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Pouvoir politique et parenté dans le système Mossi.

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par Ndigue Faye
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master II 2011
  

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2- De l'interprétation et de l'intérêt politico-philosophiques du mythe

A l'instar du Révérend Père Placide Tempels qui, dans sa Philosophie Bantoue, est arrivé à reconsidérer sa méthode face à la question bantu, une étude sur la politique traditionnelle africaine ne peut faire l'économie des lieux où sont consignés durant des millénaires l'expérience acquise à savoir les «formes symboliques»: contes, proverbes, légendes et mythes pour comprendre le tréfonds culturel de ses peuples. Notons en passant que même si l'occident nous a habitués à mépriser ces sources orales et lui-même à discréditer le mythe au XXe siècle, en y voyant qu'une pseudo-histoire, du folklore, il n'en reste pas moins vrai qu'ils ont toujours resté et demeureront des outils non négligeables dans les études relatives à l'Afrique tout comme la mythologie grecque a joué un rôle essentiel dans l'élaboration de la philosophie grecque et de la pensée moderne même si elles adoptent des procédures différentes et que, par la suite, une rupture a été observée.

Toutefois une certaine continuité s'opère entre les deux disciplines concernant le domaine théorique, celui du savoir de l'origine et de l'Absolu aussi bien dans la sphère négro-africaine que celle occidentale comme l'atteste d'ailleurs Alassane Ndaw : « On peut dire qu'historiquement la pensée philosophique est née du mythe. Mais mythologie et philosophie sont deux démarches différentes, deux « Paroles fondamentales » qui sont à la fois en rupture et en continuité »24 Parlant à cet effet de « La fonction guerrière dans la mythologie grecque », Francis Vian, s'opposant à cette défaveur dont ont fait l'objet les récits légendaires, dira : « les légendes sont la transposition dans le temps du mythe des sentiments et des conceptions des peuples qui les a imaginées et ce reflet demeure assez fidèle même à travers les remaniements des poètes et des mythographes ».25

En effet, il semble que l'exigence de rationalité ne pourrait faire fi à cette masse de mythes et de légendes qui régissent la réalité africaine par la révélation des événements historiques- lesquels sont l'oeuvre de l'homme- tels qu'ils se présentent dans la fondation des sociétés comme le montrent ici ces propos de Jean-Pierre Chrétien : « c'est le concept même d'origine qu'il faut remettre en cause ; l'histoire ne connait pas de point zéro d'où tout partirait, sinon dans nos rêves ».26

24 Ndaw, A. La pensée africaine. Recherches sur les fondements de la pensée négro-africaine. Dakar : Les Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, 1997, p.265

25 Vian, Francis. « La fonction guerrière dans la mythologie grecque », in Vernant J-P. Problèmes de la guerre en Grèce ancienne. Paris : Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1999, p.67

26 Chrétien, Jean-Pierre. Cité par Elikia Mbokolo. Afrique Noire. Histoire et civilisation ; t.1, jusqu'au XVIIIe siècle. Paris : Hatier, Nov.1995, p.123

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Il n'est nullement ici question d'une tentative de justification ou de réhabilitation d'une pensée ethnophilosophique et de ses fondements ni une prétention à fournir entièrement l'état de la question. Il s'agit d'un travail d'analyse et d'interprétation. Nous savons que cette dernière, en ce qui concerne les mythes et les légendes, est plus ou moins hypothétique. C'est pourquoi elle nous obligera, en ce sens, à faire des confrontations dans le but d'en saisir les enjeux philosophiques et sociopolitiques et les contenus sémantiques.

En effet le mythe, en tant que récit imaginaire traditionnel, s'offre à nous sous une forme abstraite et tente d'élucider le plus souvent, à travers les prouesses d'acteurs légendaires, l'origine et la destinée des phénomènes naturels- naissance du monde, de l'homme, des institutions... d'où l'expression de «mythe fondateur». En ce sens c'est à la réponse à des questions éminemment philosophico-métaphysiques et sociologiques telles que: « qui sommes nous ? » « D'où venons-nous ? » Ou plus spécialement « qui suis-je ? » que semble renvoyer les interrogations mythiques. Tout comme la légende, il constitue dans la tradition orale un domaine privilégié de savoir recouvrant une dimension rationnelle à la fois théorique et pratique dans l'explicitation du réel, la formulation de l'origine et/ou du fondement des sociétés historiques, des hommes.

Dans sa manière de rapporter théoriquement les événements historiques, il se présente sous une forme abstraite, comme le résultat d'une anamnésie, ce qui fait qu'il est le propre d'initiés car étant sous le contrôle de la sacralité et du secret. En ce sens Mamoussé Diagne considérera que l'aspect différentiel qui régit le mythe et les récits initiatiques par rapport aux autres genres de textes oraux « semble résider dans le fait que les événements qu'ils rapportent, quoique concernant de façon vitale une société, transcendent toute expérience historique ».27 C'est justement à cet écart qui s'opère entre le passé et le présent, entre l'individu et son ancêtre que tente de réduire ou d'effacer théoriquement le discours oral mythique et ceci par une approche asymptotique dont la conséquence immédiate est de corréler ou de confondre en l'auditeur et dans un même instant «t» ces deux temps. L'individu se trouve ainsi dans une position de conformité avec son passé qu'il se représente et se retrouve dans toute la plénitude de son existence.

27 Diagne, Mamoussé. Critique de la raison orale. Les pratiques discursives en Afrique Noir. Paris : Editions Karthala, 2005, p.157

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Cette invocation du passé par le discours mythique se caractérise par une sorte de fuite, de rupture par rapport à la quotidienneté, une mise en parenthèse des dimensions spatiale et temporelle. L'individu à qui est rapporté le récit s'évade de la lourdeur et de l'ignorance du présent pour coïncider avec un passé qui rappelle l'origine et les valeurs de l'existence humaine. Cette contemporanéité du passé et du présent dans l'individu ne peut avoir comme conséquence que cette victoire, ce déterminisme sur l'espace-temps et constitue le vivier justificateur de la vie présente et future.

S'inspirant peut-être d'Aristote qui, dans son épistèmê, marquait un degré de supériorité de la théorie sur la pratique car y voyant le domaine par excellence d'exercice de l'homme libre, on a longtemps considéré la pensée africaine comme rebelle à toute spéculation intellectuelle purement théorique exempte de souci pratique. La vérité est que le savoir théorique en Afrique traditionnelle est toujours subordonné à la pratique, à l'utilité sociale. « Les penseurs africains traditionnels, dira Alassane Ndaw, n'accordent jamais à la réflexion théorique d'autre fonction que celle d'organiser et de justifier cette connaissance, toute orientée vers le maintien de la société et la légitimation du système de valeurs qui détermine le fonctionnement de cette société. Ainsi la réflexion théorique se soumet en toutes circonstances aux exigences de la pratique sociale. »28

Cet aspect idéo-pratique du mythe revêt un sens particulier dans la mesure où il fait intervenir l'homme dans la narration des valeurs constitutives de son aventure aussi bien quant à sa réception que sa transmission, mais du même coup le réintroduit dans son passé tout en le faisant coïncider avec son identité originel, son essence. Cette particularité fera dire à Louis-Vincent Thomas- repris ici par Mamoussé Diagne- que : « le mythe, système et mode de connaissance, devient, presque toujours, le modèle qui structure l'action : le rite de passage par exemple n'est rien d'autre que la reproduction du mythe de la création ».29

Outre cela, le mythe recouvre essentiellement une dimension métaphysico-dogmatique dans sa fonction de rappel du passé et sa transmission de savoir. De par sa nature transcendantale à l'expérience humaine, il constitue une forme de savoir théorique qui n'est pas sujette à la remise en question, à l'examen du doute car il est la mémoire d'un peuple et donne sens à sa vie.

28 Ndaw, A. Op.cit. p.63

29 Diagne Mamoussé. Op.cit. p.160

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C'est pourquoi il fait l'objet d'une narration littérale, d'un compte rendu fidèle de l'histoire car il est la vie même, la vérité du peuple. Ecoutez ! Ecoutez ! Et transmettez fidèlement ! Telle est l'assertion inaugurale du compte rendu de l'origine sur les peuples et l'Etat Mossi ; du moins telle que rapportée par Balima.

Rapportant un propos de Louis-Vincent Thomas qui considérait le mythe comme le fondement de la « littérature sacrée, ésotérique » et disait qu'il jouait le même rôle, dans les civilisations orales, que le dogme des religions liées à l'écriture, Mamoussé Diagne soutiendra : « Discours dont la caractéristique essentielle réside dans la non-discursivité, le récit mythique est, de ce fait, soustrait à la possibilité de la contestation. L'autorité dont il est investi lui vient, en partie, de son immutabilité et de sa stabilité non sujettes à révision: il ne dit pas seulement la vérité, il est la vérité première dans tous les sens de ce terme. Il est, à ce titre, parole fondatrice de toute vérité ».30 Cela conforte bien notre idée consistant à dire que ce qui fonde la légitimité du mythe et de son discours réside essentiellement, non pas du seul fait qu'il se rapporte à l'histoire lointaine du groupe, mais de son ancienneté et de sa capacité à médiatiser ce passé et à le rendre actuel. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il se voit comme dogmatique en récusant toute tentative de modification ou de falsification ; il est de ce fait le passé même et la raison d'être du groupe.

Tout comme l'écriture dans son rôle de consignation des données historiques et de support référentiel dans la stabilisation et la garantie des acquis gnoséologiques, le mythe, dans sa forme orale constitue pour la tradition le réceptacle, la mémoire, le « lieu clos », la bibliothèque où sont «archivées» l'identité originelle et toute l'histoire du peuple. A cela il faut ajouter le recours à la mise en scène du discours mythique, de l'image comme lieux d'appréhension des réalités abstraites et comme procédé de gestion de la Mémoire dont l'objectif tourne autour de l'instruction voire de l'éducation mais aussi et surtout du refus de l'Oubli et d'une existence nulle et vierge et donc sans culture. C'est ce refus d'ailleurs que tout peuple a tendance à faire prévaloir dans ses oeuvres culturelles que ça soit avec les symboles- temple, musée, statut..., les oeuvres d'art, les paroles, les contes, les mythes...

30 Idem. p.161

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Ainsi comme l'a si bien montré Ziegler, ils « donnent à voir la culture d'un peuple. Face au chaos des jours elles établissent la permanence. Face au néant, elles créent et ordonnent un monde de beauté, de raison, de sens. L'ordonnance amplitude de ce monde s'oppose au nocturne chaos, au désordre, au néant »31. Il s'agirait donc là d'un souci de rejet, de révolte contre l'acculturation ou plus spécialement d'une méthode -d'ordre pédagogique ou mnémotechnique selon Mamoussé Diagne- consistant à adapter le discours au niveau de compréhension de l'auditeur afin qu'il puisse en saisir le sens et la portée. Toutefois, en dépit de sa fonction d'instruction, de remémoration qui, comme dans une civilisation écrite est accessible à la majorité des esprits et susceptible d'être commenté, le discours mythique, relégué au rang de sacré, de rituel, fait du sujet, en l'occurrence du griot, un simple rapporteur, un «récitant» et de l'auditeur un receveur parfois incapable d'en saisir le fond et pour qui une procédure méthodologique de compréhension va être mise sur pied.

Du fait de son caractère confidentiel, Mamoussé Diagne montrera qu'« intégré dans la clôture de l'initiation et du rituel, le mythe est réservé à une élite et protégé par la règle du secret ».32 Ces propos font par ailleurs échos à ceux d'Alassane Ndaw quand il s'interrogeait sur sa forme et suggérait son caractère ambivalent: « N'est-il pas à la fois révélant et cachant, informant et dérobant, mais aussi disant et donnant la mesure de son savoir, c'est-à-dire interdisant toute spéculation par une interprétation fixe, ne souffrant que la répétition et éloignant, par avance, toute tentative de mise en question, épreuve, développement, vérification de ce savoir ? »33

Cela se comprend mieux si l'on se réfère au rapport que le mythe d'origine entretient avec l'histoire du fait qu'il exerce une action déterminante non seulement sur la manière de fonder la société et de concevoir les institutions mais aussi sur la façon de modeler les objets utilitaires mais aussi à l'idéologie traditionnelle qui le réduit à la sacralité. Si « toute science véritable, comme le disent les griots traditionnalistes, doit être un secret » 34; celui-ci est, par conséquent, détenu par l'élite à l'instar des initiés et des griots, lesquels sont seuls capables d'en dé-voiler les mystères, les structures internes et les enjeux. En ce sens Mamoussé Diagne, montrant la spécificité même de l'acteur dans sa mission de rejouer le mythe, montrait que c'est la raison pour laquelle le statut d'acteur, et même celui du simple auditeur,

31 Ziegler, J. La victoire des vaincus. Oppression et résistance culturelle. Paris : Editions du Seuil, Janvier 1988, p.31

32 Diagne, Mamoussé. Op.cit. P.157

33 Ndaw, Alassane. Op.cit. p.81-82

34 Niane, Djibril Tamsir. SOUNDJATA ou L'EPOPEE MANDINGUE. Paris : PRESENCE AFRICAINE, 1960, p.7

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n'était pas donné à tout le monde et que c'était le résultat d'une ascension progressive, d'un véritable « percement des oreilles », et la possession d'une « tête chanceuse ».

En effet, pour mieux saisir cette complicité entre mythe et histoire, faisons une petite incursion dans la fonction traditionnelle des griots. Ceux-ci n'ont toujours pas été dans la société africaine de simples quémandeurs pour leur survie ni de simples orateurs ou conteurs mais par la magie de leur verbe et de leur science, par leur capacité à dé-coder cette longue histoire fondée sur des formules et des légendes abstraites qui échappent à l'opinion, par leur pouvoir à inscrire cette scène dans un contexte propice et à discriminer leurs acteurs et leurs auditeurs, par leur force à re-jouer ce passé et à le conformer aux exigences du présent, ils « étaient, autrefois, les Conseillers des rois, ils détenaient les Constitutions des royaumes par le seul travail de la mémoire ; chaque famille princière avait son griot préposé à la conservation de la tradition ; c'est parmi les griots que les rois choisissaient les précepteurs des jeunes princes ».35

Ainsi la fonction du discours mythique, à travers et au-delà des différentes procédures relatives aux exigences de rationalité et de méthode, dépasse largement le simple souci pédagogique. En effet il constitue, non seulement, dans sa forme imagée, un cadre stratégique soucieux d'originalité et d'efficacité dans la propagation du patrimoine culturel des acquis théoriques comme pratique au cours de l'histoire du peuple, mais aussi et surtout une réponse intellectuelle et existentielle.

Il semble donc être l'identité du peuple, la référence permettant à tout un chacun de s'autosaisir et de se retrouver afin d'épouser son passé, de savoir son héritage à travers le récit de la gloire des pères fondateurs et des valeurs ancestrales. Il constitue de ce fait une sorte de thérapie de l'âme, de la conscience dont l'intérêt portera sur le déploiement libre de l'individu au contact d'autres identités.

Le savoir de l'origine, explicité par le mythe, constitue pour l'individu une nécessité. Il permet à une société, à l'homme particulier d'avoir des raisons de vivre, des valeurs, des références à atteindre dans sa tension vers la quête de la vérité. Car comment peut-on se manifester dans le monde sans tension vers un idéal ? Comment l'existence humaine peut-elle être appréhender sans la compréhension du passé des l'instant que la vie semble être un eternel recommencement, une véritable continuité ?

35 Idem, p.5

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Il me semble que c'est en se posant d'abord comme identité particulière- identité propre- laquelle se définit par la question « qui suis-je par rapport à moi-même ? » que l'individu puisse se poser lui-même tout en se distinguant pour pouvoir s'affirmer devant l'autre et acquérir une pseudo-identité c'est-à-dire une identité dans la différence :« qui suis-je par rapport à l'autre ? ». C'est en affirmant son identité que l'individu découvre du même coup celle de l'autre. Cette dernière a une valeur morale dans la mesure où elle pose le problème sur la façon de vivre devant l'autre- questions relatives au respect mutuel, à la reconnaissance de la dignité, du droit, à l'humanité- avec qui vous partagez d'abord l'espace géographique et temporelle mais ensuite et surtout les rapports à la vie.

Dés l'instant que, dans la marche de l'Histoire, les perspectives en matière de politique, de projets de société et d'économie deviennent des enjeux inaltérables, l'identité propre, tout comme les intérêts particuliers doivent s'affaisser, se réduire et se confondre dans la différence, la formation d'un seul corps indivisible, garant de la liberté et de la survie mais aussi de la reconnaissance de soi. Comme nous le verrons dans la suite de ce travail, la nation Mossi s'est concrétisée par cette incorporation des sociétés identitaires acéphales dans la constitution de l'Etat. Ceci nous permettra ici de faire un débordement dans le rapport qu'entretiendraient le mythe et la politique dans le but de cerner plus particulièrement leur impact dans le processus de fondation de l'Etat Mossi.

Une lecture trop linéaire ou empirique des récits mythiques pousse le plus souvent, consciemment ou inconsciemment, à une conception trop réductrice de simple descripteur ou de rapporteur d'événements historiques épars et sans objet prédéfini. En effet l'interprétation que nous avons faite de ce récit sur les peuples et la nation Mossi nous autorise à penser qu'à l'instar des mythes de fondation des Etats africains, il s'agit moins d'une prétention de description dont la véracité est des plus inconséquentes que d'un texte idéologique et pratique qui use parfois des faits événementiels pour expliquer, tout en légitimant la création d'un nouvel ordre politique et les ambitions de ses détenteurs.

On comprend mieux cet aspect de la fonction du mythe si l'on se réfère à la manière dont les Mossi ont effectué le passage du non-Etat à l'Etat. Celui-ci, se faisant par les voix des armes et de la persuasion, se voit à travers la dimension politique du mythe comme la mise en évidence de la conception traditionnelle du pouvoir, la façon de l'acquérir, de le conserver, de le transmettre ou de le perdre. Qu'il s'agisse de Soundjata dans l'édification du Mandingue, de Yenenga du Mossi ou de Ndiadiane Ndiaye du Djolof ..., le discours mythique s'intéresse aux pouvoirs magiques des héros fondateurs.

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Revenons au mythe Mossi de fondation en tant que tel pour mieux illustrer ce rapport. Tel qu'il est rapporté par Balima, l'évolution historique du peuple laisse apparaitre trois étapes successives et dans lesquelles figurent trois personnages principaux : Toja Jié, la princesse Gnelenga et Ouédraogo. La particularité fondamentale de ces personnages réside dans le fait qu'ils sont tous experts dans l'art de la chasse. Cette notion consacre un domaine fondamental dans l'appréhension du mythe et de la culture Mossi. Toja Jié ou « chasseur rouge » fort et bien bâti est aguerri en la matière. Quant à la princesse, elle est initiée et accoutumée dés le bas âge aux rudes épreuves des jeux masculins lesquels constituent les prémisses de sa formation à la guerre. A cet effet, Balima nous renseigne : « ...au fur et à mesure qu'elle grandissait, on lui apprit les rudes jeux masculins. Ainsi, elle fut entrainée à monter à cheval, avec ou sans selle, et elle savait courir, nager, danser, chanter, sauter, engager la lutte avec les garçons de son âge, grimper aux arbres, etc. »36

Comme le montrera, d'ailleurs, Machiavel, « un prince- ou un futur prince- doit donc n'avoir d'autre objet ni d'autre pensée, ni prendre autre chose pour son art, hormis la guerre et les ordres et la discipline de celle-ci,... ».37 Cette science, Ouédraogo l'héritera et cet héritage se confirmera non seulement tout au long de l'Histoire des conquêtes qu'ont effectuées les descendants moose mais aussi à travers les acquis en matière d'organisation politique et sociale et de stabilité étatique. Tel qu'il est donc élaboré, le récit mythique laisse apparaitre deux concepts fondamentaux étroitement liés dans l'édification de l'Etat à savoir les notions de force et de chasse.

En parlant de chasse on fait intervenir les idées de ruse, de tromperie, de simulation, de piège, d'arme, de courage... qui, du reste, restent et demeurent des prédispositions nécessaires à tout prince, à qui veut se préoccuper de politique. L'apprentissage de la chasse semble équivaloir ici à celle des affaires politiques à tel enseigne que l'un ne peut aller sans l'autre. Cette réductibilité intrinsèque des deux sphères est attestée dans ces propos conseillers que Machiavel adresse au prince :

« ...il doit toujours aller à la chasse et par le moyen de celle-ci, accoutumer le corps aux désagréments et en même temps, apprendre la nature des sites et connaitre comment les montagnes se dressent, comment les vallées s'ouvrent, [...]. Cette connaissance lui est utile de deux manières ; d'abord, il apprend à connaitre son pays, il peut mieux comprendre les

36 Balima, Salfo-Albert. Op.cit. p.67

37 Machiavel. Le Prince. Chap. XIV. Traduit, présenté et noté par MARIE GAILLE-NIKODIMOV. Paris : Librairie Générale Française, 2000, p.116

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défenses de celui-ci ; ensuite, au moyen de la connaissance et de la pratique de ces sites, il peut comprendre avec facilité chaque autre site qu'il lui sera nécessaire de reconnaitre pour la première fois... ».38

Cette nécessaire adéquation relève d'une exigence pour le prince aussi bien pour sa propre sécurité que pour celle de son peuple. L'art de la chasse constitue donc une prédisposition indispensable pour tout prince ou tout fondateur d'Etat aux yeux de Machiavel: « Et ce prince à qui manque cette compétence, il lui manque la première qualité que veut avoir un capitaine, par ce que celle-ci t'enseigne à trouver l'ennemi, à placer les cantonnements, à conduire les armées, à ordonner les journées, à faire le siège des villes à ton avantage »39. Cette perception des exigences de la vie publique du prince chez Machiavel est bien lisible dans la manière de gouverner ou d'apprendre à administrer des rois Mossi et cela nous le verrons tout au long de ce travail. Cependant certaines théories excluent du discours mythique toute possibilité de justifier ou de dire la sphère politique du fait que ces deux dimensions évoquent dans leur nature des réalités apparemment contraires : le mythe s'apparente plus au domaine de l'irréel, de l'abstraction tandis que la politique est plus concrète, plus réelle que métaphysique.

Cependant une question est de voir une dichotomie radicale qui nierait toute l'antériorité de l'existence humaine se fondant sur les progrès significatifs de son évolution au bénéfice des acquis présents et une autre d'observer une approche continuelle de l'histoire des hommes, sur ce même aspect évolutif, mais en y faisant voir une sorte d'esprit hégélien dans une perspective de conservatisme et de dépassement. Cette deuxième considération me semble la plus appropriée car - nous sommes ici dans une perspective horizontale et non verticale comme chez Platon de nivellement des choses- c'est à partir de l'irréel, du passé que l'on peut concevoir le réellement concret, le présent des événements. Ce serait donc comme si le passé, dans la littérature négro-africaine, donnait sens et justifiait le présent. Dés lors un peuple ne saurait se mouvoir dans une prospective de vie sociopolitique harmonieuse ni un gouvernant dans sa fonction d'administrateur sans la maîtrise de son identité propre et celle des gouvernés.

38 Machiavel. Idem. p.117

39 Id.

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Qu'on nous comprenne bien. Ce travail n'est en rien une confrontation entre mythe et raison ou entre mythe et philosophie en tant que discours rationnel même si ce terme de rationalité peut être sujet à discussion. Nous devons savoir qu'à travers les grands moments historiques, les mythes ont toujours été au sein des enjeux politiques. Ils ont toujours été adaptés aux événements circonstanciels en tant que supports argumentatifs des exposés oratoires en politique notamment chez les orateurs attiques. N'est-ce pas Isocrate qui, parlant du mythe de l'autochtonie des athéniens dans le Panégyrique, justifiait leur présomption quant à leur supériorité sur les autres cités ? N'est-ce pas ce même Isocrate qui, afin de le convaincre et de bénéficier de son secours, incitait Philippe II de Macédoine dans le Philippe qui lui était destiné à se souvenir des liens de parenté qui existaient entre le roi macédonien et les territoires grecs ? Dans ce même registre nous pouvons confronter ce rapport en l'inscrivant dans l'espace culturel et politique Mossi.

Dans leur prétention à jeter les bases fondamentales de l'Etat, ils proclament une nouvelle idéologie, un discours apparemment mythique consistant à mettre sur place une nouvelle manière de faire le politique en le substituant par la persuasion aux procédés idéologiques des autochtones. Pour eux, le pouvoir ne se tenait ni de l'âge (devant le pouvoir l'âge n'est rien), ni de l'antériorité de l'occupation, mais qu'il venait du Naam40 et que, seuls, les fondateurs des dynasties moose en étaient les détenteurs.

Cela est la résultante intrinsèque de leur conception et de leur idéologie dominatrices ; ils sont convaincus d'être nés pour commander. À travers le discours mythique cette idéologie se propagera dans les consciences des générations présentes et futures lesquelles vont s'accaparer à leur tour les valeurs de ce legs historique dont ils ne manqueront sans doute pas de perfectionner et d'adapter aux besoins quotidiens.

Dans sa dimension pédagogique, nous pouvons conforter, par ailleurs et dans un autre registre plus philosophique ce rapport entre mythe et politique. En tant que forme de savoir oral privilégié dans les cultures oratoires, le mythe revêt la fonction proprement d'éducateur et d'instituteur quant à sa capacité d'initier l'auditoire aux valeurs ancestrales, à la perception de celles-ci face aux aléas de la vie et de former le citoyen nouveau aux exigences du politique.

40 Naam ou Nam : Souveraineté conçue par les Mossi comme «la force divine qui permet à un homme d'exercer son emprise sur un autre ». Cf. Skinner, op.cit. Glossaire, p.443

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Si cette initiation, laquelle est l'objet de l'initié c'est-à-dire de celui là même qui s'est affranchit de l'emprise du temps présent pour épouser les données historiques et les confondre dans un même instant «t», de celui là même qui est sorti de la « caverne » et contempler la Vérité en soi du passé à l'image du griot, est purement théorique, il n'en reste pas moins vrai qu'il est destiné à une utilisation pratique relative à la fondation de l'Etat et à la gestion des affaires culturelles, sociales, économiques et politiques des peuples.

A y voir de plus prés on dirait que la possibilité de cette éducation s'est faite en deux temps. Une phase ascendante marquée par la « sortie de la caverne », du présent dans le but de contempler ce qui s'est passé véritablement sans falsification ni rajout et une phase descendante dont l'objet est, à l'mage de celle de Platon dans « l'allégorie de la caverne », de revenir pour instruire les prisonniers, « éduquer l'autre » dés l'instant qu'avec l'éducation commençait la politique. Il s'agit aussi et surtout ici d'établir une nouvelle vision politique et d'en assurer le destin conçu comme un « vivre ensemble ». N'est-ce pas en ce sens que Socrate, au travers de Platon dans l'Apologie de Socrate, se voyait comme le seul athénien à « avoir pratiqué la véritable politique » celle là même qui avait pour vocation la transformation de la cité et du citoyen ?

En somme nous pouvons retenir, suite à cet examen relatif au contenu du discours mythique et à travers ses dimensions historique, pédagogique et politique quelques aspects saillants. D'abord nous devons comprendre que le mythe, tel qu'il se définit dans les civilisations orales en général et africain en particulier, n'est pas un discours anodin, une fin en soi. Il constitue une forme de savoir théorique par excellence d'explication du réel, du monde, de l'origine des choses et d'appropriation, par l'individu, des valeurs ancestrales. En ce sens il se rapporte à l'histoire en le rendant actuelle. Cette actualisation des événements historiques se fait par l'image et a pour finalité une certaine rigueur, une intensité dans la transmission des acquis culturels et politiques ; une politique de la mémoire.

Parlant justement de cette transmission du savoir, nous pouvons remarquer qu'elle se fait oralement de bouche à oreille et ceci afin, nous semble t-il, de parer à toute tentative de falsification de la part d'un tiers ou d'un intermédiaire. Aussi constituerait-il un moyen d'instruction de l'individu et du groupe dans le but immédiat de former le citoyen et de fonder une nation politiquement réglementée dans laquelle chacun se concevra comme partie indivisible du tout et se déploiera librement, car sachant qui il est et ce qu'il représente dans la vie commune.

Tout cela se comprend mieux si l'on perçoit de plus prés la conviction que ce qui se trame à travers le mythe dépasse largement l'examen critique que l'on exige de lui. Il s'agit ici non seulement de préoccupations fondamentalement ontologiques relatives à l'individu et à son existence mais aussi et surtout à la sauvegarde durable de toutes les valeurs acquises au cours de l'Histoire. Vu sous cet angle, nous pouvons admettre cet état de fait avec Mamoussé Diagne lorsqu'il dit: « Une civilisation de l'oralité est sans doute, plus que d'autres, préoccupée par la gestion et la survie de son patrimoine discursif, du fait de la fragilité essentielle qui la caractérise. Le recours à l'image et au procédé de dramatisation est la réponse intellectuelle et existentielle qu'elle oppose à ce défi capital. Ce recours, ainsi que les modalités de son effectuation, s'adaptent aux objectifs qu'elle poursuit, à la nature des objets de savoir qu'elle veut préserver, et au type d'homme qu'elle vise à instruire »41.

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41 Diagne, Mamoussé. Op.cit. p.165

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King