissions n'enquêtent que sur certains d'entre eux, faute de ressources et de temps. Etienne Jaudel observe que les commissions ont souvent affaire à des dizaines de milliers de victimes souhaitant faire connaître les violences qu'elles ont subies. L'auteur ajoute que seules les commissions peuvent répondre aux demandes d'une telle masse de personnes58(*). Mais les questionnaires écrits ne servent pas uniquement à compiler plus de témoignages, ils permettent également de garantir davantage de discrétion et d'assurer en conséquence une meilleure sécurité ou moins d'humiliation en cas d'atteintes sexuelles.

    Les déclarations sont censées couvrir tout le territoire national. Dans ce but, les enquêteurs peuvent se déplacer sur le terrain pour avoir accès à des endroits isolés. Mais si certaines zones particulièrement touchées par les violations sont identifiées, ils peuvent aussi y créer des bureaux locaux permanents. C'était notamment le cas de la Commission péruvienne. Les commissions peuvent même former plusieurs entités, chacune prenant en charge une zone du pays. Ainsi, au Sri Lanka, il y avait trois commissions différentes ayant le même mandat mais qui couvraient trois zones géographiques distinctes59(*). Elles travaillaient indépendamment les unes des autres et avaient des méthodes différentes. Leur mandat couvrait à la fois le conflit entre le gouvernement et le Front de libération au Sud du pays de 1987 à 1990 et le conflit entre le gouvernement et les Tamouls au Nord-Est, en 1990.

    Les CVR ont aussi un rôle d'identification des victimes au sens le plus large du terme : elles doivent établir l'identité des morts. Les commissaires sont ainsi amenés sur des sites de fosses communes pour assister à l'exhumation des corps. C'est une phase essentielle de la recherche de la vérité qui permet d'établir l'identité des victimes et de déterminer les violences qu'elles ont subies. Pour cela, ils sont assistés par des médecins légistes. Concernant la Commission de Yougoslavie, on notera qu'elle a fait appel aux experts déjà aguerris par les exhumations de morts au Guatemala. Pour toutes ces équipes, un soutien psychologique est mis en place.

    Parfois, les membres des commissions doivent également rechercher des enfants qui ont été adoptés de force. En Argentine, on estime à 500 le nombre d'enfants adoptés par les familles des criminels. En dehors du soutien psychologique, les personnes qui recueillent les témoignages sont également spécialement formées à cet effet, dans le but de gérer le stress post-traumatique des victimes. Grâce à cette formation, les enquêteurs évitent de soumettre ces dernières à un interrogatoire policier, tout en veillant quand même à recueillir le maximum d'éléments nécessaires pour parvenir à la découverte de la vérité.

    On peut observer une nette amélioration du système de fonctionnement des CVR. C'est notamment le cas des violences sexuelles faites aux femmes lors des conflits. Les premières commissions les ont longtemps passées sous silence bien qu'il ne s'agisse pas forcément d'une censure imposée par les lois instituant les commissions. Martina Fischer rapporte que des chercheurs et des militants des Droits de l'Homme et de la paix ont concentré leurs recherches sur l'expérience que pouvaient avoir les femmes dans les conflits60(*). Il a résulté de ces études qu'il fallait changer les lois standard qui instituaient les CVR dans le but d'éviter aux femmes qui souhaitaient témoigner des violences qu'elles avaient subies, de nouveaux traumatismes dus aux audiences publiques. Des audiences à huis clos ont donc été organisées, ce qui leur évitait avant tout d'être directement confrontées à leurs agresseurs, mais également d'être méprisées et rejetées de leur communauté.

    La maîtrise linguistique est également importante pour les pays utilisant plusieurs dialectes ou plusieurs langues. La victime et le coupable doivent en effet s'exprimer dans la langue qu'ils maîtrisent le mieux et qui n'est pas forcément la même. L'accessibilité linguistique est également primordiale lors de la publication des rapports des commissions. Or en règle générale, ils ne sont disponibles dans leur intégralité que dans une ou deux langues. En outre, ils restent souvent hors de portée des personnes qui souhaiteraient en prendre connaissance faute de publicité. Ainsi, en Ouganda, lorsque la Commission rend son rapport en 1995, mille exemplaires sont publiés, mais peu de gens savent que le rapport est disponible61(*).

    Il est nécessaire de souligner l'importance des médias dans la diffusion des travaux des commissions. Ainsi, avec la commission d'Afrique du Sud, les victimes et les agresseurs peuvent s'exprimer en public et leurs témoignages être retransmis à la radio et à la télévision. Cela permet aux victimes et aux auteurs d'exactions de s'exprimer librement et de faire connaître leur vérité, ce qui suscite souvent un véritable débat dans la société entière. Les audiences publiques permettent notamment d'instaurer une véritable confiance à l'égard des membres des commissions grâce à un sentiment de transparence. Chacun peut entrer dans la salle et écouter un témoignage traduit en simultané dans les onze langues sud-africaines. Par ailleurs, des journalistes présentent chaque jour un cas dans les journaux télévisés du matin et du soir. Toutefois, certaines audiences demeurent à huis clos, notamment lorsqu'il s'agit d'agressions sexuelles ou de témoignages d'enfants.

    La société civile participe donc activement, non seulement aux procédures des commissions, mais également aux décisions qu'elles prennent. Au Ghana, par exemple, la CVR devait couvrir certaines périodes marquées par des coups d'état militaires ou des dégradations de la situation économique du pays. La CVR enquêtant sur cette période (1968-1992) s'est chargée de former les journalistes pour qu'ils puissent mieux couvrir ses travaux, ce qui a permis une diffusion efficace de l'information. Mais la société civile peut aussi intervenir plus activement dans les commissions. Ainsi, à Haïti, ce sont les militants des Droits de l'Homme, et non la Commission, qui ont recueilli des témoignages. Au Maroc, ces mêmes militants des Droits de l'Homme suggèrent d'ailleurs que l'Instance Equité et Réconciliation du Maroc institue une sous-commission chargée des atteintes sexuelles et composée majoritairement de femmes.

    Enfin, la société civile peut également intervenir lors de la clôture des travaux pour suggérer des recommandations que les commissions auraient oublié d'inscrire dans leur rapport final. La vérité recherchée n'est donc pas l'apanage de la commission.

    Dans certains cas, les CVR travaillent en même temps que les TPI. C'était notamment le cas de la Sierra Leone, du Rwanda et de la Yougoslavie. Il est évident que si les deux institutions travaillent simultanément, des échanges d'informations peuvent avoir lieu. La Sierra Leone a servi d'exemple, car elle a été la première à mettre en évidence les motifs de tension entre les deux institutions. En Sierra Leone, l'accord de paix de Lomé signé en 1999, accordait une amnistie générale à tous ceux qui avaient participé à la guerre opposant le gouvernement et le Revolutionary United Front (RUF). Dans un contexte de frustration générale et de lutte contre l'impunité, la Commission Vérité et la Cour spéciale de Sierra Leone (CSSL) ont été créées, avec l'intervention importante des Nations Unies pour soutenir les deux institutions.

    C'est le Parlement qui a adopté la loi créant la CVR en 2000, les Nations Unies insistant pour que son pouvoir de recherche de la vérité soit suffisant et qu'elle bénéficie en particulier d'un pouvoir de citation à comparaître. La CVR et la Cour spéciale étaient toutes deux opérationnelles à l'été 2002. Le Secrétaire général de l'ONU d'alors, Kofi Annan, avait insisté pour que « une attention particulière soit prise pour s'assurer que la CSSL et la CVR veuillent bien opérer de manière complémentaire en s'entraidant mutuellement dans le respect de leurs fonctions distinctes mais liées »62(*). La procédure de la Commission se déroulait en deux temps : une première phase était réservée à la déposition au cours de laquelle les enquêteurs allaient sur le terrain pour recueillir des témoignages. La Commission a pu écouter beaucoup de victimes mais beaucoup moins de témoignages d'auteurs d'exactions. Une partie des témoignages concernait les victimes d'esclavage sexuel et ceux d'enfants soldats, à la fois criminels et victimes de viols. La seconde phase était une période d'audition, où les enquêteurs organisaient sur le terrain des confrontations entre les criminels et les victimes. La Cour spéciale de Sierra Leone, quant à elle, était un tribunal hybride, qui jugeait à la fois les violations du droit humanitaire international et certains crimes sanctionnés par le droit sierra-léonais.

    Très vite, les premiers témoignages recueillis par la Commission ont été utilisés par la Cour pour identifier les affaires les plus graves auxquelles se limitait sa compétence. La Cour se contentait donc de juger les principaux responsables de crimes contre l'Humanité et de crimes de guerre, les autres affaires relevant du pouvoir d'investigation de la Commission. Pour autant, la recherche de la vérité par la Commission a marqué un temps d'arrêt, la population sierra-léonaise ne parvenant malheureusement pas à distinguer les rôles des deux institutions63(*). Pourtant, la crainte que la Commission puisse devenir le bras armé de la Cour, a été vite dissipée, les deux institutions ayant refusé tout échange d'informations. Pour couper court à tout malentendu, le procureur de la Cour spéciale, David Trane, déclarait qu'il n'était pas intéressé par les renseignements collectés par la Commission. C'est à ce prix que les protagonistes, rassurés, ont pu continuer à témoigner.

    Dans le cas du Rwanda, la Commission pour l'Unité et la Réconciliation nationale et le TPI sont toujours en place. Lorsqu'ils ont été institués (respectivement en 1994 et en 1999), la recherche de la vérité devait incomber au TPI, tandis que ses documents devaient servir de base à la Commission pour réconcilier les populations. Pour les autres crimes, l'information de la Commission était fournie par des tribunaux nationaux, les gaçaças, qui ont jugé 10 000 suspects jusqu'en 2006. La Commission pour l'Unité et la Réconciliation nationale du Rwanda ayant pour unique objectif la réconciliation, elle sera étudiée plus loin.

    En Yougoslavie, le Tribunal pénal s'était d'abord fortement opposé à la création d'une commission vérité, craignant que son objectif de recherche de la vérité ne perturbe son travail64(*). Comme en Sierra Leone, la crise s'est résolue en montrant l'utilité des commissions à qui revenait l'exclusivité des enquêtes sur les crimes « subalternes », les crimes majeurs restant de la compétence du Tribunal pénal65(*). Il est à noter que si la Commission s'est révélée inefficace, c'est davantage dans son objectif de réconciliation que dans la collecte de témoignages, celle-ci s'étant avérée très fructueuse.

    Le président du TPIY réserve également à la Commission le soin d'établir la vérité concernant la responsabilité des institutions, le Tribunal devant se charger des responsabilités individuelles.

    Concernant la recherche de la vérité, les commissions disposent d'un champ d'action de plus en plus conséquent malgré des ressources financières insuffisantes. Elles bénéficient d'une aide accrue des médias. Cependant, la recherche de la vérité est parfois abandonnée aux tribunaux pénaux internationaux. Dans tous les cas, la coopération entre les deux types d'institutions (TPI et CVR) doit être circonspecte pour ne pas dissuader les témoins.

    Il est à présent nécessaire d'examiner à quoi servent ces témoignages et plus largement, à quoi sert la recherche de la vérité.

    3: A quoi sert la recherche de la vérité ?

    La vérité a d'abord un effet thérapeutique sur les victimes, qu'elles la délivre ou qu'elles en prennent connaissance. Pierre Hazan met en avant le fait que c'est moins l'esprit de vengeance qui les anime que le souhait de comprendre comment et pourquoi ces violences leur ont été infligées. Cet objectif de vérité permet donc aux victimes d'exprimer leurs souffrances et aux agresseurs d'expliquer leurs motivations. C'est ce travail qui participe au premier chef à la réconciliation.

    A un échelon plus vaste, la vérité sert aussi à découvrir les circonstances qui ont déclenché le conflit, ainsi que la responsabilité des institutions. Ses observations permettront éventuellement d'améliorer par la suite leur fonctionnement.

    Le principal travail des CVR est de prouver publiquement la culpabilité des anciens dirigeants alors qu'eux-mêmes ont mis en place une vérité officielle qui attribue bien souvent toute la responsabilité aux victimes, dissidents ethniques ou politiques, présentés comme les coupables. Les CVR doivent donc transformer en vérité des témoignages considérés jusqu'alors comme des mensonges, les victimes n'ayant en général aucun moyen objectif de prouver les souffrances qu'elles ont subies. Ainsi, par leur action, les commissions luttent contre une bonne partie de l'opinion publique conditionnée par des années de propagande officielle pour inverser, preuves à l'appui, la responsabilité des violences infligées. Priscilla Hayner affirme que le besoin de rechercher la vérité dépend du degré de dénégation de la part du gouvernement à l'égard des victimes. Dans certains pays, la négation des crimes a été organisée dès le départ. Au Guatemala, les zones où ils avaient lieu étaient bloqués pour éviter d'occasionner des rumeurs à leurs propos66(*). Dans d'autres endroits on a, comme à Katyn, attribué cyniquement à l'opposant un massacre montré au grand jour.

    En Afrique du Sud, la phraséologie officielle désignait les opposants comme « criminels » et « terroristes », cet usage finissant par s'étendre à l'international. Ce n'est qu'en 2000, bien après l'accession au pouvoir de son membre éminent, Nelson Mandela, que l'ANC a quitté les listes des organisations terroristes internationales. Dans le vocabulaire de la Commission présidée par Desmond Tutu, la vérité devait donc servir à « rétablir l'ordre moral » en réhabilitant les victimes, en reconnaissant les fautes des dirigeants et en instaurant de nouvelles règles permettant au pays de s'engager dans un processus de démocratisation.

    Théoriquement, les commissions dévoilent toute la vérité dans leurs rapports. Ainsi, pour le général Clément-Bollée, « la commission vérité, justice et réconciliation, c'est la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ». Toutefois, si la Commission du Tchad, créée en 1991, a été la première à publier les noms des principaux auteurs d'exactions ainsi que leurs photographies67(*), il n'y a eu que peu de répercussions pour les intéressés, qui n'ont pas été jugés68(*), alors que le rapport recommandait que ces personnes soient évincées du nouveau gouvernement et des nouvelles forces armées.

    Concernant la Commission d'Afrique du Sud, la publication des noms des tortionnaires dans son rapport est considérée comme leur punition. En effet, qu'ils soient amnistiés ou non, ils sont tous mentionnés, ainsi que la municipalité où ils résident. Selon Stéphane Leman-Langlois, il s'agit d'une « sanction non officielle » et d'un « contrôle social informel »69(*).

    Cependant, parfois, la vérité n'est pas entièrement dévoilée par les commissions. En effet, dans certaines d'entre elles, d'autres limites sont imposées aux victimes. Les responsables de certaines de ces institutions, comme la Commission pour la Clarification historique du Guatemala (Comision para el Esclaricimiento historico), créée en 1994, et l'Instance Equité et Réconciliation du Maroc créée en 2004) ont exigé des victimes de ne pas désigner nommément les personnes à qui elles imputaient leurs souffrances. Au Salvador, les membres de la Commission avaient hésité à publier les noms des auteurs d'exactions, se disant qu'il était du ressort des instances judiciaires de le faire. Mais en définitive, ils avaient jugé la justice du Salvador encore trop corrompue pour accomplir cette mission de manière efficace. C'est pourquoi la Commission a fini par désigner les noms d'une quarantaine de hauts responsables dans son rapport, dont le ministre de la Défense et le président de la Cour suprême, en dépit de l'avis du gouvernement70(*). En riposte, le président de la République tenta de retarder la publication du rapport, soulevant un autre problème de la manifestation de la vérité : la sécurité des témoins face aux vengeances. Cinq jours après la publication du rapport de la Commission, une amnistie absolue et inconditionnelle était accordée par le gouvernement à ceux qui étaient accusés d'actes graves de violence71(*). La Commission n'a pas approuvé l'amnistie, mais n'a pas non plus pressé le gouvernement de poursuivre les auteurs d'exactions qu'elle avait nommés. Pour justifier ces scrupules concernant la dénonciation des criminels, l'un des responsables de la Commission chilienne, l'avocat José Zalaquett, a affirmé que « nommer des auteurs de violations sans qu'ils puissent se défendre équivaut à sanctionner pénalement une personne sans qu'il y ait eu procès équitable »72(*). En particulier, lorsqu'il s'agit d'en désigner certains sans les nommer tous, comme dans le cas du Salvador, il considère cette position comme abusive, puisqu'elle crée une inégalité entre les accusés publiquement dénoncés et les coupables qui restent totalement impunis73(*). En revanche, José Zalaquett ne désapprouve pas la dénonciation des coupables par la Commission d'Afrique du Sud, puisqu'ils ont pu se défendre lors de la procédure d'amnistie.

    Une fois que la CVR a accompli sa mission, elle passe parfois les commandes au judiciaire. Certaines commissions recommandent en effet aux tribunaux nationaux de poursuivre certains individus coupables des violations des Droits de l'Homme les plus graves. Elles coopèrent alors avec les tribunaux en fournissant certaines archives qu'elles ont pu récupérer. C'était le cas de la Commission du Libéria qui a publié dans son rapport une vingtaine de noms de responsables auxquels elle accordait l'amnistie, les autres devant être jugés74(*).

    Les commissions qui ne souhaitaient pas dénoncer les coupables dans leurs rapports se sont donc concentrées sur la réhabilitation de la vérité historique et le réconfort des victimes, ne faisant aucune recommandation de poursuites pénales à l'encontre des criminels qu'elles avaient identifiés. Deux de ces commissions méritent d'être étudiées, intéressantes de par leur différences de contextes : le Maroc et le Guatemala.

    Au Maroc, en 1965, le roi Hassan II met en place un régime répressif pour mettre un terme à toute contestation de son pouvoir. Ce régime durera jusqu'au début des années soixante-dix, où deux tentatives de coups d'état militaires sont déjouées. La demande d'indépendance du Sahara occidental donne l'occasion au roi de réunir le reste de son peuple autour de lui, multipliant les occasions d'abus et de violences dans tout le royaume. En juillet 1999, après les tentatives de démocratisation du régime et des négociations avec le Polisario (Front politique armé du Sahara occidental), une commission d'arbitrage indemnise de nombreuses victimes de la répression. Cependant, elle est beaucoup critiquée pour son manque de transparence. En 2004, le nouveau roi Mohamed VI crée sur recommandations du CCDH, une nouvelle commission, l'Instance Equité et Réconciliation, dans le but de poursuivre la réforme entamée par son père. Elle est chargée d'enquêter sur les violations des Droits de l'Homme qui ont eu lieu depuis l'indépendance du Maroc en 1956 jusqu'à l'établissement de la Commission d'arbitrage en 1979. C'est une période très longue par rapport à celles des autres commissions.

    Bien que la Commission marocaine ait eu à déterminer la responsabilité de l'Etat dans les violations des Droits de l'Homme commises au cours de cette période, elle avait pour consigne de taire les noms des auteurs d'exactions. Le roi considérait en effet que le fait d'invoquer des responsabilités individuelles relevait de l'interprétation historique et par conséquent du seul ressort des historiens. Le seul objectif de cette instance devait être la réconciliation des Marocains avec eux-mêmes et avec leur histoire. Il n'y a donc pas eu non plus de confrontation entre victimes et tortionnaires.

    Au Guatemala, la Commission pour la Clarification historique a elle aussi pris la précaution de taire les noms des coupables. Elle intervient pourtant dans le cadre particulièrement préoccupant d'accusations de génocide. L'exil du trop socialiste Jacobo Arbenz en 1954, puis la succession de régimes militaires appuyés par les Etats-Unis, vont déboucher sur 34 ans de guerre civile. Menant une lutte à outrance contre la guérilla communiste, l'action des "patrouilles d'autodéfense civiles" va conduire des dizaines de villages à être rayés de la carte. La Commission pour la Clarification historique sera créée dès 1994, deux ans avant même la signature de la paix - assortie d'une amnistie. Le rapport de la Commission qualifie d' « actes de génocide » les exactions commises par les groupes armés contre certains groupes ethniques, notamment les Indiens mayas (83% des victimes75(*)).

    Ces deux exemples tendent à prouver que tant que la vérité ne va pas jusqu'à la désignation des coupables, l'impunité encourage la poursuite des crimes.

    Il est à noter que selon Priscilla Hayner, la Commission Vérité et Réconciliation d'Afrique du Sud et l'Instance Equité et Réconciliation du Maroc font partie des commissions les plus efficaces. Or l'une a désigné les coupables en considérant cette dénonciation comme une sanction, l'autre a opté pour l'amnistie systématique.

    La question de la dénonciation des criminels reste donc posée. En effet, la dénonciation publique d'auteurs de graves violations des Droits de l'Homme, sans que ceux-ci puissent se défendre, peut avoir des effets non négligeables. Elle peut d'abord nuire à leur réputation et à leur famille, mais également donner l'occasion aux coupables de prendre à partie les victimes qui ont témoigné ou les membres des commissions qui les ont dénoncés. Autant de risque qui peuvent compromettre la réconciliation nationale en formant à nouveau des rivalités entre les groupes. Pourtant, dire toute la vérité, c'est aussi nommer les responsables des violences essuyées par la société. C'est d'ailleurs très important lorsque le système judiciaire de l'Etat ne fonctionne pas assez bien pour intenter des procès. Ces deux principes nécessitent une conciliation et ont suscité beaucoup de débats entre les commissions.

    Les commissions en Argentine et à Haïti semble les concilier chacune à sa façon. En effet, la Commission argentine laissait les victimes donner les noms de leurs agresseurs si elles les connaissaient, mais ne pouvaient pas juger les actes perpétrés, ce rôle étant dévolu à la justice76(*). Pour sa part, la Commission haïtienne ne publiait les noms des coupables que si leur culpabilité ne laissait aucun doute possible77(*). Notons cependant que la Commission haïtienne avait dressé une liste de coupables qui devait rester confidentielle, mais qui finalement a été publiée dans un journal77(*).

    Selon Priscilla Hayner, il est aujourd'hui devenu clair que les commissions ne peuvent désigner les coupables dans leurs rapports que si trois conditions sont remplies77(*) :

    - les individus qui risquent d'être nommés doivent être informés des charges qui pèsent contre eux. Signalons cependant qu'il n'y a pas obligatoirement de confrontation entre le criminel et sa victime si la commission considère qu'elle constituerait un danger pour cette dernière,

    - les auteurs d'exactions doivent pouvoir répondre à ces témoignages,

    - ils doivent être informés que les conclusions des commissions n'équivalent pas celles d'un éventuel procès.

    Pour Priscilla Hayner, la distinction entre les commissions qui doivent dénoncer les coupables et celles qui ne doivent pas le faire réside dans leur objectif principal. Si une commission se contente de rechercher la responsabilité des institutions dans le conflit, il n'y a pas lieu de dénoncer les coupables, qui se retrouvent dans une situation où ils ne peuvent pas se défendre. En revanche, lorsque la responsabilité des individus est également recherchée, la commission peut les dénoncer. Selon Etienne Jaudel, cependant, publier le nom des coupables en ayant le souci de prouver leur culpabilité dans les faits qui leur sont imputés, implique une procédure qui n'est pas à la portée de toutes les commissions. En effet, les témoignages ne sont pas toujours fiables, d'autant que l'intensité des événements et les traumatismes accroissent la subjectivité des témoins et des victimes.

    Mais les commissions ne doivent pas seulement recueillir les témoignages des victimes. Selon Alexandre Boraine, membre de la Commission d'Afrique du Sud, elles doivent aussi accorder beaucoup d'attention aux institutions, afin que les dirigeants voient leur responsabilité engagée du fait des errements de la légalité et des violations des Droits de l'Homme qui en ont résulté. Il est donc nécessaire de comprendre comment de tels actes peuvent voir le jour.

    Ainsi, Jacques Sémelin tente d'expliquer comment peuvent naître les rivalités entre les diverses composantes de la société. Pour lui, lorsque les individus « perdent leurs repères », chacun abandonne son individualité propre pour rechercher une identité commune au détriment d'un autre groupe qu'ils combattent. Cette identité se fonde sur la nationalité, la langue, la religion, la culture ou l'éducation77(*). Les persécutions vis-à-vis de l'autre groupe deviennent essentielles pour pouvoir réagir dans le chaos issu du conflit, comme si le groupe persécuté était le seul responsable. Ainsi, poursuit Jacques Sémelin « L'idéologie entend s'imposer à tous par la terreur, et en retour, la terreur justifie tous ces crimes au nom de l'idéologie »78(*).

    Reste à déterminer quand l'individu est susceptible de « perdre ses repères ». Bien souvent, c'est une accumulation de causes qui conduisent les pays à de telles extrémités. Selon Jacques Sémelin, la chute des cours mondiaux de café a entraîné une perte de repères pour les Rwandais, étant donné que c'était leur principale ressource agricole79(*). Dans de telles circonstances, le pays touché ne peut s'en sortir ni par des réformes économiques, ni par une coopération internationale, car, c'est « l'âme du peuple qui (...) semble atteinte, déboussolée, paralysée ». Ces causes n'auraient jamais conduit au massacre si des « leaders d'opinion » n'avaient pris un groupe d'individus pour cible, encourageant la population à s'en débarrasser pour résoudre la crise80(*). Ce phénomène est bien souvent orchestré par des intellectuels (artistes, médecins, ingénieurs, enseignants...), qui radicalisent leurs discours pour le salut de leur pays81(*).

    Deuxième partie : La Réconciliation

    Le Larousse entend par « réconciliation nationale » un « processus d'acceptation et de déculpabilisation d'une nation après un épisode honteux de l'histoire du pays »82(*). Plus sobrement, le Robert y voit un « oubli des querelles entre parties, entre nations hostiles ». Martina Fischer la définit comme un « processus par lequel une société désunie va vers un avenir commun »83(*). La tâche qui incombe à une commission vérité et réconciliation est donc de refonder une nation par ce processus.

    La première voie qui s'offre à cette réconciliation est l'amnistie.

    La deuxième voie concerne la mise en place de nouvelles institutions pour empêcher le retour des violences.

    Enfin, la troisième voie consiste à raconter l'histoire d'un pays afin de la rendre acceptable et positive pour tous.

    1 : L'amnistie et la réconciliation

    L'amnistie permet de renoncer aux poursuites judiciaires contre certains auteurs d'exactions. Pour les diplomates, elle est considérée comme un levier très important pour les négociations. Les clauses d'amnistie dans les traités de paix ne sont pas une nouveauté, elles existaient déjà durant l'Antiquité. L'amnistie traduit la volonté des Etats d' « oublier » les crimes de certains de leurs ressortissants. C'est le pardon des institutions. Dans le cadre des CVR, soit tous les crimes dont elles ont connaissance sont automatiquement amnistiés, soit la CVR prononce elle-même l'amnistie sous certaines conditions. Il est donc nécessaire de s'interroger sur son efficacité dans le processus de réconciliation.

    Au Guatemala comme au Maroc, le principe initial de non-dénonciation des auteurs d'exactions a entraîné une amnistie systématique, puisqu'elle garantissait l'anonymat. Mais dans ces deux pays, l'absence de désignation des coupables est critiquée. Ainsi, Jean-Baptiste Jeangène-Villmer cite un témoignage qui affirme : « Au Guatemala, le processus de paix a « officiellement réussi » grâce à une amnistie. Mais les gens continuent d'être assassinés chaque jour qui passe. Les assassins sont les mêmes qu'auparavant. (...) L'impunité pour les crimes commis hier engendre les crimes et l'impunité qui prévalent aujourd'hui »84(*).

    Quant au Maroc, cette amnistie systématique a été condamnée par des associations militant pour les Droits de l'Homme, des victimes de la répression et des indépendantistes sahraouis85(*). L'impunité à l'égard des auteurs d'exactions leur a semblé contre-productif. Pour eux, la transition démocratique et l'instauration d'un Etat de droit ne pouvait se faire correctement sans justice pour les crimes commis dans le passé. L'amnistie de fait avait pour conséquence majeure le maintien au pouvoir de la plupart des criminels qui avaient agi pour le compte de l'Etat durant la période de répression. La meilleure preuve de ses effets néfastes restant cependant la poursuite des violations des Droits de l'Homme à l'encontre des islamistes arrêtés lors des attentats de Casablanca.

    En Afrique du Sud, l'amnistie n'était pas systématique. Contrairement au Maroc et au Guatemala, où les commissions taisent le nom des auteurs d'exactions, la Commission d'Afrique du Sud est dotée d'un pouvoir judiciaire : celui d'amnistier. L'amnistie était du ressort du Comité d'amnistie de la CVR, composé de trois juristes professionnels. Celui-ci pouvait, à la suite d'une procédure proche de celle des tribunaux pénaux, exonérer de toute responsabilité judiciaire les auteurs d'exactions, à condition qu'ils avouent en détail leurs crimes en étant confrontés à leurs victimes. La demande d'amnistie ne pouvait aboutir que si certaines conditions déterminantes étaient remplies ; la condition principale étant que le crime ait été commis dans un but politique. Il devait donc être ordonné ou approuvé par une organisation dont l'auteur était membre et qui avait un objectif politique.

    A l'instar de certains criminels qui refusaient de demander pardon pour un crime qu'ils avaient commis au nom de la Loi et des anciennes institutions, la Commission a donc estimé que certains crimes perpétrés sur des personnes que l'auteur avait appris à haïr étaient excusables. Pour rechercher le caractère politique d'une infraction, la Commission devait la mettre en parallèle avec ce que les partis politiques soutenant l'apartheid considéraient comme acceptable. Par exemple, l'assassinat d'un membre de l'ANC ne devait pas être accompagné d'exactions contre les membres de sa famille. Mais deux infractions ayant la même qualification pouvaient être appréciées différemment par la Commission ; l'une pouvant être amnistiée, puisqu'ayant un but politique, tandis que l`autre n'était pas passible d'amnistie, puisque relevant du droit commun. Les affaires soulevant des difficultés d'appréciation par la Commission ont donc été jugées au cas par cas, les verdicts de la Commission variant selon le réel motif de l'infraction.

    Considérant les décisions du Comité d'amnistie comme arbitraires, le sociologue Graeme Simpson observe que toutes les violations des Droits de l'Homme commises en Afrique du Sud, avaient une cause sociétale qui rendait difficile la distinction entre crime politique et crime à but individuel.

    Parfois, les demandeurs d'amnistie justifiaient leurs demandes en arguant qu'ils avaient commis des crimes de droit commun, parce que le message de l'organisation minimisait moralement le crime, considérant la nature « inférieure » de la victime. Pour contester l'amnistie, Graeme Simpson remarque que la Commission a tracé une « ligne imaginaire » entre les violences justifiables grâce au système de l'Apartheid et les crimes inexcusables, même en cas d'Apartheid. L'auteur attire d'ailleurs notre attention sur le fait qu'aujourd'hui, les crimes commis pour des motifs raciaux et ethniques, ainsi que les mesures d'exclusion fondées sur la xénophobie, demeurent fréquents86(*). Stéphane Leman-Langlois remet également en cause cette amnistie en affirmant qu'il était impossible au gouvernement de punir tous les responsables et que l'amnistie ne servait qu'à libérer ceux qui étaient en prison, qu'ils soient résistants ou soutiens au régime de l'Apartheid87(*).

    Pour tout dire, certaines victimes sud-africaines demandent encore que justice soit faite, ce qui montre bien que l'amnistie, même conditionnelle, n'a pas abouti à la réconciliation pleine et entière. Outre la contestation de l'impunité, elles ont pointé du doigt le fait que leurs agresseurs minimisaient souvent leurs actes et ne prêtaient aucune attention à leur chagrin. Pour contrer le sentiment de frustration des victimes, certaines commissions décident parfois de n'accorder que des remises de peines aux auteurs d'exactions qui montrent une bonne volonté pour participer à la réconciliation. C'était, par exemple, le cas de la Colombie : les paramilitaires responsables de violations du droit international humanitaire, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, bénéficiaient d'une alternative à la prison à vie s'ils acceptaient de témoigner devant la Commission des exactions qu'ils avaient commises, de rester démobilisés, de se réintégrer dans la société, de rendre les biens subtilisés aux victimes et de participer au financement du fonds de réparations. Les autres étaient condamnés sans commutation.

    En somme, pour les victimes, le choix entre amnistie et châtiment se traduit par un autre choix : vérité ou ignorance des faits. Cependant, bien qu'elle soit une source de frustration pour les victimes, l'amnistie ou la remise de peine sont généralement bienfaisantes, puisque sans aménagements pénaux les coupables avouent rarement leurs crimes. C'est d'ailleurs ce qu'a souligné la Cour suprême d'Afrique du Sud lorsqu'elle a dû juger la conformité de la loi d'amnistie avec la Constitution. La Cour a donc considéré le maintien de la stabilité du pays comme plus important que la satisfaction des victimes. Stéphane Leman-Langlois précise qu'une autre raison, moins morale, était prise en compte : les ressources dont disposait la justice sud-africaine étaient insuffisantes pour que les nombreux auteurs d'exactions soient jugés88(*) . Reste à savoir si pour le public, il est moins frustrant de voir un crime impuni par amnistie que faute de preuve. Pour autant, Priscilla Hayner indique que certains auteurs d'exactions de droit commun, donc non amnistiables, ne sont pas nécessairement reconnus coupables, les tribunaux étant restés favorables à l'Apartheid89(*).

    Soit le coupable dit la vérité mais n'est pas poursuivi, soit il est poursuivi mais fera tout pour la dissimuler. Dire la vérité ne suffit pas nécessairement. Les victimes sont encore plus frustrées lorsqu'elle n'est pas totalement dévoilée (anonymat comme au Maroc), soit parce que les auteurs d'exactions veulent éviter la condamnation, soit parce que les conditions de l'amnistie sont trop arbitraires pour prendre le risque d'un aveu. Comment l'amnistie peut-elle servir la réconciliation si elle n'est octroyée que par un chantage à la vérité ? Toutefois, si l'amnistie est dans ce cas moralement contestable, elle permet le dialogue entre le bourreau et la victime servant ainsi l'objectif de réconciliation des commissions.

    2 : Les recommandations

    Les commissions tentent souvent d'expliquer les échecs des institutions de manière à éviter que les violences qu'elles ont permises ne se reproduisent. C'est une des caractéristiques des commissions, la responsabilité institutionnelle des Etats ne pouvant être engagée devant des tribunaux. Les CVR incitent donc le nouveau pouvoir à changer radicalement les institutions mises en place par l'ancien régime. En règle générale, les commissions recommandent d'abord des institutions et des procédures permettant aux citoyens de voter pour choisir leurs dirigeants. Puis elles leur conseillent d'établir des textes de lois permettant de protéger les citoyens et de sanctionner légitimement les auteurs d'infractions. Enfin, les commissions recommandent également une réforme de la justice.

    Ces recommandations sont très vagues et il est rare qu'elles soient suivies d'effet. Michal Ben-Josef Hirsch considère que des réformes positives ont été faites au Chili et au Salvador, mais elle précise que les nouveaux dirigeants se faisaient chacun des idées différentes du rôle de la Justice et de l'Armée, ce qui ne facilitait pas l'application des recommandations de la Commission.

    Parfois, les conseils des CVR sont d'autant plus difficiles à exécuter que les conflits semblent inhérents aux pays qu'elles tentent de rebâtir. Ainsi, au Guatemala, pour la Commission, le conflit résidait dans les fondements de l'Etat guatémaltèque. Dès ses débuts, ce dernier était jugé « autoritaire, exclusif et raciste (...) dans le seul but de protéger les intérêts de certains secteurs privilégiés minoritaires »90(*). La Commission dénonçait en outre la volonté de maintenir le contrôle social par la terreur, grâce à des persécutions exercées essentiellement sur la population maya, mais également sur les classes pauvres ou les gens exclus de la société.

    Cependant, certaines recommandations sont assez concrètes pour être suivies. Ainsi, la plupart des commissions d'Amérique latine ont conseillé aux Etats de ratifier des traités internationaux des Droits de l'Homme et d'étudier ces droits à l'école et à l'université. De fait, à la fin des années 1980, ce conseil est devenu réalité, les pactes internationaux sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques et sociaux étant ratifiés par la plupart des pays hispanophones91(*). Les commissions ont également obtenu la promulgation de lois dispensant les fils et frères des disparus du service militaire obligatoire. D'autres lois ont donné aux disparus d'acquérir le statut juridique d' « absents par disparition forcée ».

    Au Salvador, la Commission a exigé « le retrait des officiers en service actif, qui ont commis ou couvert de graves violences » et la promulgation de lois interdisant à toutes les personnes impliquées dans de graves faits de violence d'exercer « toute charge ou fonction publique » pour une durée d'au moins dix ans. Bien que concrètes, ces recommandations n'ont été que partiellement appliquées.

    De même, en Colombie, la Commission nationale de Réparation et de Réconciliation recommandait notamment le retour des réfugiés, le déminage du territoire colombien (le plus miné au monde) et la démobilisation des paramilitaires, cette dernière recommandation faisant partie des conditions pour obtenir une remise de peine. Mais malgré une campagne massive dans les médias, la Commission a beaucoup de mal à convaincre les réfugiés de revenir dans leur pays, ceux-ci étant peu désireux d'être confrontés à nouveau aux paramilitaires et aux mines qui jonchent le territoire.

    Enfin, au Rwanda, la Commission pour l'Unité nationale et la Réconciliation (encore en place aujourd'hui) ayant recommandé la lutte contre les idéologies séparatistes, le président Paul Kagamé indique lors d'un discours en 2001 que les deux armées  « anciens antagonistes »n'en forment plus qu'une : l'armée patriotique rwandaise et que « beaucoup de Rwandais viennent de comprendre qu'il n'y a aucun avantage à attiser des conflits perpétuels ».

    La plupart des commissions font figurer dans leurs rapports un chapitre sur les réparations matérielles. L'indemnisation des victimes pour les dégâts matériels (vols, destruction des maisons, pillage des récoltes...) étant très difficile à calculer, les commissions recommandent souvent aux Etats en guise de réparation d'ériger des monuments historiques, comme le circuit baptisé « la route de la paix » (« Ruta de la Paz ») au Salvador. Des monuments comme celui-ci donnent aux victimes comme aux agresseurs l'occasion de débattre, soit entre eux, soit avec des étrangers. C'est donc une occasion d'inviter le storytelling dans la réconciliation nationale.

    Laura Olson distingue deux types de réconciliation : la réconciliation nationale et la réconciliation individuelle. Selon elle, des deux objectifs, le plus réaliste est la réconciliation nationale, qui aboutit à long terme à des changements au sein des institutions. Il n'empêche que les membres des commissions accordent souvent beaucoup d'attention aux victimes, sans que logiquement cette attention se reporte ensuite au niveau national, ce qui ne peut pas calmer les tensions. De plus, certaines recommandations ne sont pas comprises par la population.

    La réconciliation individuelle est bien plus complexe, une victime pouvant comprendre les sentiments de son bourreau grâce au storytelling, sans lui pardonner.

    3 : Le storytelling : une vérité bonne à dire

    Le storytelling, appelé aussi « communication narrative », est une discipline moderne de la communication, couramment employée par les individus, les entreprises, mais aussi les Etats, pour exprimer une vision narrative, simplifiée et embellie de l'histoire d'un groupe. Dans le cadre des CVR, il permet aux individus de toutes les parties de « raconter leur histoire », chacune étant confrontée à celles des autres. Ainsi, le sociologue des génocides Enzo Traverso observe que « le récit du passé livré par un témoin - pourvu que ce dernier ne soit pas un menteur conscient - sera toujours sa vérité, c'est-à-dire l'image du passé déposé en lui-même »92(*).

    Partant de l'échelon individuel, le storytelling bénéficie à la fois à celui qui raconte et à celui qui écoute. En exprimant sa douleur, la victime a l'occasion de parler pour la première fois d'une souffrance qu'il était parfois interdit d'évoquer. En avouant ses crimes, l'agresseur peut également clarifier les sentiments et les convictions qui l'animaient au moment des faits et faire comprendre à la victime que la souillure de la culpabilité est parfois plus difficile à assumer que le souvenir des souffrances. Quant aux auditeurs, ils peuvent mettre les mots des autres sur leur propre expérience et de ce qui semblait être un cas isolé, faire un cas représentatif (résilience). Ainsi, les camps opposés s'enrichissent de leurs expériences réciproques. Notons cependant que victimes et bourreaux se confondent souvent, ce qui paradoxalement facilite la réconciliation, les parties autrefois opposées se retrouvant unies par leur expérience unique et commune du conflit. C'est particulièrement évident dans des pays ayant subi une guerre civile comme l'Espagne et le Liban. Le pouvoir fédérateur de cette expérience cruelle mais commune, unit les parties autrefois opposées par des particularités identitaires (ethniques, linguistiques, sociales, politiques...). Tous ces échanges permettent d'une part d'homogénéiser la perception du passé à l'échelon du pays et d'autre part, de la « neutraliser » en transformant la souffrance en expérience enrichissante pour l'avenir.

    Avec l'omission de ces distinctions, émerge l'espoir qu'une nouvelle identité commune se forgera. C'est là qu'interviendra, dans le processus de réconciliation, le storytelling.

    Prenons par exemple le cas de l'Afrique du Sud. L'équipe de Desmond Tutu, président de la CVR, a en effet mis en avant le concept d' « Ubuntu » pour favoriser la réconciliation, ce concept s'apparentant à celui de communauté villageoise africaine93(*). Le mot « Ubuntu » (caractère humains commun) peut se traduire par « Mon humanité est liée inextricablement à la vôtre » ou « Nous appartenons au même faisceau de vie »93(*).

    Chaque être humain étant irrémédiablement lié aux autres grâce à ce concept, la communauté ainsi établie est censée éliminer l'opposition entre les groupes93(*). Ainsi, la « maximisation » du processus de réconciliation est atteinte lorsque le tortionnaire, ayant livré des aveux complets qui le plongent dans « l'opprobre moral », est lavé de cet opprobre par le pardon de sa victime93(*). Ceux qui ne veulent pas pardonner ou se réconcilier sont considérés comme exclus du nouveau projet national sud-africain. La Commission Vérité établit donc une sorte de « contrat social », par lequel se forme une « unité réelle de tous en une seule et même personne »93(*). S'il y a un moment pour dire la vérité, il doit être limité, les seuls événements relatés pendant ce délai (temps du mandat de la commission) ayant vocation à devenir ce qu'on pourrait appeler de l' « histoire ancienne ».

    Cela dit, en pratique, le storytelling employé pour rebâtir la nation ne fonctionne pas toujours. Ainsi, toujours en Afrique du Sud, toute la population n'adhère pas aux convictions prônées par la CVR de Desmond Tutu. Malgré l'apparente « unité dans la diversité », incarnée par la « nation arc-en-ciel », le politologue Mahmood Mandani déplore la tendance à la division que la commission a créée dans la population sud-africaine. Il observe en effet qu'une distinction est opérée entre les auteurs de violences, leurs victimes et la majorité de la population, reléguée au rang de spectateur du massacre. Selon le politologue, c'est la majorité de la population (Noirs, métisses et Indiens) qui souffrait de violences structurelles tandis que les Blancs les perpétraient. Cependant, la priorité pour les membres de la Commission sud-africaine était de forger une nouvelle identité nationale, et l'Ubuntu était une thèse plausible.

    Dans une société, le communautarisme crée souvent des motifs d'hostilité, comme dans les cas de la Yougoslavie et du Rwanda. Chaque groupe social constituant une particularité identitaire et donc une raison de rivalité entre les populations d'une même nation, il est intéressant d'étudier comment les outils de réconciliation de ces deux pays ont tenté de les esquiver par le storytelling. Précisons que la Commission de Yougoslavie n'existe plus aujourd'hui, contrairement à celle du Rwanda, toujours active.

    La Yougoslavie était une fédération établie en 1945, mêlant de nombreuses ethnies (Serbes, Bosniaques, Croates, Albanais...)93(*). Artificiellement soudées par Tito dans six Républiques fédératives, cette mosaïque d'ethnies n'ayant ni la même histoire, ni la même religion, ni la même culture, s'est avérée incapable de survivre à la mort du dictateur, en 1980. La sécession de la Croatie et de la Slovénie en 1991 débouche sur un embrasement de toute la région, attisé par la présence de beaucoup de poches minoritaires dans toutes les Républiques.

    La Commission Vérité et Réconciliation créée en 2002 est chargée de découvrir les causes sociale et politique du conflit de 1980 à 2000. Mais elle n'est guère efficace puisqu'elle est démantelée avant d'avoir pu faire le moindre rapport. L'un des vices fondamentaux de cette Commission est de s'être focalisée sur les crimes des Serbes, en ignorant la réelle complexité des faits et en minimisant les crimes des paramilitaires d'autres groupes ou l'intervention des Occidentaux. Les protagonistes n'avaient donc aucune volonté de se réconcilier face à une Commission qu'ils jugeaient peu crédible. Ce storytelling s'est montré si inapproprié, qu'une nouvelle Commission Vérité est prévue pour étudier le conflit et faire la lumière sur les crimes de toutes les parties en guerre.

    Au Rwanda, la Commission a un mandat exclusif d' «  Unité et de Réconciliation ». Les enquêtes sur le génocide sont laissées au TPIR et aux gaçaça, ces dernières ayant les fonctions de recherche de la vérité habituellement laissées aux CVR. Le Rwanda ayant gagné son indépendance en 1961, les Hutus (ethnie majoritaire) et les Tutsis (environ 15% des Rwandais) se disputent le pouvoir, au détriment d'une troisième ethnie ultra minoritaire, les Twas (1% de la population)94(*).

    Selon le rapport d'évaluation des activités de la CNUR, c'est la colonisation qui a donné lieu à des conflits. En effet, considérés comme supérieurs aux Hutus parce qu'ils étaient plus grands et avaient la peau plus claire, les Tutsis auraient été placés à la tête du pays par les colonisateurs allemands et belges. Ce favoritisme serait la cause essentielle des massacres inter-ethniques qui commenceront en 1963 et culmineront avec le génocide de 1994. Ainsi, le rapport d'activité de la Commission explique les rivalités entre Hutus et Tutsi en ces termes :

    « L'Unité des Rwandais était solide avant l'époque coloniale. Hutus, Twas, et Tutsis étaient tous conscients de ce qu'ils étaient tous rwandais, que le Rwanda était leur pays et que personne ne pouvait se considérer supérieur à l'autre. (...) Les colons et les missionnaires ont consolidé la dichotomie du peuple rwandais. Dans leur enseignement, ils ont fait croire que les Rwandais provenaient d'ethnies différentes, qu'il y avait une ethnie plus intelligente que l'autre et que par conséquent c'était elle qui devait gouverner ».

    Or contrairement à ce que le rapport semble dire, des rivalités sanglantes pouvant déboucher sur des violences entre les ethnies existaient déjà depuis des temps immémoriaux sur l'actuel territoire du Rwanda. Les premiers enjeux de ces rivalités résidaient dans les ressources naturelles dont disposaient les populations, à commencer par les points d'eaux que se disputaient les ethnies, les Hutus cherchant à arroser leurs terres et les Tutsis voulant faire boire leur bêtes. Les rivalités préexistaient donc à l'époque coloniale, qui n'a fait que les aggraver. Enfin, selon la Commission, c'est au colonisateur que revient l'idée de nouvelles cartes d'identité mentionnant l'origine ethnique du détenteur. Ce sont ces mêmes cartes qui furent utilisées pour déterminer le sort de leurs détenteurs durant le génocide. En somme, le storytelling de la Commission attribue aux colonisateurs, les conditions, non seulement sociales mais également techniques, du génocide. Cependant, rappelons que cette Commission nationale pour l'Unité et la Réconciliation  n'a pas forcément un objectif de vérité historique.

    Selon le rapport du 23 novembre 2001, consacré à l'évaluation de ses activités, l'objectif essentiel est de « préparer et conduire des débats à l'échelle nationale dont l'objet est de promouvoir l'unité et réconciliation du peuple rwandais ». Il met notamment l'accent sur l'idée que l'Etat ne fait plus de distinction entre les diverses couches sociales, concernant l'accès à l'éducation aussi bien qu'à l'administration du pays. Le but de la Commission étant de rebâtir une nation, on peut supposer qu'elle ne souhaite pas expliquer les rivalités sanglantes par des motifs intrinsèquement liés au pays. Elle souhaite établir un commun accord dans toute la population du pays, défendant l'idée qu'il n'y a plus de Tutsis et d'Hutus, Hutus et Tutsis étant tous rwandais. Ce storytelling par excellence débouche sur une mesure aussi concrète que symbolique : la disparition de la carte d'identité à mention.

    Il est à noter que toute personne niant cet état de fait est pénalement sanctionnée pour « sectarisme » alias « divisionnisme ». C'est la loi n° 47 de 2001, article 3 : « La pratique du sectarisme est un crime commis au moyen de l'expression orale, écrite, ou tout acte de division pouvant générer des conflits au sein de la population, ou susciter des querelles ».

    La question du storytelling peut être liée à la question de l'identité. En effet, nous avons vu plus haut les dangers de l'existence d'une forte vision identitaire en temps de crise : si un individu considère que sa version du conflit n'a pas été prise en compte, il risque de se replier à nouveau sur lui-même et sur la différence identitaire qu'il a par rapport à d'autres. Dans ce cas, il est facile de retourner la situation initiale, les coupables d'hier devenant les victimes d'aujourd'hui et inversement.

    La tâche des commissions est donc de faire le tri entre les informations qu'elles ont recueillies, pour ne diffuser que celles qui pourront contribuer à la réconciliation nationale. La réconciliation restant la mission essentielle des CVR, la vérité qu'elles dévoilent est en quelque sorte celle qui est bonne à dire, la vérité facteur de stabilité dans le pays. Mais le storytelling a également une portée internationale. Pour être crédible, il a souvent besoin de prendre le monde extérieur à témoin, attitude qui se manifeste souvent par l'édition officielle de documents multilingues, voire la promotion de musées et de parcours « de mémoire » fortement recommandés aux touristes étrangers. Nous avons évoqué la « Ruta de la Paz ». Mais on notera également l'entrée au Patrimoine mondial de l'Unesco du Centre d'internement sud-africain de Robben Island95(*). Même s'ils échappent au contexte des commissions, mentionnons aussi le Centro documental de la Memoria Historica de Salamanque, conçu avec la participation de différents protagonistes de la guerre d'Espagne et l'élaboration actuelle par des anciens de l'Ira et des paramilitaires protestants, de la prison musée « Long-Kesh, the Maze » en Irlande du Nord.

    Conclusion

    Les CVR : des institutions protéiformes

    Bien qu'issues de pratiques ancestrales, les CVR sont un modèle jeune : si l'on excepte les deux premières en Ouganda (1974) et en Bolivie (1982), qui n'ont jamais publié de rapport, le processus n'existe que depuis trente ans. Elles mettent en résonnance des concepts juridiques de conciliation et de transaction, très présents à notre époque, mais aussi des notions typiques du XXème siècle, comme le « devoir de mémoire », nécessaire pour « faire son deuil ». Actuellement, on a dénombré une quarantaine de CVR depuis leur apparition. Mais il est très difficile de donner un chiffre exact. En effet, non seulement certaines d'entre elles n'ont jamais diffusé, voire publié leurs travaux, laissant donc peu de traces dans l'Histoire, mais d'autres, se succèdent les unes aux autres dans un même Etat (Chili, Uruguay...), prêtant à confusion.

    Souvent confondues avec des tribunaux pénaux, les CVR sont, contrairement à eux, des institutions chaque fois originales, puisqu'elles ont une assise locale (notons le cas extrême des gaçaças, embryon des CVR au Rwanda, inspirées d'institutions villageoises existant avant la colonisation). Généralement élaborées par les Etats, les CVR ne dépendent que rarement des institutions internationales, celles de Sierra-Leone et du Salvador, mandatées par l'ONU, faisant figure d'exception. Il est cependant évident que dans l'ombre, les diplomates et les anciens Etats colonisateurs, jouent un rôle de conseillers, dont il est difficile de mesurer l'influence.

    Naturellement, les expériences de chacune influent sur les autres. A cet égard, la Commission d'Afrique du Sud, perçue comme une des plus fructueuses, à été créées à la suite de deux conférences de 1994, réunissant plusieurs consultants d'Amérique Latine. Ce fort ancrage territorial est censé encourager la réconciliation : la référence à la culture locale est une garantie (notons l'exemple du concept d'Ubuntu en Afrique du Sud), qui évite le reproche d'une justice « impérialiste » et « néocolonialiste ». A l'instar du général Clément-Bollée, on peut considérer que les deux institutions (TPI et CVR) sont complémentaires, l'un cherchant la justice, au sens judiciaire du terme, l'autre la réconciliation sur le plan pratique.

    Les CVR ne sont guère utilisées que quand les forces rivales sont à égalité à la fin du conflit ou de la dictature96(*). Variant tant dans leur composition que dans leur mandat, elles ont des champs d'investigations de plus en plus larges, différants d'une commission à l'autre. Elles ont de plus en plus de types d'atteintes des Droits de l'Homme à répertorier (viols, viols à vocation génocidaire, adoptions forcées, spoliation des terres, ségrégation à l'éducation...). Elles doivent également couvrir des périodes historiques très différentes les unes des autres (guerres civiles répétées, dictatures passagères, violences momentanées). Aujourd'hui, les CVR sont envisagées pour des crises qui viennent de se terminer ou qui sont encore en cours. Elles ont même été évoquées pour des conflits terminés depuis plusieurs générations, comme la guerre civile espagnole. De plus, certaines de leurs méthodes sont utilisées dans les processus de paix, comme celui d'Irlande du Nord, inauguré en 199897(*).

    Un modèle « exportable » n'est-il pas un gage de réussite ?

    De quelle efficacité parle-t-on ?

    Il est difficile de mesurer l'efficacité des CVR, les objectifs de vérité et de réconciliation n'étant pas précisément définis et s'interpénétrant sans cesse. Grâce aux avancées technologiques (informatique, médecine légale) et à la société civile prête à les aider, les commissions ont réussi à croiser des sources. Elles identifient tous les témoins (hommes, femmes et enfants, parlant parfois des langues différentes) pour compiler toutes les expériences du conflit. Pour multiplier les points de vue, elles font de plus en plus appel à la « justice de genre » (sous-commissions composées de femmes, séparation entre « soldats coupables » et « enfants-soldats victimes »...). L'évolution des règles de leurs mandats les autorisant à prendre en compte la plupart des violations des Droits de l'Homme, elles réussissent à brosser un portrait exhaustif et fiable d'une nation au sortir de la crise.

    Cette vision globale ne suffit pas, encore faut-il faire passer la « vérité » au sein d'un public large. Une des tâches des commissions est donc de chercher à rendre les circonstances du conflit compréhensibles pour tout le monde. Ainsi la CVR de Sierra Leone a-t-elle rédigé un rapport dédié aux enfants. De même, la CNRR colombienne a produit sous son propre nom une trentaine de petits reportages exposant toutes les facettes de son travail. La vérité est donc censée être connue et accessible à tous, même si les moyens matériels peuvent faire défaut. Notons d'ailleurs que si certaines personnes ne veulent pas lire les rapports des commissions pour des raisons psychologiques, d'autres, analphabètes ou ne maîtrisant pas la langue du rapport, n'ont pas les moyens de le faire.

    Si l'objectif de vérité est atteint, il faut également en examiner les effets sur la population. Même si le rapport d'une commission peut être un apport considérable aux réformes institutionnelles (comme dans les pays de l'Amérique latine), il est certain que ce rapport n'a pas à lui seul un effet durable, les éléments indispensables à la vie démocratique (alphabétisation, droit de vote, information...) devant être mis au point. L'efficacité d'une CVR se heurte donc à la question du niveau de vie d'un pays, car comment un pays touché par des années de dictature ou de guerre civile pourrait-il avoir les moyens structurels et financiers suffisants pour donner une réalité à de simples recommandations, seules résultantes concrètes des CVR ?

    La publication ou non des noms des coupables est également une question importante. Les commissions hésitent fréquemment à le faire, partagées entre la révélation de toute la vérité et les innombrables pressions des politiciens et des criminels eux-mêmes. Certaines considèrent notamment qu'attribuer des responsabilités individuelles n'est pas de leur ressort mais de celui des historiens. Le débat n'est pas encore tranché. Stéphane Leman-Langlois constate qu'il est impossible de mesurer le succès des CVR, puisque « les données du problème à résoudre doivent assurer la survie des nouveaux gouvernements ». Pour lui, une fois accomplie la mission des CVR, une page est censée être tournée : vérifier que la réconciliation s'est bien produite ferait courir trop de risques de raviver le conflit.

    La vérité historique n'étant pas une science exacte, la vérité forcément subjective est toujours simplifiée et « positivée » pour maintenir la stabilité dans le pays. Pour remplir l'objectif de réconciliation, les CVR font un compromis par lequel la population, partant de la diversité des témoignages recueillis, synthétise son passé. Mais s'y ajoute l'influence des discours schématiques des dirigeants et les rapports parfois abscons des commissions.

    La réconciliation telle qu'elle est entendue par les CVR est donc le compromis entre la vérité brute et la vérité « bonne à dire ». C'est ce que résume la philosophe Barbara Cassin qui observe que « l'ordre des mots, "Vérité et Réconciliation", fournit à lui seul une première indication forte. (...) On ne cherche pas la vérité pour la vérité, mais en vue de la réconciliation. Le « vrai » n'a pas ici d'autre définition et, en tout cas, pas d'autre statut objectivable que celui du « meilleur pour ». Ce « pour », à son tour, est explicitement un « pour nous » »98(*). Le « passage d'un Etat moins bon à un Etat meilleur » est facilité par un discours simplifiant la vérité pour « guérir » la société de sa « maladie ». En pratique, les commissions résument en effet bien souvent les causes des conflits en privilégiant la binarité (Serbes / non-Serbes en Yougoslavie, Tutsis / Hutus au Rwanda, Noirs / Blancs en Afrique du Sud, communistes / gouvernementaux en Colombie...). Il est d'ailleurs intéressant de comprendre la manière d'opérer cette simplification. On observe deux tendances :

    - La commission peut opérer une classification entre les êtres humains, les réduisant à des coupables ou à des victimes, puis les appeler à se réconcilier au nom de l'unité nationale.

    - Elle peut aussi considérer que le conflit a créé des liens de complicité entre ceux qui y ont participé, par opposition aux générations de simples observateurs qui succèdent à la guerre. Quel que soit leur camp, la guerre civile reste « leur guerre ».

    Notons que cette dernière façon de refonder une unité nationale est plus efficace, une conception binaire (coupable / victime) donnant une valeur peu flatteuse de l'individu : compromis ou pas assez engagé. Comment expliquer à un combattant qui a vécu les moments les plus intenses et les plus passionnés de sa vie, qu'il n'a été qu'un tortionnaire ? Comment expliquer au perdant au terme d'une défense acharnée qu'il n'était qu'un pauvret entre les mains de l'adversaire ? Cette perception était déjà pressentie lors de la fondation de l'Etat d'Israël, qui a voulu privilégier la figure du combattant des ghettos (Vilnius Lodz...) à celle du déporté. Pour reconstruire un pays, il faut donner un caractère positif à ceux qui le composent.

    Le storytelling, souvent conditionné à l'intervention des médias, donne aux CVR tout leur caractère moderne. C'est avec le Tribunal pénal de Nuremberg de 1945 que naît le désir de montrer la souffrance, recueils de photos et films à l'appui, pour tenter de l'éradiquer de façon permanente. Ainsi, on ne juge pas les crimes de droit international humanitaire simplement pour les punir, mais en les expliquant. Dans l'espoir que jamais de telles violences ne se reproduiront, naît l'idée du « devoir de mémoire » censé aider la société à « faire son deuil ». Pourtant, depuis que cette volonté transparaît, les images de massacres, de torture et de destructions parcourent le monde et internet, sans pour autant empêcher leur répétition, le « nunca mas », le « plus jamais ça », étant réduits à un simple voeu pieux. De par son influence, la tentation naît de plus en plus d'encadrer le storytelling dans un système juridique, certains protagonistes exigeant la création de lois pour lutter contre de nouvelles thèses, immanquablement qualifiées de « révisionnistes » ou « divisionnistes » (Rwanda), alors même que les archives n'ont pu être examinées par les historiens. Il devient dès lors impossible d'autoriser l'action même de l'historien si la vérité utile est devenue un dogme historique.

    Michal Ben-Josef Hirsh observe d'ailleurs que la vérité empêche parfois la réconciliation, le rapport de la commission ne pouvant, en disant la vérité brute, changer les convictions et la vision du monde des protagonistes. Elle remarque que « la plupart du temps, les gens n'espèrent pas d'une commission qu'elle dise la vérité, mais qu'elles disent leur vérité »99(*).

    A tous ces écueils, il faut ajouter l'influence d'une Communauté internationale dont les valeurs sont très fortement issues d'une vision occidentale. Il serait d'ailleurs intéressant de se demander pourquoi les CVR ont eu aussi peu de succès en Asie, à l'exception du Timor, du Sri Lanka et du Népal. Pierre Hazan cite un membre de l'association Human Rights Watch, qui considère les commissions vérité comme des « plaisanteries cruelles » pour les sociétés qu'elles sont chargées de reconstruire, affirmant qu'elles imposent à la victime la réconciliation avec son agresseur. Plus gênant encore, on peut comprendre à quel point les peuples peuvent être déroutés d'entendre l'ONU exiger la création de CVR (institutions non répressives), comme au Salvador et en Sierra Leone, pour condamner après coup l'impunité des tortionnaires. Ainsi en septembre 2003, le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan affirmait :« Il ne devrait pas y avoir d'amnisties pour les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, les génocides et toutes les autres infractions aux Droits de l'Homme et au droit humanitaire internationaux »100(*). Or une CVR sans remises de peines ne saurait espérer d'autre vérité qu'une version d'avocat. Il n'empêche que pour mesurer le succès d'une CVR, il faut tenir compte des demandes d'acteurs extérieurs qui ont promu ou exigé sa création. Cela autorise les Etats ou les organisations internationales à porter un regard critique sur les commissions.

    Les CVR se trouvent donc aujourd'hui confrontées à des défis encore non résolus, chacun d'entre eux en engendrant d'autres.

    Quel avenir pour les CVR ?

    Certaines de ces institutions se révélant incapables d'accomplir leur mission, faudrait-il créer un code pour les CVR ?

    Kofi Annan met en garde la Communauté internationale contre les « solutions toutes faites » et l' « importation de modèles étrangers ». Il invite donc à se tourner vers les organisations régionales pour qu'elles évaluent les causes profondes des conflits et formulent des recommandations pour éviter leur répétition. L'intérêt de ces commissions étant d'avoir une assise locale qui leur permet de tenir compte de la culture des pays où elles sont créées, il est difficile de codifier le système. Cependant, le droit à la vérité étant clairement reconnu et défini par le droit international public, les commissions peuvent avoir une idée précise de ce qu'elles doivent faire pour appliquer ce droit. En revanche, il n'y a pas de droit à la réconciliation, du fait de l'ambiguïté du mot. Selon Laura Olson, beaucoup de personnes associent la réconciliation « au pardon et à l'oubli », alors que d'autres ne voient pas de réconciliation sans vérité. Pour les premières, la réconciliation serait accomplie par l'amnistie prononcée par l'Etat. Pour les autres, une CVR s'avèrerait nécessaire.

    Il est donc préférable de ne pas codifier le système des CVR, puisque la manière de répondre aux besoins de vérité et de réconciliation varie sensiblement d'un pays à l'autre.

    Faut-il attendre longtemps après le conflit pour créer une commission vérité ? La plupart des commissions vérité ont été créées juste après le conflit ou la dictature par le nouveau gouvernement, permettant notamment à ce dernier de s'assurer une légitimité. Pourtant, le président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation de Côte d'Ivoire, Charles Konan Banny, a déclaré lors d'une interview accordée à la radio de la mission des Nations Unies en Côte d'Ivoire que « l'idée de créer la Commission est peut-être venue trop tôt », soulignant toutefois que les Ivoiriens « n'avaient pas le temps d'attendre pour se réconcilier »101(*). Or si le général Clément-Bollée considère également que la réconciliation demande du temps, il observe que la volonté de réconciliation caractérise la fin du conflit. Il évoque une « double dynamique » du processus de réconciliation. La seconde étant la mission des CVR, la première peut s'enclencher en amont, l'étincelle pouvant être la rencontre entre deux parties adverses effectuant une tâche en commun, comme la construction d'une école. C'est notamment ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire. Le général Clément-Bollée ayant observé les réactions de la population, ajoute qu'elles étaient très positives : non seulement deux parties ennemies se rencontraient, mais ils travaillaient ensemble au profit de tiers.

    En réalité, les CVR ne sauraient remplir leurs objectifs sans la préexistence d'une volonté partagée de réconciliation.

    Bibliographie

    Ouvrages

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    Entretiens avec l'auteur

    Général Bruno Clément-Bollée, directeur du Département de Coopération de Sécurité et de Défense au ministère des Affaires étrangères, le 26 juin 2013.

    Jacques Godfrain, ancien ministre de la Coopération (1995-1997), 17 mars 2013.

    Matériel audiovisuel

    « Nunca Mas », film de présentation réalisé par la commission nationale de réconciliation et de réparation en Colombie: www.youtube.com

    * 1 Priscilla Hayner, « Truth commissions, a schematic overview», 2006.

    * 2 Jean-Baptiste Jeangène-Villmer est un philosophe et un juriste, chercheur en droit international.

    * 3Jean-Baptiste Jeangène-Villmer, « Pas de paix sans justice ? Le dilemme de la paix et de la justice en sortie de conflit armé », Presses de Sciences po, 2011, page 1.

    * 3 Pierre Hazan, « Juger la guerre, juger l'histoire », page 13.

    * 4 Priscilla Hayner est directrice de l'International Center for transitional Justice (New York).

    * 5 Priscilla Hayner, op. cit.

    * 6 Pierre Hazan est journaliste, écrivain et maître de conférences à Science Po Paris.

    * 7 Pierre Hazan, op. cit. ,page 44.

    * 9 Sandrine Lefranc, « Les commissions vérité, une alternative au droit ? » Revue Droit et culture, 2008, n° 56 www.droitculture.revue.org

    * 8 Laura Olson est docteur en droit et conseillère juridique auprès de la délégation régionale du CICR pour les Etats-Unis et le Canada.

    * 9 Laura Olson, « Réveiller le dragon qui dort ? », Revue internationale de la Croix Rouge, 2006.

    * 10 Sara Liwerant est juriste, maître de conférences à l'université Paris Ouest-Nanterre-La Défense.

    * 11 Sara Liwerant, "Quand la justice pénale internationale s'empare de la réconciliation », Droit et Cultures, n° 56, 2008.

    * 12 Sara Liwerant, op. cit., citation d'une expression utilisée dans la plupart des affaires instruites par le TPIY.

    * 13 Sara Liwerant, op. cit., citation d'une expression utilisée dans une décision du TPIR.

    * 14 Jean-Baptiste Jeangène-Villmer, op. cit., pages 61 et 62.

    * 15 Priscilla Hayner, « Unspeakable Truth», page 12.

    * 16 Priscilla Hayner, « Unspeakable Truth », introduction.

    * 17 Général Bruno Clément-Bollée, directeur du Département de Coopération de Sécurité et de Défense au ministère des Affaires étrangères, 26 juin 2013, entretien avec l'auteur.

    * 18 Martina Fischer, « Transitional Justice, Theory and Practis », www.gsdrc.org

    * 19 Priscilla Hayner, op. cit. , page 86.

    * 20 Sandrine Lefranc est docteur en Sciences politiques et chercheuse au CNRS. Elle est spécialiste de l'étude des dispositifs de sortie de conflits politiques violents.

    * 23 Sandrine Lefranc, op. cit.

    * 21 Général Bruno Clément-Bollée, entretien du 26 juin 2013 avec l'auteur.

    * 22Stéphane Leman-Langlois est professeur à l'Ecole de Service social de l'Université Laval (Québec). Il est titulaire de la chaire de recherche du Canada en Surveillance et Construction sociale du risque.

    * 23Stéphane Leman-Langlois, « Le modèle «  vérité et réconciliation », bourreaux, victimes et institutionnalisation du pardon », Informations sociales, 2005, n°127.

    * 24 Général Bruno Clément-Bollée, entretien du 26 juin 2013 avec l'auteur.

    * 25 J. Busquet, Le droit de la vendetta et les pacci corses. Editions Jeanne Laffitte, 1994.

    * 26 Christine Deslauriers, « Le bushingantahe peut-il réconcilier le Burundi ? », Politique africaine, « Justice et réconciliation, ambiguïtés et impensées », Paris, Karthala, n° 92, 2003,page 51.

    * 27 Priscilla Hayner, op. cit., p. 94.

    * 28« Justice et réconciliations : ambiguïtés et impensées », « Les politiques de vérité ou la vérité sur les politiques? », p. 31.

    * 29 FIDH, « Les commissions de vérité et de réconciliation : l'expérience marocaine ».

    * 30 « Justice et réconciliation, ambiguïtés et impensées », « les politiques de vérité ou la vérité sur les politiques? », p. 31.

    * 31 La Commission nationale chilienne pour la vérité et la réconciliation », www.trial.org

    * 32 Fiche de l'ONU sur les disparitions forcées, avril 2008.

    * 33 Delphine Lecombe, « La Commission nationale de Réparation et de Réconciliation : une « Commission de Vérité et Réconciliation » (CVR) colombienne ? Revue Raisons politiques, n°129, 2008, www.cairn.info/revue-raisons-politiques

    * 34 Le mot Ubuntu exprime le fait de se montrer généreux, accueillant, amical, humain, compatissant.

    38 Desmond Tutu, Il n'y a pas d'avenir sans pardon, Paris, 2000, Albin Michel, p. 59.

    * 35 Pierre Hazan, « Juger la guerre, juger l'histoire », page 49.

    * 36 Pierre Hazan, op. cit.

    * 37 Priscilla Hayner, op. cit., page 73.

    * 38 « Justice et réconciliation, ambiguïtés et impensées », page 71.

    * 39 Sarah Pisonero et Nicolas Glorieux, « Les Commissions Vérité et Réconciliation », 2007.

    * 40 Priscilla Hayner, op. cit. page 75.

    * 41 Fanny Benedetti, «Haiti's Truth and Justice Commission».

    * 42 William Schabas est professeur associé à la faculté de science politique et de droit du département des sciences juridiques de l' Université du Québec à Montréal ( UQAM) et directeur du Centre irlandais des Droits de l'Homme à l' Université nationale d'Irlande à Galway.

    * 43 William Schabas, « La Commission Vérité et Réconciliation de Sierra Leone », revue Droit fondamentaux, numéro 3, 2003, traduit de l'anglais par Jean-Philippe Loyant.

    48 Etienne Jaudel, op. cit. page 127.

    * 44 Général Bruno Clément-Bollée, entretien du 26 juin 2013 avec l'auteur.

    * 45 « Participation de la société civile ivoirienne au processus de la réconciliation nationale en Côte d'Ivoire ». Colloque international organisé par la Coalition de la Société civile pour la paix et le développement démocratique en Côte d'Ivoire, novembre 2011.

    * 46 Michal Ben-Josef Hirch, « Measuring the commissions, success and impact», 2007.

    * 47 Laura Olson, op. cit.

    * 48 Michal Ben-Josef Hirsch, op. cit.

    * 49 Laura Olson, op. cit.

    55 www.ictj.org «Knowing the truth about the past is part of justice, not an alternative to prosecutions.»

    * 50 Etienne Jaudel, « Justice sans châtiment », page 99.

    * 51 Colloque de l'Union africaine : « Participation de la société civile ivoirienne à la réconciliation nationale en Côte d'Ivoire », discours d'un membre de la Commission Vérité du Togo.

    * 52 Pierre Hazan, op. cit., page 124.

    * 53 Etienne Jaudel, op. cit., page 118.

    * 54 Emission Testigo Directo, 2010.

    * 55 Priscilla Hayner, op. cit., page 113.

    * 56 Priscilla Hayner, op. cit., page 80.

    * 57 FIDH: Les commissions vérité: l'expérience marocaine.

    * 58 Etienne Jaudel, « Justice sans châtiment », pages 122 et 123.

    * 59 Priscilla Hayner, op. cit., page 64 et 65.

    * 60 Martina Fischer, « Truth and reconciliation commissions, theory and practis ».

    * 61 Priscilla Hayner, « Unspeakable truth », page 31.

    * 62 Marion Chaizemartin et Luce Pérez, « Les commissions Vérité à l'heure de l'émergence de la Cour pénale internationale». Séminaire de justice internationale, 2007.

    * 63 Priscilla Hayner, « Truth commissions, a schematic overview ».

    * 64 Priscilla Hayner, « Truth commissions, a schematic overview ».

    * 65 Texte intégral de l'allocution prononcée le 12 mai 2001 par le juge Claude Jorda, président du TPIY.

    * 66 Priscilla Hayner, op. cit., page 26.

    * 67 Priscilla Hayner, op. cit., page 32.

    * 68 Priscilla Hayner, op. cit., page 127.

    * 69 Stéphane Leman-Langlois, op. cit.

    * 70 Etienne Jaudel, op. cit., page 82.

    * 71 Priscilla Hayner, op. cit., page 91.

    * 72 Pierre Hazan, « Commissions Vérité : amnistie sans amnésie ».

    * 73 Priscilla Hayner, op. cit., page 141.

    * 74 www.trial.org, La Commission Vérité et Réconciliation du Libéria.

    * 75 FIDH, « Le rapport « mémoire du silence » », 1999.

    * 76 Priscilla Hayner, op. cit., page 109.

    83 Fanny Benedetti», Haiti's Truth and Justice Commission».

    84 Etienne Jaudel, op. cit., page 82.

    85 Priscilla Hayner, « Unspeakable truth », pages 129 et 130.

    * 77 Jacques Sémelin, « Purifier et détruire : usages politiques des massacres et génocides », page 55.

    * 78 Jacques Sémelin, op. cit., page 62.

    * 79 Jacques Sémelin, op. cit., page 36.

    * 80 Jacques Sémelin, op. cit., page 33.

    * 81 Jacques Sémelin, op. cit., page 97.

    * 82 Dictionnaire Larousse, 2008.

    * 83 Martina Fischer, « Transitionnal justice : theory and practis».

    * 84 Jean-Baptiste Jeangène-Villmer, op. cit., page 66.

    * 85 Pierre Hazan, « Juger la guerre, juger l'histoire », page 149.

    * 86 Graeme Simpson, « Amnistie et crime en Afrique du Sud après la commission « vérité et réconciliation », Cahiers d'études africaines, 2004, n°173-174.

    * 87 Stéphane Leman-Langlois, « Le modèle « vérité et réconciliation », bourreaux, victimes et institution du pardon ».

    * 88 Stéphane Leman-Langlois, op. cit.

    * 89 Priscilla Hayner, op. cit., page 100.

    * 90 FIDH, « le rapport « mémoire du silence » », 1999.

    * 91 Monica Pinto, « Le bicentenaire des constitutions en Amérique latine », SPIDH, 2010.

    * 92 Enzo Traverso, Le passé mode d'emploi  : Histoire, mémoire, politique. Paris, Editions La Fabrique, 2005, page 19.

    102 Pierre Hazan, op. cit., page 55.

    * 103 Pierre Hazan, op. cit.

    104 Pierre Hazan, op. cit.

    105Stéphane Leman-Langlois, op. cit.

    106 Sarah Pisonero, op.cit.

    * 93 www.usip.org, «Truth Commission: Truth and Reconciliation Commission for Serbia and Montenegro, also called the Yugoslav Truth and Reconciliation Commission»

    * 94 Les chiffres cités proviennent de l'article sur la Commission pour l'Unité nationale et la Réconciliation du Rwanda dans sur le www.trial-ch.org

    * 95www.robben-island.org.za

    * 96 Michal Ben-Josef Hirsh, «Examining Truth Reconciliation Commissions' Success and Impact».

    * 97 Paul Nolan, Peace monitoring Report.

    * 98 Barbara Cassin, Politiques de la mémoire. Traitements de la haine. http:/multitudes.samizdat.net/Politiques de la mémoire, septembre 2001

    * 99 Michal Ben-Josef-Hirsch, « Truth Skepticism », International Journal of the Transitional Justice, 2008.

    * 100 Chronique de l'ONU, Paavani Redy, , « Les Commissions Vérité et Réconciliation. Des instruments pour mettre fin à l'impunité et construire une paix durable ».

    * 115 RFI, « Premier anniversaire et bilan mitigé pour la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation de Côte d'Ivoire ? 2012






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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams