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Pouvoir politique et parenté dans le système Mossi.

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par Ndigue Faye
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master II 2011
  

Disponible en mode multipage

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DEDICACE

Je dédie ce travail :

- A mes grands parents paternel (Birama Faye et Mathieu Niang) et maternel (Coumba Diouf et Mariane Kama) ! Puisse leur descendance hériter de leur acharnement dans le travail quotidien, de leur courage devant les difficultés, de leur sens du culte du travail dont elles ont fait montre durant toute leur existence et érigé en vertu, en raison d'être!

- A mon père et à ma mère qui, comme leurs parents, m'ont inculqué les valeurs de la lutte, de l'abnégation, du désir de perfection et de quête, sans relâche, d'un mieux être social et mental. Puissent-ils vivre longtemps parmi nous, en sagesse et en santé, afin de nous épauler davantage dans cette existence parsemée d'obstacles!

- A ma tante Aissatou Ndong, femme dévouée et vertueuse, pour son soutien inconditionnel et son amour maternel. Que Dieu, par l'entremise de son guide religieux Serigne Fallou Mbacké et de son mari Massaer Niasse, lui paie tous ses efforts par ses enfants !

- A tous ceux qui, prés ou loin, m'ont soutenu, aimé d'un amour fort et sincère, et ont toujours uniquement désiré mon bien, mon bonheur et ma réussite.

- A tous, je dis merci !!!

SINCERES REMERCIEMENTS

- A Monsieur Cheikh Moctar Ba dont le soutien indéfectible, les conseils et orientations ont facilité le choix de ce sujet. Veuillez trouver ici l'expression de toute ma gratitude et ma reconnaissance pour votre sens de l'écoute et du savoir patienter, votre disponibilité dans les moments durs et d'incertitude.

- A Monsieur Ousmane Gueye pour avoir accepté de porter la direction de ce travail. Merci également à Monsieur Massaer Diallo dont l'encadrement intellectuel, le soutien moral et les orientations ont été déterminants. A vous deux, je renouvelle toute ma profonde considération, mon respect et mon estime indéfectibles.

- A Mesdames et Messieurs les professeurs du département de philosophie et à tous ceux qui ont pris une part active à ma formation. A tous ceux aussi qui ont accepté, dés le début, de me soutenir en m'indiquant des pistes à explorer, des voies à suivre pour le traitement de ce thème. Je pense ainsi à Messieurs Amath Faye de l'IFAN et Athie du département de philosophie, ...

- A Monsieur Mignane Diouf, du Forum Social Sénégalais, pour l'aide financière et matérielle, les conseils et orientations durant ce cursus universitaire.

- A tous mes camarades de formation : Mamadou Ba, Abdoulaye Senghor, Francis Sarr, Pierre Sene, Amadou Diouf, Simon Pierre Kantissan...et amis : Marcel Diouf, Joseph

Faye, Charles Faye, Diene Diokh, Pierre Ndigue Faye, Ousmane Ndoffene Diouf...

- A toute cette seconde famille ici à Dakar. Plus spécialement à celle de Aissatou Ndong et à son entourage intime, à mes cousins et cousines, frères et soeurs, nièces et neveux.

SOMMAIRE

Introduction 4

PREMIERE PARTIE: GENESE ET FORMATION DE L'ETAT 10

Chapitre A: La question de l'origine de l'empire et des peuples Mossi: la réalité du

mythe 15

Chapitre B: Du processus de formation de l'Etat 34

DEUXIEME PARTIE : DES RAPPORTS ENTRE PARENTE ET POUVOIR 53

Chapitre A: La question de la parenté dans le système politique Mossi 54

Chapitre B : Enjeux philosophiques et politiques du rapport parenté/pouvoir 66

TROISIEME PARTIE: DE LA « PHILOSOPHIE MOSSI »DE LA

GOUVERNANCE 88

Chapitre A: De l'effectivité de l'Etat et du système de dévolution du pouvoir 89

Chapitre B: Des principes de désignation des Naba 102

CONCLUSION 110

BIBLIOGRAPHIE 114

INTRODUCTION

4

5

Faut-il revisiter philosophiquement le patrimoine sociopolitique et économique des civilisations africaines ? A quelles conditions et selon quelles modalités spécifiques cette étude va-t-elle s'opérer ? En quoi cette analyse constitue un intérêt et que représente-t-elle pour les Etats africains modernes ? Quels apports la compréhension des structures politiques qui ont régi les sociétés traditionnelles africaines et partant Mossi pourrait-elle avoir dans l'échiquier politique africain moderne ? Quelles sont les caractéristiques particulières de ses structures et quelles fonctions jouent-elles dans la gestion du pouvoir ?

Ces interrogations constituent l'espace théorique dans laquelle nous essaierons d'inscrire ce travail. Il s'agira pour nous de réfléchir sur les mécanismes traditionnels de gouvernance de la société Mossi notamment celle de Ouagadougou dans leur manière d'acquérir, de gérer et de transmettre le pouvoir d'une part, et de l'autre, dans leur capacité à harmoniser la vie politique et économique et de mettre en vigueur des lois, fussent-elles coutumières, qui sauvegardent l'unité et la stabilité sociales. En d'autres termes, le politique faisant toujours l'objet d'une invention1 qui suscite bien des astuces stratégiques, des procédures techniques et des approches méthodologiques, il s'agit pour nous, ici, de décrire mais surtout d'analyser afin d'interpréter ces technologies de la politique africaine traditionnelle, d'en montrer la nature et les formes spécifiques, le sens et les finalités qu'elle s'assigne. En général, il consistera donc à déterminer et à réfléchir sur les assemblages et les configurations possibles qui ont coexisté dans l'histoire politique des peuples Mossi ; ce qui permettra, nous semble t-il, de saisir le tréfonds des grands défis que doit relever l'Afrique et parmi lesquels figure le problème de la résolution de la crise de l'Etat et du développement.

La faiblesse de nos Etats, du fait de leur instabilité, se ressent de plus en plus sur le continent. Elle met en évidence les problèmes relatifs à l'intégration nationale des peuples et de leurs traditions préexistantes dans la gestion du pouvoir. La difficulté pour les Etats africains à rendre citoyen les peuples et leurs différentes cultures semble se justifier par le fait qu'ils ont tendance à perdre leur force mythique, leur capacité à faire peur, à imposer leur volonté, à créer l'altérité et à l'uniformiser afin d'exercer leur ascendance au nom de la centralité.

1 Ce que nous voulons exprimer ici c'est que la pratique du pouvoir doit à chaque fois être associée à l'esprit de créativité, à la création de nouvelles règles car comme le remarque Savonnet-Guyot : « Il y a si longtemps que, chez nous, le pouvoir, s'il s'exerce encore, ne s'invente plus ». Cf. ETAT ET SOCIETES AU BURKINA. Essai sur le politique africain. Paris : Edition KARTHALA, 1986, p.7

6

Autrement dit le principal problème de nos Etats réside dans leur difficulté à gouverner dans la différence. Car comme nous le montre Savonnet-Guyot : « après avoir créé de la différence, tout l'art du politique est de tenter d'utiliser cette différence, puis la réduire jusqu'à soumettre l'autre et en faire son semblable. Soumettre l'autre, c'est le subjuguer, c'est supprimer l'altérité, mais à son profit à soi».2 Ce qui revient pour l'Etat et son appareil à effacer tous les replis identitaires, les différences pour le compte de l'harmonie et de la quiétude sociales. Dans nos sociétés modernes, l'Etat perd de plus en plus sa dimension transcendantale et redoutable car il ne se dérobe plus du regard du commun populaire, il n'est plus caché et semble ne plus jouir de sa suprématie originelle. Il semble ne plus refléter l'image de Dieu et incarner cette «force divine ». Cette démythification de l'Etat et de sa puissance fait que les chefs d'Etat et les institutions nationales se voient destituer de tort à travers, manipuler sans raison objective, instrumentaliser pour des intérêts privés au détriment des causes générales. A l'image des rois qui inspiraient la crainte, nos chefs d'Etat doivent incarner la force afin de solidifier les bases et les fondements étatiques, sociaux et culturels des peuples.

Cette crise des Etats peut se comprendre aussi par le fait que l'édification de nos Etats postcoloniaux et l'établissement des institutions juridiques et politiques ne sont pas accompagnées de mécanismes valorisant une certaine conscience nationale de la part des citoyens au sens propre du terme capable de servir de répondant. Cette crise constitue un soubassement par rapport à celle du développement. Sans une réponse citoyenne aux sollicitations de l'Etat, il semble avérer qu'on ne peut concevoir de développement durable car les deux sont liés. Une maîtrise parfaite des diverses espaces géographiques et politiques permettra d'user et de ruser des potentialités humaines et des ressources naturelles pour développer aussi bien l'espace économique que politique.

Notre conviction quant à l'étude du peuple mossi et plus spécialement de son système politique et administratif n'est pas une fin en soi. Elle ne constitue pas à proprement parler une approche exclusivement exceptionnelle mettant en branle des jugements subjectifs de valeur c'est-à-dire de le présenter comme la meilleure forme de gouvernement ou d'en faire un archétype par rapport aux autres entités politiques contemporaines. Mais pour plus de concision et de rigueur et surtout pour éviter de tomber dans les abus de comparaison, nous jugeons utiles, surtout à ce stade de la recherche, de procéder par espace politique afin de

2 Savonnet-Guyot, C. ETAT ET SOCIETES AU BURKINA. Essai sur le politique africain. Paris : Edition KARTHALA, 1986, p.10

7

pouvoir ultérieurement travailler sur les études comparatives. Cela, nous semble t-il, n'entrave en rien la bonne connaissance que l'on peut avoir de l'Afrique dés lors que nous sommes conscients de la possibilité, en ce qui concerne l'étude des systèmes traditionnels africains, de les appréhender tous sans les dissocier ; et cela, comme le montre d'ailleurs Pathé Diagne, lorsque rapportant le propos de Cheikh Anta Diop, à cet effet, il rappelle : « Diop suggère au terme de son inventaire l'unicité des principes qui donnent leur consistance aux structures politiques de ces Etats ouest-africains ».3

Ainsi, à l'instar de la plupart des sociétés africaines traditionnelles, le pays Mossi a toujours été caractérisé par un type d'organisation rigoureux dans sa gestion du pouvoir à travers une politique d'élaboration et de structuration de mécanismes susceptibles de garantir une certaine sécurité sociale et une stabilité économique et culturelle. Ce dispositif préventif constituait un support non négligeable quant au respect des lois établies lesquelles statuaient sur la manière de transmettre le pouvoir, de l'exercer et de fonder une justice pour tous. L'implication de tous les acteurs dans la gouvernance de l'empire constitue un aspect fondamental. Toutes les catégories sociales sont représentées au sein des instances de décision ; ce qui autorise à concevoir dans une telle société, dans un tel model d'organisation une tendance à la démocratisation de la vie politique. Dés lors, ne serait-il pas logique pour les Etats africains de s'approprier philosophiquement cet héritage traditionnel et de l'intégrer à leurs institutions ?

C'est d'ailleurs dans cette optique que des textes relatifs à la vulgarisation des politiques de démocratisation et de rationalisation des structures juridiques et économiques ont été mis en place. Ainsi la Charte africaine des Droits de l'Homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981 à Nairobi, s'engageait déjà dans son préambule à prendre en considération le legs historique africain en matière de respect des Droits de l'Homme. Ainsi elle déclarait les propos suivants:

« Tenant compte des vertus de leurs traditions historiques et des valeurs de civilisation africaine qui doivent inspirer et caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de l'homme et des peuples » ;

3 Diagne, Pathé. Pouvoir Politique Traditionnel en Afrique Occidentale. Essais sur les Institutions politiques précoloniales. Paris : Présence africaine, 1967, p.16

8

« Fermement convaincus de leur devoir d'assurer la promotion et la protection des droits et libertés de l'homme et des peuples, compte dument tenu de l'importance primordiale traditionnellement attachée en Afrique à ces droits et libertés, ».

Toutefois ces théories sont loin d'être observées dans l'échiquier politique des Etats africains : coups d'Etat, abus de pouvoir, instrumentalisation des institutions, violation des droits humains, dévolution monarchique arbitraire, tensions pré et post électorales, conflits inter religieux et inter ethniques... à tel point que la question africaine apparait de nos jours comme une équation quasi irrésoluble. Ayant perdu ses repères du fait de l'aveuglement de l'impérialisme et du néo-colonialisme, de la faiblesse de ses institutions et de la perte croissante de ses vertus ancestrales, l'Afrique « indépendante » nage désormais dans l'incertitude, la tentation, l'imitation. Devant toutes ces difficultés, ne devient-il pas donc opportun et urgent de repenser davantage notre patrimoine historique afin d'en saisir le fonds commun susceptible de promouvoir un développement effectif ? L'Afrique ne doit- elle pas, au lieu de se focaliser uniquement sur la question du développement, penser comme le souligne Ki-Zerbo, à ressusciter son passé ? Ceci relève d'une exigence de la part des africains car comme il le montre, « un peuple ne peut vraiment affronter son avenir sans avoir une vision de son propre passé. On ne peut vivre avec la mémoire d'autrui »4.

C'est dans cette logique d'étude du passé que nous situons l'intérêt suscité par ce travail lequel consiste à réfléchir sur la Nation Mossi. Celle-ci se caractérise, à l'image de tous les empires africains, par un model d'organisation sociopolitique à travers laquelle elle a résisté tout au long de son histoire. Comme l'a bien remarqué d'ailleurs Skinner: « Leur remarquable société a conservé sa forme tout au long de la domination française et ce n'est qu'à l'aube de l'indépendance que l'organisation politique traditionnelle des mossi s'est effondrée ».5

Dés lors, comme l'existence d'une authentique civilisation africaine ne fait plus l'ombre d'un doute suite aux travaux de chercheurs émérites tels que Bekri, Khaldoun, Tempels, Cheikh Anta Diop, Kwame Nkrumah entre autres, il convient donc d'accentuer davantage l'examen. En effet, comme l'a remarqué Alassane Ndaw en rapportant un proverbe africain : « la science est le tronc d'un baobab qu'une seule personne ne peut embrasser »6.

4 Ki-Zerbo, J. Histoire de l'Afrique Noire, Paris : Hatier, 1972, p.29

5 Skinner, E.P. LES MOSSI DE LA HAUTE-VOLTA. NOUVEAUX HORIZONS. Paris, 1972, p.22.

6 Ndaw, A. LA PENSEE AFRICAINE, recherches sur les fondements de la pensée Négro-africaine. Dakar : NEA, 1983, p.37.

Ce qui aura comme finalité la valorisation de cet héritage dans le but de l'adapter à nos réalités pour un accroissement progressif. Ainsi dans l'analyse de ce sujet portant sur le pouvoir politique tel qu'il peut s'appréhender à travers les rapports entre parenté et gouvernance dans le système traditionnel Mossi, nous nous proposons d'examiner d'abord la genèse et la formation des Etats mooses. Cette étude nécessitera, nous semble t-il, un recours aux formes symboliques notamment au discours mythique. Car comme le montre Skinner, « l'origine de la société Mossi est enfouie dans des mythes qui non seulement sanctionnent le pouvoir des familles dirigeantes, mais aussi étayent le système politique grâce à un riche passé de migrations et de conquêtes ».7 Une tentative d'approche interprétative de ce discours mythique serait en mesure de favoriser une meilleure compréhension des politiques administratives et sociales opérées après la période des conquêtes et constituera une phase déterminante dans ce travail.

Il s'agira ensuite de faire l'examen du rapport entre la parenté, en tant que système d'organisation sociale et culturelle, et le pouvoir politique afin d'en saisir les implications et les enjeux philosophiques dans le système d'organisation de l'empire moose. Il sera enfin question, dans ce travail, d'analyser la texture du système Mossi de gouvernance, entendant par là, l'architecture idéologique et la superstructure matérielle et institutionnelle mises sur pied pour une bonne gestion du pouvoir et une conduite des affaires publiques. Pour cela nous estimons procéder par une déclinaison de son système politique et étatique et des principes de transmission du pouvoir à l'intérieur de son organisation sociale et politique. Ceci permettra, nous semble t-il, de jauger l'ensemble des structures politico-sociales, culturelles et économiques qui fonde la société voltaïque traditionnelle dans la gestion du pouvoir et de susciter une certaine prise de conscience par rapport au legs culturel des ancêtres.

9

7 Skinner. Op.cit. p.35

10

PREMIERE PARTIE :

GENESE ET FORMATION DE L'ETAT

11

En philosophie comme dans la plupart des sciences humaines, l'explicitation préalable des notions et des concepts définis dans le langage scientifique et technique constitue une entrée en matière non négligeable pour toute étude se voulant rationnelle et concise. Elle est une véritable propédeutique, car supposant un déblayage conceptuel dont la vocation est de favoriser un certain consensus, une certaine entente - même si la philosophie semble naturellement et essentiellement anticonformiste- et de parer à tout contresens relatif à l'utilisation des termes mis en oeuvre. C'est dans une telle optique que nous tentons, au préalable, de procéder afin d'éviter toute confusion quant à l'utilisation du concept «genèse».

D'après le Dictionnaire Universel 2010, c'est l' « Ensemble des processus donnant naissance à quelque chose ». -génèse, -genèse, -génésie. Elément, du latin genesis, il signifie : « naissance, formation, production ». Quant à André Lalande, dans son Vocabulaire technique et critique de la philosophie, il le définira comme suit : « La genèse d'un objet d'étude (par exemple d'un être, d'une fonction, d'une institution) est la façon dont il est devenu ce qu'il est au moment considéré, c'est-à-dire la suite des formes successives qu'il a présentées, considérées dans leur rapport avec les circonstances où s'est produit ce développement ».

Au regard de tout cela, il convient de noter que ce terme renvoie au processus de formation d'un objet, à l'origine au sens où ce dernier vocable dénoterait l'idée de commencement, de première apparition, de manifestation. Si, toutefois, l'on en croit André Lalande, ces deux concepts s'opposent dans certains cas surtout en tant que la notion de «genèse» supposerait « une réalité préexistante et un point de départ qui en est l'origine ». En ce sens elle est plus large. Mais une certaine synonymie est à opérer entre les deux concepts dés l'instant qu'ils épousent l'idée de début, de commencement; et c'est cette dernière acception que nous retenons pour notre propos qui consiste à expliciter la question sur la naissance de l'empire et des peuples Mossi.

De cette acception du terme « genèse », nous considérons, en référence aux travaux de certains théoriciens occidentaux du droit politique comme Rousseau et ses contemporains sur la naissance de la société civile, que le processus d'émergence de l'Etat Mossi, semble, a priori, ne pas être le produit d'un quelconque contrat ou pacte au sens où l'entendraient ces auteurs. Comme l'a théorisé Rousseau, par exemple en partant d'un état de nature qui préexisterait à l'état civil, les hommes sont arrivés « à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans l'état de nature, l'emportent par leur résistance sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état » ; ce qui fait que « cet état primitif ne peut plus subsister, et le genre humain périroit s'il ne changeoit sa manière

12

d'être ». Ainsi ils cherchèrent [librement] une alternative qui consisterait à « trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant ? »8

Il semble aussi n'être pas, toujours dans cette même logique principielle rousseauiste, un pacte où « chacun de nous met [sans pression ni violence] en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout ».9 Chez les Mossi, par ailleurs, le processus d'émergence de l'Etat, tel qu'élaboré à travers le mythe fondateur, semble manifester, non pas le libre choix des contractants, mais une sorte de pression et de violence de la part des édificateurs étatiques sur les peuples autochtones.

Au regard de la compréhension de ces propos qui, du reste, mettent en branle la théorisation du politique dans le contrat social de Rousseau, nous serons tentés de faire une lecture comparative relative à ce que laisse apparaitre ici le texte et l'interprétation que nous pouvons faire de l'émergence du royaume et de la vie politique Mossi. Mis à part la place que l'explication théorique du mythe occupe dans ce processus, nous lisons une certaine conscience des conquérants Mossi devant l'impossibilité pour un individu singulier, un clan ou une tribu particulière de survivre au contact des multiples obstacles quotidiens et de répondre favorablement aux différentes sollicitations de la nature. Ainsi ces derniers auraient compris la nécessité de « s'associer » et d'associer les autres - même par le biais de la violence- pour « défendre et protéger de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé » dans un espace politique qu'ils édifieront -un royaume, un empire- et leur éviter de « périr » tout en sauvegardant leur liberté naturelle.

Dés lors la réalisation d'un tel pari supposerait donc l'implication, la subordination de chacun envers tous et vice-versa celle de tous envers chacun, ce qui manifeste une certaine solidarité de corps laquelle renvoie aux principes fondamentaux d'assimilation, de solidarité et de conservatisme, notions qui constituent la colonne vertébrale de l'édification du royaume et de la société. Ce qu'il faudrait retenir essentiellement ici c'est que cette lecture en parallèle n'a pas pour objet de réduire irrémédiablement les propos de Rousseau à la manière dont le système Mossi serait constitué. Il s'agit plus d'une tentative de lecture comparative que d'une

8 Rousseau, J.J. Du Contrat Social, précédé de Discours sur l'économie politique et de Du Contrat Social, première version. Paris : Editions Gallimara, 1964, p.182

9 Rousseau, J.J. Idem, p.183

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réduction irréversible du texte rousseauiste au processus qui a conduit à la création de l'Etat Mossi. Ceci dans le but de ne pas trahir sa pensée mais aussi et surtout d'éviter d'émettre des jugements justificatifs sans objectivité dés l'instant que nous savons que c'est à partir de la force, non pas absolue, mais corrélée à la ruse et aux alliances que ce peuple a dévoilé son avènement, son histoire institutionnelle. Car comme nous le savons bien il y a une grande différence à la fois sur la forme et le fond quant à la nature du pacte et/ou du contrat social chez Rousseau et la manière dont le « contrat ou le pacte Mossi » s'est élaboré.

Cependant, quelle que soit la tournure et la forme contractuelles qu'a adopté le contrat rousseauiste en tant que fondement de la société civile, il n'en demeure pas moins qu'il reste théoriquement une pure hypothèse de travail ou comme le feront montrer Maine et Brian, suivant l'analyse d'Abélès et de Jeudy une « fiction élaborée pour étayer la critique de l'absolutisme ».10 S'inscrivant dans une perspective évolutionniste, nos deux auteurs considèrent que toute la philosophie des Lumières, notamment le second discours de Rousseau, n'a fait que procéder à une reconstruction abusive de l'histoire de l'humanité. Cela est d'autant plus vrai que l'auteur, lui-même, a considéré l'inexistence, chez l'homme, d'un « état de nature ».

S'inscrivant dans cette lancée, nous pouvons considérer que l'histoire de l'humanité, de ses institutions et de sa culture ne saurait se fonder sur des théories purement abstraites, sur de la pure imagination mettant entre parenthèses l'action réelle et pratique, les rapports et interactions inter humains. Ceux-ci ont toujours, et de tout temps, étaient jalonnés de part en part d'événements historiques marquant ainsi la marche de leur histoire. C'est d'ailleurs dans cette même optique que s'affirmera Karl Marx lorsqu'il dira que « l'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes »11. Pour ne pas verser trop dans cette confrontation entre ces deux tendances, notons ici que l'histoire politique des peuples mooses ne peut déroger à cette mouvance de construction pratique de son histoire politique.

A priori, la force, la violence, l'usurpation de la part des conquérants sur les peuples autochtones ont été fondamentales dans la fondation de l'Etat. Ces derniers, avant l'arrivée des guerriers Mossi dans l'espace mooga, étaient des sociétés de type villageois sans pouvoir central.

10 Abélès, M. Jeudy H. P. Anthropologie du politique. Paris : Armand colin, 1997, p.6

11 Marx, K. et Engels, F. Manifeste du parti communiste. Principes du communisme. Moscou : Editions du Progrès, 1977, p.33

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Les chercheurs utilisaient des termes pour les désigner : « sociétés sans Etat », « communautés ou démocraties villageoises », ou même par certains de sociétés « acéphales, anarchiques ou paléo-négritiques ». Ils étaient représentés, soit sous le statut de « civilisation de village » du fait qu'il revenait au village, en tant qu'unité lignagère et territoriale, de créer les institutions démocratiques et de favoriser l'avènement des catégories socioprofessionnelles issues de la division du travail, soit sous celui de lignage. Ainsi Savonnet-Guyot les définira comme des: « sociétés où font défaut les attributs d'un gouvernement central et où, en l'absence de divisions tranchées de rangs, de statuts et de richesses, la distribution du pouvoir et de l'autorité obéit à des critères différents : l'âge, le sexe, la position de l'individu à l'intérieur des lignages ».12

A y voir de plus prés, ces sociétés peuvent, me semble t-il, être réduites à un type

d' « état civil » c'est-à-dire à un moment où le communautarisme, le clanisme, la vie au niveau familiale constitueraient des données de base. Ainsi le postulat initial consisterait à faire de la réalité civile un fondement, un principe de départ de l'évolution de l'histoire. A cet effet, voyons ces commentaires d'Abélès et de Jeudy sur le texte de Maine : « S'il y a bien rupture avec l'idée d'un état de nature auquel se substituerait l'état politique, par la volonté des hommes liés ensemble par un contrat, il n'en demeure pas moins une opposition entre deux « états de société », l'un primitif dans lequel prévalent les liens de parenté, l'autre pourvu d'Etat : l'apparition de la propriété et la prégnance de la territorialité marquent le passage d'un mode d'organisation à l'autre. »13

Toutefois, toujours est-il qu'en dépit de cette distinction formelle entre ces deux types de sociétés, ils recouvrent tous deux une dimension morale et rationnelle quant à leur objectif d'établir un espace politique, civile régit par des lois, des normes et des valeurs susceptibles de garantir une vie sociale commune stable où les libertés naturelles seront respectées et la survie de tout un chacun assurée: dessein de toute association humaine. En tout cas c'est ce que présuppose la lecture des différents mythes relatifs à la naissance et à l'organisation politique de l'empire. Que cette histoire réelle soit relatée et sauvegardée aux travers des formes symboliques comme le mythe, c'est là toute l'intérêt du choix de l'intitulé : « la réalité du mythe ». Ici le mythe recouvra, dans une perspective pratique, toute la vérité réelle de sa définition.

12 Savonnet-Guyot, C. Etat et sociétés au Burkina. Essai sur le politique africain. Paris : Editions KARTHALA, 1986, p.25

13 Abélès, M. et Jeudy, H.P. Op. cit. p.6

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Chapitre A: La question de l'origine de l'empire et des peuples Mossi: la réalité du

mythe

Malgré l'intérêt croissant qu'a suscité l'Afrique depuis des décennies, les chercheurs peinent toujours à s'instruire rigoureusement des sociétés traditionnelles jadis très florissantes et très organisées administrativement à l'image des monarchies du Ghana, du Mali, du Songhaï, du Mossi, des Haoussa...lesquelles, hormis certaines d'entre elles, sont tombées sans avoir fait l'objet d'études rationnelles et approfondies. La recherche allait sans doute être plus aisée et plus valeureuse si ces derniers, surtout pour ce qui est du Soudan occidental, n'avaient pas subit au cours de l'histoire des transformations fondamentales au contact de l'étranger et surtout avaient été rigoureusement examinées. C'est d'ailleurs ce que Skinner regrette à travers ces propos introductifs : « Malheureusement, il reste toujours vrai que pour chaque tonne d'éléments archéologiques passés au tamis en Egypte et dans certaines régions du Moyen-Orient, on n'a étudié qu'une cuillère à café de pièces de ce genre au Soudan occidental » 14

De nos jours, mis à part les données archéologiques, les ressources documentaires ne concernent en général que les documents arabes et parfois les témoignages locaux, ce qui pose des problèmes de fiabilité et des risques de falsification quant à la traduction objective des questions relatives aux origines et aux transformations constantes et graduelles, spatiales et temporelles de ces sociétés. La particularité de la société Mossi réside dans le fait que, malgré les multiples influences externes qui ont masqué et affecté profondément la plupart des Etats voisins et qui ont entrainé en même temps leur effondrement, elle constitue la rare nation à avoir conservé son ancienne structure politique durant presque toute son histoire.

En effet, la connaissance que nous avons de l'histoire des origines lointaines comme proches des peuples et de la nation Mossi et particulièrement du royaume de Ouagadougou repose essentiellement sur les données historiques émanent des écrits de chercheurs étrangers ou locaux, des explorateurs ou des colonisateurs et surtout à travers les mythes et les légendes tels qu'ils sont rapportés par ces derniers.

14 Skinner, ELLIOT-P. Les Mossi de la Haute-Volta. Paris : Nouveaux Horizons, 1972, p.21

Ainsi il relève, de ce fait, une difficulté quant à la saisie objective de la réalité historique et de la chronologie des événements et ce, aussi, à cause de l'importance du cynisme occidental, des préjugés racistes et ethnocentriques, des philosophies nazies dont le souci est de corréler deux réalités historiques a priori contradictoires: le schéma social européen et celui du monde noir.

Dés lors une analyse philosophique de l'histoire visant à appréhender le réel et l'imaginaire négro-africain à travers l'étude sur l'origine et les fondements de la réalité politique des Etats africains traditionnels s'impose. Néanmoins, pour être pertinente, elle semble ne pas pouvoir faire l'économie des approches de tentative d'élucidation de la vie à savoir les mythes fondateurs et les légendes, malgré l'inconstance dans leur élaboration. Car comme il est montré par les Archives, « Histoire et légende sont si étroitement liés que, pour comprendre la structure politique des royaumes mossi et les rapports que les souverains peuvent avoir les uns avec les autres, il faut s'en rapporter aux mythes fondateurs ».15

En Afrique traditionnelle où les sociétés sont de tradition orale, le mythe constitue un moyen privilégié, une voie et même un savoir théorique par excellence d'expression et de mise en évidence de ce qui est «principium» terme latin désignant ce qui est premier c'est-à-dire le commencement, le point de départ, le début. Pour ce qui est de notre propos et qui concerne la nation mossi, il renverrait ou encore serait le principe fondamental en tant qu'il est fondement et fondateur de l'Etat et des peuples mooses. En quoi consiste t-il et que dit-il de ces peuples ? Quels sont ses enjeux politico-philosophiques, sociologiques et historiques dans ce rapport théorique ? Tels sont les questions qui sous-tendront l'élaboration de ce chapitre.

16

15 Archives départementales de l'Aude, Archives nationales du Burkina Faso. Les chefs au Burkina Faso. La chefferie traditionnelle des origines à l'indépendance. Carcassonne, Ouagadougou, 2008, p.14

17

1-La théorie du mythe fondateur

Nombreux sont les chercheurs qui ont recueilli et rapporté fidèlement le récit de fondation des peuples et de la nation Mossi comme Maurice Delafosse16, Jean Ziegler17... et tant d'autres dont on ne saurait pouvoir mettre ici tous en évidence. Cependant dans la plupart des textes, il souffre à la fois de descriptions variées et mouvantes à l'image du Dieu grec Protée, de considérations souvent trop fallacieuses et incohérentes dont la véracité resterait à être vérifiée. C'est pourquoi nous jugeons utile et prudent de procéder à une discrimination des récits afin de saisir au plus prés le fond de la question. D'ailleurs la singularisation du terme «théorie» renseignera sur notre volonté à retenir ici comme source d'inspiration le récit de Salfo-Albert Balima. Son ouvrage, légendes et histoire des peuples du Burkina Faso, semble être à même de nous édifier clairement à cet effet.

Ce serait donc, suivant Balima tout comme pour la plupart des chercheurs, dans le nord du Ghana, à Gambaga notamment, que le royaume mossi avec à sa tête le roi Nedega, aurait posé les premiers jalons de son organisation politique tel qu'il est connu durant toute son existence: « Nos ancêtres, disent les historiens traditionnels, venaient des pays du soleil levant. Ils étaient originaires du royaume de Gambaga, leur dernière étape avant le Mögo, qu'ils ont aussi conquis ».18 Mais qu'en est-il de la véritable origine des peuples mooses ? D'où seraient-ils venus avant l'installation au Ghana et l'occupation du Mögo ?

Suivant les récits oraux tels que rapportés dans les archives, mis à part l'origine orientale- ils se seraient signalés en Egypte, en Ethiopie, au Soudan, au Tchad comme l'attestait d'ailleurs Boubé Gado. Il affirmait que tant par leurs vêtements que par leurs sépultures en forme de pyramide, les Mossi se rattacheraient aux Coptes d'avant l'Islam et du Pharaon. Partant de là, nous pouvons suggérer l'analyse de l'histoire généalogique du peuple à travers trois périodes. La phase ancienne est marquée essentiellement par une vie clanique autour du désert.

16 Cf. son ouvrage intitulé : Haut-Sénégal-Niger, tome 1 « Le Pays, les Peuples, les Langues », Paris : G.-P. Maisonneuve et Larose, 1972, p.302-319

17 Cf. son ouvrage intitulé: La victoire des vaincus. Oppression et résistance culturelle. Paris : Editions du Seuil, Janvier 1988, p.167-180. Ces pages renseignent aussi clairement sur l'origine des peuples et de l'Etat Mossi mais également sur son mode d'administration social et politique.

18 Balima, Salfo-Albert. Légendes et Histoire des Peuples du Burkina Faso. Paris : J. A. Conseil, 1996, p.62

18

En effet les «Proto-Moose» vécurent d'abord dans le Sahara et furent ici désignés sous le terme arabe «zanudj» signifiant « sauvage » avant de se manifester dans le Bornou ; ce qu'attestent éloquemment ces propos du Capitaine Lambert, Officier des conquêtes de l'Afrique et Commandant du Cercle de Ouagadougou de 1905 à 1907 dans son Bulletin de la Société de Géographie de l'AOF, no7, dont Balima rapporte:

« Il existe encore au Sud du Bornou, dit-il, dans le Cameroun allemand, une race qui porte le nom de Mossah et aurait été autrefois, selon la tradition locale, maîtresse du pays entier. Elle se trouve actuellement confinée en une portion de territoire assez restreinte (vallée du Logone-Cameroun).

« Ses représentants actuels offrent avec les Mossi des ressemblances physiques tellement frappantes qu'il est impossible d'avoir vécu parmi eux sans les reconnaitre dans ces derniers: le tatouage est identique sauf en ce qui concerne l'accent circonflexe, d'acquisition récente. La similitude est presque complète et d'autre part, l'organisation sociale des Mossi, avec toute sa hiérarchie si caractéristique, se retrouve chez les Mossahs. »19

Poursuivant ainsi il précisera que l'identité d'origine des deux groupes ne faisait pas de doute et qu'ils pouvaient affirmer l'existence des Mossahs dans une partie du Bornou car la suprématie que la tradition leur attribuait dans le pays à une époque reculée fixait d'une façon certaine, l'habitat où a dû croître et se former la race qui les occupait. C'est donc après ce passage dans le Bornou que les Mooses migrèrent vers Gambaga en passant par le Niger où ils firent d'abord escale dans la région de Zamfara puis sur la rive gauche du fleuve, dans le Dallol Bosso, et y créèrent le royaume de Rozi. Ici ils furent désignés avec les Gourma sous le nom de « Ganji-bi » c'est-à-dire des « génies noires » et « leur histoire commence à s'affirmer »20. Ils cohabitèrent avec les peuls avant d'envahir la boucle du Niger où ils se heurtèrent aux haussa et aux Berbères mais aussi « à une épidémie meurtrière » qui les obligea à rejoindre les régions sans doute voisines de Tenkodogo au nord des frontières actuelles du Ghana, du Togo et du Dahomey comme le témoignait Ould Aoudar.

19 Idem. p.62

20 Archives. Op.cit. p.140

19

Ainsi prend fin cette phase obscure et débute la deuxième, celle de la « réorganisation dans le Gambaga » entre le XIIIe et le XIVe siècle. A ce stade de l'évolution on assiste à la naissance de la fusion des survivants Mooses avec d'autres ethnies et à la reconstitution des peuples et de ses «Héros.' Gambaga représentera dés lors le point de départ d'une histoire politique qui transcendera le temps avec la légendaire Gnelenga. Quelles sont ses origines et que représente-elle pour l'histoire Mossi ?

Tout commencerait, selon la légende, d'un prince originaire de Zanfara à l'Est du lac Tchad et que l'on nommait Toja Jié c'est-à-dire le « chasseur rouge ». Chassé du pays à cause de ses prétentions politiques, il erra dans la brousse et, un jour, assoiffé, le hasard l'entraina prés d'une case habitée par une vieille dame à qui il demanda à boire et celle-ci rétorqua: « Hélas, nous n'avons plus d'eau. L'étang du hameau où tous nous allions nous abreuver et puiser l'eau est toujours rempli d'eau, mais un immonde buffle sauvage l'a occupé, qui nous en défend l'abord. Bientôt tous, mon fils, nous mourrons de soif ».21

Renseigné de l'endroit où se trouvait l'étang, le chasseur s'y rend et à la grande surprise se met face à la bête qu'il tua d'une flèche empoisonnée. Vite conduit auprès du roi, chef du pays du Mali, le sauveur, après avoir été nommé général en chef des armées et avoir assuré de nombreuses victoires, reçut en guise de reconnaissance et sous son propre choix la jeune et belle princesse boiteuse Pog- Wagba qu'il maria. Ils vécurent en brousse dans une caverne et avant de mourir laissèrent leur unique descendant. Entre temps le père de Pog-Wagba mourra et laissa à la tête de l'Etat un jeune prince. L'histoire se répéta et ce dernier, étant entré en conflit avec ses voisins, demanda les services du fils de Toja-Jié. Vaillant chasseur comme son père, ce dernier arriva à bout des ennemies en tuant d'une flèche le général.

Après cette rapide et éclatante victoire et refusant toutes les récompenses de son cousin, il rentra en brousse où il rencontra un jour lors de ses pérégrinations, une jeune princesse gourmantché nommée Sissabighi. Sous la complicité de celle-ci, Kpuganumbu, nom qu'il vient d'acquérir suite à la rencontre avec les parents de la jeune fille qui en l'apercevant s'écrièrent: « A kpugi numbu na ! » Ce qui signifie selon Balima, tu nous as ramené un valeureux compagnon, assassina son gendre et devint roi.

21 Balima. Op.cit. p.63

20

Avant de mourir cette dernière lui laissa des jumeaux qui ne se manifesteront guère dans l'histoire. C'est ainsi que ce dernier épousa Soyini, une autre princesse gourmantché, mère du prince Gbewa. Ce dernier, à la mort de son père, hérita du trône d'un grand pays dont la capitale fut Pousga, eut une forte descendance et fonda les dynasties royales des Mampursi, des Mossi, des Gourma et des Kussassi, des Dagamba... ; étant ainsi, selon la légende, l'ancêtre « éponyme » des « Mooréphones » c'est-à-dire de l'ensemble, selon Balima, des peuples et des Etats Mossi. C'est donc de cette famille, plus précisément par une ramification féminine avec la princesse Gnelenga, que procéderait le Roi de Gambaga, fondateur de ce puissant royaume de Ouagadougou, objet de notre étude. Mais que dit-on de l'histoire réelle de cet illustre chef d'Etat, redouté et respecté de tous ?

Suivant la légende, Naba Nedga, descendant direct de la cour royal de Naba Gbewa, régnait sur les peuples sur de nombreuses tribus conquises en plus des Dagamba et des Mampursi. Satisfait en politique, il ne l'était guère en vie conjugale car n'arrivant pas jusqu'à un âge si avancé à avoir d'héritier malgré les multiples sacrifices- parfois humains- faits aux divinités. Il voulait d'un « fils, pour assurer et assumer l'héritage, un fils pour guider son peuple qui l'aimait et qu'il aimait, « un fils qui empêcherait sa maison de s'écrouler, un fils qui éviterait au royaume la déshérence, source de graves troubles intérieurs et extérieurs ». 22

Or, un jour, le destin se manifesta. L'une des femmes mit au monde une jeune fille qu'il nomma Poko c'est-à-dire «la femelle' et la voua au célibat à mesure qu'elle grandissait. On l'affranchissait de la faiblesse féminine en l'habituant aux jeux masculins, à la dure réalité sociopolitique: monter à cheval, courir, tirer à l'arc, grimper aux arbres, lutter aves les hommes et aller à la chasse, bref toutes les prédispositions relatives au combat, à la guerre ont été acquis. On le surnomma ainsi Gnélenga ou Yenenga à cause de sa minceur, de sa brillance et de sa taille élancée. En bonne guerrière elle avait l'habitude, en l'absence de son père, de diriger les opérations militaires lorsque la paix sociale était extérieurement menacée.

Un jour, lors d'une razzia, elle s'échappa discrètement le soir avec un officier avec qui il chevauchait côte à côte à chaque fois et se livre à lui en pleine brousse. Des semaines passèrent et sous la pression quotidienne de sa mère, elle confesse son aventure et fait connaitre le nom de son séducteur. Prévenu, ce dernier, sous le poids de la frayeur et de son incapacité à supporter l'irritation du roi, disparut en haute brousse.

22 Idem, p.67

Troublée à son tour car ne sachant comment justifier sa trahison, Gnélenga, enceinte, prend un matin la fuite accompagnée par quelques soldats dans le nord de Gambaga, espérant ainsi retrouver son amant. C'est alors que les évadés déchus se trouveront dans cette vaste forêt aux alentours du village de Bittu d'où la princesse avortera de son premier enfant et fera la connaissance d'un Bussanga issu probablement du Mandingue qui le soigna avec les plantes médicinales. Ce dernier se présenta sous le nom de Diyaré alias Raogo signifiant «le mâle». Ainsi « le mâle » et « la femelle » se lièrent et eurent un seul enfant qui, d'après Balima, fut nommé Massom. Ce dernier eut beaucoup de femmes et son premier enfant fut nommé Wed Raogo ou Ouedraogo- cheval mâle- alias Zungrana, « créateur de l'Empire et de la race des Mossi, premier souverain du premier royaume- celui de Tenkodogo- berceau du Mögo, des Mossé et du Moré ».23

Il connut une fin tragique mais glorieuse car étant à l'origine de la constitution dite « Constitution de Naba Zoungrana » relative aux questions de la langue nationale- le moré-, du système politique hiérarchisé, au respect des langues des Etats ou idiomes, de la citoyenneté, de la justice entre autres. C'est ici que nous saisissons de plus prés la troisième phase de l'histoire tournant autour de l'institution, par ce dernier, d'un Etat constitutionnel Mossi et de la naissance des principaux royaumes. Ubri ou Oubri, père de la dynastie royale de Ouagadougou, la plus puissante, fut donc un descendant direct de Naba Zungrana.

En grand guerrier, ce prince se lancera dans la conquête de nouvelles espaces et édifiera les premiers commandements de l'empire mooga. Ce phénomène se répétera et les générations futures l'imiteront dans la quête de multiples et nouvelles territoires où ils créeront des dynasties royales et y installeront leurs fils et leurs compagnons d'armes. C'est donc dans cette logique de conquête que tous les Etats Mossi vont être fondés dont les principales sont: le royaume de Tenkodogo, le premier où régna Zoungrana, celui du Yatenga, celui de Ouagadougou et celui de Fada N'gourma.

21

23 Ibid p.76-77

22

2- De l'interprétation et de l'intérêt politico-philosophiques du mythe

A l'instar du Révérend Père Placide Tempels qui, dans sa Philosophie Bantoue, est arrivé à reconsidérer sa méthode face à la question bantu, une étude sur la politique traditionnelle africaine ne peut faire l'économie des lieux où sont consignés durant des millénaires l'expérience acquise à savoir les «formes symboliques»: contes, proverbes, légendes et mythes pour comprendre le tréfonds culturel de ses peuples. Notons en passant que même si l'occident nous a habitués à mépriser ces sources orales et lui-même à discréditer le mythe au XXe siècle, en y voyant qu'une pseudo-histoire, du folklore, il n'en reste pas moins vrai qu'ils ont toujours resté et demeureront des outils non négligeables dans les études relatives à l'Afrique tout comme la mythologie grecque a joué un rôle essentiel dans l'élaboration de la philosophie grecque et de la pensée moderne même si elles adoptent des procédures différentes et que, par la suite, une rupture a été observée.

Toutefois une certaine continuité s'opère entre les deux disciplines concernant le domaine théorique, celui du savoir de l'origine et de l'Absolu aussi bien dans la sphère négro-africaine que celle occidentale comme l'atteste d'ailleurs Alassane Ndaw : « On peut dire qu'historiquement la pensée philosophique est née du mythe. Mais mythologie et philosophie sont deux démarches différentes, deux « Paroles fondamentales » qui sont à la fois en rupture et en continuité »24 Parlant à cet effet de « La fonction guerrière dans la mythologie grecque », Francis Vian, s'opposant à cette défaveur dont ont fait l'objet les récits légendaires, dira : « les légendes sont la transposition dans le temps du mythe des sentiments et des conceptions des peuples qui les a imaginées et ce reflet demeure assez fidèle même à travers les remaniements des poètes et des mythographes ».25

En effet, il semble que l'exigence de rationalité ne pourrait faire fi à cette masse de mythes et de légendes qui régissent la réalité africaine par la révélation des événements historiques- lesquels sont l'oeuvre de l'homme- tels qu'ils se présentent dans la fondation des sociétés comme le montrent ici ces propos de Jean-Pierre Chrétien : « c'est le concept même d'origine qu'il faut remettre en cause ; l'histoire ne connait pas de point zéro d'où tout partirait, sinon dans nos rêves ».26

24 Ndaw, A. La pensée africaine. Recherches sur les fondements de la pensée négro-africaine. Dakar : Les Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, 1997, p.265

25 Vian, Francis. « La fonction guerrière dans la mythologie grecque », in Vernant J-P. Problèmes de la guerre en Grèce ancienne. Paris : Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1999, p.67

26 Chrétien, Jean-Pierre. Cité par Elikia Mbokolo. Afrique Noire. Histoire et civilisation ; t.1, jusqu'au XVIIIe siècle. Paris : Hatier, Nov.1995, p.123

23

Il n'est nullement ici question d'une tentative de justification ou de réhabilitation d'une pensée ethnophilosophique et de ses fondements ni une prétention à fournir entièrement l'état de la question. Il s'agit d'un travail d'analyse et d'interprétation. Nous savons que cette dernière, en ce qui concerne les mythes et les légendes, est plus ou moins hypothétique. C'est pourquoi elle nous obligera, en ce sens, à faire des confrontations dans le but d'en saisir les enjeux philosophiques et sociopolitiques et les contenus sémantiques.

En effet le mythe, en tant que récit imaginaire traditionnel, s'offre à nous sous une forme abstraite et tente d'élucider le plus souvent, à travers les prouesses d'acteurs légendaires, l'origine et la destinée des phénomènes naturels- naissance du monde, de l'homme, des institutions... d'où l'expression de «mythe fondateur». En ce sens c'est à la réponse à des questions éminemment philosophico-métaphysiques et sociologiques telles que: « qui sommes nous ? » « D'où venons-nous ? » Ou plus spécialement « qui suis-je ? » que semble renvoyer les interrogations mythiques. Tout comme la légende, il constitue dans la tradition orale un domaine privilégié de savoir recouvrant une dimension rationnelle à la fois théorique et pratique dans l'explicitation du réel, la formulation de l'origine et/ou du fondement des sociétés historiques, des hommes.

Dans sa manière de rapporter théoriquement les événements historiques, il se présente sous une forme abstraite, comme le résultat d'une anamnésie, ce qui fait qu'il est le propre d'initiés car étant sous le contrôle de la sacralité et du secret. En ce sens Mamoussé Diagne considérera que l'aspect différentiel qui régit le mythe et les récits initiatiques par rapport aux autres genres de textes oraux « semble résider dans le fait que les événements qu'ils rapportent, quoique concernant de façon vitale une société, transcendent toute expérience historique ».27 C'est justement à cet écart qui s'opère entre le passé et le présent, entre l'individu et son ancêtre que tente de réduire ou d'effacer théoriquement le discours oral mythique et ceci par une approche asymptotique dont la conséquence immédiate est de corréler ou de confondre en l'auditeur et dans un même instant «t» ces deux temps. L'individu se trouve ainsi dans une position de conformité avec son passé qu'il se représente et se retrouve dans toute la plénitude de son existence.

27 Diagne, Mamoussé. Critique de la raison orale. Les pratiques discursives en Afrique Noir. Paris : Editions Karthala, 2005, p.157

24

Cette invocation du passé par le discours mythique se caractérise par une sorte de fuite, de rupture par rapport à la quotidienneté, une mise en parenthèse des dimensions spatiale et temporelle. L'individu à qui est rapporté le récit s'évade de la lourdeur et de l'ignorance du présent pour coïncider avec un passé qui rappelle l'origine et les valeurs de l'existence humaine. Cette contemporanéité du passé et du présent dans l'individu ne peut avoir comme conséquence que cette victoire, ce déterminisme sur l'espace-temps et constitue le vivier justificateur de la vie présente et future.

S'inspirant peut-être d'Aristote qui, dans son épistèmê, marquait un degré de supériorité de la théorie sur la pratique car y voyant le domaine par excellence d'exercice de l'homme libre, on a longtemps considéré la pensée africaine comme rebelle à toute spéculation intellectuelle purement théorique exempte de souci pratique. La vérité est que le savoir théorique en Afrique traditionnelle est toujours subordonné à la pratique, à l'utilité sociale. « Les penseurs africains traditionnels, dira Alassane Ndaw, n'accordent jamais à la réflexion théorique d'autre fonction que celle d'organiser et de justifier cette connaissance, toute orientée vers le maintien de la société et la légitimation du système de valeurs qui détermine le fonctionnement de cette société. Ainsi la réflexion théorique se soumet en toutes circonstances aux exigences de la pratique sociale. »28

Cet aspect idéo-pratique du mythe revêt un sens particulier dans la mesure où il fait intervenir l'homme dans la narration des valeurs constitutives de son aventure aussi bien quant à sa réception que sa transmission, mais du même coup le réintroduit dans son passé tout en le faisant coïncider avec son identité originel, son essence. Cette particularité fera dire à Louis-Vincent Thomas- repris ici par Mamoussé Diagne- que : « le mythe, système et mode de connaissance, devient, presque toujours, le modèle qui structure l'action : le rite de passage par exemple n'est rien d'autre que la reproduction du mythe de la création ».29

Outre cela, le mythe recouvre essentiellement une dimension métaphysico-dogmatique dans sa fonction de rappel du passé et sa transmission de savoir. De par sa nature transcendantale à l'expérience humaine, il constitue une forme de savoir théorique qui n'est pas sujette à la remise en question, à l'examen du doute car il est la mémoire d'un peuple et donne sens à sa vie.

28 Ndaw, A. Op.cit. p.63

29 Diagne Mamoussé. Op.cit. p.160

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C'est pourquoi il fait l'objet d'une narration littérale, d'un compte rendu fidèle de l'histoire car il est la vie même, la vérité du peuple. Ecoutez ! Ecoutez ! Et transmettez fidèlement ! Telle est l'assertion inaugurale du compte rendu de l'origine sur les peuples et l'Etat Mossi ; du moins telle que rapportée par Balima.

Rapportant un propos de Louis-Vincent Thomas qui considérait le mythe comme le fondement de la « littérature sacrée, ésotérique » et disait qu'il jouait le même rôle, dans les civilisations orales, que le dogme des religions liées à l'écriture, Mamoussé Diagne soutiendra : « Discours dont la caractéristique essentielle réside dans la non-discursivité, le récit mythique est, de ce fait, soustrait à la possibilité de la contestation. L'autorité dont il est investi lui vient, en partie, de son immutabilité et de sa stabilité non sujettes à révision: il ne dit pas seulement la vérité, il est la vérité première dans tous les sens de ce terme. Il est, à ce titre, parole fondatrice de toute vérité ».30 Cela conforte bien notre idée consistant à dire que ce qui fonde la légitimité du mythe et de son discours réside essentiellement, non pas du seul fait qu'il se rapporte à l'histoire lointaine du groupe, mais de son ancienneté et de sa capacité à médiatiser ce passé et à le rendre actuel. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il se voit comme dogmatique en récusant toute tentative de modification ou de falsification ; il est de ce fait le passé même et la raison d'être du groupe.

Tout comme l'écriture dans son rôle de consignation des données historiques et de support référentiel dans la stabilisation et la garantie des acquis gnoséologiques, le mythe, dans sa forme orale constitue pour la tradition le réceptacle, la mémoire, le « lieu clos », la bibliothèque où sont «archivées» l'identité originelle et toute l'histoire du peuple. A cela il faut ajouter le recours à la mise en scène du discours mythique, de l'image comme lieux d'appréhension des réalités abstraites et comme procédé de gestion de la Mémoire dont l'objectif tourne autour de l'instruction voire de l'éducation mais aussi et surtout du refus de l'Oubli et d'une existence nulle et vierge et donc sans culture. C'est ce refus d'ailleurs que tout peuple a tendance à faire prévaloir dans ses oeuvres culturelles que ça soit avec les symboles- temple, musée, statut..., les oeuvres d'art, les paroles, les contes, les mythes...

30 Idem. p.161

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Ainsi comme l'a si bien montré Ziegler, ils « donnent à voir la culture d'un peuple. Face au chaos des jours elles établissent la permanence. Face au néant, elles créent et ordonnent un monde de beauté, de raison, de sens. L'ordonnance amplitude de ce monde s'oppose au nocturne chaos, au désordre, au néant »31. Il s'agirait donc là d'un souci de rejet, de révolte contre l'acculturation ou plus spécialement d'une méthode -d'ordre pédagogique ou mnémotechnique selon Mamoussé Diagne- consistant à adapter le discours au niveau de compréhension de l'auditeur afin qu'il puisse en saisir le sens et la portée. Toutefois, en dépit de sa fonction d'instruction, de remémoration qui, comme dans une civilisation écrite est accessible à la majorité des esprits et susceptible d'être commenté, le discours mythique, relégué au rang de sacré, de rituel, fait du sujet, en l'occurrence du griot, un simple rapporteur, un «récitant» et de l'auditeur un receveur parfois incapable d'en saisir le fond et pour qui une procédure méthodologique de compréhension va être mise sur pied.

Du fait de son caractère confidentiel, Mamoussé Diagne montrera qu'« intégré dans la clôture de l'initiation et du rituel, le mythe est réservé à une élite et protégé par la règle du secret ».32 Ces propos font par ailleurs échos à ceux d'Alassane Ndaw quand il s'interrogeait sur sa forme et suggérait son caractère ambivalent: « N'est-il pas à la fois révélant et cachant, informant et dérobant, mais aussi disant et donnant la mesure de son savoir, c'est-à-dire interdisant toute spéculation par une interprétation fixe, ne souffrant que la répétition et éloignant, par avance, toute tentative de mise en question, épreuve, développement, vérification de ce savoir ? »33

Cela se comprend mieux si l'on se réfère au rapport que le mythe d'origine entretient avec l'histoire du fait qu'il exerce une action déterminante non seulement sur la manière de fonder la société et de concevoir les institutions mais aussi sur la façon de modeler les objets utilitaires mais aussi à l'idéologie traditionnelle qui le réduit à la sacralité. Si « toute science véritable, comme le disent les griots traditionnalistes, doit être un secret » 34; celui-ci est, par conséquent, détenu par l'élite à l'instar des initiés et des griots, lesquels sont seuls capables d'en dé-voiler les mystères, les structures internes et les enjeux. En ce sens Mamoussé Diagne, montrant la spécificité même de l'acteur dans sa mission de rejouer le mythe, montrait que c'est la raison pour laquelle le statut d'acteur, et même celui du simple auditeur,

31 Ziegler, J. La victoire des vaincus. Oppression et résistance culturelle. Paris : Editions du Seuil, Janvier 1988, p.31

32 Diagne, Mamoussé. Op.cit. P.157

33 Ndaw, Alassane. Op.cit. p.81-82

34 Niane, Djibril Tamsir. SOUNDJATA ou L'EPOPEE MANDINGUE. Paris : PRESENCE AFRICAINE, 1960, p.7

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n'était pas donné à tout le monde et que c'était le résultat d'une ascension progressive, d'un véritable « percement des oreilles », et la possession d'une « tête chanceuse ».

En effet, pour mieux saisir cette complicité entre mythe et histoire, faisons une petite incursion dans la fonction traditionnelle des griots. Ceux-ci n'ont toujours pas été dans la société africaine de simples quémandeurs pour leur survie ni de simples orateurs ou conteurs mais par la magie de leur verbe et de leur science, par leur capacité à dé-coder cette longue histoire fondée sur des formules et des légendes abstraites qui échappent à l'opinion, par leur pouvoir à inscrire cette scène dans un contexte propice et à discriminer leurs acteurs et leurs auditeurs, par leur force à re-jouer ce passé et à le conformer aux exigences du présent, ils « étaient, autrefois, les Conseillers des rois, ils détenaient les Constitutions des royaumes par le seul travail de la mémoire ; chaque famille princière avait son griot préposé à la conservation de la tradition ; c'est parmi les griots que les rois choisissaient les précepteurs des jeunes princes ».35

Ainsi la fonction du discours mythique, à travers et au-delà des différentes procédures relatives aux exigences de rationalité et de méthode, dépasse largement le simple souci pédagogique. En effet il constitue, non seulement, dans sa forme imagée, un cadre stratégique soucieux d'originalité et d'efficacité dans la propagation du patrimoine culturel des acquis théoriques comme pratique au cours de l'histoire du peuple, mais aussi et surtout une réponse intellectuelle et existentielle.

Il semble donc être l'identité du peuple, la référence permettant à tout un chacun de s'autosaisir et de se retrouver afin d'épouser son passé, de savoir son héritage à travers le récit de la gloire des pères fondateurs et des valeurs ancestrales. Il constitue de ce fait une sorte de thérapie de l'âme, de la conscience dont l'intérêt portera sur le déploiement libre de l'individu au contact d'autres identités.

Le savoir de l'origine, explicité par le mythe, constitue pour l'individu une nécessité. Il permet à une société, à l'homme particulier d'avoir des raisons de vivre, des valeurs, des références à atteindre dans sa tension vers la quête de la vérité. Car comment peut-on se manifester dans le monde sans tension vers un idéal ? Comment l'existence humaine peut-elle être appréhender sans la compréhension du passé des l'instant que la vie semble être un eternel recommencement, une véritable continuité ?

35 Idem, p.5

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Il me semble que c'est en se posant d'abord comme identité particulière- identité propre- laquelle se définit par la question « qui suis-je par rapport à moi-même ? » que l'individu puisse se poser lui-même tout en se distinguant pour pouvoir s'affirmer devant l'autre et acquérir une pseudo-identité c'est-à-dire une identité dans la différence :« qui suis-je par rapport à l'autre ? ». C'est en affirmant son identité que l'individu découvre du même coup celle de l'autre. Cette dernière a une valeur morale dans la mesure où elle pose le problème sur la façon de vivre devant l'autre- questions relatives au respect mutuel, à la reconnaissance de la dignité, du droit, à l'humanité- avec qui vous partagez d'abord l'espace géographique et temporelle mais ensuite et surtout les rapports à la vie.

Dés l'instant que, dans la marche de l'Histoire, les perspectives en matière de politique, de projets de société et d'économie deviennent des enjeux inaltérables, l'identité propre, tout comme les intérêts particuliers doivent s'affaisser, se réduire et se confondre dans la différence, la formation d'un seul corps indivisible, garant de la liberté et de la survie mais aussi de la reconnaissance de soi. Comme nous le verrons dans la suite de ce travail, la nation Mossi s'est concrétisée par cette incorporation des sociétés identitaires acéphales dans la constitution de l'Etat. Ceci nous permettra ici de faire un débordement dans le rapport qu'entretiendraient le mythe et la politique dans le but de cerner plus particulièrement leur impact dans le processus de fondation de l'Etat Mossi.

Une lecture trop linéaire ou empirique des récits mythiques pousse le plus souvent, consciemment ou inconsciemment, à une conception trop réductrice de simple descripteur ou de rapporteur d'événements historiques épars et sans objet prédéfini. En effet l'interprétation que nous avons faite de ce récit sur les peuples et la nation Mossi nous autorise à penser qu'à l'instar des mythes de fondation des Etats africains, il s'agit moins d'une prétention de description dont la véracité est des plus inconséquentes que d'un texte idéologique et pratique qui use parfois des faits événementiels pour expliquer, tout en légitimant la création d'un nouvel ordre politique et les ambitions de ses détenteurs.

On comprend mieux cet aspect de la fonction du mythe si l'on se réfère à la manière dont les Mossi ont effectué le passage du non-Etat à l'Etat. Celui-ci, se faisant par les voix des armes et de la persuasion, se voit à travers la dimension politique du mythe comme la mise en évidence de la conception traditionnelle du pouvoir, la façon de l'acquérir, de le conserver, de le transmettre ou de le perdre. Qu'il s'agisse de Soundjata dans l'édification du Mandingue, de Yenenga du Mossi ou de Ndiadiane Ndiaye du Djolof ..., le discours mythique s'intéresse aux pouvoirs magiques des héros fondateurs.

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Revenons au mythe Mossi de fondation en tant que tel pour mieux illustrer ce rapport. Tel qu'il est rapporté par Balima, l'évolution historique du peuple laisse apparaitre trois étapes successives et dans lesquelles figurent trois personnages principaux : Toja Jié, la princesse Gnelenga et Ouédraogo. La particularité fondamentale de ces personnages réside dans le fait qu'ils sont tous experts dans l'art de la chasse. Cette notion consacre un domaine fondamental dans l'appréhension du mythe et de la culture Mossi. Toja Jié ou « chasseur rouge » fort et bien bâti est aguerri en la matière. Quant à la princesse, elle est initiée et accoutumée dés le bas âge aux rudes épreuves des jeux masculins lesquels constituent les prémisses de sa formation à la guerre. A cet effet, Balima nous renseigne : « ...au fur et à mesure qu'elle grandissait, on lui apprit les rudes jeux masculins. Ainsi, elle fut entrainée à monter à cheval, avec ou sans selle, et elle savait courir, nager, danser, chanter, sauter, engager la lutte avec les garçons de son âge, grimper aux arbres, etc. »36

Comme le montrera, d'ailleurs, Machiavel, « un prince- ou un futur prince- doit donc n'avoir d'autre objet ni d'autre pensée, ni prendre autre chose pour son art, hormis la guerre et les ordres et la discipline de celle-ci,... ».37 Cette science, Ouédraogo l'héritera et cet héritage se confirmera non seulement tout au long de l'Histoire des conquêtes qu'ont effectuées les descendants moose mais aussi à travers les acquis en matière d'organisation politique et sociale et de stabilité étatique. Tel qu'il est donc élaboré, le récit mythique laisse apparaitre deux concepts fondamentaux étroitement liés dans l'édification de l'Etat à savoir les notions de force et de chasse.

En parlant de chasse on fait intervenir les idées de ruse, de tromperie, de simulation, de piège, d'arme, de courage... qui, du reste, restent et demeurent des prédispositions nécessaires à tout prince, à qui veut se préoccuper de politique. L'apprentissage de la chasse semble équivaloir ici à celle des affaires politiques à tel enseigne que l'un ne peut aller sans l'autre. Cette réductibilité intrinsèque des deux sphères est attestée dans ces propos conseillers que Machiavel adresse au prince :

« ...il doit toujours aller à la chasse et par le moyen de celle-ci, accoutumer le corps aux désagréments et en même temps, apprendre la nature des sites et connaitre comment les montagnes se dressent, comment les vallées s'ouvrent, [...]. Cette connaissance lui est utile de deux manières ; d'abord, il apprend à connaitre son pays, il peut mieux comprendre les

36 Balima, Salfo-Albert. Op.cit. p.67

37 Machiavel. Le Prince. Chap. XIV. Traduit, présenté et noté par MARIE GAILLE-NIKODIMOV. Paris : Librairie Générale Française, 2000, p.116

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défenses de celui-ci ; ensuite, au moyen de la connaissance et de la pratique de ces sites, il peut comprendre avec facilité chaque autre site qu'il lui sera nécessaire de reconnaitre pour la première fois... ».38

Cette nécessaire adéquation relève d'une exigence pour le prince aussi bien pour sa propre sécurité que pour celle de son peuple. L'art de la chasse constitue donc une prédisposition indispensable pour tout prince ou tout fondateur d'Etat aux yeux de Machiavel: « Et ce prince à qui manque cette compétence, il lui manque la première qualité que veut avoir un capitaine, par ce que celle-ci t'enseigne à trouver l'ennemi, à placer les cantonnements, à conduire les armées, à ordonner les journées, à faire le siège des villes à ton avantage »39. Cette perception des exigences de la vie publique du prince chez Machiavel est bien lisible dans la manière de gouverner ou d'apprendre à administrer des rois Mossi et cela nous le verrons tout au long de ce travail. Cependant certaines théories excluent du discours mythique toute possibilité de justifier ou de dire la sphère politique du fait que ces deux dimensions évoquent dans leur nature des réalités apparemment contraires : le mythe s'apparente plus au domaine de l'irréel, de l'abstraction tandis que la politique est plus concrète, plus réelle que métaphysique.

Cependant une question est de voir une dichotomie radicale qui nierait toute l'antériorité de l'existence humaine se fondant sur les progrès significatifs de son évolution au bénéfice des acquis présents et une autre d'observer une approche continuelle de l'histoire des hommes, sur ce même aspect évolutif, mais en y faisant voir une sorte d'esprit hégélien dans une perspective de conservatisme et de dépassement. Cette deuxième considération me semble la plus appropriée car - nous sommes ici dans une perspective horizontale et non verticale comme chez Platon de nivellement des choses- c'est à partir de l'irréel, du passé que l'on peut concevoir le réellement concret, le présent des événements. Ce serait donc comme si le passé, dans la littérature négro-africaine, donnait sens et justifiait le présent. Dés lors un peuple ne saurait se mouvoir dans une prospective de vie sociopolitique harmonieuse ni un gouvernant dans sa fonction d'administrateur sans la maîtrise de son identité propre et celle des gouvernés.

38 Machiavel. Idem. p.117

39 Id.

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Qu'on nous comprenne bien. Ce travail n'est en rien une confrontation entre mythe et raison ou entre mythe et philosophie en tant que discours rationnel même si ce terme de rationalité peut être sujet à discussion. Nous devons savoir qu'à travers les grands moments historiques, les mythes ont toujours été au sein des enjeux politiques. Ils ont toujours été adaptés aux événements circonstanciels en tant que supports argumentatifs des exposés oratoires en politique notamment chez les orateurs attiques. N'est-ce pas Isocrate qui, parlant du mythe de l'autochtonie des athéniens dans le Panégyrique, justifiait leur présomption quant à leur supériorité sur les autres cités ? N'est-ce pas ce même Isocrate qui, afin de le convaincre et de bénéficier de son secours, incitait Philippe II de Macédoine dans le Philippe qui lui était destiné à se souvenir des liens de parenté qui existaient entre le roi macédonien et les territoires grecs ? Dans ce même registre nous pouvons confronter ce rapport en l'inscrivant dans l'espace culturel et politique Mossi.

Dans leur prétention à jeter les bases fondamentales de l'Etat, ils proclament une nouvelle idéologie, un discours apparemment mythique consistant à mettre sur place une nouvelle manière de faire le politique en le substituant par la persuasion aux procédés idéologiques des autochtones. Pour eux, le pouvoir ne se tenait ni de l'âge (devant le pouvoir l'âge n'est rien), ni de l'antériorité de l'occupation, mais qu'il venait du Naam40 et que, seuls, les fondateurs des dynasties moose en étaient les détenteurs.

Cela est la résultante intrinsèque de leur conception et de leur idéologie dominatrices ; ils sont convaincus d'être nés pour commander. À travers le discours mythique cette idéologie se propagera dans les consciences des générations présentes et futures lesquelles vont s'accaparer à leur tour les valeurs de ce legs historique dont ils ne manqueront sans doute pas de perfectionner et d'adapter aux besoins quotidiens.

Dans sa dimension pédagogique, nous pouvons conforter, par ailleurs et dans un autre registre plus philosophique ce rapport entre mythe et politique. En tant que forme de savoir oral privilégié dans les cultures oratoires, le mythe revêt la fonction proprement d'éducateur et d'instituteur quant à sa capacité d'initier l'auditoire aux valeurs ancestrales, à la perception de celles-ci face aux aléas de la vie et de former le citoyen nouveau aux exigences du politique.

40 Naam ou Nam : Souveraineté conçue par les Mossi comme «la force divine qui permet à un homme d'exercer son emprise sur un autre ». Cf. Skinner, op.cit. Glossaire, p.443

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Si cette initiation, laquelle est l'objet de l'initié c'est-à-dire de celui là même qui s'est affranchit de l'emprise du temps présent pour épouser les données historiques et les confondre dans un même instant «t», de celui là même qui est sorti de la « caverne » et contempler la Vérité en soi du passé à l'image du griot, est purement théorique, il n'en reste pas moins vrai qu'il est destiné à une utilisation pratique relative à la fondation de l'Etat et à la gestion des affaires culturelles, sociales, économiques et politiques des peuples.

A y voir de plus prés on dirait que la possibilité de cette éducation s'est faite en deux temps. Une phase ascendante marquée par la « sortie de la caverne », du présent dans le but de contempler ce qui s'est passé véritablement sans falsification ni rajout et une phase descendante dont l'objet est, à l'mage de celle de Platon dans « l'allégorie de la caverne », de revenir pour instruire les prisonniers, « éduquer l'autre » dés l'instant qu'avec l'éducation commençait la politique. Il s'agit aussi et surtout ici d'établir une nouvelle vision politique et d'en assurer le destin conçu comme un « vivre ensemble ». N'est-ce pas en ce sens que Socrate, au travers de Platon dans l'Apologie de Socrate, se voyait comme le seul athénien à « avoir pratiqué la véritable politique » celle là même qui avait pour vocation la transformation de la cité et du citoyen ?

En somme nous pouvons retenir, suite à cet examen relatif au contenu du discours mythique et à travers ses dimensions historique, pédagogique et politique quelques aspects saillants. D'abord nous devons comprendre que le mythe, tel qu'il se définit dans les civilisations orales en général et africain en particulier, n'est pas un discours anodin, une fin en soi. Il constitue une forme de savoir théorique par excellence d'explication du réel, du monde, de l'origine des choses et d'appropriation, par l'individu, des valeurs ancestrales. En ce sens il se rapporte à l'histoire en le rendant actuelle. Cette actualisation des événements historiques se fait par l'image et a pour finalité une certaine rigueur, une intensité dans la transmission des acquis culturels et politiques ; une politique de la mémoire.

Parlant justement de cette transmission du savoir, nous pouvons remarquer qu'elle se fait oralement de bouche à oreille et ceci afin, nous semble t-il, de parer à toute tentative de falsification de la part d'un tiers ou d'un intermédiaire. Aussi constituerait-il un moyen d'instruction de l'individu et du groupe dans le but immédiat de former le citoyen et de fonder une nation politiquement réglementée dans laquelle chacun se concevra comme partie indivisible du tout et se déploiera librement, car sachant qui il est et ce qu'il représente dans la vie commune.

Tout cela se comprend mieux si l'on perçoit de plus prés la conviction que ce qui se trame à travers le mythe dépasse largement l'examen critique que l'on exige de lui. Il s'agit ici non seulement de préoccupations fondamentalement ontologiques relatives à l'individu et à son existence mais aussi et surtout à la sauvegarde durable de toutes les valeurs acquises au cours de l'Histoire. Vu sous cet angle, nous pouvons admettre cet état de fait avec Mamoussé Diagne lorsqu'il dit: « Une civilisation de l'oralité est sans doute, plus que d'autres, préoccupée par la gestion et la survie de son patrimoine discursif, du fait de la fragilité essentielle qui la caractérise. Le recours à l'image et au procédé de dramatisation est la réponse intellectuelle et existentielle qu'elle oppose à ce défi capital. Ce recours, ainsi que les modalités de son effectuation, s'adaptent aux objectifs qu'elle poursuit, à la nature des objets de savoir qu'elle veut préserver, et au type d'homme qu'elle vise à instruire »41.

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41 Diagne, Mamoussé. Op.cit. p.165

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Chapitre B: Du processus de formation de l'Etat

Le passage d'un état à un autre, l'abandon d'une situation initiale que l'on trouve intolérable au profit d'une nouvelle que l'on considère comme meilleure ou plus adaptée, tel est le processus d'évolution qui a, de tout temps et en toute circonstance, caractérisé la marche de l'humanité et la fondation des sociétés, fussent-elles étatiques ou non-étatiques, barbares ou civilisées. Toujours est-il que cette transformation, fut-elle qualitative ou quantitative, s'est toujours accompagnée de mécanismes, de stratégies et de motifs rationnels et moraux susceptibles de favoriser un nouveau cadre de vie plus sain et plus harmonieux.

Concernant les Mossi plus spécialement ou la plupart des Etats africains traditionnels, ce passage se justifierait par un souci de transfert, de ralliement de l'individu dans le groupe mais surtout des états segmentaires ou claniques caractérisés par la dispersion dans des espaces politiques plus larges et mieux rassurants, des royaumes et plus largement des empires. Ceci ne pouvant se faire d'un coup de baguette magique ou sans heurts, il est naturellement nécessaire que l'on procède, dans la plupart des cas, à l'usage de la force, de la violence. Il s'agirait donc d'un besoin d'intégration de peuples, fussent-ils hétérogènes, dans un cadre étatique mieux hiérarchisé avec à la tête un chef et dont les rapports régissant la vie commune seront garantis par des normes, des lois.

Dans la culture Mossi l'on ne peut admettre l'absence de chef car, dans leur mentalité, l'homme ne peut vivre sans chef. Cela relève t-il d'une vision propre au mossi de la nature humaine ? Ou serait-ce une conséquence d'une manière propre de voir l'humanité comme existant naturellement dans la détermination ? Et pour cela nous pouvons évoquer Emmanuel Kant quand, dans la sixième proposition de Histoire et progrès. Idée d'une histoire universelle, collection dirigée par Jean Montenot, il disait que le bois dont aurait été fait l'homme était si courbe qu'on ne pouvait rien tailler de tout à fait droit ; et que par conséquent, il aurait besoin, en tant qu'animal vivant parmi d'autres individus de son espèce, d'un maître? Aussi Aristote ne concevait-il pas l'homme comme un être prédéterminé et soumis socialement ?

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En tout cas, tout semble le montrer puisque, même en dehors du cadre typiquement Mossi, les sociétés africaines traditionnelles ont toujours jugé nécessaire de fonder leur destinée sous la suprême direction d'un de ses membres. Celui-ci avait toutes les forces nécessaires mais celles-ci étaient sous le contrôle de la communauté qui pouvait dissuader en cas d'abus ou prévenir les éventuels risques d'exercice arbitraire du pouvoir.

Il s'agirait de ce fait d'un acte spontané mais consensuel dont la finalité serait de favoriser un type d'organisation politique. Toutefois, toujours est-il que ce passage, qu'il soit effectué à partir d'un contrat ou d'un pacte que des protagonistes se scellent comme le soutiennent certains théoriciens du droit politique à l'image de Rousseau, Hobbes, Locke, Machiavel... d'une guerre à travers laquelle ils entrent en conflits et où la force fait le droit - de diriger les affaires publiques, de régner en maître- ou de la persuasion par les idées dans le but de convaincre, a le dessein de favoriser un nouvel état fondé sur l'espoir de trouver ce qui manquait auparavant, d'établir un nouveau climat social dictant le droit et les modalités de la liberté, de la conduite, et des normes.

C'est d'ailleurs pour cela que le passage de l'état de nature à l'état civil, malgré ses propres démarches méthodologiques, s'est opéré dans la plupart des traités politiques de ces penseurs dans leur justification du fondement de l'Etat. Mais comment s'est posé le fondement de l'Etat chez eux? Quels en sont les facteurs causals et les motifs ? Telle semble être les questions qui sous-tendent la pensée de ces auteurs. Si ces derniers fondent la genèse de l'Etat à travers l'établissement d'un Contrat, il n'en demeure pas moins que ce dernier revêt plusieurs formes chez eux aussi bien sur ses causes que sur ses clauses.

Chez Locke, dans son Traité du Gouvernement civil, les hommes contracteront non pas par absence de lois ou de morale- puisqu'il existe une loi dite naturelle dans l'état de nature- mais pour que l'Etat puisse garantir le maximum de liberté au citoyen et sauvegarder la propriété individuelle acquise depuis cet état. Pour lui l'Etat ne saurait procéder de la conquête et encore moins d'un état de guerre. A ses yeux, les fondements étatiques et gouvernementaux auraient pour source fondamentale le consentement du peuple. « A la vérité, dit-il, la destruction de la forme d'un Etat prépare souvent la voie à une nouvelle; mais il est toujours certain, que sans le consentement du peuple, on ne peut jamais ériger aucune nouvelle forme de gouvernement ».42

42 Locke, John. Traité du Gouvernement Civil, chap.XVI « Des Conquêtes », seconde édition. Traduction de David Mazel. Paris : GF Flammarion, 1992, p.274

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Quant à Hobbes, il concevra, dans son Léviathan, l'avènement de l'Etat comme l'abandon par les hommes d'une situation initiale marquée par le barbarisme, la tuerie entre l'homme et son prochain au profit d'un acte par lequel ils se constituent en peuple soumis et obéissant à un maitre au pouvoir illimité. Rousseau, cependant, se démarquera, dans son Contrat Social, de cette approche en considérant l'état de nature comme un état d'indifférence entre les hommes, de dispersion, d'insociabilité et le contrat comme un acte libre par lequel le peuple constitué reste souverain et non esclave. A travers ces auteurs l'Etat, vu sous l'angle de la représentation du politique, est le produit d'un besoin nécessaire de sécurité, de liberté, de conservation ou de propriété des hommes.

Se situant tous dans la perspective moraliste et dans le champ du droit, ces philosophes semblent être tous unanimes dans leur refus à fonder l'Etat et sa gestion sur la violence. Tout de même Machiavel semble aussi, bien avant eux, avoir posé le fond de la question dans son Prince même s'il opérera, par contre, une ligne de démarcation très nette sur son mode de gestion. De ses propres termes il soutiendra:

« Le peu de sureté que les hommes naturels trouvent à vivre dispersés, l'impossibilité pour chacun d'eux de résister isolement, soit à cause de la situation, soit à cause du petit nombre, aux attaques de l'ennemi qui se présente, la difficulté de se réunir à temps à son approche, la nécessité alors d'abandonner la plupart de leurs retraites, qui deviennent le prix des assaillants : tels sont les motifs qui portent les premiers habitants d'un pays à bâtir des villes pour échapper à ces dangers. »43

C'est, semble-t-il, pour cette raison que l'Etat est édifié et par lequel l'humanité pense pouvoir atteindre la sécurité et la sureté, de favoriser la cohésion sociale en faisant taire les tensions conflictuelles gages de paix et de progrès social. L'a-t-elle atteint ou pas ? - Nous ne pouvons rien affirmer a priori puisque cela ne nous préoccupe pas pour l'instant. Ce qui nous intéresse ici, notamment dans ce chapitre, c'est de voir comment l'Etat Mossi s'est constitué. De quelle manière et suivant quels procédés contractuels ont-ils fondé l'Etat ? En quelles circonstances et pour quels motifs ont-ils jugé nécessaire de se socialiser ? Quelles interprétations pouvons-nous en faire ? Telles sont les interrogations qui marqueront ce chapitre. Il s'agira de voir les mécanismes et stratégies usuels des Mossi et de leurs enjeux dans la formation et le fondement du politique.

43 Machiavel cité par Amadou Makhtar Diop dans son Mémoire de Maitrise intitulé « De la « bonne cruauté » chez Machiavel », 2005-2006. P.9

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1-De la guerre comme politique de socialisation

La lecture interprétative que nous avons faite du texte mythique nous renseigne déjà sur la nature des modalités politiques mises en place par les fondateurs Mossi dans la formation de l'Etat et de ses différentes structures. Car comme l'a montré Claude Lefort dans l'étude qu'il consacre à la conduite du prince : « Nous pouvons donc supposer que l'examen de la conduite du fondateur...sera l'occasion d'une réflexion sur l'origine de l'Etat »44 ; or le mythe d'origine laisse apparaitre un fondateur- Ouédraogo- naturellement doué dans l'art de la guerre.

Héritant d'une tradition foncièrement consacrée aux valeurs guerrières notamment la chasse et la conquête de nouvelles espaces, il n'est pas étonnant de constater dans ce processus de création le primat de la force et de la persuasion, la présence de la ruse et du calcul, de la simulation et de la dissimulation de la part des chefs moose dans l'entreprise de conquête, de soumission, de domination des peuples autochtones et dans l'administration de l'Etat que ce soit au niveau des stratégies de délégation du pouvoir qu'au niveau de son exercice.

Dés qu'ils sont apparus au XVe siècle autour du fleuve Niger, les guerriers moose ont radicalement changé le système de jeu en cours des autochtones en imposant par la force une nouvelle vision du politique et du monde fondée sur la puissance, sur les armes et une nouvelle idéologie qui justifie l'acquisition du pouvoir et la fondation de l'Etat par la force. Animés par une forte conviction de domination et d'assimilation des peuples, dotés d'une armée aux étalons robustes et rapides, ayant pour protecteur Wende, dieu unique qui « maîtrise le cosmos », les Mossi inventeront une nouvelle conception politique, une nouvelle apprehension de l'Etat jusque là inconnu des autochtones. Pour cela, ils se dotèrent des moyens idéologiques et technologiques, ses conditions de possibilité et de réalisation. Aux dires de Savonnet-Guyot, ils « ne détiennent pas seulement les outils de la conquête, mais les instruments de l'Etat, moyen lui-même de prolonger la conquête en lui assurant durée et efficacité ».45

44 Lefort, Claude. Le travail de l'oeuvre Machiavel. Coll. « TEL ». Paris : Gallimard, 1986, p.362

45 Savonnet-Guyot, C. Op.cit. p.86

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Cet Etat sera donc le produit d'une brutale et progressive conquête de la part des mooses : « lancer ses chevaux contre des paysans terrorisés et désarmés, soulever la poussière rouge de la savane et y semer le trouble ou la mort »46, telle fut la violence au coeur du processus de la fondation étatique. Cette conviction du mossi sur le pouvoir des armes à donner naissance à tout et même à l'Etat, comme qui dirait avec Héraclite que « la guerre était père de toute choses », sera fortement visible dans les interactions au sein de la vie publique et déterminante dans ses relations avec les voisins. Faisant de la guerre, du moins de la puissance le crédo du fondement de l'Etat et de la nation, tout comme Machiavel considérera les bonnes armes comme garants de sa fondation et de sa gestion, les mooses resteront tout au long de leur histoire un pays fort et solide garantissant non seulement l'autonomie et l'harmonie de son peuple mais aussi et surtout soumettra tous les peuples voisins. Ils constituent ainsi une puissance incontestée au-delà et autour de la boucle du Niger.

Par ailleurs, il semblerait même que la conception platonicienne sur la fondation de la cité, telle qu'élaborée dans la République, n'est guère récalcitrante à l'idée de la valeur guerrière dans cette entreprise. En effet, dans son projet d'édification de la cité juste, non statique et victorieuse dans ses conquêtes, il est mentionné par Socrate la nécessité pour ses gardiens d'être à la fois philosophe pour « devenir, grâce à l'initiation aux calculs, expert dans l'art du raisonnement » et homme de guerre « pour ses dispositions tactiques » mais surtout pour la guerre. Cela manifeste non seulement le niveau d'importance qu'occupe la guerre dans la théorisation de la cité juste et dans les activités des gardiens mais aussi de l'intérêt que porte Platon à son art, à son exercice. Aux dires même de Platon à travers Glaucon, cet art de la guerre tel que mis en évidence dans ses propos suivants est tributaire de l'enseignement de la géométrie :

« Tout ce qui en elle touche à la guerre, dit Glaucon, il est clair que cela convient. En effet, pour l'installation des campements et pour l'assaut des places fortes, pour les opérations de rassemblement et de déploiements de l'armée, et aussi pour toutes les manoeuvres qui sont effectuées au cours des expéditions, aussi bien dans les batailles que dans les déplacements... ».47

46 Idem. P.85

47 Platon. La République. Traduit par Georges Leroux, GF Flammarion, 526d-526e, p.377

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Cela conforte bien, nous semble t-il, notre analyse sur l'exercice à la guerre tel que l'ont si bien comme par hasard compris les Mossi dans la mise sur pied de leur Etat et des attributs qu'ils affectent aux princes. Abordant d'ailleurs dans la même logique de pensée, le Capitaine P.L. Monteil,48 témoignera : « ...Au milieu des invasions qui ont ravagé le Soudan au travers des âges, le Mossi semble avoir conservé son indépendance et le caractère très spécial de sa civilisation. D'après le jugement que j'en puis porter, c'est le seul pays où se soient conservées intactes les coutumes d'une très ancienne civilisation noire -civilisation qui, au cours d'une longue période de paix et de prospérité commerciale, s'est affinée et a perdu le caractère de sauvagerie qu'il est de légende d'attribuer aux institutions noires ».49

A y voir de plus prés, tout semble montrer que la fondation de l'Etat Mossi est totalement réduite aux mesures radicales, à l'absence de compromis. Suivant la pensée de Machiavel en ce sens, le fondateur doit plus user de la force que de la prière : « Il est par conséquent nécessaire, [...], d'examiner si ces innovateurs se tiennent par eux-mêmes ou s'ils dépendent d'autrui- c'est-à-dire, si, pour mener à bien leur oeuvre, il leur faut prier, ou s'ils peuvent vraiment forcer les choses. Dans le premier cas, il leur échoit toujours une mauvaise fin et ils ne mènent rien à bien ; mais quand ils dépendent d'eux-mêmes et peuvent forcer les choses, c'est alors qu'ils périssent rarement ; de là vient que tous les prophètes armés vainquirent et les désarmés sont allés à leur ruine »50.

Comme nous pouvons bien le remarquer la garantie de l'action politique semble découler essentiellement de l'action et non de la passivité. Néanmoins une petite précision, dans le but de ne pas permettre la réduction de l'essence du politique chez les Mossi à une pure pratique sociale dénuée de toute coloration religieuse, s'impose. En effet, comme nous le verrons après, il ya une certaine séparation dans la complémentarité de l'exercice du pouvoir entre le spirituel et le temporel. La force guerrière, purement humaine, des moose est garantie par celle du Dieu Wende, Maître de l'univers et de l'ordre cosmique. Dans la cosmogonie moose, cette Divinité est conçue, à l'image de Mars, comme le dieu de la guerre et de la violence. Représentant le Soleil dans sa clarté et sa surbrillance, il permet aux hommes puissants- les souverains potentiels ou détenteurs du titre de Morho Naba- de gouverner.

48 Le Capitaine Parfois Louis Monteil a passé à travers le Mögo en avril 1891. Il publia aux éditions Félix Alcan un ouvrage à cet effet intitulé : De Saint Louis à Tripoli par le lac Tchad. Voyage au travers du Soudan et du Sahara accompli pendant les années 1890-91-92

49 Le Capitaine Parfois Monteil, cité par Balima, op.cit. p.115

50 Machiavel. Op.cit. Chap.VI «Des principats nouveaux qu'on acquiert avec les armes propres et la vertu ». p.79

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C'est de lui qu'émanerait de ce fait la force, le Naam et se définirait la destinée des hommes. Ici les individus- humains bien sûr- seraient représentés chacun par une étoile dans le firmament. Ainsi les grands hommes ou nanambse se représenteraient par les plus lumineuses, les grandes et les gens du commun par les moins, les petites étoiles. Notons par ailleurs que s'il est vrai que l'acte d'édification établit une liaison intrinsèque entre le prince et son peuple, celui-ci est tenu pour sa réussite politique de s'autocentrer le pouvoir et l'autorité comme l'atteste l'intitulé du Chapitre IX des Discorsi : « Qu'il faut être seul pour fonder une république ou pour la réformer totalement ». Cela le Mogho Naba, en tant que « roi de l'univers » et souverain de Ouagadougou l'a bien assimilé. Les Mossi sont, comme nous le verrons plus en détails, seuls habilités à dire le pouvoir, à diriger et à mettre en vigueur les lois politiques. Cela se manifeste clairement à travers la figure du Mogho Naba. En effet, il représente au sein de l'Etat le pouvoir absolu, la force primordiale ; il est Dieu sur terre.

Ce qu'il faudrait retenir ici dans ce recours à la conquête par les armes comme forme d'édification de l'Etat-Nation par rapport à d'autres modalités apparemment plus moraux, c'est le statut, la dimension que revêt la guerre dans le contexte spatio-temporel et dans l'imaginaire traditionnel des héros fondateurs. Au moment de leur arrivée au XVe siècle dans la boucle du Niger, le contexte était fortement conflictuel avec des affrontements quotidiens car, comme le soulignait Savonnet-Guyot, ils apparaissaient à une époque où les raids de pillards contre les paisibles populations paysannes n'étaient pas rares.

Cela fait également échos aux propos de Cheikh Anta Diop lorsque, justifiant l'écart qui se prévalait entre les noirs et les occidentaux, pourtant tous issus de l'Egypte conçu comme Berceau de l'humanité, en matière de progrès matériel, et cela suite à la domination égyptienne, il soutiendra : « désormais coupés de la mère-patrie envahie par l'étranger, repliés sur eux-mêmes dans un cercle géographique exigeant un moindre effort d'adaptation, bénéficiant de conditions économiques favorables, les Nègres s'orienteront vers le développement de leur organisation sociale, politique et morale, plutôt que vers une recherche scientifique spéculative que le milieu, non seulement ne justifiait pas, mais rendait impossible ».51

51 Diop, C.A. Nations négres et Culture. De l'antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l'Afrique Noire d'aujourd'hui. Troisième édition, tome I. Paris : Présence Africaine, 1979, p.51

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Cette orientation des peuples noirs se manifestera plus à travers des razzias, des conflits claniques dans la lutte pour l'hégémonie et la domination. Devant une telle situation d'insécurité, de replis identitaires, de luttes et de combats pour l'asservissement, la reconnaissance ethnique, tribale ou clanique, la guerre, tout en recouvrant une coloration politique, reste liée surtout à la question de la survie et cela les Mossi semblent bien le comprendre. Conscients des enjeux de conservation qui caractérisent ce contexte où tous les coups sont permis, ils vont se lancer dans la conquête de la souveraineté. Ce qu'il importe de saisir ici c'est que tout se réduirait aux formules « eux ou nous » ou plus particulièrement « lui ou moi » que nous traduisons ainsi : si tu n'attaques pas, tu es attaqué ou plus exactement si tu ne conquiers pas, tu es conquis. Autrement dit l'univers semblerait rester suspendu à un seul support, à une seule dynamique, le rapport de force. . Anticipation ou prudence en ce sens que, tout obéissant à l'action préventive- attaquer avant d'être attaqué tout en se dotant de bonnes armes et savoir en user stratégiquement: les mossi détiennent une armée robuste et font la levée de masse- le conflit se fondera sur une certaine logique pragmatique et efficace.

Ici la passivité de l'un profite naturellement à l'engagement de l'autre. Tout semble se déterminer aux exigences de la lutte, du combat à tel point que les notions de justice ou d'injustice, de morale ou d'éthique, seront a priori jugées méconnues, inexistantes voire inopportunes. A cela nous estimons que la meilleure façon de se défendre est d'attaquer. C'est d'ailleurs à travers cette situation marquée par des désirs constants de domination que semblent faire allusion ces propos de Lefort : « la politique est une forme de guerre, et sans doute n'est-ce pas un hasard si pour nous le faire entendre, Machiavel choisit d'abord de raisonner sur le cas de la prise du pouvoir par les armes ».52

Cette approche du réel se justifierait par le fait que la guerre reste intimement liée, dans sa démarche politique, à l'héroïsme, au courage et à l'anticipation préventive ou «prudence» ; valeurs dont Machiavel conseille, par ailleurs, au prince de maîtriser : le prince doit savoir être alternativement renard et lion. Héroïsme dans la mesure où elle affranchit le genre humain de la nonchalance en exaltant en lui la virilité, les vertus de courage, de bravoure de force.

52 Lefort, Claude. Op.cit. p.353

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« Les Mossi, dira Skinner, prisent tellement la valeur guerrière qu'à l'heure actuelle encore, même s'il n'est plus nécessaire de combattre, en brousse, la plupart des hommes portent des massues et autres armes sur l'épaule comme symbole de virilité. A leur avis, tout homme doit savoir se battre et doit pouvoir défendre son village, son canton et son royaume ».53 Cela était aussi à l'origine dans la justification de la guerre par les grecs de la place des guerriers, des héros- aux origines extraordinaires- comme Achille, Hector, Héraclès ou en Afrique comme Soundjata Keita, Ndiadiane Ndiaye- qu'ils occupaient au dessus du commun mortel. Ils n'étaient pas forcément des dieux mais se différenciaient de la communauté par leurs qualités guerrières, symboles de dignité, de mérite, de grandeur. En ce sens lisons ce fragment X de Rousseau concernant l'apologie de Rome- sur Romulus précisément- et faisant état de la valeur de la force : « La force en ce tems là n'étant pas fondée uniquement comme aujourd'hui sur l'argent ou sur l'intrigue mais sur les talens, sur la valeur, sur l'estime, la confiance, étoit un véritable mérite. Elle supposoit plus de grandeur d'âme, plus de générosité, des qualités plus nobles que les petites qualités par lesquelles on parvient aujourd'hui à la domination à l'aide des courtisans. »54

Cette place réservée à la guerre dans l'instauration des Etats et des systèmes politiques au cours de l'histoire telle que partagée d'ailleurs par Adolphe Hitler lorsque, dans son discours à Essen du 28 novembre 1936, il dira : « Au cours de tous les siècles la force et la puissance ont été les facteurs déterminants [...]. Seule la force gouverne. La force est la première des lois » n'est ni anodine ni une fin en soi. La force étant principe d'ordonnancement du réel et par conséquent de la politique est garant aussi bien de la paix et de la liberté que de l'ordre interne et externe. La pertinence de l'idée de conquête dans la violence est à situer ici, surtout pour ce qui est du cas des Mossi, dans le cadre de la nécessité mais surtout de l'ambition.

En effet, du fait de la situation démographique très élevé- qu'on se souvienne simplement du fait que la population voltaïque est pluriethnique- il était devenu nécessaire pour les Mossi de désengorger le territoire en procédant à des conquêtes de nouveaux terroirs. Cela peut aussi se comprendre par un souci de protection et de conservation de leur part. Pour pouvoir mieux se défendre lors d'une attaque étrangère ou asseoir une domination durable, ne fallait-il pas élargir l'espace en bénéficiant de la force de cette masse ?

53 Skinner. Chap.VI « La guerre ». Op.cit. p.213

54 Rousseau, J.J. Du Contrat Social, première version. FRAGMENTS POLITIQUES, [fragments d'histoire ancienne, fragment X : «Apologie de Rome »], p.373

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Cet instinct de prédation semblait donc être une qualité non négligeable dans l'établissement de l'Etat et surtout de sa gestion. A cela il convient d'ajouter que le simple fait de savoir que la nature ne donne rien facilement et que tout est arrachement, combats et luttes suffit à justifier cet instinct de guerre. Les enjeux déterminants sont ceux de la survie et de la protection. Ainsi si le champ politique est naturellement déterminé par les rapports de force, de la convoitise, et que l'équilibre du pouvoir en dépende, alors rien ne semble plus opportun que de recourir à la conquête, aux armes.

Le recours à celle-ci relève d'une nécessité pour un usurpateur- la conquête connote l'idée d'usurpation de pouvoir- à qui se pose la question de l'acquisition et de la conservation de l'Etat. Si l'on en croit, en ce sens, Lefort, « il s'agit pour lui de résister aux adversaires que son entreprise a suscités, [...]. Ainsi ses actions sont-elles déterminées par l'état de guerre [...] ; et sa politique ne peut-elle être qu'une stratégie analogue à celle d'un capitaine qui, ayant occupé sur le terrain la position convoitée, s'applique à déjouer les initiatives d'ennemis décidés à la lui reprendre »55.

En effet, les Mossi, comme nous l'avons vu, ont dés leur arrivée, modifié complètement le système de jeu en vigueur des peuples autochtones. Ils se sont imposé tout en s'adaptant dans l'adversité aux multiples assauts et aux convoitises des autres peuples, eux aussi, animés des mêmes désirs. Il s'agit d'une situation de force où les plus faibles, les moins ambitieux risqueraient d'effacer leur digne existence de la carte et dans l'histoire. Il est intéressant de noter ici que les motifs qui justifient l'intitulé de ce sous chapitre sont moins d'ordre mimétique, de reproduction de sociétés anarchiques pour nos Etats modernes que d'ordre stratégique. Autrement dit il ne s'agit pas pour nous ici d'inciter à la violence, à l'anarchie ni de valoriser la guerre ou moins à établir des Etats dictatoriaux ou despotiques. Il s'agit plutôt d'un travail consistant à faire prévaloir l'idée que tout Etat, fut-il ancien ou moderne, est et doit demeurer fort et puissant. Cette force et cette puissance ne sont pas une fin en soi mais constitue les bases du fondement de la res publica et garantissent la stabilité politique et socio-économique, l'intégrité et la souveraineté territoriales.

55 Lefort, Claude. Op.cit. p.352-353

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En cela Delafosse, comparant les royaumes du Yatenga, de Ouagadougou et de Fada N'gourma, à ceux du Mali, du Ghana ou de Gao, dira : « ces trois empires, [...], furent en réalité des Etats plus forts, plus homogènes et plus durables »56. La manière dont les Mossi sont arrivés à créer l'Etat-Nation à partir de peuples de diverses origines tout en restant indivisible, autonome et résistant tout au long de leur histoire, du moins jusqu'au contact des français, suffit pour illustrer cette idée.

Les Etats africains modernes ont l'obligation de résister aux assauts du néocolonialisme, en tant que nouvelle forme de domination déguisée des puissances occidentales fondée sur la politique, l'économie, la culture sur leurs anciennes colonies ; de garantir leur souveraineté et la protection de leurs peuples, de venir à bout des conflits interethniques, des rebellions, des soulèvements populaires, des confiscations et des abus du pouvoir, des injustices et de favoriser la vie commune, le désir de vivre ensemble gage de sécurité et de progrès. Et pour cela, il faudrait que les Etats africains, à travers des moyens légaux répressifs, surplomb par la force les individualités et détiennent le monopole de la violence légitime. La force efficace sera donc cette valeur unique, exclusive et sera érigée en droit. Elle constituera de ce fait le principe de fondation de l'Etat et de ses différentes structures, comme nous en édifiera le système politique moose, et garantira l'ordre et l'harmonie sociale, la paix civile et la conservation des biens des citoyens.

Nous ne saurions terminer cette section sans faire apparaitre les conséquences découlant de cette conquête des Mossi même si nous ne manquerons pas de les élucider dans le sous chapitre qui suit. Au cours des opérations militaires et après avoir conquis de nouveaux espaces, l'on assiste non seulement à la création de dynasties et de résidences royales à la tête desquelles commanderont les descendants-fils et petits-fils ou les frères d'armes mais aussi et surtout au foisonnement de peuples hétérogènes et dont l'incorporation dans les subdivisions territoriales finira par éclipser et cela grâce notamment aux politiques d'insertion sociales mises en place.

56 Delafosse, M. HAUT-SENEGAL-NIGER. Nouvelle édition, tome II « L'HISTOIRE ». Paris : G.-P. Maisonneuve et Larose, 1972, p.122

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2-Des politiques d'insertion sociales

Après que le Naam ait achevé sa logique guerrière, son processus de conquête en soumettant par la violence- occasionnant a priori l'Etat segmentaire, ou en rassemblant à son joug par un système de collaboration prudente les peuples aux alentours de la Volta Blanche l'Etat territorial, les vainqueurs moose vont désormais s'atteler à la colonisation et à l'unification de cet ensemble hétérogène à l'intérieur d'une entité politique et étatique susceptible de favoriser une vie commune, stable et réglementée: l'Etat-nation. Il s'agira ainsi d'une véritable réforme sociale intégrant les valeurs humaines de solidarité, d'amitié, de reconnaissance mutuelle des différences, de partage, susceptibles de favoriser la civilisation et la cohabitation.

Ce tissu social procéderait donc de la coexistence dans un même cadre de vie d'individus entretenant des rapports sociaux réciproques et fréquents. C'est d'ailleurs en ce sens que la cité ou l'Etat n'est jamais perçu comme un agrégat, une sommation ou une juxtaposition d'individus n'étant mus que par leurs intérêts personnels ni comme le résultat de leur compétition. Il découlerait plutôt d'une véritable symbiose, d'une fusion des différents membres ou composants dont l'intérêt public, produit de la raison et de la morale, prime sur les humeurs privées. La conquête eut donc comme corollaire la naissance d'une société pluriethnique aux origines diverses et de catégories socioprofessionnelles différentes, un véritable melting-pot dont la vision mooga essaiera d'incorporer à travers l'instauration de projets de société axés sur des politiques de restitution et de rétablissement d'une homogénéité nationale.

Cette politique de socialisation des peuples conquis, relève moins d'une exigence conséquente que d'une nécessité quant à l'harmonisation de la vie sociale par une administration forte. Cette édification de la société, ne s'étant pas faite de manière violente, est orientée vers une politique de persuasion qui dénote les idées centrales d'assimilation, de solidarité et de conservatisme, lesquelles caractérisent la fondation de la vie communautaire. Car comme l'a si éloquemment manifesté Balima les vaincus n'ont pas été exterminés. Ils ont été assimilés et, très souvent même, ils ont adopté la langue, les scarifications rituelles et les traditions des nouveaux maitres.

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La conséquence immédiate découlant de cette politique assimilatrice justifie la faible représentation démographique des Mossi authentiques au sein de la société57. Ce qui montrerait du coup que toute la politique des moose a consisté depuis des siècles à une volonté d'intégration, de socialisation, de «mossification» comme dira Balima des peuples indigènes ; et cela dans le but de consacrer l'unité et l'union nationales.

Nous pouvons ajouter dans le même sillage cette politique axée sur la solidarité nationale dans l'élaboration de la vie commune, du vouloir de vie commune. Qui mange seul meurt seul ! Si la tête brûle, que les épaules ne se réjouissent pas ! Un seul pou mort, et une foule de poux meurent ! La foule, c'est le bruit ! Tels sont des proverbes que les mooses ont intégrés dans leur langage quotidien. Ils renvoient à cette croyance consistant à fonder les rapports entre les différents membres du corps politique et social, entre les cellules organisationnelles de base : famille, clan, tribu, canton, sur les principes de la cohésion, de l'entraide mutuelle et absolue, de la fraternité gages de survie et de prospérité de la nation. C'est d'ailleurs ceci qui justifierait cette réaction massive des peuples mooses devant le danger et surtout, comme nous le verrons, dans la sécurisation collective des intérêts généraux et dans l'amorce d'un conflit.

Cette conception d'une société basée sur des valeurs de solidarité et d'entraide est quasi générale ou même inscrite dans la mentalité des peuples négro-africains en générale. De cette solidarité organique, de ce véritable socialisme qui a de tout temps caractérisé les peuples noirs, Cheikh Anta dira : « L'Afrique Noire est un des pays du monde où l'homme est le plus pauvre, c'est-à-dire, possède le moins à l'heure actuelle ; mais il est le seul pays du monde où la misère n'existe pas malgré cette pauvreté par suite de l'existence d'une solidarité de droit ».58 Après avoir soumis par la force conquérante, délimité les axes frontaliers et stabilisé cette masse populaire paysanne, ne connaissant jusque là que les normes micro-sociétales lignagères ou villageoises, le repli sur soi et la léthargie traditionnelle, dans une atmosphère sociale solidaire et fraternelle exigeant le contact avec l'autre, les guerriers mooses proposent ainsi une nouvelle stratégie, non moins violente, consistant à convaincre, à persuader celle-ci à s'allier et à participer à l'élaboration d'un nouveau projet politique, celui de l'Etat ou du moins de l'Etat-nation.

57 Comme le montre ici Balima sur une population de 273000 habitants du Cercle lors des recensements, vers 1909, l'on décomptait 135000 Bussansi, 122000 Mossi, 8000 Peul ; mieux encore dans la capitale provinciale de Tenkodogo l'on comptait 40000 Bussansi, 20000 Mossi, soit la moitié, 5000 Peul.

58 Diop, C.A. L'UNITE CULTURELLE DE L'AFRIQUE NOIRE. Seconde édition. Paris : PRESENCE AFRICAINE, 1982, p.156

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Comme le souligne à cet effet Savonnet-Guyot : « Pour saturer de commandements unis dans un même système idéologique un immense territoire, pour remplir des espaces politiques hostiles, il restait à inventer l'Etat et à travailler la matière sociale ».59 Cette proposition collaboratrice, comme nous pouvons le remarquer, n'est pas une fin en soi, un acte purement désintéressé. Les Mossi, conscients de l'insuffisance de la seule force militaire dans la fondation et la survie de leur Etat, lequel se veut puissant et souverain, procèdent à une contraction avec ces derniers qui, eux, ont la force du nombre et de Tenga, le dieu de la terre et de la foudre qui fertilise les sols.

Ce qui semble prévaloir dans cette logique contractuelle dont se lancent les mooses, c'est qu'ils sont convaincus que la violence, la force à elles seules, ne suffisent pas ; l'arme militaire n'est pas toujours efficace dans l'amorce d'une telle entreprise risquée et qu'ils ne peuvent la réussir sans la collaboration, l'implication de tous. Mieux encore ce serait peine perdu si, une fois l'entreprise réussie, l'on ne parvient pas à assurer sa pérennité, sa survie vitale car comme s'en est bien interrogé Savonnet-Guyot, comment existerait l'Etat si le travail de ses paysans ne lui assurait ses moyens d'existence ?

Produit de la nation, celle là même qui, dans son unité et son homogénéité, concentre en son sein des guerriers et des paysans, l'Etat mooga se trouve dés lors dans l'obligation de procéder à la mise en oeuvre des mécanismes politiques et sociaux susceptibles d'assumer les fondements idéologiques et les principes de partage du pouvoir. C'est ici que l'on touchera du doigt les véritables bases de la constitution de l'Etat et les justificatifs de sa puissance et de sa force qui lui ont valu la paix et la sécurité sociales durant toute son existence.

Il s'agira donc ici plus d'un contrat, d'un pacte entre humains que d'une politique de partage du pouvoir entre divins. Le dieu des Mossi, Wende, laissant le soin à Tenga, dieu des paysans, d'assurer à la classe politique l'essentiel de ses besoins en ressources vivrières et à sa famille d'exécuter les rituels, le domaine religieux, s'occupera du domaine étatique et de sa gestion. Il assura ainsi à sa famille la détention du Naam et les moyens de légitimation de l'autorité. Avec les gens de la terre et les peuples autochtones primitives, les Mossi partageront la force populaire, Panga, le tronc dorsal du pouvoir politique et de l'Etat et qui lui assura résistance et suprématie tout au long de l'histoire.

59 Savonnet-Guyot, C. Op.cit. p.85

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Mais précisons d'abord quelques aspects nominaux de la structure démographique du peuple moose afin d'éviter quelques confusions ou incohérences. Tous ceux qui se disent Mossi ne le sont pas naturellement. La grande majorité n'est pas d'origine moose c'est-à-dire descendants des conquérants. Ils le sont devenus soit par la reconnaissance de leur nouvelle politique d'administration soit par l'adoption de leur vision du monde et de l'autorité. Ainsi l'on assistera à une partition du pouvoir à cause de la coexistence de deux chefs incarnant deux sphères apparemment contradictoires la religion et la politique. Dans cette cité le pouvoir religieux est géré par le Teng Soba ou propriétaire de la terre et, tel que le décrit Balima, il serait un descendant des premiers occupants du sol, l'héritier des chefs vaincus. Ce serait donc lui l'intermédiaire nécessaire entre les masses de ses ancêtres et les nouveaux venus. La politique, quant à elle, est l'affaire du Teng Naba. Ce dernier, d'originaire étrangère, est issue de la race des conquérants et son commandement dérive du droit de conquête.

Avec l'instauration de l'Etat, les royaumes mooses détiennent le monopole du pouvoir tout autour de la Volta blanche et affirment leur suprématie sur l'ensemble de la population voltaïque. Ce monde, jadis, hétérogène et multiforme, est arrivé à gommer cette diversité ethnique, linguistique et culturelle et à s'incorporer au sein d'une même entité politique, un même peuple : le Moogo ou Monde. Désormais ce Monde unifié s'identifie au même mythe d'origine qui affirme l'appartenance à un ancêtre commun et fondateur, Wédraogo, reconnait le même principe de pouvoir, le Naam et soumet absolument à ses chefs légitimes. A cette remarquable invention politique, s'ajoutera une nouvelle stratégie qui, ne se souciant plus, ou du moins pour l'instant, de l'unité de la nation ou de la puissance de l'Etat, va concerner les mécanismes et les mesures sécuritaires de conservation du pouvoir.

La grande partie de l'histoire des royaumes mooses au terme des périodes de conquête se concentrera désormais autour de la création de nouveaux dispositifs dans l'exercice du pouvoir. A la lecture de la réalité politique qui manifeste la pluralité des prétendants au pouvoir à l'image des Nakomse, le roi se trouve dans l'obligation et par peur d'être pris au dépourvu, de procéder à des politiques de marginalisation en rusant sur les postes, les fonctions les plus stratégiques du pouvoir. Ainsi il leur retira tous les commandements et remplaça les chefferies locales par une administration directement contrôlée par l'Etat central.

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En cela, Savonnet-Guyot dira qu' « il substitua une aristocratie de sang par une aristocratie de fonction », ce qu'elle justifie par le fait que : « Pour que le chef devienne le roi, il lui faut se hisser au-dessus des liens de sang, renier la parité qui le lie à ses pairs et construire son Etat sur de nouveaux partenaires ».60 Ceci suffit à justifier le choix de notre sujet reposant essentiellement sur le rapport entre parenté et gouvernance, entre privé et public dans l'exercice du pouvoir étatique. Il s'agira donc de montrer dans les analyses suivantes à montrer l'attitude de l'homme d'Etat face à ces deux sphères de la politique.

Le prétexte élaboré ici pour légitimer le pouvoir royal et justifier ses prérogatives, sa place dans la hiérarchie administrative concerne la raison d'Etat. Il s'agit ici pour le Souverain, le Morho Naba ou plus spécialement le Naaba c'est-à-dire le chef ou par extension tout chef à la tête d'un royaume de procéder à une politique de prévention et surtout de sécurisation de sa personne et de son pouvoir. Celle-ci consistera à se prévenir des risques d'usurpation du pouvoir ou de coups d'Etat en s'entourant, non pas de ses proches, de ses compagnons de guerre ou des membres de la lignée royale devenus importants et avides de pouvoir, mais de nouveaux alliés.

Ces derniers seront surtout à chercher au niveau de la basse classe, là où les représentants ne sont plus concernés par la lutte pour le pouvoir. Il s'agit de ceux là que les mooses nomment les Talse- ce sont tous les mooses descendants agnatiques de Wédraogo, des branches dynastiques les plus anciennes, exceptés ceux de la lignée royale maternelle, les Nakombsé- ou qu'ils désignent comme des « sans-histoires », des « sans attaches familiales » c'est-à-dire les captifs royaux dont l'unique prétention est de servir le roi et l'Etat. A la suite du propos de Michel Izard qui mentionnait l'idée selon laquelle le roi tranchait le lien lignager et échangeait famille contre serviteurs, Savonnet-Guyot dira: « l'Etat va naitre d'un double mouvement : le roi éloigne de lui ceux qui lui sont les plus proches, et rappelle à lui ceux qui lui sont les plus lointains ».61 Cela témoigne une fois de plus du génie inventeur des mooses en matière de science politique et de gestion du pouvoir et conforte cette idée consistant à dire que gouverner c'est prévoir et pour prévoir il faut savoir.

60 Savonnet-Guyot. Idem. p.98

61 Ibid. p.96

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De ce qui précède, il convient de préciser quelques grands noms du système étatique et qui, d'après Savonnet-Guyot, constituent la nomenclature de la société mooga. Comme toute la nature du pouvoir se structure autour du Naam, nous retrouvons fréquemment la présence du radical « Na ». Ainsi est désigné par « Naaba » tout chef, fut-il celui qui administre la plus petite entité politique comme le village. Le Moogo Naaba, qui réside à Wogodogo et dont le roi porte le titre, est le chef supérieur, l'instance suprême du Moogo ; tous ses royaumes sont formés et dirigés par les fils de Zungrana Naaba. Le terme Nanamse, pluriel de Naaba, évoque une particularité car il fait allusion, suivant cette hiérarchisation basée sur le code lignager, aux dirigeants de ces plus importants royaumes. Ainsi pour l'entité politique du Yatenga, il désignera le Yatenga Naaba etc.

Il renvoie aussi chez Skinner aux dignitaires. Ils sont membres de la lignée royale et par conséquent sont dans la course pour le pouvoir. Quant au vocable Nakombse, il renvoie à ces membres de la lignée royale qui a, selon Savonnet-Guyot, produit le roi mais aussi aux personnes d'extraction noble ou royale. Il peut être un enfant de Naaba ayant régné et mieux placé pour être investi (Nabiise) ou un petit fils de roi (Yarase), moins placés pour briguer le pouvoir. Ils constituent donc ceux que Savonnet-Guyot décrit comme une « aristocratie frustrée du pouvoir, sans attaches territoriales (puisque leur père qui n'a pas régné n'a pu les doter en villages ou apanages) et qui n'a pas trouvé d'emploi. Des Remuants, dangereux pour le pouvoir, [...] des déshérités du Naam...Leur destin est de mener, dans l'attente d'une nomination, d'un commandement, d'une guerre ou d'une opération de pillage, une vie de proscrits ».62

C'est ici que nous tenons le point concernant la question de l'antériorité ou de la postériorité entre la nation et l'Etat ou de l'Etat-nation en tant que législation, dans l'édification des sphères politiques. Chez les Mossi, il semblerait que l'édification de la Nation faite à travers des valeurs sociales s'est accompagnée de la construction de l'Etat fondé sur la force. En ce sens nous pensons que la nation dans son processus de création est garantie et sous-tendue par la force militaire étatique qui lui assure efficacité et continuité. Mais si l'on conçoit l'Etat comme personnifiant la nation et comme force législative dans sa fonction d'élaboration de lois et garant de l'application et de l'exercice de celles-ci, nous pouvons concevoir une antériorité de la nation par rapport à l'Etat.

62 Id. p.95

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Ce sera pour nous ici l'occasion de faire une brève analyse inclusive sur la notion de l'Etat-nation pour rendre plus manifeste ce propos. En effet, ce concept est parfois conçu par la plupart des penseurs politiques, depuis Bodin jusqu'à Rousseau, comme un produit de la modernité allant même jusqu'à déduire sa forme conceptualisée, sa manifestation la plus complète de la Révolution française. Cela peut être admis dans la mesure où ils ont conçu l'Etat, dans sa forme moderne, comme une sphère juridico-politique autonome et indépendante de toute autorité fut-elle temporelle ou spirituelle.

Mais si nous nous référons à une autre dimension du concept, et ici dans une perspective non plus moderne mais traditionnelle, nous constaterons que la notion peut s'étendre et s'appréhender dans une logique « historico-ethnique » comme le constate Yves Charles Zarka. A cet effet, le terme nation, recouvrant deux dimensions : l'une géographique en ce sens qu'il se définit « par l'unité d'une population vivant sur un territoire défini, celui précisément sur lequel s'exerce la légalité de l'Etat », et l'autre généalogique du fait qu'elle se définit par « une population ayant une origine ethnique déterminée »,63 ne peut être pensée que comme un produit de l'histoire. Elle n'est envisageable que par rapport à l'histoire. C'est celle-là même qui lui donne son essence, sa justification et permet sa continuité dialectique à travers les époques.

C'est pourquoi elle sera ce que les peuples en feront dans les différentes étapes de leur histoire. Ainsi la nation de la Révolution Française sera celle qui, à travers l'homogénéité du peuple français, a brisé la société hétérogène en s'acharnant contre la monarchie tout comme nous pensons ici la nation Mossi comme l'unité d'un peuple résultant de l'éclatement du repli identitaire clanique et soumis désormais à une juridiction. L'Etat-nation sera donc comme le décrit Yves Zarka une entité juridico-politique autonome qui a pour support l'unité d'une population historiquement définie comme résidant sur le territoire où s'exerce la normativité juridico-politique de l'Etat.

Cela semble bien justifier une certaine antériorité de la nation par rapport à l'Etat et pose du même coup l'idée de projet de société dont les penseurs, en l'occurrence les Africains, doivent méditer pour résoudre ou contribuer à la réalisation de l'Unité Africaine et cela à travers sa concrétisation au plan national d'abord, régional ensuite et continental enfin.

63 Zarka, Yves Charles. Figures du Pouvoir. Etudes de philosophie politique de Machiavel à Foucault. Paris : Puf, 2001, p.94

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Ainsi ne devrait-on pas d'abord-pour ce qui est des peuples africains- édifier la nation avant l'Etat dés l'instant que l'élaboration des lois ou des règles juridictionnelles présupposerait un espace géopolitique où s'appliquer ? L'harmonisation sociale ne serait-elle pas une propédeutique et un garanti à l'Etat et à ses institutions ?

Ces interrogations sont toutefois d'actualité puisqu'elles posent du même coup le problème, depuis les indépendances, de la Nation et de l'Etat dans les sphères politique et culturelle des Etats africains. En effet, les différentes violences passées ou en cours dans les frontières et même au sein des pays sont fréquentes et sont pour la plupart d'ordre ethnique ou religieuse. L'insécurité à l'intérieur des Etats, malgré l'existence de moyens coercitifs, la précarité, le retard en matière d'économie et de développement sont la conséquence de politiques ante sociales axées seulement sur des valeurs capitalistes, privatistes et non sur des mécanismes devant porter sur la matière sociale, sur la socialisation. Il s'agit ici pour nous de fonder la théorie et la concrétisation de l'Etat-nation dans une perspective idéaliste, de la définir comme un pro-jet, un idéal à viser.

En ce sens le concept d'Etat-nation sera conçu, non comme une politique qui tendrait à l'homogénéité du peuple et à favoriser une pureté raciale ou ethnique comme l'Etat Nazi ou raciste et séparatiste, mais comme, suivant l'expression de Yves Zarka, une homogénéisation consistant à dire que le concept d'Etat-nation reposera sur une constance dans le processus historique d'intégration. En cela, il constitue un idéale à atteindre. Pour ce faire les politiques africaines, en matière de développement économique, de sécurité et de cohésion sociale doivent avoir comme fondement, vu les carences d'une mondialisation qui ne se soucie guère des contraintes sociales, comme base idéologique, une démocratie communicationnelle entre les hommes et les peuples pour accélérer ce processus et orienter les peuples vers la reconnaissance des valeurs de la solidarité et de l'entraide, de la socialisation et du socialisme malgré l'apparente hétérogénéité des moeurs et des croyances. Il ne s'agira pas d'abattre, cependant, tout l'arbre et de recommencer à Zéro comme Descartes qui détruirait tous les fondements de la philosophie qui l'a précédé mais de privilégier les priorités. Les politiques africaines porteront plus sur les bases qui sous-tendent le processus de construction simultanée de la nation et de l'Etat.

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DEUXIEME PARTIE :

DES RAPPORTS ENTRE PARENTE ET POUVOIR

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Chapitre A: La question de la parenté dans le système politique Mossi

Une réflexion philosophique sur des questions relatives à la politique en Afrique traditionnelle en générale et chez les Mossi en particulier, pour être judicieuse, rationnelle et appropriée, ne peut faire l'économie des structures socioculturelles et cultuelles qui, non seulement y apparaissent et régissent les rapports entre pouvoir et parenté au sens générique du terme mais aussi et surtout des enjeux politico-philosophiques et sociaux qui en découlent. En effet, la société africaine traditionnelle a été essentiellement régie sur des mécanismes sociopolitiques édifiants au coeur desquels la systématisation du phénomène parental occupait une place de choix à l'intérieur de la structuration et de l'organisation de la vie sociale et politique.

La tradition culturelle Mossi s'est caractérisée, comme nous le verrons dans les détails, par un système de valeurs et de règles autour de la légitimation et de la légalisation de la structure parentale aussi bien dans les rapports interindividuels que dans ceux avec les instances administratives. A cet effet, la parenté recouvre une dimension autoritaire -relatif à l'autorité- et est élevé au rang de pouvoir, de responsabilité, de puissance. Dés lors le père et/ou la mère n'est plus perçu uniquement comme un géniteur naturel mais comme une entité juridique fondant la structuration sociopolitique et étatique. Il est l'incarnation de l'autorité juridique qui régit l'ensemble des rapports entre les individus descendants de la même lignée biologique, le patriarche et entre les apparentés comme il est le cas ici chez les Mossi. C'est pourquoi, dans la plupart des sociétés traditionnelles africaines, les rapports politiques et sociaux entre les individus sont régis en générale par les systèmes de patrilignage ou de matrilignage, parfois même les deux à la fois.

Il sera donc question dans cette deuxième partie de procéder à une analyse des concepts pouvoir et parenté, de leurs implications et corrélations dans le système politique Mossi et des enjeux sociologiques et philosophico-politiques qui en découlent ou susceptibles de s'en dégager. Ceci permettra, nous semble t-il de stabiliser fondamentalement la question du fondement politique de l'Etat moose et de son système de gouvernance.

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1-Approche définitionnelle

La parenté a fait l'objet de multiples études et publications dont il ne saurait être question, pour nous, d'en analyser l'ensemble ni encore moins d'en délimiter toute l'exégèse interne et externe qui y est faite. Il s'agit ici d'un travail discriminatoire consistant à saisir, non pas l'ensemble conceptuel de la notion mais, les définitions susceptibles de mettre en exergue les enjeux philosophiques de cette «politique de la parenté», en tant que mode de gestion et de transmission du pouvoir chez les Mossi que nous essayons d'examiner dans ce chapitre.

Mais avant, prenons déjà pour acquis que le concept «parenté' peut recouvrir à la fois une dimension privée ne reflétant que les relations familiales où les sentiments, les affects, à l'intérieur desquels les intérêts privés sont très souvent prédominants. Elles sont étroites dans une société occidentale -ne concernant que les rapports père, mère, enfants- et élargies dans une société africaine dans laquelle les rapports sont plus complexes car se référant à la famille élargie. Néanmoins, et c'est là que nous insisterons, elle peut surtout relever d'une instance publique, d'un champ de rapports réglementés, d'un système opératoire transcendant toutes les manifestations passionnelles, affectifs, égoïstes, individualistes ou partisanes. En ce sens il constituait un modèle de gestion du social et du politique pour les sociétés traditionnelles. Et c'est justement de cette dernière dimension dont il est question ici. Il s'agira donc, pour notre sujet, de le confronter à un autre concept, celui d'Etat, lui-même, notion publique et instrument dans l'exercice du pouvoir et la réglementation des affaires sociales.

En tant qu'ossature essentielle dans les sociétés africaines traditionnelles, la parenté constitue un réseau de rapports sociaux et de représentations collectives, un champ sociopolitique dans lequel l'individu ou la personne se définit et se réalise concrètement : « l'homme, c'est sa parenté. » dira un proverbe sérère ; « le remède de l'homme, c'est l'homme. » diront les wolofs. En tant que système, Elle est définie sociologiquement par le Dictionnaire Universel 2010, comme l'ensemble des relations qui, dans toute société, définissent un certain nombre de groupes et de sous-groupes, et déterminent les obligations et les interdictions auxquelles doivent se soumettre leurs membres.

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En ce sens le terme parenté dépasse l'aspect passionnel, l'affect parental- père/mère- à l'égard de la progéniture en se consacrant dans une dimension plus étendue, celle régissant les interactions de la vie sociale et, par extension, de l'Etat comme nous aurons à le constater dans le système Mossi. Elle cadre tout en immobilisant l'individu, en tant qu'unité sociale, dans une organisation sociopolitique régie par des normes et garante de sa liberté, de sa conservation tout en l'attribuant des charges dont il a le devoir et l'obligation de s'acquitter pleinement. La parenté figure, par conséquent, parmi ce que Alassane Ndaw nomme comme les « différents réseaux de rapports sociaux qui enserrent l'individu, déterminent son statut et le constituent essentiellement en élément n'existant que « par » et « pour » les autres ».64

Son élaboration en tant que système de gestion et de garanti de l'existence matérielle-en assurant les problèmes relatifs à la nourriture, à la reproduction, à l'éducation, à la protection contre les potentielles puissances maléfiques et les ennemis- métaphysique- arriver à se concilier, par un ensemble d'acquis culturels et cultuels, avec les divinités et autres forces invisibles- et politique -favoriser une meilleure gestion de l'affectation des fonctions administratives- constitue une réponse face aux contraintes naturelles et une tension à satisfaire son instinct de sociabilité. N'étant pas seulement mu par ses instincts naturels, l'homme s'est toujours trouvé dans l'obligation de s'affirmer pleinement et pour cela à s'affranchir de la pesanteur de la nature par la création de conditions d'existence.

A cet effet, les peuples négro-africains, comme le dira Van EEtvelde, ont « trouvé des manières qui leur sont propres de vivre les dépendances inhérentes à la condition humaine. Les structures participatives que forment les groupes de parenté constituent des cadres de vie qui permettent aux individus de résoudre leurs problèmes fondamentaux ».65 Ces problèmes dont fait montre Van EEtvelde sont relatifs aux mystères de l'existence et leur solution vise le maintien et la pérennisation de la vie sociétale. Comme cadre de vie, la parenté est fondée sur les principes et les exigences de solidarité et de respect mutuels. Elle peut, dans cette perspective, faire allusion, non seulement à un groupe réduit formé par le père, la mère, les enfants, les frères et soeurs, mais aussi et surtout, dans la dimension que nous l'envisageons ici, à un système plus élargi pouvant comprendre tous les descendants d'un ancêtre commun qui, en tant que patriarche fondateur, se conçoit comme la sève nourricière du groupe et de ses traditions multi générationnelles.

64 Ndaw, A. Op.cit.p.174

65 Van EEtvelde. Op Cit. p.36

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Suivant les formes et les cultures coutumières, trop souvent différentes, l'organisation au sein du groupe parental repose sur la satisfaction des besoins vitaux de ses membres et de favoriser l'harmonie et la paix sociale, sa conservation en assurant sa force et sa sécurité. En effet, c'est par le terme lignage que la parenté est exprimée le plus souvent. Le fondant sur une relation génétique et sur un concept social, Van EEtvelde montrera qu'il est organisé et possède un chef ou un aîné. Ainsi, chaque membre en dépend et se rattache, par là, à une ethnie et à une culture déterminés avec des traditions ancestrales.

En ce sens la parenté répondrait donc à un idéal social, le bien commun. L'idée principale ici est que ce but recouvre une dimension morale car se dérogeant à la règle de l'existence subjective, égoïste et individualiste exagérée afin de coïncider avec l'idéal de vie commune. Elle constitue de ce fait une entité sociopolitique, comme nous le constaterons dans la vie gouvernementale Mossi, plus psychologique, sociale et religieuse que biologique car comme le montrera Van EEtvelde, parlant de la superstructure idéologique des peuples africains, l'individuel n'a pas une emprise sur le collectif et la coutume car la vie humaine étant régit de part en part par le social et le religieux.

Ce que l'on peut retenir ici c'est que la personne humaine ne peut être saisie ni appréhendée en dehors de l'armature sociale et des relations interindividuelles qui lui assurent existence et responsabilité, l'assignent des droits et des devoirs. Elle est un être humain structuré socialement ou comme le dirait Aristote un animal politique. Cette perception de la notion de personne dans les civilisations négro-africaines est le corrélat direct de la conception traditionnelle de la vie reposant sur la culture du social, du groupe et de la communauté. Cette conviction quant à la réduction irrémédiable de l'existence de l'homme à la sociabilité procède, non plus d'une dimension singulière exacerbée mais, d'une philosophie plus socialisant qu'individualisant. Celle-ci considère l'autre comme une entité inhérente et nécessaire non seulement à la réalisation et au déploiement du Moi mais, dans une dimension pratique, à l'accomplissement des activités quotidiennes. Comme le dit le proverbe sérère : « tout seul, Ngor ne saurait jamais soulever sa case ».

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Ce recours à l'autre manifeste clairement l'incapacité de et pour l'être humain en tant que microcosme de s'auto-suffire essentiellement et de se déployer surement au travers des rouages de la vie et à l'intérieur d'un univers macrocosmique. L'autre n'est plus conçu ici comme un obstacle à l'existence du Moi, encore moins comme un « enfer » pour l'individu mais apparait comme un frère, un parent ou un proche avec qui le Moi partage l'humanité et entretient des rapports sociaux moraux ou conflictuels. A cet effet, Alassane Ndaw dira que : « le projet du « moi » n'est donc pas de se poser comme entité rigidement structurée, se distinguant totalement d'autrui et s'opposant à lui par essence, mais de se saisir et de se définir par rapport à lui ».66 Comme pour reprendre ce propos d'Alassane Ndaw, Jean Paul Sartre, posant le problème de « l'existence d'autrui » montrera l'inséparabilité du moi et de l'autre et affirmera leur nécessaire interdépendance si l'on se réfère à ces propos : « j'ai besoin d'autrui pour saisir à plein toutes les structures de mon être, le pour-soi renvoie au pour-autrui ».67

Ces deux concepts apparaissent dans l'imaginaire culturelle et dans la réalité sociale négro-africaine comme deux entités distinctes mais inséparables à l'intérieur d'un même tout, d'une seule unité ontologique dont ils procèdent à savoir la cité. Cette dimension unificatrice est, comme nous l'avons dit, fondée sur des bases et des superstructures idéologiques à l'image du système de parenté. Le parent, en Afrique traditionnelle, suppose un bon nombre de significations. Il concerne dans un premier temps l'aspect biologique mettant en évidence le père et la mère pour ensuite épouser une perspective plus élargie en allant jusqu'à toucher l'entourage -ceux avec qui on a établit des alliances à travers le mariage, l'adoption- et la descendance par rapport à un ancêtre commun c'est-à-dire ceux avec qui l'on partage la consanguinité- tribu, caste, ethnie etc.

Ce phénomène de la consanguinité sera une dimension non négligeable pour la compréhension de la parenté chez les Mossi et de son impact dans la gestion souveraine du pouvoir. Ici l'on insistera sur la notion de Père, en tant que concept et dérivé de parent, et de sa perception politique dans la société africaine. Mais avant d'en arriver à cette fonction du Père, posons les fonctionnalités de la parenté dans les fondements des systèmes politiques.

66 Ndaw, Alassane. Op.cit. p.136

67 Sartre, Jean Paul. L'être et le néant. Essai d'ontologie phénoménologique. Edition corrigée avec index par ARLETTE ELKAÏM-SARTRE. Paris : Gallimard, 1943, p.260-261

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Traditionnellement la plupart des Etats dits centralisés procèdent le plus souvent, comme c'est le cas pour les Mossi, d'un rapprochement de deux groupes : l'un guerrier et étranger et l'autre autochtone lesquels se contractent et forment une entité politique. Ainsi tout semble être fondé sur le prestige et la vertu. Doté de ces qualités un chef de groupe peut s'imposer, soumettre les autres et édifier un Etat centré autour de son ethnie. Les différentes ramifications étatiques sont dés lors affectées aux membres de la famille ; ce qui constituerait un système de gestion oligarchique du pouvoir. La descendance dynastique et la naissance deviennent les paramètres de hiérarchisation et d'affectation des fonctions. Dans ces types de système centraliste, l'organisation administrative et sociale se fonde sur une gestion lignagère et parentale aussi bien au niveau du temporel qu'à celui du spirituel. Il s'agirait donc, comme le montre Alassane Ndaw, de sociétés qui tendraient à reproduire le model politique et économique des sociétés occidentales modernes.

Ici l'instauration de lois et de règles constitutionnelles qui garantissent les rapports ont pour fonction de faire prévaloir l'ordre et l'unité sociale. Ce qui semble se rechercher à travers cet établissement de normes c'est la primauté de la volonté générale et de l'intérêt général sur les volontés particulières et individualistes. L'égalité et la justice se justifient au moment où l'intérêt privé est relégué au second rang au profit de la vie publique et l'individualisme passible de sanctions juridiques. Ainsi l'on est parti de la vie familiale pour épouser la vie tribale et clanique avant de se fondre dans l'Etat comme résultat de la fédération des ethnies.

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2- Parenté et exercice du pouvoir

« ...C'est avec raison qu'on a distingué l'économie publique de l'économie particulière, et que l'état n'ayant rien de commun avec la famille que l'obligation qu'ont les chefs de rendre heureux l'un et l'autre, les mêmes règles de conduite ne sauroient convenir à tous les deux »68 s'indignait Rousseau quant à la non recevabilité de la genèse de l'Etat dans la famille. Ces propos illustrent bien la distance opérée par les théoriciens du droit politique sur la question de la genèse de l'État, de ses fondements et des modalités de sa gestion depuis la fin du XVIe siècle avec les penseurs comme John Locke - qui critique la théorie sur la monarchie du droit divin telle que élaborée dans le Patriarcha de Robert Filmer- jusqu'aux Lumières avec Rousseau et ses contemporains.

Cette nouvelle approche du politique rompt avec une ancienne conception laquelle faisait dériver l'Etat de Dieu ou de déduire la manière d'exercer le pouvoir étatique à celle du pouvoir familial. Suivant ces auteurs en l'occurrence Rousseau, la famille est par excellence le domaine de la vie privée, du coeur, de « l'économie domestique et patrimoniale » tandis que l'Etat est celui de la raison, du public, de la volonté générale. Dés lors le chef de famille ne saurait se concevoir comme un chef d'Etat. Ainsi, même si les fonctions du père de famille et du prince tendent vers une seule finalité à savoir le bonheur, la nature des voies suivies et les mécanismes d'administration restent différents. Aux dires de Rousseau, « quoique les fonctions du Père de famille et du prince doivent tendre au même but, c'est par des voyes si différentes ; leurs devoirs et leurs droits sont tellement distingués qu'on ne peut les confondre sans se former les plus fausses idées des principes de la société... ».69

Pourtant, il semble que ce soit dans cette même logique que s'inscrivait Hegel dans sa définition de l'Etat et de ses fondements. Si pour lui, l'Etat constitue ce solide édifice dont « l'architectonique de sa rationalité [...] fait reposer la solidité du tout sur l'harmonie des parties », alors il ne saurait s'édifier à travers ce qu'il appelle « la bouillie du coeur, de l'amitié et de l'enthousiasme »70. En principe ceci reviendrait donc à faire de celui-ci, non plus une instance basée sur la dimension privée, des sentiments, mais ancrée substantiellement dans une sphère publique régie par des lois en tant qu'expression de la volonté générale.

68 Rousseau, J.J. « Discours sur l'économie politique » In Du Contrat Social ou Principes du Droit Politique. Op.cit. p.66

69 Rousseau, J.J. « Du Contrat Social ou Essai sur la Forme de la République, Premier version. Livre I « Premières notions du corps social », chap. V «Fausses notions du lien social». In Du Contrat Social. P.122

70 Hegel, G. W. F. Principes de la philosophie du droit, préface, traduit, présenté et annoté par Robert Dérathé, seconde édition revue et augmentée. Paris : Librairie philosophique J. VRIN, 1986, p.50

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Mais si la dimension privée est si différente de celle publique, comment peut-on concevoir l'harmonie sociale dés l'instant qu'au sein de l'Etat se trouve imbriqués en l'individu le sujet et le citoyen lesquels se trouvent en situation conflictuelle? Comment peut-on équilibrer cette disharmonie entre ces deux dimensions, entre l'intérêt particulier et l'intérêt général ? Comment ce dualisme s'effectue t-il chez les mooses ? Existe-t-il chez eux une politique tendant à corréler ces deux dimensions ? Qu'en est-il exactement de la perception de la parenté chez les Mossi et quel est son rapport à la politique ? Que représente-t-elle et quels en sont les modalités d'exercice et les enjeux ?

Autant de questions qui, nous semble t-il, à travers leurs réponses, seront en mesure de satisfaire les attentes concernant les enjeux sous-jacents aux rapports entre parenté et pouvoir dont cette deuxième partie s'intitule. Nous entendons ici par « politique de la parenté » le système politique de gestion et de délégation du pouvoir fondé sur la parenté ou le lignage telle que nous le manifesterons dans la structuration du corps politique. Elle consiste chez les Mossi à attribuer aux membres de la classe royale dominante ou des groupes affiliés la liberté d'administrer les circonscriptions locales et à leur laisser la plénitude de leur pouvoir dans l'exercice de leur fonction afin d'assumer le destin du peuple.

Les provinces, les cantons et les villages sont sous la conduite de descendants de la famille royale comme l'atteste ici ce propos de Skinner : « les Mossi réservaient toutes les positions importantes dans l'organisation politique traditionnelle à ceux qui prétendaient descendre en droite ligne de Ouédraogo et d'Oubri, les fondateurs de la nation Mossi ».71 La parenté, comme nous l'avons définie tantôt et cadrée contextuellement, renvoie ici à un mécanisme d'exercice du pouvoir et de gestion du politique.

Dans les sociétés africaines, à régime monarchiques, le pouvoir parental et plus particulièrement du père jouit d'une suprématie légitime au niveau des rapports sociaux de base comme au sein de la famille et au niveau étatique. Il est légalisé du fait de son ancienneté car provenant des ancêtres et se caractérise d'une autorité juridique au sein de la communauté. Faisant de la paternité et de son autorité le fondement de la société et du droit, VAN EETVELDE dira : « le père tient son autorité de ses ancêtres, dont il poursuit la tâche. Il est un chaînon qui relie les vivants au monde des aïeux décédés. Lorsqu'il parle, il exprime des volontés ancestrales ».72

71 Skinner. Op.cit. p.49

72 VAN EETVELDE. Op.cit. p.75

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Cette conception du Père est quasi généralisée en Afrique. Elle manifeste les idées d'engendrement, de fondation, d'autorité concernant tout ce qui fait allusion à l'exercice d'un pouvoir. Il est dés lors au début comme à la fin de la réalité sociopolitique et du droit. C'est d'ailleurs en ce sens que juridiquement le vocable «paternat» est utilisé pour caractériser ce système juridique, où la source des rapports de droit entre les individus du même groupe socio-biologique se trouve dans l'autorité du père. Dans les Etats Mossi, ce genre d rapport entre parenté et pouvoir est fortement visible dans l'architecture politique et étatique.

La parenté ou encore le système de lignage constitue un cadre de référence à la compréhension et à l'analyse de la structuration du mode de gouvernance et de gestion du pouvoir des rois Mossi. Elle représente le socle de la fondation des Etats et le point focal sur lequel repose toute la disposition des corps politique et étatique. En effet l'administration traditionnelle est structurée de manière pyramidale et sur la base d'une filiation à la fois patrilinéaire et matrilinéaire. Les Nanamsé c'est-à-dire les chefs principaux, descendants de la famille royale, occupent les premières fonctions en se plaçant à la tête des quatre grands royaumes. A ce niveau Skinner montrera que chez les Mossi, les plus hautes positions dans la hiérarchie administrative sont détenues par les héritiers directs de Ouédraogo et d'Oubri, les fondateurs de la nation Mossi. Ceci est également attesté par ces propos des Archives : « le chef de Tenkodogo était le Saamba (oncle ou père) de celui de Ouagadougou. Les chefs du Yatenga et du Boussouma étaient aussi issus de la lignée royale de Ouagadougou ».73

Qu'il s'agisse d'une affiliation linéaire ou collatérale, la prédominance de la gestion parentale aussi bien du pouvoir politique que du religieux dans la hiérarchisation pyramidale des fonctions politiques et étatiques de cette société ne fait l'ombre d'aucun doute. A quelques exceptions prés, les Naaba sont naturellement issus de la famille conquérante qui a édifié l'Etat ; les charges gouvernementales et administratives, aussi bien au niveau central qu'au niveau local, sont affectées à ses membres et à ceux des familles avec qui l'on a conclut le pacte- les gens de la terre- mais aussi à ceux qui ont accepté de se soumettre à la volonté du conquérant en adoptant sa vision de l'Etat et du monde, sa langue, sa culture.

73 Archives. Op.cit. p.178

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Néanmoins, les hautes fonctions les plus stratégiques constituant le socle de la force sécurisante et de la stabilité quant à la gestion de l'Etat et de ses démembrements sont détenues par la classe sacerdotale. C'est pourquoi les différentes composantes de la nation Mossi : principautés, provinces, cantons, villages sont sous l'empire d'un représentant de la famille royale ou des apparentés. Cette politique de la parenté dans l'affectation des charges administratives est quasi générale dans l'univers négro-africain et cela du fait des structures sociopolitiques fondées sur des systèmes de lignage et d'alliance. Chez les Mossi, le pouvoir est souscrit dans une logique de filiation patrilinéaire. La plupart des chefs était des descendants de la lignée royale d'Ouédraogo et d'Oubri. Les royaumes, les provinces, les cantons et les villages sont respectivement gérés par les Morho Nanamsé, les Dimdamba, les Kombemba et les Tense Nanamsé, tous de classe noble.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Skinner considérait que la parenté constituait la base de la classe dirigeante. Cette idée est également partagée par H. Baumann et D.Westermann. Ces auteurs considèrent qu' « Oubri a été le premier Morho Naba à diviser le pays en provinces subdivisées en districts et en villages. Il a mis de ses parents à la tête de toutes ces unités, de sorte qu'il se trouvait être au sommet d'une hiérarchie fixe ».74 Cette représentation parentale au sein de la segmentation de l'Etat en institutions autonomes fait que l'on assiste à une première approche de partage politique du pouvoir lequel sera effectif dans l'exercice authentique et proprement dit de la chose publique et du choix des mécanismes de gestion des intérêts privés et publics de la part des rois moose.

Cette approche de la parenté dans la question du pouvoir est en partie liée à la conception que les mooses se font de la notion de chef ou de souverain, détenteur de pouvoir et d'autorité. Le pouvoir se ramène chez les Mossi à cette force divine qu'ils nomment Nam ou Naam. C'est à partir de cette notion que se mesure la capacité de gouverner d'un chef, de tout Naba, de son degré de légitimité et justifie sa suprématie devant les autres. Cela se comprend mieux si l'on se réfère à sa double origine telle qu'elle est mise ici en évidence par Alassane Ndaw : « il renvoie au pouvoir qui a été mis en place par les fondateurs afin d'édifier l'Etat, mais il se réfère aussi à la puissance divine dont le chef est le dépositaire »75.

74 Baumann, H. et Westermann, D. Les peuples et les civilisations de l'Afrique suivi de Les langues et l'éducation. Paris : Payot, 1962, p. 403-404

75 Ndaw, A. Op. cit. p.189

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L'enjeu fondamental autour du Nam, symbole du pouvoir, concerne moins l'aspect possession perpétuelle de l'autorité que la capacité et le savoir de l'acquérir et de le conserver car elle fait l'objet de lutte et de conquête et l'échec entrainant en même temps sa perte. Ici l'autorité du souverain est en permanence à risque. L'on cherche toujours par tous les moyens à la fragiliser, à la mettre en déroute. C'est pourquoi tout un arsenal étatique et juridictionnel à la fois politique et religieuse va être mis en place pour parer ou pour contrecarrer cette course prétentieuse et acharnée pour le pouvoir.

Le Nam constituant un principe de domination et surtout de légitimation et d'appartenance à la classe aristocratique avec tous les privilèges dont elle regorge, il est aisé de voir et de comprendre cette lutte ambitieuse pour la conquête du pouvoir comme d'ailleurs il se fait remarquer dans nos Etats dits modernes. Cette course ou encore cette compétition pour l'exercice d'une quelconque entité étatique se solde parfois, dans le phénomène de délégation du pouvoir, par des injustices et des discriminations quant à la possession du Nam d'un fils ou petit fils de rang royal. Ce qui entraînait ainsi la résignation et l'exile ou la conquête, par les déchus, de nouveaux espaces.

Un tel ravissement du pouvoir à certains ayant droits était en partie lié au fractionnement lignager en segments de lignages et favorisait en général l'extension du Mögo. En ce sens Skinner fera remarquer que : « la segmentation du lignage faisait que certains segments avaient plus facilement accès au nam et c'est aux conflits de souveraineté qui en résultèrent que l'on doit attribuer la création des divers royaumes, principautés et même de certains cantons Mossi »76.Cette privation ne consiste pas à une perspective arbitraire de transmission du pouvoir mais se justifie par cette approche qu'ont les mooses et qui concerne la dimension et le statut que revêt l'autorité, le chef. Celui-ci incarne aussi bien la force puissante et le respect mais aussi le savoir et la sagesse, inspirateurs de la peur et de la méfiance, facteurs de la soumission et de la souveraineté gages de l'assurance du destin collectif et individuel. Dés lors ce dernier ne doit souffrir d'aucune imperfection: infirmité, déficience mentale, faiblesse physique et psychique entre autres.

76 Skinner. Op. cit. p.50

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Néanmoins il arrivait que certains fils légitimes renoncent volontairement aux charges gouvernementales en se taillant de nouveaux fiefs tandis que d'autres perdaient le pouvoir à la suite d'une défaite à un duel pour l'hégémonie. Ainsi ils se disposaient d'eux-mêmes et édifiaient de nouveaux royaumes. C'est ainsi que la province de Boulsa a été instituée par Naba Namende, fils, selon Skinner, de Oubri. Il a délibérément décidé de devenir Kourita77 de son père en acceptant l'exile au profit de son frère. Quant à celle de Mane, elle fut fondée par Nyaseme, fils de Koudoumie. Estimant à la suite de sa défaite devant son frère que le Nam devait lui revenir, ce dernier s'empara des Ninisi autochtones et les domina. En rompant avec la mère patrie, Ouagadougou dés lors dirigé par un certain Koudoumie, ces princes établirent des royaumes intermédiaires et se mesurèrent à la souveraineté suprême du Mogho Naba en se définissant sous le titre de Dim c'est-à-dire ceux là qui ne doivent soumission qu'à Dieu.

Au regard de cette apparente politique parentale qui ne concerne que le partage et la gestion de sphères politico-géographiques, il ne faudrait pas se hâter d'en conclure qu'il s'agit d'une liaison intrinsèque et irréversible entre pouvoir et parenté ou d'une gestion absolue et autoritaire des affaires de la cité. Il s'agirait plutôt de saisir les enjeux politiques et philosophiques qu'ils sous-tendent dans l'exercice du pouvoir et les stratégies politiques mises en place pour conduire librement et surement l'intérêt général. Comme nous le verrons, d'ailleurs, dans la schématisation de la structure politique et étatique et de tous les mécanismes qui interviennent dans la transmission du pouvoir, il existe chez les Mossi une part faite entre parenté et pouvoir, entre privé et public, entre spirituel et temporel pour ce qui concerne la direction de l'Etat et de ses institutions.

Il ne s'agira pas d'une soustraction radicale ou d'un rapport de rejet mutuel ou d'incompatibilité entre les deux domaines mais d'une relation de corrélation nécessaire au sein de la société. En d'autres termes il sera question de déceler les rapports qui existent entre la personne publique et la personne privée, entre l'Etat et les citoyens et entre les dirigeants eux-mêmes d'abord et entre le peuple ensuite mais aussi de voir la manière de concevoir les intérêts particuliers et généraux. Aux travers de cette politique de séparation ou d'harmonisation de ces deux sphères pourront donc se lire les enjeux étatiques et politico-philosophiques susceptibles de faire constater les bases de la stabilité du pays.

77 Il désigne selon Skinner un jeune fils d'un Morho Naba décédé choisi pour représenter son père sur terre. Il est banni de la capitale et il lui est interdit sous peine de mort de voir le nouveau Morho Naba.

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Chapitre B: Enjeux philosophiques et politiques du rapport parenté/pouvoir

Les différents points que nous venons de faire montre pour analyser les notions de parenté en tant que sphère privée et de pouvoir conçu ici dans sa dimension publique manifestent a priori notre souci de situer et d'appréhender les mis en jeu qui se dissimulent au sein de cette politique de la parenté. Autrement dit, il s'agira de montrer les implications et les effets même de celle-ci dans la gestion du social, du politique et de l'administration du royaume.

A cet effet, le dévoilement de sa structuration interne permettra de jauger un peu plus prés les limites de cet appareil étatique et de sonder plus rigoureusement la réalité du gouvernement monarchique et de ses institutions dans leur rapport avec la masse populaire. Par « limite » nous entendons non pas les manquements ou les faiblesses de l'Etat encore moins les tentatives d'abus dans la gestion des affaires sociales et de confiscation par la force barbare -c'est-à-dire non justifiée et non associée au droit- du pouvoir, même s'ils ne sont pas ignorés ou pas pris en compte, mais les ruses politiques et les implications sociales et philosophiques et leur impact dans la stabilité des corps étatique et politique et de l'harmonie nationale.

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1-De la centralisation du pouvoir: force de l'Etat

Une société pour l'Etat est l'expression utilisée par Michel Izard pour qualifier le système politique des mooses. Dans sa plus rigoureuse acception, l'Etat s'exprime ici, à travers son processus de maturation, dans sa forme concrète, laquelle s'est définie chez les mooses par un système d'ordonnancement des institutions administratives en suivant leur degrés d'importance calqué sur le model de proximité d'avec le Nam et le système de parenté. Il se définit aussi par une élaboration de leurs relations respectives, c'est-à-dire par les rapports de subordination et de dépendance réciproques qui existent entre les différentes entités locales et centrales.

Avec l'Etat, donc, s'affaissent les politiques de gestion lignagère comme fondement des affaires sociales que l'on retrouvait au sein de ce que l'on a appelé dans ce processus de formation les états segmentaires et territoriaux compris ici comme des étapes de cette marche vers l'effectuation du gouvernement central. Comme le montrera romantiquement par ailleurs Adam Heinrich Müller, dans son apologie sur l'Etat, rien, en matière humaine, ne peut être pensé en dehors de l'Etat. De ses propres mots, il dira : « Rien n'existe en dehors de l'Etat, être « complet, total, vivant », qui n'est pas issu d'un contrat, qui ne peut faire comparé « à une simple manufacture, à une société d'assurances, à une compagnie mercantile », mais qui embrasse l'ensemble des activités humaines, et qui ne peut exister sans l'amour, la foi et le sacrifice des citoyens, dont le paiement de l'impôt est le signe de la joyeuse obédience ».78

Ceci laisse entendre que la nature de l'Etat ne saurait se suffire de simples clauses issues d'un engagement mutuel ou procéder de relations mercantilistes mais constitue un cadre unitaire social où l'individu s'affirme pleinement et jouit de toutes ses propriétés matérielles, psychologiques, existentielles. Il est moins un simple agrégat d'humains qu'un ensemble à la fois hétérogène et homogène animé d'un commun désir de vie commune et régis par des normes prescrites; ce qui suppose un mode d'administration et des choix politiques stratégiques et efficaces pour sa gestion. Ce qui se matérialise ici dans la politique Mossi, c'est la mise en branle de la vérité de l'Etat central et de ses institutions, de ses pouvoirs locaux dont la plus petite entité est le village dont Savonnet-Guyot décrit comme le point d'application spatial du naam de son chef.

78 Müller, A. H. « Eléments de l'art de gouverner » (Elemente der staats kunst), In ENCYCLOPEDIE PHILOSOPHIQUE UNIVERSELLE. LES OEUVRES PHILOSOPHIQUES, tome 1. Paris : Puf, 1992, p.1995

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Ainsi l'on assiste, avec l'Etat, à une véritable dénaturation du principe du système lignager qui ne parvient plus à maîtriser et à harmoniser toute cette horde de chefs et d'autorités nés de la conquête. Ces limites de la politique lignagère dans cette nouvelle donne est analysée pertinemment par Savonnet-Guyot : « sur un territoire saturé de commandements, l'engendrement segmentaire des Naam ne peut plus s'accompagner de l'engendrement segmentaire des commandements, selon le bel ordonnancement du principe lignager...L'histoire territoriale ne peut plus avoir même développement que l'histoire lignagère, le principe lignager ne trouve plus son inscription territoriale ».79

Cette approche de la nouvelle vision du politique par la réalité effective de l'Etat dont Savonnet-Guyot fait montre ici est également partagée par Michel Izard quand, parlant spécifiquement du royaume du Yatenga lequel, comme nous le savons, fut une des principales entités autonomes et centrales du grand Empire mossi, il dira :

« C'est par les ratés de la machine segmentaire que l'Etat manifeste l'imminence de son apparition. L'Etat naît des multiples pliures de la société segmentaire sur elle-même. Il naît d'un procès de sur-saturation d'un espace fini par des couches successives d'hommes qui arrivent à l'histoire et en exigeant réponse à leur attente fondamentale, qui est l'attente du pouvoir, alors même que l'inadéquation première de l'espace historique au temps historique sur-détermine la déception du plus grand nombre au coeur même de cette attente ».80

Ce sera donc autour de cet Etat central et de ses démembrements institutionnels que se manifesteront les enjeux politiques et philosophiques, toute cette instrumentalisation du système parenté/pouvoir, toutes les ruses et les subterfuges idéologiques et étatiques, aussi bien au niveau du gouvernement central qu'au niveau local, que nous essayerons d'analyser et d'interpréter ici. Préalablement à cette analyse du mode de gestion de l'Etat, la première lecture que nous faisons de cette centralisation du pouvoir autour du Mogho Naba et autour des autres Naba des principaux empires, le Yatenga Naba par exemple, concerne la dimension magico-religieuse que revêt la nature de l'empereur, de son statut de noblesse et le caractère divin du pouvoir qu'il détient. Cela sera déterminant d'ailleurs dans le choix des dirigeants des provinces, cantons et villages.

79 Savonnet-Guyot. Op. cit. p.92

80 Izard, Michel. In Archives orales d'un royaume africain. Cité par Savonnet-Guyot. Idem.

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Le détenteur du naam est le premier magistrat de la circonscription qu'il préside. La possession du naam légitime sa souveraineté, exige son respect et sa soumission et fait de lui, aux yeux de toute la communauté, l'être le plus parfait et ayant le plus de force, le père spirituel ; par conséquent il jouit d'une autorité juridique au sein de la société. Cette force et cette « perfection » lui viennent de sa proximité généalogique, en tant que membre du lignage royal, d'avec les ancêtres. Le naam, symbole du pouvoir, garantit la légitimité des chefs et de leur autorité et permet de veiller au bien-être du peuple. Faisant du naam la force permettant de parer à la déperdition des symboles sociales de la culture, Alassane ndaw pose ainsi les raisons qui faisaient qu'il devait être mangé par le roi et les chefs afin de préserver les oeuvres humaines et d'empêcher leur destruction par le désordre.

Il peut se justifier aussi par l'âge lequel n'est pas perçu, me semble t-il, comme physique, ordinaire ou naturel mais comme métaphysique et spirituel, incarné des archipatriarches et qui se mesure par le degré de sagesse qui habite tout chef et qui émanerait des ancêtres. Aussi, la nature d'un Naba relèverait-elle du mérite du Naam et du recouvrement de qualités nécessaires et compatibles à l'exercice des hautes fonctions. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs son choix n'était pas automatique. La dévolution monarchique de père en fils ou la fameuse règle de primogéniture y trouvait sa parade. En ce sens Balima montrera que la règle de dignité consistait à mettre en évidence les conditions d'être-Naba et concernait à la fois le savoir et le pouvoir de mériter le Naam. Ainsi, pour lui, c'était en quelque sorte un correctif à l'application brutale de la règle de primogéniture.

Les qualités que doit recouvrir un roi chez les Mossi concernent entre autres la courtoisie, la patience, le savoir et la capacité de surprendre et d'écouter, la maitrise et la domination de soi, car disent-ils, le commandement des autres suppose au préalable le commandement de soi. Comme à un style étonnamment machiavélien, ils estiment que l'excès de générosité, l'extrême avarice, l'irrespect envers les anciens et les ainés, la négligence des devoirs religieux...sont indignes d'un prince. Pour eux, « le prince, même irréligieux ou areligieux, a toujours intérêt à montrer un dehors religieux parce que le vulgaire, qui partout le prend pour modèle, et qui est partout la majorité, est toujours sincèrement religieux et on ne gagne rien à le choquer ou à le troubler».81

81 Balima. Op.cit. P.87

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A ce stade de la pensée politique moose, nous voyons que le jeu dans le rapport de force tend à se substituer à une relation de sagesse, d'intelligences dont la finalité concerne l'emprise du prince sur le symbolique, le cultuel populaire. Ici le prince se trouve dans l'obligation d'apprendre à reconnaitre et même à incarner ses valeurs cultuelles, bonnes pour le peuple et parfois dommageables pour lui. Le peuple exige de lui qu'il respecte les vertus cardinales de bonté, de pitié, de fidélité, d'intégrité et surtout de ferveur religieuse ; ses repères en matière de valeurs éthiques et sociologiques. Pour cela, il est nécessaire qu'il soit un grand simulateur et dissimulateur en paraissant les avoir. Pour Machiavel « il n'est donc pas nécessaire à un prince d'avoir en fait toutes les qualités susdites, mais il est bien nécessaire de paraitre les avoir... »82

Tout un rituel procédural est donc observé dans le choix des rois. La conduite des affaires sociales, la gestion d'un pouvoir faisant l'objet de maîtrise et de savoir, il est aisé de voir que capacité et expérience, âge et sagesse sont des qualités que doit recouvrir un souverain. En ce sens VAN EETVELDE, citant un proverbe peul qui parlait de l'expérience acquise au cours des événements de l'existence humaine comme condition de mesure de la sagesse: «l'homme âgé n'a pas acheté la sagesse, il a longtemps vécu», affirmera : « l'expérience de l'âge confère des vues plus pénétrantes et plus sages sur les êtres, sur les événements, sur les choses de ce monde et celles du monde invisible...L'âge aide l'homme à s'adapter et à se conformer aux réalités temporelles et spirituelles, à trouver des solutions acceptables, sinon idéales, aux multiples problèmes que pose le groupe familial ».83

Ces différents statuts constituent des paramètres de validation des fonctions et des privilèges dont jouirait l'empereur, dans la légalisation des institutions comme l'Etat et le transfert des pouvoirs. Malheureusement cette sagesse, dont ont de tout temps incarné nos rois, ne semble guère être cultivée par nos chefs d'Etat. Pour eux, être intelligent ou sage revient à abuser du pouvoir en procédant à des calculs politiques qui n'intéressent jamais l'intérêt supérieur des peuples mais l'intérêt partisan, individuel et égoïste. Ils rusent négativement des institutions publiques pour leur propre compte. La plupart de nos chefs d'Etat sont obnubilés par le pouvoir. Ils n'arrivent pas, à cette époque du XXIe siècle, à se hisser au dessus des intérêts privés et à administrer des politiques sociales.

82 Machiavel. Op.cit. p.129

83 Van Eetvelde. Op.cit. p.77

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Il caractérise également une forte légitimation de la force, celle-ci étant à la fois physique et spirituelle, du roi et de sa supériorité naturelle devant le commun mortel parce qu'il est descendant direct de la famille des « élus de la divinité ». En Afrique la force se mesurant à la durée de l'existence de l'individu, nous concevons que la personne ayant le plus longtemps vécu est naturellement plus fort car ayant le plus d'expérience et plus apte à répondre aux multiples sollicitations de son peuple et à faire face aux difficultés du monde extérieur. Cette légitimation de la force et de l'âge coïncide avec cette perception du roi perçu comme le représentant de Dieu sur terre et qui incarne l'Etat ainsi que toutes ses institutions centrales. En ce sens Yves charales Zarka dira qu' « il n'y a d'Etat que lorsque l'usage de la puissance ou de la force est enveloppé dans un procès de légitimation ».84

Dans la plupart des sociétés négro-africaines, le souverain est, à quelques exceptions prés, appréhendé de la même manière. Son autorité est incontestée ; il est le plus puissant et cette force des aïeux qu'il incarne fait surtout qu'il soit responsable non seulement de la stabilité sociale mais aussi de la fécondité des terres ou de leur stérilité. En tant que premier personnage de la nation et de l'Etat, il est soumis à une vie strictement réglementée. Chez les mooses, et si l'on en croit Cheikh Anta Diop, « son emploi du temps est fixé jusque dans ses moindres détails. Le Morho Naba n'a pas le droit de quitter Ouagadougou sa capitale, non pas par orgueil royal, mais parce que les rites le lui imposent ».85 Ceci explique l'aspect irréversible dont se caractérisent les lois rituelles sur leur force et leur supériorité sur n'importe quel citoyen, n'importe quel dirigeant. Ce qui montre une fois de plus l'infaillibilité des lois constitutionnelles établies par la coutume et la non possibilité de soustraction de la part d'une tierce personne quel que soit son statut, sa naissance, sa richesse.

L'autre aspect de cette merveilleuse élaboration du politique concerne la Raison d'Etat. Celle-ci ne constitue pas une manifestation moindre dans cette logique de gouvernance fondée essentiellement, pour ce qui est de la délégation du pouvoir, sur la parenté. Cela ne surprend guère puisque nous nous situons devant un régime monarchique fondé sur une conquête essentiellement menée par une certaine catégorie sociale guerrière, une certaine famille.

84 Zarka, Ives Charles, Hobbes et la pensée politique moderne, coll. « Essai ». Paris : Puf, 1995, p.229

85 Diop, C.A. L'AFRIQUE NOIRE PRECOLONIALE. Etude comparée des systèmes politiques et sociaux de l'Europe et de l'Afrique Noire, de l'Antiquité à la formation des Etats modernes. Seconde édition, revue. Dakar : Présence africaine, 1987, p.66-67

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Cependant, malgré la suprématie de celle-ci dans l'acquisition du pouvoir, son exercice s'établira sur une autre logique de démarche méthodologique plus différente et plus rationnelle car il est une chose d'acquérir un pouvoir et c'en est une autre de savoir l'exercer et de le conserver. Autour de l'administration centrale notamment autour du Mogho Naba, roi/empereur, se constituera un ensemble de mécanismes et de stratégies politiques et idéologiques dans l'exercice libre et sûr des institutions et la gestion autonome des affaires de l'Etat. Ainsi la première attitude que le monarque, de même que tout prince, est obligé d'adopter afin de se garantir toute l'assurance et la sécurité nécessaires devant cette lutte acharnée pour le pouvoir, a consisté à imposer la raison d'Etat. Elle s'explique par cette politique du Mogho Naba qui consiste à ne compter que parmi son entourage des serviteurs, des gens du commun n'ayant aucune ambition politique et entièrement soumis. Ces nouveaux partenaires n'ont aucun lien de sang à proprement parlé avec la famille royale ou celle des prêtres de la terre.

Elle consiste à dire, selon Savonnet-Guyot, « que le roi, se détournant de ses proches devenus trop nombreux, trop turbulents et assoiffés d'apanages, et rapprochant de lui ses sujets les plus lointains, cherche de nouveaux alliés pour le gouvernement de l'Etat ».86 Cette nouvelle approche de la pratique du pouvoir n'est pas une fin en soi. Elle justifierait tout en mettant en lumière ce que c'est que le pouvoir et son exercice, ce qu'est la politique, - conçue comme une certaine forme de guerre, de luttes, de conquêtes- et plus substantiellement ce qu'est le pouvoir politique. Il est, suivant le propos de Massaer Diallo « objet de convoitise, source d'injustice ». Commentant un proverbe peul du Sénégal disant qu' « on ne prête pas la royauté, on ne prête pas une femme, on ne prête pas un fusil », il dira : « le pouvoir incite au refus de tout partage ; » même s'il considère tout de même que « cela débouche sur la tyrannie comme pouvoir sans partage ».87 Cette approche dans l'appréhension de la nature du pouvoir en général et de l'autorité en particulier, fait montre de sa dimension extra-parentale ou familiale.

86 Savonnet-Guyot. Op. cit. p.92

87 Diallo, Massaer. « Éléments démocratiques dans les sagesses du Sénégal » In Philosophie et démocratie en perspective interculturelle, Studies in intercultural philosophy 3, 1997, p.188-189

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Rapportant des proverbes peul et wolof qui font état de l'incompatibilité de la fonction royale par rapport aux liens sociaux d'amitié ou de parenté : « le Roi n'est pas un parent », « n'a pas de parent », « n'est ni un parent ni un ami » dira Kocc Barma Faal, Massaer Diallo dira qu' « en énonçant cette « vérité » le penseur mettait en exergue le fait que le pouvoir politique transcendait les valeurs et considérations humanistes. De ce fait il était source de cynisme et excluait dans son essence toute considération sentimentale ».88 Cela conforte bien notre idée consistant à dire qu'un prince sage et avisé ne doit, pour n'importe quelle raison, associé aux affaires politiques et publiques celles familiales ou privées.

Quelle que soit la perspective dans laquelle Kocc Barma inscrit ses propos, de dénonciation, de défiance ou de méfiance, le pouvoir, par essence, ne peut faire l'objet de partage. Il ne peut être exercé que par un seul surtout à cette époque de l'histoire où il fait l'objet de tensions à la fois interne et externes. Le roi, en tant que institution représentative, n'est, ne doit être ni avoir de parent, d'ami surtout pour sa propre sécurité que pour la stabilité de son territoire. Outre cela, il est la volonté populaire et représente l'Etat, la chose publique et, rien que pour cela, il doit se départir de son appartenance ethnique, parentale, linguistique. La gestion de la res-publica n'est pas assimilable à celle de la famille. Cela se comprend bien puisque le pouvoir qu'il détient n'émane que du consentement du peuple, ensemble hétérogène, pluriethnique et non de sa propre force ou de sa naissance.

Même si nous ne pouvons balayer d'un revers de la main le fait que les conquérants mooses se sont imposés de la force pour changer la vision politique des autochtones en imposant leur nouvelle idéologie, cette puissance a été légitimée par le consentement des peuples vaincus, par l'adoption et la soumission devant les lois et l'acceptation d'intégrer la nouvelle politique. Il s'agirait donc ainsi d'une délégation du pouvoir, d'une aliénation de la liberté par le peuple au profit des nouveaux princes. Et c'est justement cela même qui va sceller le contrat. Il s'agira d'un engagement réciproque dans lequel chacun y trouvera son compte et respectera sa part en matière de devoirs et de droits. Il consistera aussi à parer l'autocratie et la tyrannie.

88 Idem. p.189

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Ainsi il serait donc logique d'affirmer avec Massaer Diallo, dans son commentaire sur une déclaration introductive89 à l'intronisation du Damel du Kajoor au Sénégal, que ce sont les électeurs qui accordent le pouvoir et c'est le peuple qui le légitime par son consentement. Pour ce qui est des Mossi, les électeurs sont les représentants du peuple au sein de la cour royale. Il s'agit donc de ce Grand Collège des ministres ou du Conseil. Cette attitude du prince Mossi consistant donc à écarter du pouvoir central ses frères peut même s'appréhender comme une mise à mort douce et judicieusement calculée, un affaiblissement de tous ses concurrents. Cela justifie mieux si nous comprenons les risques que représente le partage du pouvoir et surtout au niveau des instances supérieures de l'Etat. L'histoire montre bien cette jalousie qui a toujours entouré l'espace des instances suprêmes de l'administration.

Dans la pratique du pouvoir, toutes les normes sécuritaires et préventives sont de mises. Dés lors il est admis que l'autorité du prince, celle du roi qui se confond avec l'Etat, ne doit faire l'objet d'aucun partage ni d'aucune rivalité. Pour cela une nécessité d'élimination politique de tous ceux que l'ont pourrait appeler comme Machiavel d'« ennemis naturels » et de constitution de son entourage comme « milice gouvernementale » sont tout à fait justifiables et justiciables. Elle manifeste également des convictions et des finalités que l'on assigne à l'entreprise politique. Celle-ci étant affaire d'hommes il est aisé de la concevoir a priori et a posteriori comme un rapport continuel de force dont toutes les possibilités, tous les dangers et les risques d'exactions sont, naturellement, à prévenir. Dés lors la concentration autour de soi de toutes les forces et de toutes les assurances possibles devient un besoin vital, une nécessité de survie et de pérennisation de la longévité du pouvoir car il est de mauvaise attitude politique de fonder une telle entreprise sur du sable mouvant, sur de l'incertain.

L'interprétation qu'en a faite d'ailleurs Balima nous éclaire davantage sur cette démarche préventive de la gouvernance de l'Etat. Parlant de l'origine sociale et des fonctions de ces ministres, qui du reste sont pour la plupart issus de familles modestes et parfois sans lien de parenté avec le Mogho Naba, il s'interrogeait sur le fait qu'ils puissent occuper de telles hautes fonctions au détriment des chefs légitimes d'extraction nobles. Comme l'atteste bien d'ailleurs Jean Suret-Canale quand, parlant du statut des ministres dans le système

89 « La préférence que t'accordent aujourd'hui tous les diambours parmi tes égaux t'érige au dessus de nous, d'eux et à plus forte raison des Badolo. Ta position actuelle, témoigne de l'honneur que nous te conférons. Si tu ne dévies pas du chemin normal envers tes sujets, tu nous donneras toute ta vie. Si tu agis en contresens, tu t'attireras le désaccord de tes électeurs et nécessairement la haine de ton peuple »...

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politique dahoméen, il le compare à celui Mossi90. A dire vrai Balima considère qu'il est apparemment choquant et insolite de constater que les décisions étatiques ne puissent venir ni des membres de la classe royale ni du Mogho, lequel est supposé incarné l'Etat et garantir le devenir de la nation, mais de sujets captifs ou de gens extérieurs au groupe proprement dit des Mossi. Pour lui tout repose sur le fait qu'il est souvent dangereux de confier des responsabilités de cette haute facture à ses pairs rivaux. A en croire ses propos « il est de bonne politique ou, du moins c'est une politique avisée pour un chef d'avoir pour ministres des personnages dont l'intérêt est qu'ils soient dévoués et compétents et dont toute l'ambition est de servir fidèlement, des hommes souvent sortis de rien, qui devront tout au maître, des hommes dont le passé et le présent seront garants de l'avenir ».91 Ce que reprend ainsi coup sur coup Suret-Canale en parlant des Mossi : « le souci est visible, comme au Dahomey, d'écarter des hautes fonctions les candidats possibles à la couronne ».92

Notons ici que ces ministres, malgré leur provenance, pour la plupart, modeste, composent le Conseil. Les décisions émanent du Mogho Naba ne sont appliquées qu'après consultation et approbation du Collège des ministres à tel enseigne que l'on est tenté de les comparer aux membres de la Chambre des représentants. Il est donc la Chambre où toutes les composantes de la société pluriethnique, de la nation sont représentées. Les enjeux susceptibles d'être décelés de cette politique sont diverses. Cependant ils sont pour la plupart d'ordre sécuritaire aussi bien pour le roi que pour la stabilité des corps politique et étatique lesquels peuvent être altérés si un sentiment de marginalisation ou d'injustice naissait ou fut soupçonné au sein des couches sociales apparentées et qui concerne la représentativité au niveau des centres de décision. Aussi ne pouvons-nous pas y voir un souci d'organisation nationale dont le but consiste à mieux faire croire que l'on exerce le pouvoir, non pour se servir mais pour être au service de la nation et mieux assurer sa suprématie ?

90 « Entretenus par le Palais, dotés de fiefs, pouvant recevoir du roi des esclaves provenant des prises de guerre, les « princes » étaient exclus de toute charge et de toute fonction politique : ministres et dignitaires de la cour, chefs locaux, et même épouses royales [...] étaient en revanche pris parmi les simples dahoméens, dont les familles acquéraient ainsi une position supérieure et constituaient une sorte de « noblesse d'office »... ». Jean Suret-Canale. Afrique Noire Occidentale et Centrale. Géographie-Civilisations-HISTOIRE. Troisième édition revue et mise à jour. Paris : Editions Sociales, 1973, p.122

91 Balima. Op. cit. p.92

92 Suret-Canale, J. Afrique Noire Occidentale et Centrale. Géographie- Civilisations-Histoire. Troisième édition revue et mise à jour. Paris : Editions Sociales, 1973, p.122

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En tout cas tout semble porter à le croire puisque les différentes fonctions stratégiques sont attribuées à ses serviteurs, ses ministres. Ceux-ci ont par ailleurs pour rôle d'informer et de constituer les intermédiaires entre les Kombeemba ou gouverneurs des provinces et cantons et le Mogho Naba. En fait ils sont formés au droit coutumier à servir, dans les faits de manière courtoise et polie, en l'informant car comme le dit l'adage si gouverner c'est prévoir, il est impératif pour pouvoir prévenir de s'informer. Ici l'information recouvre une dimension fondamentale et stratégique car relevant moins d'une simple action de faire connaitre d'un fait que d'une obligation pour le roi d'être en permanence à l'écoute de son peuple pour des raisons sécuritaires et politiques. Aussi faudrait-il admettre qu'elle revêtirait une certaine politique rusant dont la finalité serait « de sonder l'opinion publique à des fins personnelles : pour garder le pouvoir et prévenir les révolutions de palais dans ce climat de rivalité dynastique ».93 Ainsi tel pouvait se comprendre cet habitude du Morho Naba qui, se déguisant la nuit, parcourait le quartier populaire de sa capitale dans l'anonymat absolu, écoutant les conversations des gens.

Mais en réalité si l'on s'accorde sur les impacts sur l'Etat des différentes fonctions qu'ils occupent et des prérogatives dont ils jouissent surtout à ce stade de l'évolution de l'esprit dans la gestion du pouvoir, l'on peut bien dire avec Balima qu'en tant que hauts personnages chargés de la préparation et de l'exécution des décisions, ils exerçaient la réalité du pouvoir. Ce qui semble retenir notre attention ici c'est qu'il s'agit moins d'une gestion absolue, arbitraire et dictatoriale du pouvoir comme l'on a toujours peint les régimes monarchiques traditionnels lesquels l'on a taxé souvent de royautés bestiales et barbares sans organisation ni système politique cohérent que d'une politique dont les modalités et la finalité ont pour objet de garantir la cohésion et l'unité nationales. Vu le caractère cosmopolitique de la société moose, nous estimons que ces procédures sont en vue d'un souci d'intégration et de nationalisation de tous et celle-ci semble être déterminé par des politiques permettant d'assurer la force et la violence légitimes dont doit recouvrir l'Etat.

93 Diop, C. A. L'Afrique noire précoloniale, op.cit, p.67

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En marge de ces stratégies visant à prévenir ou à parer les risques de tyrannie ou d'absolutisme susceptibles de découler de cette centralisation du pouvoir, des pensées, des procédés gnoséologiques et pédagogiques régissaient les sagesses populaires, les contes, les proverbes. Ainsi les ruses des moins forts, les soulèvements populaires telles que véhiculées par la tradition orale, la désobéissance civile, les élections basées sur les critères de sélection constituaient des manifestations, des mécanismes de parade à tout abus d'autorité de pouvoir et d'injustice, comme moyens de dissuasion de toute force se voulant autocratique.

Cette force de la masse populaire constitue un poids non négligeable pour le prince dans son exercice du pouvoir. Cela se manifeste bien dans son rôle dans la procédure successorale. Pour cela lisons ces propos de Skinner qui nous relate ici cette procédure. Apres que les prétendants se soient manifestés, le Ouidi Naba réunissait discrètement le Conseil et leur récitait cette formule : « Le pays n'a pas de chef et il lui en faut un. Parmi tous ceux qui souhaitaient être élus (di nam, « à manger le nam »), c'est à vous qu'il incombe de choisir le meilleur ». A ces propos, les conseillers répondaient : « Naba ! Vous êtes notre supérieur et c'est à vous seul que revient le droit de faire ce choix. » Ainsi se voyant attribuer la liberté de choisir, il déclarait au Tansoba, avant de faire connaitre son choix : « Mon coeur est lourd, car je crains que ceux dont les espoirs n'ont pas été exaucés ne recourent à la violence pour obtenir ce qu'ils souhaitent. » A cela ce dernier répondait : « Cela irait à l'encontre de la tradition et de la justice... ». Ayant reçu l'appui de tous, il pouvait maintenant faire savoir l'heureux élu ; à ses conseillers de dire donc et en même temps : « Naba ! Vous avez exprimé votre volonté et celle de tout le peuple. »94

A la suite de tout cela, le Ouidi, faisant convoquer le nouveau prince, il continua sur la procédure d'installation. Ce que nous pouvons retenir à ce stade de la cérémonie d'investiture, c'est que la volonté populaire se manifeste et que la dévolution arbitrale automatique y est absente. E n s'adressant au prince élu, il met en avant les exigences rituelles et coutumières de la population et le respect des prescriptions politiques. En ces termes voici ce que nous en rapporte Skinner : « Avant que votre père [ou votre frère] ne meure, vous a-t-il désigné comme successeur ? » A cela il répond par « Non sire ! Mon père vous a laissé toute liberté pour choisir l'homme qui vous plairait, qu'il soit aveugle ou lépreux ! ».

94 Skinner. Op.cit. p.97-98

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Cette question posée trois fois, il répond aussi par trois fois et le Ouidi Naba peut désormais le consacrer en déclarant : « je vous remets le nam de votre père et de vos grands pères. Vous devez essayer de vous comporter comme ils le firent lorsqu'ils possédaient le nam ».95 Notons ici en passant que les questions sur la diversité ethnique, linguistique et culturelle posent énormément de soucis à nos Etats contemporains. Ils sont à l'origine des guerres ethniques et claniques, religieuses et politiques qui entrainent l'insécurité, l'absence de stabilité territoriale, la précarité, l'exploitation injuste des mineurs que l'on appelle communément « enfants-soldats », et démesurée des forets et des richesses, la pauvreté des terres cultivables due aux produits chimiques et nucléaires, les maladies, la fuite des populations et des cerveaux... .

Lors du 55e anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH), la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO) avait publié, à la suite d'une série de conférences-débat, un document intitulé L'Afrique de l'Ouest face au défi de la sécurité humaine. Dans cet ouvrage, le Général Mamadou Seck, montrait dans son propos que l'Afrique fut depuis 1970 le théâtre de plus de trente guerres meurtrières et durables ayant pour origine des conflits internes qui annihilent tous les efforts de développement socio-économiques. Cette situation étant due, dit-il, « à des facteurs à la fois endogènes et exogènes d'ordre politico-ethnique, mais également d'ordre économique, avec pour corollaire le déficit ou l'absence de démocratie ».96

Tout ceci est le résultat de mauvaises politiques de la part de nos chefs d'Etat qui privilégient plus l'intérêt personnel, partisane, clanique ou ethnique au détriment de l'intérêt populaire, public, supérieur de la nation. Il faudrait donc des politiques sociales d'intégration des peuples, faire tout pour parer au favoritisme, de ne concevoir le chef d'Etat que comme personne publique sans appartenance religieuse, ethnique, partisane. Il est la volonté populaire et doit agir en tant que telle. Les moyens de l'Etat n'appartenant pas à sa famille ni à son parti, il ne doit les utiliser que pour la cause nationale.

95 Idem. p.100

96 Général Mamadou Seck. «Plus de 30 guerres en 34ans » In L'Afrique de l'Ouest face au défi de la sécurité humaine. Dakar : EDITION RADDHO, juin 2005, p.72

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Nos Etats modernes ont l'obligation de se départir du joug occidental, du mimétisme pour penser et agir de façon autonome et souveraine. Pour cela la constitution d'une nation homogène et harmonieuse, la fondation d'un Etat aux institutions fortes et équilibrées, la légalisation de politiques d'intégration des peuples, de partage des pouvoirs et des richesses constitueront des bases sur lesquelles s'établira la cohésion sociale, territoriale et nationale gage de progrès et de puissance. Tout cela autour d'hommes d'Etat et de citoyens au sens propre du terme, des républicains vertueux n'ayant à coeur que la patrie et la sauvegarde des valeurs sociaux culturelles, de la protection civile et de la conservation du patrimoine populaire.

Tout ceci ne peut être effectif sans la mise en application de mécanismes politiques et étatiques rigoureuses de gestion des affaires sociales comme semblent l'avoir fait les mooses. Ils ont très tôt, comme dans beaucoup de sociétés traditionnelles africaines senti la nécessité de gérer le social et de parer aux risques des révoltes populaires ou de désobéissance civile en prenant dés le début du processus de socialisation et d'intégration de toute cette masse aux diverses visions et coutumes, des stratégies de gouvernance en favorisant des politiques idéologiques permettant de faire respirer l'Etat et de responsabiliser tous devant le patrimoine commun. Ainsi une très nette décentralisation accompagnée d'une autonomisation des pouvoirs, une démocratisation dans la gestion des affaires publiques, la soumission devant toutes les institutions, le respect mutuel, le partage des pouvoirs, la délimitation des champs d'action aussi bien pour le temporel que pour le spirituel,...seront les fondements de la stabilité et de la superpuissance de l'Etat et des peuples mooses.

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2-De la décentralisation du pouvoir: puissance sociale

Comme nous l'avons déjà montré dans le chapitre précédent, l'immixtion de la parenté dans le système administratif moose est un fait visible. Cependant cette présence de la sphère privée n'est manifeste qu'au niveau de l'affectation des pouvoirs dans la direction des circonscriptions locales et n'influe nullement sur la bonne gouvernance des affaires de la république et de l'exercice autonome du pouvoir. Si à la tête des provinces, des cantons et des villages se trouvent des descendants directs de la famille royale, cela ne signifie guère que l'exercice du pouvoir relèverait d'un abus ou d'une gestion parentale et dictatoriale n'ayant pour finalité que le bien-être de la lignée royale au détriment de l'intérêt général.

En effet, la parenté, concernant ici les liens familiaux qui légitiment l'appartenance à la famille conquérante et par extension aux groupes affiliés, détermine le choix des éligibles et ceci de manière héréditaire. Elle a pour fonction dans le système administratif mis en place de légaliser, en sa qualité d'instance normative, le droit et le devoir pour les membres de conquérir le pouvoir, la liberté de manifester ses prétentions politiques. Elle constitue de ce fait le noyau dans le système de délégation des fonctions.

C'est pourquoi, malgré le fait que la composition du corps du Collège soit hétérogène, la plupart des circonscriptions locales sont sous les ordres des membres du lignage régnant. Nous assistons dés lors, à coté d'une centralisation des pouvoirs entre les mains de l'empereur, à un mode de décentralisation de certains pouvoirs au niveau local. Ce phénomène de transfert de compétences n'est pas aussi innocent que l'on pourrait le croire et les raisons semblent se situer à plusieurs niveaux et se comprendre de plusieurs manières. Il présente tout de même des impacts sociaux dont nous ne manquerons pas d'élucider.

D'abord la première, la moins importante et la plus irréaliste consisterait à dire qu'il s'agit là d'une politique dont la finalité est de s'approcher des populations locales afin de prendre connaissance de leurs soucis et difficultés pour en apporter des solutions. Ceci est la justification des politiques de décentralisation que tous les Etats modernes valorisent et vantent en en faisant le crédo de leurs programmes électoraux en matière de sécurité publique et le soubassement de leur système de gouvernance participative en vue d'un développement durable. En réalité ceci cache des motifs inavoués, dissimulés, des non-dits. Pourquoi l'Etat aurait-il besoin de tants de moyens de répression au niveau des collectivités locales ? Pourquoi les questions de bien être et de politique de développement s'accompagnent-elles d'instruments de répression ou de contrôle ? En tout cas rien n'est sûr !

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Ensuite, dans cette même logique des enjeux de la décentralisation, il s'agirait plutôt, comme nous venons de le dire, d'un mécanisme de domination rapprochée dans le but de mieux contrôler la masse et de parer coûte que coûte aux potentiels soulèvements et à la désobéissance civile. En se rapprochant et en se mettant quotidiennement au contact des sujets par la présence et la manifestation des instruments de l'Etat, le souverain s'assure de sa suprématie, régule l'ordre public et garantit sa conservation du pouvoir. Soumettre les sujets jusqu'à leurs derniers retranchements, telle semble être la maxime du souverain, assure l'exercice libre des affaires publiques, favorise la quiétude nationale et la continuité de la domination de l'Etat par la famille dirigeante. C'est aussi jeter son regard partout et s'immiscer en exerçant son emprise jusque dans les coins et recoins de l'intimité des populations, des sujets.

Ceci est par ailleurs, sans le manifester explicitement, la vocation des instances étatiques et la justification de sa présence par ses représentants au niveau des populations. Que serait le rôle des préfets, sous-préfets, des maires, des présidents de communauté rurale, des chefs de village et même de quartier, si ce n'est qu', au-delà de leur tâche qui est de fournir un service local, de faire sentir aux peuples partout sa présence, sa suprématie et d'installer en eux la peur, la fidélité, le respect, l'esprit de soumission afin de les manoeuvrer et de les utiliser à son aise en cas de besoin.

Enfin, comme nous l'avons montré tantôt, la plus importante concerne les mesures de prévention et de sécurité mises sur pied par l'empereur. Conscient des risques d'usurpation violente du pouvoir par ses pairs et afin de parer à une faiblesse paralysante du fonctionnement étatique, il se trouve obligé de les écarter aussi loin de l'Etat central en leur attribuant des fonctions secondaires. Cette stratégie politique, dans cette logique de l'édification de l'Etat, est clairement élucidée par Michel Izard :

«Pour passer du simple territoire segmentaire conquis au territoire segmentaire étatique, il a fallu briser la solidarité des conquérants en marginalisant les membres du lignage royal, en créant un appareil placé sous le contrôle de ceux qui sont généalogiquement les plus éloignés du roi, en faisant oublier aux vaincus leur défaite et en les amenant à croire entrer de leur plein gré dans un système qui leur est imposé, en faisant du roi une figure unique, étrangère à

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toute appartenance segmentaire, en fixant une idéologie réductrice qui le roi à son royaume et le royaume à un territoire et à un peuple indifférenciés.»97

En effet comme le pouvoir reste par essence très stratégique et trop sensible faisant en permanence objet de convoitises, il ne saurait être partagé pour rien au monde et même si cela pouvait avoir lieu la raison politique ne l'admettrait pas. Le pouvoir ne se vend ni ne se partage comme l'atteste rigoureusement l'intitulé du chapitre IX des Discorsi « Qu'il faut être seul pour fonder une république ou pour la réformer totalement » à ce que nous ajoutons que le pouvoir se gère seul. Cela fait échos par ailleurs à l'adage sérère qui dit que deux taureaux ne sauraient cohabiter dans le même troupeau et en partager les rênes.

La préoccupation quant à l'accord dans la rapidité de l'exécution des ordres, du suivi du déroulement des décisions et de leur application, pousse les souverains à éliminer les potentiels ennemis, les rivaux de la course à l'investiture. Pour ce faire il ne peut que s'entourer de gens qui lui resteront fidèles et soumis durant toute leur vie. En ce sens Machiavel dira : « Pour un prince, le choix des ministres, qui sont bons ou non selon la prudence du prince, n'est pas de peu d'importance. Et la première conjecture qu'on fait du cerveau d'un seigneur, est de voir les hommes qu'il a autour de lui, et quand ils sont capables et fidèles, on peut toujours lui donner la réputation de sage, parce qu'il a su reconnaitre leurs capacités et il sait se les maintenir fidèles ».98

Il s'agit ici pour le Mogho Naba d'écarter ses frères de sang des questions et décisions qui concernent intrinsèquement le pouvoir central. Leur importance ne se manifeste qu'au niveau des instances locales. Ce sont eux qui administrent les provinces, les cantons et les villages. Ce qui fait que la présence de l'Etat se fait sentir à partir d'eux. Ceci ne manquerait pas d'avoir un certain nombre de conséquences, d'impacts positifs comme négatifs sur le mode de gouvernance de l'empereur et sur ce qui sera au coeur de ce que nous appellerons la puissance du peuple et du royaume moose.

97 Izard, M. L'Odyssée du pouvoir. Un royaume africain : Etat, société, destin individuel. Paris : Editions de l'EHESS, 1992, p.53

98 Machiavel. Le Prince. Chap. XXII : « De ceux que les princes ont en charge des secrets », p.152

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Le statut d'un Etat, en tant que cette « architectonique » c'est-à-dire, suivant Hegel, « cette riche articulation du monde éthique »99 est d'assurer la cohésion et la sécurité sociales, de favoriser l'harmonie au sein de la population. Cela semble ne pouvoir se faire qu'avec la proximité d'avec ses sujets, ce qui passe nécessairement par leur soumission totale, leur engagement quotidien et leur fidélité vis-à-vis de leurs chefs. Un peuple soumis est un peuple obéissant. Cette obéissance de la part des sujets constitue le socle, non seulement de la stabilité de l'Etat et des institutions, mais aussi et surtout de la tranquillité et de la paix sociales, de la pérennisation du pouvoir. Ceci le Mogho Naba a su bien le comprendre pour sa propre sécurité et celle de ses pairs. Notons ici que tous ont le devoir, l'obligation, devant la coutume, de perpétuer le legs des ancêtres en faisant rester la famille au pouvoir aussi longtemps que possible.

Mieux encore, c'est à partir de cette nécessité à forcer le respect, la soumission que le Mogho Naba peut arriver à gouverner en exigeant des sujets l'accord aux principes des devoirs et des droits. C'est de ce fait qu'ils payeront l'impôt par exemple, travailleront la terre pour subvenir aux besoins de l'Etat, garantiront sa sécurité interne et externe. C'est d'ailleurs en ce sens plus précisément que nous comprenons le fait que, dans les clauses du partage du Mögo entre les pouvoirs temporel et spirituel au moment de la fondation de l'Etat, les autochtones Ninisi avec à leur tête le Teng naba, roi de la terre se réservaient le droit de cultiver pour assurer la subsistance aux dirigeants guerriers. Ceci fera d'ailleurs la capacité de la société Mossi à mobiliser facilement en un temps record devant les urgences. Elle favorisera une meilleure et sûre prise en charge des conflits et des problèmes liés au processus électoral car seuls les membres de la classe royale auront le droit de briguer un mandat.

Ce contrôle permanent sur les sujets permettra également, par cette mobilisation, de s'équiper rigoureusement en ressources humaines et matérielles propres et faire face aux menaces externes sur l'Etat. Compter sur soi et sur ses armes propres est la règle d'or que conseille Machiavel au prince en matière de gestion et d'engagement de conflits : « je conclus donc que, s'il n'a pas d'armes propres, aucun prince n'est en sécurité ; », entendant par là par « armes propres », ceux qui « sont composées ou de tes sujets ou de tes citoyens ou de tes créatures, ».100 Ses sujets, ses fidèles et eternels soumis constitueront la masse guerrière, les citoyens soldats.

99 Hegel, G. W. F. Op.cit. p.50

100 Machiavel, Le Prince, Chap. XIII: « Des soldats auxiliaires, mixtes et propres », p.115

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Comme nous pouvons le constater, les Mossi faisaient la levée de masse pour faire face à l'ennemi. Ce qui semble justifier cette tendance des souverains Mossi, tout comme les autres royaumes contemporains, à la gestion participative des affaires publiques surtout en période de guerre. Ce qu'atteste d'ailleurs ce propos de Machiavel : « la république doit envoyer ses citoyens....Et d'expérience, on voit les princes seuls et les républiques armées avoir de très grands succès et les armes mercenaires ne jamais rien faire, sinon des dommages ; et une république armée d'armes propres en vient plus difficilement à obéir à l'un de ses citoyens qu'une république armée d'armes extérieures ».101

Notons ici aussi que ce qui faisait la puissance des royaumes mooses, en plus du fait qu'ils ont toujours dépendu de leurs propres citoyens, dépendait aussi du statut qu'ils réservaient à leurs empereurs, à leurs rois. Leurs souverains, malgré les rivalités, selon Dim Delobsom, qui pouvaient s'effectuer de temps en temps entre eux, étaient tous autonomes et souverains dans leurs foyers respectifs. Chacun jouissait de la plénitude de ses pouvoirs suprêmes et étatiques et de sa légitimité. Néanmoins le royaume de Ouagadougou devenait, au fil du temps, le plus puissant, poussant même les autres rois et chefs de province et de canton à reconnaitre sa suprématie et à lui servir de référence en matière de gouvernance et d'organisation politique et rituelle. Convaincus de cette puissance de leur Mogho Naba, les mooses de Ouagadougou se sont toujours crus supérieurs, plus riches et plus puissants. Ainsi leur souverain était des plus craints et redoutés à tel point qu'ils lui réservaient chaque jour une cérémonie rituelle matinale. Pour illustrer ce propos, suivons la description que Skinner en a faite :

« Il inspirait une crainte telle, il était tellement « semblable au soleil », que personne n'osait le regarder en face. Il était interdit de lui toucher la main ou de lui parler autrement que prosterné, le front touchant le sol. Les gens étaient censés hésiter avant de prononcer son nom et aucune autre personne n'était autorisée à porter le patronyme du souverain régnant ».102

101 Machiavel. Le Prince, Chap. XII : « Combien il y a de genres de milices et des soldats mercenaires ? », p.106107

102 Skinner. Op.cit. p.84

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Les rois Mossi avaient pour coutume, au moment du rituel qui entourait l'intronisation d'un nouveau chef, de s'attribuer un nom, un titre qui l'identifierait, un patronyme. C'est ainsi, d'ailleurs, que Morho Naba Sarha II (1942-1957) se fait appeler Sarha (= « pluie ») suite à son discours d'intronisation : « Sans la pluie, il ne peut y avoir de vie. Je serai comme la pluie pour le pays ». Tout un rituel était donc organisé, comme nous venons de le dire, en l'honneur du Mogho Naba pour manifester sans doute le respect et la considération en laquelle les sujets le tenaient. Cette cérémonie matinale est appelée « Ouend pous yan » traduit littéralement selon Skinner par « Dieu se lève », ou « le soleil se lève ».

Pour matérialiser sa puissance, tout un symbolisme marquait le cérémonial. Le Mogho Naba se revêtait d'une « robe rouge » pour matérialiser le « Soleil levant », sa « coiffure surmontée de rubans d'argent » symbolisant le Soleil lui-même. Pour ce qui est des salutations et du comportement des sujets et des ministres devant le Mogho Naba, voici comment ils sont présentés par Skinner : « Arrivés à quelques mètres du monarque, ils s'agenouillaient sur le sol, puis, les doigts repliés et les pouces en l'air s'inclinaient, frappaient le sol des deux mains trois fois, puis frottaient les paumes de leurs mains gauches avec les doigts de leurs mains droites. Ensuite ils se relevaient et la tête toujours baissée retournaient à leurs places ».103

Par ailleurs beaucoup de chercheurs ont profité de cette appellation du rituel pour faire faire aux Mossi du Mogho Naba un souverain de droit divin. Pour Dim Delobsom, il constitue le révélateur de « toute l'estime des Mossi pour leur souverain, puisqu'ils le comparent au soleil, et par conséquent, à un « dieu ».104 A en croire l'auteur, les Mossi ne considéraient pas leur souverain comme des dieux ou des monarques d'essence divine car une chose est de comparer quelqu'un à un dieu et c'en est une autre de le prendre pour tel. Ils n'ont donc pas pris leurs souverains pour des êtres essentiellement parfaits. L'imaginaire Mossi admet la finitude et l'imperfection du genre humain, ses faiblesses et ses tares.

103 Idem. p.88

104 Dim Delobsom. Op.cit. p.37

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A cela lisons ce propos de Dim Delobsom: « Les mots utilisés pour « Dieu » sont Ouennam et Ouende. Les mots désignant le « soleil » sont identiques [...]. Les Mossi n'admettent cependant pas que l'utilisation des mêmes mots pour designer Dieu et le soleil sous-tendent qu'ils croient que Dieu soit le soleil ni que le soleil soit leur Dieu [...]. Les Mossi considèrent leur être suprême, Ouennam, comme une divinité négligente qui ne se préoccupe guère des affaires humaines. Ce sont les ancêtres qui sanctionnent la bonne conduite »105.

Ceci illustre une fois de plus la dimension du Souverain et de l'Etat qu'il incarne, l'estime et la crainte dont ils font objet, tout ceci conditionné par la force et la puissance dont ils se dotent. Il contribuera de ce fait à faciliter l'exécution des directives royales et à garantir la pérennité de l'Etat et du pouvoir. Au regard de tout cela, nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que ces stratégies politiques ont fait que les royaumes Mossi sont restés, à quelques égards, invincibles, autonomes et stables durant presque toute leur existence.

Ce pragmatisme politique a été fondamental en ce sens et semble pouvoir faire l'objet d'imitation pour nos Etats modernes qui, de plus en plus, semblent perdre leur notoriété devant leurs propres citoyens et devant les puissances extérieures. Pour cela rien ne me parait plus logique pour nos princes que de lire et d'observer les pas de nos anciens grands Etats, de nos grands hommes comme nous le suggère Machiavel dans son chapitre VI : « un homme prudent doit toujours s'engager sur des voies battues par de grands hommes et imiter ceux qui ont été très excellents--afin que, si sa vertu n'y arrive pas, au moins en rende-t-elle quelque odeur ».106

Cette imitation n'est pas dénuée de sens et d'objet. Elle consistera surtout à cultiver des valeurs politiques et des stratégies d'exercice de pouvoir et de savoir de gestion d'affaires publiques car comme le dit l'adage il n'ya rien de nouveau sous le soleil et que tout a été déjà battu par les grands esprits. Il revient dés lors nécessaire de les imiter positivement. Nos grands empires du Ghana, du Mali, du Songhaï, du Mossi, du Monomotapa...peuvent constituer des références en matière de pragmatisme dans l'exercice étatique du pouvoir et de force sociale et nationale dans la souveraineté internationale et la géopolitique mondiale.

105 Idem

106 Machiavel. Le Prince, Chap. VI : « Des principats nouveaux qu'on acquiert avec les armes propres et la vertu », p.76

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Parlant justement de cette politique mondiale fortifiée de nos jours par la mondialisation107, il est à noter que c'est au coeur de la force que tout se joue même si c'est au nom du « Droit Universel » que l'on justifie l'immixtion des institutions internationales sous la bannière des puissances extérieures et des lobbying. Dans cette géopolitique mondiale, tout se règle et se mesure sur la force : le gel des biens de ceux qui dérangent et que l'on qualifie de « dictateurs », les embargos sur les Etats « voyous » sont autant de mesures que l'actualité manifeste la quotidienneté.

Fort de ce constat, les cultures de la force et de l'armement, de la formation et de la rigueur militaires en matière d'exercice du pouvoir, de gestion des affaires publiques et surtout de relations internationales constituent de nos jours des exigences infranchissables pour tout Etat, tout souverain soucieux de la protection et du bien être de son peuple, de sa souveraineté et de son progrès. De même l'ingérence économique, politique et culturelle permanente des puissances occidentales et asiatiques sur les Etats les moins nantis, ceux de l'Afrique et des Caraïbes par exemple, la poussée fulgurante du terrorisme constituent autant de raisons pour favoriser une volonté et une envie folle de conquête des armes de défense et de sécurité.

Revenant sur le sujet, nous dirons qu'il sera question dans la suite de ce travail, de faire voir le système de gouvernance des mossi et toute l'architecture étatique et politique, d'en analyser les contours afin de déceler les enjeux philosophiques et sociales, les principes organisationnels, fondements de l'effectivité de l'Etat central et de l'intégrité territoriale. Tout cela permettra de mettre en évidence ce que nous avons appelé la « philosophie Mossi » de la gouvernance, c'est-à-dire le mode de gouvernance des mooses et tout l'arsenal instrumental en vigueur mis sur pied pour mieux administrer et assurer les bases idéologiques. Ainsi la finalité de ce travail consistera à se demander, au terme de l'analyse du système de gouvernance Mossi, si nous pourrons affirmer, comme Vidal-Naquet, que « Dans une cité démocratique le conseil propose, l'assemblée décide par un vote, les magistrats exécutent les décisions. Et les magistrats et les conseillers font partie de l'assemblée » ?108

107 Elle constitue une politique internationale où selon le Dictionnaire Universel« les nations sont intégrées dans un espace économique mondiale qui échappe en partie au contrôle des Etats ». A cela nous ajoutons qu'elle concerne aussi sans le nommer l'espace politique et culturelle. Il s'agit d'une politique monocentriste du monde dont le but est d'avoir la possibilité de jeter son regard sur tout et d'être à l'écoute du monde dans le but de mieux contrôler à distance grâce aux Nouveaux Technologies de l'Information et de la Communication, d'une politique déguisée de pillage, de légitimation de l'ingérence politique et étatique.

108 Vidal-Naquet, P. « Eschyle, le passé et le présent », In Vernant, J.P. et Vidal-Naquet, P. Mythe et tragédie en Grèce ancienne, tome II. Paris : Editions LA DECOUVERTE, 1986, p.99

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TROSIEME PARTIE :

DE LA « PHILOSOPHIE MOSSI » DE LA GOUVERNANCE

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Chapitre A : De l'effectivité de l'Etat et du système de dévolution du pouvoir

A priori l'expression « philosophie mossi » de la gouvernance inciterait à une compréhension partielle de la vocation de l'intitulé de cette partie. Elle pourrait faire allusion à un mode d'être ou de pensée spécifique, à une manière spéciale de réfléchir ou d'appréhender le concept de «gouvernance» propre aux mossi et en en faisant un peuple archétypal, une référence dans son mode d'être politique par rapport à tous les types d'organisation qu'a connu l'Afrique traditionnelle. Il s'agit plutôt pour nous d'une tentative de mise en exergue d'un ensemble de structures politiques et étatiques, d'une déclinaison de son système de gouvernance et de juridiction, de ses d'institutions établies en vu d'exercer et de transmettre le pouvoir, de gérer la chose publique comme d'ailleurs cela a existé chez les autres peuples.

En effet, si gouverner c'est conduire, régir ou diriger un peuple ou un Etat pour une finalité quelconque, sa pratique ne saurait être efficace sans instruments politiques rigoureuses, sans appareils étatiques conséquents susceptibles de rendre manifeste sa présence dans la sphère publique. Et c'est justement pour cela que cette partie essaiera de faire apparaitre la manière dont l'Etat mossi, en tant qu'édifice, est construit et structuré ; entendant par là son effectivité c'est-à-dire son mode de fonctionnement à travers ses institutions. Il s'agira également de voir comment s'effectue le phénomène de délégation du pouvoir en tant que paramètre dans la démocratisation d'un système politique ? En quoi consiste t-il et quels sont les paramètres intervenant dans son opération ?

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1-De l'agencement du corps politique

En son sens étymologique, la politique désigne une science ou un art de gouverner, de conduire les affaires publiques d'une cité, d'un Etat. Etat en tant que structure ou corps politique organisé ou association de peuples dont le chef prend le dessus sur les groupements familiaux. Ainsi il renverrait à tout mode d'organisation politique dont la finalité est la sauvegarde et la garantie, par le biais de lois légales et légitimes, un patrimoine commun. Dés lors la politique semblerait déterminer le type de gouvernance ou de régime d'un pays, d'un empire ou, pour ainsi dire, de toute société.

Cependant aborder le problème de la structuration politique de l'Etat moose, de son organisation et de son mode de transmission du pouvoir sans, au préalable, donner un contenu sémantique ou expliciter ce qui, au fond, constitue son point d'ancrage, serait un travail sans logique et suivrait un chemin inconsistant. Le « Naam » ou pouvoir dont il s'agit ici a une double origine : il désigne d'abord ce pouvoir dont les fondateurs se sont usés pour fonder l'Etat mais aussi cette force divine qu'incarne le Chef et qui lui permet d'asseoir et d'affirmer sa domination sur les autres, donc de gouverner. Pour plus d'éclaircissement à cet effet, lisons ces explications de Michel Izard :

« Il y a au départ le naam, le « pouvoir », et un naaba, un « chef ». Le naam, que les Moose se donne pour vocation de détenir, est l'avatar humain du wendnaam, pouvoir émanent d'un principe divin de nature céleste, personnifié sous l'appellation de « Naaba » Wende : le dieu des Moose est un « chef ». Du « monde » (dunya) régi par le wendnaam est né le « monde » (moogo) régi par le naam ».109

En effet l'aspect fondamental qui semble faire l'unanimité chez les auteurs sur le système politique de gouvernance moose est cette « distinction qui est faite dans la société entre les détenteurs de la maitrise de la terre (têngsobôndo) et ceux du pouvoir (naam) »110 dont hérite le monarque. Cette dichotomie entre le spirituel et le temporel, entre le monde du de la terre et celui du pouvoir régit a priori les fondements politiques de l'Etat. Ainsi elle constituera un support efficient dans l'organisation de l'Etat et de la société.

109 Izard, M. L'odyssée du pouvoir. Op.cit. p.8

110 Comité scientifique international pour la rédaction d'une histoire générale de l'Afrique. HISTOIRE GENERALE DE L'AFRIQUE, tome IV « L'Afrique du XIIE au XVIE siècle », dirigé par Djibril Tamsir Niane. Unesco/NEA, 1985, p.256

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Elle se caractérise surtout de cette interdépendance des deux mondes. Le premier, à savoir celui des maitres de la terre, les indigènes ou encore les « premier occupant »,111 leur rôle est fondé ici sur la concession de droits fonciers et de fonctions religieuses. Ils confèrent au pouvoir temporel une sacralité. Ses dépositaires, véritables paysans, lui pourvoient les ressources matérielles et humaines nécessaires à sa subsistance. Quant au second, résultant de la conquête, il représente l'instance administrative dés lors que ses membres incarnent le Naam. Leur titre émane du droit de conquête.

Il justifie en ce sens cette conviction qu'ont tous les descendants de la lignée royale laquelle consiste à les destiner à l'exercice d'un pouvoir, à constituer la classe dominante. Ils paraissent devant la communauté comme des agents qui, par nature, sont destinés à la gouvernance et développe cette image dominatrice à travers leurs actes et leur manière de vivre. Ils se différencient des autres même dans leur physionomie et les symboles rituels et scarificateurs qui matérialisent leur appartenance à la famille conquérante ou à l'Etat mossi. Ces pratiques ont des visées à la fois religieuses, sociales et politiques.112 Cette philosophie de l'apparaitre n'est pas à négliger car elle constitue le noeud de l'assujettissement et de la fondation de l'État mais aussi et surtout constitue l'idéologie fondatrice qui sert de légitimation de l'acquisition et de la conservation à vie du pouvoir.

Cependant, au regard de cette position réconfortante et dominatrice dont jouit cette classe sacerdotale, il ne faudrait pas penser à une soumission totale de la part des aborigènes. Ces derniers, comme nous l'avons déjà dit, jouent un rôle central dans la légitimation de l'autorité gouvernementale. Qu'on se rappelle tout simplement du processus rituel qui précède l'intronisation de tout Naba. Avant d'exercer officiellement son pouvoir, tout chef se doit d'effectuer un périple qui le mènera au niveau des grands autels des différents prêtres afin de bénéficier du `tom' - cendre de tige du mil dont on enduit le front du Roi- dans le but d'acquérir une légitimité et une reconnaissance de son pouvoir. Ceci est d'autant plus vrai dans la mesure où le royaume mossi a toujours élaboré une politique d'insertion sociale dans sa gestion politique de l'Etat.

111 Voir pour cette expression Rousseau dans le Contrat Social, op.cit. Chap. IX « Du domaine réel », p.187

112 Pour plus de détails sur les significations de ces cicatrices, cf. Balima, op.cit. p.81-84

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C'est cette politique assimilatrice dont fait usage les `gens du pouvoir' qui fonde l'hétérogénéité social, corollaire de la rigueur et du manque d'indulgence des lois à l'égard des fautifs et devant les erreurs. Chacun de ces deux forces incarnant une fonction spécifique, la corrélation des deux régit l'unité nationale. Néanmoins cette puissance de ces deux classes est loin d'être absolue et arbitraire car elle est sous le contrôle d'un système politique hiérarchisé et actif dont les différents dépositaires, les Ministres, jouissent d'une légalité et d'une légitimité qui leur garantissent une autonomie dans l'exercice de leur fonction et une influence considérable dans les prises de décisions qui concernent l'intérêt social.

Mais avant d'en arriver aux fonctions ministérielles, jetons un regard d'abord sur les premiers démembrements de l'articulation politique de l'Etat. Au sommet de la hiérarchie mossi, se manifeste sous la forme d'un « Dieu » le Moogo Naaba, maitre de l'univers, chef suprême du monde. Il a, de par sa stature divine et sacrée, une autorité politico-religieuse. Il incarne la puissance divine sur terre et en ce sens manifeste une certaine transcendance par rapport aux Naba, à la masse populaire et légitime du même coup le rapport de force et de domination qui existe entre l'empereur, entre tous les Naba et entre les sujets.

Ceci semble n'être guère un attribut que le souverain imposerait de l'extérieur à la population mais relèverait d'une quelque appréhension mossi, d'une propre perception de la nature du chef : il est, selon Balima « un être hors de l'ordre commun. Le Nâba est Dieu et il est César. Il vit abrité, non de la vue, mais du regard du vulgaire parce que l'homme ordinaire, le peuple ne craint, ne respecte et n'obéit que quand il se sent dominé, surpassé par un être qui le fait frissonner »113.

Structuré de manière pyramidale donc, le pouvoir politique présente donc à son sommet des rois ou chefs appelés Dimdamba c'est-à-dire « des rois à l'image de Dieu » des quatre principaux royaumes : Tenkodogo au sud, Ouagadougou au centre, Yatenga au nord et Fada N'gourma (Boussouma) au nord-est. Ces entités étaient autonomes néanmoins que leurs chefs aient en commun l'origine, la langue, les us et coutumes. Ils jouissent d'une autorité et d'une puissance à l'image du « Maitre du Monde » et cela à cause de leur position hiérarchique et de leur légitimité.

113 Balima. Op.cit. p.95.

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C'est justement cette conception de la supériorité qui, fondamentalement, semble justifier la quasi impossibilité de la démission ou de la destitution du chef : tout Naba l'est à vie même après la perte d'une principauté. En tant que «père du peuple» et justicier, il régit les institutions : sa famille, sa cour, ses fonctionnaires sont sous ses ordres et constituent les agents de l'Etat ; il détient le pouvoir central. Il s'agit alors d'une soumission sous l'angle d'une reconnaissance à une puissance comme instance de validation et de détermination des décisions. On pourrait de ce fait parler de monarchie constitutionnelle.

A l'intérieur de la cour royale se trouve une horde de personnalités qui composent le Conseil. En effet, ce collège des fonctionnaires, suivant leur ordre d'importance dans la hiérarchie gouvernementale, constitue le Grand Conseil sur lequel s'appuie le suzerain pour gouverner. Il s'agit du Premier ministre Togo Naba ou Ouidi Naba suivant les auteurs. Si on se réfère à Cheikh Anta, il sort d'une famille ordinaire et représente la population- l'ensemble des citoyens- au niveau de la cour royale. C'est à travers lui, selon Pathé Diagne, que le système moose se voit comme une oligarchie monarchique. De ses propres mots il dira : «c'est le Ouidi Naba en tant que premier oligarque qui propose à l'investiture le candidat au trône, de concert avec le Larhalle Naba, autre élément de sa lignée... ».114

Il y a ensuite le rassam Naba ou larhalle Naba, gardien des sépultures et chef des esclaves de la couronne qui dirige le Ministère des finances. Il est chargé aussi, selon les Archives, du protocole d'Etat. Etant d'origine esclave, il est, selon Cheikh Anta, celui qui exécute les hautes oeuvres et procède à la mise à mort des condamnés. Aussi règne t-il sur les hommes de condition libre et administre des citoyens de plein droit. Le baloum naba ou intendant en chef de la maison royale, quant à lui, est chargé d'introduire les ambassadeurs et visiteurs importants ; il est aussi appelé maire du palais et chef des pages. Enfin on retrouve dans cette architecture politique le kidiranga naba qui dirige la cavalerie. Ces grands dignitaires ou ministres représentent symboliquement « les forces des quatre éléments : la terre, l'eau, l'air et le feu. Ils veillent sur les quatre grandes portes par lesquelles le Moro Naba entre en relation avec les forces tutélaires. En vertu des forces qu'ils représentent et qui sont appelées « forces-mères », ils ont le droit de décider, en réunion secrète, qui sera le Moro Naba suivant ».115

114 Diagne, Pathé. Pouvoir politique traditionnel en Afrique traditionnelle. Essais sur les Institutions politiques précoloniales. Paris : Présence africaine, 1967, p.229

115 Bâ, A. H. Oui mon commandant! Paris : Actes Sud, 1994, p.162-163

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Au dessous des ministres on retrouve la classe des serviteurs et celle des catégories socioprofessionnelles composée du samande Naba, général de l'infanterie, du kom Naba, chef des soldats esclaves, du tom Naba chef du « sable d'investiture »... Ce qu'il convient de soulever à ce stade de l'analyse c'est la perception que l'on se fait du Ministre et de son rôle dans l'administration. Fondamentalement les Mossi conçoivent le Ministre comme celui qui est au service du peuple auprès de l'empereur. Il est la servante du Roi et ne dispose pas d'une quelconque subdivision territoriale déterminée. Sa fonction essentielle est d'être toujours à l'écoute du monde afin de mieux tenir au courant le Naba des événements internes et externes de la cour et pour cela il dispose d'une multitude d'agents secrets pour la transmission des nouvelles.

Malgré le fait qu'ils soient membres de ce grand conseil et étant de grands personnages, les ministres ont aussi pour tâche de servir d'intermédiaires entre non seulement le Mogho Naba et son peuple mais également entre lui et les Kombeemba ou chefs de province ou de canton. Enfin l'on retiendra dans la suite de cette présentation et par ordre les provinces, les cantons, les villages, les quartiers, les lignages... avec un model d'organisation presque calqué de l'administration centrale et par rapport au degré de pouvoir et des prérogatives attribués à leurs chefs.

Cette subordination de l'ensemble des représentants à la personne du souverain illustre bien cette idée de centralisation du pouvoir absolu et global qui se manifeste à travers toutes les actions et décisions posées relatives aux problèmes inhérents à la société. C'est justement à cette question de l'autocentrement, c'est-à-dire de cette attitude du roi consistant à se poser comme instance suprême a partir duquel l'Etat, seule force légale et légitime, peut se concevoir en tant que tel, qu'essaiera de traiter ce second chapitre. Il s'agira donc d'analyser les différentes composantes du corps étatique et montrer leur impact et leur mode d'exécution à l'intérieur du système politique.

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2-De la structuration du corps étatique

Ce que nous entendons ici par structuration du corps politique c'est à la fois l'ensemble des structures administratives, juridiques et militaires dans la gestion du pouvoir. Il s'agit de voir et de réfléchir sur les différentes modalités structurelles et les antagonismes qui régissent les rapports entre les politiques. Autrement dit, il s'agira de voir comment l'administration Mossi, à travers ses systèmes exécutif, judiciaire et militaire, fonctionne et quels en sont ses véritables fondements et finalités.

Dans la plupart des sociétés negro africaines et notamment dans le pays mossi, le chef, en tant qu'instance suprême de l'exécutif, apparait devant le sens commun comme un être supérieur qui incarne la puissance absolue laquelle est une émanation de la volonté des ancêtres. Il est doté de pouvoirs surnaturels- mythiques et mystiques- qui dépassent l'entendement humain et fait qu'il est un homme vénéré à même de garantir la concorde sociale, la paix et la richesse mais aussi d'être la cause des malheurs tels que la sécheresse, la misère, la maladie... A travers cette interprétation de la conception de chef en tant que leader, nous pouvons, sans risque de nous tromper, d'affirmer que la légitimité du dirigeant ou encore du monarque résulte à la fois de ses valeurs morales et de sa puissance, sa force, son courage.

Le bon chef est celui qui, quels que soient les moyens utilisés- guerre, conquête, tuerie, pillage- arrive à fonder un royaume fort susceptible d'assurer un système politique stable où le peuple puisse survivre, s'enrichir et jouir de toute sa propriété tandis que le mauvais est celui qui ne cause que du tort et des souffrances : maladie, famine, pauvreté...De cette conception de la chefferie on voit clairement la cause pour laquelle, dans le système politique africain en général et dans l'empire mossi en particulier, toute la force de l'Etat était déléguée au Mogho Naba qui, en tant que chef suprême et détenteur du pouvoir absolu, partage l'exercice avec le Grand conseil que constituent les Ministres comme nous l'avons vu à travers les pages précédentes. Mais qui est Mogho Naba ?

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Dans son analyse de la société mossi, Delobsom dira que « si MOGHO signifie pays des Mossi, il signifie par extension : Le monde ; le MOGHO-Naba était pour ainsi dire considéré comme le maître du monde »116. Au mossi le Mogho est la force suprême, le gouverneur absolu, le Dieu ayant droit de vie et de mort sur ses sujets ; il représente la Raison d'Etat. Il est l'instance de validation des décisions et garant des libertés individuelles et collectives, gardien de la constitution, protecteur des coutumes...et cela du fait de sa nature et de sa force supranaturelle. Parlant notamment de puissance il faudrait montrer qu'elle constitue le noeud de la conquête du pouvoir, de sa conservation et de sa pérennisation. Dans la genèse même de l'empire mossi et au niveau de sa gestion se trouve matérialisée cette force, cette violence comme le fondement de l'Etat : tout protectorat mossi tombé entre les mains de l'ennemie l'a été du fait de la faiblesse de son administrateur. C'est en effet cette puissance qui constitue la base du mode d'exécution de l'architecture étatique dans son rapport avec le peuple.

Cette place qu'occupe la puissance du Roi suprême et la force de tout dirigeant mossi mais aussi et surtout de la perception du peuple à l'égard de tout chef font qu'en matière d'organisation et de gestion de l'Etat, les mossi délèguent tout leur pouvoir au souverain. En ce sens Skinner soutiendra que : « Les mossi attendaient toujours de leurs dirigeants et tout particulièrement de leurs Morho Nanamsé, des Didamba et des Kombemba, qu'ils prennent des décisions voulues en matière de politique administrative et qu'ils se prononcent sur toutes les questions de leur ressort. [...]. Les Mossi estimaient que les hommes ne peuvent vivre sans chef et ils affirmaient avec insistance que les animaux eux-mêmes ont des chefs. »117 Ceci montre bien la place que le chef occupe dans la hiérarchie sociale et de la nature religieuse de leur fonction, ce qui leur empêchait du même coup, du fait de leur conscience sur l'essence de leur profession, de profiter des failles et faiblesses internes de l'administration.

La philosophie mossie de la chefferie constitue des lors le point focal à partir duquel nous pouvons appréhender la réalité politique et administrative de même que la structuration étatique du pays. Ici tout émane du chef et aboutit à lui. Ce respect et cette reconnaissance de la force légitime montre bien cette soumission de la part du peuple et de l'habilité de tout chef mossi à dire le vrai dans les domaines de la justice, de la défense et de la politique intérieure.

116 DIM DELOBSOM, A. A. L'empire du Mogho-Naba. Coutumes des Mossi de la Haute-Volta. Paris : Les EDITIONS DOMAT-MONCHRESTIEN. F. LOVITON et Cie, 1932, p.46

117 SKINNER, E.P, Op.cit. p. 147

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Les expressions courantes telles que : « vous devez vous adresser au chef » ou encore « c'est à Ouagadougou que se trouve la vérité » relèvent de maximes qui attestent bien de ce constat et de cette idéologie sui generis aux mossis dans leur rapport d'avec leurs administrateurs fondé sur la domination. Cependant il ne s'agit pas si l'on s'en tient à cette aperception d'une relation unilatérale de sujétion entre les deux forces : entre le souverain et le peuple mais d'un rapport de réciprocité, de complémentarité. Tout comme il revient aux dirigeants d'assurer la santé, la prospérité, la sécurité sociales en temps de paix tout comme en temps de guerre, il leur échoit, surtout au pouvoir central, de dire, d'être et d'incarner à travers leurs actes la Vérité en formulant des jugements impartiaux et d'assurer en garantissant l'équilibre de la justice mais aussi et surtout d'encourager le peuple à honorer les ancêtres à travers des cérémonies rituelles.

Quant à la population son rôle est tout d'abord de faire allégeance au suzerain et à l'Etat, autrement dit de lui jurer fidélité et dévouement ; ensuite de lui fournir les biens et services nécessaires pour la bonne administration du pays. Il s'agit donc de compétences partagées lesquelles sont au coeur des politiques administratives, judiciaires et militaires. La vie sociale mossie était régie par l'existence d'un ensemble de règles juridiques qui harmonisaient les rapports entre les citoyens eux-mêmes et entre ses dirigeants. N'étant pas ignorées de la population, ses normes coutumières s'appliquaient à tout fautif après d'intenses procédés de consultation au niveau des chefs officiels ; ce qui autorise Skinner à parler de l'existence d' « un droit réel, mais pas de code écrit »118

Tout comme dans sa politique administrative, l'organisation judiciaire de l'empire était hiérarchisée et se conformait aux exigences de la coutume laquelle se transmettait de génération en génération et des réalités locales allant des chefs de village au Mogho-Naba en passant par les chefs de canton et les ministres. La fonction des premiers en matière de règlements juridiques résidait dans la résolution des affaires minimes tels que les petits vols sans violence, les insultes...Les problèmes de vol, d'adultère, de bastonnade... relevaient de la compétence des chefs de canton assistés par des dignitaires et du Ministre.

118 SKINNER. Idem, p.183.

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Quant au `Maitre du Monde', il ne s'occupe que des questions d'intérêts généraux comme les crimes, les meurtres, les assassinats lesquels pouvaient réduire le royaume dans une insécurité totale ; ce qui fait qu'il est le seul habilité à prononcer la peine de mort sur les Nakomsé tout comme le Kombéré a le droit de vie et de mort sur ses sujets. Dans une telle société où toutes les structures politiques et étatiques étaient impensables en dehors de la religion et de la coutume, la justice sévissait comme une sanction compensatrice rituellement administrée à un contrevenant à l'ordre social selon Cheikh Anta.

C'est d'ailleurs en analysant en ce sens la question de la loi et de la procédure judiciaire dans l'Etat Mossi, que Skinner, après examen et interprétation du droit sur les conflits inter-citoyens et pouvant faire l'objet de jugement au tribunal : héritage, restriction de la liberté d'autrui, vol, meurtre ou homicide volontaire, violation de contrat... fera remarquer qu'elle se fonde sur le principe de la conciliation. De ses propres mots on retiendra : « En nous fondant sur ces deux cas et sur d'autres affaires encore, nous sommes amenés à la conclusion que selon les Mossi, le droit et la procédure judiciaire devaient servir à réconcilier les plaideurs et à maintenir ce que l'on considérait communément comme la justice sociale ».119 Cependant cette apparente réglementation de la vie juridique cache d'importantes réalités non négligeables dans la procédure judiciaire.

En effet, l'absence de lois codées n'exclut en rien les faiblesses, les limites du royaume dans son exercice du pouvoir ; d'où la portée de cette critique d'Eugene Mangin : « Bien entendu, il n'existait pas de code écrit, aucune échelle des peines officielles. Tout dépendait de la coutume et du caprice du juge. C'est ainsi que les riches pouvaient obtenir des décisions en leur faveur en payant les juges, et les voleurs pouvaient éviter d'être punis en partageant leur butin avec le Naba ».120Cette corruption des juges est une réalité dans la sphère politique et constitue, parmi tant d'autres comme la peine de mort parfois injustifiée, des caractéristiques de l'injustice, de l'inégalité sociale et de l'impunité à l'égard des nantis à tel point qu'on pourrait parler de justice pour les faibles, pour les pauvres. En ce sens Le Dim, comme pour atténuer la portée de la critique, dira que « la justice était gratuite ; aucune taxe n'était prévue, ni perçue : néanmoins, le plaignant faisait présent au Naba d'un coq blanc ou

119 Id. p.196

120 Mangin, E. Les Mossi. Paris : Editions géographiques, maritimes et coloniales, 1921, p.25.

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bengré (gris clair) qu'accompagnait toujours la traditionnelle sacoche de cauris (200 à 1.000 cauris) ».121

Peuple très guerrier et habile dans l'art de la guerre, la défense du terroir incombe à tout citoyen mossi. Il s'agit d'une protection collective des intérêts généraux du royaume tels que les institutions, les biens et services de la communauté et des traditions. La distinction entre civile et militaire telle qu'elle existe dans les sociétés modernes était quasi absente dans la structuration politique du pays. En cas de guerre montre Le Dim le Tansoba ou Tampsoba (ministre de la guerre) prévenait les chefs de canton qui accouraient avec tous les hommes valides et le plus de cavaliers possible. Cela est également confirmé par Cheikh Anta Diop lorsqu'il affirme que « Les Mossi pratiquaient la levée de masse. Le danger passé, chaque citoyen retournait dans son foyer, son village ; l'armée était en quelque sorte dissoute, à l'exception de quelques corps de sécurité »122.

Cette démarche dans leur conception de la défense publique semble, bien à des égards, refléter la théorie machiavélienne de la composition d'une armée nationale volontariste et patriote, dévouée pour la sécurité de sa république. A travers son personnage, Fabrizio Colonna, interrogé par Cosimo Rucellai sur l'entourage d'un roi, il répondit : « les rois, jaloux de leur sécurité, (et il me semble ce fut le cas chez les Mossi) doivent donc composer leur infanterie d'hommes qui, au moment de la guerre, se consacrent volontiers, par amour pour eux, au service des armées, mais qui à la paix s'en retournent plus volontiers encore dans leurs foyers. Il faut, pour cet effet, qu'ils emploient des hommes qui puissent vivre d'un autre métier que de celui des armes ».123

Dans la même lancée et sur la question du choix des soldats, il précise que le service militaire ne requerrait guère, dans le choix de ses hommes, le recru de soldats s'adonnant aux « métiers infâmes ou à des arts de luxe », mais plutôt du service qu'il pourrait rendre. Ainsi dit-il : « il serait ensuite très utile d'avoir un grand nombre de forgerons, de charpentiers, de maréchaux et de tailleurs de pierre. On a besoin de leur métier dans une foule de circonstances, et il n'y a rien de plus avantageux que d'avoir des soldats dont on tire un double service ».124

121 DELOBSOM, L'Empire du Mogho-Naba. Coutumes des Mossi de la Haute-Volta. Paris : Les Editions Domat-Montchrestien, 1932, p.56.

122 Diop, C.A. Op.cit. p.111.

123 Machiavel, N. L'Art de la guerre. Traduction par Toussaint Guiraudet. Paris : GF Flammarion, 1991, p.72

124 Machiavel. Idem, p.83

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Cette tactique Mossi dans la protection citoyenne commune de l'Etat est un fait qui semble s'observer également, à quelques variances prés, dans les cités grecques à l'époque ancienne: VIIe siècle plus probablement, avec surtout la naissance de la phalange et des hoplites. Dans leurs analyses successives de l'évolution de l'armement de la Grèce antique, Marcel Detienne et Claude Mossé font référence à cette nouvelle stratégie d'engagement de la masse dans l'entreprise de la guerre.

Cette nouvelle appréhension de l'art militaire favorisera la naissance du citoyen-soldat, du soldat-paysan et même en le comparant au monde chinois du soldat-fantassin. De ses propres mots, Detienne dira : « ...la fonction guerrière passe des mains des « chevaliers », des Hippeis, dans celles des non-nobles, des paysans petits propriétaires ; [...] ; l'exercice du pouvoir politique est dés lors assuré par un plus grand nombre. Déclin de l'aristocratie, avènement du citoyen-soldat, formation de la cité des hoplites, ... », 125c'est-à-dire de l'ensemble des citoyens en arme. Plus loin il dira dans cette même lancée que : « la nouvelle technique militaire a des conséquences importantes sur le plan social et politique : les paysans sont promus au rang de combattants. [...] ; le privilège de la guerre est enlevé aux nobles qui, seuls, possédaient chars et chevaux, seuls, connaissaient le métier des armes ; ...C'est sur le soldat-paysan que se fonde la nouvelle puissance politique »126.

De son coté, Claude Mossé manifestera la même appréhension de cette nouvelle technique de guerre et des conséquences qui en découlent. A cet effet il dira : « Mais dans le monde grec à partir du VIIe siècle, en liaison évidente avec le développement de la tactique d'hoplite, mais aussi dans un contexte économico-social particulier, s'opère une profonde révolution dont devait sortir la cité grecque. [...] : désormais le citoyen et le soldat ne font qu'un et le citoyen-soldat exerce sa souveraineté aussi bien au sein de l'Assemblée des citoyens en temps de paix, qu'à l'intérieur du camp en temps de guerre »127.

125 Detienne, M. « La phalange : problèmes et controverses ». In Vernant, J.P. Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, op.cit, p.158

126 Detienne, M. Idem, p.176

127 Mossé, C. « Le rôle politique des armées dans le monde grec à l'époque classique ». In Vernant, J.P. Idem, p.292

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D'ailleurs, c'est dans cette même perspective que semble inscrire ici Lefort cette analyse machiavélienne de la disposition des cantons suisses : « De la description de l'ordonnance des cantons suisses, dira t-il, il tire le modèle d'une république vertueuse, sachant allier le sens de l'indépendance à celui de l'égalité, invincible sur son territoire, redoutable à l'étranger parce qu'elle envoie ses propres citoyens au combat ».128

Cette pratique fait quelque part la force du peuple en tant que seul véritable souverain. Armer le peuple ou l'initier à l'art militaire reviendrait à fortifier l'Etat et, mieux, de permettre à la population de porter le fardeau de la sécurité civile et aussi de se responsabiliser devant toute violation des principes du contrat social comme l'abus du pouvoir, la dictature, le non respect des principes démocratiques et de la constitution... Ainsi partout où il sentira sa vie ou ses intérêts menacés, il pourra se révolter et même à en arriver à la désobéissance civile pour ensuite rétablir l'ordre. Parlant des hoplites d'ailleurs, Mossé fera remarquer dans son article « le rôle de l'armée dans la Révolution de 411 à Athènes129 » comment ces derniers justifiaient leur participation: « ...c'était à eux de se plaindre de la cité qui abrogeait les lois de la patrie, tandis qu'eux-mêmes les maintenaient et s'efforçaient de les rétablir ».130

Cette stratégie adoptée pour la défense du terroir et de ses institutions est inscrite dans la conscience publique et constitue un vecteur mobilisateur devant les situations dramatiques qui risquent de porter atteinte à la stabilité du corps politique, à la quiétude et à l'harmonie sociales mais aussi et surtout à la sauvegarde du patrimoine culturel et religieux, du bien commun. Elle favorise aussi la stabilisation des valeurs sociales telles que les droits et les devoirs et par lesquels chaque citoyen tente de se définir à l'intérieur de l'Etat.

128 Lefort, C. Le travail de l'oeuvre Machiavel, Op.cit. p.321

129 Dans cette guerre l'armée de Samos et les hoplites ont réussi à préserver la constitution athénienne en en chassant les oligarques en l'occurrence Phrynichos et ses amis qui en violaient la charte.

130 Mossé. Op.cit. p.293

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Chapitre B : Des principes de désignation des Naba

De toutes les sociétés et à travers les époques, il est d'usage que chaque groupe social se définisse par un système spécifique dans son mode d'organisation social et politique, culturel et religieux surtout en rapport avec la brulante question du pouvoir politique. Le pouvoir, en tant qu'objet de convoitise et étant au coeur des relations humaines, sous-tend des intérêts majeurs et des enjeux divers à tel point que son exercice et son mode de dévolution puisse manifester des différences suivant les périodes, le temps et les milieux. Ce phénomène de délégation varie fréquemment d'une culture à une autre, d'une époque à une autre même si parfois des similitudes peuvent s'opérer suivant les types de sociétés et les régimes en place.

Le savoir transmettre le pouvoir et dans des conditions acceptables ou légales relève d'un certain esprit de maturation et de constitutionnalité d'un Etat. Il est comme le clame-t-on dans le langage politique moderne un instrument de mesure du niveau de démocratie d'un régime politique, religieux et même coutumier. Il est, pour ainsi dire, fondamentale dans la vie d'un Etat car garantissant sa continuité et celle de ses institutions tout en donnant au peuple, en tant que seul souverain, de manifester périodiquement ses désirs de changement ou de conservation d'un régime, de prendre part comme acteur à l'administration de son Etat.

Cependant, chez les Mossi, le phénomène de dévolution du pouvoir est assez complexe car il suppose un ensemble de règles et de particularités normatives qui régissent la dimension du pouvoir. Il reste en partie lié aussi à la nature du pouvoir, entendant par là le religieux et le politique, mais aussi et surtout à la pléthorique de ses chefs et de leurs statuts, à l'histoire et à la structuration des corps étatique et politique. Dés qu'on considère l'aspect hétérogène de sa société et sa configuration politique, on comprend aisément qu'une étude consacrée à son mode de transmission du pouvoir ne peut faire apparaitre que différents formes de procédés. Mais pour ne pas rendre encore la tâche plus complexe, nous essaierons de s'appesantir sur les procédures les plus en vues et les plus usitées c'est-à-dire ceux dont les moose ont fait recours dans la plupart du temps.

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1-De la transmission selon les règles coutumières

Dans toute société organisée, l'entreprise de transfert de compétences ou de transmission du pouvoir plus particulièrement observe toujours un ensemble de règles et de principes qui la régissent. Dans nos systèmes de législation ancienne, ces règles, quoique traditionnelles, définissent les prés requis relatifs à la candidature et aux caractères présidant au choix du futur chef dans le but de statuer sur leurs qualités morales et physiques. Ainsi elles permettaient, dans l'esprit du processus électoral, de reconnaitre aux postulants leur droit de candidature telle que stipulait par la loi pour qu'en fin, après désignation, personne ne puisse souffrir d'injustice parce qu'ayant tous subit la même rude et intransigeante épreuve de la sélection et que la vie de l'Etat puisse continuer sans conflits post électoraux et d'avoir un « bon dirigeant ». Aussi garantissaient-elles à l'élu une notoriété devant le peuple, légitimaient son statut de roi et favorisaient sa suprématie et sa souveraineté à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Etat.

Cette procédure n'épargne guère le système Mossi dans son phénomène de dévolution du pouvoir. Ici, le fait que l'ordre de succession, quoiqu'héréditaire, ne se fasse pas automatiquement131 s'explique par l'existence d'une classe représentative incarnant les règles relatives au fonctionnement du corps politique et de son administration à savoir le Grand Conseil composé de ministres surtout pour la nomination des Dimdamba comme nous le verrons un peu après. Ces derniers sont conseillers et assistants auprès de l'empereur, servent d'intermédiaires entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux et exécutent les décisions. Ce sont eux qui sont chargés des consultations, sélectionnent les candidats et en élisent le plus méritant. Ces principes de désignation du Naba sont communs aux deux familles et font office parmi tant d'autres, de lois constitutionnelles.

Toutefois il faudrait noter au préalable que le titre de Naba est attribué à tout chef administrant une entité politique bien déterminée. Ainsi tout dirigeant, que ça soit un ministre ou un administrateur d'une quelconque circonscription, est, chez les Mossi, appelé Naba et ce terme succède toujours le nom du fief qu'il dirige ; on parlera dés lors de Gambag-Naba pour designer le titre du roi de Gambaga, de Wid-Naba pour le ministre de la cavalerie que l'on traduira littéralement par le « Naba des chevaux » etc.

131 Cf. Cheikh Anta Diop dans L'Afrique Noire Précoloniale, op.cit. p.50 : « La monarchie Mossi est constitutionnelle. L'empereur, le Moro Naba, sort héréditairement de la famille du Moro Naba défunt (XIe siècle probablement), mais sa désignation n'est pas automatique ».

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Les règles donc ou principes préalables relatifs au système de nomination Mossi sont absolument restrictives et très sélectives car discriminatoires. Le principe inaugural dans la procédure de transmission du pouvoir est le sang. « En règle générale, attestent les Archives, dans les sociétés centralisées, le pouvoir est une affaire de famille et se transmet en ligne masculine. Nul ne peut accéder aux charges de gestionnaire du pouvoir s'il n'est établi son appartenance légitime à la famille régnante.»132 Ainsi l'appartenance à une famille dirigeante constitue a priori une dimension opératoire dans le phénomène de délégation du pouvoir. Mais il n'en constitue pas pour autant un critère exclusif.

D'autres procédés sont mis en place et de celles-ci l'on retiendra d'abord celle qui fait référence à la primogéniture en tant qu'elle favorise la naissance et plus particulièrement l'aîné. En principe, elle consiste à dire, chez eux, que l'ainé d'un Naba succède à son père après sa mort ou lui ouvre les portes du pouvoir. Cependant cette règle ne s'applique pas obligatoirement et de façon unilatérale car suivant un certain nombre de mesures avant-gardistes qui la limitent et la régulent comme la proscription de la représentation, la malédiction, la jeunesse. Celles-ci sont surtout justifiées et soutenues par la coutume.

Le refus de la représentation s'explique par cette impossibilité pour un prince de la famille royale, qui, n'ayant pas encore régné venait à mourir avant son père (qui exerce ou a exercé effectivement les fonctions de roi), de permettre à ses descendants de postuler à la magistrature. En ce sens Balima note : « Donc, si un Nabikiinga venait à mourir avant son père, ses droits à être chef disparaitrait aussitôt ; ses fils ne sauraient par conséquent, à la mort de leur grand-père, prétendre représenter leur père et devenir chefs. Ils seraient écartés au profit de leur oncle le plus proche »133. Cela se justifie bien chez eux car dans l'appréhension Mossi de la succession la possibilité pour un prince d'être chef suppose déjà le fait qu'il faut être fils d'un père qui a effectivement régné. De leurs propres adages ils disaient que « pour être « bonnet rouge », il fallait être fils de « bonnet rouge ».

132 Archives, op.cit. p.165

133 Balima, op.cit. p.85

L'autre idée justificatrice de cette règle concerne la malédiction. Elle s'appuie sur cette perception de la tradition qui considère que la mort prématurée d'un prince héritier destiné à régner est due à une absence de protection divine. Par conséquent il est à supposer qu'une certaine malédiction a pesé sur lui et peut affecter ses descendants. Aussi faudrait-il ajouter à cette idée celle qui fait référence à la jeunesse. Dans la coutume Mossi l'on considère les jeunes comme incapables de tenir les rênes d'un pouvoir à cause de leur inexpérience. Pour eux le pouvoir se confie à des mains expertes, à des majeurs qui ont fait l'expérience de la vie.

Le troisième aspect régissant les principes de nomination des Naba concerne la règle de masculinité. Ici il s'agit d'une politique de discrimination fondée sur cette conception faisant des femmes, hormis quelques exceptions, des êtres faibles physiquement mais aussi du fait qu'elle ne puisse avoir plusieurs maris. Cela semble bien se comprendre puisque chez eux le pouvoir s'est acquis et se fonde sur la force, la puissance. L'autre justificatif semble se fonder sur le fait que les Mossi donnent beaucoup d'importance à la polygamie. Un Naba, estiment-ils, doit avoir plusieurs femmes en vue d'avoir beaucoup de descendants et, à partir des unions qui pourraient se sceller ultérieurement entre parents, se procurer des alliées politiques gage de sécurité et de protection future.

L'autre exigence coutumière est la soumission de la part des chefs, une fois élus, devant les lois ancestrales et de procéder au ringu, sorte de rituel, un pèlerinage dans les différents sanctuaires du royaume en quête de légitimité. Pour Savonnet-Guyot, le ringu est « tout à la fois voyage d'initiation et quête de légitimité. Pour qu'un naaba puisse un jour transmettre le naam à ses descendants, il doit entreprendre, après son élection, un pèlerinage qui le conduira d'ouest en est sur tous les lieux historiques [...] et tous les lieux saints [...] qui relèvent de son commandement ».134

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134 Savonnet-Guyot. Etat et Sociétés au Burkina, op.cit. p.227

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2- De la dévolution suivant la nature du pouvoir et le statut du chef

Ce model de transmission du pouvoir se fonde plus spécialement sur le principe de la dignité comme principe présidant au choix des Naba et atténuant la règle de la primogéniture. Ici tout repose sur le mérite du Naam et le savoir c'est-à-dire la capacité à satisfaire les attentes de la fonction et de la nature du pouvoir qu'on brigue. Comme nous le savons bien, les conquérants édificateurs de l'Etat Mossi se sont arrivés au pouvoir par la force des armes, la conquête militaire et par alliance puisque c'est dans le consensus que les autochtones et les guerriers ont fondé le pouvoir.

Ainsi les quatre chefs des quatre principaux royaumes, considérés souvent comme des Dimdamba (un roi à l'image de Dieu) car ne faisant allégeance qu'à Dieu, sont élus par le Collège électoral établi dans la capitale avec ses quatre grands dignitaires. Les chefs intermédiaires ou petits chefs, communément appelés Dimbi sont, par contre pour la plupart nommés par le l'empereur suivant les règles établies à cet effet. Ces derniers nomment, suivant les mêmes principes, les chefs de province qui, à leur tour, ceux des villages et ainsi de suite. Ce procédé suit la cohérence ou la logique de l'ordre d'importance des autorités dans l'architecture politique et étatique de l'administration Mossi.

La nomination d'un chef suppose pour tout chef sans exception l'incarnation de valeurs humaines inhérentes au corps social. La courtoisie, la patience, l'auto-domination et l'auto-commandement, le savoir surprendre, la maitrise de soi, l'écoute et le respect des anciens et de la tradition... sont autant de qualités que doit recouvrir un prétendant pour mériter le pouvoir. Elles permettent tout de même de procurer au chef un respect et une considération de l'opinion publique. Parlant des qualités d'un roi chez les Mossi et de la procédure adoptée dans la transmission du pouvoir, Cheikh Anta Diop dira : « Le conseil qui se réunissait pour investir le roi (Moro Naba) examinait, en réalité, le degré de légitimité des différents prétendants : il ne s'agissait pas d'une élection, ce terme est abusif car on était obligé, après un examen savant et complet de chaque cas, de designer, non pas d'après ses préférences, mais en vertu de la tradition, celui qui réunissait l'ensemble des qualités requises ».135

135 Diop, C.A. L'Afrique Noire Précoloniale, op.cit. p.65

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Néanmoins il faudra ajouter que dans l'imaginaire politique des peuples moose, même si, le pouvoir se fonde sur la naissance, il pouvait se perdre ou se transmettre en dehors des circonstances normales. Aux dires de Savonnet-Guyot « le Naam s'acquiert par naissance et se perd par accident, parce que le pouvoir a échappé au groupe de descendance auquel on appartient ou parce que le territoire qu'on commandait a été absorbé par un royaume voisin plus puissant ».136 Ceci constitue une possibilité concernant une autre manière, un peu différente des modes habituels, de transmission ou de perte du pouvoir car pouvant intervenir dans des situations imprévues.

Un autre fait relatif à l'histoire de la succession des rois Mossi au trône atteste aussi de cette faillibilité de ce principe de la dignité et des règles en générale de la transmission du pouvoir. Ainsi il est arrivé qu'un peul, auparavant conseiller politique de la cour, un non descendant de la classe noble ait accédé à la souveraineté en passant par des subterfuges et stratégies ; ce qu'atteste ici Balima. « A la mort de Nâba Oubi, dit-il, le conseiller peul, grâce à mille et une manoeuvres, toutes hautement dolosives, put faire écarter à l'unanimité tous les candidats, [...], puis à la satisfaction générale, il fut élu, à l'unanimité, Moog-Nâba, sous le nom de Nâba Moatiba.»137 Cette limite du principe de la dignité justifie le fait que le pouvoir, en tant qu'objet de convoitise, peut échapper parfois au contrôle, aux règles et normes établies en vue de sa canalisation.

Aussi faudrait-il noter dans cette même lancée que, malgré toutes les mesures existantes, non seulement pour la stabilité sociale mais aussi et surtout pour la réglementation du processus « électoral » -supposant ici l'avant, pendant et l'après-, des perturbations à l'ordre public pouvaient se manifester notamment durant la période de transition, plus précisément avant que le nouveau élu ne soit totalement intronisé. Ainsi le pays sombre dans l'anarchie, le temps de rétablir l'ordre lequel coïncide avec l'installation du Roi ; ce que fait savoir d'ailleurs Delafosse : « pendant tout le temps que durait l'interrègne, le pays était plongé dans la plus complète anarchie : chacun avait le droit de tuer, de piller et de voler à sa guise; [...]. A partir du moment de la proclamation du nouvel empereur, les troubles de l'interrègne prenaient fin »138.

136 Savonnet-Guyot, op.cit. p.96-97

137 Balima, op.cit. p.87

138 Delafosse, M. op.cit. p.133-134

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En effet, il me semble qu'on ne saurait parler de ces mesures principales et de ses limites sans évoquer, toutefois, la pertinente question de la destitution. Est-il possible de révoquer un roi dans le système de gouvernance moose ? Comment s'y prendre et quelles mesures sont-elles envisagées devant une telle entreprise ? Dans quelles conditions et suivant quels cas une telle procédure est-elle légale et légitime ?

Fondamentalement la conception que les Mossi se font de leurs chefs, la place qu'ils occupent dans la hiérarchie sociale, la soumission et le respect qu'ils leur vouent est inconcevable avec l'idée de destitution ou de résiliation du contrat qui leur lie à leurs souverains. Dans la mentalité moose, la fonction du roi est sacrée parce qu'il émane de Dieu. Même mauvais ou chassé du pouvoir par une force étrangère plus puissante ou une révolte populaire, tant qu'il est en vie, le chef reste et demeure chef. « Nés pour le pouvoir, ils [les rois mooses] n'y renoncent, dira un proverbe mooga, que sept jours après leur mort. » Il est donc clair qu'en théorie cette question ne se pose pas car à en croire Balima : « lors de son intronisation, on l'a douché avec la Naam koom ou l'eau de la royauté qui est un liquide sacré, une mixture dont tous les éléments ne sont pas connus du commun, conservée depuis des siècles, et dont le contact est censé transformer l'être »139.

Cependant cette révocabilité quasi impossible en principe peut s'avérer possible dans les faits et en rapport avec certaines circonstances. Au moment où il est constaté et prouvé que le chef ne parvient plus à remplir normalement sa fonction à cause de défauts physiques ou mentales, il est procédé au meurtre rituel et à la nomination d'un prince potentiel. L'autre cas pose la question du caractère moral de la personnalité du chef. S'il est avéré qu'il commet des actes indignes et des forfaitures, soit en asservissant les hommes libres ou nobles, en s'adonnant à des pratiques malsaines comme entretenir des relations sexuelles extra conjugales, soit en ne respectant pas la tradition, la coutume exige qu'il soit démis de ses fonctions. Là, le Collège se réunit discrètement et surement pour designer un nouveau chef et préparer des stratégies permettant de le bouter hors du royaume.

139 Balima, op.cit. p.88

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L'ensemble de ces mesures stratégiques, me semble-t-il, ne sont justifiables et compréhensibles que dans le contexte et le milieu dans lesquels ils se sont rendus opératoires. L'exclusion des femmes et le système de primogéniture, appréhendés dans nos sociétés actuelles, surtout avec les principes d'égalité de droit, de parité, certains aspects de la question de la destitution..., risquent d'être inopérants et caduques. Par contre le principe de dignité, et certains points sur les principes de dévolution du pouvoir, avec toutes les valeurs humaines, éthiques et morales qui tournent autour, méritent réflexion pour être au coeur des règles qui président à la sélection des candidatures de nos chefs d'Etat et tenter de résoudre, à bien des égards, les conflits postélectoraux qui minent le champ politique de nos Etats modernes et surtout en Afrique.

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CONCLUSION

Tout au long de cette étude, il a été question pour nous d'analyser le rapport parenté/pouvoir dans l'organisation politico-sociale et administrative de la société traditionnelle Mossi et de traiter des enjeux philosophiques et des stratégies qui en résultent. Notre prétention a consisté de même à voir l'impact politique que ce rapport pouvait favoriser dans la fondation de l'Etat, la gestion du pouvoir, l'harmonisation de la vie commune à travers un respect et une soumission totales de tout le peuple et de tous les mandatés du pouvoir devant les lois établies fondées sur la coutume et dont le principal garant est le Mogho Naba, chef de l'univers.

Cette corrélation parenté/ pouvoir ne relève point d'une subordination unilatérale de l'un par rapport à l'autre et vice versa ni d'un rapport de domination absolu et désuet mais d'un rapport de force justifié et fondé sur une politique de légitimation et de légalisation dont la finalité fondamentale semble être la fondation d'un Etat fort, un « Etat de droit » susceptible de garantir la vie commune d'un peuple foncièrement hétérogène, son bien être, sa sécurité et sa survie ; et cela, même en dépit de l'absence de code écrit matérialisant la constitution.

Cela n'exclut en rien le fait que cette gestion du pouvoir, qui du reste a toujours été fréquent dans les sociétés négro-africaines, présente des insuffisances, des ruses et des intentions toujours inavouées comme d'ailleurs dans toute entreprise politique et exercice d'un pouvoir. Ce qu'il importe vraiment de retenir à cet effet, c'est que quels que soient les méthodes et les moyens dont use un souverain pour conserver un pouvoir ou gouverner une société, son objectif final, semble t-il, est de parvenir à la réalisation d'un cadre de vie harmonieux de respect des libertés citoyennes, de sa propre sécurité et de celle de son peuple. Quelle que soit sa coloration religieuse et son statut divin, un monarque ne peut avoir d'intérêts particuliers contraires à ceux de sa société, de son terroir, bref de l'ensemble dont il fait partie ; il est par nature un « animal politique » dans son acception la plus générale chez Aristote. Il s'agit donc pour nous de dire que les notions de complémentarité, d'interdépendance et de réciprocité régissent tout système politique, tout rapport de force entre chefs et peuples, entre gouvernants et gouvernés, entre bien et mal, entre maitres et esclaves...

111

Ce travail, loin de se soumettre à une description des modes de gestion politique ou à une étude historique du passé des peuples du royaume burkinabé ou à une critique subjective, obéit, nous semble t-il, à une analyse philosophique consistant à déceler dans cet univers politique en apparence chaotique l'ensemble des modalités de l'exercice traditionnel d'un pouvoir fondé, non pas sur un contrat imaginaire, mais sur la conquête, la violence et des enjeux susceptibles d'y être décelés. Il s'agit donc à la fois d'un réexamen en détails et d'une évaluation analytique de l'ensemble des procédés de gestion du pouvoir et de la structuration politique, sociale et administrative de l'Etat dans le but de lever toute ambigüité ou confusion, tout malentendu ou tout préjugé négateur de la capacité des peuples africains traditionnels à assumer leur destin, à s'organiser politiquement. Il consiste aussi à mettre à jour, comme l'ont déjà fait bon nombre d'intellectuels africains depuis les débuts de la période post coloniale, un éveil philosophique pour l'accaparement par les peuples africains de leurs patrimoines ancestraux et de l'adapter aux réalités socio-économiques et politiques au lieu de se morfondre dans l'imitation, la copie et la dépendance sur tous les plans.

Les problèmes actuels de l'Afrique reposent sur la difficulté à fonder et à solidifier un Etat-Nation digne de ce nom, un Etat suffisamment autonome et fort pour venir à bout des guerres ethniques, tribales et interreligieux du fait de l'absence de politiques susceptibles de réduire l'hétérogénéité de sa population, d'assurer l'unité et l'intégrité territoriales ; question qui, pourtant, s'est posée dans la vie politique de nos anciens royaumes et résolue, me semble t-il, à bien des égards. Leurs institutions, comme nous l'avons vu avec le royaume du Mogho Naba, quoique traditionnelles et à ce stade reculé de l'histoire de la pensée humaine - l'époque féodale- se sont manifestées avec éclat par leur capacité à remplir entièrement leur fonction policière et à garantir l'ordre, la justice et la paix civile.

De nos jours les questions africaines suscitent un intérêt et des interrogations non négligeables dans la géopolitique mondiale. Il se pose dans la plupart des Etats africains modernes, les problèmes liés à la puissance de l'Etat c'est-à-dire à sa difficulté à coordonner les différentes formations sociales préexistantes et l'incapacité de socialiser l'ensemble multiforme de sa population, du développement, du politique et de la justice surtout dans cette période de néocolonialisme.

112

Il devient alors urgent pour les africains et les organisations internationales de revisiter et de repenser les valeurs traditionnelles afin de réduire la distance entre la campagne et la ville à travers une politique de décentralisation des compétences, d'encourager l'intégration sous régionale et régionale vers un processus de réconciliation de l'Afrique avec elle-même et pour cela se soustraire des intérêts particuliers, privés et égocentriques qui gangrènent l'Unité africaine. Aussi les Etats africains doivent-ils poser le débat sur le concept « Etat-Nation » et de se soustraire de toute pression ou orientation étrangère comme l'a bien posé d'ailleurs Claudette Savonnet-Guyot :

« A l'heure aussi où la crise de l'Etat africain suscite plus de totalitarismes que d'élans vers la démocratisation, sans doute est-il opportun de se souvenir de ces sociétés qui ont été des sociétés politiques, maîtresses de leur destin parce qu'elles avaient le contrôle de leur production économique et des règles institutionnelles qui assuraient leur production sociale. Aujourd'hui, privées en quelque sorte de leurs droits politiques, elles se voient imposer un ordre juridique, économique et social qui réduit comme peau de chagrin leurs possibilités d'initiative et leur domaine d'intervention ».140 Ce qu'elle entend ici c'est la nécessité pour les Etats africains de jeter un regard sur les traditions politiques afin d'en tirer quelques enseignements utiles pour sa survie.

En définitive, ce qui importe ici c'est l'invention par les sociétés traditionnelles africaines en particulier chez les Mossi d'une manière propre de faire la politique et de l'adapter à un environnement pas totalement maitrisé et où les risques de troubles et de soulèvements sont inscrits au coeur du vécu quotidien. Elle constitue une réponse par rapport aux différentes et multiples difficultés que posent les réalités naturelles. Ainsi il reviendrait à nos Etats modernes en général d'inventer ou de réinventer l'art politique en tirant de la tradition des valeurs universalistes non mimiques et à nos intellectuels, de même qu'à tout africain, « d'avoir la patience de reprendre l'ouvrage ; la force de refaire ce qui a été défait ; la force d'inventer au lieu de suivre ; la force d'imaginer notre route et de la débarrasser des formes toutes faites, des formes pétrifiées qui l'obstruent ».141

140 SAVONNET-GUYOT, Claudette. ETAT ET SOCIETES AU BURKINA, Essai sur le politique africain. Paris : Editions KARTHALA, 1986, p.13.

141 Ziegler, J. Le pouvoir africain .Éléments d'une sociologie politique de l'Afrique noire et de sa diaspora aux Amériques. Paris : Editions du Seuil, 1971, p.215

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Cela, me semble t-il, ne pourra passer forcément que par l'intégration des peuples, l'unité des Etats dans la lutte contre le néocolonialisme, la culture de la force économique et de la puissance politique, le risque dans la prise de nouvelles voies, de nouvelles techniques, de nouvelles formes d'organisation adaptées à la civilisation africaine, le refus du mimétisme, du dictat extérieur, le rejet de l'état de survie et de la dépendance. Aussi devrons-nous libérer et faire participer les campagnes dans les politiques de développement, ouvrir les esprits à la responsabilité collective, briser et reconstruire l'administration, revaloriser l'esprit armé-nation comme dans un style sankarien à coloration Mossi : « plonger notre armée dans le peuple par le travail productif et lui rappeler incessamment que sans formation patriotique, un militaire n'est qu'un criminel en puissance... ».142

Il s'agit donc d'une invention d'une nouvelle culture africaine libératrice et progressiste, déterminante pour le progrès social et culturel, économique et politique du continent et cela passe surtout par la révolte, le refus car comme l'a définit Heidegger : « la culture d'un peuple, c'est d'abord cela : le refus du néant, la révolte devant l'inadmissible scandale de la mort. La revendication obstinée, inutile, de l'éternité »143. Ainsi une véritable entreprise de réécriture de l'histoire digne de l'Afrique et par les Africains eux-mêmes s'imposerait et constituerait, de ce fait, le leitmotiv dans la réhabilitation d'une vie digne et la source d'inspiration à partir de laquelle ses fils devront et pourront puiser des richesses spirituelles et des motifs d'existence.

142 Ce dernier paragraphe est inspiré du Discours de Thomas Sankara tenu le 04 Octobre 1984 à New York lors de la 39e Assemblée Générale de l'ONU.

143 Heidegger, M. Chemins qui mènent nulle part. Traduit par Wolfgang Brokmeier, édité par François Fédier. Paris : Gallimard, 1962, p. 32-33. Repris par Ziegler, La victoire des vaincus, op.cit. p.31

114

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118

TABLE DES MATIERES

Introduction 4

PREMIERE PARTIE: GENESE ET FORMATION DE L'ETAT 10

Chapitre A: La question de l'origine de l'empire et des peuples Mossi: la réalité du

mythe 15

1-La théorie du mythe fondateur 17

2- De l'interprétation et de l'intérêt politico-philosophique du mythe 22

Chapitre B: Du processus de formation de l'Etat 34

1- De la guerre comme politique de socialisation 37

2- Des politiques d'insertion sociales 45

DEUXIEME PARTIE : DES RAPPORTS ENTRE PARENTE ET POUVOIR 53

Chapitre A: La question de la parenté dans le système politique Mossi 54

1- Approche définitionnelle 55

2-Parenté et exercice du pouvoir 60

Chapitre B : Enjeux philosophiques et politiques du rapport parenté/pouvoir 66

1- De la centralisation du pouvoir: force de l'Etat 67

2- De la décentralisation du pouvoir: puissance sociale 80
TROISIEME PARTIE: DE LA « PHILOSOPHIE MOSSI »DE LA

GOUVERNANCE 88

Chapitre A: De l'effectivité de l'Etat et du système de dévolution du pouvoir 89

1-De l'agencement du corps politique 90

2- De la structuration du corps étatique 95

Chapitre B: Des principes de désignation des Naba 102

1-De la transmission selon les règles coutumières 103

2- De la dévolution suivant la nature du pouvoir et le statut du chef 106

CONCLUSION 110

BIBLIOGRAPHIE 114

Table des matières 118






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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire