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Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger: reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants


par Bachirou AYOUBA TINNI
Université Abdou Moumouni de Niamey - These de Doctorat  2021
  

Disponible en mode multipage

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MINISTERE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
ET DE LA RECHERCHE

UNIVERSITE ABDOU MOUMOUNI DE NIAMEY

Ecole Doctorale des Lettres, Arts, Sciences de l'Homme et de la Société (ED-LARSHS)
Laboratoire d'Etudes et de Recherche sur les Territoires Sahélo-Sahariens (LERTESS)
Groupe d'Études et de Recherche Migrations Espaces Sociétés (GERMES)

THESE UNIQUE DE DOCTORAT

REPUBLIQUE DU NIGER

1

Présentée pour obtenir le grade de :
DOCTEUR DE L'UNIVERSITE ABDOU MOUMOUNI DE NIAMEY
Mention : Géographie
Spécialité : Géographie de la population

Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger : reconfigurations
des lieux et des trajectoires des migrants

Présentée par :

AYOUBA TINNI Bachirou

Membres du Jury :

YAMBA Aboubacar, Professeur Titulaire, Université Abdou Moumouni de Niamey, Président

LOMBARD Jérôme, Directeur de Recherche, Institut de Recherche pour le Développement, Paris I Panthéon-Sorbonne, PRODIG, Rapporteur

WAZIRI MATO Maman, Professeur Titulaire, Université Abdou Moumouni de Niamey, Rapporteur

OUMAROU Amadou, Maîtres de Conférences, Université Abdou Moumouni de Niamey, Examinateur

MOUNKAILA Harouna, Professeur Titulaire, Université Abdou Moumouni de Niamey, Directeur

BOYER Florence, Chargée de Recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement, associée au GERMES, Co-Directrice

2020-2021

2

Table des matières

DÉDICACE 10

REMERCIEMENTS 11

Sigles et abréviations 13

LISTE DES TABLEAUX 16

LISTE DES PHOTOS 17

LISTES DES SCHEMAS ET CARTES 19

LISTE DES ENCADRES 20

RESUME : 21

SUMMARY 23

Introduction générale 24

Première partie : Comprendre l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger

29

Chapitre 1 : Externaliser les politiques migratoires européennes au Niger 30

1.1 Problématique 30

1.2 Hypothèses 36

1.3 Objectifs de l'étude 37

1.3.1 Objectif général 37

1.3.2 Les objectifs spécifiques. 37

1.4 Quel dispositif pour analyser l'externalisation des politiques migratoires européennes

au Niger ? 37

1.4.1 Recherche documentaire 38

1.4.2 Collecte de données 38

1.4.2.1 Les entretiens semi-directifs 39

1.4.2.2 Observation 40

1.4.2.3 Recensions et analyse du contenu 41

1.5 Définitions et opérationnalisation des concepts 41

Conclusion partielle 44

Chapitre 2 : Panorama de la migration au Niger 45

2.1 Un pays où se superposent plusieurs types de migrations 47

2.1.1 Analyser la migration interne au Niger 47

2.1.1.1 Prédominance de la migration interne 47

3

2.1.1.2 Expansion des déplacements forcés 49

2.1.2 Une émigration internationale intra africaine 51

2.1.3 L'immigration internationale 53

2.1.3.1 Une immigration internationale transfrontalière 53

2.1.3.2 Une immigration internationale de transit importante 55

2.1.3.3 Un afflux des réfugiés nigérians et maliens 58

2.1.3.4 Offrir la protection internationale aux personnes en mouvement forcé 61

2.1.4 Migration de retour 62

2.2 Facteurs et tendances récentes de la migration au Niger 63

2.2.1 Réaliser son projet migratoire au Niger 63

2.2.2 Dynamique migratoire au Niger 64

Conclusion partielle : 65

Chapitre 3 : Les étapes de l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger 66

3.1 La gestion de la migration au Niger : entre approche bilatérale et communautaire 67

3.1.1 Des accords bilatéraux comme stratégie de gestion de la mobilité 67

3.1.2 Une gestion au sein des espaces régionaux de la migration 68

3.1.3 Difficultés économiques des pays d'accueil en Afrique de l'Ouest 69

3.2 L'institutionnalisation de la question migratoire dans le dialogue UE-Afrique 69

3.2.1 L'accord de Cotonou 69

3.2.2 Le dialogue euro africain sur la migration 70

3.2.3 L'approche commune de la CEDEAO sur la migration de 2008 72

3.3 L'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger 73

3.3.1 Vers une coopération bilatérale entre le Niger et certains pays de l'UE 73

3.3.2 Mise en place d'un dispositif de répression de la migration irrégulière 74

3.3.3 Participation au Sommet de La Valette ou le déclic 75

3.4 Présentation de la zone d'étude 76

3.4.1 Agadez : une ville aux portes du Sahara 76

3.4.2 Une évolution sociale et économique marquée par des profondes mutations 77

3.4.3 Les rébellions armées : un autre visage de la région d'Agadez 78

3.4.4 L'exploitation des mines d'uranium : une source de tension 80

Conclusion partielle 81
Deuxième partie : Les effets de l'externalisation des politiques migratoires européennes à

l'échelle locale 83

4

Chapitre 4 : Endiguer la migration de transit au Niger ? 84

4.1 Renforcement du cadre juridique et institutionnel de la gouvernance de la migration

au Niger 84

4.1.1 Cadre juridique restreignant les mobilités 84

4.1.1.1 Législation migratoire et pratiques administratives 84

4.1.1.2 Une stratégie nationale pour lutter contre la migration irrégulière 87

4.1.2 Institutionnaliser la gouvernance de la migration 89

4.1.2.1 Un cadre de concertation pour réunir les acteurs de la migration au Niger 89
4.1.2.1.1 Quand l'Union européenne finance le cadre de concertation sur la migration 90

4.1.2.1.2 Mise en place du SP/CCM 91

4.1.2.1.3 Un discours centré sur la lutte contre la migration irrégulière 93

4.1.2.2 Engager la police frontalière dans la lutte contre le trafic illicite de migrants
94

4.1.2.3 Prendre en compte le trafic illicite de migrants dans les attributions de
l'ANLTP 96

4.1.2.4 Enrôler la gendarmerie dans la sécurisation des frontières 98

4.2 Les pratiques administratives orientées vers la lutte contre le TIM 99

4.2.1 Refouler pour prévenir la migration irrégulière 100

4.2.2 Reconduire les migrants à la frontière 102

4.2.3 Référencer les migrants à l'OIM 103

4.2.4 Emprisonnement des prestataires de services de la migration 104

4.3 Un dispositif de répression de la migration de transit à Agadez 105

4.3.1 Impliquer le conseil régional de sécurité dans la lutte contre la migration de transit
105

4.3.2 Engager la police dans la lutte contre le TIM 106

4.3.3 Créer des postes de décompte pour appréhender les flux en direction du Sahara
107

4.3.4 Frontières imaginaires 109

4.4 Conséquences de la lutte contre le TIM 109

4.4.1 Des migrants abandonnés par les passeurs 109

4.4.2 Des migrants coincés à Agadez 110

4.4.3 Les emprisonnements des prestataires de la migration 110

5

Conclusion partielle 113

Chapitre 5 : Une économie locale suspendue à la migration 114

5.1 Comprendre l'économie de la migration à Agadez 114

5.1.1 L'économie de la migration dans la littérature 114

5.1.2 Historique du petit commerce de la migration dans la commune urbaine d'Agadez
116

5.1.3 Cartographie des acteurs de l'économie de la migration 119

5.1.3.1.1 Le gérant de Ghetto 121

5.1.3.1.2 Le transporteur 122

5.2 Incidences de la lutte contre la migration de transit sur l'économie locale 128

5.2.1 Les conséquences économiques 128

5.2.2 Les conséquences sociales 130

5.2.3 Les conséquences politiques et sécuritaires 131

5.3 Les tentatives de solutions 132

5.3.1 Plan de reconversion des acteurs de la migration : vision, bilan et limites 132

5.4 Émergence d'une nouvelle économie de la migration à Agadez 134

5.4.1 L'immobilier un secteur très dynamique 135

5.4.2 L'emploi des jeunes diplômés 138

5.4.3 L'hôtellerie et la restauration 140

Conclusion partielle 141
Chapitre 6 : Dynamique des lieux dans un contexte d'externalisation des politiques migratoires

européennes au Niger 142

6.1 Une position géographique particulière 142

6.1.1 Des points d'entrées multiples 142

6.1.2 Des frontières poreuses, une tradition de mobilité 146

6.2 La lutte contre la migration de transit au Niger 148

6.2.1 La frontière comme obstacle à la mobilité 148

6.2.2 Filtrer pour endiguer les migrations vers le Nord 149

6.2.3 Le démantèlement des réseaux des facilitateurs de la migration 151

6.3 Reconfigurations dans un espace de transit 151

6.3.1 Prolifération des gares 151

6.3.2 Moyens de transport : entre changement et continuité 152

6.3.3 Mutation des lieux d'embarquement des passagers 154

6

6.3.4 Exclure les non nigériens du transport vers l'Afrique du Nord 156

6.3.5 Sortir dans une ville verrouillée ? 158

6.3.6 Baisse des flux ascendants à Agadez 158

6.3.7 L'exclusivité du transport des migrants de retour à Rimbo 160

6.3.8 Une clandestinisation des lieux d'hébergement des migrants 160

6.3.9 Architecture des ghettos. 164

6.3.9.1 Des routes alternatives face aux politiques d'externalisation 167

6.3.10 Tensions dans les lieux de transit 169

6.3.11 L'application de la loi 2015-36 171

6.3.12 Séjour prolongé des expulsés d'Algérie à Agadez 172

6.3.13 Présence prolongée des demandeurs d'Asile à Agadez 174

6.3.14 Chômage et faible financement du développement 177

Conclusion partielle 177

Troisième partie : Appréhender l'externalisation à l'aune des parcours migratoires 179

Chapitre 7 : Agadez, espace d'attente pour les migrants en partance ou de retour du Maghreb ?

180

7.1 Les profils des migrants ouest-africains coincés à Agadez 180

7.1.1 Caractéristiques socio-démographiques 180

7.1.2 Pays d'origine et compétences linguistiques 181

7.1.3 Contexte familial et économique de départ 182

7.1.4 Destinations finales des migrants 183

7.1.5 Conditions de voyage 185

7.1.6 Financer la migration 186

7.2 Les facteurs de l'attente des migrants 188

7.2.1 Tracasseries routières 188

7.2.2 La répression de la migration dite irrégulière 190

7.2.3 L'absence de document de voyage : un autre facteur de blocage des migrants à
Agadez 192

7.3 Les manifestations de l'attente 193

7.3.1 Temps de séjour migrants à Agadez prolongé 193

7.3.2 La vulnérabilité financière des répondants : une manifestation de l'attente 194

7.3.3 Les conditions de vie précaires : une autre dimension du blocage 195

7.4 Les lieux d'attente 195

7

7.4.1 Attendre dans les ghettos 195

7.4.2 Recourir au retour volontaire assisté 197

Conclusion partielle 198
Chapitre 8 : Niamey-Dakar : voyage avec les rapatriés de l'Organisation Internationale pour les

Migrations 200

8.1 Des rapatriés aux profils divers 201

8.1.1 Les « revenus » de la Libye 203

8.1.2 Les victimes des politiques restrictives du Niger 204

8.2 Les motivations du recours au retour volontaire assisté 205

8.2.1 Absence de document de voyage 205

8.2.2 Les contraintes financières 206

8.2.3 Facilité de mouvement avec l'OIM 206

8.3 De Niamey à Dakar le difficile chemin du retour 206

8.3.1 Première étape du rapatriement : Niamey-Petel-Kolé frontière avec le Burkina

Faso 207

8.3.1.1 Le départ de la gare Rimbo de Niamey : la première séparation 207

8.3.1.2 La traversée de la frontière Niger- Burkina Faso ou le début d'un contrôle

discriminatoire 207

8.3.1.3 Deuxième étape du rapatriement : la traversée du Burkina Faso 209
8.3.1.3.1 Similitudes de pratiques administratives à la frontière entre le Burkina Faso et le Niger 209

8.3.1.3.2 Ouagadougou : fin de course pour les rapatriés burkinabés 210
8.3.1.3.3 Traverser la frontière entre le Burkina Faso et le Mali : entre juxtaposition

du contrôle, perte de privilège et tracasseries administratives 211

8.3.1.4 Troisième étape du rapatriement : la traversée du Mali 214
8.3.1.4.1 Au poste de police frontalier du Mali : mêmes pratiques administratives 214

8.3.1.4.2 La fouille douanière 214

8.3.1.4.3 De Ségou à Bamako entre envie de paraitre et inquiétude du retour 215

8.3.1.4.4 Les rapatriés maliens : de l'espoir au désenchantement 217

8.3.1.4.5 Vers une solidarité entre rapatriés 221

8.3.1.4.6 De Kayes à Diboli (frontière Mali/Sénégal) entre tracasseries

administratives et pratiques corruptive 222

8

8.3.1.5 Le Sénégal, 4ème étape du rapatriement ou la grande séparation 222

8.3.1.5.1 Vers une obsession du paraitre 222

8.3.1.5.2 Au poste de police de Guidara un sérieux contrôle des rapatriés 223

8.3.1.5.3 Kaolack : les Gambiens se détachent du groupe 224

8.3.1.5.4 Un groupe homogène arrive à Dakar 225

8.3.1.6 Entre usage abusif de la note verbale et mauvaise coordination 226

Conclusion partielle 227

Chapitre 9 : Ouvrir la protection internationale dans le contexte des mouvements mixtes 228

9.1 Comprendre la population en quête d'asile à Agadez 230

9.1.1 Une prééminence des Soudanais 230

9.1.2 Une population vulnérable 232

9.2 Traverser les frontières à la recherche de la protection internationale 235

9.2.1 Conflit au Darfour 235

9.2.2 Baisse de l'assistance dans les camps 236

9.2.3 Absence de travail dans les camps 237

9.2.4 L'insécurité au Tchad et en Libye 237

9.2.5 Travailler pour recouvrer sa liberté 240

9.2.6 Les motivations des autres nationalités 240

9.2.6.1 Mobiliser l'asile pour tenir son projet migratoire 240

9.2.6.2 Les conflits communautaires 241

9.2.6.3 Problème ethnico-politique 243

9.2.6.4 Fuir le Nord du Nigéria pour Agadez 243

9.2.7 Se soustraire de la justice 243

9.3 Choisir le Niger comme destination 244

9.3.1 Des expulsés de l'Algérie 244

9.3.2 Tranquillité à Agadez 245

9.3.3 Un appel d'air à relativiser 246

9.4 Itinéraire des demandeurs d'asile et refugies 247

9.4.1 Des camps des déplacés internes du Darfour à Agadez 247

9.4.2 Transiter par le Tchad -Diffa-Agadez 248

9.4.3 De Bangui à Agadez 248

9.4.4 Quitter le Nord Nigéria pour se retrouver à Agadez 250

9.5 Chercher la protection internationale à Agadez 250

9

9.5.1 Opter pour la réinstallation 252

9.5.2 Refus de l'asile 253

9.5.3 Retourner au premier pays d'asile 254

9.5.4 Régulariser le séjour au Niger rester au Niger pour les études 254

9.5.5 Retourner en Libye 254

9.6 Attendre l'asile 255

9.6.1 A la recherche de son conjoint 255

9.6.2 Blocage et intégration 256

9.6.3 Travailler à Agadez 256

Conclusion partielle : 257

Conclusion générale 258

Bibliographie 264

Annexes 271

Annexe 1 : Outils de collecte des données 271

Guide adressé aux acteurs institutionnels et aux migrants 271

Guide adressé aux acteurs de l'économie de la migration 273

Questionnaire sur les Migrants -(Niger) 275

Questionnaire/guide pour migrants en partance (hommes /femmes) 275

Statut migratoire : Migrant en partance 275

Section 1: Informations personnelles 275

Questionnaire sur les Migrants de retour -(Niger) 280

Statut migratoire : Volontaire, Refoulé ou Expulsé 280

Section 1: Informations personnelles 280

Grille d'observation des ghettos à Agadez, 288

10

DÉDICACE

? À la mémoire de mon oncle Hamadou Tinni ;

? À mes parents, en reconnaissance du sacrifice consenti; ? À mes frères et soeurs pour l'exemple.

11

REMERCIEMENTS

Au terme de cette thèse, je voudrais exprimer ma gratitude à plusieurs personnes dont la contribution a été nécessaire à sa réalisation.

Il s'agit de mon Directeur de thèse, le Professeur Harouna Mounkaila, croisé au hasard du destin en 2010. Étudiant en licence, un exposé sur la migration au Niger m'a conduit à toquer à la porte de son bureau sis à l'École Normale Supérieure. Depuis lors, je l'ai successivement sollicité pour mon encadrement en maitrise, master et doctorat. Sous son ombre, j'ai fait mes premiers pas de chercheur. Il m'a associé à plusieurs programmes de recherche. Avec lui, j'appris l'humilité, la modestie et l'esprit d'équipe. Malgré ses charges administratives (depuis 6 ans Secrétaire général de l'université Abdou Moumouni puis Directeur de l'ENS) et académiques, il a su dégager le temps pour suivre cette thèse de manière rigoureuse.

Je voudrais aussi rendre grâce à ma codirectrice Docteure Florence Boyer, chercheure à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) pour le soutien inestimable dont j'ai pu bénéficier. Son affectation au Niger a marqué un tournant décisif dans l'opérationnalisation du Groupe d'Études et de Recherche Migrations, Espaces et Sociétés (GERMES) où cette thèse a pu se réaliser. Le GERMES est une équipe de recherche mise en place en 2016 à la suite de la création des laboratoires et équipes de recherche. Depuis lors, le GERMES a fait du chemin, avec la Jeune Équipe associée (JEAI) à l'IRD Sys-Mob, le LMI Movida, la coopération suisse, les projets Comprendre les migrations au Sahel (COMIS) et Unicef avec comme bilan plusieurs bourses et divers appuis accordés aux étudiants de masters et aux doctorants, les fadas du GERMES, des écoles d'été, des formations en cartographie et en méthodologie de recherche organisés au profit des étudiants. Florence, je suis très reconnaissant pour les multiples mails envoyés ici et là pour décrocher des subventions nécessaires à la collecte de données, le support administratif pour faciliter mes missions, les échanges au GERMES, à l'IRD, chez vous au quartier Loussougoungou et les privations de week-ends.

J'exprime ma profonde gratitude aux membres du jury notamment le Président, le Pr Yamba Aboubacar, les deux rapporteurs : Pr Waziri Mamane Mato et le DR Lombard Jérôme et l'examinateur le Dr Oumarou Amadou. Mes remerciements à l'ensemble des chercheurs, doctorants et mastorants du GERMES dont les multiples appuis ont permis l'aboutissement de cette thèse. Le GERMES est aussi membre du Laboratoire mixte international, Mobilités Voyages, Innovations et Dynamiques dans les Afriques subsahariennes et Méditerranéennes (MOVIDA). Ce LMI a également financé deux terrains et deux séjours d'écriture, dont l'un au

12

Maroc dans le cadre de la réalisation de cette thèse. C'est le lieu d'exprimer notre gratitude aux chercheurs. Je pense à Sylvie Bredeloup, Jérôme Lombard, Aly Tandian, Mamadou Dimé, Celia, Régis Minvielle. Mes pensées fraternelles aux doctorants de ce laboratoire Hicham Najim, Ndiaye Coumba Diop et Marie-Dominique Aguillon.

Je voudrais remercier mes amis Adam Malla, Adam Abakar, Dr Bachir Hamet, Sanoussi Alkassoum, Amadou Saibou, Abdoul Aziz Barazé, Ounisse Elhadj Gonda, Elhadj Oukolé et Dr Niandou Abdoul Razack Abassa pour les multiples appuis.

J'adresse mes sincères remerciements aux enseignants du département de géographie de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, aux chercheurs du département de Géographie et aménagement de l'espace de l'Institut de Recherche en Science Humaine de l'Université Abdou Moumouni (GAME/IRSH/UAM) aux acteurs divers : autorités administratives, élus locaux, agences onusiennes, organisations de développement, acteurs humanitaires, organisations de la société civile, prestataires de la migration, migrants, demandeurs d'asile, réfugiés.

Ce travail est le fruit des entretiens que j'ai eu avec vous, des données et des documents que vous avez accepté de partager avec moi. Je vous en suis éternellement reconnaissant.

Pour finir, mes remerciements vont également à l'endroit de ma famille pour les nombreuses privations. La collecte de données, les transcriptions des entretiens, l'analyse des données et la rédaction constituent un fardeau que Naana, Maryam, Mohamed, Fatouma Zara et Abdallah ont dû supporter.

13

Sigles et abréviations

ACP : Afrique Caraïbes Pacifique

AEC : Alternative Espace Citoyen

ANLTP/TIM : Agence Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes et le

Traffic Illicite de Migrants

APBE : Action Pour le Bien Etre

CCM : Cadre de Concertation sur la Migration

CEMAC : Communauté Économique et Monétaire d'Afrique centrale

CEN

SAD : Communauté des États Sahélo-Sahariens

CIAUD : Comité International pour l'Aide d'Urgence et de

Développement

DTM Displacement Tracking Matrice

CIM : Comité Inter Ministériel

CISP : Comité International pour le Développement des Peuples

CMCF : Compagnies Mobiles de Contrôles des Frontières

CNE : Commission Nationale d'Éligibilité

CNLTP : Commission Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes

COCORAT : Commission Consultative Régionale de l'Administrative

Territoriale

COMINAK : Compagnie Minière d'Akokan

COMIS Comprendre les migrations au Sahel

COOPI : Cooperazione Internazionale

CRN : Croix Rouge Nigérienne

CRS : Catholic Relief Service

CTO : Convention contre la Criminalité Transnationale Organisée

DDPN : Direction Départementale de la Police Nationale

DGEC/M/R : Direction Générale de l'État Civil des Migrations et des Refugiés

DGPN : Direction Générale de la Police

DIM : Discours international sur la Migration

DREC/M/R : Direction Régionale de l'État Civil des Migrations et des

Refugiés

DRPN : Direction Régionale de la Police Nationale

DST : Direction de la Surveillance du Territoire

ENAMI : Enquête Nationale sur la Migration

ENS : École Normale Supérieure

14

ETM : Emergency Transit Mechanism

FDS : Force de Défense et de Sécurité

FFU : Fond Fiduciaire d'Urgence

FLSH : Faculté des Lettres et Sciences Humaines

FRONTEX : Agence Européenne de Garde-Frontières et de Garde-Côtes

GAME : Géographie et Aménagement de l'Espace

GERMES : Groupe d'Études et de Recherche, Migrations, Espaces et

Sociétés

GIZ : Deutsche Gesellschaft Fur Internationale Zusammenarbeit

GNN : Garde Nationale du Niger

GPS : Global Positionning System

GTM : Groupe Technique Migration

HACP : Haute Autorité à la Consolidation de la Paix

HCDH : Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme

HCR : Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés

ICMPD: International Centre For Migration Policy Development

INS : Institut National de la Statistique

IRC : International Rescue Committee

IRD : Institut de Recherche pour le Développement

IRSH : Institut de Recherche en Sciences Humaines

JMED : Jeunesse Migration Enfance Développement

MDM : Médecin du Monde (Belgique)

MIDAS: Migration Information and Data Analysis System

MOVIDA : Mobilités, Voyages Innovations et Dynamiques dans les

Afriques Méditerranéenne et Subsaharienne.

MRRN : Mécanisme de Réponse et de Ressources pour les Migrants

OIM : Organisation Internationale pour les Migrations

ONG : Organisation Non Gouvernementale

ONU : Organisation des Nations Unies

ONUDC : Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime

OUA : Organisation de l'unité africaine

PAIRA : Plan d'Actions à Impact Économiques Rapide à Agadez

PASSERAZ : Projet d'Appui à la Stabilité Socioéconomique dans la région d'Agadez

PDES : Plan de Développement Économique et Social

15

PM : Premier Ministre

PNM : Politique Nationale des Migrations

PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement

PRODIG Pôle de Recherche pour l'Organisation et la Diffusion de l' Information

Géographique

RCI : République de Côte d'Ivoire

RGP/H : Recensement Général de la Population et de l'Habitat

SADEC : Communauté de développement des États d'Afrique Australe;

SOMAIR : Société Minière de l'Air

SP : Secrétariat Permanent

SP/CCM : Secrétariat Permanent du Cadre de Concertation des acteurs de la

Migration

STM : Société Transport Moderne

TIM : Trafic Illicite de migrants

UA : Union Africaine

UAM : Université Abdou Moumouni

UE : Union Européenne

UEMOA : Union Économique et monétaire Ouest Africaine

UNICEF : Fond des Nations Unies pour l'Enfance

16

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1: Arrivées par la mer en Italie, en Grèce et en Espagne 24

Tableau 2:Répartition des immigrants par nationalité 54

Tableau 3 : Estimation du chiffre d'affaires des compagnies de transport 123

Tableau 4 : Estimation du chiffres d'affaire journalier, hebdomadaire, mensuel et annuel par

compagnie de transport 124

Tableau 5 : Financement de quelques ONG présentes à Agadez par le HCR 135

Tableau 6: Nombre d'étrangers refoulés sur l'ensemble du territoire national de janvier à

septembre 2016 149

Tableau 7 : Statistique sur les expulsions des Nigériens en provenance de l'Algérie 173

Tableau 8:Migrants ayant bénéficié d'un RVA du Niger vers le pays d'origine 200

Tableau 9:Répartition des rapatriés en fonction des pays 202

Tableau 10:Migrants abandonnés et retrouvés 205

Tableau 11:Frais de subsistance donnés par l' OIM-Niger aux migrants pour le voyage de

retour 211

Tableau 12:Répartition par nationalité des personnes sous mandat UNHCR à Agadez 230

Tableau 13:Année d'arrivée des personnes sous mandat du HCR à Agadez 231

Tableau 14:Statut des Personnes sous mandat du HCR à Agadez 232

Tableau 15:Répartition sexe et Âge des personnes sous Mandat HCR à Agadez 233

Tableau 16:Départs spontanés des demandeurs d'asile et réfugiés à Agadez : mars 2018-mars

2019 252

17

LISTE DES PHOTOS

Photo 1: Plaque de l'ANLTP/TIM à Birni N'konni une ville de transit 97

Photo 2:Une plaque indiquant le centre OIM à Agadez 103

Photo 3 : Des migrants au centre OIM à Agadez 104

Photo 4 : Des migrants au centre OIM à Agadez 106

Photo 5:Plaque CISP à Agadez 133

Photo 6:Une plaque de projet de reconversion à Agadez 134

Photo 7 : Bureau de l'OIM à Agadez 136

Photo 8: Bureau du HCR à Agadez 137

Photo 10:Une ONG internationale travaillant à Agadez dans le domaine de la migration mixte

139
Photo 11: Migrants et transporteurs en concertation dans un quartier périphérique à Agadez

154

Photo 12 : Migrants interceptés dans une station-service par les transporteurs 155

Photo 13: Migrants internationaux au poste de police d'Abalak pour contrôle 157

Photo 14 : Ghetto fermé avec des migrants à l'intérieur à Agadez 163

Photo 15 : Jour sans cuisine dans un ghetto, faute de moyens 164

Photo 16: Des migrants se retirent dans la chambre pour manger 164

Photo 17: Couchette des migrants dans un ghetto 165

Photo 18 : Message laissé par des migrants sur les murs d'un ghetto 166

Photo 19:Migrants devant la porte d'un ghetto à Agadez 167

Photo 20:Migrants nigériens expulsés d'Algérie, 174

Photo 21:Illustration des problèmes au centre des demandeurs d'asile à Agadez 176

Photo 22:Fosse septique ouverte dans la rue au centre OIM Agadez 176

Photo 23 : Des migrants convoyés par OIM en attente dans la gare 3STV Agadez 181

Photo 24: Le jeu de cartes pour faire passer le temps au centre OIM Agadez 192

Photo 25: Des migrants en attente dans un ghetto 196

Photo 26 : Dormir une façon d'attendre dans le centre OIM Agadez 197

Photo 27: Des rapatriés maliens retrouvent Bamako après une longue absence 216

Photo 28 : A la gare Rimbo Bamako 217

Photo 29 : Les agents de l'OIM Mali échangent avec les migrants rapatriés 218

Photo 30 : Mise en route des deux Bissau guinéens 224

Photo 31 : Arrivés à Dakar des rapatriés Sénégalais 225

18

Photo 32 : Rond-point zéro 244

Photo 33 : Enregistrement des expulsés piétons 245

19

LISTES DES SCHEMA ET CARTES

Schéma 1: Cadre opérationnel du CCM 92

Carte 1 : Répartition des déplacés internes au Niger 50

Carte 2: Routes migratoires traversant le Niger 57

Carte 3: Répartition de la population réfugie au Niger 60

Carte 4 : Statistique sur les demandeurs d'asile au Niger 61

Carte 5 : Les points d'entrées officiels des migrants au Niger 96

Carte 6 : Les points de décompte des flux migratoires 108

Carte 7: Localisation des gares routières à Agadez 125

Carte 8 : Itinéraire de migrants de l'ouest vers le Nord 143

Carte 9 : Itinéraire des migrants du centre et de l'est vers le nord 144

Carte 10 : Itinéraire des migrants de l'extrême est au nord 145

Carte 11 : Routes migratoires à travers le Niger 147

Carte 12 : Itinéraire des migrants de retour Niamey-Dakar 208

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LISTE DES ENCADRES

Encadré 1 : Monsieur Yacouba détenu à la prison civile de Niamey 111

Encadré 2 : Ababacari détenu gambien à la prison civile de Niamey 112

Encadré 3: Ttraversée de la frontière entre le Burkina Faso et le Mali 212

Encadré 4 : Un difficile retour en famille 219

Encadré 5 : Younouss demandeurs d'asile à Agadez 234

Encadré 6: Mohamed ressortissant du Darfour 238

Encadré 7 : Yolande originaire du Cameroun 242

Encadré 8 : Hussein demandeur d'asile de nationalité centrafricaine 249

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RESUME :

La présente thèse analyse l'externalisation des politiques migratoires européennes dans un pays de transit, le Niger. Depuis la chute du régime de Kadhafi, la migration occupe une place centrale dans la coopération entre le Niger et l'Union européenne. Dans ce contexte, il importe de questionner les répercussions de cette collaboration dans la gouvernance de la migration au Niger. La méthodologie combine collecte de données qualitatives, quantitatives, analyse de contenu et mobilisations des données secondaires. Les résultats montrent que le profil migratoire du Niger inclut des flux internes, internationaux, de transit, de retour et d'immigration. Dans la dynamique des relations avec l'Union européenne un dispositif a été mis en place pour endiguer la migration de transit en direction de l'Afrique du Nord. Cela s'apprécie par le durcissement de la législation migratoire, le changement des pratiques administratives (les refoulements et les reconduites à la frontière), les emprisonnements et la mise en oeuvre de projets de lutte contre la migration dite irrégulière. Ces actions ont eu des impacts négatifs sur l'économie locale de la migration dans la ville d'Agadez en particulier. Il s'agit de diverses prestations de services comme le transport, l'hébergement, l'intermédiation et le petit commerce : ventes de turban, carburant, de bidons, de lunettes, etc. Ces secteurs sont dominés et animés par des personnes aux revenus faibles. À l'inverse, dans le contexte des relations avec l'EU, il est noté l'émergence d'une économie de la gestion de la migration comprenant le développement du marché locatif avec la location de maisons à des fins de logement ou de bureaux pour le personnel humanitaire présent dans la ville. La nouvelle économie implique également l'injection de sommes importantes dans l'économie locale via l'achat des denrées alimentaires pour les refugies, demandeurs d'asile et migrants. Dans ce contexte, les lieux de transit se transforment. Par exemple, à Agadez, les ghettos deviennent de plus en plus invisibles, les prestataires de la migration y sont emprisonnés. L'espace urbain se reconfigure avec la construction d'un centre humanitaire régional, la réhabilitation de la vielle ville et la transformation du quartier administratif avec l'ouverture des bureaux des agences du système des Nations Unies et des ONG. Cependant, de nouvelles routes de transport des migrants en direction de l'Afrique du Nord émergent progressivement. Ces routes contournent les points d'eau et sont non balisées et donc présentent de nombreux risques pour les personnes qui s'y aventurent. Dans le cadre de la lutte contre la migration dite irrégulière, Agadez est devenue aussi un espace d'attente pour de nombreuses personnes. Cette attente comprend l'attente institutionnelle pour les migrants inscrits dans le programme d'aide au retour volontaire de l'OIM et les demandeurs d'asile enrôlés par la direction régionale de l'état civil,

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des migrations et des réfugiés. Parallèlement les autorités et les acteurs humanitaires encouragent le retour des migrants dans leur pays d'origine. Sous financement de l'UE les candidats au retour volontaire bénéficient d'un hébergement, d'un appui administratif et de transport jusqu'au pays d'origine de la part de l'OIM. Dans le même sillage, le HCR en interaction avec les structures étatiques fait la promotion de l'offre d'asile dans le contexte des mouvements mixtes. L'ouverture de l'espace se passe dans un contexte de rejets des requérants de l'asile par la population hôte, des tensions liées à la détermination du statut des refugies, d'hésitation du gouvernement à donner une suite aux requêtes formulées par certaines catégories de personnes.

Mots clés : Niger, Agadez, Externalisation, lieux, politique migratoire, reconfigurations des parcours.

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SUMMARY

This research and study analyses the outsourcing of European migration policies in a transit country such as Niger. The methodology combines qualitative, quantitative, content analysis and secondary data mobilizations. Survey results show that Niger's migration profile includes internal, international, transit, return and immigration flows. In the dynamics of relations with the European Union, a mechanism has been put in place to stem transit migration to North Africa. This is appreciated by the tightening of migration legislation, the change in administrative practices, the imprisonments and the implementation of projects to combat transit migration. These actions have had a negative impact on the local migration economy. These are various services such as transportation, accommodation, intermediation and small business: sales of turbans, fuel, cans, glasses. These sectors are dominated and led by low- and middle-income people. Conversely, in the context of relations with the EU, it is note the emergence of a new migration economy involving the rental of houses for housing or office purposes to humanitarian personnel present in the city. The new economy also involves injecting large sums into the local market through the purchase of food. In this context, transit locations are changing. For example; Agadez; ghettos become more and more invisible, Agadez becomes a place of imprisonment for migration providers. At the moment, new routes to transport migrants to North Africa are emerging. These roads bypass the water points and are unmarked and therefore present many risks for those who venture there. As part of the fight against so-called irregular migration; Agadez has become a waiting space for many people. This includes the institutional wait for migrants registered in voluntary return and asylum applications enlisted in the circuit. At the same time, the authorities and humanitarian actors are encouraging the return of migrants to their countries of origin. Under EU funding, voluntary return applicants receive accommodation, administrative support and transport to the country of origin from IOM. In the same vein, UNHCR, in an inter-action with state structures, is promoting the offer of asylum in the context of mixed movements. The opening of space takes place in the context of rejections of asylum seekers by the host population, tensions related to the determination of the status of refugees, and the government's hesitation has given a response to the requests made by certain categories of persons.

Key words: Niger, Agadez, Outsourcing, places, migration policy, reconfiguration of routes.

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Introduction générale

Depuis plus de dix ans, la migration s'est imposée comme sujet d'actualité sur la scène internationale en raison de sa forte médiatisation. Ainsi, elle a occupé une bonne place dans l'agenda de la diplomatie internationale. En effet, de plus en plus pour rejoindre l'Europe, certains migrants empruntent l'une des côtes de la Méditerranée (orientale, centrale et occidentale). Qu'ils partent de l'Afrique ou du Moyen Orient ces personnes tentent de contourner les restrictions sur la délivrance de visa Schengen. D'autres fuient la précarité économique, les conflits et les persécutions. C'est le cas des Syriens, Afghans ou Yéménites qui empruntent la Méditerranée orientale pour se rendre en Europe par voie maritime.

Les départs à partir de l'Afrique passent par le Sénégal, le Mauritanie, le Maroc et les Iles Canaries puis la Méditerranée occidentale pour rejoindre les côtes espagnoles. Une seconde voie passe par le Niger ensuite l'Algérie ou la Libye et enfin la Méditerranée pour atteindre les côtes italiennes. Ces départs en partance de l'Afrique ont pris une ampleur sans précédent depuis la chute de M. El Kadhafi. On estime qu'entre 2014 et 2017 167 072 personnes sont arrivées en Europe via la Méditerranée (tableau 1) ci-dessous

Tableau 1: Arrivées par la mer en Italie, en Grèce et en Espagne

 

Total 2014

Total 2015

Total 2016

Total 2017

Italie

170 100

153 842

181 436

119 369

Grèce

34 442

853 650

173 614

29 595

Espagne

N/A

5 309

8 162

22 108

Total

204 542

1 012 801

363 212

171072

Source : OIM, 2018

L'analyse du tableau indique que l'année 2015 se distingue avec un total de 1 012 801 personnes arrivées sur les côtes européennes. Le bilan humain est lourd comme l'atteste le tableau (2)

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Tableau 2 : Nombre de décès de migrants dans la Méditerranée

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

3 283

4 054

5 143

3 139

2 299

1 885

211

Source : https://www.iom.int/fr/news/le-nombre-de-deces-de-migrants-dans-la-mediterranee-passe-la-barre-des-20-000-suite-un-naufrage

Là, c'est l'année 2016 qui se distingue avec 5 143 décès enregistrés en mer.

En Europe, en lien avec cet essor de la migration dite irrégulière en direction du vieux continent plusieurs initiatives sont développées pour trouver une solution à ce qui est désormais appelé « crise migratoire ». Ces actions sont portées par l'Union Européenne (UE) et/ou ses États membres en particulier ceux qui sont voisins de la Méditerranée notamment l'Italie, la France, l'Allemagne et l'Espagne très touchés par les arrivées. Dans cette dynamique, les pays de départ et de transit sont ciblés surtout sur le continent africain comme partie intégrante de la recherche de solution. C'est ainsi que l'EU et ses États membres ont conduit plusieurs actions en direction de l'Afrique pour réduire voire arrêter les flux en partance de ce continent. Ces actions prennent la forme de dialogues avec les États concernés, la mise en place de financement, le développement des zones de départ, la délocalisation de l'asile et la coopération policière. Le milieu académique et les activistes qualifient cette approche de l'UE d'externalisation du contrôle des frontières (Alaux J-P, 2006, p 6 ; Rodier C, 2008, p108 ; Ciré, 2019).

Le Niger à cheval entre l'Afrique subsaharienne et l'Afrique arabo berbère a été ciblé par les actions de l'externalisation. Le pays est un espace de transit vers la Libye et l'Algérie et éventuellement la Méditerranée centrale (Brachet J, 2009, p30 ; Hamadou A, 2018, p 5 ; Boyer F, 2019, ; Mounkaila H, 2020). Plusieurs milliers de personnes arrivées en Italie via la Méditerranée centrale affirment avoir transité par le Niger. Pour réduire ces flux, des officiels européens se sont mobilisés pour chercher la collaboration du Niger sur ce dossier. Ainsi, entre 2015 et 2020, le pays a accueilli deux présidents français1, la chancelière allemande une fois2

1 https://www.tamtaminfo.com/visite-au-niger-du-president-francais-emmanuel-macron-le-president-macron-au-president-issoufou-vous-etes-un-exemple-en-matiere-de- démocratie

2 https://www.niameyetles2jours.com/la-gestion-publique/securite/0205-3802-la-chanceliere-allemande-angela-merkel-au-niger-ce-2-mai-pour-une-visite-axee-sur-la-securite

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et le président du conseil italien3. Lors de toutes ces visites la lutte contre la migration irrégulière et le terrorisme occupe une place de choix dans les échanges.

Ces visites sont précédées de celles de plusieurs ministres dont ceux en charge de l'intérieur de l'Italie, de l'Espagne et de la France qui ont animé une table ronde sur la migration4. La diplomatie est aussi mise à contribution. Ainsi, les ministres français et allemands des affaires étrangères ont plusieurs foulé le sol nigérien donnant lieu à une « diplomatie de la migration ».

Le commissaire européen en charge de la migration5 ainsi que le Président de la commission ont séjourné au Niger avec pour objectif de renforcer la collaboration avec ce pays stratégique dans la gestion des flux irréguliers en direction de l'Europe.

Notons également l'engagement officieux des organisations internationales aux cotés de l' UE et de ses États membres dans la gestion de la crise migratoire. Présents au Niger depuis quelques années le HCR et l'OIM constituent les bras armés de la politique d'externalisation (CIMADE 2017)6. Le premier a développé un programme d'évacuation d'urgence des migrants à partir de la Libye au Niger pour bénéficier ensuite de la réinstallation. Lancé en novembre 2017, le programme ETM a permis d'évacuer 3361 demandeurs d'asile au Niger dont 3059, réinstallés en France, Belgique, Allemagne, Italie, Norvège, Suisse, Finlande au 1er juin 20217. Le HCR a par ailleurs ouvert de concert avec le gouvernement nigérien la protection internationale dans le contexte des mouvements mixtes (Boyer et Chappart, 2018). À ce titre, un bureau est ouvert à Agadez en vue de fournir la protection internationale aux personnes pouvant relever de son mandat.

L'OIM dispose quant à elle, de centres de transit à Agadez, Arlit, Dirkou, Niamey et fait de la mobilisation communautaire pour identifier les candidats au retour migratoire. Entre 2016 et le 31 mai 2021 l'organisation affirme avoir facilité le retour volontaire à 54 156 migrants dans

3 https://www.tamtaminfo.com/visite-officielle-du-president-du-conseil-italien-au-niger-identite-de-vues-entre-rome-et-niamey-sur-les-principaux-sujets-evoques/

4 https://www.g5sahel.org/table-ronde-sur-la-migration-ue-niger-pour-une-gestion-concertee-efficace-et-

humaine-du-phenomene/

5 https://www.facebook.com/UENiger/photos/visite-au-niger-du-commissaire-europ%C3%A9en-

charg%C3%A9-de-la-migration-m-dimitris-avramo/2065922467066801/

6 https://www.lacimade.org/wp-content/uploads/2018/02/CR-Journ%C3%A9e-D%C3%A9cryptage-

Coop%C3%A9ration-2017.pdf

7 https://data2.unhcr.org/fr/documents/details/87332

27

leur pays d'origine. La collusion entre l'UE et ces deux organisations peut s'apprécier à travers les sources de financement. L'UE est le principal bailleur des programmes ETM, asile à Agadez et aide au retour volontaire à travers le Fonds fiduciaire d'urgence (FFU) et d'autres canaux.

Au retour, ces organisations assument la responsabilité de leurs actions auprès de l'État. Le HCR discute avec le gouvernement du Niger sur l'asile, négocie les places de réinstallation avec les pays européens. Nulle part l'EU n'intervient directement.

Dans la même logique, l'OIM pilote le programme d'aide au retour volontaire assisté sans intervention de l'UE. Outre ces deux organisations, l'UE a financé via le FFU plusieurs projets axés sur le développement, la sécurité et la protection au Niger dans le but de réduire les flux migratoires sur ces côtes. Par-delà, l'État nigérien a aussi bénéficié des financements de l'UE. Il s'agit d'équiper et de former les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) pour mieux lutter contre la migration dite irrégulière. La sécurité devient donc un secteur de coopération entre l'UE et le Niger.

Dans le même temps des projets de développements sont lancés dans les zones de départ à la fois pour réduire les départs et diminuer l'impact de ces politiques sur l'économie des zones de transit.

La présente thèse analyse le champ de collaboration du Niger et de l'UE dans le domaine de la migration. Elle permet de comprendre à l'échelle nationale, le développement (institutionnel, politique, juridique et administratif ) en cours au Niger en lien avec cette thématique dans un contexte de relation avec l'UE. A l'échelle locale, elle se focalise sur la région d'Agadez, espace de transit des flux en direction de l'Algérie et la Libye et << laboratoire>> de mise en oeuvre des nouvelles politiques. Il sera donc mis en relief à partir du cas témoin d'Agadez les reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants.

Le document comprend trois parties :

· Une première partie structurée en trois chapitres balise le cadre théorique et méthodologique, présente le profil migratoire du Niger et fait un rappel historique de la coopération Niger -- UE dans le domaine de la migration;

· La deuxième constituée de trois chapitres traite de l'endiguement de la migration de transit, de l'économie locale de la migration et de la dynamique des routes;

· 28

La troisième partie, enfin comprenant trois chapitres porte sur l'espace d'attente, le retour volontaire assisté et l'asile à Agadez.

29

Première partie : Comprendre l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger

Il s'agit dans cette partie de mettre en évidence le fil conducteur de la recherche. Il sera donc abordé le contexte de l'étude, la démarche méthodologique, la clarification des concepts, le profil migratoire du Niger, les étapes de l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger ainsi qu'une présentation de la région d'Agadez, espace témoin de la mise en oeuvre des politiques d'externalisation.

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Chapitre 1 : Externaliser les politiques migratoires européennes au Niger

Le présent chapitre aborde le cadre théorique et méthodologique. Il englobe la problématique, les hypothèses, l'objectif général et la méthodologie.

1.1 Problématique

La migration est une pratique humaine en pleine expansion depuis quelques décennies. Le développement des moyens de transport et de la technologie permet de plus en plus à l'homme de se déplacer d'une partie du monde à une autre. Le nombre total de migrants internationaux s'est accru ces dix dernières années, passant d'environ 150 millions de personnes en 2000 à 280, 6 millions en 2020 dans le monde.8

Cette population de migrants est hétérogène composée à la fois de personnes à la recherche d'opportunités économiques, des étudiants, des femmes et des enfants. À cela s'ajoutent, des personnes poussées par le désarroi, les persécutions, les guerres et les conflits car « Si de nombreux individus font le choix d'émigrer, de nombreux autres n'ont pas le choix. On dénombre en 2019, 70 millions de personnes déplacées de force dans le monde, parmi lesquelles 26 millions de réfugiés, 3,5 millions de demandeurs d'asile et plus de 41 millions de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays » 9 . Cette situation dénote une exacerbation des conflits dans plusieurs parties du monde contraignant des hommes, des femmes et des enfants à se déplacer pour se mettre à l'abri. L'Afrique et l'Asie se présentent comme les espaces de départ de ces mouvements forcés de personnes. Le stock de migrants internationaux en Afrique est de 25,4 millions de personnes en 202010

Enfin, l'Afrique n'envoie que très marginalement ses migrants vers d'autres continents notamment l'Europe, l'Asie et l'Amérique. Quel que soit le motif de la migration, il est observé qu'en Afrique, la migration internationale s'effectue très largement à l'intérieur du continent. L'Afrique garde plus ses migrants qu'elle ne les exporte. Cela s'explique par l'existence de plusieurs filières migratoires sur le continent dont le premier niveau de migration est le pays frontalier. C'est donc une migration transfrontalière à l'image des blanchisseurs maliens au Niger (Ayouba Tinni, 2015), des Soudanais en Libye (Drozd et Pliez, 2005), des Zimbabwéens et Mozambicains en Afrique du sud (Crush et Tawodzera 2016) ou encore des Kenyans en

8 https://migrationdataportal.org/international-data?i=stock_abs_&t=2020

9 https://www.un.org/fr/sections/issues-depth/migration/index.html

10 https://migrationdataportal.org/data?m=1&rm49=2&i=stock_abs_&t=2020

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Ouganda (OIM, 2013. La deuxième destination des migrants en Afrique est l'espace communautaire CEDEAO, CEMAC, SADEC. La migration africaine a un troisième niveau, qui peut être inter-régional, c'est-à-dire qui se déroule à l'intérieur de plusieurs blocs régionaux du continent. Elle implique une circulation des migrants dans les différents blocs régionaux du continent. « L'un des aspects les plus frappants des migrants internationaux en Afrique, c'est que la plupart se déplacent à l'intérieur de la région. Contrairement à ce qu'affirment les médias, la majorité des migrants africains ne quittent pas leur continent. Ils se déplacent surtout vers les pays voisins. Entre 2015 et 2017, par exemple, le nombre de migrants internationaux africains au sein de la région est passé de 16 millions à environ 19 millions. Au cours de la même période, le nombre d'Africains quittant le continent a connu une augmentation modérée, puisqu'il est passé d'environ 16 millions à 17 millions. »11

À l'échelle de l'Afrique de l'ouest par exemple « 70 % des émigrés ouest-africains restent en Afrique. 61 % d'entre eux privilégient les pays de la sous-région alors que 15 % seulement se dirigent vers l'Europe et 6 % vers l'Amérique du Nord. (Beauchemin et Lessault, 2014, P37).

L'analyse de la migration en Afrique de l'Ouest laisse apparaitre quatre principaux systèmes (Lalou, 1996, P 354) :

· système autour du Sénégal;

· système autour de la Côte d'Ivoire;

· système autour du Golfe de Guinée;

· système sahélien.

Néanmoins, il subsiste une migration ouest africaine vers les autres continents notamment l'Europe. Elle remonte à la période coloniale et s'est consolidée après les indépendances avec la signature des accords de coopération entre l'Europe et certains pays africains sur les migrations et le développement. Les accords sur les migrations visent « à réguler le déplacement, l'entrée et la sortie des personnes sur leurs territoires : politiques d'émigration vis-à-vis de leurs ressortissants, politiques d'immigration vis à-vis des étrangers, politiques envers les migrants en « transit » » (Lestage, 2010, P3 ). Ceux sur le développement prônent le

11 https://fr.weforum.org/agenda/2018/06/migrations-africaines-ce-que-disent-vraiment-les-chiffres-5696dc52-268d-43dd-8b43-12dc19bb5840/

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développement des jeunes États. Autour des années 1970, à la suite de la crise économique et devant la menace que constituent les flux des migrants africains sur la préservation de ses acquis sociaux, l'Europe change de stratégie en matière de gestion des migrations. Désormais, elle intègre la gestion des migrations dans la coopération au développement avec les pays africains. Ce modus vivendi est à la base de la première reconfiguration forte des liens migratoires entre l'Europe et l'Afrique du nord et de l'ouest. Il va se consolider dans la décennie 90 dans un contexte ouest africain marqué par une croissance démographique forte, une flambée des prix des denrées alimentaires de base, une crise des services sociaux de base (santé, éducation, logement ) en milieu urbain, une hausse du chômage, des crises politiques dans certains pays, une récurrence des sécheresses et crises alimentaires (CILSS, 2007).

Ce changement s'est traduit en acte avec la signature de l'accord de Cotonou en 2000. La jonction entre politique migratoire et développement reflète surtout l'échec des premières politiques migratoires européennes qui ont eu pour conséquence l'essor de la migration clandestine. En effet, « l'augmentation des flux informels de migrants, par rapport à ceux formels, peut être considérée comme le principal résultat des politiques d'immigration européenne ». (Gabrieli, 2007, P5 ).

Dans cette situation de pauvreté, l'émigration apparait comme l'ultime solution pour des milliers de jeunes africains. Parmi eux certains choisissent d'aller en Europe. Or, avec la fermeture de frontières née de la restriction d'octroi de visa pour l'Europe, la migration légale est devenue quasi impossible pour de nombreux Africains. Pour contourner cet obstacle de visa, les migrants empruntent la Méditerranée pour se rendre en Europe sur des bateaux de toutes tailles et très marginalement en pirogue.

Cette traversée de la Méditerranée est en plein essor au regard de l'importance numérique des candidats à ce voyage qui arrivent sur les côtes européennes. C'est dans cette situation que le Conseil européen a adopté en 2005 une nouvelle politique migratoire dite « politique de l'approche globale »12 .

Selon Kabbanji (2011) l'approche globale se focalise sur la promotion de la migration légale, la lutte contre l'immigration irrégulière et la promotion du lien entre migration et

12 17 décembre Conseil européens-Bruxelles 15 &16 décembre 2005 conclusions de la présidence

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développement. La mise en oeuvre de l'approche globale s'effectue dans un contexte d'établissement d'un programme de travail en 2006 entre l'UE et l'Afrique sur la gestion des migrations. C'est dans cette logique que s'est tenue une première conférence intergouvernementale euro-africaine à Rabat en juillet 2006, à l'initiative de l'Espagne et en étroite collaboration avec le Maroc et la France. Toujours en 2006, une autre conférence ministérielle euro-africaine entre l'Union Européenne et l'Union africaine (UA) sur la migration et le développement, s'est tenue à Tripoli les 22 et 23 novembre 2006. Une deuxième conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement est organisée à Paris le 25 novembre 2008, qui a abouti à l'adoption d'un programme de coopération triennal de 2008 à 2011.

La mise en oeuvre de l'approche globale s'effectue aussi avec un fort activisme diplomatique de l'Union Européenne. Elle se manifeste par la volonté de l'UE d'exporter sa vision des migrations dans les pays de départ et de transit des migrants. C'est dans ce contexte que la CEDEAO adopte en 2008 une approche commune de la migration. Celle-ci introduit deux logiques sous-tendant la politique externe européenne en matière d'immigration identifiées par Boswell cité par Kabbanji (2011): d'un côté, on y trouve majoritairement des mesures sécuritaires axées sur la coopération transfrontalière en matière de lutte contre l'immigration illégale ; de l'autre, la promotion du lien entre migration et développement est mise en avant principalement pour limiter l'émigration et la promotion de la migration légale.

Dans la mise en oeuvre de l'approche globale, les pays de départ et de transit des migrants occupent une place de choix dans les interventions de l'UE et de ses partenaires. Pays sahélo-saharien situé à la charnière entre l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest, le Niger a une longue histoire de migrations. En effet, depuis le début du 20ième siècle, les populations nigériennes ont participé aux mouvements migratoires notamment en direction des pôles économiques de l'Afrique occidentale. Les migrants ont d'abord suivi les routes ouvertes tout au long du 19ème siècle par les commerçants, puis progressivement des filières migratoires se sont construites s'arrimant à des diasporas situées dans les pôles urbains côtiers. Ces migrations se dirigeaient surtout vers le Ghana, le Nigéria, le Togo, le Benin et la Côte d'Ivoire (Yonlihinza, 2011). La période postcoloniale a vu le renforcement de cette tendance. En effet, le cycle de sécheresses des années 1970-1980 et de la crise économique qui a suivi les plans d'ajustement structurel et la dévaluation du francs CFA dans les années 1980-1990 ont accentué le départ en migration d'une partie de la population. Ainsi, les départs de certaines régions du Niger comme Tahoua, Agadez et Zinder se sont intensifiées et les destinations se sont

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diversifiées, les migrants s'orientant aussi vers les pôles économiques d'Algérie et de Libye. L'analyse de l'espace migratoire nigérien fait ressortir deux constats majeurs.

Au plan national, le Niger reste principalement un pays de départ. L'analyse des pratiques migratoires montre la persistance des migrations circulaires qui selon Boyer (2013) sont des déplacements temporaires qui se répètent pendant une période de la vie de l'individu. Cette forme de déplacement est profondément ancrée dans les modes de vie des populations (Mounkaila et al., 2009).

Depuis les années 2000 et les crises politiques qui ont émaillé les pays d'Afrique de l'Ouest, on note aussi une accentuation des retours forcés au Niger de nombreux migrants jusque-là présents en Côte d'Ivoire, au Mali, en Libye, au Nigeria notamment. Il faut donc de plus en plus tenir compte de la migration de retour contrainte dans l'analyse des faits migratoires au Niger.

À l'échelle de la sous-région, le Niger est un pays de transit pour de nombreux ressortissants de l'Afrique de l'ouest et du centre voulant se rendre au Maghreb depuis les années 70. Ce rôle s'est consolidé et renforcé au fil des décennies du fait des opportunités de travail et du contexte socio-politique et économique qu'offraient alors en particulier l'Algérie et la Libye. La politique panafricaniste du président Kadhafi, le développement de l'économie pétrolière dans ces deux pays y ont largement contribué (Bensaâd 2002, Bredeloup et al, 2005, Brachet et al 2011). A cela s'ajoute un élément majeur du contexte international qui est la restriction des visas d'entrée en Europe. En effet, le durcissement des conditions d'accès aux pays d'Europe est à la base de la création de filières clandestines de migration de nombreux ressortissants des pays d'Afrique subsaharienne vers l'Europe via la Libye en particulier.

C'est ainsi que le Niger est devenu l'espace de transit privilégié pour de nombreux migrants en provenance du Nigeria, du Ghana, du Mali, du Bénin, du Burkina Faso, du Togo, de la Gambie, du Sénégal, de la Côte d'Ivoire ou du Cameroun. Comme le souligne Mounkaila (201) « Dans ces circulations migratoires, le Niger occupe une position stratégique en étant à la fois un pays pourvoyeur des migrants et un espace de transit privilégié pour les migrants d'autres pays d'Afrique subsaharienne ».

L'intérêt de l'Union européenne pour le Niger commence au début des années 2000 via des relations bilatérales de l'Espagne et de l'Italie à travers la mise en oeuvre de projets, comme « Across Sahara », centrés sur le contrôle des frontières. En juin 2006, l'ouverture d'une représentation de l'OIM au Niger marque un tournant décisif pour l'intervention étrangère dans

la gestion des migrations. En effet, les statistiques que publie cette institution sur la migration de transit révèlent la place du pays dans l'essor de la migration dite clandestine vers l'Europe à travers le Sahara et contribuent à le construire comme un espace d'enjeux majeurs.

Dès lors, le Niger longtemps resté à la marge des politiques migratoires européennes se retrouve au coeur de l'agenda politique européen en particulier lors du Sommet de La Valette en novembre 2015. L'UE déploie d'importants efforts pour une coopération avec le Niger dans la gestion des migrations comme le souligne le chef de mission de l'OIM au Niger lors de la visite de la chancelière allemande Angela Merkel en 2016 :»13. Adossée sur le Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne pour l'Afrique, dont le Niger est le principal bénéficiaire en Afrique de l'Ouest, cette collaboration s'articule sur deux volets. Le premier, d'orientation sécuritaire, prend la forme d'appui institutionnel, d'actions de formation des agents de police, de construction de nouveaux postes-frontières et de l'application d'une loi qui pénalise le « transport et l'hébergement de migrants illicites ». Le second volet est axé sur des actions de développement dans les zones de départ en vue de fixer les éventuels candidats à la migration, le refoulement des migrants illégaux, un programme de « retour volontaire » et le financement des projets des ONGs intervenant sur les questions de migration.

Cette intervention forte de l'UE entre en contradiction avec le protocole de la CEDEAO, dont le Niger est membre, en matière de libre circulation des personnes et des biens. En fait, « la libre circulation n'apparaît jamais dans le Discours International sur la Migration, ni comme une politique migratoire possible, ni comme un idéal de long terme. On comprend certes qu'il puisse être délicat, pour des instances intergouvernementales, de soulever un point aussi controversé » (Pécoud, 2015, p 5) ; l'Union européenne, en accord avec l'État, passe outre la libre circulation dans l'espace CEDEAO par ses actions envers les migrants ouest-africains présents sur le territoire nigérien. Or, en tant que pays de transit, plus rarement de destination, le Niger accueille de nombreux ressortissants ouest-africains sur son territoire (Maga, 2011). Avec la montée en puissance de l'interventionnisme de l'Union Européenne au Niger, c'est désormais toute cette mobilité historique (y compris les migrations nigériennes) construite depuis des décennies qui est fragilisée. Ainsi, depuis le début des années 2000, des changements majeurs sont apparus dans l'agenda politique du Niger avec la place de plus en plus importante

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13 Souley Moutari(onep) 11 octobre 2016 http://lesahel.org/

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qu'occupe la migration. Il s'avère donc nécessaire, après près de 10 ans de mise en oeuvre de l'approche globale de l'Union européenne d'étudier ses répercussions au Niger. Pour y parvenir, il est important d'analyser les dynamiques récentes des migrations et de la gestion de celles-ci dans un contexte d'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger.

D'où ces questions,

· Comment l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger reconfigure-t-elle l'approche des migrations non seulement de la part des acteurs nationaux et internationaux, mais aussi les parcours des migrants eux-mêmes ?

· Quels sont les effets de l'externalisation des politiques migratoires européennes sur les modalités de gestion de la migration au Niger ?

· L'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger ne perturbe-t-elle pas les systèmes migratoires nigériens et ouest-africains notamment vers l'Afrique du Nord (Libye et l'Algérie) avec l'accentuation des retours et une possible réorganisation des filières et des trajectoires migratoires ?

· Quels sont les impacts de cette externalisation sur les lieux de transit comme Agadez, espace témoin de la mise en oeuvre des nouvelles politiques en cours dans le domaine de la migration? .

1.2 Hypothèses

· H 1 : L'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger participe à l'endiguement de la migration de transit vers l'Afrique du Nord.

· H2 : L'injonction de l'UE et/ou de ses partenaires dans la gestion des migrations au Niger perturbe les systèmes migratoires nigériens et ouest-africains notamment vers l'Algérie et la Libye construits de longue date et entraine une réorganisation des filières avec une accentuation du retour et la promotion de l'asile.

· H3 : L'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger reconfigure les trajectoires des migrants et les lieux de transit avec l'émergence de routes secondaires et des espaces d'attentes.

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1.3 Objectifs de l'étude 1.3.1 Objectif général

L'objectif général de cette thèse est de comprendre les effets de l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger sur les lieux et les parcours des migrants

1.3.2 Les objectifs spécifiques.

Les objectifs spécifiques assignés à cette thèse sont :

· Présenter le profil migratoire du Niger ;

· Appréhender les étapes de l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger ;

· Analyser l'endiguement de la migration de transit au Niger ;

· Saisir les effets des politiques d'externalisation sur l'économie locale de la migration ;

· Étudier la dynamique des lieux dans un contexte d'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger ;

· Analyser le retour volontaire assisté des migrants et l'offre d'asile dans le contexte des mouvements mixtes ;

1.4 Quel dispositif pour analyser l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger ?

Cette thèse se donne pour ambition d'analyser les incidences des politiques d'externalisation sur les lieux de transit et les trajectoires migratoires au Niger. Pour y parvenir le dispositif d'investigation mis en place s'appuie sur les procédés de collecte de données suivants : recherche documentaire, les entretiens semi-directifs, la collecte de données secondaires, l'enquête par questionnaire, l'analyse de contenu et l'observation. Ces outils ont été utilisés dans une approche systémique pour collecter des données auprès de plusieurs acteurs à Niamey et Agadez. La première ville abrite les institutions en charge de la migration et de l'asile, les agences onusiennes, les ONG et organisations de la société civile. C'est aussi une ville étape dans le parcours des migrants. Le choix d'Agadez se justifie par son statut de ville de transit en direction de la Libye et de l'Algérie. Elle est le terrain de mise en oeuvre des politiques migratoires.

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1.4.1 Recherche documentaire

Pour explorer la littérature scientifique existante dans le domaine, une recherche documentaire a été conduite dans les bibliothèques et centres de documentation du Niger. Celle-ci a été complétée par la lecture de la littérature grise. Elle s'est effectuée dans les bibliothèques et centres de documentation de l'université Abdou Moumouni de Niamey, le Centre d'études linguistiques et historiques par tradition orale (CELTHO), les ministères du plan et de la justice. Elle a permis d'exploiter des documents des structures comme l'OIM, le HCR, Alternative espace citoyen (AEC), les organismes de coopération comme l'Union Européenne, les tribunaux d'Agadez et Niamey et la direction de la surveillance du territoire.

L'objectif est de peaufiner le cadre théorique de la présente étude et comprendre les approches théoriques en matière de politique migratoire afin de positionner cette étude. Elle a également permis d'élaborer les outils de collecte de données tels que les guides d'entretiens, les grilles d'observation et le questionnaire.

La recherche documentaire a été mise à profit pour procéder à la recension et à l'analyse du contenu des textes (loi 2015-36, mémorandum d'entente entre HCR-OIM et le gouvernement du Niger, arrêté portant création du cadre de concertation sur la migration) régissant la gestion des migrations au Niger. L'objectif est d'appréhender l'évolution du cadre institutionnel, politique, juridique et administratif de la migration au Niger.

1.4.2 Collecte de données

Tenant compte des objectifs assignés à la présente étude, des résultats de la recherche documentaire, nous avons opté pour une recherche qualitative de type socio-anthropologique complétée par une enquête quantitative. Dans cette démarche une enquête pilote a été réalisée dans les villes d'Agadez et d'Arlit (du 9 au 30 novembre 2016). Cette étape a permis de réaliser des entretiens avec les acteurs intervenant dans le domaine de la migration dans les deux villes, de collecter des données secondaires sur les entrées et sorties, de prendre des images et de conduire une observation participante. L'exploitation des données ainsi recueillies a servi de base pour ajuster le cadre théorique, les questions de recherche mais aussi la méthodologie de l'étude. Ainsi, nous avons mis en place un dispositif d'investigation qui lie plusieurs techniques de collecte de données à savoir : les entretiens semi-directifs, l'enquête par questionnaire, la collecte de données secondaires et l'analyse du contenu. Cette approche a permis de collecter des données fiables et complémentaires pour une bonne analyse.

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1.4.2.1 Les entretiens semi-directifs

Les entretiens semi-directifs constituent la base de notre méthode de collecte de données. Ainsi à Niamey et Agadez, nous avons réalisé des entretiens avec des acteurs institutionnels. Il s'agit des acteurs étatiques (Gouvernorat, Mairie, Conseil régional, Direction Générale de l'Etat Civil des Migrations et des refugies, les forces de défense et de sécurité, sultanat, Organisations non gouvernementales, agences onusiennes et les organisations de la société civile). Cette démarche vise à réaliser une cartographie des acteurs intervenant dans le domaine des migrations au Niger et leur logique d'intervention. La grille d'entretien (voir en annexe) a porté sur les types d'intervention des acteurs, année de démarrage des activités en rapport avec les migrations, sources de financement, zones d'interventions, logique d'intervention, partenariat et rapport fonctionnel avec les autres acteurs. L'objectif est de démontrer que l'injonction de l'EU et de ses partenaires dans le domaine des migrations au Niger a conduit une multiplication des acteurs intervenant dans le domaine. Par-delà, il parait nécessaire de ressortir les changements dans l'agenda migratoire marqué par une préférence pour la lutte contre la migration de transit en direction de l'Afrique du Nord. Les données recueillies ont été exploitées pour réaliser une cartographie des acteurs et leurs interventions.

Des entretiens ont aussi été réalisés avec les acteurs de l'économie de la migration (voir en annexe le guide d'entretien). Quarante personnes ont été interrogées à Agadez. Il s'agit des membres de l'association des ex-passeurs d'Agadez, des coxeurs, passeurs, transporteurs, conducteurs de taxi-moto, hébergeurs, adai daita (touk-touk), des boutiquiers autour des gares, les responsables des gares. Cette approche a permis de collecter les données sur les profils des protagonistes de l'économie de la migration, les jeux et enjeux autour de cette activité. Sur la base des données recueillies, nous avons analysé les incidences des politiques migratoires européennes sur cette activité dans un espace de transit : Agadez.

À Niamey et Agadez ; des données ont été collectées auprès des acteurs migrants. À Agadez, les migrants ont été rencontrés dans les ghettos, les gares de transport, les centres OIM et HCR ainsi qu'à la prison civile.

À Niamey, c'est essentiellement au centre OIM, dans les cases de passage du HCR et à la prison civile de Niamey qu'ont eu lieu les entretiens.

Nous avons également voyagé avec les migrants de Niamey à Dakar du 7 au 10 janvier 2018 dans le cadre du processus du retour volontaire. Nous avons effectué ce voyage avec 29 migrants ouest-africains convoyés par l'OIM dans le cadre du retour volontaire assisté.

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Ces notes d'entretiens ont permis de disposer des données permettant d'apprécier les effets des politiques sur la trajectoire des migrants, la reconfiguration des routes, l'immobilité et la mobilité de ces acteurs pour faire face aux contextes actuels, et les logiques qui sous-tendent leurs choix. Il a paru essentiel d'appréhender la manière dont les pratiques de ces acteurs participent à la transformation des lieux et des systèmes migratoires. A l'aide d'un questionnaire, (voir en annexe) nous avons également collecté des données sur les parcours des migrants, les motivations et l'attente.

Nous avons complété les données avec des entretiens auprès des leaders communautaires, chefs de quartiers, Sultan d'Agadez, Tambarey, organisations des jeunes, élus locaux pour déceler le lien entre les politiques de lutte contre la migration à Agadez et la fragilité de la coexistence pacifique. Il s'agit d'appréhender les tensions en cours, les protagonistes qu'elles mobilisent, mais aussi le mode opératoire de l'État du Niger et ses partenaires pour « acheter » la paix.

1.4.2.2 Observation

Dans le cadre de la réalisation de cette thèse, nous avons eu recours à l'observation à plusieurs étapes. C'est « une méthode de recueil, de description et d'interprétation des pratiques spatiales, saisies in situ. Elle implique une imprégnation dans des situations et des ambiances sociales, saisies dans la durée ou la répétition. Elle passe par une présence active du géographe dans un lieu, souvent circonscrit, ce dernier participant de manière variable aux situations qu'il observe. L'observation semble assez naturelle car elle s'inspire d'une pratique sociale banale. » (Morange et Schmoll, 2016). Cette approche de recueil de données a été utilisée dans les centres de transit de l'OIM afin de comprendre la vie des migrants dans les centres, l'organisation et les logiques qui sous-tendent cette organisation. Par-delà, le voyage de Niamey à Dakar avec des migrants convoyés par l'OIM dans le cadre du retour volontaire a permis d'observer les conditions du retour.

L'observation a été également utilisée dans les ghettos au moyen d'une grille d'observation (voir en annexe) pour situer géographiquement les ghettos, l'équipement de ces espaces, mais aussi saisir le positionnement des migrants dans cet espace. Lors des séances d'observation, nous avons pris des images pour illustrer les constats.

Nous avons également fait de l'observation participante en tant que prestataires de service au HCR dans le domaine de la migration. Notre rôle est d'appuyer l'opération visant à mettre en place une stratégie dans le champ de la migration mixte en vue de faciliter l'identification des personnes pouvant relever du mandat du HCR se trouvant dans les flux mixtes afin de leur

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fournir la protection internationale. Pour cela, nous devons appuyer la mise en place et l'opérationnalisation des projets dans le domaine, représenter l'organisation dans les rencontres et foras des acteurs de la migration mixte et renforcer les capacités des acteurs étatiques : police, gendarmerie, armée et garde nationale dans la protection internationale dans le domaine de la migration mixte. Cette expérience inédite a permis d'être dans la dynamique du HCR en termes de fonctionnement, de programmation, mais surtout de voir comment l'institution pose ses empreintes dans le segment de la migration mixte. Nous avons donc été un acteur de la mise en place de la protection internationale dans le contexte des mouvements mixtes au Niger (Identification, référencement et réponses) mais aussi de la recherche de solutions durables pour les cas éligibles. Il s'agit du couloir et du vol humanitaire pour les cas d'Agadez.

1.4.2.3 Recensions et analyse du contenu

Les procédés de recension et l'analyse du contenu des textes occupent une place de choix dans notre collecte de données. En effet, l'analyse du contenu des documents officiels (décrets, lois, arrêtés, conventions et protocoles internationaux) fournissent davantage d'informations pour mieux appréhender l'évolution institutionnelle, politique et juridique de la gestion des migrations au Niger.

La même démarche a été utilisée pour saisir l'évolution des pratiques administratives à travers l'exploitation des décisions de justice, les procès-verbaux, les arrêtés, les rapports des structures en charge de la gestion de la migration.

L'analyse du contenu est aussi appliquée aux discours des officiels du Niger pour démontrer le changement de rhétorique. L'analyse a porté uniquement sur le contenu du discours des différents acteurs à travers des coupures de presse. L'objectif est de mettre en exergue l'alignement des discours des autorités aux priorités de l'UE. L'analyse du contenu des déclarations et discours des élus locaux et des acteurs de la société civile permet également de saisir la montée des tensions dans une localité de transit comme Agadez

1.5 Définitions et opérationnalisation des concepts

Il s'agit, dans cette partie de clarifier les dimensions et le sens à accorder aux termes utilisés dans le cadre de cette thèse.

Gestion des migrations : Selon l'Organisation internationale pour les migrations, la gestion des migrations est l' « ensemble des décisions et des moyens destinés à la réalisation d'objectifs déterminés dans le domaine de l'admission et du séjour des étrangers ainsi que dans le domaine

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de l'asile et de la protection des réfugiés et autres personnes ayant besoin de protection. Cette définition insiste sur les règles en matière d'entrée, de séjour, d'asile et de protection des réfugiés » (OIM, 2007).

Pour Bimal Ghosh cité par (GEIGER et PÉCOUD, 2011) , la gestion migratoire signifie gérer pour atteindre des objectifs plus ordonnés, prévisibles et humains, grâce à une gouvernance globale du régime migratoire. La gestion migratoire est basée sur une prémisse de base, à savoir que la migration, bien gérée, peut être positive pour tout le monde, à savoir les pays d'origine, les pays de destination et les migrants eux-mêmes (d'où le fameux slogan « win-win » ou « gagnant gagnant »).

Cet auteur saisit la gestion des migrations comme un instrument pour une migration bénéfique à la fois pour le migrant, les pays d'origine et de départ. Cette définition est très proche de la vision de l'Union européenne des migrations définie dans l'approche globale à savoir : lutte contre la migration irrégulière, promotion de la migration légale et du lien entre migration développement.

Selon Kabbanji (2009 ) « la gestion des migrations fait référence aux politiques migratoires, c'est -à-dire l'ensemble des dispositions légales et des pratiques administratives mises en place en vue de contrôler la migration. Cette gestion peut être nationale et faire donc référence aux politiques migratoires mises en place individuellement par les États. Elle peut également être bilatérale, liant deux États, généralement à travers des accords ou des conventions entre pays d'origine et de destination visant à réglementer les flux et les conditions de séjour et d'emploi des migrants. Elle peut finalement être multilatérale, c'est-à-dire liant plusieurs États ou institutions régionales, comme c'est le cas dans le cadre de la CEDEAO et de l'UEMOA, ou dans le cas d'accords ou de conventions entre la CEDEAO et l'Union européenne ».

Dans cette thèse, nous retiendrons cette définition de KABBANJI de la gestion des migrations car elle est plus adaptée à saisir l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger.

Politique migratoire :L'OIM, (2007) définit la politique migratoire comme « les principes généraux par lesquels un gouvernement est guidé dans sa gestion des migrations », et considère cette gestion comme un « terme englobant les nombreuses fonctions gouvernementales induites par un système national de gestion méthodique et humaine des migrations transfrontalières, en particulier l'administration de l'entrée et de la présence d'étrangers sur le territoire national

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et la protection des réfugiés et de tout type de personnes étrangères nécessitant une protection. Ce terme se réfère à une approche planifiée de l'élaboration d'une réponse politique, législative et administrative aux défis posés par les migrations ».

Le terme politique migratoire fait référence à l'ensemble des actions des autorités publiques d'un pays en matière de gestion des individus n'ayant pas la nationalité de ce pays et qui sont soit présents sur son sol, soit désireux de s'y rendre. Par conséquent, ce terme générique inclut à la fois les dispositions législatives et la pratique administrative relatives aux allers et venues des étrangers sur le territoire national, ainsi que les dispositions spécifiques aux conditions de vie des résidents étrangers temporaires ou permanents. La politique migratoire est donc la somme de la législation migratoire et de son application (Boussichas, 2009).

Dans cette étude, nous considérons comme politique migratoire l'ensemble des textes juridiques, politiques et actes administratifs visant à réguler d'une part (les flux), l'entrée, la circulation et la sortie des personnes de nationalité étrangère dans un territoire donné et d'autre part la gestion des étrangers (stocks).

Migration : La migration est « un déplacement de population, de groupe, d'un pays ou d'une région à une autre pour s'y établir sous l'influence de facteurs économiques, sociaux ou politiques » (Dianka, 2007). Courgeau (1988) considère la migration comme un déplacement d'une zone de référence à une autre qui entraine un changement de résidence. Pour Henry (1981), « la migration est un ensemble des déplacements ayant pour effet de transférer la résidence des intéressés d'un certain lieu d'origine ou lieu de départ, à un lieu de destination ou lieu d'arrivée ».

La migration est un « déplacement d'une personne ou d'un groupe de personnes, soit entre pays, soit dans un pays entre deux lieux situés sur son territoire. La notion de migration englobe tous les types de mouvements de population impliquant un changement du lieu de résidence habituelle, quelles que soient leur cause, leur composition, leur durée, incluant ainsi notamment les mouvements des travailleurs, des réfugiés, des personnes déplacées ou déracinées «. (OIM, 2007).

Il existe plusieurs types de migration : émigration internationale pour mettre l'accent sur les départs, immigration pour saisir les arrivées, migration de retour et de transit. La présente étude se focalise sur la migration de transit des migrants au Niger en partance vers l'Afrique du Nord et la Libye.

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Conclusion partielle

En définitive, il convient de noter que l'approche méthodologique mobilisée lie techniques quantitatives et qualitatives. À cela s'ajoutent, la collecte de données secondaires, l'analyse du contenu et l'observation. Cette approche intégrée est mieux indiquée pour analyser la problématique soulevée dans cette thèse.

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Chapitre 2 : Panorama de la migration au Niger

Vaste territoire d'une superficie de 1 267 000Km, le Niger est pays au climat à dominante sahélo-saharien aux 3/4 désertiques. L'agriculture et l'élevage constituent les principales activités de la population. L'agriculture sous pluie est limitée à la bande sud du pays. Cette portion du territoire accueille plus des 3/4 de la population du pays. Elle se retrouve donc avec des fortes densités de plus de 250 habitants au Km dans certaines régions. L'agriculture vivrière au Niger est soumise aux caprices du climat, à la pauvreté des sols, aux inondations et est souvent exposée aux attaques des criquets pèlerins. Ces dernières années le caractère quasi cyclique des crises alimentaires ont accentué les difficultés des paysans nigériens. Dans ce contexte, les migrations ont été sans conteste le principal moyen de faire face aux crises conjoncturelles (Olivier de Sardan, 2008).

La migration au Niger s'effectue aussi dans un contexte de forte croissance démographique. De 11 millions d'habitants en 2001, la population est estimée à 20 millions en 2020. Cette croissance démographique est soutenue par un taux d'accroissement de 3,9%, l'un des plus élevé du monde. Cela a pour conséquence l'extrême jeunesse de sa population, la moitié de cette population ayant moins de 15 ans. es défis à relever en termes de bouche à nourrir, éduquer, soins de santé et de développement agricole sont ainsi très nombreux. L'agriculture par exemple s'effectue sous des contraintes majeures comme le soulignent ces propos : « La région d'Aguié comporte plusieurs types de systèmes agraires. Mais au-delà de cette diversité, ce qu'il conviendrait de noter c'est surtout la mutation que l'ensemble des systèmes traversent. Ils évoluent dans un contexte marqué par une pression foncière sans précédent, rarement égalée ailleurs au Niger et qui se traduit par l'impossibilité de pratiquer la jachère. Partout l'agriculture fonctionne sur des contraintes majeures, principalement foncières, indépendamment des types de systèmes agraires. Selon les statistiques fournies par les services compétents, la plupart des exploitations ne dépassent guère trois hectares. C'est en réponse à cette situation que les systèmes agraires sont engagés dans un processus de mutation qui les amène à opter pour une double logique de gestion du risque et d'intensification » (Yamba, 2004). Dans bien de cas, manques de terres à cultiver et démographie sont souvent évoquées comme facteurs motivant la migration.

Sur le plan économique, le Niger est un pays pauvre dont une partie du budget de l'État est supportée par l'aide extérieure. Cette situation est aggravée par les difficultés économiques des pays de la sous-région avec lesquels le pays entretient des relations commerciales. En effet,

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selon le Plan de Développement Économique et Social (PDES) 2017-2021- « la récession économique et la dépréciation de la Naira au Nigeria ayant eu un impact négatif sur les échanges du Niger avec ce grand partenaire commercial dans la sous-région » (Ministère du plan, 2017).

Avec un taux de pauvreté de 44,1% et un revenu moyen par habitant de 420 dollars, c'est l'une des nations les plus pauvres du monde. Le Niger est classé dernier (189 sur 189 pays) en 2019 au titre de l'indice de développement humain (0,394) du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

Le Niger est dans un environnement de crise sécuritaire. La crise libyenne déclenchée en 2011 et son inscription dans la durée constitue le premier foyer de crises politiques aux frontières Nord. La rébellion armée puis la montée en puissance des groupes terroristes au Mali à partir de 2012 a donné lieu à un deuxième foyer de crise sécuritaire à la frontière ouest du pays le long des régions de Tillabéri et Tahoua.

En 2013, la crise de Boko Haram et ses répercussions au Niger constituent le troisième noyau d'insécurité à l'extrême sud-est sur la frontière avec le Nigeria le long de la région de Diffa.

Dans ce contexte, le pays accueille des populations de réfugiés et demandeurs d'asile sur son territoire depuis 2012. Il s'agit des réfugiés maliens dans les régions de Tillabéri, Tahoua et Niamey. Les réfugiés nigérians sont accueillis dans les régions de Diffa et Maradi.

En lien avec la dégradation du contexte sécuritaire, quatre régions sur les huit que compte le pays enregistrent des personnes déplacées internes. C'est donc un pays qui fait face à des difficultés sécuritaires. Pour y répondre le gouvernement a fait appel à la coopération internationale. Ainsi, le pays abrite des bases militaires françaises, allemandes, américaines, italiennes.

La migration s'effectue dans un contexte de libre circulation. Depuis 1979 la CEDEAO prône la libre circulation des personnes et des biens. L'alinéa 1 de l'article 59 du traité révisé précise que « les citoyens de la Communauté ont le droit d'entrée, de résidence et d'établissement et les États membres s'engagent à reconnaître ces droits aux citoyens de la Communauté conformément aux dispositions des protocoles y afférents ». Cette vision politique a favorisé l'émergence d'un environnement favorable aux mouvements migratoires dans les 15 États membres. Les ressortissants justifiant d'une carte d'identité et d'un carnet de vaccination à jour sont acceptés dans les États membres jusqu'à 90 jours sans visa. Au-delà de cette période, la personne est tenue de se conformer à la législation en vigueur dans l'État où elle se trouve.

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La vision de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des biens dans l'espace communautaire fait face de plus en plus à des contingences qui plombent la volonté politique affichée. Les enjeux sécuritaires et diplomatiques nés de la chute du régime de Kadhafi militent de plus en plus en faveur du contrôle des frontières.

2.1 Un pays où se superposent plusieurs types de migrations

L'analyse du profil migratoire du Niger révèle une superposition de plusieurs types de migration. Ainsi, on note une circulation des migrants à l'intérieur du pays : migration interne. Le pays émet également des flux de migrants en direction de l'étranger : l'émigration internationale. A l'échelle internationale, le Niger est aussi un espace d'accueil (immigration internationale, mouvement des réfugiés et demandeurs d'asile) et de transit. De plus en plus, en lien avec la dégradation de la situation sécuritaire dans la sous-région, il est enregistré une migration de retour des ressortissants nigériens dans leur pays.

2.1.1 Analyser la migration interne au Niger 2.1.1.1 Prédominance de la migration interne

Au Niger, la migration interne est un phénomène très développé. La figure du migrant est bien connue tant en milieu rural qu'urbain. Il s'agit de ces hommes et femmes qui quittent le milieu rural vers le milieu rural (rural-rural) dans le cadre des migrations de colonisation de terres agricoles, la recherche de l'or ou à cause de l'insécurité. Elle peut aussi prendre la forme d'un déplacement du milieu urbain vers le rural (urbain-rural) ou encore des campagnes vers les villes (rural-urbain). La migration interne s'inscrit dans les temporalités saisonnières et peut aussi être de longue durée, voire même définitive entrainant des changements de résidence des acteurs qui l'animent.

De nos jours, le surpeuplement de certaines zones rurales, la dégradation de l'environnement, les conditions climatiques défavorables, et la pauvreté chronique ont contribué à augmenter l'insécurité alimentaire et la migration. Les jeunes migrants espèrent trouver en ville des compléments au déficit agricole. La migration interne apparait en raison de temporalité souvent courte (3 à 7 mois) des espaces qu'elles concernent (capitales régionales ou du pays) comme l'apprentissage de la migration auquel on initie les jeunes avant l'émigration internationale.

La migration est une stratégie de résilience complètement intégrée dans les revenus des ménages. Les jeunes de 15 à 18 ans commencent la migration sur des courtes distances vers les capitales régionales ou Niamey. Elle commence généralement à la fin des récoltes pour un

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retour au début de la saison des pluies. C'est au cours de cette apprentissage de la migration que les jeunes ruraux apprennent le Bidda (chercher en langue Haoussa) ou le Tcheki (chercher en langue Zarma Sonrai) en ville par la pratique de petits métiers (boys, vendeurs ambulants, conducteurs de taxi moto) comme le soulignent ces propos : « Ici à Ayorou, nous avons beaucoup d'enfants âgés de 10 à 15, qui arrivent à Ayorou chaque année après les récoltes, pour travailler et gagner un peu d'argent. La plupart d'entre eux vendent de l'eau fraiche et ou travaillent en tant que domestiques dans les maisons » (Entretien, Kasso, Ayorou, juillet 2019). En effet, le fait de migrer, dans beaucoup de communautés nigériennes, est un acte de bravoure qui permet aux jeunes de s'émanciper comme le soulignent ces propos :

« La migration concerne toutes les couches de la population avec un cachet particulier chez les jeunes. Ces derniers ont développé tout un mythe autour de la migration et particulièrement pour les destinations vers l'Algérie et la Libye. Les raisons sont économiques mais certains départs laissent comprendre que les effets de mode et les exemples de réussite constituent aussi d'autres causes de la migration. Naitre et grandir à Tchintabaradem est un facteur qui vous prédispose à la migration vers la Libye ou l'Algérie. Les départs vers ces pays n'ont pas de périodes pour les jeunes de Tchintabaradem ». (Entretien Farouk, Tchintabaradem, janvier 2021).

La migration interne au Niger se féminise avec des femmes et des jeunes filles qui viennent en ville à la recherche de leur trousseau de mariage ou de subsistance (Kandagoumni, 2013 ; Seyni ,2019 ; Ide, 2019) dont l'insertion urbaine se passe non sans difficulté. Parmi elles, la figure du tagalakoy, ces femmes qui viennent du Zarmaganda, traduit cette souffrance. En effet, l'image de ces femmes rudes au travail avec leur équipement en balancier constitue de nos jours l'un des aspects saisissants et poignants de la vie en milieu urbain niaméen car les visages malgré tout souriants de ces femmes courageuses dissimulent en fait le drame et les souffrances de tout un peuple que l'on a trop tendance à oublier (Sidikou, 1987).

La migration des jeunes filles et femmes prend de l'ampleur. Elle est motivée par la recherche de trousseau de mariage ou des besoins alimentaires. Leur insertion socio-économique s'effectue dans des conditions d'hébergement très pénibles et la pratique d'activités précaires (vente de sable, de gravier, cueillette et vente de feuille de moringa). Les revenus tirés de ces activités permettent à ces femmes de contribuer aux besoins alimentaires de leur ménage à travers des envois de vivres à ceux qui sont restés au village et des vivres qu'elles rapportent en rentrant, (Mamoudou, 2012, p 60). En milieu urbain, à l'image de Niamey, il est fréquent d'observer au niveau des carrefours des femmes migrantes accompagnées souvent d'enfants s'adonner à la mendicité. La migration féminine c'est aussi celle des femmes bororos en ville pour la vente des produits de la pharmacopée traditionnelle mais aussi pour leurs compétences de tresseuses comme le souligne : « Chez les Peulhs, il concerne les personnes des deux (2)

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sexes et se fait en direction des gros centres et des pays comme le Nigeria, le Benin, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso et le Mali. » (PDC, Commune urbaine de Tchintabaradem, P23).

Selon les données de l'ENAMI 2011 (INS, 2013) environ 6 Nigériens sur 100 (6,5%) seulement sont des migrants internes. Il apparaît que près de la moitié des migrants internes (44,1%) viennent de la région de Tillabéri (24,7%) et de celle de Dosso (19,4%).

De l'analyse de la migration interne sur la base des données de l'ENAMI 2011, il ressort que Niamey polarise l'essentiel des migrants internes. Elle reçoit principalement les flux en provenance des régions de Tillabéri et Dosso. Cela s'explique par la proximité géographique de ces régions avec Niamey, mais aussi en termes d'opportunité qu'offre la capitale. Notons aussi que les populations de ces régions parlent largement le zarma sonrai comme dialecte. Or, la langue est un puissant levier d'insertion sociale.

La région d'Agadez vient en 2ème position en termes d'accueil de migrants internes. Elle reçoit les migrants des régions de Zinder, Tahoua et Maradi. Cela se justifie par les opportunités économiques et d'emploi qu'offrent les mines et le jardinage dans cette région. Elle est aussi une étape du parcours migratoire menant vers l'Afrique du Nord. Certains migrants y séjournent, exercent quelques petits métiers afin de réunir les ressources nécessaires à la migration au Maghreb.

2.1.1.2 Expansion des déplacements forcés

Selon la loi 2018-74 relative à la protection et à l'assistance aux personnes déplacées internes, on entend par personnes déplacées internes (PDI) :<< personnes ou groupes de personnes ayant été forcées ou obligées de fuir ou de quitter leurs habitations ou lieu habituels de résidence, en particulier après , ou afin d'éviter les effets des conflits armes , des situations de violences généralisées , des violations des droits de l'homme et/ou des catastrophes naturels ou provoques par l'homme et qui n'ont pas traverse les frontières territoriales du Niger>>.

Le Niger a commencé à enregistrer des déplacés internes sur son territoire depuis 2012 en lien avec la dégradation de la situation sécuritaire au Mali. Il s'agit en fait des populations nigériennes contraintes d'abandonner leur terroir du fait des contraintes sécuritaires le long de la frontière avec le Mali.

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Dans l'extrême est du pays, la généralisation du conflit et son inscription dans la durée ont contraint les populations nigériennes notamment celles des îles du lac Tchad à abandonner leur territoire. Ce déplacement forcé se fait souvent sous l'injonction des autorités qui leur demande d'évacuer les lieux afin de permettre aux opérations militaires de pouvoir se tenir. Dans certains cas, les populations prises de peur et de panique n'ont pas attendu l'injonction des autorités pour se déplacer. Le déplacement forcé est un phénomène peu connu qui a pris de l'ampleur avec les opérations militaires et l'implantation des groupes armés dans l'ouest et l'est du Niger. En effet, la carte ci-dessous indique qu'au 31 mai 2021, le Niger comptait 300 290 déplacés internes sur son territoire reparti dans cinq (5) régions comme l'indique la carte (2) ci-dessous.

Carte 1 : Répartition des déplacés internes au Niger

Ainsi, à Diffa on dénombre 104 588 personnes déplacées internes. C'est une mobilité forcée de durée relativement longue variant entre 4 à 5 ans ou moins pour certains. A l'inverse dans les régions de Tillabéri et Tahoua les déplacements internes sont relativement récents. Ils sont consécutifs aux opérations militaires en cours menées par le G5 Sahel le long de la frontière

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entre le Niger et le Mali à la suite de la généralisation de l'insécurité (terrorisme et grand banditisme) le long de cet axe. Sur ces espaces les déplacés internes se retrouvent sur une bande de 20 à 50 km de la frontière. Ainsi, dans la région de Tillabéri, il est recensé 82 604 déplacés internes. A Tahoua ce sont les départements de Tillia et Tassara qui sont concernés par les déplacements internes avec 55 625 personnes (UNHCR Niger, 2021). A Maradi, il est dénombré 17 252 personnes déplacées internes.

En lien avec les inondations de 2020 la ville de Niamey a enregistré 40 221 déplacés internes.

Sur le plan légal, le Niger a traduit dans son ordonnancement juridique la convention de Kampala sur la gestion des déplacés internes. Ainsi, le 8 juillet 2018, le pays a adopté une loi sur la protection et l'assistance aux déplacés internes.

2.1.2 Une émigration internationale intra africaine

L'émigration internationale des Nigériens est un phénomène ancien qui date de la période coloniale. Déjà en 1957, Jean Rouch notait la présence de migrants ressortissants de l'espace nigérien en Gold Coast (actuel Ghana). C'est une migration de travail qui relève de la recherche d'un bien être ou de l'aventure.

À l'échelle globale la migration des Nigériens vers le golfe de Guinée peut s'inscrire dans le prolongement de la migration de travail créée et entretenue par la colonisation : les pays sahéliens doivent fournir la main d'oeuvre nécessaire au développement de l'économie de traite, des plantations en RCI. Les migrations constituent donc à la fois l'un des éléments et l'une des conséquences des stratégies de développement mises en oeuvre par la colonisation et basées essentiellement sur l'économie de plantations. (Mounkaila, 2006).

Cette fonction de pourvoyeur de main d'oeuvre a été surtout assignée aux populations ressortissantes du Gourma malien et burkinabé. Même si n'ayant pas été directement visée par cette tâche, les populations du Gourma nigérien ne vont pas tarder à emprunter le chemin de l'émigration internationale pour diverses raisons : recherche du numéraire pour payer l'impôt colonial, volonté d'échapper à la rudesse du système colonial français, aventure, recherche de biens matériels.

À l'indépendance du pays, les difficultés économiques du jeune État auxquelles s'ajoutent les crises alimentaires et les famines récurrentes ont consolidé l'émigration internationale des Nigériens vers les régions côtières du Ghana, de la Côte d'Ivoire, du Togo et du Bénin. Elle va

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s'élargir vers l'Afrique du Nord dès les années 1960 avec la prospérité des États du Maghreb, les sècheresses et les rebellions des années 90 comme le confirment ces propos :

« L'émigration est une stratégie de survie à Tchintabaradem. Elle est très développée et affecte l'ensemble de la population. Les principales destinations sont l'Algérie et la Libye.il est très rare de voir un jeune de 18 ans (qui n'est pas scolaire) qui n'a pas voyagé dans un de ces deux pays. Les départs s'observent sur toute l'année avec une légère augmentation pendant la période de fraicheur qui donne une certaine facilité aux conditions de voyages ». (Entretien, Ayatollah, Tchintabaradem, janvier 2021).

Les Nigériens, notamment des régions de Tahoua, Agadez et Zinder, s'y orientent pour servir de main-d'oeuvre dans les grands chantiers engagés à cette période. Les années 1980 -1990 marquent un tournant dans l'émigration internationale des Nigériens. En effet, la persistance des difficultés économiques nées de la chute du prix de l'uranium, le caractère quasi cyclique des famines et crises alimentaires, les conséquences de l'ajustement structurel ont donné lieu à des crises tant en milieu urbain que rural. Au même moment, dans les pays d'accueil comme en RCI cette période coïncide avec l'instauration de la carte de séjour. Comme réponse à cette conjoncture, il s'en suit un élargissement et une réorientation de l'espace d'émigration internationale des Nigériens. Désormais, ils découvrent l'Afrique centrale : Cameroun, Gabon, Congo. Ils émigrent en Arabie Saoudite, en Europe et aux États Unis. Les lieux de départ sont le milieu rural et urbain et les destinations se diversifient comme le soulignent (Boyer et Mounkaila, 2010). « La diversification des destinations au fil des décennies répond, d'une part, aux difficultés grandissantes d'insertion professionnelle dans nombre de villes de la sous-région, et d'autre part, aux difficultés de circulation et d'installation même temporaire dans certains pays. Par ailleurs, un autre avantage de cette diversité des lieux possibles est qu'en cas de crise, d'impossibilité de circuler dans l'un ou l'autre des pays, les migrants ont la capacité de se replier ailleurs ». Par exemple durant la crise en RCI, il est noté une réorientation des flux vers la Libye, l'Algérie, Nigéria et le Bénin.

De plus en plus, les inondations apparaissent comme des facteurs poussant à l'émigration car détruisant les moyens d'existence de la population. Ainsi, en 2020 à la suite des fortes précipitations enregistrées des milliers de personnes sinistrées furent contraintes d'abandonner leur résidence. Le long du fleuve Niger, les exploitations rizicoles ont été fortement endommagées compromettant ainsi l'alimentation de plusieurs mois de nombreux ménages. Dans la recherche de solutions à ce phénomène conjoncturel, l'émigration apparait dans bien de cas comme une alternative.

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De manière générale l'émigration internationale des Nigériens est une migration circulaire ponctuée par des allers retours entre le pays d'accueil et le pays de départ. Elle est désormais ancrée dans la stratégie de gestion de la main d'oeuvre et du risque des ménages pour faire face aux incertitudes de la saison des pluies. La migration circulaire est l'une des pratiques migratoires les plus répandues car elle répond aux contraintes du milieu local. Elle assure l'équilibre du couple agriculture-migration, le maintien du peuplement dans les espaces de départ et permet aux paysans d'assumer les contraintes des systèmes de production. (Boyer et Mounkaila, 2013). Toutefois, il existe des cas où cette migration temporaire et circulaire devient définitive. Il subsiste un nombre important de communautés nigériennes établies au Ghana, Bénin, RCI, Nigéria et au Soudan.

L'analyse spatiale de l'émigration internationale des Nigériens en fonction des régions de départ montre que les émigrants nigériens viennent des régions de Dosso, Tillabéri, Tahoua, et plus marginalement Zinder.

En 2019, les statistiques des Nations Unies indiquent que 401 653 Nigériens résident hors de leur pays dont 364 562 soit 91% vivent en Afrique de l'Ouest. Dans cette région, les principaux pays d'accueil sont le Nigeria (118 119), le Bénin (77 300), la Côte d'Ivoire (67 766), le Togo (66 155), le Burkina Faso (13 155) et le Mali (12 863). Les Nigériens représentent la deuxième communauté étrangère la plus importante au Togo avec 24% du nombre total des migrants internationaux résidant dans ce pays. Au Bénin, ils viennent en 3ème position et au Nigeria en 5ème position (Nations Unies, 2019).

L'émigration internationale des Nigériens s'explique souvent par des raisons d'études, de regroupement familial notamment pour les femmes, d'aventure et de travail. Il faut noter la féminisation de l'émigration internationale au Niger (JMED 2014, Maliki Rabo, 2016, Manou Nabara, 2019) avec le départ des femmes de Kantché vers l'Algérie, le Tchad et le Soudan, des femmes bororos vers le Burkina Faso, le Mali et le Sénégal.

2.1.3 L'immigration internationale

2.1.3.1 Une immigration internationale transfrontalière

Au Niger, l'immigration demeure faible à cause des conditions économiques qui offrent peu d'opportunités d'emploi. Néanmoins, le pays accueille des immigrants internationaux. Il s'agit en majorité des ressortissants des pays voisins : « les immigrants proviennent à 93% de 6 pays : Mali, Burkina Faso, Nigéria, Bénin et dans une moindre mesure Togo et Côte d'Ivoire. Ces

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pays sont membres de la CEDEAO » (OIM, Niger, Profil 2009). C'est une immigration transfrontalière qui remonte à la colonisation et qui s'est consolidée après les indépendances. Ainsi, en termes d'effectifs les Maliens et les Nigérians sont les plus nombreux au Niger. Ils monopolisent certains domaines d'activités notamment la blanchisserie pour les Maliens (Ayouba Tinni, 2015), la vente des pièces détachées pour les Ibos, le maraîchage pour les Burkinabè. On note aussi la présence au Niger d'immigrants ressortissants de l'espace CEDEAO non frontalier avec le Niger. Ils exercent dans le domaine de la restauration, la domesticité et du commerce d'articles divers.

Plus récemment, la découverte de l'or dans le Nord du Niger a favorisé l'immigration de populations soudanaises et tchadiennes sur les sites aurifères du Djado et à Tiberkatan, comme le confirment ces propos « Le gouvernement a fermé en février 2017 un autre site aurifère découvert en 2014 dans le Djado et où travaillaient également plus de 20.000 Nigériens, Tchadiens, Libyens et Soudanais, selon les autorités locales »14. Dans l'ouest du Niger, il importe de souligner la présence des immigrants burkinabés et maliens sur les sites d'or des départements de Téra et Gothèye.

Dernièrement, la forte demande en construction dans la capitale a favorisé l'immigration à Niamey de jeunes venus de la sous-région spécialisés dans le domaine de la construction : maçons, plombiers, électriciens, carreleurs et staffeurs pour satisfaire un besoin dans un domaine où les compétences locales demeurent faibles ou inexistantes.

Le Niger accueille également des immigrés turcs, indiens, chinois, libanais très actifs dans le commerce général, l'hôtellerie, les services, la construction et les articles divers.

Tableau 2:Répartition des immigrants par nationalité

NATIONALITÉ

TOTAL

Malienne

17524

Burkinabé

12147

Nigériane

9709

Béninoise

8697

 

14 Journal la nation du mercredi 19 juillet 2017

55

Togolaise

4870

Française

804

Ivoirienne

748

Autres pays

3180

Total

173231

 

Source : RGP/H, 2012

2.1.3.2 Une immigration internationale de transit importante

Le profil migratoire du Niger inclut également la migration de transit. Cette fonction de carrefour correspond historiquement à trois phases importantes des mouvements migratoires entre le Sahel et le Maghreb (Mounkaila, 2010). Il s'agit de l'apogée du commerce transsaharien (du 10e au 19eme siècle) marqué par des échanges entre l'Afrique Noire, le Maghreb et l'Égypte. Durant cette période « Agadez devient le port de l'Afrique en direction du Maghreb et elle est la plaque tournante pour le trafic de l'Empire du Mali vers le Fezzan et vers la Tripolitaine. Des commerçants venus aussi bien du Nord que du Sud du Sahara, commençaient à se fixer. La ville était cosmopolite et plusieurs langues africaines étaient parlées », (Aboubacar, 2007).

La deuxième phase s'étend de la colonisation à la fin des années 80. Cette période correspond à l'introduction de l'automobile pour relier les deux rives du Sahara via les anciennes routes caravanières. Elle se singularise par l'essor des migrations de travail des Sahéliens vers les pays du Golfe de Guinée et accessoirement le Maghreb. Elle est consécutive aux grands travaux et aux projets de développement lancés en Algérie et en Libye dont la mise en oeuvre nécessite une main d'oeuvre qui n'est pas disponible localement (Brachet, 2007, p37). Il a donc dans ce contexte fallu encourager l'arrivée de la main-d'oeuvre immigrante. Celle-ci s'est amplifiée dans les zones de départ par les grandes sècheresses de 1969 et 1973 qui ont décimé une bonne partie du cheptel sahélien. Les nomades nigériens dans ce contexte ont dû quitter pour le Maghreb afin de servir comme travailleurs. Le Niger a donc servi à la fois d'espace d'émigration pour le Maghreb mais aussi de transit pour les autres Sahéliens voulant se rendre en Afrique du Nord.

La troisième phase commence à la fin des années 80. Elle fait suite à la découverte de l'uranium à Arlit à 240 km au Nord d'Agadez. Dans la suite de la mise en exploitation de ce minerai stratégique le Gouvernement du Niger a investi 30 milliards de francs CFA pour la construction d'une route dite de l'uranium permettant de relier Agadez au reste du pays. Cette infrastructure

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sera suivie quelques années plus tard du bitumage de la route Zinder-Tanout-Agadez. Le développement du réseau routier a permis de désenclaver la vaste région désertique et de le connecter au reste du pays et de la sous-région (Bensaâd, 2002). Ainsi, Agadez se trouve relié à l'ouest du pays et par conséquent au Sahel central et au Golfe de Guinée. Au Sud, la région est connectée aux grandes villes du Nigeria comme Kano, Lagos et à l'Atlantique. Notons que la mise en place du réseau routier a permis de détourner les flux et trafic le Tahoua-Ingall-Tamanrasset au profit du tronçon Agadez-Arlit Tamanrasset.

La mise en place du réseau routier connectant Agadez au reste du monde correspond également à une période de difficultés économiques dans certains pays d'Afrique de l'Ouest. Les politiques d'ajustement structurel ont eu des effets néfastes sur la création ou la consolidation de l'emploi dans bon nombre de pays. Dans ce contexte, les flux de migrants se tournent en direction du Maghreb où le boom pétrolier continu à attirer les jeunes du continent dans un contexte marqué aussi par une politique panafricaniste du Président Kadhafi. Ces flux qui traversent le Niger, ont participé à consolider Agadez comme espace de transit. La décennie 80 se distingue par la croissance des passages des ressortissants africains vers le Maghreb. Dès cette époque le Niger s'affirme comme espace de transit et d'émigration vers le Maghreb. La fonction de couloir de transit a connu un nouveau tournant dans les années 1990 à la suite de l'élargissement des aires de recrutement à l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest et du Centre en lien avec les difficultés économiques nées de l'ajustement structurel de cette décennie, la dévaluation du franc CFA et des crises politiques en RCI, en Sierra Léone et au Liberia. Elle s'est consolidée depuis la chute du régime de Kadhafi et la fermeture des autres routes migratoires (Mali et Mauritanie) permettant d'accéder à l'Europe via la Méditerranée occidentale. L'appartenance du Niger et des pays d'origine des migrants à l'espace CEDEAO a renforcé le transit dans le pays à cause des facilités de mobilité en vertu des textes communautaires sur la libre circulation des personnes et des biens.

À ce jour, la traversée via le Niger pour se rendre en Europe, en traversant la Méditerranée centrale est l'une des principales routes migratoires encore active. Chaque année des milliers de ressortissants de l'Afrique subsaharienne traversent le Niger pour se rendre au Maghreb et éventuellement en Europe (carte 2)

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Carte 2: Routes migratoires traversant le Niger Source : Notre étude

En 2015, l'OIM estime à 100 000 le nombre de migrants transitant annuellement par Agadez et 333 891 en 2016. Ces chiffres tombent à 69 637 en 2017 pour descendre à 18 792 en 2018. Ces données sont collectées dans un contexte de mise en place d'une politique restrictive des mobilités humaines en direction de l'Afrique du Nord au Niger sous l'injonction de l'Union européenne qui a pour autre conséquence l'émergence de nouvelles routes. Elle a rendu moins visible une migration jadis irrégulière et pourtant tolérée par tous. Ces chiffres ne reflètent donc que très partiellement la réalité du terrain. Aujourd'hui dans la région d'Agadez, les migrants vivent dans une situation de vulnérabilité liée à la clandestinité. Les passeurs qui les transportent empruntent des voies non balisées et exposent par-là même leurs passagers.

Dans ce contexte, il est évoqué de plus en plus l'irrégularité des flux transitant par Agadez. On parle de migrants dits irréguliers. La notion d'irrégularité des migrants se fonde sur la loi 201536 qui dans une de ses dispositions criminalise la sortie illégale. C'est donc sur cette base que

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tous les migrants se trouvant à Agadez sont qualifiés d'irréguliers car n'ayant pas de visa pour se rendre en Libye ou en Algérie.

Le caractère dit irrégulier de cette migration de transit a donné lieu au développement de réseaux transnationaux d'acteurs facilitant cette immigration dans la sous-région. Au Niger, dans les villes de transit comme Agadez, Dirkou et Arlit une véritable économie de la migration s'est installée comprenant le rançonnage, l'accueil, l'hébergement et le transport de migrants. Elle a aussi donné lieu à l'installation de plusieurs organisations internationales dans la commune urbaine d'Agadez qui offrent assistance aux migrants en transit. Les plus emblématiques d'entre elles sont l'OIM et le HCR. La première dispose d'un centre d'accueil de migrants souhaitant retourner dans leur pays. Elle dispose de ce fait d'un dispositif pour acheminer les migrants vers leur pays d'origine. La seconde a ouvert un bureau dans cette ville afin d'identifier les potentiels demandeurs d'asile se trouvant dans les flux migratoires. Une fois identifiés ces derniers sont orientés vers les structures habilitées à donner l'asile. En attendant la fin du processus, elle dispose d'un centre d'hébergement humanitaire pour ces personnes qui relèvent de son mandat.

Au titre des tendances de l'immigration internationale de transit depuis le début de l'application de la loi 2015-36 qui réprime la migration dite irrégulière vers l'Afrique du Nord on observe une baisse des flux sortants de la région d'Agadez en direction du Maghreb. Inversement, on constate une augmentation des migrants de retour à la suite des expulsions en Algérie et de la dégradation de la situation sécuritaire en Libye.

2.1.3.3 Un afflux des réfugiés nigérians et maliens

Signataire de la convention des Nations Unies sur les réfugiés de 1951, le Niger a une tradition d'accueil des réfugiés sur son territoire. En effet, dans les années 90 à la suite du conflit tchadien, le pays a accueilli plus de 1000 ressortissants de ce pays qui ont été reconnus comme refugiés. Depuis cette période le pays n'a pas fait face à un mouvement massif de personnes sur son territoire nécessitant une protection internationale. Toutefois, la Commission Nationale d'Eligibilité (CNE) mise en place à la suite de la loi 1997 sur les réfugiés a traité et octroyé le statut de réfugiés à des requérants individuels.

Plus récemment en 2012, le conflit malien a donné lieu à un afflux de citoyens de ce pays vers le Niger dans les régions de Niamey, Tillabéri et Tahoua à la recherche d'une protection internationale. Devant l'ampleur de la situation le gouvernement à travers l'arrêté N°142. /MI/SP/D/AR/DEC-R du 16 Mars 2012 du ministre de l'Intérieur a accordé le statut de réfugiés

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prima facies aux Maliens victimes du conflit armée du Nord Mali. Ainsi, l'article premier de l'arrêté stipule « les Maliens rentrés au Niger à la suite du conflit armé qui a éclaté en janvier 2012, dans le Nord du Mali, sont admis au bénéfice du statut de réfugié prima facies, conformément aux dispositions de l'article 1. Alinéa 2 de la Convention de I'OUA de 1969, régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique et de I`article 14 du Décret n° 98-382/PRN/MI/ AT du 24 décembre 1998, déterminant les modalités d'application de la Loi n° 97-016 du 20 juin 1997, portant statut des réfugiés au Niger ». Le deuxième article du même arrêté les place sous le mandat du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Cette décision politique a eu pour conséquence, l'ouverture à nouveau d'un bureau du HCR au Niger. Le Niger renoue ainsi avec l'accueil des réfugiés. Ainsi, au 31 mai 2021 le pays abrite 61 156 réfugiés maliens qui vivent à Niamey (4000), Tillabéri (36 525) et la zone d'accueil des réfugiés d'Intikane dans la région de Tahoua abrite 20 631 réfugiés15. Avec l'enlisement du conflit, ces populations continuent de vivre sur le sol nigérien. Toutefois, le HCR indique avoir facilité des rapatriements volontaires au Mali d'un millier de réfugiés. Mais de manière générale, la dégradation de la situation sécuritaire et la proximité linguistique, culturelle, géographique entre les réfugiés maliens et les populations hôtes poussent le HCR à envisager comme solution durable à ces cas l'intégration locale. Dans cette perspective, l'agence onusienne en accord avec le Gouvernement prévoit un lotissement à but humanitaire avec pour objectif l'enrôlement des réfugiés aux systèmes nationaux (santé, éducation,

hydraulique ).

En 2013, l'insécurité née de la crise de Boko Haram au Nigéria va contraindre des milliers de ressortissants de ce pays à chercher refuge et protection internationale au Niger. Une fois encore, le ministère de l'intérieur à travers l'arrêté N° 806 MI/SP/D/AR/DEC-R du 4 décembre 2013 accorde le statut de réfugiés temporaire à des ressortissants du Nord Est du Nigéria. L'article premier de l'arrêté stipule que « Les Nigérians, ressortissants des États de Borno, Yobé et Adamawa, entrés au Niger à la suite des événements survenus dans leurs États depuis le 14 mai 2013, bénéficient de la protection temporaire jusqu'à ce que la situation se normalise dans lesdits États ». Pour l'essentiel, ces populations sont accueillies dans la région de Diffa. On dénombre au 31 mai 2021, 127 233 réfugiés nigérians dispersés dans les départements de Diffa, Mainé Soroa, Bosso, Chétimari, Goudoumaria et N'Guigmi. Cette nouvelle situation humanitaire place le Niger au coeur des enjeux internationaux de protection.

15 UNHCR_Niger_Niger_PoC_Map_june_2021

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L'accueil des réfugiés a souvent un impact positif pour les populations hôtes. En témoigne l'afflux dans ces espaces des organisations non gouvernementales comme l'illustrent ces propos

« Avec l'arrivée des réfugiés, beaucoup d'ONGs se sont intéressées à la commune d'Ayorou. Ainsi, la ville d'Ayorou a bénéficié de plusieurs distributions de vivres. Les partenaires ont également appuyé la ville d'Ayorou dans le domaine de l'approvisionnement d'eau potable, à travers la station de traitement d'eau potable. Certaines femmes ont aussi bénéficié des appuis pour des AGR ». (Entretien, Mairie Ayorou, juillet 2019).

Avec la dégradation de la situation sécuritaire au Nord du Nigéria (États de Sokoto, Zamfara et Katsina) il a été observé dans la région de Maradi, un afflux de personnes en provenance du Nigéria à la recherche de protection internationale. Au 31 mai 2021, ils sont estimés à 50 540 réfugiés nigérians se trouvant dans la région de Maradi auxquelles le Niger a accordé le statut primas faciès (arrêté 571 du 9 juillet 2020). La même disposition est élargie aux ressortissants des États fédérés de Yobé, Adamawa et Borno mettant ainsi fin à la protection temporaire.

Carte 3: Répartition de la population réfugie au Niger

Source : Notre étude

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2.1.3.4 Offrir la protection internationale aux personnes en mouvement forcé

Au Niger, c'est la loi 016 du 20 juin 1997 qui précise les modalités individuelles de demande d'asile et la mise en place d'une Commission Nationale d'Éligibilité au statut de réfugiés. Sur cette base le Niger ouvre la possibilité de demander l'asile aux personnes qui le souhaitent. C'est dans cette perspective que l'arrêté qui reconnait les Maliens comme refugiés prima faciès ouvre également la possibilité pour ceux qui en sont exclus de suivre la procédure de demande d'asile. Il en est de même des Nigérians non ressortissants des trois régions du Nord Est. Le Niger accueille au 31 mai 2021 sur son territoire 3 048 demandeurs d'asile. La répartition en fonction des régions donne les données désagrégées suivantes comme l'indique la carte (5) ci-dessous : Agadez (562), Diffa (2 109), Tillabéri (25) et Niamey (352). Depuis novembre 2017, le HCR en accord avec l'Etat du Niger a mis en place un mécanisme d'évacuation d'urgence et de transit de la Lybie vers le Niger des personnes relevant de son mandat. A ce titre la ville de Niamey accueille 1173 demandeurs d'asile.

Carte 4 : Statistique sur les demandeurs d'asile au Niger

Source : Notre étude

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2.1.4 Migration de retour

Pays d'émigration, le Niger enregistre une migration de retour de ces ressortissants. A l'échelle nationale dans le contexte de la migration circulaire, il s'agit des migrants ayant quitté le milieu rural ou la ville qui reviennent en fonction de la saisonnalité des travaux champêtres. Les allers-retours des migrants s'effectuent à l'intérieur des frontières du pays. A l'international, le retour s'inscrit dans le cadre de la migration circulaire ou saisonnière. Cette migration inversée n'est pas liée à un évènement conjoncturel et s'inscrit dans la stratégie et le mode de vie des ménages pour la gestion des risques.

À côté de cette migration de retour se greffe un retour forcé ou contraint qui ne relève pas de la volonté du migrant. Il s'agit des retours dictés par des conditions politiques, sécuritaires et sociales des pays d'accueil. A titre d'exemple, on peut mentionner les retours dû aux expulsions, guerres, durcissements des politiques migratoires, xénophobie, conflits politiques ou sociaux. L'histoire migratoire du Niger est marquée par plusieurs types de retours contraints. On peut citer l'expulsion des Nigériens du Ghana dans les années 60, du Nigéria en 1983 et 1985. Il s'agit là d'expulsions de masse organisées par les pouvoirs politiques. En principe, les expulsions massives sont interdites par les protocoles de la CEDEAO mais les États continuent à le faire. L'expulsion doit être faite au cas par cas avec notification au citoyen et à son gouvernement. En fait la CEDEAO n'a pas prévu de sanction contre les États qui ne respectent pas ces dispositions. Aucune voie de recours n'est prévue pour le citoyen victime de rapatriement ou expulsion (Maga, OIM, 2009).

Dans la période récente, l'accord entre le Niger et l'Algérie en 2014 a permis l'expulsion de milliers de Nigériens hommes et femmes. Il s'agit en majorité des femmes ressortissantes de Kanché dans la région de Zinder qui s'adonnent à la mendicité. Par-delà et en l'absence de tout accord, l'Arabie Saoudite expulse régulièrement des immigrants nigériens de son territoire (Boyer, 2016).

Notons aussi que le retour forcé émane souvent du migrant lui-même. En effet, devant la dégradation de la situation sécuritaire dans les pays d'accueil, le migrant peut décider de retourner au pays en attendant une normalisation de la situation ou chercher une nouvelle destination. Les exemples des Nigériens en Côte d'Ivoire en 2002 et plus récemment en Libye en 2011 sont illustratifs.

Le retour contraint en masse, dans certains contextes peut poser des problèmes dans les zones d'arrivée. Il s'agit principalement de l'accès aux terres de cultures et la pression sur les

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ressources locales. Leur gestion nécessite l'intervention des pouvoirs publics. En 2011, dans la zone de Tchintabaraden, il a fallu l'intervention de l'État et de ses partenaires pour trouver des activités génératrices de revenus aux migrants de retour. La même situation a été observée à Kantché pour les femmes retournées d'Algérie. Des projets ont été initiés et mis en oeuvre ; même si par ailleurs ce n'est pas dans une logique d'atténuer le choc du retour ; mais plutôt dans une perspective de les fixer.

Certains retours contraints s'effectuent avec l'intervention de l'État. En effet, à la suite de la détérioration de la situation sécuritaire et politique dans les pays d'accueil, l'État du Niger intervient souvent pour rapatrier ses ressortissants. En 2014 par exemple, l'État est intervenu pour rapatrier 1.163 migrants nigériens de la République centrafricaine lors de la crise qu'a connue ce pays grâce à une collaboration avec l'OIM. Les 3/4 des personnes rapatriées sont des ressortissants de la région de Tahoua, espace connu pour sa forte émigration (Ocha, 2014). Il en est de même en 2018 en Libye à la suite de la publication de la vidéo de la chaine américaine CNN sur la vente d'esclaves dans ce pays

2.2 Facteurs et tendances récentes de la migration au Niger 2.2.1 Réaliser son projet migratoire au Niger

La migration au Niger trouve son fondement dans l'histoire coloniale. En effet, la politique coloniale a mis en place un système permettant d'utiliser les populations de l'hinterland comme main d'oeuvre afin de développer l'économie cafetière dans les pays côtiers. Par-delà, la monétarisation de l'économie a contraint beaucoup de personnes à migrer à la recherche du numéraire pour s'acquitter de l'impôt ou se soustraire à la colonisation française jugée très contraignante. Pendant cette période, la migration de certains est motivée par des considérations culturelles. De nombreux jeunes quittaient leurs terroirs à la découverte de la ville et ses merveilles. Cette dimension de la migration persiste toujours dans des nombreuses zones du Niger où elle est considérée comme un rite pour des nombreux jeunes. Les nombreuses chansons dédiées aux migrants de retour ou en partance témoignent de la place de la migration dans la société.

De nos jours, la migration est motivée par les contraintes du milieu devenu de plus en plus répulsif à cause des mauvaises pluviométries, des inondations, sécheresses, famines, attaques des criquets pèlerins, chômage, absence d'opportunité économique et d'emploi. Elle apparait comme l'ultime recours des ménages pour faire face à l'incertitude du milieu et une alternative de gestion des risques. Pour de nombreux jeunes, elle se présente comme le chemin pour réaliser

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son projet, comme une stratégie d'autonomisation et d'acquisition de biens face au système familial de gestion de biens. Au même moment, les pays d'accueil deviennent plus attractifs avec une offre diversifiée de formation au supérieur, des fortes demandes d'emploi, d'une stabilité de l'emploi, des salaires mieux rémunérés.

2.2.2 Dynamique migratoire au Niger

L'analyse des tendances récentes de la migration au Niger révèle divers constats. Il s'agit de l'intensification des départs et l'élargissement des pays d'accueil, l'essor de la migration de transit et de retour et la féminisation de la migration.

L'intensification des départs a pour conséquence l'accroissement des candidats à la migration. Ainsi, chaque année de nombreux jeunes quittent leurs terroirs dans le but de réaliser leur projet à travers la migration. Il en résulte, l'augmentation des espaces de départs ainsi que la multiplication des lieux de destination.

Par ailleurs, notons également, la consolidation du Niger comme espace de transit des migrants en partance vers l'Afrique du Nord et éventuellement vers l'Europe. Cette dynamique a eu pour conséquence l'augmentation des flux en transit vers l'Afrique du Nord.

Le Niger est un pays moins attractif pour les immigrants internationaux à cause des faibles opportunités économiques qu'il offre. Toutefois, le pays continue à attirer les ressortissants de l'espace UEMOA et CEDEAO. Mais de plus en plus, il se révèle comme une destination pour des immigrés venus de la Chine, Inde, Liban et Turquie.

Dernièrement, le Niger s'est affirmé comme espace d'asile comme en témoigne la reconnaissance collective et temporaire du statut de réfugiés aux populations maliennes et nigérianes fuyant la violence dans leur pays. On note également les procédures individuelles de demande d'asile pour 1600 demandeurs d'asile à Agadez, 1600 à Niamey dans le cadre du mécanisme d'évacuation d'urgence ETM. Le phénomène des personnes déplacées internes est une dynamique nouvelle qui prend de l'ampleur au Niger en lien avec la crise sécuritaire que connait la sous-région.

Par ailleurs, les flux migratoires s'inversent de plus en plus au Niger. En effet, le pays enregistre, le retour de nombreux de ses ressortissants suite à la dégradation des conditions sécuritaires dans leur pays d'accueil (Libye, Centrafrique, Côte d'Ivoire).

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De plus en plus, la migration prend un visage féminin au Niger avec l'émigration des jeunes filles et femmes dans les centres urbains du pays. Au-delà, les femmes nigériennes émigrent vers l'Algérie (femmes de Kanché), la Libye et le Soudan à la recherche d'un bien être. « Avant il y a peu de jeunes et de femmes qui migrent mais de nos jours c'est cette catégorie qui est fortement concernée par le phénomène migratoire. Elle commence des petits villages vers les gros, des gros villages aux villes, des villes nationales aux pays étrangers. » (Entretien, Directeur suivi de l'entreprenariat des jeunes, Niamey, 11/1/2018).

Conclusion partielle :

L'analyse du profil migratoire du Niger révèle que le pays émet des flux internes et internationaux largement concentrés sur les pays de l'Afrique de l'Ouest. Le Niger accueille des immigrants dont la provenance tend à se diversifier. La fonction de couloir de transit en direction de l'Afrique du Nord et éventuellement l'Europe s'est consolidée depuis la chute du régime de Kadhafi. En lien avec la dégradation du contexte sécuritaire aux frontières du Niger l'accueil des réfugiés s'inscrit dans la durée. Dans ce contexte la problématique des déplacements forcés des Nigériens présente de nombreux enjeux. Il en de même de la féminisation des migrations et la libre circulation des personnes et des biens dans un contexte de relation avec l'UE et ou ses États membres.

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Chapitre 3 : Les étapes de l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger

L'externalisation des politiques migratoires européennes est le processus par lequel l'Union européenne et/ou ses États membres délèguent la gestion des flux migratoires venant d'un État tiers et susceptibles d'atteindre ses frontières. Ce processus implique : « 1) la délocalisation du contrôle de la migration et de l'asile, 2) la sous-traitance du contrôle des frontières et le blocage des migrants par d'autres pays, 3) la déresponsabilisation de l'UE et ses États membres de leurs engagements en termes de respect de droits de l'homme et du droit à la protection, 4) la privatisation du contrôle des documents de voyage pour franchir une frontière désormais confiée aux transporteurs » (Blanchard, 2009). Migreurop (2012) souligne que « parmi les différentes formes que peut prendre l'externalisation de la politique d'immigration et d'asile de l'UE, la sous-traitance occupe une place de choix. Elle consiste à associer des pays non européens, d'origine ou de transit, à leur politique migratoire soit pour empêcher des personnes de rejoindre l'Europe, soit pour pouvoir y renvoyer celles qui auraient réussi à pénétrer sur le territoire européen ». Pour la Cimade l'externalisation vise deux objectifs principaux « l'endiguement des populations en amont des frontières européennes et leur expulsion depuis le territoire européen pour celle qui ont réussi à l'atteindre » (Cimade, 2017). L'externalisation est le processus par lequel « les États de destination tentent d'établir des rapports de coopérations avec les États d'origine et de transit, par le biais de partenariat et de financement les incitant à maîtriser le départ des migrants et à mieux contrôler leurs frontières. » (Groupe Siréas, 2006). Il s'en suit avec les différentes définitions que l'externalisation implique des rapports de partenariat entre l'UE ou ses États membres et des États tiers dont le territoire est un espace de transit ou de départ en direction des côtes européennes. Le partenariat vise donc à sous-traiter la lutte contre les flux en partance ou supposés en partance vers l'Europe via des projets de développement, de sécurisation des frontières, d'éloignement des migrants et des demandeurs d'asile. C'est sous cette grille que nous allons analyser l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger.

Ce chapitre a pour objectif d'analyser les étapes de l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger. Pour y aboutir un rappel historique de la gestion de la migration au Niger de l'indépendance à la décennie quatre-vingt-dix est nécessaire. Il s'agit de saisir l'évolution historique ainsi que le contexte. Dans cette perspective, l'analyse des différentes initiatives

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régionales ou internationales sur les questions de migration auquel le Niger a participé s'avère primordiale pour mieux mettre en exergue la gestion de la migration dans les relations entre l'UE et les États africains en général et le Niger de manière distinctive.

Le chapitre se donne en outre pour objectif de présenter la région d'Agadez, terrain d'étude de la présente thèse. En effet, c'est l'espace de mise en oeuvre des politiques d'externalisation.

3.1 La gestion de la migration au Niger : entre approche bilatérale et communautaire 3.1.1 Des accords bilatéraux comme stratégie de gestion de la mobilité

Au lendemain des indépendances, le Niger a très vite compris la nécessité de réguler la circulation des personnes et des biens avec ses voisins de l'espace sahélo-saharien. En effet, au Sahel, sédentaires et nomades partagent les mêmes espaces de part et d'autre des frontières. Les réalités socio-économiques, culturelles et historiques font qu'une tradition de vivre ensemble et de mobilités antérieures aux États modernes existent. Le mode de vie et de gestion des ressources permettait aux populations de se déplacer régulièrement en fonction des contraintes des espaces de départ et des potentialités des milieux d'accueil sans faire face à des obstacles politiques comme la frontière. Il y' avait donc complémentarité entre les lieux ayant permis une intégration des peuples par le bas avant les États nations. Pour préserver cet acquis, le Niger s'est engagé à formaliser la mobilité internationale de ses ressortissants à travers des conventions bilatérales.

Dès 1964 il signa respectivement des accords bilatéraux avec le Burkina Faso et le Mali. Les textes prévoient que les ressortissants des pays mentionnés puissent entrer et résider sur le territoire de l'autre sans avoir besoin d'un visa ou d'un permis de résidence et séjour. Seule la possession d'un document d'identité de son pays de nationalité est requise. Ces accords traduisent une volonté politique réelle des États signataires de faciliter et encadrer une mobilité séculaire des populations de cet espace.

Par-delà, toujours au cours de la décennie 1960 le Niger a également signé des conventions facilitant la circulation des personnes et des biens avec des pays dont il ne partage pas de frontière. C'est le cas de la convention signée en 1967 avec le Maroc. Le texte ratifié par les deux pays prévoit la suppression de l'exigence de visa pour les ressortissants des États parties. Une telle convention traduit la volonté du jeune État de trouver des partenaires bilatéraux au-delà de l'Afrique de l'Ouest.

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D'autres accords bilatéraux en lien avec la mobilité humaine seront conclus avec l'Algérie (1981). Cet accord à son début prévoit la suppression des visas entre les deux pays mais aussi la réadmission des migrants en situation irrégulière (art.5). Si cette clause reste toujours en vigueur, depuis les années 1990 il faut un visa entre les deux pays. D'autres conventions seront signées par la suite avec la Libye (1971, 1988). Les années 1990 marquent un tournant dans la gestion bilatérale des migrations avec la signature de l'accord avec la France en 1994 et l'Italie en 2010.

3.1.2 Une gestion au sein des espaces régionaux de la migration

Sortir de la balkanisation née de la colonisation s'est présenté au lendemain des indépendances comme un défi pour les États ouest africains afin d'amorcer leur développement. Pour atteindre cet objectif l'intégration régionale est apparue pour ces pays comme une nécessité. C'est dans cette dynamique qu'ils créent en 1975 la Communauté des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Ainsi, réunis le 29 mai 1979 à Dakar les États membres signent un protocole sur la libre circulation des personnes et des biens.

Les principes généraux de la libre circulation des personnes et du droit de résidence et d'établissement sont définis dans l'article 2 paragraphe 1 « les citoyens de la communauté ont le droit d'entrée de réaliser et de s'établir sur le territoire des États membres ». Le paragraphe 3 du même article précise les modalités de mise en oeuvre du présent protocole. Ainsi, le droit d'entrée, de résidence et d'établissement sera instauré en trois étapes au cours de la période transitoire à savoir : droit d'entrée et abolition de visa, droit de résidence et droit d'établissement.

Ainsi, après la mise en vigueur de ce protocole en 1980 qui consacre le droit d'entrée et l'abolition des visas, les États membres ont signé des protocoles additionnels conformément aux modalités de mise en exécution du traité. Le 1er juillet 1986 est signé le protocole additionnel relatif à l'exécution de la deuxième étape (droit de résidence) du protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d'établissement.

Le Niger étant membre de la communauté des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), il a ratifié les différents protocoles de cet espace sur la libre circulation. La décennie 1980-1990 apparait donc pour le Niger comme une gestion communautaire des mobilités humaines. L'axe central de cette approche est l'intégration régionale. C'est donc sous cet angle qu'est perçu le développement régional.

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3.1.3 Difficultés économiques des pays d'accueil en Afrique de l'Ouest

Les années 1990 marqueront un autre tournant dans la gestion de la mobilité humaine dans l'espace CEDEAO. Les difficultés économiques des pays francophones ont abouti à la dévaluation de 50% du francs CFA, principale monnaie des pays membres. En côte d'Ivoire principale économie de l'espace communautaire et destination traditionnelle des migrants de l'hinterland, la crise économique se traduit par une hausse du chômage et la baisse du pouvoir d'achat. Cette situation a eu des répercussions socio-politiques notamment des incidences sur la mobilité humaine avec l'instauration de la carte de séjour et l'expulsion de nombreux étrangers de ce pays.

En fait, l'expulsion des migrants comme bouc émissaire en période de difficultés économiques est une pratique courante dans les grandes économies de la région. En 1983 déjà le Nigéria a expulsé des centaines de migrants nigériens présents sur son territoire afin de protéger son marché intérieur et permettre l'accès à l'emploi et au marché prioritairement à sa jeunesse.

3.2 L'institutionnalisation de la question migratoire dans le dialogue UE-Afrique

3.2.1 L'accord de Cotonou

Signé en 2000 entre l'UE et les pays ACP (dont relève le Niger) l'accord de Cotonou est une clause de préférence commerciale qui tire son origine du traité de Rome de 1957 qui établit « un régime d'association des pays et territoires d'outre-mer pour conserver les relations particulières entre l'Europe naissante et ses anciennes colonies »16. Ce traité fut plusieurs fois renouvelé à Yaoundé (1963 et 1969), Lomé (1975, 1979, 1984 et 1989 révisée en 1995) et Cotonou (2000), créant ainsi « un cadre institutionnel permanent et paritaire accompagné par des mécanismes d'échanges spécifiques » (Petit Homme, 2008). Lors des négociations qui allaient aboutir à l'accord de Cotonou la partie européenne insère une clause sur les migrations. Ainsi, l'article 13 souligne l'intention des deux parties de respecter leurs engagements en matière de droit de l'homme, à oeuvrer à la réduction de la pauvreté, à l'amélioration des conditions de vie, facteurs qui peuvent à long terme « normaliser les flux migratoires ». Si ces points peuvent être considérés comme des engagements d'ordre général cela n'est pas le cas du point 5c de l'accord qui précise : « chacun des États ACP accepte le retour et réadmet ses propres ressortissants illégalement présents sur le territoire d'un État membre de l'Union

16

https://archives.eui.eu/en/fonds/832?item=ACP#:~:text=Une%20convention%20d'application%20annex%C3%A 9e,naissante%20et%20ses%20anciennes%20colonies.

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européenne, à la demande de ce dernier et sans autres formalités. Les États membres et les États ACP fourniront à leurs ressortissants des documents d'identité appropriés à cet effet. » (Accord de Cotonou, 2000). Le document ainsi signé inaugure une nouvelle ère du partenariat entre l'UE et les pays ACP où la gouvernance conjointe de la migration est une condition du partenariat économique et commercial. Cet accord constitue la première étape de la sous-traitance de l'UE des questions migratoires aux pays tiers au niveau multilatéral. Ce type d'initiative des pays membres de l'Union européenne va se poursuivre avec les organisations régionales africaines notamment la CEDEAO.

3.2.2 Le dialogue euro africain sur la migration

En septembre et octobre 2005 le monde témoigne des drames humains de la migration africaine vers l'Europe via la Méditerranée suite aux drames de Ceuta et Melilla où des personnes périssent dans la mer aux portes de l'Europe. Sous la pression de l'opinion publique, l'Europe voit les limites de sa politique externe de migration. C'est dans ce contexte que la commission instruit le conseil de faire des propositions de sortie de crise. En décembre 2005 le Conseil européen adopte l'approche commune des migrations centrée sur trois points : lutte contre la migration irrégulière, promotion de la migration légale et migration et développement avec comme priorité d'action les pays de la Méditerranée. La nouvelle approche préconise un partage de responsabilité dans la gestion des flux migratoires avec les pays de d'origine, de transit et de destination. Par cette méthode, l'UE décide de bloquer en amont les flux en partance vers l'Europe en confiant cette tâche à des États tiers d'origine ou de transit. On est donc dans une volonté d'externaliser la gestion des flux migratoires.

À la suite de l'adoption de l'approche globale une offensive diplomatique de l'UE et de certains de ces États membres s'ensuit en Afrique à la recherche de partenaires. A l'initiative de la France et de l'Espagne le Maroc accueille les 10 et 11 juillet 2006 la première conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement17.

Cette conférence, à laquelle le Niger a participé, a débouché sur une déclaration et un plan d'action. Dans l'ensemble, la conférence de Rabat a permis de mettre en place le cadre de partenariat le long de la route migratoire ouest-africaine entre les pays d'origine, de transit et de destination des migrants. Elle a également légitimé l'externalisation des trois volets de

17 https://www.iom.int/fr/dialogue-euro-africain-sur-la-migration-et-le-developpement-processus-de-

rabat#:~:text=Le%20Dialogue%20euro%2Dafricain%20sur,questions%20que%20soul%C3%A8ve%20la%20mi gration.

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l'approche globale des migrations de l'UE vers ses partenaires africains à savoir la promotion de la migration légale, la migration et le développement et la lutte contre la migration irrégulière. Toutefois, avec la faible participation des pays africains à la conférence de Rabat, l'UE déploie une nouvelle offensive diplomatique en vue d'une nouvelle réunion avec l'Union-africaine sur la migration. Elle aura lieu à Tripoli les 22 et 23 novembre 200618.

Celle-ci couvre un champ plus large que celle de Rabat. Elle a réuni les pays de l'UE et un certain nombre de pays d'origine et de transit d'Afrique du Nord, d'Afrique occidentale dont le Niger et d'Afrique centrale en vue d'identifier des actions communes sur les migrations suivant des itinéraires spécifiques. Elle a débouché sur une déclaration conjointe Afrique/UE sur la migration et le développement et l'adoption du plan d'action de Ouagadougou relatif à la traite des êtres humains. Les textes prennent en compte les préoccupations de l'UE sur l'approche globale en intégrant les problématiques des migrations et du développement, des migrations légales et de la lutte contre la migration légale et la traite des êtres humains.

Par ces deux initiatives sur le sol africain la volonté de l'UE d'externaliser la gestion des migrations avec les pays tiers prend de plus en plus forme au moins sur le plan des politiques migratoires. Des pays de transit comme le Niger y adhèrent dans la dynamique des relations entre l'UE et l'Afrique. Dans la suite du processus de la conférence de Rabat, Paris a accueilli le 25 novembre 2008 la deuxième conférence ministérielle euro africaine sur la migration et le développement. Des échanges de cette rencontre, on note la mise en place d'un programme de coopération triennal 2008-201119 très inspiré de l'approche globale sur les migrations de l'UE. Il est structuré comme suit :

· organisation de la migration légale (faciliter l'émergence d'opportunités de migration légale, renforcer la coopération institutionnelle et l'information sur la migration légale ;

· lutter contre la migration irrégulière :

· établir une approche générale de lutte contre la migration irrégulière ;

· améliorer la qualité de l'état civil et lutter contre la fraude documentaire ;

18 https://www.lemonde.fr/afrique/article/2006/11/23/ouverture-d-une-conference-afrique-europe-sur-les-

migrations_837746_3212.html

19 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/MEMO_06_437

·

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renforcer le contrôle des frontières, la lutte contre le trafic des migrants et la lutte contre la traite des êtres humaines, dans le respect des compétences des États (promouvoir dans les pays africains l'application du concept de gestion intégrée des frontières, améliorer le contrôle sur toute l'étendue des frontières en Afrique, raffermir la coopération bilatérale) ;

· améliorer les réadmissions et promouvoir les retours volontaires (renforcer l'efficacité des procédures de réadmission, améliorer l'aide au retour, notamment volontaire, et à la réinsertion, envisager le développement d'un dialogue tripartite entre l'Europe, l'Afrique et les pays d'Asie dont les migrants transitent par le continent africain) ;

· renforcer les synergies entre migration et développement ;

· financer les actions du programme de coopération.

Le Niger fait donc son entrée dans la gestion internationale des flux migratoires à travers la participation à ces trois conférences et son accord vis-à-vis des déclarations et autres plans d'action initiés lors de ces rencontres.

3.2.3 L'approche commune de la CEDEAO sur la migration de 2008

La troisième phase de la coopération entre le Niger et l'Union européenne sur la migration s'inscrit dans un cadre multilatéral. Elle remonte en décembre 2005 où un mémorandum d'entente est signé entre l'Espagne et le secrétariat exécutif de la CEDEAO. Dans la foulée de ce partenariat « Le 30ème Sommet ordinaire des Chefs d'États et de Gouvernement de la CEDEAO, conscient des enjeux de la migration, réuni à Abuja en juin 2006 a mandaté la Commission de la CEDEAO pour définir une approche commune des États membres sur la migration » (Communiqué final trentième session de la conférence des Chefs d'États de la CEDEAO, P6). Dans cette perspective, « le Fonds Migration et Développement Espagne-CEDEAO (2008) fut créé avec une contribution de l'Espagne de 10 millions d'Euro (ce qui reflète l'importance attribuée aux questions migratoires) » (Coopération espagnole, 2014, p 7).

C'est dans ce contexte de coopération avec l'Espagne qu'en 2008 « les Chefs d'État et de Gouvernement ont adopté l'Approche Commune de la CEDEAO sur la Migration et le Développement. Ils se sont par ailleurs félicités du processus participatif qui a conduit à la définition de cette approche dont les principales composantes du plan d'action portent sur l'amélioration de la libre circulation au sein de l`espace communautaire, la promotion de la

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gestion des migrations régulières, la mise en cohérence des politiques, la lutte contre les migrations irrégulières et la traite des personnes, la protection des droits des migrants et la prise en compte de la dimension genre ». Cette approche commune est largement inspirée de l'approche globale sur la migration de la commission européenne de 2005 : lutte contre la migration irrégulière, promotion de la migration légale et migration et développement. Cette approche constitue un revirement de la CEDEAO qui s'aligne désormais sur les priorités de l'UE via l'Espagne à travers le contrôle de ses frontières extérieures.

3.3 L'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger

3.3.1 Vers une coopération bilatérale entre le Niger et certains pays de l'UE

Le Niger est un point de passage des migrants subsahariens venant d'Afrique de l'Ouest et se dirigeant vers l'Afrique du Nord pour ensuite rejoindre éventuellement l'Europe. Ce couloir de transit remonte aux années 90, mais s'est consolidé avec la fermeture des autres routes migratoires en direction de l'Europe (Mali, Mauritanie, Sénégal et Maroc) la libre circulation dont bénéficient les ressortissants de la CEDEAO, la chute du régime de Kadhafi et l'instabilité sécuritaire dans les pays voisins (Mali, Libye et Nigéria notamment).

Agadez, région nord du Niger, frontalière avec le Maghreb est le point de transit des flux migratoires. A titre d'exemple, l'OIM a enregistré fin 2016 le passage d'un total de 60 970 migrants dans les villes d'Arlit et de Séguédine, dans la région d'Agadez. Parmi eux, 44 890 quittaient le Niger, alors que 16 080 entraient dans le pays. Les flux étaient en constante augmentation jusqu'à la fin 2016.

Pourtant malgré cette position stratégique, le Niger est resté pendant longtemps en marge des initiatives européennes sur le contrôle des flux migratoires jusqu'à la chute de Kadhafi. Toutefois, on peut noter l'ouverture d'un bureau de l'OIM au Niger en 2006 alors que cette institution s'est installée 2 ans plus tôt en Libye. On peut aussi noter les initiatives de l'Espagne et de l'Italie au Niger sur les questions de migration qui remontent à 2006. Elles se traduisent pour les Italiens par la mise en place d'un projet de contrôle des frontières en appui aux forces de défenses et de sécurités dénommé Accross Sahara. Pour les Espagnols, il s'agit d'aider le Niger à institutionnaliser la gestion de la migration à travers une politique migratoire. De concert avec le gouvernement nigérien, l'Espagne a appuyé la mise en place d'un comité interministériel de rédaction d'une politique migratoire en 2007. Même si cette politique n'a vu le jour qu'en 2020, l'initiative espagnole vise à travers les transferts de compétences, l'appui à la rédaction de politique à transposer au Niger la vision de l'UE et de l'Espagne de la migration.

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Les initiatives espagnoles au Niger s'inscrivent dans le prolongement des actions entreprises au Sénégal, en Mauritanie, au Mali et au niveau de la commission de la CEDEAO.

Les relations bilatérales avec l'Espagne et l'Italie vont se consolider à partir de 2011 avec la chute du régime de Kadhafi. Devant l'ampleur et le nombre croissant de migrants qui débarquent sur les côtes européennes, et en l'absence d'interlocuteur fiable en Libye, les Européens se tournent vers le Niger comme nouveau partenaire dans la lutte contre la migration dite irrégulière.

Jadis à la marge de l'externalisation des politiques migratoires européennes, le Niger du fait de sa position géographique et des difficultés politiques en Libye se retrouve sous le feu des projecteurs comme en témoigne le défilé des officiels européens (Président, ministre, commissaire), responsables onusiens, journalistes, chercheurs et organisations non gouvernementales. Pour les officiels de l'UE, il s'agit de négocier une coopération avec le Niger dans un domaine aussi stratégique que la migration. Pour les chercheurs et journalistes il y a nécessité de comprendre le phénomène migratoire en suivant le parcours des migrants des pays d'origine jusqu'aux lieux de transit. Enfin, pour les ONG les flux migratoires dénotent une crise qui nécessite une intervention humanitaire.

3.3.2 Mise en place d'un dispositif de répression de la migration irrégulière

Boyer et Mounkaila (2017) soulignent une entrée timide du Niger dans la coopération internationale en matière de gestion de la migration. Toutefois, en 2010 le pays légifère à travers l'ordonnance 2010-86 du 16 décembre sur la traite de personnes. Dans cette logique le décret 2012-82/83 du 21 mars crée respectivement la Commission nationale de lutte contre la traite de personnes comme organe de conception et le second décret crée l'Agence nationale de lutte contre la traite des personnes comme cadre opérationnel dédié à cette activité. Cette démarche s'inscrit, dans la logique de mise en place du dispositif en charge du contrôle de la migration.

Selon Abdou Adam (2016) « Face à l'ineffectivité du cadre multilatéral de l'accord de Cotonou, l'Union européenne va décider unilatéralement de modifier le cadre bilatéral de ses relations avec le Niger en faisant évoluer les missions d'EUCAP Sahel Niger, qui intègreront dorénavant la lutte contre l'immigration illégale (1). Cette évolution opère un tournant stratégique dans les relations entre l'Union et le Niger essentiellement fondées sur l'aide publique au développement. Le modèle de prévention de l'immigration illégale s'opère principalement à Agadez (2), dans le Nord du Niger en raison de la proximité avec la Libye ».

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Il y a donc un passage d'un cadre de coopération multilatérale à un cadre bilatéral dans les relations entre l'UE et le Niger dans le domaine de la sécurité. En effet, Eucap Sahel Niger est une mission civile de l'UE de lutte contre le terrorisme qui prendra à partir de 2015 en charge la lutte contre la migration dite irrégulière. Désormais, le traitement de la question migratoire prend une dimension sécuritaire.

Le 26 mai 2015, le Niger ayant adopté le protocole de Palerme sur le trafic illicite de migrants le traduit dans son ordonnancement juridique à travers la loi 2015-36 qui criminalise le trafic illicite de migrants. Adoptée, la loi n'est pas appliquée jusqu'à la participation du Niger au Sommet de La Valette en novembre 2015. Pendant ce temps le transport de migrants via Agadez pour l'Afrique du Nord continue avec une augmentation importante des candidats. Toutefois, on peut noter l'installation progressive des bases militaires le long des routes migratoires. Ainsi, Français, Américains et Allemands installèrent respectivement des bases militaires à Madama20, Agadez et dans la région de Tahoua. Officiellement, ces bases militaires sont là pour lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontière. Mais il n'est pas exclu qu'ils fournissent des informations aux FDS du Niger et à leur hiérarchie concernant les flux migratoires. Elles participent de ce fait à la lutte contre la migration dite irrégulière.

3.3.3 Participation au Sommet de La Valette ou le déclic

« Le Niger, pays de transit par excellence, est témoin de ces drames qui se jouent sur son territoire : exploités par d'ignobles trafiquants véreux et sans scrupules, des centaines de migrants meurent pendant la traversée de notre vaste désert. Ceux qui arrivent à survivre doivent affronter la traversée d'un autre désert, le désert libyen, puis celle de la Méditerranée où nombre d'entre eux s'y noieront par centaines. Chaque année, c'est plus de 100 000 migrants subsahariens qui transitent par mon pays le Niger en direction de l'Europe, soit l'essentiel du flux migratoire africain sur cette destination » (Discours du Président Issoufou Mahamadou, 11 novembre 2015).

Le sommet de La Valette qui s'est tenu à Malte les 11 et 12 Novembre 2015 peut être considéré comme l'entrée officielle du Niger dans le partenariat international de lutte contre la migration dite irrégulière. Cette participation est l'achèvement d'un long processus qui a vu plusieurs responsables européens défiler au Niger comme le notait Giuseppe Loprete, chef de mission de l'OIM au Niger lors de la visite de la chancelière allemande Angela Merkel « Le Niger a une très bonne collaboration avec les pays de l'Union Européenne. Les leaders de l'Union

20 Le 19 juillet 2019, l'armée française annonce la mise en sommeil de la base de Madama

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Européenne viennent pour discuter avec le Président Issoufou Mahamadou, et trouver des solutions, en collaboration avec des pays de transit comme le Niger et les pays d'origine en Afrique de l'Ouest ». Épicentre des flux migratoires en direction de l'Europe, le Niger qui se trouve dans une situation financière précaire compte bien saisir l'opportunité que lui offre la migration comme l'attestent ces propos :

« Aujourd'hui l'intérêt des Européens pour la migration de transit au Niger est une opportunité que le Niger doit saisir pour que les « blancs » investissent dans les projets de développement au Niger. C'est la vision actuelle des autorités. Le ministre et le Président sont tous dans cette logique. D'ailleurs, on ne fait rien. Si c'étaient les autres pays, les Maliens et les Sénégalais, ils allaient mieux exploiter l'opportunité que nous. » (Entretien, Niamey, ministère de l'Intérieur, 29 décembre 2016,).

De leur côté les Européens sont bien conscients qu'ils doivent payer en cash la collaboration des gouvernements africains sur le dossier migration. C'est dans cette perspective qu'ils décident au sommet de La Valette de mettre en place un Fond fiduciaire d'urgence pour la stabilité et la lutte contre les causes profondes de la migration et du phénomène des personnes déplacées Afrique. Le fond couvre les aspects suivants :

· avantages des migrations en termes de développement et lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées ;

· migration légale et mobilité ;

· protection et asile ;

· prévenir la migration irrégulière, le trafic de migrants et la traite des êtres humains et lutter contre ces phénomènes ;

· retour, réadmission et réintégration.

Dans la foulée de l'adoption du fond fiduciaire d'urgence pour l'Afrique, le Niger bénéfice d'un décaissement de 140 millions d'euros pour divers projets. Dans ce contexte l'UE est en bonne position pour exiger des résultats au pays en termes de lutte contre la migration dite irrégulière et d'asile.

3.4 Présentation de la zone d'étude

3.4.1 Agadez : une ville aux portes du Sahara

Située dans la partie nord du Niger, la région d'Agadez couvre une superficie de 667 799 km2 soit 52,6% de la superficie totale du pays. Peuplée de 487 620 âmes au RGPH de 2012, Agadez est l'une des régions les moins peuplées du Niger avec un climat de type sahélo-saharien où le

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désert est très dominant. Elle partage plus de 350 km de frontière au nord avec la Libye et plus de 1000 km avec l'Algérie. Très éloignée des régions sud du pays favorables aux cultures vivrières, Agadez a entretenu des relations commerciales depuis le XVème siècle avec le Maghreb à travers le commerce transsaharien. L'histoire enseigne qu'Agadez, ville située aux confins du Sahara est née du passage des caravaniers. Elle servait de point de transit pour les caravaniers voulant relier le nord et le sud des régions sahariennes et sahéliennes. Selon Adamou Aboubacar « Cette survie, elle la doit sans doute à sa fonction économique en tant que carrefour privilégié par sa position intermédiaire entre les régions au sud et au nord du Sahara, et à sa fonction politique comme siège du sultanat de l'Aïr. Ces rôles furent d'ailleurs à l'origine de l'implantation de l'administration coloniale dans cette localité, ce qui renforça sa position de capitale régionale » (Aboubacar, 1979). Ce rôle de carrefour, la petite ville d'Agadez le joua pendant des siècles. Il sera renforcé pendant la période coloniale par les Français qui s'y installèrent pour mieux contrôler leurs possessions notamment au Tchad, en Algérie, au Mali en vue de bâtir un vaste État saharien. Aujourd'hui, c'est une région composée de six départements (Bilma, Arlit, Tchirozérine, Iférouane, Ingal et Aderbissinat) où vivent des populations de plusieurs ethnies. Sa position de carrefour la place au coeur de la migration entre l'Afrique sub-saharienne et le Maghreb.

3.4.2 Une évolution sociale et économique marquée par des profondes mutations

La sècheresse de 73-74 qui a décimé largement les troupeaux des éleveurs et la prospérité économique des États maghrébins ont été à l'origine d'une migration des ressortissants d'Agadez vers l'Algérie et la Libye pour y travailler dans le jardinage, l'élevage, le bâtiment, etc., ou souvent pour exercer des activités commerciales. C'est à cette période que se met en place progressivement le trafic des denrées alimentaires subventionnées au Maghreb irrégulièrement exportées dans la région nord du Niger qui profite de ce fait de prix relativement réduits par rapport au reste du pays. Les activités transnationales illicites autour de la frontière - appelées afrod par les communautés locales répondent à une certaine idée de la liberté, de l'indépendance, de l'autodétermination et de l'autonomie, qui encourage les jeunes gens à s'embarquer dans un business risqué (Kohl, 2013). Au fil des décennies, une dépendance accrue de la région nord de ces voisins sahariens s'instaure. Cette dépendance s'apprécie en termes de destination pour les migrations au départ de la région d'Agadez mais aussi dans l'importation informelle de certains biens tels que les pâtes alimentaires, le lait, le gaz, les tapis, etc. Le Sahara nigérien vaste désert compris entre la région d'Agadez et la Libye et l'Algérie régulièrement traversées par ces mouvements humains a donc été dès le début des années 1970 l'espace de

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trafic de part et d'autre des frontières maghrébine et nigérienne. Ce trafic selon Inès Kohl est l'oeuvre des Touaregs sur l'axe Arlit/Algérie et des Toubous sur l'axe Libye/Niger. Ainsi, s'instaure une forme de territorialité et de contrôle de l'espace dans le « business de la frontière » dont les populations vivant de part et d'autre de la frontière sont passées maîtres. Par-delà, le Sahara a subi également des nombreuses transformations : développement du Tourisme, trafic de drogues, rébellion, transport de migrants (Bourgeot, 2010).

3.4.3 Les rébellions armées : un autre visage de la région d'Agadez

En 1971 le paysage sociopolitique et économique de la région d'Agadez a connu l'intrusion d'un nouvel acteur qui va rester jusqu'au début des années 2000 : il s'agit du touriste. En effet, l'accueil en 1971 des premiers touristes par l'agence Croix du Sud dans l'Aïr constitue un tournant décisif dans la promotion du tourisme dans la région. Durant la première décennie (7080), l'activité était détenue par des Européens. Mais en 1980, le décret portant l'exploitation des agences de tourisme par les nationaux est un pas décisif dans l'appropriation de cette activité par les nationaux notamment les Touaregs. Très vite, des agences de voyage se mettent en place avec en parallèle le développement de plusieurs petites activités qui se greffent au tourisme (Brachet, 2007). Comme support à cette nouvelle activité, des agences de voyages et de tourisme (au nombre de 27 en 1997) se mettent en place dans la région pour faire découvrir aux touristes les merveilles de l'Aïr et du Kawar. Le point culminant de cette activité est le passage du Rallye Paris-Dakar dès sa première édition en 1978 dans la région avec une journée de repos à Agadez. Très vite une économie locale du tourisme s'installe dans la région comprenant le transport, l'hébergement, la restauration et l'artisanat « Au cours des années quatre-vingt et jusqu'à la rébellion, le tourisme va être au coeur des dynamiques régionales et surtout urbaines. Agadez, plus que son arrière-pays, voit naître et se développer toute une série d'activités qui en feront un pôle économique régional et non plus seulement une préfecture de départements. Cette mutation s'accompagna d'importantes recompositions socio-économiques marquées par l'émergence de nouvelles hiérarchies avec à leur tête les animateurs du tourisme et certains groupes socioprofessionnels qui en profitaient largement (artisans-forgerons) » (Grégoire, 2006, p98). Le tourisme est porteur de prospérité économique, de brassage culturel pour Agadez. C'est le noeud de la notoriété de la ville. Toutes les activités économiques étaient suspendues au tourisme « chaque année, des sommes importantes étaient ainsi injectées dans l'économie locale (300 à 500 millions de francs FCFA selon les estimations) » (Grégoire, 2006).

« les restaurants et les agences de voyages, l'épreuve bénéficiait à toutes sortes de petits métiers (garagistes, vendeurs en tout genre, artisans, chasse-touristes,

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gardiens, etc.) et de personnes (prostituées, fonctionnaires et particuliers qui louaient maisons et véhicules au prix fort). Même l'administration profitait de sa venue par la perception d'un surcroît de taxes et la location de lieux d'hébergement et d'entrepôts. Outre ces retombées directes, le rallye fut un excellent moyen pour promouvoir à moindres frais la région d'Agadès en Europe où la course faisait l'objet de nombreux reportages dans la presse écrite et à la télévision. »

Au-delà de l'impact économique du tourisme sur la région d'Agadez durant la période de gloire plusieurs ONG voient le jour en Europe à l'initiative de ces mêmes touristes pour favoriser l'assistance dans le domaine de la santé, de l'éducation et de l'hydraulique. Le tourisme a donc indirectement donné naissance à une intervention humanitaire dans la région d'Agadez. Il aura aussi une dimension politique. En effet, Mano Dayak, principal promoteur du tourisme local, fort de son carnet d'adresses n'hésita pas à déclencher une rébellion armée au début des années 1990. Ainsi, l'un des faits marquants dans la région au cours des années 1990 est sans doute le déclenchement d'une rébellion armée dans le nord du Niger portée par des ressortissants des régions nomades de Tahoua et Agadez. Les fronts armés regroupés autour de la coordination de la résistance armée (CRA) dirigée par Mano Dayak, revendiquent des meilleures conditions sociales, plus de place dans l'administration et le pouvoir central pour les communautés minoritaires arabes et touarègues qu'ils représentent. Les différents fronts recrutent leurs combattants au niveau local mais aussi en Libye puisque plusieurs d'entre eux ont appartenu à la Légion islamique du Colonel Khadafi. La rébellion touarègue s'enlise et reçoit des soutiens de la France (en raison de liens d'amitié tissés durant le tourisme) qui à travers les médias relai l'opinion des rebelles et à leur demande devient le principal négociateur dans les pourparlers qui les liaient aux autorités de Niamey. L'accord de paix signé le 24 avril 1995 abouti à l'adoption de la décentralisation comme mode de gouvernance, la réinsertion dans les corps des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) des ex-combattants, mais aussi à l'amnistie. Une nouvelle période de stabilité et de sécurité voit alors le jour. Les agences de tourisme reprennent leur activité sans atteindre leur gloire des années 1980. Toutefois le tourisme s'impose comme l'un des premiers secteurs d'emplois informels de la région d'Agadez malgré la baisse des fréquentations. C'est dans ce contexte qu'en 2007 une nouvelle rébellion armée sous le nom du Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ) voit le jour dans la région. Ce dernier dénonce

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« la mal gouvernance, l'absence de développement et les exactions du pouvoir, thèmes de l'ancienne rébellion, auxquels s'ajoute l'échec de l'application des accords de paix ».21

Cette fois-ci l'État central ne la reconnaitra pas comme mouvement armé. Après deux ans de combats armés, elle finit par déposer les armes sous l'injonction du Président Kadhafi. Cette nouvelle période d'insécurité emporte le tourisme. En l'absence d'un plan de reconversion comme lors de la première rébellion, les ex-rebelles sont invités par l'État central à faire le transport des migrants vers l'Afrique du Nord, une activité en plein essor. Le transport des migrants devient ainsi le secteur de cantonnement des anciens rebelles.

3.4.4 L'exploitation des mines d'uranium : une source de tension

La région d'Agadez se particularise par la richesse de son sous-sol. En effet, depuis les années 1970 le groupe français Areva exploite à travers ses deux filiales Somaïr et Cominak des mines d'uranium dans le nord du Niger. Pendant des décennies l'uranium a constitué la principale ressource d'exportation du Niger et ses revenus occupent une place de choix dans le budget national. Durant la décennie 1990, ces revenus n'ont cessé de dégringoler avant de reprendre au milieu des années 2000 plaçant de ce fait le Niger au coeur des enjeux énergétiques des grandes puissances.

Au niveau local la population n'ayant pas les qualifications requises est faiblement impliquée dans la gestion stratégique de ces deux entreprises. Les locaux sont recrutés dans les emplois subalternes et doivent faire face à la pollution qui constitue leur quotidien. La société civile locale et nationale s'organise pour défendre les intérêts de la population victime des activités de l'industriel français.

En 2007, dans le cadre de la diversification des partenaires dans l'exploitation de l'uranium, les Chinois s'engagent dans le domaine avec la Société minière d'Azelik (SOMINA) à Ingall où ils exploitent l'uranium. En termes de gestion environnementale et normes sociales, les Chinois ne feront pas mieux que les Français. Travailleurs et populations locales dénoncent régulièrement les conditions d'exploitation de l'uranium dans cette zone « Au nord du Niger, dans la mine d'uranium d'Azelik, les 600 travailleurs nigériens se sont mis en grève illimitée le jeudi 21 mars. Une mine exploitée par la société chinoise China National Nuclear Corporation (CNNC) dont les dirigeants pratiqueraient une double politique de traitement entre salariés

21 https://www.google.com/search?q=rebelllion+MNJ+Niger&rlz=1C1CHZL_frNE722NE722&ei=Xw-

CYe3TEoGVlwSO-oDQDg&oq=rebelllion+MNJ+Niger&gs_lcp=Cgxn

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chinois -au nombre d'une centaine- et nigériens. Selon Alassane Idrissa, délégué du personnel, un technicien nigérien serait payé 200 000 francs CFA (305 euros) quand son homologue chinois toucherait cinq fois plus. Par ailleurs, les primes de rendement et indemnités en zone désertique ne seraient pas versées ».22 Ces tensions ont toujours été au coeur de l'exploitation de l'uranium avant que la mine ne ferme en 2013 laissant sur le carreau des nombreux travailleurs et sous-traitants.

C'est dans ce contexte que la découverte du gisement d'Immouraren (2ème potentiel plus grande mine d'uranium dans le monde) redonne espoir à tout un peuple frustré et déçu par l'exploitation des mines de Somaïr et Cominak mais aussi mis au chômage par la chute du tourisme conséquence de l'insécurité dans la région. Cette mine a fait l'objet d'importants enjeux entre la France et le Niger qui a fini par octroyer l'exploitation au groupe Areva. Ce dernier sous la pression des autorités a commencé par explorer et débuter un aménagement du site avant de reporter cette exploitation jusqu'après la transition militaire consécutive au coup d'État qui a évincé le Président Tandja du pouvoir. Une nouvelle fois encore des travailleurs et des sous-traitants se retrouvent sur le carreau. Cela ouvre une nouvelle ère de contestation dans cette région contre la filiale Areva.

En décembre 2017, mettant en avant la chute du coût de l'uranium à l'international les filiales du groupe français Areva (Somaïr et Cominak) reviennent à la charge avec un projet de licenciement économique. Là aussi, une nouvelle de plus ce sont les travailleurs locaux et les sous-traitants qui seront concernés. Ainsi, près de 7000 personnes se retrouvent au chômage dans un environnement qui offre peu d'opportunités en termes d'emplois et surtout dans une région où 42% des jeunes actifs vivent dans les grandes agglomérations. Ce qui explique une forte demande en termes d'emploi (PDR, Agadez).

Conclusion partielle

Au lendemain des indépendances, le Niger a signé plusieurs conventions avec ses voisins pour encadrer la mobilité des personnes et de leurs biens. L'approche bilatérale était le fil conducteur des autorités. Celle-ci va évoluer avec la création de la CEDEAO se traduisant par une approche communautaire avec comme axe central la libre circulation des personnes et des biens. Cette volonté de la CEDEAO fera face aux crises économiques dans les pays d'accueil en Afrique de l'Ouest qui se manifeste d'une part par une volonté de restriction de la mobilité dans ces pays,

22 https://www.rfi.fr/fr/afrique/20130323-greve-illimitee-mineurs-azelik-niger-chine-cnnc

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et d'autre part avec la consolidation avancée de l'espace Schengen, la voie légale des migrants africains en Europe s'amenuise. La Méditerranée apparait comme une solution pour de nombreux africains candidats à la migration vers l'Europe. L'afflux des migrants dits irréguliers au départ de l'Afrique pour l'Europe sera au début des années 2000 un axe de coopération entre l'UE et l'Afrique dans le cadre de l'externalisation des politiques migratoires européennes. Elle va s'intensifier à partir de 2005 pour prendre la forme de plusieurs dialogues. Le Niger pays de transit a pris part à toutes ces initiatives. Il fera d'ailleurs l'objet d'une attention particulière de la part de l'UE, de certains de ces États membres ainsi que des organisations internationales. Le point fulgurant de cette coopération est la participation au sommet de La Valette et son éligibilité au fond fiduciaire.

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Deuxième partie : Les effets de l'externalisation des politiques migratoires européennes à l'échelle locale

Cette deuxième partie aborde le dispositif juridique et institutionnel mis en place pour endiguer la migration de transit au Niger. Il sera aussi analysé les conséquences (économiques, sociales, politiques et sécuritaires) de ces actions sur les acteurs, les tentatives de solutions et l'émergence d'une nouvelle économie de la migration. Dans les espaces de transit, les reconfigurations des lieux et les tensions en cours sont passées en revues.

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Chapitre 4 : Endiguer la migration de transit au Niger ?

Agadez, le 8 août 2016, ce lundi en début d'après-midi, c'est un jour de voyage des migrants en direction de Sebha et Gatrone en Libye. C'est ce jour que la police a choisi pour s'attaquer à l'une des activités économiques les plus dynamiques de la ville : le transport des migrants vers la Libye et l'Algérie (Brachet, 2009 ; Mounkaila, 2014 ; Hamani et Bontianti, 2015 ; Hoffmann, Meester, Manou, Nabara, 2017). À l'intérieur des garages, des ghettos et dans d'autres lieux de rassemblement des migrants, la police patrouille pour immobiliser les véhicules chargés. Ces véhicules et passagers sont ensuite conduits au commissariat de la ville. Après interrogatoire, les passagers sont libérés et les chauffeurs conduits au Parquet.

Pourtant, à Agadez, le transport de migrants est devenu depuis la chute du tourisme, le secteur économique le plus dynamique dans cette ville carrefour. Avec l'arrestation des transporteurs l'État du Niger a décidé d'appliquer la loi 2015-36 du 26 mai 2015, une loi votée un an plus tôt qui réprime le trafic illicite de migrants. Par cet acte, l'État vient de mettre en marche un dispositif de répression de la migration dite irrégulière.

Le présent chapitre s'intéresse au cadre juridique, institutionnel et à la gouvernance de la migration au Niger. Il tente de cerner la manière par laquelle depuis le sommet de La Valette une machine juridique et institutionnelle est mise en place au Niger avec le soutien financier de l'UE et de certaines organisations internationales afin de lutter contre la migration dite irrégulière. Ce dispositif peut s'appréhender à travers le durcissement du cadre juridique, l'institutionnalisation de la gestion de la migration, l'émergence de nouvelles pratiques administratives et la répression de cette migration de transit. Ce chapitre a donc pour objectif d'analyser les changements récents de la gouvernance migratoire au Niger dans le cadre des relations avec l'UE.

4.1 Renforcement du cadre juridique et institutionnel de la gouvernance de la migration au Niger

4.1.1 Cadre juridique restreignant les mobilités

4.1.1.1 Législation migratoire et pratiques administratives

C'est en 2000 que les Nations unies adoptent la Convention sur la criminalité transfrontalière organisée plus connue sous le nom de protocole de Palerme en référence à la ville italienne où a eu lieu la signature. Entrée en vigueur le 29 septembre 2003, la convention de Palerme est

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complétée par deux protocoles additionnels sur la traite des personnes et le trafic illicite de migrants entrés en vigueur respectivement le 25 décembre 2003 et le 28 janvier 2004. Le Niger ratifie le 30 septembre 2004 la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée ainsi que ces protocoles additionnels en 2009.

En septembre 2013, l'émoi suscité par la découverte de 92 morts, dont 52 enfants et 37 femmes, dans le Sahara à la frontière entre le Niger et l'Algérie suite à une panne mécanique, motive les autorités à encadrer cette migration (Boyer, Ayouba et Mounkaila, 2020, p 109). Le Niger va traduire dans son ordonnancement juridique le protocole de Palerme sur le trafic illicite de migrants en terre, mer et air afin de doter le pays d'une base juridique pour prévenir et réprimer la migration dite irrégulière comme le soulignent ces propos : « vu la gravité de la situation et pour que ces victimes ne soient pas oubliées, le Niger a ainsi, non seulement légiféré, en adoptant la loi 2015-036 du 26 mai 2015, pour qu'en pareille circonstance d'abandon par les trafiquants des femmes et des enfants, que ces trafiquants soient sévèrement punis, car en 2013, il n'y avait pas encore de loi appropriée pour leur poursuite, sur la base d'un délit, qui est la mise en danger de la vie d'autrui. »23.

C'est ainsi qu'avec le soutien de l'ONUDC et de l'UE, l'Agence Nationale de lutte contre la traite des personnes a élaboré une loi pour traduire dans l'ordonnancement juridique du Niger le protocole de Palerme. Cette loi rédigée par des acteurs nigériens et internationaux vise à « prévenir et combattre le trafic illicite de migrants, protéger les droits du migrant objet de trafic illicite, promouvoir et faciliter la coopération nationale et internationale en vue de prévenir et de combattre le trafic illicite des migrants sous toutes ses formes» (Loi, 2015-36). Au sens de cette loi, le trafic illicite de migrants est le « fait d'assurer, afin d'en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l'entrée illégale dans un État Partie d'une personne qui n'est ni un ressortissant, ni un résident permanent de cet État ».

En amont de la soumission de cette loi, l'ANTLP a organisé deux séances parlementaires d'information à l'endroit des députés nationaux pour les rallier à sa cause comme le soulignent les propos de sa directrice générale au moment des faits « En 2015, nous avons fait le lobbying à travers deux (2) séances d'information parlementaire qui ont abouti à l'adoption par l'Assemblée nationale de la loi n°2015-36 du 26 mai 2015 relative au trafic illicite de migrants,

23 http://www.lesahel.org/index.php/2019/09/27/mme-goge-maimouna-gazibo-directrice-generale-de-lagence-nationale-de-lutte-contre-la-traite-des-personnes-e

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permettant ainsi à notre pays d'être le premier de la sous-région à disposer d'une loi réprimant le trafic illicite de migrants »24.

Soumis à l'Assemblée nationale pour adoption, la commission des affaires sociales a été saisie sur le fond pour examen du projet de loi sur le trafic illicite de migrants. Après analyse, celle-ci a saisi les acteurs de la société civile notamment Alternative Espace citoyen. Selon l'un des membres, son organisation a attiré l'attention des députés sur l'impact de cette loi sur la libre circulation des personnes et des biens et la migration circulaire. Il en est de même de la sortie illégale du territoire qui devient un crime dans la loi présentée. Prenant en compte ces observations, les honorables députés ont transmis un avis favorable à son adoption. Ainsi, après les débats qui ont porté principalement sur l'impact de ladite loi sur la migration nigérienne, la libre circulation, les différents groupes parlementaires ont invité leurs collègues à voter en faveur de son adoption.

Le contenu de la loi ainsi votée criminalise le trafic illicite de migrants et prévoie de lourdes peines aux auteurs « Article 10: Est passible d'une peine d'emprisonnement de cinq (5) à moins de dix (10) ans et d'une amende de 1.000 000 de francs CFA à 5.000 000 de francs CFA, toute personne qui, intentionnellement et pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, assure l'entrée ou la sortie illégale au Niger d'une personne qui n'est ni un ressortissant ni un résident permanent au Niger. » (Loi 2015-36 P4).

La loi vise donc à poursuivre les transporteurs, les hébergeurs, coxeurs, passeurs qui constituent le support de la migration vers l'Afrique du Nord ; en même temps elle considère le migrant comme une victime. Il ne doit donc pas faire l'objet de poursuite.

L'analyse des articles de la loi indique un durcissement des conditions de mobilité à travers le Niger. Elle se traduit par une restriction des conditions de mobilité dans l'espace Sahel -Sahara puisqu'une bonne partie des dispositions visent la migration de transit. Cette loi a ainsi criminalisé une migration jadis tolérée par tous.

Pour soutenir l'application de cette loi, l'ANLTP avec le soutien financier de l'ONUDC et d'Eucap Sahel, a organisé plusieurs sessions de formation à l'endroit des acteurs de la chaine pénale afin qu'ils puissent avoir la même lecture du texte. Par-delà, le renforcement des capacités vise à former des compétences locales capables de gérer la migration selon les normes

24 https://www.nigerdiaspora.net/index.php/interviews/1382-entretien-avec-mme-goze-maimouna-gazibo-

directrice-generale-de-l-agence-nationale-de-lutte-contre-la-traite-des-p

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et les standards internationaux qui régissent la thématique. Cette démarche rappelle la notion d'approche gestionnaire des migrations qui indique que les ateliers, les sessions de formation sont des espaces privilégiés pour les experts pour transférer des pratiques et des normes de gestion d'un pays à un autre (Beaujeu 2009 ; Aguillon, 2016). En fait, « le renforcement des capacités forme la gouvernance, non pas comme imposition externe mais comme une relation dans laquelle on aide les États-cibles à améliorer leur situation. ». (Andrijasevic, et Walters, 2010). L'OIM par exemple dans son approche n'impose pas aux États, il profite des formations de renforcement des capacités pour changer la vision notamment sur la migration et influencer les actions.

4.1.1.2 Une stratégie nationale pour lutter contre la migration irrégulière

Engagé depuis 2007 dans l'élaboration d'une politique nationale de migration afin de disposer d'un outil d'aide à la décision, le Niger se trouve dans le dernier semestre de 2016 contraint de mettre en veilleuse le processus faute de financement et d'ouvrir un autre chantier moins ambitieux pour satisfaire ses amis européens. En effet, l'intérêt brusque de l'UE sur la migration de transit ne peut s'accommoder de l'attente que le pays se dote d'une politique nationale. C'est pourquoi l'UE a décidé de financer l'élaboration d'une stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière au Niger.

Le travail est alors confié au comité interministériel chargé d'élaborer la politique migratoire du Niger. Ce choix est motivé par la volonté de mettre à profit l'acquis institutionnel. Le CIM étant un cadre existant. Il faut aussi éviter de perdre du temps avec la mise en place d'un autre comité. C'est aussi une façon pour l'UE de pousser ces acteurs à mettre dans le tiroir la PNM et de s'atteler à l'élaboration de la stratégie. Le comité est un cadre multi acteurs mis en place par un arrêté du ministre de l'Intérieur. Sa composition a évolué au gré des enjeux du moment. En effet, aux acteurs nationaux comme les ministères de la justice, de l'intérieur, des affaires étrangères, de la promotion de la femme et de la protection de l'enfant, de la défense, de l'emploi, du tourisme, se greffent des agences onusiennes : OIM, ONUDC, des agences de coopération technique : GIZ APM, GIZ Progem et des ONG internationales. Il a la légitimité nécessaire pour conduire ce processus. Ainsi, s'ouvre le jeudi 16 juin 2016, les travaux du Comité interministériel chargé d'élaborer la politique nationale de migration mandaté pour rédiger la stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière. Le comité élabore le document au bout de cinq sessions tenues à Niamey en présence d'experts internationaux (OIM, ONUDC, ICMPD et UE) auxquelles participaient à chaque fois les membres du CIM, les

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praticiens du terrain tels que les services de la police, de la magistrature et de la société civile. « Un déplacement au poste de police frontalier de Makalondi et un autre dans la ville d'Agadez ont été organisés afin de prendre en compte les réalités du terrain ». (CIM, Décembre 2016). Les principaux axes développés dans le document sont :

· mesures relatives à la gestion des frontières ;

· mesures de prévention ;

· mesures répressives et de protection ;

· mesures relatives au retour et réinsertion des migrants;

· mesures transversales.

L'analyse du contenu de la stratégie révèle que le document a été fortement influencé par les acteurs européens qui ont suscité son élaboration et ont commis des experts dont l'objectif principal reste l'endiguement de la migration dite irrégulière. Conviés comme experts aux travaux du CIM, ceux-ci ont transposé des modèles, des normes et standards de lutte contre la migration irrégulière dont leurs institutions d'attache fait la promotion, au contexte nigérien. Il s'agit des organisations comme Frontex, OIM, ICMPD et UE. Cette approche n'est pas sans rappeler la notion de modèles voyageurs dans le cadre des projets de développement. Olivier de Sardan mentionne que les experts transposent d'un pays à un autre des projets qu'ils ont mis en oeuvre ailleurs sans prendre en compte le contexte local (Olivier De Sardan, 2017).

Assortie de son plan d'action, la stratégie n'a pas fait l'objet d'application globale, mais certains aspects ont connu une mise en oeuvre. Il s'agit de la gestion des frontières avec la mise en place du système d'information migratoire et d'analyse des données (Midas) porté par l'OIM en collaboration avec Eucap Sahel, la promotion du retour volontaire, mais aussi les mesures répressives. L'approche du plan d'action n'est pas exempte de critiques comme en témoignent ces propos « les plans d'action devraient être entendus comme une technique essentielle au travers de laquelle les gouvernements se construisent comme des agents portant des responsabilités éthiques et une calculabilité pour la réforme dans des domaines de politiques particuliers. C'est l'instrument du plan d'action qui configure un nouveau type de relations entre les gouvernements, la communauté internationale et le contrôle des frontières étatiques. » (Andrijasevic, et Walters, 2010).

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Le plan d'action a été présenté le 1er juin 2017 à la deuxième session de la réunion du cadre de concertation des acteurs de la migration. À cette occasion, il a été recommandé « de renforcer le dialogue entre les dispositifs de mise en oeuvre de la stratégie nationale de sécurité et de la stratégie de lutte contre la migration irrégulière compte tenu des complémentarités qui existent entre ces deux documents stratégiques » (SP/CCM Rapport 2 juin 2017). Cette orientation stratégique révèle une volonté de faire le pont entre gestion sécuritaire et répression de la migration de transit.

4.1.2 Institutionnaliser la gouvernance de la migration

4.1.2.1 Un cadre de concertation pour réunir les acteurs de la migration au Niger

Le Niger a participé les 11 et 12 novembre 2015 à La Valette à Malte au sommet sur la migration ayant réuni les chefs d'États africains et européens. Cette rencontre a abouti à la mise en place d'un fonds fiduciaire d'urgence dédié à la lutte contre la migration irrégulière dans les pays de départ et de transit en Afrique. Situé entre l'Afrique arabo-berbère et l'Afrique noire, le Niger a un rôle central à jouer dans ce processus. C'est pourquoi dans la continuité des engagements pris au sommet de La Valette, une table-ronde sur la migration a conjointement été organisée par la Délégation de l'Union européenne, la mission Eucap-Sahel et les autorités nigériennes à Niamey les 3 et 4 février 2016. Au nombre des recommandations issues de cette assise, figurent la mise en place d'un cadre de concertation sur la migration (CCM) et son secrétariat permanent (SP). Il est formalisé à travers l'arrêté conjoint n°0316/MI/SP/D/AC/R/MJ/GS du 02 mai 2016 cosigné par le ministère de l'Intérieur et celui de la justice. Cette double signature révèle la dispersion des acteurs en charge de la migration dans plusieurs institutions de la République. Par-delà, il est révélateur du conflit de leadership quant à la paternité de la gestion de la migration entre les deux institutions. Le ministère de la Justice initiateur de la loi 2015-36 estime être en droit de poursuivre la dynamique tandis que l'intérieur s'estime plus légitime puisqu'ayant en charge la gestion des entrées et des sorties sur le territoire national.

En fin de compte, le ministère de l'intérieur semble tirer son épingle du jeu. En effet, l'arrêté qui consacre le CCM lui confère la présidence du Cadre tandis que le ministère de la Justice assure la vice-présidence. L'exécutif est complété par deux rapporteurs et 25 membres. Pour le fonctionnement, il est prévu quatre (4) réunions ordinaires par an et des réunions extraordinaires en cas d'urgence. Au plan opérationnel, le cadre de concertation a pour mission de coordonner les actions de l'État et des partenaires techniques et financiers, de renforcer la synergie entre acteurs et de mener des actions de plaidoyer.

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4.1.2.1.1 Quand l'Union européenne finance le cadre de concertation sur la migration

La collusion entre le Niger et l'UE sur la migration peut s'appréhender à travers les sources de financement du CCM. En effet, pour un service étatique, les fonds qu'il mobilise pour la mise en oeuvre de ses activités sont révélateurs des enjeux qu'il présente. En 4 ans d'existence le CCM a tenu 5 sessions, une (1) à l'hôtel Gaweye, trois (3) au Soluxe Hôtel et un (1) à l'espace Soleil d'Afrique. À cette période le Soluxe Hôtel de Niamey est l'espace hôtelier le plus cher de la capitale. C'est cet endroit qui est choisi pour accueillir les rencontres afin de répondre à l'exigence des bailleurs quant à la sécurité des lieux. C'est aussi la preuve d'une absence de problème de financement. Le partenaire stratégique, l'UE, est disponible pour financer les activités du CCM pourvu que cela permette d'aboutir à des résultats.

La capacité financière du CCM s'apprécie également à travers la provenance géographique des participants aux réunions du CCM. Outre ceux de Niamey, certains viennent d'Agadez, Zinder et Tahoua, autant de régions considérées comme des espaces de transit ou de départ de la migration en direction de l'Afrique du Nord. Leur présence représente un enjeu important dans le cadre de la coordination. C'est pourquoi malgré le coût lié à leur déplacement une à deux personnes sont conviées par région à chaque session. Il s'agit du président du conseil régional et /ou du maire. Les frais de mission, les perdiems et la prise en charge constituent un budget conséquent qui nécessite une forte mobilisation financière. Le CCM peut se permettre de convier les participants des régions, car l'UE est disponible pour financer.

La migration de transit est un axe majeur de la coopération entre l'UE et le Niger. Il sied donc à l'UE de faire en sorte que le CCM fonctionne pour le suivi des activités au niveau politique et s'assurer de l'engagement de l'État du Niger à lutter contre la migration irrégulière. Le CCM est donc un cadre mis en place par l'UE pour atteindre ses objectifs d'endiguement de la migration de transit.

Depuis 2019, les réunions du CCM se passent sous un autre format dont une réunion préparatoire généralement délocalisée à Dosso à 139 km de Niamey. Une réunion technique est organisée en matinée avec l'ensemble des acteurs intervenant dans le domaine de la migration au Niger. L'après-midi est consacré à la réunion politique présidée par le Ministère d'État, ministère de l'Intérieur, en présence de l'ambassadeur-chef de fil de l'UE et ceux des pays membres ainsi que des représentants des organisations internationales accréditées au Niger. Après les allocutions d'ouverture des deux officiels, le SP/CCM présente les efforts du Niger dans la lutte contre la migration irrégulière. Ainsi, à la réunion de juillet 2019, le DGEC/M/R a

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présenté les chiffres transmis par la DGPN au ministre d'État par rapport au suivi des mouvements de personnes notamment sur l'axe Tahoua-Agadez et Zinder-Tahoua. Le document met en exergue la baisse des chiffres sur les mouvements de migrants. Prenant la parole le ministère d'État a indiqué que ces résultats sont dus aux efforts de l'État dans le cadre de ses engagements avec l'UE dans la lutte contre la migration irrégulière. L'État est tenu de rendre compte des progrès réalisés dans le champ de cette collaboration. Le CCM apparait aussi comme un espace que l'État utilise pour montrer à l'UE qu'il a créé les conditions afin de permettre aux acteurs de mettre en oeuvre leurs activités dans le domaine de la migration.

Dans la pratique l'État profite des réunions du CCM pour garder la main sur les discussions en liens avec la migration. Ainsi, c'est une tribune que l'État et ses démembrements saisissent pour rappeler les acteurs au respect de leurs engagements et au suivi des actions mises en oeuvre sur le terrain. Par exemple, à la réunion du CCM de juillet 2019, le ministre d'État n'a pas manqué de rappeler au HCR et aux pays européens le respect de leurs engagements sur la réinstallation. Il a d'ailleurs mis en doute le besoin de protection internationale de personnes évacuées de la Libye. Pour lui « ce sont des voyous, des derniers de la société, qui se sont retrouvés en Libye à un moment. Même si vous les amenez en Europe. Ils vont rester toujours derniers. Avec cette allure si je devais reprendre l'ETM, je ne pense pas pouvoir le faire ». Ces propos font suite à un tour de table des ambassadeurs des pays de l'UE et de la représentante du HCR qui se sont félicités de la générosité du Niger vis-à-vis des évacués de la Libye.

4.1.2.1.2 Mise en place du SP/CCM

L'arrêté portant création du CCM prévoit également la mise en place d'un secrétariat permanent pour assurer la gestion opérationnelle. Il est logé à la Direction Générale de l'État civil, des Migrations et des Réfugiés, plus précisément à la Direction de la migration. Les agents qui animent le SP/ CCM sont essentiellement de cette direction. On y trouve également des appelés du service civique national, mais aussi un assistant technique de l'OIM et un autre de l'UE pour renforcer le SP.

Le secrétariat permanent est le pont entre les partenaires et l'État. Il facilite la circulation de l'information entre les acteurs et mène des actions de plaidoyer. C'est ce dispositif qui est en contact avec l'UE et les partenaires pour le suivi des actions sur le terrain et l'organisation des activités du CCM. Il codirige les groupes de travail rattachés au cadre de concertation.

Il est à mettre à l'actif du CCM la mise en place de 4 groupes thématiques : Migration et développement, Migration et sécurité, Migration et protection, et Groupe technique migration

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(GTM). Derrière chacun de ces groupes thématiques se trouve un chef de file, le plus souvent une organisation internationale. Ainsi, le sous-groupe migration et développement a pour chef de file la coopération suisse, l'OIM assure le leadership du GTM, Eucap Sahel Niger est recommandé pour le sous-groupe migration et sécurité. Toutefois, il faut souligner que les deux derniers sous-groupes éprouvent des difficultés à démarrer même si on peut mettre une réunion à l'actif du sous-groupe migration et protection.

Schéma 1: Cadre opérationnel du CCM Source : Notre étude

Les sous-groupes doivent se réunir chaque mois et les éléments de discussion sont partagés au SP/CCM pour alimenter les réunions du CCM qui se tiennent semestriellement. De tous ces groupes, seul le GTM arrive à tenir deux réunions par trimestre. A ce niveau aussi, le contenu tend à la monotonie. Ainsi, l'OIM présente les tendances des flux migratoires sur la base des données collectées par la DTM (Displacement Tracking Matrice). Une organisation présente les activités qu'elle met en oeuvre dans le cadre de la migration. Enfin, le SP/CCM présente

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l'état de mise en oeuvre des recommandations de la réunion du CCM, le partage d'information et les perspectives. Le sous-groupe migration et protection a tenu deux réunions en 2020.

4.1.2.1.3 Un discours centré sur la lutte contre la migration irrégulière

Par son architecture, le CCM apparait comme une plateforme où des acteurs aux profils divers se rencontrent pour échanger sur la migration au Niger. Il s'agit des acteurs étatiques, des ONG et associations, des agences onusiennes, des universitaires, des collectivités décentralisées, des agences de coopération technique, des chancelleries européennes avec à leur tête l'ambassadeur de l'UE au Niger. Ces acteurs malgré leur diversité ont en commun l'intérêt pour la migration au Niger. Le CCM en théorie se justifie pour coordonner les interventions dans le domaine de la migration au Niger afin d'assurer la synergie des actions et assurer l'efficience et l'efficacité des interventions.

Dans la pratique le CCM est un dispositif mis en place avec l'appui de l'UE afin de suivre les objectifs européens dans le cadre de la lutte contre la migration irrégulière au Niger. L'analyse du contenu des discours des officiels du Niger, mais aussi de l'ambassadeur de l'UE prononcés lors des sessions de CCM permet de mettre en évidence une constante : la lutte contre la migration irrégulière (priorité de l'UE), la volonté de l'État du Niger de lutter contre le trafic illicite de migrants (discours officiels nigériens) et la disponibilité de l'UE à accompagner le Niger dans la lutte contre la migration irrégulière (discours officiels de l' UE)

Ainsi, à l'ouverture de la première réunion du CCM dans leurs allocutions respectives « le ministre d'État et l'Ambassadeur, Chef de la Délégation de l'Union européenne ont insisté sur l'urgence d'intervenir sur la problématique de la migration irrégulière. Ils ont également souligné les efforts déployés par l'État du Niger dans ce domaine et ont reconnu la nécessité d'intensifier le partenariat en vue d'améliorer les résultats recherchés » (CCM, octobre, 2016, p 1). Les discours prononcés par ces acteurs à la deuxième session du CCM s'inscrivent dans la même logique. Assurant l'intérim de son homologue de l'intérieur, le ministre de la Justice a rappelé « le déplacement du ministre d'État sur la principale route migratoire et sa participation à Agadez à la validation du plan de reconversion des acteurs de la migration. » (CCM, juin 2017), ceci pour mettre en exergue les actions du Gouvernement dans la lutte contre la migration irrégulière.

Quant à l'ambassadeur de l'UE, « Il a souligné également les efforts que l'Union européenne ne cesse de déployer pour soutenir le développement du Niger comme l'illustre entre autres, le financement par le FFU des projets à hauteur de presque 100 milliards de FCFA. Enfin,

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l'Ambassadeur a relevé le besoin de réfléchir et de travailler ensemble pour déceler les nouveaux modes opératoires des trafiquants. » (Ambassadeur UE, 1er juin 2017).

Le mercredi 24 janvier 2018, à l'ouverture de la troisième session du CCM la même rhétorique s'invite. Le Chef de la délégation de l'Union européenne a « salué les efforts des plus hautes autorités nigériennes dans le cadre de la lutte contre la migration irrégulière et a réitéré l'engagement de la Délégation de l'Union européenne à accompagner le Niger dans ce noble combat. (Rapport 3, CCM, 24 janvier 2018).

C'est l'intervention du ministre d'État, ministre de l'Intérieur à la 5e session du CCM qui permet de conclure à un deal entre l'UE et le Niger pour lutter contre la migration irrégulière. Le Niger se doit de justifier les résultats accomplis avec l'argent de l'UE. L'ouverture de la session du CCM est l'occasion idéale pour cet exercice.

« Il me plait de rappeler que dans le cadre de la lutte contre la migration irrégulière, le Niger a enregistré, dans un délai très court, des résultats impressionnants par rapport aux différentes valeurs cibles retenues pour l'horizon 2021 dans le cadre de son programme de lutte contre la migration irrégulière. Le Niger a réduit de 90% le nombre de potentiels migrants entrant dans la ville d'Agadez qui est la plaque tournante de la migration irrégulière de 100 000 migrants en 2015, le flux a chuté à 22.000 en 2017 et à moins de 10.000 en 2018. », (CCM, mai 2019).

Pour rassurer davantage l'UE de l'engagement du Niger à lutter contre la migration irrégulière, lecture est faite du rapport que la DGPN transmet au ministre de l'Intérieur sur la situation de la migration au Niger du 1er au 30 avril 2019. Il est présenté par le DGEC/M/R. Son contenu renseigne les entrées et les sorties du territoire national pendant la période couverte, les expulsions en direction du Niger, le retour volontaire assisté, le refoulement et les reconduites à la frontière. Il met aussi en exergue les entrées des personnes de nationalité étrangère à Agadez considérée comme plaque tournante de la migration irrégulière « 1449 étrangers sont arrivés dans la ville d'Agadez dont 76 femmes et 6 mineurs répartis par les deux barrières notamment : par la route Zinder : 582 personnes et par la route Tahoua : 867 personnes. ». Le même document révèle que dans le cadre de lutte contre la migration irrégulière et la traite des personnes 25 personnes ont été interpellées durant la période et 5 voitures ont été immobilisées et placées sous scellé.

4.1.2.2 Engager la police frontalière dans la lutte contre le trafic illicite de migrants

Dans le cadre de la mise en oeuvre du plan d'action de La Valette, un projet pilote de « renforcement des capacités de la police nigérienne en matière de lutte contre l'immigration irrégulière, la fraude documentaire, le trafic et la traite d'êtres humains en vue de consolider la

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protection des victimes potentielles des réseaux criminels et améliorer la gestion policière des frontières »25 mis en oeuvre par la France et l'Espagne a été approuvé pour le compte du Niger. C'est le 14 mars 2017 que le Niger signe à Niamey avec la France et l'Espagne l'accord de création du projet d'Équipe Conjointe d'Investigation (ECI) en présence des Directeurs généraux de la police de ces trois pays ainsi que des ministres de l'Intérieur.

Placée sous la direction opérationnelle du Niger, l'équipe est composée de douze policiers nigériens assistés de trois policiers espagnols et de trois policiers français. Elle est dotée d'un budget de 6 millions d'euros pour 3 ans. La première phase étant terminée, le projet a été renouvelé pour trois ans avec le même budget. Afin d'opérationnaliser cet accord, la direction générale de la police nationale a créé au sein de la Direction de la surveillance du territoire une unité spécialisée chargée de la répression de la traite des êtres humains, du trafic illicite de migrants et de la fraude documentaire (DIS-ECI). Selon le Directeur régional de la police d'Agadez cette institutionnalisation est suivie de la création de brigades inter-régionales de lutte contre le trafic illicite de migrants, la traite des personnes, la fraude documentaire. Trois antennes régionales sont installées à Agadez, Zinder et Tahoua comme relais dans la lutte contre la migration de transit. Trois officiers de la Direction de la Surveillance du territoire sont nommés chefs d'antennes et Tillabéri et Dosso sont couverts par l'équipe de Niamey. La création DIS-ECI au sein de la DST institutionnalise la lutte contre la migration irrégulière au Niger. Elle dégage de facto des ressources matérielles et humaines pour conduire cette tâche au niveau des points d'entrés officiels (voir carte ci-dessous).

25 https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/region/sahel-lake-chad/niger/creation-dune-equipe-conjointe-

dinvestigation-eci-pour-la-lutte-contre_en

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Carte 5 : Les points d'entrées officiels des migrants au Niger

Source : Notre étude

On retiendra donc que c'est dans la dynamique collaborative avec l'UE que le Niger a institutionnalisé la lutte contre la migration irrégulière.

4.1.2.3 Prendre en compte le trafic illicite de migrants dans les attributions de l'ANLTP

Au Niger, c'est le décret n° 2012-083/PRN/MJ du 21 mars 2012 qui détermine l'organisation, la composition et les modalités de fonctionnement de l'Agence Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes (ANLTP). Ce texte détermine également ses attributions à savoir la gestion de la traite des personnes à travers l'amélioration du cadre juridique et institutionnel, la formation des acteurs, la sensibilisation des couches vulnérables, la collecte des données et les études. Ce décret fait suite à l'ordonnance 2010-86 sur la traite des personnes. Il permet au pays de disposer d'une institution dédiée à la traite des personnes. La particularité du décret de 2012 est qu'il fait le lien entre les migrations et la traite des personnes. En effet, « il existe une forte interrelation entre la traite des personnes et le trafic illicite des migrants en ce que la seconde

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débouche sur des formes diverses d'exploitation constitutives de la première. Autrement dit, la traite des personnes est dans beaucoup de cas la conséquence directe du trafic illicite de migrants d'autant plus que l'économie du passage clandestin est financée en partie par l'exploitation des migrants illégaux. Ces derniers étant parfois transportés à crédit, ils sont une fois à destination, exploités pour « rembourser » les passeurs ou des intermédiaires. » (Rapport bilan, 2017).

Plus récemment, le pays ayant adopté la loi n° 2015-36 du 26 mai 2015 relative au trafic illicite des migrants, il s'est avéré nécessaire que l'architecture institutionnelle de l'agence puisse prendre en charge les aspects liés au trafic illicite de migrants. C'est dans cette perspective que le gouvernement a pris l'initiative de modifier et compléter le décret créant l'ANLTP. « Il est apparu nécessaire de modifier et de compléter le décret du 21 mars 2012 pour prendre en compte notamment la question du trafic illicite des migrants.»26.

Cette modification du décret donne à l'agence la base légale de mener conformément à ses attributions des activités relatives au trafic illicite de migrants. Ces activités sont pour l'essentiel la formation des acteurs de la chaine pénale, les sensibilisations, la collecte de données et la gestion du TIM.

Photo 1: Plaque de l'ANLTP/TIM à Birni N'konni une ville de transit

Crédit photo : B Ayouba Tinni, Birni Konni, avril 2018

26 https://www.presidence.ne/conseils-des-ministres/2018/3/8/communique-du-conseil-des-ministres-du-jeudi-08-mars-2018

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Elles repositionnent surtout l'agence comme acteur majeur dans le cadre du TIM dans un contexte où plusieurs acteurs (DST, FDS, DGEC/M/R) tentent de se positionner pour bénéficier des ressources provenant de partenaires divers comme l'ONUDC, EUCAP Sahel Niger, Projet GARSI Niger, ECI Niger et OIM.

La modification du décret permet également aux acteurs de la chaine pénale de faire de la lutte contre le TIM une priorité, l'agence dispose de bureaux régionaux logés au sein des tribunaux de Zinder, Tillabéri, Agadez, Birni N'Konni, Niamey, Arlit et Tahoua. Elle donne donc plus de présence géographique et donc plus de capacité à mettre en oeuvre des activités sur le terrain à l'Agence. Mais dans la pratique entre la forte médiatisation de l'institution et le résultat sur le terrain, l'écart est grand.

4.1.2.4 Enrôler la gendarmerie dans la sécurisation des frontières

Le groupe d'action rapide-Surveillance et intervention au Sahel (GAR-SI) est un projet régional regroupant les pays du G5 Sahel (Niger, Mali, Burkina Faso, Tchad et Mauritanie) auxquels s'ajoute le Sénégal. C'est un projet financé par le Fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique dans le cadre du plan d'Action de La Valette de novembre 2015 et du plan d'action régional 2015-2020 de la stratégie Sahel de l'UE.

Le GARSI a pour objectif « de rendre plus efficace l'action préventive et réactive des forces de sécurité nationale afin de garantir un contrôle accru du territoire et notamment des zones frontalières éloignées. Pour atteindre cet objectif, le projet GARSI améliore la coopération transfrontalière via la création de six unités nationales GARSI interopérables. »27. Ces unités sont créées dans les six pays membres. Ces éléments sont composés des membres de la gendarmerie des pays concernés.

Démarré en avril 2017 pour prendre fin en février 2021 avec un budget de 41 millions d'Euros, le projet GARSI est mis en oeuvre par un consortium européen composé de l'Espagne, de l'Italie, du Portugal et de la France.

Le GAR-SI-Niger, partie intégrante de ce projet régional, a été créé par arrêté n°25/MDN/DES du 13 février 2018, pour être selon le Haut commandement de la Gendarmerie nationale « une

27 https://civipol.fr/fr/projets/groupes-daction-rapides-surveillance-et-intervention-au-sahel-garsi

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force composante de la Gendarmerie chargée de faire face au terrorisme, à la criminalité organisée, au trafic illicite et au renforcement du contrôle des frontières »28.

L'unité GAR-SI est composée d'officiers, de sous-officiers et de gendarmes, formés avec l'appui des gendarmeries espagnole, française, italienne et portugaise en techniques opérationnelles, en techniques d'intervention professionnelle et en police judiciaire, mais aussi dans le renseignement, la protection de l'environnement ainsi que la sauvegarde du patrimoine culturel. Pour l'ambassadeur de l'UE au Niger « La formation de cette unité fait partie d'un programme européen régional qui vise à contribuer à la stabilisation des pays du G5 Sahel ainsi que du Sénégal à travers la création d'unités robustes, flexibles, mobiles, multidisciplinaires et autosuffisantes. Ces unités doivent être capables de faire face à tous types de menaces, y compris les menaces terroristes, la criminalité organisée et la traite des êtres humains, la protection de l'environnement et au renforcement du contrôle des frontières »29.

L'unité GAR-SI est logée au sein de l'École de la Gendarmerie à Koira Tégui et son site d'installation se trouve à Abala, localité située à 198 km au nord de Niamey, sur une superficie de 6 hectares. Cette force a également dans ses prérogatives la lutte contre la migration irrégulière à laquelle est associée la criminalité transfrontalière organisée.

4.2 Les pratiques administratives orientées vers la lutte contre le TIM

L'entrée, le séjour et le transit des étrangers en territoire nigérien sont régis par plusieurs textes nationaux et internationaux. Il s'agit de l'ordonnance 81 et la loi 2015-36 et des textes communautaires sur la libre circulation des personnes et des biens de l'UEMOA, de la CEDEAO et de la CENSAD.

Les ressortissants de la CEDEAO doivent justifier d'une carte d'identité valide et d'un carnet de vaccination pour entrer au Niger. Ainsi, les citoyens de cet espace n'ont pas besoin de visa pour entrer au Niger. Dans la pratique ceux dont les pièces ne sont pas à jour doivent payer une amende forfaitaire variant de 1500 à 2000 FCFA. Cette somme en principe est reversée au trésor national. La traversée de la frontière est donc largement à la portée de ces citoyens. Toutefois, il faut noter une tendance à l'abus des forces de sécurité, comme en témoignent les entretiens

28 http://news.aniamey.com/h/89327.html

29 https://www.niameyetles2jours.com/la-gestion-publique/securite/1801-3366-le-gar-si-une-nouvelle-unite-

mise-en-place-au-niger-pour-lutter-contre-le-terrorisme-et-le-crime-or

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auprès des migrants. Les migrants peuvent se voir exiger une somme de 10 000 FCFA à plus pour traverser la frontière, de façon totalement arbitraire.

Une autre pratique en cours aux frontières est la facilité de passer la frontière accordée aux populations transfrontalières. Ainsi, entre la ville frontalière de N'Guigmi et le Tchad, les Nigériens doivent justifier d'un sauf-conduit délivré gratuitement par la préfecture et de 3 000FCFA pour la mairie pour passer la frontière. Au retour, les Tchadiens doivent justifier de la même pièce. À Gaya à la frontière avec le Bénin il n'est quasiment pas exigé de documents pour les échanges entre Gaya et Malanville. Il existe donc une pratique de tolérance vis-à-vis de la mobilité des communautés frontalières sans que cela ne puisse faire l'objet d'un document officiel entre les pays concernés.

Mais depuis que le Niger s'est engagé aux côtés de l'UE dans la répression de la migration irrégulière de transit sur son territoire, de nombreux changements sont observés au niveau des pratiques administratives en lien avec la gestion de la migration aux frontières. Ainsi, il est mentionné des pratiques comme le refoulement, la reconduite à la frontière, les expulsions et le référencement pour la demande d'asile.

4.2.1 Refouler pour prévenir la migration irrégulière

Dans le cadre de cette thèse, est considérée comme refoulement le refus de l'accès au territoire d'un pays au niveau des postes frontaliers pour des raisons diverses dont la plus fréquente est le défaut de document de voyage, à une personne ou un groupe de personnes. Cette pratique même si elle date de longtemps aux frontières du Niger, a pris de l'ampleur avec l'application de la loi 2015-36. En vertu de cette loi, instruction ferme est donnée aux agents frontaliers de refuser l'accès au territoire aux personnes n'ayant pas de documents valides. Or, ces personnes qui transitent par le Niger pour l'Afrique du Nord sont en majorité des ressortissants des pays membres de la CEDEAO qui bénéficient de facilités de circulation. L'injonction de l'UE a donc abouti à la fin de la flexibilité pour l'accès au territoire des citoyens de l'espace communautaire. On passe donc d'un partenariat intra africain pour la mobilité des ressortissants à un partenariat Nigéro-Européen de blocage des migrants. En effet, le rapport bilan des activités de migration souligne qu'en 2017 « Les refoulements aux frontières ont concerné quinze mille quarante-cinq (15.045) personnes de différentes nationalités. Cette mesure a été appliquée systématiquement à toute personne non pourvue de documents de voyage ; » (Danda, 2018).

Dans le cadre de la coopération UE-Niger dans le champ de la migration, le refoulement apparait comme une pratique administrative visant à réduire dès les frontières sud les flux de

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migrants qui pourraient transiter par le Niger et vers l'Afrique du Nord. Ces personnes sont donc éloignées par la privation de l'accès au territoire nigérien. Elles sont ramenées au poste frontalier du pays voisin. Le refoulement ne distingue pas dans la pratique le migrant ordinaire, le migrant économique et celui qui peut prétendre à la protection internationale. Le refoulement est une pratique que préfèrent les agents de la police aux frontières. En effet, pour ne pas avoir à supporter les charges alimentaires du migrant en l'absence de mécanismes permettant une assistance, la police refoule le migrant. Ainsi, par méconnaissance de certains agents de la surveillance du territoire, des personnes pouvant demander l'asile sont injustement privées d'accès au territoire du Niger. Or, dans le cas d'espèce le non-refoulement devrait être la règle.

Le refoulement constitue un manque à gagner pour le trésor public. En effet, les amendes perçues pour défaut de documents de voyage sont versées au trésor public. Or, avec le refoulement systématique des cas auxquels on peut exiger de payer des frais forfaitaires, le trésor public se trouve avec un manque à gagner.

Enfin, le refoulement apparait comme une approche prônant une gestion sécuritaire des migrations. Pour ces acteurs le lien est vite établi entre migration et terrorisme. Et donc, au nom de la lutte contre le terrorisme, la frontière doit être gérée de manière restrictive de façon à ne pas donner l'accès au territoire à une personne sans document. Cette approche puise sa source dans le contexte sécuritaire du Sahel. Dans cette initiative, le Niger est appuyé par l'OIM qui a mis en place la reconnaissance biométrique au niveau de certains postes-frontières : MIDAS est opérationnel dans divers points d'entrée du Niger comme Makalondi, Assamaka et Gaya. Cette approche s'inscrit dans une politique de biométrisation des frontières. Tout voyageur doit passer par cette machine pour un relevé d'empreintes, une prise de photos avant de passer la frontière. La personne qui ne dispose pas de documents est refoulée sous prétexte de migration irrégulière ou suspectée de terrorisme. Le refoulement est donc la conséquence d'une suspicion de migration irrégulière ou de terrorisme qui a commencé depuis l'application de la loi 201536. Il cible particulièrement les migrants non nigériens qui veulent entrer au Niger. À tous les postes de police, ils sont perçus comme de potentiels candidats à la migration vers l'Afrique du Nord. Cette approche met en quarantaine la longue histoire qui lie le Niger à ces pays d'où sont originaires ces migrants.

Le refoulement met à mal la coopération entre la police du Niger et celles de ses voisins, car depuis plusieurs années la mobilité des communautés transfrontalières a toujours fonctionné selon un arrangement entre les deux postes. Aujourd'hui à N'Guigmi le sauf conduit n'est pas

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accepté au Tchad. En retour, le Niger exige un passeport aux Tchadiens. Cela rend très difficile la mobilité des populations transfrontalières qui deviennent ainsi des victimes collatérales de la lutte contre la migration irrégulière.

4.2.2 Reconduire les migrants à la frontière

La reconduite à la frontière est une pratique visant en majorité les migrants ayant eu accès au territoire du Niger frauduleusement et sur lesquels la police arrive à mettre la main de diverses manières notamment lors des contrôles qu'elle effectue aux postes. Elle concerne les migrants qui n'ont pas de documents valides de voyage ou dont le passeport n'a pas les cachets d'entrée attestant qu'ils sont bien passés par les postes de police officiels. Quelle que soit la variante à partir des postes de décompte ces migrants sont mis à disposition en fonction de la proximité géographique soit à la DRPN soit à la DDPN qui ont en charge les reconduites au point d'entrée.

La mise à disposition des migrants par la police obéit à un modus vivandus non écrit avec les compagnies de transport. Ainsi, la compagnie ayant transporté les migrants jusqu'au poste de police frontalier est tenue d'utiliser le même billet pour une mise à disposition à la police. À partir des DDPN de Gaya pour la frontière Bénin, Birni N'Konni pour la frontière du Nigéria et Tikim, Mai Moujia pour le Nigéria ou Makalondi pour le Burkina Faso les migrants sont reconduits au poste frontalier des pays voisins par lesquels ils sont entrés au Niger.

Lors des patrouilles dans les gares routières ou lors de opérations de démantèlement des réseaux de migrations irrégulières, il est fréquent que des cas soient mis à la disposition de la DST ou de ses services déconcentrés pour procéder à la reconduite à la frontière. Dans l'ensemble en 2017, « les reconduites aux frontières ont visé sept mille six cent quatre-vingt-huit (7.688) personnes toutes nationalités confondues. » (Rapport bilan, 2017, p 50).

La police exécute très vite cette action pour ne pas à avoir à prendre en charge les besoins quotidiens (nourriture, hébergement) des migrants. Souvent sans ressources, les migrants sont une charge financière pour l'administration. Pour faire face, les agents des postes frontaliers utilisent les amendes forfaitaires pour payer le transport de ces personnes et même la prise en charge alimentaire. On voit donc que la lutte contre la migration irrégulière au-delà de ses implications négatives sur les droits de l'homme réduit les ressources internes. Les maigres ressources que le trésor public arrive à mobiliser à l'interne sont dépensées en partie pour satisfaire les besoins des partenaires externes du Niger. De l'avis des agents de la police aux frontières, les ressources pour effectuer ces tâches manquent. Les DDPN sont contraintes de se

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débrouiller pour accomplir les missions au quotidien que leur impose la collaboration du Niger avec l'UE.

4.2.3 Référencer les migrants à l'OIM

Une autre pratique ayant progressivement émergé dans le contexte de lutte contre la migration irrégulière est le référencement vers des structures d'assistance aux migrants. À Agadez c'est vers l'OIM que sont référés les migrants dans la mesure où la loi 2015-36 les considère comme des victimes. Ainsi, après chaque opération d'arrestations de passeurs, les migrants sont mis à la disposition de l'OIM pour bénéficier du retour volontaire assisté. Ces référencements sont l'oeuvre d'acteurs divers comme l'indiquent ces propos « On travaille avec l'OIM. C'est auprès d'eux qu'on envoie les migrants qui veulent retourner volontairement dans leur pays. L'OIM ne veut pas de la présence des véhicules de la police, car ils ne forcent pas les gens à retourner. » (Entretien, Agadez, DRPN, mai 2016). Ou encore ces propos « Au niveau du trafic illicite c'est l'OIM qui prend en charge le retour du migrant qui décide de retourner volontairement. On travaille tous les matins avec l'OIM »,( Entretien, Agadez, Procureur, mai 2016). Même sur le terrain, les FDS savent que c'est à l'OIM qu'il faut référer les candidats au retour volontaire. « Quand nous prenons un véhicule à Séguédine, on met le chauffeur et le véhicule à la disposition de la gendarmerie. Les migrants sont admis à OIM de Dirkou » (Entretien, Agadez, GNN, , mai 2016)..

Photo 2:Une plaque indiquant le centre OIM à Agadez
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017

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Photo 3 : Des migrants au centre OIM à Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017

Ces témoignages montrent à quel point l'OIM dispose d'un vaste réseau qui met à sa disposition les migrants voulant retourner dans leurs pays. Cette organisation est bénéficiaire des ressources de l'UE dans le cadre du Fonds fiduciaire d'urgence d'un montant de six millions neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mille huit cent quatre-vingt-treize (6 999 893) euros sur trois ans pour mettre en oeuvre ce projet dans la région d'Agadez. Cette action vise à éloigner ces migrants de la route migratoire menant à l'Afrique du Nord

4.2.4 Emprisonnement des prestataires de services de la migration

L'essentiel des personnes détenues au mois d'août 2016 dans la lutte contre la migration irrégulière à Agadez sont des Nigériens exerçant dans le domaine du transport des migrants. Il s'agit pour l'essentiel des jeunes Toubous et Touaregs assurant la jonction entre les deux rives du Sahara. Ce sont tous des chauffeurs prestataires engagés par des Nigériens ou des Libyens. Monsieur Bachir, jeune de Dirkou explique que l'absence d'emploi et les difficultés de mise en oeuvre de la culture des dattes l'ont contraint à devenir chauffeur.

«Il faut des moyens, tu feras des années en train d'attendre les dattes et même si tu commences à récolter ça ne dépassera pas dix sacs et le sac ne dépasse pas dix mille francs. Et même la bonne qualité ne dépasse pas 15000 FCFA le sac. Cent cinquante mille ne peut pas vous nourrir toute l'année et puis c'est seulement à Bilma qu'on produit du sel. Nous, nous sommes à Dirkou et c'est à Bilma qu'il y a du sel et même là-bas chacun a sa parcelle ». (Entretien, Agadez, Bachir, novembre, 2017).

En outre les chauffeurs mis aux arrêts indiquent n'avoir pas pris connaissance du caractère illégal de leur activité. Souvent c'est en prison ou à la justice que cela leur est notifié comme le souligne Ibrahima.

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« Je viens de l'apprendre parce qu'on n'a parlé de cela ni à la radio ni dans la ville. Ils n'ont pas déclaré lorsqu'ils nous ont arrêtés. Si nous le savons, nous n'allons pas transporter les étrangers. Nous vivons de cette activité. Parce que si tu fais un tour, tu gagnes 150000 francs à 200000 FCFA, tu peux te marier et nourrir tes parents. Tu fais deux ou trois tours, tu te reposes un peu puis tu reprends et c'est ainsi que tu

peux avoir de quoi nourrir ta famille toute l'année. » (Entretien, Agadez, Ibrahima, novembre, 2017).

En fait, la loi votée plusieurs mois plus tôt n'a pas fait l'objet de sensibilisation à l'échelle nationale ou régionale avant sa mise en application. Même les députés élus au titre de la région d'Agadez et qui sont conscients du poids des activités en liens avec la migration sur l'économie locale n'ont pas communiqué dans ce sens. Dans ce contexte, l'application était brusque et violente. Tout porte à croire que le Niger veut rassurer son partenaire sur sa capacité et sa volonté d'agir. Les jeunes détenus, dans la foulée, représentent la bonne foi des autorités envers l'EU.

4.3 Un dispositif de répression de la migration de transit à Agadez

4.3.1 Impliquer le conseil régional de sécurité dans la lutte contre la migration de transit

À Agadez, le dispositif institutionnel ayant permis la mise à exécution de la loi 2015-36 est sans doute le Conseil régional de sécurité. Cette institution placée sous la tutelle du Gouverneur de la région est l'espace dédié aux échanges sur les questions de sécurité. Il regroupe l'ensemble des responsables des forces de défense et de sécurité. La migration ayant un aspect sécuritaire pour les autorités c'est à ce titre qu'elle est abordée lors des réunions de cette institution. Ainsi, il est décidé d'impliquer toutes les FDS pour lutter contre la migration de transit en fonction des aires traditionnelles d'intervention de chacun. La police, présente en ville, a la responsabilité de la commune d'Agadez. En périphérie de la commune, la gendarmerie est chargée de la surveillance. Dans l'ensemble de la région, les patrouilles mixtes, les patrouilles de la garde nationale et les postes avancés de l'armée assurent la sécurité et la recherche des passeurs comme le confirment ces propos « Suite à l'interpellation des passeurs et transporteurs à la prison civile, nous avons verrouillé toutes les voies d'accès qui mènent vers le Nord » (Entretien, Garde Nationale du Niger, Agadez, décembre 2017). On voit donc que l'impératif de la lutte contre la migration se traduit par un élargissement du travail des FDS dans un contexte de dégradation sécuritaire aux frontières.

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Photo 4 : Des migrants au centre OIM à Agadez

Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017

Ainsi, une partie du temps et des ressources est affectée à la traque des véhicules transportant les migrants qui autrefois passaient sous leurs yeux. Désormais, elles ont l'obligation de les poursuivre et d'immobiliser le véhicule.

Dans le Sahara, les véhicules de transport de migrants mis aux arrêts sont conduits à Dirkou pour être mis à disposition du commissariat. Après interrogatoire, le chauffeur est déféré à la justice, le véhicule scellé, et les migrants mis à la disposition de l'OIM comme l'illustre la photo 4 ci- dessus pour bénéficier du retour volontaire assisté.

4.3.2 Engager la police dans la lutte contre le TIM

À Agadez commune urbaine, la police nationale est le bras armé de la lutte contre la migration irrégulière. Pour y parvenir elle a mis en place un dispositif permettant de contrôler 24h/24 les 4 à 5 bretelles que les transporteurs peuvent utiliser pour sortir clandestinement de la ville avec les passagers. Ces postes imposés par le contexte du moment mobilisent un véhicule 4*4 et des hommes à chaque point de sortie pour les éventuelles poursuites. Les poursuites sont courantes, souvent jusqu'en ville avec usage d'armes à feu pour immobiliser les véhicules. On note donc une réaffectation du personnel de la police et des moyens roulant dans la lutte contre la migration de transit.

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À ce dispositif s' ajoute un autre comprenant des éléments de la police méconnus même par les policiers d'Agadez dont la mission est de démanteler les réseaux de transporteurs de migrants et les éventuels ponts entre ces réseaux et la police. On comprend donc que la police régionale d'Agadez ait dédié un effectif important et des ressources matérielles à cette activité.

Au titre des moyens d'actions de la police, notons la collaboration avec les gares modernes présentes à Niamey et Agadez. Dans cette perspective les manifestes des passagers sont partagés chaque jour. À chaque poste de police important, la situation est actualisée de sorte que le dispositif d'Agadez est en mesure de connaitre le nombre de passagers non nigériens dans chaque bus et par compagnie. Cette longueur d'avance permettait à la police de suivre les migrants une fois qu'ils arrivent. Un suivi est donc fait pour voir les personnes que les migrants contactent à l'arrivée, le lieu d'hébergement pour enfin mettre la main sur le contact sur place qui est censée faciliter le travail. Ce dernier est appréhendé mis en prison, le véhicule confisqué et les migrants relâchés.

4.3.3 Créer des postes de décompte pour appréhender les flux en direction du Sahara

Un autre dispositif de contrôle mis en place par la police nigérienne en faveur de la lutte contre la migration irrégulière est la mise en place des postes de décompte sur les routes migratoires vers le Nord. Les deux premiers sont à Abalak et Tanout. A ce niveau les migrants sont descendus et dénombrés par nationalité pour suivre les tendances et vérifier surtout la concordance des statistiques reçues et de celles sur place. Un autre poste de décompte a été mis en place à Séguédine, localité située sur la route de la Libye en plein Sahara. Ce décompte vise surtout à mettre la main sur les migrants non nigériens voulant se rendre en Libye.

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Carte 6 : Les points de décompte des flux migratoires

Source : Notre étude

Cette approche de contrôle le long de la route migratoire menant vers l'Afrique du Nord n'est pas sans rappeler la notion de frontière verticale développée dans le contexte migratoire mexicain. Selon F. Boyer (2018, p 176) ce concept renvoie « à la multiplication des points de contrôle, tout au long des routes et des noeuds de circulation, et à une situation migratoire associant émigration, immigration et transit ». Pour le cas spécifique du Niger, Boyer (2018) souligne que « cette frontière verticale se construit selon une logique de quadrillage du territoire national, qui conduit à une multiplication des contrôles tout au long des routes identifiées : les villes situées sur les routes goudronnées remontant vers le Nord, les points d'eau dans le Sahara, les gares routières. Ces contrôles ont pour objectif de construire un espace de contention, au sein duquel les migrants sont empêchés de circuler librement, à partir du moment où on leur prête l'intention de se rendre vers le Nord du pays et de franchir les frontières libyennes et/ou algériennes. ».

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4.3.4 Frontières imaginaires

Les autorités nigériennes ayant décidé unilatéralement d'arrêter les frontières de la CEDEAO à la commune urbaine d'Agadez, les migrants non nigériens ne doivent pas s'aventurer à ce niveau aux risques de se faire renvoyer à Agadez.

En fait, tout se passe comme si à la sortie d'Agadez se trouve une ligne imaginaire que les migrants, même ressortissants de la CEDEAO ne doivent pas franchir. Cette ligne constitue la frontière virtuelle du nord du Niger. Elle fonctionne sur la base d'un imaginaire collectif des autorités indiquant que tout voyage vers cette direction a pour destination la Libye. Pour cela l'argument moral est mis en avant. Le Niger ne peut pas regarder, passer les jeunes Africains mourir dans le Sahara ou la Méditerranée sans réagir. Joignant l'acte à la parole des actions sont prises à Agadez-ville de sorte que cette ligne rouge soit aussi effective sur place. À l'intérieur de la ville déjà, les gares, les ghettos, et autres lieux d'embarquement sont sous la surveillance permanente de la police. Il suffit de tenter de faire quitter la ville aux migrants, soit par motos, tricycles ou véhicules pour voir surgir des policiers afin d'immobilier et transférer les personnes au commissariat pour suite judiciaire.

La ligne rouge est aussi perçue à Agadez ville du fait de certaines pratiques policières. En effet, des migrants rapportent des cas de descentes de la police tard la nuit pour des opérations de rafles. Ils sont embarqués et conduits à la police qui leur demande de choisir le retour volontaire. Ceux qui acceptent sont transportés par l'OIM, tandis que les autres peuvent sortir librement pour rejoindre leur domicile. Face à la récurrence de ces rafles, certains migrants affirment ne pas passer la nuit dans les ghettos pour éviter d'être pris. Cela montre une psychose sur place, alors que quelques années auparavant cette pratique n'existait pas.

La ligne rouge est aussi sur place, à Agadez du fait des nombreuses opérations de démantèlement des réseaux facilitant l'accueil, l'hébergement et le transport des migrants vers l'Afrique du Nord. Sur la base d'enquêtes policières, de dénonciation, plusieurs personnes furent arrêtées et conduites en prison depuis août 2016.

4.4 Conséquences de la lutte contre le TIM 4.4.1 Des migrants abandonnés par les passeurs

Ce dispositif a abouti au blocage de migrants dans la ville d'Agadez, incapables d'avancer vers le nord faute d'offre de transport. Si elle existe, cette offre devient plus chère, 300 000 à 400 000FCFA et elle est plus dangereuse, car le risque d'être abandonné par le passeur à la vue

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des FDS est élevé : « la chose, quand elle est interdite, elle est toujours attrayante, et les enchères montent. Avant c'est 120 000FCFA le transport en Libye. Maintenant c'est 300 000FCFA. » (Entretien, Agadez, Substitut procureur, novembre 2017). En outre, les routes empruntées ne sont pas balisées, il n'y a pas ou peu de points d'eau et elles croisent les routes des trafiquants aux profils variés. Les migrants abandonnés, lorsqu'ils sont retrouvés, sont convoyés à Agadez où ils ont le choix entre aller à l'OIM, déposer une demande d'asile ou sortir se débrouiller seuls. En 2017, « 2.083 migrants abandonnés dans le désert ont été récupérés par les forces de défense et de sécurité; 52 dépouilles de migrants décédés ont été retrouvées » (Rapport bilan, 2017). Ses opérations de secours sont conduites grâce aux patrouillent des FDS mais aussi sur la base d'un partenariat entre l'OIM et la Direction générale de la protection civile.

4.4.2 Des migrants coincés à Agadez

Les migrants qui n'arrivent pas à sortir d'Agadez pour le Nord, sont coincés dans la ville, car plus le séjour s'inscrit dans la durée plus ils épuisent leurs économies. Certains choisissent de se rabattre sur l'OIM et le retour volontaire pour bénéficier de l'hébergement, la restauration en attendant un transfert monétaire à partir du pays d'origine.

Une partie des migrants choisissent de vivre dans les ghettos et deviennent des migrants bloqués par la faute des politiques d'externalisation. D'autres se mettent dans le processus de demande d'asile pour rester à Agadez en attendant d'éventuelles opportunités.

4.4.3 Les emprisonnements des prestataires de la migration

En octobre 2020, nous avons interrogé deux Nigériens résidant à Agadez qui par ailleurs reconnaissent avant l'application de la loi 2015-36 avoir évolué dans le business de la migration. Ils ont été arrêtés à Agadez très tôt le matin dans leur famille par des hommes sans mandat d'arrêt. Après 24h à Agadez, ils sont conduits à Niamey (encadré1). Là ils ont dû passer deux semaines à la cellule antiterroriste de Niamey avant d'être déferrés à la DST puis à la justice. À la date de notre rencontre ces hommes sont à plus de 6 mois de détention préventive sans jugement.

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Encadré 1 : Monsieur Yacouba détenu à la prison civile de Niamey

Yacouba est né en 1981 à Filingué, marié à deux femmes et père de 5 enfants. Arrêté le 18 mars à Agadez sans mandat d'arrêt. Il s'est vu encagouler et transporter à Niamey le 19 mars 2019. Il y passe deux semaines à la coordination de la cellule antiterroriste avec cagoule, menotté en position assise dans la cellule. Après deux semaines d'interrogatoire, il est amené à la direction de la surveillance du territoire. Interrogé par 3 à 4 policiers, dont des Français, on lui notifie qu'il est passeur et qu'il aide les gens à passer en Libye.

Il reconnait avoir été passeur entre 2012-2015, avec un ghetto à Misrata (quartier d'Agadez) où il hébergeait ses clients. Le ghetto était loué à 20 000FCFA/mois.

Il prenait entre 100 et 120 000 FCFA par passager pour les amener d'Agadez à Sebha.

Puis il est allé en Libye pour y passer deux ans. A son retour à Agadez, avec l'application de la loi 2015-36, il dit avoir laissé le business de la migration dès qu'ont commencé les projets de comités de reconversion. Il voulait retourner en Libye. Dans ce cadre, il a engagé des démarches pour faire un passeport.

Les conséquences sociales de ces arrestations sont importantes. Un détenu marié à deux femmes et père de 5 enfants affirme « qu'il n'est pas facile de nourrir 7 personnes en prison » (Niamey, Prison civile, 12 octobre 2020). Commerçant au marché d'Agadez, le capital qu'il a laissé sur place est utilisé pour subvenir aux besoins de sa famille.

Les deux prévenus rencontrés, ont été arrêtés sans mandat, transférés à Niamey avec cagoule durant le voyage. A Niamey, ils sont détenus au secret sans information vers leurs parents pendant deux semaines et sans possibilité de recourir à un avocat. Au Niger, la traite des personnes et le trafic illicite de migrants relèvent de l'antiterrorisme et donc d'un droit d'exception. Ainsi, la lutte contre la migration irrégulière s'accompagne des violations des droits de la personne : arrestation sans mandat, déportation, séquestration et éloignement de la famille. Aussi, le TIM prive les acteurs de leur capital productif : les biens sont confisqués, des jeunes souvent des pères de familles sont privés de liberté pendant de longues périodes. On note une moyenne de 18 mois sans jugement. Un détenu (encadré 2) rencontré après 18 mois sans jugement et condamné à une peine 2 ans 6 mois refuse de faire appel, car dit-il les dossiers se perdent à la justice. Comme il ne lui reste que 6 mois, il accepte de les purger car des dossiers

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de détenus ayant interjeté en appel sont perdus. Ces problèmes structurels de la justice nigérienne viennent se greffer à une procédure exceptionnelle. Les ingrédients sont donc réunis pour compliquer la situation de ces détenus.

Encadré 2 : Ababacari détenu gambien à la prison civile de Niamey

Monsieur Ababacari est gambien, 26 ans, célibataire. Il est arrivé au Niger en juin 2017 dans l'espoir de continuer en Libye puis en Italie. Comme son argent est fini, il s'est arrêté à Niamey pour se faire une nouvelle santé financière. Il a élu domicile à la gare STM Talladjé où il se débrouillait comme bagagiste et coxeur comme l'attestent ses propos « Je cherchais les gens qui voulaient voyager à l'international pour les amener à prendre leur ticket à STM. Sur chaque billet j'ai une commission de 1000 FCFA ».

Il est arrêté le 31 août 2017 à la gare STM par des policiers en tenue civile vers 16h qu'il affirme avoir remarqués une heure auparavant dans la gare, deux hommes et une femme. C'est Monsieur M, un coxeur comme lui qui a amené la police pour l'arrêter « Monsieur M. a amené la police pour m'arrêter en tant que coxeur. C'est lui qui a amené la police pour arrêter Mo, Ai et moi sur des sites différents. C'est en prison qu'on a tous compris que Monsieur M n'est pas un coxeur. C'est un policier infiltré. »

Puis il est transféré à la DST pour être interviewé par deux policiers européens et un nigérien. Dans l'interrogatoire, ils lui ont demandé d'expliquer son mode opératoire pour faire voyager les gens en Italie puisqu' il a été pris avec trois Sénégalais. Menacé d'être mis sous tension électrique et chicotte, il est déféré à la justice pour être mis sous mandat de dépôt. Les chefs d'inculpation retenus contre lui sont : facilitation de transport et faux documents d'identité. Le juge a évoqué le relâchement des Sénégalais pour retarder le procès. Jugé le 10 janvier 2020, il est condamné à 3 ans de prison ferme et 100 000 FCFA d'amendes.

L'intéressé n'a pas fait appel de sa condamnation car il ne lui reste que quelques mois. En plus à la cour d'appel la personne peut perdre son dossier. L'ambassadeur de Gambie est venu deux fois lui rendre visite. Son projet au départ est d'aller en Italie, maintenant il voudrait retourner dans son pays.

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Conclusion partielle

L'analyse a permis de mettre en évidence la politique et les dispositifs de l'État du Niger dans la lutte contre la migration irrégulière. La notion de frontière verticale mobilisée pour l'analyse a mis en exergue les changements de pratiques administratives impliquant des contrôles le long de la route, l'institutionnalisation de la lutte contre le TIM à travers des unités dédiées GARSI, ECI. Aussi, la notion de frontière imaginaire relève effectivement d'une pratique de quadrillage de la région d'Agadez pour limiter les flux en partance vers l'Afrique du Nord. Cette approche gestionnaire se traduit par des refoulements, des reconduites aux frontières, des mises à dispositions de l'OIM, des migrants coincés à Agadez et des emprisonnements.

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Chapitre 5 : Une économie locale suspendue à la migration

Le présent chapitre aborde l'économie de la migration dans la région d'Agadez. Il se base sur des données recueillies auprès des acteurs. L'objectif est de rendre compte de l'historique de cette activité, de cartographier les acteurs, d'analyser les incidences des politiques actuelles de lutte contre la migration dite irrégulière sur cette économie de transit. Un regard critique sur les tentatives de solutions sera également développé.

5.1 Comprendre l'économie de la migration à Agadez 5.1.1 L'économie de la migration dans la littérature

L'économie de la migration a fait l'objet d'analyse de la part de plusieurs auteurs. La littérature scientifique s'est développée autour de concepts comme : « commerce de la migration », « migration merchands », « business humanitaire » et « industrie de la migration ». Harney (1977) développe le modèle de commerce de la migration afin d'analyser le rôle des prestataires, comme les transporteurs, qui facilitaient l'immigration des Italiens du sud vers les États-Unis d'Amérique. Ce sont donc des personnes qui gagnaient leur vie par la facilitation de la mobilité des autres. (Kyle et Liang, 2001) présentent le concept de Migration Merchants afin de mettre en exergue la marchandisation intégrée de la migration. En effet, selon ces auteurs la marchandisation de la migration est « a complex process that may be transnational in scope but is built upon a foundation of local, often rural, ignorance and hierarchical social structures of class, ethnicity, and gender » (Kyle et Liang, 2001).

Dans l'ensemble, c'est surtout l'industrie de la migration qui a été largement théorisée. Les auteurs se sont penchés sur le caractère légal ou illégal des activités entrant dans le processus de la migration et qui pourraient générer des revenus. Salt et Stein (1997) considèrent que la migration est un « business ». Leur hypothèse suggère que la traite est un élément intermédiaire des activités liées aux migrations mondiales facilitant la circulation des personnes entre les pays d'origine et de destination. L'approche théorique peut être appréhendée en trois étapes : la mobilisation et le recrutement des migrants, leur mouvement en route, et leur insertion et intégration sur les marchés du travail et les sociétés d'accueil des pays de destination. À chacune des étapes interviennent des acteurs qui en tirent des profits économiques. Selon cette théorie, l'activité de migration est conçue comme un système de réseaux institutionnalisés avec des comptes de résultats complexes, comprenant un ensemble d'institutions, d'agents et de

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particuliers, chacun d'eux étant susceptible de générer un gain commercial. On note donc que ce modèle se concentre sur l'organisation criminelle de la migration qu'est la traite.

Claire Rodier (2014) introduit le concept de « business humanitaire » de la migration pour faire référence à l'ensemble des organisations humanitaires impliquées dans la gestion de la migration. Son analyse se penche à la fois sur les organisations inter gouvernementales comme l'OIM mais, aussi les associations impliquées dans l'accueil des migrants et demandeurs d'asile.

Rubén Adderson propose le modèle « d'industrie de la migration » pour analyser l'économie autour de la migration. « L'industrie de la migration est constituée par l'ensemble des entrepreneurs, des compagnies et des services qui, poussés avant tout par l'appât du gain, facilitent la mobilité, l'installation et l'adaptation des migrants, ainsi que les communications internationales et les transferts de ressources à travers les frontières. Les acteurs, les organisations et les infrastructures de cette industrie créent une passerelle entre les frontières et les diverses barrières posées par les États à la mobilité, aux transferts d'argent et d'informations » (Ruben, 2012). Le modèle de Ruben offre une autre analyse plus complète de l'industrie de la migration. Elle inclut les activités légales, illégales, formelles et informelles, ainsi que leurs interactions et leurs articulations avec les acteurs et les structures concernés par le processus social de la migration internationale, à savoir les États, les migrants et leurs réseaux, ainsi que le plaidoyer.

Thomas Gammeltoft-Hansen, Ninna Nyberg Sorensen inscrivent leur analyse sous le modèle de « l'industrie de la migration ». Pour ces auteurs, l'industrie de la migration est composée de trois catégories : l'industrie de la facilitation, l'industrie du contrôle et l'industrie de l'assistance. Dans ce modèle, l'industrie de la facilitation « rassemble les individus, les réseaux et les sociétés privées qui tirent profit de la mobilité migratoire. Sont mis en cause aussi bien les « passeurs », les fonctionnaires corrompus qui aident à obtenir des vrais ou faux visas, les trafiquants en tout genre, que les dispositifs légaux comme les programmes organisant l'immigration de travail, les banques et les agences spécialisées dans les transferts de fonds, ainsi que les ONG ou les associations caritatives qui apportent une assistance pendant le voyage» (Gammeltoft-Hansen, Sorensen, 2013). Plus proches du contexte de notre étude, les transporteurs et les passeurs relèvent de la facilitation. Cependant, ce modèle ne prend pas en compte suffisamment certains aspects de l'économie de la migration dans le contexte d'Agadez du fait que l'ensemble de ces modèles sont d'inspiration européenne, américaine et mexicaine.

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Or, ces pays disposent d'infrastructures de transport, de technologies et de services qui peuvent intervenir dans le processus migratoire. À Agadez, ces activités relèvent pour l'essentiel de l'économie formelle.

Dans le contexte de la capitale de l'Aïr, ou plus de 80 % des activités commerciales relèvent de l'informel, il existe divers petits commerces qui tirent profil du passage des migrants. C'est pourquoi dans le prolongement des divers concepts et notions employés pour mieux cerner l'économie ou l'industrie de la migration nous proposons la notion de petits commerces de la migration pour aborder et analyser le cas spécifique d'Agadez. On entend par petits commerces de la migration l'ensemble des secteurs d'activités ou de prestations de service qui dépendent de la présence des migrants ou qui tirent un profit financier du transit des migrants. Il s'agit surtout de mettre en exergue les activités commerciales qui dépendent du passage des migrants, d'analyser comment ces secteurs sont affectés par les politiques en cours afin d'identifier les secteurs d'activités qui prospèrent dans le contexte d'externalisation des politiques migratoires européennes.

5.1.2 Historique du petit commerce de la migration dans la commune urbaine d'Agadez

Agadez ou Tagades en Tamasheq qui veut dire visiter un endroit, rendre visite est une ville précoloniale située sur la route du commerce transsaharien.

Le commerce transsaharien reflète la complémentarité entre le Sahel et le Sahara à travers l'échange des marchandises. Du nord, sont exportés vers le sud des produits comme le sel, les dattes, la farine de blé. Inversement le sud ravitaille le nord en céréales tels que le mil, le bétail sur pieds : « des caravanes acheminaient des dattes, des céréales, du bétail ainsi que diverses marchandises d'une oasis à l'autre tandis que diverses pistes reliaient ces oasis aux villes du Sahel : des convois de chameaux apportaient le sel et le natron de Bilma (Niger) et de Fachi (Niger) à Agadez (Niger), Zinder (Niger), Kano (Nigéria) » (Grégoire, 2018) .

Dans cette circulation transsaharienne, la ville d'Agadez occupait une place centrale. Elle était le carrefour des caravanes qui reliaient l'Afrique du Nord à l'Afrique subsaharienne et centrale. Ce rôle a permis très vite à la petite bourgade de prendre de l'ampleur sur le plan économique, puisque le passage a fait d'elle progressivement un centre commercial. Les caravaniers passaient par cette bourgade pour se reposer avant de continuer leur chemin « ce qui illustre bien la particularité de la ville. Cette tradition d'accueil a été déterminante dans le développement du tissu urbain, comme en témoigne la formation en îlots irréguliers entrelacés de rues et ruelles sinueuses, issues de l'emplacement d'anciens campements devenus au fil du

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temps des espaces bâtis, à mesure que les habitants se sont sédentarisés» (Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, 2006).

La colonisation a également renforcé cette position de transit, car la région constitue l'unique jonction entre l'Afrique de l'Ouest et du Nord. C'est pourquoi dès 1908 Agadez fut occupé par le colonisateur français qui voulait contrôler cette région afin de mieux surveiller ses possessions en Afrique du Nord face aux velléités du voisin italien présent en Libye. Une colonne militaire fut établie afin de gérer les affaires courantes. Cela a abouti à l'afflux bien que timide de nomades venus progressivement s'installer en ville à la suite des différentes sècheresses.

Plus récemment, dans les années 1970 à la suite des mauvaises récoltes, du boom pétrolier en Libye et en l'Algérie, la politique du président Kadhafi envers les Touaregs puis vers l'Afrique subsaharienne, l'immigration des Nigériens vers l'Afrique du Nord va contribuer à la mise en place progressive d'un dispositif d'offre de transport d'Agadez vers l'Afrique du Nord. Ce dispositif se greffe au transport de marchandises qui relie déjà les deux espaces. Cette migration est animée par des jeunes ruraux nigériens majoritairement originaires des régions de Tahoua, Zinder et Agadez. C'est une migration circulaire de travail profondément ancrée dans l'économie des ménages : les départs correspondent à la fin de la saison des pluies et les retours au début des travaux champêtres. Elle tire profit du différentiel de développement entre le Sahel et le Sahara magrébin. « La mise à jour de ce différentiel par la route a fonctionné comme un appel et donc a été à son tour générateur de mouvement et de flux. Les routes tissées autour d'Agadez ne constituent donc pas seulement un support aux flux qui, en les facilitant, les orientent et les captent. Ces routes sont elles-mêmes génératrices de mouvements et de flux par la mise à jour de différentiels» (Bensaâd, 2002).

La fin des années 80 coïncide avec le développement de l'offre de transport à Agadez faisant suite à l'essor du tourisme. Il se traduit par la création d'une dizaine d'agences de tourisme avec à la clé le transport ou l'offre d'excursion dans l'Air, le Ténéré pour découvrir les merveilles de cette région. Cette économie du tourisme a entretenu de manière connexe plusieurs activités économiques notamment l'artisanat, la location des véhicules ou de maisons surtout au moment du rallye Paris Dakar.

L'économie du tourisme tomba en disgrâce à cause de la rébellion armée qu'a connue Agadez dans les années 1990. Après la signature des accords de paix, le tourisme reprend avec grand

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succès. Cette période est considérée par les agadéziens comme l'âge d'or de cette activité en référence au nombre important de personnes qu'elle draine et aux revenus qu'elle génère.

Cette période coïncide également avec l'utilisation de l'espace nigérien comme couloir de transit par de nombreux migrants subsahariens voulant se rendre en Afrique du Nord. De sorte que cette nouvelle clientèle en direction du Maghreb en plus des Nigériens a contribué à accentuer l'offre de transport vers l'Afrique du Nord. (Brachet, 2018)

C'est dans ce contexte qu'en 2007 une nouvelle rébellion (Mouvement des Nigériens pour la Justice) se forma dans la région d'Agadez. Pendant deux ans c'est-à-dire 2007-09, l'économie de transport et du tourisme connaitra de réelles difficultés dont elle ne se relèvera pas. À l'époque ces agences de voyage se trouvaient dans l'unique Ecogar de la ville d'Agadez comme le souligne le Secrétaire général du syndicat des transporteurs d'Agadez :

« Avant c'est une activité formelle. Formelle parce que le chargement se fait ici dans l'autogare. On enregistre les passagers, la police contrôle, le chauffeur prend le droit de sortie cacheté. Les passagers payent des fois la taxe de voirie. Il y a des agences de courtage qui font enregistrer leurs passagers et paient des taxes, les patentes. Bref, tout se passe dans l'ordre avec tous les contrôles et une feuille de route. C'est une formule de 2004, 2005, 2006. C'est la crise libyenne qui gâte cette formule comme c'est Kadhafi lui-même qui retient les migrants pour qu'ils n'accèdent pas en Europe. Maintenant, il n'y a pas de gouvernement en Libye c'est pourquoi les Toyota Taliban ont fait leur entrée ici. Ces véhicules viennent en grand nombre et le contrôle était difficile. Ils font leur chargement partout. » (Entretien SG Syndicat des transporteurs, Agadez, 11 juillet 2018).

C'est dans ces espaces que les migrants sont accueillis, hébergés avant leur transport sur les destinations indiquées. En 2006 par exemple, sur l'axe Agadez-Libye les migrants sont convoyés dans les véhicules dix roues destinées au transport de marchandises. La pratique était donc au transport mixte associant marchandises et voyageurs vers la Libye. La même pratique était observée au retour.

Sur l'Axe Agadez-Arlit-Tamanrasset, ce sont les véhicules de marque Toyota Land Cruiser qui assuraient la navette. À ce niveau, le transport mixte était moindre, mais pas inexistant.

En 2011, l'instabilité politique et sécuritaire en Libye ayant abouti à la chute du régime de Kadhafi a contribué à faire de la région d'Agadez une zone de transit pour de nombreux migrants subsahariens en direction de l'Afrique du Nord à la suite de la fermeture des routes de la Mauritanie, du Sénégal et du Mali avec l'intervention de l'Union européenne et de ses États membres (Brachet, 2018). La crise libyenne a par ailleurs permis l'introduction du véhicule de marque Hilux 4*4 dans la chaine de transport d'Agadez vers l'Algérie et la Libye. Plus légers, les Hilux ont révolutionné le transport vers le Maghreb en réduisant la durée de 7 à 3 jours avec

119

l'usage des GPS pour tracer de nouvelles routes. Les voyageurs sont de moins en moins dépendant du convoi organisé par l'Ecogare centrale d'Agadez et les autorités.

À l'introduction des Hilux s'ajoute une diversification des acteurs de transport. On note notamment l'arrivée de Toubous libyens qui s'invitent dans ce business dans un contexte d'augmentation des migrants en provenance de l'Afrique de l'Ouest et centrale voulant rejoindre l'Afrique du Nord.

« Depuis la chute du Président en Libye il n'y a plus d'État le phénomène ( la migration) a pris de l'ampleur et les gens en ont fait un fonds de commerce et ça pris encore beaucoup de proportions avec l'arrivée de l'or dans le Djado où le phénomène a donné beaucoup d'opportunités aux jeunes pour se procurer des moyens logistiques de faire ce commerce parce que c'est florissant un migrant peut coûter banalement 500 dollars quand tu l'amènes en Libye donc nous on a notre perception ce que dans tous les cas d'un point de vue l'autorité ce n'est pas bien que des citoyens d'autres nationalités aillent en Europe sans se munir des formalités administratives ; de ce point de vue ce n'est pas normal et correct. Mais nos populations se sont converties dans cette activité, les jeunes en particulier ne vivent que de ça et ils en ont fait vraiment leur principale source d'économie. » (Entretien, Maire adjoint de Dirkou, Agadez, novembre, 2017).

Cet afflux de migrants à Agadez en quête d'offre de transport et de services divers, logement, transfert d'argent, a contribué à la naissance ou à la prospérité d'une économie locale dépendante de la migration de transit. Le business migratoire fait désormais « partie d'un cycle qui se perpétue : une augmentation des flux migratoires en provenance de la région de la CEDEAO à travers le Niger accroit la demande de transport, nourriture et d'hébergement pour les personnes ; l'augmentation de la demande de transport élargit le marché, et par conséquent rend l'accès aux informations plus facile pour les autres, et diminue les coûts et difficultés liées à la migration. L'augmentation des flux migratoires dans la région contribue par conséquent au renforcement d'un cycle où les flux migratoires deviennent une partie plus significative de l'économie et de la culture, facilitant la marche à suivre pour les nouveaux migrants en suivant les traces des migrants précédents. On peut parler d'économies d'échelle » (OIM, 2015, P 13).

5.1.3 Cartographie des acteurs de l'économie de la migration

L'analyse de l'économie de la migration dans la région d'Agadez révèle plusieurs acteurs directs et indirects en présence à Agadez. Toutefois, un maillon essentiel de cette industrie réside en dehors du territoire national.

Il s'agit du connecteur international, le plus souvent un ancien migrant installé dans les pays d'origine des migrants à savoir la Guinée, la RCI, le Sénégal, le Nigéria et la Gambie pour l'essentiel. Fort de sa connaissance des routes migratoires et surtout de l'existence d'un réseau à Agadez ce dernier organise les candidats à la migration vers l'Afrique du Nord via le Niger.

120

À partir du pays d'origine, il les fait transporter dans les bus notamment, ceux des compagnies Sonef et Rimbo, jusqu'à Niamey et poursuivre leur périple jusqu'à Agadez. Dans cette ville stratégique, le connecteur international dispose de son coxer à qui il envoie ses migrants. Le nombre de migrant varie d'une personne à plus de 30 selon la période et au pic du business de la migration.

Le coxer est chargé d'organiser le transport de ces migrants jusqu'en Libye. Il accueille les migrants à la gare routière ou à la barrière.

« Pour nous les coxers, on prend contact avec les migrants depuis leurs pays de départ et dès qu'ils rentrent ils nous appellent pour venir les accueillir. On discute du voyage, de l'hébergement et nous les remettons aux gérants de ghettos ou directement à un transporteur à un prix nettement inférieur à celui discuté avec les migrants. Exemple : pour un voyage Agadez -- Gatron : 100.000FCFA/migrant, on les donne aux passeurs à 70.000FCFA/migrant et nous on prend 30.000 FCFA. Les Taximotos leur font des courses. » (Entretien Sidi, Coxer, Agadez, 24-07-2018).

Les prix de transport sont dynamiques et évoluent en fonction du contexte, mais toujours est-il que le coxer arrive à tirer son épingle du jeu.

Dans l'analyse des acteurs de l'économie de la migration à Agadez, se retrouvent les compagnies modernes. Elles peuvent même être considérées comme les premiers bénéficiaires de cette rente. En effet, des compagnies comme Rimbo, Sonef, Al Izza et 3 STV sont installées dans les pays d'origine (Ouagadougou, Bamako, Dakar, Abidjan) et ont par ailleurs des correspondants dans d'autres pays d'origine des migrants. Ces compagnies convoient donc jusqu'à Niamey les migrants. De là elles assurent le transport inter urbain jusqu'à Agadez. Cet axe constitue un enjeu majeur compte tenu de la clientèle surtout migrante qui l'emprunte. C'est pourquoi la quasi-totalité des gares modernes du Niger s'est positionnée sur cet axe en ouvrant des lignes de transport Niamey-Agadez. Au même moment en lien avec la dégradation des routes, le prix du transport est passé de 17 000 F CFA en 2015 à 25 000 F en 2016.

Pendant le voyage sur l'axe Niamey-Agadez, les migrants sont soumis au contrôle des pièces d'identité. Cette formalité administrative est souvent mise à profit par certains policiers pour faire payer des faux frais aux migrants. Ainsi, à l'entrée de la ville d'Agadez par exemple les migrants arrivent peu solvables du fait des rackets subis le long du trajet. Aussi, ils arrivent tardivement à ce poste compte tenu de l'état de la route. Les heures d'arrivée se situent généralement entre 23 h et 2 h du matin. Ces horaires sont très favorables au racket compte tenu de la discrétion qu'offre la nuit et qui permet à certains agents d'opérer librement. Le migrant même détenteur de ses documents de voyage est tenu de payer une somme forfaitaire variant

121

entre 10 000 et 20 000 FCFA. Monsieur Fataou gérant de ghetto à Agadez se souvient avoir fait le déplacement jusqu'à la barrière pour « régler» les policiers afin que ses « clients migrants » accèdent à la ville : «lLa police par exemple, une fois arrivée à la barrière, libère chaque migrant à 20 000 F CFA et parfois je peux aller à la barrière libérer 40 migrants, imaginez le montant» (Entretien Fataou, gérant de ghetto, Agadez, juillet 2018). La corruption de certains agents de police est une pratique très connue. Nombre de policiers entreprennent des démarches afin de se faire affecter pour profiter du business du racket des migrants. Conscient de cette pratique le gouverneur Maikido en 2012 a procédé à l'affectation de tous les policiers sur l'axe Tahoua-Agadez pour lutter contre le phénomène. Malheureusement, une partie de la nouvelle équipe ne tardera pas à reprendre la même pratique. Les faux frais représentent une manne importante pour des fonctionnaires de police postés à l'entrée d'Agadez avant l'application de la loi 2015-36 faisant d'eux des acteurs majeurs tirant bénéfice de la migration de transit.

5.1.3.1.1 Le gérant de Ghetto

Parmi les acteurs de l'économie de la migration dans la région d'Agadez on peut mentionner le gérant de ghettos. Acteur indispensable de la chaine migratoire il facilite l'hébergement des migrants durant leur transit avant la remontée vers le Nord.

« Nous avons des contacts avec des gens en Côte d'Ivoire qui rassemblent les migrants et les envoient vers le Niger en notre nom. Pendant leur séjour dans les ghettos ils paient 200FCFA/jour et par migrant pour la consommation d'eau. Les restaurateurs du quartier et boutiquier profitent pour leur vendre des articles et services. Les conducteurs d'Adai daita nous livrent parfois des migrants qui rentrent à Agadez sans aucun contact de gérant de ghetto, ils nous les livrent à 10.000 FCFA par migrant». (Entretien Laminou, Gérant de ghetto, Agadez, 25-07-2018).

Au pic de la migration de transit en 2015-16 les acteurs estiment à plus de 100 le nombre de ghettos à Agadez. La même année les acteurs humanitaires comme la Croix-Rouge, Médecins du Monde et IRC qui apportent assistance aux migrants dans les ghettos dénombrent une moyenne de 70-80 foyers qui hébergent des migrants à Agadez. Ces maisons sont généralement louées pour servir de lieux de logement aux migrants. En général, ce sont des espaces modestes de 2 à 3 pièces. Le coût de la location varie en moyenne de 50 000 à 75 000 FCFA par mois. L'impact économique peut s'apprécier en faisant le calcul sur 12 mois pour une moyenne de 80 ghettos multipliés par 50 000 FCFA pour s'en tenir aux chiffres des acteurs humanitaires. On a au total pour une année 40 000 000 FCFA par an qui sont injectés dans l'économie de la ville d'Agadez rien que par la location des maisons servant de ghettos. Bien sûr ces chiffres sont des estimations à relativiser car les ghettos ne sont pas pleins tout le temps.

122

Les ghettos sont détenus par des nationaux ou des personnes ressortissantes des pays d'origine des migrants. Ainsi, on trouve des foyers nigérians, maliens, sénégalais ou gambiens détenus souvent par des migrants ayant déjà séjourné en Afrique du Nord. Les frais de séjour des migrants dans les foyers varient de 1000 à 4000 FCFA par semaine. La durée de séjour, quant à elle, varie d'un jour à plusieurs mois. Sur cette base en essayant de calculer l'impact économique pour une moyenne de 30 000 migrants ayant transité on a 120 000 000 FCFA qui rentre dans l'économie locale par les prestations d'offre de logement

5.1.3.1.2 Le transporteur

Le transporteur est le maillon essentiel de la chaine migratoire. L'offre de transport vers l'Afrique du Nord à partir d'Agadez s'est considérablement améliorée durant la forte demande des migrants. En effet, l'introduction des véhicules de types Hilux a largement facilité la mobilité entre les deux rives du Sahara. En contact avec des coxers, des gérants de ghettos et souvent par leur propre réseau des passeurs/transporteurs quittent chaque lundi Agadez avec le convoi officiel en transportant des migrants. Le coût du transport varie de 80.000-100 000 FCFA jusqu'à Gatroun ou Sebha. Les transporteurs sont souvent des Nigériens et accessoirement des Toubous de Libye qui connaissent bien le Kawar. Les véhicules peuvent prendre entre 20 à 30 personnes.

« Il y a d'abord le réseau de coxers, qui livre les migrants. Ensuite, les gérants de ghettos qui rassemblent une quarantaine de migrants vous les donnent à un prix abordable. Enfin, les amis migrants qui si vous les transportez dans de bonnes conditions, ils donnent vos contacts à leurs frères qui vont venir. Le risque est que parfois le coxer te dit de les déposer à Gatroun alors lui il a pris les frais du voyage Agadez -- Tripoli. Arrivée à Gatroun, les migrants vous disent qu'ils ont payé pour Tripoli. C'est à vous chauffeur de gérer l'affaire » (Entretien Mohamed, transporteur, Agadez, 25-07-2018).

L'analyse de l'impact économique de la migration de transit dans le transport peut s'apprécier à travers quelques scénarios pour avoir des données chiffrées. Ainsi, sur la base des 30 000 *80 000= 240 000 000 FCFA, on peut estimer le chiffre d'affaire annuel du transport des migrants en direction de l'Afrique du Nord avec 2015 comme année de référence. Les chiffres de migrants indiqués proviennent des estimations de l'OIM sur le nombre de migrants sorti d'Agadez. Cette somme est également le montant estimatif directement payé aux transporteurs. Elle ne tient pas compte des commissions que prélèvent les coxers sur les frais de transport. Ce volet fera l'objet d'une estimation à part afin de mieux saisir l'incidence financière. Toutefois, il est important de rappeler qu'en 2017, seulement 1000 personnes migrantes sont enregistrées à l'entrée de la ville d'Agadez. Si l'on applique la même estimation à ce groupe on se retrouve à 80 000 000 FCFA de chiffre d'affaire du business du transport vers l'Afrique du Nord.

123

Également, l'offre de transport des principales villes du Niger (Niamey, Zinder et Dosso) sur Agadez est partie intégrante de l'économie de la migration. En effet, à Niamey par exemple les principales gares modernes offrent des possibilités de transport jusqu'à Agadez au nord du Niger dans l'optique de satisfaire une forte demande composée en majorité de migrants. Dans l'enceinte de ces gares modernes des possibilités de se loger pendant un à deux jours existent le temps pour le migrant de se reposer, récupérer ses frais de transport transférés via les agences de transfert, réduire le nombre de jours à Agadez, prendre des contacts à partir de Niamey et planifier son voyage entre le mercredi et jeudi. Il s'agit de passer 72 h à Agadez afin de réduire les dépenses et de pouvoir quitter pour le nord le lundi qui correspond au jour de départ des convois.

Ainsi, en lien avec la dégradation de la route et la forte demande de transport, les frais de transport sur l'axe Agadez-Niamey ont augmenté. Cette augmentation des frais de transport n'a pas pour autant affecté la clientèle. Ainsi, une compagnie comme Rimbo affirme avant l'application de la loi 2015-36 organiser des convois spéciaux d'un à deux bus par jour sur l'axe Agadez. Pour apprécier cette économie de transport à partir du cas emblématique de Rimbo nous posons l'hypothèse que la compagnie convoie 70 migrants par jour à destination d'Agadez. Le scénario du chiffre d'affaires est donné dans le tableau ci-dessous par jour, semaine, mois et année.

Tableau 3 : Estimation du chiffre d'affaires des compagnies de transport

Nombre de migrants

Cadence

Prix billet

Niamey/Agadez en CFA

Chiffre d'affaires estimatif

70

Jour (1)

25 000

1 750 000

490

Semaine (7)

25 000

12 250 000

2100

Mois (30)

25 000

52 500 000

25 200

Année (360)

25 000

630 000 000

 

Source : Notre enquête

Il ressort de cela que le transport de 70 migrants chaque jour en une année représentera un chiffre d'affaires de 630 000 000 de FCFA à la compagnie Rimbo sur l'axe Niamey-Agadez. Certes, ces chiffres sont des estimations qu'il faut relativiser en fonction de la variation de la

124

clientèle par saison. Il n'est pas exclu qu'il ait des jours où RIMBO ne peut remplir la moyenne de 70 migrants qui est la base de ce calcul. En revanche aux périodes de pics de l'arrivée des migrants correspondant à la fin de la saison de pluie et durant toute la saison froide cette compagnie peut dépasser 140 clients migrants par jour sur cet axe.

Cependant, Rimbo n'est pas le seul opérateur qui profite de ce business. Niamey compte plus de 5 gares modernes qui offrent la même prestation. Il s'agit de Sonef, 3 STV, STM, Al Izza, Nijma, Azawad, et Sonitrav. Certes, ces gares n'ont pas la même flotte que Rimbo ni la même présence géographique à l'international qui offre une capacité de fidélisation et de recrutement des clients. Toutefois, elles arrivent pour certaines à organiser des bus spéciaux pour les migrants en direction d'Agadez. Ainsi, si nous devions extrapoler afin de saisir ces montants, on peut considérer que chacune des compagnies organise un bus spécial chaque jour de l'année pendant dix mois. On aura donc une moyenne de 5 migrants par jour et par compagnie.

Tableau 4 : Estimation du chiffres d'affaire journalier, hebdomadaire, mensuel et annuel par compagnie de transport

Compagnie

Nbre de migrants

Billet

Niamey/A

gadez en
CFA

Jour (1)

Semaine (7)

Mois (30)

Année (360)

3 STV

5

25 000

 

125

000

875

000

3.750.

000

45

000

000

Sonef

5

25 000

 

125

000

875

000

3.750.

000

45

000

000

STM Ténéré

5

25 000

 

125

000

875

000

3.750.

000

45

000

000

AZAWAD

5

25 000

 

125

000

875

000

3.750.

000

45

000

000

All Izza

5

25 000

 

125

000

875

000

3.750.

000

45

000

000

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Source : Notre étude

Pour apprécier cette économie de la migration pour l'ensemble des gares modernes on aura un chiffre d'affaires annuel de 940 800 000+ 2 100 000 000= 3 040 800 000 FCFA rien que sur l'axe Niamey Agadez à travers une entrée par les gares modernes.

125

Sur l'axe Zinder-Agadez où transite l'essentiel des flux en provenance du Nigéria et d'Afrique centrale le transport vers Agadez se fait à travers les gares modernes, mais aussi les hiaces qu'empruntent les Nigérians en majorité depuis l'application de la loi 2015-36, mais bien avant aussi. Les hiaces sont utilisées de fois par les transporteurs nigériens pour aller à Bénin city (Nigéria) ou à Kano pour convoyer leurs clients. Toutefois, les cas les plus fréquents pour ces

Hiaces sont de la frontière

Carte 7: Localisation des gares routières à Agadez

Source : notre étude

à Dan Barto avec le Nigéria où ils offrent leurs services de transport sur Zinder et éventuellement vers Agadez. Quelle que soit la variante sur cet axe Dan Barto-Zinder-Agadez la clientèle migrante a permis aux conducteurs des véhicules de marque Hiace d'avoir un nouveau souffle face à la concurrence imposée sur de longues distances par les gares modernes sur l'ensemble du pays. Ainsi, pour des sommes variant de 5000 à 7000 FCFA avant la loi 2015-36 ces conducteurs de Hiace transportent les migrants jusqu'à Agadez. Ce transport est en essor avec les restrictions imposées par la loi 2015-36 sur le transport de migrants.

126

Plus petit et discret, les hiaces sont empruntées par les passeurs à cause de leur capacité à se faufiler sur les pistes secondaires de Zinder à Agadez évitant systématiquement les postes de police.

« Les transporteurs de petits véhicules (19 places) eux les prennent depuis les régions de Maradi et Zinder voire Nigeria vers la destination de la région d'Agadez. Entre ces transporteurs de 19 places et nous autres (Taximans, et kabou kabou), la communication est permanente, les chauffeurs nous appellent à quelques kilomètres d'Agadez (20 à 30 km) sur la route de Zinder pour venir prendre les migrants et contourner les barrières de police et de gendarmerie. » (Entretien Harouna, Agadez 28, 02, 2019).

Aussi, il est courant d'entendre des migrants affirmer avoir fait tout ce trajet sans passer par un seul poste de contrôle. Arrivés à 10 km par exemple de la ville d'Agadez, les passeurs sous-traitent l'entrée de la ville avec des kabou kabou chargés de faire le reste du trajet. Pour ce faire, ces derniers réclament 10 000 à 15 000 FCFA par migrant. Le kabou kabou est aussi un acteur important dans la chaine de l'économie de la migration. À l'arrivée des migrants, les kabou kabou les acheminent dans les ghettos.

En journée, les migrants s'appuient sur leurs services pour se rendre dans les banques, au marché et pour d'autres courses. Les kabou kabou interrogés affirment facturer une course aux migrants entre 1000 et 3000FCFA contre 300FCFA aux locaux

. « Les conducteurs de moto taxi Kabou Kabou facturent des courses aux migrants. Ces courses sont : aller à la banque, aller au marché, acheter le bois ou bien les amener aux ghettos. Pour une course donnée, tu peux avoir 3000fCFA ou même 5000fCFA. Déjà, nous avons des amis qui vendent des bois. Nous travaillons en liaison (Kabou kabou, les gérants de ghettos, vendeur de bois et passeur aussi) chacune fait profit de l'autre. Les gérants de ghettos appellent un kabou kabou pour aller prendre les migrants à la gare » (Entretien Mohé, Agadez, 28 02 2019).

D'autres acteurs opérant dans les marchés d'Agadez mais aussi dans les gares tirent bénéfice de la migration. Il s'agit notamment des vendeurs de turbans. Ce tissu est utilisé par les migrants afin de se protéger contre le vent et la poussière lors de la traversée du Sahara. Les vendeurs de turbans ont compris que les migrants constituent une clientèle dont il faut tirer profit comme le montrent ces propos : « les vendeurs achètent moins cher et revendent plus cher aux migrants. Par exemple le mètre du turban se vendait à 750 FCFA voire 1000 FCFA alors que nous l'achetons à moins de 500FCFA en détail, mais ce sont des bandes qu'on commande vers le Nigeria, l'Algérie. Il y'a aussi le turban genre libyen trop cher que le tissu ordinaire » (Entretien, Aminou, Agadez, 29-03-2019).

Les vendeurs de lunettes sont aussi des acteurs importants du petit commerce de la migration à Agadez. Cet article est utilisé par les migrants pour se protéger contre le vent et le sable pendant la traversée du Sahara comme en témoignent ces propos « Les lunettes se vendaient à un prix

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très apprécié entre 1500 à 2500 FCFA l'unité, je partais au niveau du garage situé au quartier Sabon Gari non loin du marché est, et les gens faisaient la queue autour de ma table. Je faisais le plein des bénéfices le jour du convoi pour le voyage Agadez-Libye » (Entretien Tambari, Agadez, 30-03-2019).

Ce bénéfice tiré auprès des migrants est confirmé par Hamza, vendeur de lunette « On vendait les lunettes à prix honorable et l'on faisait des bénéfices. Les lunettes de 500 FCFA coutaient en son temps 1250 f CFA et parfois 1500fCFA. » (Entretien, Hamza, Agadez, 29-03-2019).

Les bidons et les bois sont aussi des éléments essentiels qui rentrent dans la traversée du Sahara. C'est pourquoi ils font l'objet d'un petit commerce à l'intention de la population migrante nationale et internationale.

Les bidons sont utilisés pour transporter de l'eau pendant la traversée du désert. Pour satisfaire ce besoin, toute une activité s'est mise en place à Agadez autour de la vente des bidons. Barazé, vendeur au marché Tôle nous explique « On paye les bidons vides de 5 l à 150 FCFA, on l'emballe dans un paquet de carton et de fibres (Gharara) puis on le vend à 500 FCFA, celui de 25 litres à 500 FCFA puis on le vend aux migrants à 2000 FCFA et parfois 3000 FCFA. Je vendais par jour 10 bidons de 25 l et 15 bidons de 5 litres. » (Entretien, Barazé, Agadez, 7-032019). Ce vendeur gagne donc 10.000 FCFA/jour, 40 000 FCFA/semaine et 60 000 FCFA/mois par extrapolation. Il lui arrive aussi de vendre tous les bidons aux grossistes nigériens qui les achètent et cherchent des migrants pour tirer bénéfices.

Photo 5 : Des bidons pour le transport d'eau en vente Crédit photo : B. Ayouba Tinni, Agadez, 7 mars 2019

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Les tiges de bois sont utilisées pour servir de support aux migrants qui sont assis au bord de la benne de voiture. Les véhicules (Hilux) qui transportent les migrants ne sont pas destinés pour le transport de personnes, donc il faut avoir des tiges de bois fixés sur le véhicule en arrière pour que les migrants s'accrochent au risque de tomber parfois. Cet impératif sécuritaire a rendu nécessaire le commerce de tiges de bois à Agadez exclusivement tourné vers une clientèle migrante comme le précise Mogobiri « Pour nous vendeurs de bois, on achète ces bois à 100FCFA l'unité auprès de gens qui les coupent dans les jardins. Ce sont de petits bâtons de 1 m à 2 m de longueur pour la plupart en forme de V. Les transporteurs des véhicules (Hilux) viennent les payer pour ses passagers à 500FCFA l'unité, parfois à 1000FCFA l'unité ». (Entretien Mogobiri, vendeur de bois, Agadez 3 mars 2019).

5.2 Incidences de la lutte contre la migration de transit sur l'économie locale 5.2.1 Les conséquences économiques

L'application de la loi 2015-36 à Agadez a eu un poids non négligeable sur le petit commerce de la migration de transit à Agadez. Cette loi stipule : « est passible d'une peine d'emprisonnement de cinq (5) à moins de dix (10) ans et d'une amende de 1 000 000 de FCFA à 5 000 000 de FCFA, toute personne qui, intentionnellement et pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, assure l'entrée ou la sortie illégale au Niger d'une personne qui n'est ni un ressortissant ni un résident permanent au Niger ». Cette mesure interdit de facto l'hébergement, la facilitation et le transport de migrants subsahariens vers l'Afrique du Nord. Elle a conduit à une baisse considérable des migrants qui entrent officiellement dans la ville. Les statistiques de la Direction de la Surveillance du Territoire renseignent cette baisse, de 30 000 migrants en 2015 on descend à plus de 1000 migrants en 2017. Cette baisse des flux migratoires a eu des conséquences économiques sur les activités qui en dépendent. Le transport semble le plus touché. L'interdiction du transport vers l'Afrique du Nord est synonyme de chômage de fait pour les acteurs qui animent cette activité. Ceux qui ont passé outre cette mesure se sont vus confisquer leurs véhicules. D'août 2016 à aujourd'hui, c'est plus de 120 véhicules qui ont été immobilisés dans l'enceinte de la zone de défense N° 2 à Agadez.

L'hébergement a aussi été touché par cette politique. Les ghettos ou foyers accueillant traditionnellement les migrants durant leur séjour de transit à Agadez sont criminalisés. Les 70 à 80 ghettos sont aussi appelés à cesser toute activité. Cette mesure a ainsi privé les propriétaires de ces maisons de revenus de la location. À eux, s'ajoutent les gérants de ghettos qui vivent de

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cette économie de l'hébergement des migrants. Ce groupe s'est trouvé en chômage de même que les coxeurs connus pour être des rabatteurs de migrants autour des gares. Ces acteurs sont les plus touchés par l'application de cette mesure. Cette situation s'explique par le fait que ces activités telles que développées à Agadez ciblent exclusivement une clientèle migrante. Ce business dépend donc du passage des migrants.

D'autres activités ont été également touchées par l'application de la loi. Le transport intra-urbain assuré par les taxis motos en est une. Bien que ne dépendant pas exclusivement des migrants, ce groupe représente une clientèle non négligeable pour ces acteurs. En témoignent les bénéfices importants réalisés avec les migrants : ils disent facturer les migrants à 3000F CFA la course contre 300FCFA pour les locaux. L'exclusion de ce groupe de la clientèle a un poids économique non négligeable sur le secteur. Selon Mohamed conducteur de tricycle depuis l'application de la loi 2015-36, il constate un « manque de clientèle, manque d'argent, ce qui fait qu'on peut circuler toute la journée sans assurer le versement journalier qui est de 5000FCFA/par jour au propriétaire de Adai daita, ni même penser à faire de bénéfice.» (Entretien Mohamed, Agadez, mars 2019).

Les boutiquiers autour des ghettos, les vendeurs de lunettes, de gants, de bidons et de bois sont aussi essentiels dans la chaine de support à la migration vers l'Afrique du Nord. Les articles qu'ils commercialisent sont largement destinés à une clientèle migrante voulant traverser le Sahara. En effet, dans les quartiers, les migrants en transit représentent une clientèle importante pour ces boutiquiers. Par semaine ces espaces peuvent accueillir plus de 30 à 100 personnes. Durant le séjour ces migrants ont recours aux boutiquiers du quartier pour payer de l'eau minérale, des biscuits, des sardines et du pain. De sorte que le migrant contribue aussi au dynamisme des commerces du quartier. Aujourd'hui, avec l'application de la loi sur le trafic illicite de migrants, les migrants sont exclus de la clientèle de ces acteurs. Les domaines des transferts d'argent (Western Union, Wari, orange money) ont également été négativement impactés.

Autre commune concernée par le passage des migrants, la municipalité de Dirkou tire des bénéfices assez consistants du transit des migrants à travers les taxes de voirie qu'elle perçoit sur chacun d'eux. Une somme de 1500 FCFA est perçue sur chaque migrant en transit dans la commune. Cette ressource est utilisée pour le fonctionnement de la municipalité à travers le paiement des salaires et représente la première ressource mobilisée par la commune. Mais depuis l'application de la loi, les migrants ne passent plus par cette commune au risque d'être

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interceptés et renvoyés par les forces de défense et de sécurité. Cette situation a créé une baisse considérable des revenus de la mairie qui ne parvient plus à payer les salaires de ses employés.

Il ressort de cela que l'application de la loi 2015-36 a eu un impact considérable sur le petit commerce de la migration. Des activités dédiées exclusivement à la clientèle migrante comme le transport, l'hébergement dans les ghettos et le travail de coxeurs ont subi les plus fortes conséquences. Les autres activités comme les taxis motos et le petit commerce sont économiquement touchés. En effet, certains ont perdu plus de 2/3 de leur clientèle.

5.2.2 Les conséquences sociales

La lutte contre la migration irrégulière a eu un impact social très important à Agadez. Elle a mis au chômage les transporteurs, gérants de ghettos, rabatteurs, coxeurs d'une part et d'autre part a contribué à la baisse de la clientèle des vendeurs de bidons, lunettes, turbans, bois, taxi-moto et boutiquiers de quartier. Ces acteurs gagnaient bien leur vie à travers ces activités avant la loi 2015-36. D'aucuns avancent un chiffre variant entre 100 000-500 000FCFA/semaine dans un pays où le salaire minimum est de 30 047FCFA. Avec ses ressources ils parviennent à se prendre en charge, à prendre en charge leur famille. Étant en majorité des chefs de famille, on peut extrapoler au regard du contexte nigérien que chacun supporte en moyenne 7 autres personnes. C'est donc cette masse importante de personnes qui est touchée au sein de la commune d'Agadez par l'arrêt de la migration. Les ressources qui en découlent n'arrivent plus. Il n'y a donc plus de redistribution de cette manne dans la société agadézienne. C'est pourquoi certains de ces acteurs estiment que « la lutte contre la migration irrégulière est une lutte contre le développement, surtout pour nous les pauvres qui n'ont aucun pouvoir, ni voix de gagner nos vies. Imagine il n'y a plus le site de Djado, plus de touristes et voilà les migrants eux aussi sont devenus de la drogue». (Entretien Bogobiri, Agadez, mars 2019).

En matière de représentation certains acteurs estiment qu'à cause de l'arrêt il y a trop de chômage. Les populations ont perdu progressivement leur pouvoir économique et sont devenues pauvres.

Des acteurs indirects de cette économie comme les propriétaires de taxi moto se disent aussi très touchés par cette situation. Certains qui sont au chômage n'ont plus de Adai daita car ils sont dans l'impossibilité d'honorer les versements contractuels qui les lient aux propriétaires. Pour les vendeurs de lunettes, l'impact de cette loi s'apprécie à travers le manque de clients. Avant les migrants payent sans réfléchir, mais aujourd'hui tout se discute avant de vendre. Monsieur Ali exprime son amertume dans ces propos : « La politique de lutte contre la

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migration nous a beaucoup « tués », car on peut circuler toute une journée dans la ville avec les lunettes sans avoir un acheteur » (Entretien Ali, vendeur de lunette, Agadez, mars 2019).

Ce contexte de chômage des acteurs de la migration a augmenté les charges des parents déjà à un âge très avancé, car les jeunes ne travaillent plus. Les difficultés économiques ont contribué à réduire l'entraide sociale. En effet, les populations ne peuvent plus s'entraider, car elles manquent toutes de ressources comme le notent ces propos : « avant on héberge nos gens venus de villages des autres régions (Maradi, Zinder). On les finance pour aller chercher l'or, mais maintenant on ne peut plus supporter une charge même un enfant » (Entretien Iro, Agadez, mars 2019). L'interdiction a contribué à l'émergence d'une catégorie de citoyens qui défient la loi. Cette couche refusant la pauvreté essaye de braver l'interdiction du transport des migrants à leurs risques et périls. Ils prennent l'argent des migrants et tentent le périple, mais dès qu'ils aperçoivent les forces de défense et de sécurité ils laissent les migrants en plein désert et prennent la fuite. C'est dans ce contexte que certains acteurs ont été arrêtés et jetés en prison. Ce climat a contribué à détériorer la confiance entre les citoyens. Les acteurs ont peur de se faire dénoncer. Les femmes vendeuses de glace ou restauratrices ont également connu le choc économique car les migrants figurent en bonne place parmi leur clientèle. Ces femmes souvent cheffes de ménage se retrouvent dans une situation de vulnérabilité. Elles sont de fait exposées à la prostitution pour pouvoir subvenir à leurs besoins.

5.2.3 Les conséquences politiques et sécuritaires

La loi 2015-36 a eu également un impact sur la sécurité à Agadez. En effet, une coïncidence existe entre l'arrêt de cette migration de transit et l'amorce d'une insécurité résiduelle. Celle-ci se traduit par des vols comme le note ce propos : « le vol des motos, il suffit de déposer ta moto devant ta porte, après cinq minutes tu ne la verras plus » (Entretien Diouf, Agadez, mars 2019). On peut noter aussi le vol de tout objet de valeur. Interrogée sur cette situation la police l'impute à une concentration de personnes dans la ville qui n'exercent aucune activité consécutivement à la fermeture de la mine du Djado et à la criminalisation de la migration de transit.

Autre dimension de cette insécurité résiduelle c'est la reprise des attaques à main armée sur les routes. Celle-ci est favorisée par le fait que de plus en plus certains passeurs qui continuent à opérer empruntent des voies non balisées ou sécurisées par les forces de défense et sécurité. Sur ces routes nouvelles se croisent très souvent des trafiquants de drogue, d'armes et des passeurs de migrants irréguliers. C'est donc dans ces territoires de la contrebande que les migrants sont

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attaqués ou dépouillés de leurs biens. Nombreux sont les migrants qui estiment que très souvent ces attaques sont organisées avec la complicité des passeurs dans le seul but de les dépouiller.

5.3 Les tentatives de solutions

5.3.1 Plan de reconversion des acteurs de la migration : vision, bilan et limites

Devant la brutalité de son application et son impact négatif, les prestataires, notamment les passeurs, coxeurs et gérants de ghettos, se sont tournés vers le Conseil régional, instance légitime représentant la population afin d'exprimer leurs préoccupations. Ils ont tenu à rappeler la fermeture de la mine du Djado l'une des principales sources de revenus dans le Kawar. Aujourd'hui la criminalisation de la migration de transit est un acte qui met au chômage les acteurs qui l'animent et prive par la même occasion de nombreuses familles d'une source de revenu vitale. Saisi, le conseil régional a pris attache avec les autorités et la délégation de l'UE au Niger. C'est ainsi que la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix a commandé une étude sur l'économie de la migration à Agadez. Celle-ci a relevé le poids de cette ressource dans l'économie de la région ainsi que celle des ménages. Une autre étude conduite par l'institut néerlandais Clingandael est parvenue aux mêmes conclusions accablant l'État du Niger et son partenaire européen : « la criminalisation de l'industrie de la migration à Agadez a manqué de reconnaître à quel point l'industrie est ancrée dans l'économie politique plus large de la ville, et a par conséquent eu un effet contraire et néfaste, tant sur les migrants que sur la population locale » (Clingandael, 2017, P 28).

Pour trouver une solution une réunion de la Commission Consultative Régionale de l'Administrative Territoriale (COCORAT) à Agadez réunissant l'ensemble des autorités élues et administratives élargie aux couches concernées de la population a été organisée afin de trouver des solutions aux problèmes. Il est alors envisagé de faire un plan de reconversion des acteurs de l'économie de la migration à travers le financement des micro-projets. Dans cette perspective une liste exhaustive de ces acteurs a été élaborée dans l'ensemble des communes concernées par la migration. Transmise au Conseil régional cette liste fait cas de 6565 acteurs dans la région. Ces derniers doivent élaborer des micro-projets et les soumettre au comité mis en place à cet effet, composé des représentants du Conseil Régional, de la HACP et des ex-prestataires de la migration.

Dans la foulée de cette contestation, l'UE met en place sous financement FFU un Plan d'Actions à Impact Économique Rapide à Agadez (PAIERA) au profit de la région d'Agadez exécuté par deux ONG (Karkara et CISP) et la HACP.

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Photo 5:Plaque CISP à Agadez

Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, mars 2019

CISP se propose de réhabiliter le patrimoine de la vieille ville d'Agadez classée patrimoine mondial de l'UNESCO à travers des travaux à haute intensité de main d'oeuvre. Il s'agit d'utiliser la population locale pour restaurer la vieille ville d'Agadez. Les ouvriers sont payés à 2500F CFA par jour de travail durant le projet. Dans la conception du promoteur, cette approche permet d'injecter du liquide dans l'économie et de participer au relèvement économique des ménages. Son avantage est qu'il cible un public qui va au-delà des anciens prestataires de la migration. Par-delà, ce projet s'inscrit dans une démarche de formation des maçons aux techniques traditionnelles de restauration.

Le projet de Karkara d'une valeur de plus 100 millions de francs CFA a aussi fait place aux acteurs de la migration à travers leurs mères et femmes (voir photo ci-dessous). Des kits individuels de reconversion leur ont été distribués. Des appuis à la mise en place des activités génératrices de revenus et des taxis motos ont servi pour la reconversion.

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Photo 6:Une plaque de projet de reconversion à Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, septembre 2019

Le projet majeur ciblant les acteurs de la migration a été mis en oeuvre par la HACP. Le premier obstacle du plan de reconversion est le montant dédié. Initialement, une enveloppe de 800 000 FCFA par projet a été décidée par la HACP. Cette approche est très vite contestée par les acteurs qui le juge insignifiant au regard des revenus que génère la migration de transit. Finalement, l'enveloppe est rehaussée à 1 500 000 FCFA par acteur mais les propriétaires de ghettos et véhicules sont exclus.

Après examen des 2345 micro-projets soumis, 981 sont déclarés éligibles pour le financement. Avec son enveloppe de 200 millions de FCFA, la HACP a pu financer 108 micro-projets pour une enveloppe de 1 500 000 FCFA chacun. Les acteurs ciblés sont en majorité des coxeurs, rabatteurs et gérants de ghettos. Le nature des projets financés varie : AGR, embouche bovine ou caprine, taxi moto et restauration. Karkara a aussi financé à travers son projet PASSERAZ (Karkara) 186 demandes. Ce qui fait un total de 371 acteurs ayant bénéficié d'une aide à la reconversion.

5.4 Émergence d'une nouvelle économie de la migration à Agadez

Cette partie a pour objectif d'analyser une autre dimension du poids des politiques de sous-traitance dans la ville d'Agadez.

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Tableau 5 : Financement de quelques ONG présentes à Agadez par le HCR

Partenaires

Activités

Budget annuel

APBE

Mobilisation

communautaire/Santé

Gestion du centre humanitaire

500.000.000

Conseil Régional

Poste d'Observation des Mouvements Migratoires (POMM)

57.775.000

Sultanat de l'Air

Coexistence pacifique

28.340.000

Mairie

Projet de réhabilitation du cyber- café communautaire

4.244.000

Ex-prestataires de la migration

Projet de reconversion des métiers

7.416.750

AIRD :

Logistique

13.000.000

COOPI :

Gestion des cases de passage et prise et santé mentale

300.000.000

MEDU

Santé mentale CH

88.000.000

DEDI

Suivi et évaluation

9.000.000

INTERSOS

Protection de l'enfance et Education

32.000.000

DREC/M/R AZ

Protection

105.000.000

 

Source : Direction régionale de l'état civil, des migrations et des refugies, réunion de la COCORAT d'Agadez,

le 27 août 2019

Il s'agit des effets connexes de ces politiques qui touchent positivement certains aspects de l'économie par exemple l'immobilier, l'hôtellerie, la restauration et l'emploi. L'objectif est de saisir sur la base des projets en lien avec la migration observés comment ces politiques ont des impacts positifs sur les secteurs en question.

5.4.1 L'immobilier un secteur très dynamique

En analysant les effets des politiques migratoires dans la ville d'Agadez, l'on peut dire de manière relative qu'elles ont contribué plutôt à rendre dynamique le secteur de l'immobilier par la forte demande en logement et en bureau.

En effet, de 2015 à 2019, Agadez a vu s'installer nouvellement dans cette commune plus d'une dizaine d'organisations internationnales et d'ONG (APBE, HCR, Medu, AIRD, IRC, MDM, DEDI, COOPI, Karkara, CISP, Adkoul, CRS). La GIZ a étendu son intervention avec la mise

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en oeuvre de nouveaux projets spécifiques : PROGEM et PRO-EMPLOI. L'OIM a fait de même avec les projets IDÉE, MRRN et Rescue. L'afflux des ONGs a nécessité une forte demande immobilière pour servir de bureaux aux organisations. C'est donc près de 20 maisons louées à Agadez servant de bureaux à ces organisations.

Photo 7 : Bureau de l'OIM à Agadez

Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, mars 2019

En termes de situation géographique, ces bureaux sont localisés dans le quartier administratif de la ville. Ceci répond aux standards de sécurité et de proximité avec l'administration publique. En termes de prix de location, la moyenne est de 500 000 FCFA par mois pour au moins 12 organisations.

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Photo 8: Bureau du HCR à Agadez

Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, mars 2019

Ainsi, au moins 6 millions de FCFA sont versées aux propriétaires de ces maisons qui sont pour l'essentiel des ressortissants de cette ville ; ces revenus sont surtout injectés dans l'économie locale. Toujours en termes de location, il est important de souligner que dans la phase primaire de l'accueil des demandeurs d'Asile à Agadez le HCR et son partenaire COOPI ont eu recours à la location. Six villas ont donc été louées pendant 9 mois pour un coût unitaire minimum de 1 million de francs par mois. Devant l'afflux massif des demandeurs d'asile soudanais en janvier et février 2018 le recours à un logement solidaire a permis de louer près de 4 parcelles de 400 m2 et de les aménager afin d'accueillir ces personnes.

Comme corolaire à la forte présence des agences humanitaires et de développement, il y a naturellement la forte demande en logement du personnel. Qu'il s'agisse des natifs d'Agadez, des ressortissants des autres régions du Niger ou des expatriés, cette communauté a souvent recours à la location pour se loger. Ils doivent donc s'insérer dans le marché local de production de logement pour pouvoir se loger. Cette forte demande a contribué à créer une pénurie de logements dans cette ville. Elle a par ailleurs contribué à une hausse du coût de la location à but de logement. Dans le quartier administratif très sollicité par les expatriés à cause des impératifs sécuritaires la location varie de 200 000 FCFA à plus. Les nationaux non Agadéziens désirant louer les villas doivent débourser au moins 100 000 FCFA tandis que l'essentiel des natifs s'ils ne sont pas logés en famille loue des maisons variant de 30 000 FCFA à plus. C'est en général des maisons en banco ou en semi-dur.

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Cet argent qui est versé dans l'économie d'Agadez via l'immobilier tient à la seule présence de ces organisations sous-traitantes des politiques de lutte contre la migration irrégulière et d'offre d'asile qui pour le besoin de bureaux ont recours à la location. Les personnels de ces institutions pour se loger ou loger leurs bénéficiaires doivent aussi louer. Cet argent de l'immobilier est redistribué dans la ville puisque les propriétaires sont des gens du terroir. La critique qu'on peut valablement formuler c'est que cet argent est destiné à une classe moyenne ou supérieure constituée d'élites politiques ou économiques disposant de moyens pour construire et mettre en location des logements ou des bureaux. Cette situation exclut une bonne partie de la population des revenus de cette nouvelle économie de la migration.

La nouvelle économie de la migration cible donc une proportion réduite de la population locale contrairement à l'économie classique. C'est une économie exclusive, de la spéculation et rend souvent la vie chère aux autres couches de la population incapable souvent d'accéder à certains logements de la ville.

5.4.2 L'emploi des jeunes diplômés

L'afflux des organisations et/ou l'extension de leurs activités pour répondre « aux défis de la migration et de l'asile » a ouvert une brèche d'opportunités d'emploi à la population d'Agadez. C'est surtout la population instruite et diplômée qui en bénéficie largement. Elle est constituée de jeunes et adultes ayant des compétences techniques par exemple dans l'administration, les finances, la logistique, la conduite auto-mobile, la santé, l'assistance sociale et bien d'autres profils qui sont recrutés. Pour ces employeurs, recruter la main-d'oeuvre disponible sur place permet de se faire accepter facilement et d'avoir des canaux plus efficaces de mise en oeuvre des projets compte tenu de la connaissance du terrain des locaux. Cette approche est aussi politique, car permettant de répondre aux critiques formulées à ces organisations quant à leurs systèmes de recrutement qui ne favoriseraient pas les locaux.

Au-delà des diplômés, il est connu que dans cette région certains postes sont systématiquement réservés aux locaux. Il s'agit de ceux de chauffeurs, des femmes de ménages et des vigiles. Le premier est à mettre en relation avec la géographie particulière de cette région désertique. Il faut donc privilégier les locaux qui ont développé par le passé une expertise en tant que guide ou chauffeur au moment du tourisme ou de la rébellion. C'est donc cette compétence qui est sollicitée au niveau de ces profils.

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Photo 9: Une ONG nationale travaillant à Agadez dans le domaine de la migration mixte

Crédit photo : B. Ayouba Tinni, Agadez, mars 2019

Photo 9:Une ONG internationale travaillant à Agadez dans le domaine de la migration mixte
Crédit photo : B. Ayouba Tinni, Agadez, mars 2019

Les femmes de ménage sont recrutées sur place du fait que c'est un travail qui ne nécessite pas de compétence technique particulière. La rémunération n'étant pas très élevée, il n'est pas nécessaire de recruter ailleurs. Cette option a aussi l'avantage qu'elle peut être présentée aux autorités comme un appui indirect à l'économie.

La sécurité privée est le sous-secteur ayant connu un boom à Agadez avec la présence des ONG et agences oeuvrant dans le domaine de la migration et de l'asile. Ces organisations pour la sécurité de leurs bureaux et du personnel expatrié ont recours aux services de la sécurité privée. Les vigiles sont recrutés sur place, ce qui participe aussi au dynamisme de l'offre d'emploi envers les locaux et par ricochet offre des revenus à une population démunie souvent non

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qualifiée. En général, le diplôme exigé pour ce métier est le BEPC et CFEPD. Il n'est pas exclu que des personnes non instruites soient sollicitées pour cette activité.

Qu'il soit agents des ONG, de sécurité privée ou agents de ménage la présence des organisations procure de l'emploi à une partie de la population d'Agadez et donc des revenus. Cette offre d'emploi cible en premier un public diplômé avec des compétences recherchées pour répondre aux défis du moment. En second lieu, l'offre cible des personnes non qualifiées comme les femmes de ménage, chauffeurs et agents de sécurité.

5.4.3 L'hôtellerie et la restauration

Devenu « laboratoire » de mise en oeuvre des politiques de migration et d'asile la commune d'Agadez est sous le projecteur de la communauté internationale depuis qu'elle est devenue nouveau carrefour. Ce constat découle de nombreuses visites d'officiels de l'UE , de ses États membres, des agences des systèmes des Nations unies, des journalistes, des chercheurs qui descendent de temps en temps pour comprendre in situ la situation.

À ce groupe, il faut ajouter les visiteurs nationaux représentés par les fonctionnaires des agences de coopération, ambassades, agences onusiennes et ONG qui dans le cadre du suivi de leurs activités ou pour comprendre la situation effectuent des missions fréquentes.

Pour se loger et se nourrir durant leurs séjours ces missionnaires ont recours aux hôtels et restaurants de la place. Ainsi, en la matière, les quelques infrastructures hôtelières, auberge d'Azel, pension Tellit, et l'Hôtel de la Paix les accueillent. Les restaurants le Pilier, l'hôtel de l'Air, se distinguent également par la clientèle qu'ils reçoivent. La mise sous projecteur de la commune d'Agadez a donc contribué au dynamisme du secteur de l'hôtellerie et de la restauration. C'est donc une porte de sortie pour ce secteur qui a longtemps souffert de la fin du tourisme consécutive aux différentes rébellions. Le secteur se présente comme celui qui tire le mieux profit de la nouvelle économie de la migration. Or, il était faiblement bénéficiaire des retombés classiques de la migration.

Le dynamisme de ce secteur bien que peu visible a contribué à maintenir l'emploi de beaucoup de personnes évoluant dans cette activité. L'argent que la ville tire des différentes missions est par la suite injecté dans l'économie à travers les achats au marché, mais aussi les salaires payés aux employeurs.

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Conclusion partielle

L'analyse de l'économie de la migration sous le concept de petit commerce de la migration a mis en relief une floraison d'activités qui tirent des revenus substantiels avec le transit des migrants. Il s'agit du connecteur international, le coxeur, le gérant de ghetto, les transporteurs, les vendeurs de bois, turban, lunettes, des taxis motos. Ces activités ainsi que les acteurs qui l'animent sont durement touchés par la mise en application de la loi 2015-36 qui criminalise le transport, l'hébergement et le convoyage des migrants. Cette loi a fait chuter le nombre de migrants qui transitent par Agadez et de facto réduit le nombre de voyageurs et donc de clients des acteurs du petit commerce de la migration.

Au même moment, on note l'émergence d'une nouvelle économie de la migration portée par des acteurs humanitaires et de développement intervenant dans le domaine de la migration. Ces acteurs par le volume financier qu'ils mobilisent sont les promoteurs de cette nouvelle économie. Une cartographie rapide montre que ces budgets sont investis dans la location des bureaux ou de résidence, le marché local, le personnel. Cette économie est une inter action entre l'humanitaire-le développement et une élite économique et intellectuelle pouvant mettre à disposition des maisons en location, exécuté des appels d'offres ou ayant le profil pour se faire recruter dans une agence humanitaire.

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Chapitre 6 : Dynamique des lieux dans un contexte d'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger

Le présent chapitre analyse les reconfigurations en cours au Niger en lien avec les politiques d'externalisation en prenant comme porte d'entrée la région d'Agadez, ville où convergent les flux ascendants et descendants et où l'essentiel des programmes et politiques en matière de migration et d'asile sont mis en oeuvre. Il s'agit à travers cette démarche de voir comment les politiques migratoires influent le parcours des migrants, les changements dans l'organisation des départs et des retours, dans les lieux qu'ils traversent, et les acteurs que cela implique.

En amont, il est important de mettre le sujet dans son contexte à travers une présentation du Niger comme carrefour migratoire et de contact entre le Maghreb et l'Afrique centrale et de l'ouest. Notre approche vise à saisir à l'échelle globale du Niger la manière dont les migrations internationales sont prises en charge par les acteurs des postes de police transfrontaliers jusque dans les villes de transit, Niamey, Zinder et Diffa. Un accent particulier sera mis sur la traversée du territoire nigérien jusque dans la région d'Agadez point de convergence des différents flux avant de remonter au Maghreb. Il sera également mis en exergue les tensions suscitées dans cette région par la mise en oeuvre des politiques d'externalisation.

6.1 Une position géographique particulière

Le Niger partage 5 697 km de frontières avec ses 7 voisins : le Tchad (1 175 km), le Nigeria (1 497 km) , l'Algérie (956 km), le Mali (821 km), le Burkina Faso (628 km), le Bénin (266 km) et la Libye (354 km). Cette position le place au coeur de la mobilité entre l'Afrique subsaharienne et le Maghreb depuis les années 1990. Plus récemment la crise sécuritaire en cours dans le bassin du Lac Tchad fait du pays une zone de transit privilégiée entre l'Afrique centrale (Tchad et la Centrafrique) et l'Afrique de l'Ouest (Nigéria). Mais cette mobilité est moins connue, car non médiatisée contrairement à la première qui présente beaucoup d'enjeux pour les partenaires européens du Niger.

6.1.1 Des points d'entrées multiples

Le Niger offre des portes d'entrées officielles sur son territoire à travers ces différents postes de police frontaliers au nombre de 18 selon une présentation de la DST lors d'une session de formation de ses agents sur la protection internationale dans le contexte des mouvements mixtes en décembre 2019 à Arlit. Ainsi, dans la région de Tillabéri on peut noter le poste transfrontalier de Yassan, canal d'entrée d'une bonne partie des flux en provenance du Mali qui mène jusqu'à

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Niamey et les postes frontaliers de Makalondi et Petel Koli (voir carte 9) sur la frontière avec le Burkina Faso. Par ces deux derniers postes entre l'essentiel du flux migratoire qui traverse le pays en direction de l'Afrique du Nord. En effet, ils regroupent les flux en provenance du Burkina Faso, du Mali, de la Gambie, de la Guinée-Bissau, de la Guinée Conakry, du Sénégal, de la Sierra Leone, du Liberia, du Ghana, de la Côte d'Ivoire et marginalement du Togo.

Enfin, le poste frontalier de Gaya concentre les flux en provenance du Bénin, du Togo, du Ghana et marginalement de la Côte d'Ivoire. C'est un point d'entrée d'importance moindre par rapport aux précédents. Au centre du pays, le poste frontalier de Birni N'Konni capte une partie des flux en provenance ou en transit du Nigéria.

Carte 8 : Itinéraire de migrants de l'ouest vers le Nord

Source : Notre étude

La particularité de ces flux est qu'ils se rencontrent au niveau de la route nationale N° 1 à partir de Birni N'Konni. On a donc les flux en provenance du Golfe de Guinée (Sénégal, Guinée, Cote d'Ivoire, Ghana, Togo, Bénin) du Sahel central (Mali et Burkina Faso) et d'une partie du Nigéria et du Cameroun qui se retrouvent sur la même route en direction de Tahoua. Birni N'Konni est donc un point stratégique dans la jonction entre le sud et le nord du Niger. À partir

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de Tsernawa la route migratoire continue sur Tahoua, puis Abalak avant d'atteindre la région d'Agadez, point de transit stratégique pour les migrants.

Au centre du pays, ce sont les postes frontaliers de Dan issa (région de Maradi) et de Maimoujia (région de Zinder) qui concentrent l'essentiel des flux en provenance ou en transit du Nigeria. On y dénombre des ressortissants de l'Afrique de l'Ouest et Centrale. De tous ces points d'entrées, celui de Maimoujia présente le plus d'enjeux stratégiques, car il draine plusieurs milliers de migrants par an : c'est par là que transite la majorité des flux en provenance du Nigéria. Or, les Nigérians représentent la 2ème communauté de migrants en transit à Agadez.

Dans l'extrême est du pays, deux points d'entrée sont à noter celui de N'Guigmi-frontière Tchad qui ouvre vers Diffa, Zinder et Agadez. Pour les flux qui passent par ce point d'entrée l'itinéraire classique se recoupe au niveau de la ville de Zinder devenu carrefour secondaire, car elle accueille à la fois les flux en provenance de l'Afrique de l'ouest et centrale. Ces flux sont alors drainés vers Agadez en transitant par Tanout.

Carte 9 : Itinéraire des migrants du centre et de l'est vers le nord

Source : Notre étude

145

Quels que soient l'origine ou l'itinéraire à partir du Niger, qu'ils soient sud ou est les flux se retrouvent dans la commune d'Agadez, carrefour stratégique/ point de jonction entre l'Afrique subsaharienne et le Maghreb. À partir de cette ville, deux possibilités s'offrent aux migrants : l'Algérie et la Libye. Dans les deux cas, la route migratoire classique est la suivante :

Dans l'extrême Est du pays à N'Guigmi une route migratoire (carte 11) était active au moment du pic de l'exploitation d'or du Djado. Elle vit des flux en provenance du Tchad, de Centrafrique, du Cameroun et du Soudan. Sa particularité c'est qu'elle contourne les capitales régionales de Diffa et Agadez pour rejoindre le Kawar. Les points de passages incluent N'Guigmi, N'gourti, Bidouharam, Balabri, Zao, Bilma, Madama et Gatroun (Libye).

Carte 10 : Itinéraire des migrants de l'extrême est au nord

Source : notre étude

146

6.1.2 Des frontières poreuses, une tradition de mobilité

Sur les 5 697 km que le Niger partage avec ses voisins au-delà des points d'accès officiels, la porosité des frontières est un facteur favorable à la mobilité humaine. Celle-ci est renforcée par la longue histoire commune, car de part et d'autre vivent des populations de même culture, souvent de même famille que le tracé des frontières a divisé. Ainsi, à l'ouest du Niger à Makalondi vivent des deux côtés de la frontière des populations gourmantchés, à Petel Koli des populations peules se partagent entre les deux pays, tout comme des populations Sorko dans la zone de Yassan. Ces populations ont des liens très anciens et partagent souvent les mêmes infrastructures (santé, éducation, marché, puits) et une bonne connaissance du milieu. Avec les difficultés de franchissement des frontières, ces communautés utilisent les motos pour contourner les postes de police. Cependant, cette pratique de mobilité des communautés est affaiblie depuis quelques années avec la généralisation de l'état d'urgence dans toute la région de Tillabéri et l'interdiction de la circulation des motos et les opérations militaires : Fassa, Almahaw, Saki 2 et Dongo.

Dans le centre-est, dans les régions de Maradi et Zinder, des communautés haoussa et peuls vivent aussi de part et d'autre de la frontière avec le Nigeria. Sur cet espace, la porosité des frontières est un fait. Les populations utilisent divers moyens : changement de moyens de transport, contournement des postes de police pour circuler d'un endroit à un autre. Ici, l'espace est utilisé comme lieu de contrebande dans le but de se soustraire aux charges douanières et aux tracasseries administratives des fonctionnaires des services d'immigration.

Dans l'extrême sud-est, la situation sécuritaire dans le bassin du Lac Tchad avec le déploiement des forces armées le long des frontières n'a pas permis une sécurisation parfaite de la frontière. En dépit de l'état d'urgence, les populations arrivent à circuler entre le Niger, le Nigeria et le Tchad. Au Nord, la situation sécuritaire en Libye et le caractère particulier du désert font que chaque acteur peut tracer sa voie pour se rendre en Libye ou en Algérie. Les populations touarègues et toubous ont une forte tradition de mobilité en lien avec leur mode de vie nomade. Elles mettent à profit leurs connaissances du terrain pour se rendre d'un pays à un autre. L'espace est utilisé pour la contrebande des produits alimentaires, manufacturés, l'essence, les produits prohibés et les êtres humains.

147

Carte 11 : Routes migratoires à travers le Niger

Source : Notre étude

Autre fait majeur qui impacte la mobilité dans cette partie du Niger, ce sont les enjeux des puissances occidentales autour du Sahara. Ainsi, on note la présence d'une base militaire française à Madama (fermée en 2018) à la frontière avec la Libye et une américaine à Agadez. Ces forces étrangères surveillent le Sahara ; en particulier, les États-Unis ont installé à Agadez leur plus importante base de drones en Afrique de l'Ouest. Cette présence dissuade les populations à passer par les postes officiels notamment la ville de Dirkou comme le souligne le vice maire de Dirkou :

« Par essence ce sont des gens qui sont un peu réfractaires aux forces de défense et de sécurité même s'ils sont en règle parce que c'est une perte de temps pour eux même pour montrer les papiers. Deuxièmement c'est un raccourci pour eux de ne pas passer par Dirkou, c'est au moins 100l d'essence de moins et aujourd'hui avec la technologie les gens ont accès aux moyens modernes de voyage. Ils ont des GPS, des téléphones thuraya, ils ont tout de façon à ne pas craindre le désert et ils ont des véhicules performants de la dernière génération qui peuvent faire ce tronçon-là très aisément donc on n'a pas besoin de passer par Dirkou. Si tu passes à Dirkou même si toi on ne te dit rien tu sais que tes passagers ce sont des gens qui ne sont pas en règle que tu as transportés on peut les garder est-ce que tu vois ? Donc voilà un peu les raisons pour lesquelles les gens se cachent pour éviter les barrières, pour éviter les forces de l'ordre. » (Entretien vice maire Dirkou, Agadez, novembre 2016).

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L'armée nigérienne effectue également des patrouilles terrestres. Les échanges d'informations entre les armées étrangères et celle du Niger aboutissent à une relative sécurisation de l'espace contre les terroristes et trafiquants, mais influent la migration, car on note un cas où les passeurs disent avoir été arrêtés par l'armée française. Mais toujours est-il qu'entre le Niger et le Maghreb la porosité des frontières est un atout à la mobilité humaine.

6.2 La lutte contre la migration de transit au Niger 6.2.1 La frontière comme obstacle à la mobilité

Pour endiguer la migration dite irrégulière, une des premières actions entreprises par l'État du Niger et ses partenaires est le renforcement des capacités des forces de défense et de sécurité. L'idée est de former des hommes dont la mission essentielle est la gestion des frontières. Dans cette perspective, la frontière devient un objet qui présente beaucoup d'enjeux dont il faut assurer la gestion quotidienne. Ceux-ci concernent les flux migratoires et les considérations sécuritaires dans un contexte de lutte contre le terrorisme. Pour prévenir les flux migratoires par exemple, les agents aux frontières doivent être en mesure de détecter des faux documents, maitriser les techniques de fouille, prendre des empreintes digitales. Dans ce cadre, le Niger est accompagné par la GIZ, l'OIM, Eucap Sahel et l'UE.

Ainsi, dans le cadre de la gestion des flux migratoires, aux postes de police, les voyageurs n'ayant pas la documentation requise ne sont plus amendés et autorisés à entrer sur le territoire comme auparavant. Ils sont simplement interdits d'accès au territoire et refoulés. On note donc un changement de stratégie. On passe de l'amende au bénéfice du trésor public au refoulement pour défaut de documents.

En dehors de l'application de la loi, sur certains postes de police dont celui de N'Guigmi , instructions a été données aux agents de ne pas permettre l' accès au territoire aux Camerounais et Soudanais même s'ils sont en possession des passeports et visa. Pour les Tchadiens il est exigé un passeport alors que pendant des décennies les ressortissants de ce pays ont traversé cette frontière sur la base d'un laissez-passer délivré par les autorités de part et d'autre de la frontière.

En fait, que ce soit dans l'ouest du Niger ou le bassin du lac Tchad, le gouvernement profite de l'état d'urgence et des mesures de lutte contre la migration pour utiliser la frontière comme un espace de sélection et de refoulement des voyageurs qui prétendent au passage.

149

6.2.2 Filtrer pour endiguer les migrations vers le Nord

Autre forme d'entrave à la mobilité, le nombre important d'expulsions de migrants à partir du poste de police de Birni N'Konni. Ce poste est généralement utilisé par les policiers pour un contrôle approfondi des documents des migrants internationaux. Ceux qui disposent de pièces d'identité en règle sont autorisés à continuer leur périple jusqu'à Agadez, les autres sont reconduits à Niamey avant d'être remis à l'OIM pour leur enregistrement au programme de retour dit volontaire. Paradoxalement, les flux inverses en provenance du Nord du Niger ne subissent pas autant de contrôle. En fait, le modus vivandi est d'installer des points de contrôle des passagers en direction de la région Nord afin de réduire au maximum le nombre de personnes qui peuvent atteindre cette zone du fait des contraintes du protocole de la CEDEAO. Cette volonté s'apprécie à travers d'abord le nombre important de personnes qui sont refoulées au niveau des postes de police transfrontaliers du Niger.

La pratique démontre une détermination à interdire l'accès au territoire pour défaut de document à une catégorie de personnes considérées comme des migrants potentiels. Selon le SG de la préfecture de N'Guigmi et l'officier de police de cette localité, il leur a été demandé de renvoyer automatiquement tous les Camerounais, Soudanais et Centrafricains qui veulent rentrer au Niger même s'ils remplissent toutes les conditions.

Tableau 6: Nombre d'étrangers refoulés sur l'ensemble du territoire national de janvier à septembre 2016

Régions

Nationalités

Agadez

Diffa

Dosso

Maradi

Tahoua

Tillabéri

Zinder

Niamey

Total

B. Guinéenne

 
 
 
 
 

13

 
 

13

Béninoise

 
 

1

 
 
 
 
 

1

Burkinabé

3

 
 
 
 

47

 
 

50

Camerounaise

3

4

4

10

 

17

9

 

47

Centrafricaine

 

1

 
 
 
 
 
 

1

Gambienne

 
 
 
 

3

808

 
 

811

Ghanéenne

5

 

2

 
 

20

 
 

27

 

150

Guinéenne (Conakry)

2

 

10

 

3

274

 

2

291

Ivoirienne

3

 
 
 

62

76

 
 

141

Libérienne

1

 
 
 
 

4

 
 

5

Malienne

2

 

1

 

2

223

 

1

229

Nigériane

78

204

5

33

118

2

84

2

526

Sénégalaise

 
 

2

 

11

384

 

2

399

Soudanaise

 
 

2

 
 

9

 
 

11

Togolaise

 
 

10

 
 

22

 
 

32

Autres

4

1426

16

1

79

91

17

5

1639

Total

101

1637

51

44

278

1990

110

12

4223

 

Source : DST

En somme, la stratégie du Niger pour réduire le flux de migrant est de placer des filtres/postes de contrôle pour pallier les contraintes liées à la libre circulation des personnes et des biens dans l'espace CEDEAO dont il est signataire. Ainsi, la machine de filtrage commence au poste de police transfrontalier. À ce niveau les migrants qui ne disposent pas de documents en règle sont refoulés dans le dernier pays de transit.

Ceux qui sont en règle continuent leur périple. Arrivés à Niamey, ils prennent les billets au niveau des agences de transport de voyageurs. Ces agences sont tenues de partager la liste de tous les voyageurs avec la police. Ainsi, les postes de police stratégiques, dont celui d'Agadez, sont prévenus des migrants ayant embraqué dans les bus en fonction des gares de transport. Ils peuvent donc suivre le mouvement des migrants durant le déplacement. Ainsi, à la sortie de Niamey ou à l'entrée de Konni un contrôle est fait pour identifier les migrants non en règle. Ils sont ensuite renvoyés à Niamey. Les autres continuent, le périple, mais doivent subir le contrôle à l'entrée ou à la sortie de chaque grande ville jusqu'à Agadez.

151

6.2.3 Le démantèlement des réseaux des facilitateurs de la migration

Dans la stratégie globale de gestion des flux migratoires, le Niger est accompagné par ECI dans la lutte contre les réseaux criminels liés à l'immigration irrégulière mis en oeuvre grâce aux fonds fiduciaires avec un budget de 6 millions d'euros. Sur le terrain des policiers en civil sont chargés de travailler autour des gares de transport pour identifier les acteurs qui participent à cette activité. Une coopération formelle existe également entre les gares modernes afin que les listes des passagers puissent être partagées avec la police afin de suivre les mouvements des migrants.

À Niamey par exemple les personnes suspectées de faciliter la migration dite irrégulière sont conduites au commissariat central ou à la DST où ils sont interrogés par des policiers nigériens et européens avant d'être déférés à la justice. Les chefs d'inculpation varient de trafic illicite de personnes à la traite de personnes. Ils sont alors mis sous mandat de dépôt en attendant leur procès. En octobre 2017, à notre passage à la maison d'arrêt de Niamey il y avait 15 personnes ressortissantes de la CEDEAO qui croupissaient dans cette prison pour des délits en lien avec la migration. À Agadez également plus de 50 dossiers étaient ouverts au parquet pour les mêmes délits. En majorité, ce sont des Nigériens, plus rarement des Libyens ou d'autres citoyens de l'espace communautaire. Les lieux de transit des migrants deviennent des espaces d'emprisonnement.

6.3 Reconfigurations dans un espace de transit 6.3.1 Prolifération des gares

Les reconfigurations spatiales peuvent s'apprécier à partir de la prolifération des gares à Agadez. En effet, petite ville de 120 000 habitants le chef-lieu de la région a vu en l'espace d'une décennie la prolifération des gares de transport modernes. De moins de 5, il y a quelques années, Agadez compte aujourd'hui plus de 10 gares aménagées. Cette croissance n'est pas uniquement liée à la migration, les changements dans le secteur du transport ont contribué à son développement. Du fait de la clientèle que représentent les migrants chaque agence compte en tirer profit en ouvrant une ligne sur Agadez. Pour l'essentiel ces compagnies de transports convoient les migrants de leurs pays d'origine (Mali, Burkina Faso, Togo, RCI et Sénégal) jusqu'à Agadez comme le confirme ce migrant sénégalais interrogé au centre OIM « J'ai payé Dakar-Agadez direct à 90.000FCFA sans compter les frais de route qui sont différents pour les policiers et les douaniers. » (Entretien Yann, migrant sénégalais, Agadez, 13/02/2018). Cette offre de transport permanente a facilité la liaison entre les villes de l'Afrique de l'ouest

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et Agadez. Par-delà la prolifération des gares de transport est le reflet de l'intense mobilité qui caractérise cet espace.

Si les gares de transport ont facilité le rapprochement entre les lieux, elles ont aussi contribué à l'affaiblissement des auto-gares classiques comme c'est le cas à Agadez. La gare se concentre beaucoup plus sur les destinations de courtes distances pour lesquelles les compagnies privées n'ont pas de ligne ou sur le transport vers l'Afrique du Nord via le désert.

6.3.2 Moyens de transport : entre changement et continuité

À Agadez en lien avec la migration, un changement important est à souligner, celui des moyens de transport avec l'introduction des véhicules de type Hilux. Sur les destinations en direction de l'Afrique du Nord, les voitures-talibans surnom donné à ce type de véhicules ont révolutionné le transport. Importées de Libye, au lendemain de la crise libyenne, les voitures-talibans ont réduit la durée du voyage entre les deux espaces de 6 à 7 jours auparavant à 2 à 3 jours aujourd'hui. Dotées de quatre roues motrices, légères, pouvant contenir 20 à 25 personnes, elles sont très adaptées à la traversée du désert. Ces véhicules ont profité du contexte de 201516 marqué par la forte demande de transport lié à l'afflux des migrants internationaux de transit vers l'Afrique du Nord. Leur expansion a donné de l'emploi aux jeunes de la région d'Agadez.

Photo 12 : Véhicule Hilux (Talibans) utilisés pour le transport Agadez-Libye Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017

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Dans les lieux de transit, les voitures-taliban ont contribué à l'arrivée de jeunes chauffeurs ; les propriétaires des véhicules sont souvent des Toubous libyens, mais qui opèrent jusqu'Agadez. Propriétaires d'un à plusieurs véhicules, ils engagent des chauffeurs payés à chaque tour. L'immixtion des voitures-taliban dans la chaine de transport en direction de l'Afrique du Nord a coïncidé également avec l'exploitation de l'or au Djado. Ces véhicules ont satisfait à la fois la forte demande de transport sur le site aurifère, mais aussi la migration transsaharienne. Selon le Maire de Dirkou, l'or a surtout permis aux jeunes de se procurer les moyens de s'acheter des voitures-talibans et d'investir dans le transport. À Dirkou, aux dires de l'édile, rares sont les familles qui ne possèdent pas de voiture-taliban.

Les voitures-taliban ont permis une réorganisation de la chaine de transport, mais aussi du coût du voyage. Avant par exemple, les camions étaient chargés à la gare et les passagers logés dans un coin de la gare. Les convois étaient organisés chaque semaine en direction du nord. Les syndicats avaient une forte main mise dans l'organisation du transport et il yavait un système de tour de chargement entre les chauffeurs. Monsieur Hamissou chauffeur se rappelle encore :

« Il y a des années ce sont les camions 32, Octros, Telem et Toyota. Aujourd'hui ce sont des petits véhicules Hilux. Le mode de transport a changé, car au début ce sont des camions alors que maintenant ce sont des Hilux Taliban. Le mode de transport est resté le même pour les autres lignes sauf au niveau de la ligne Agadez-Dirkou qui utilisait des camions 32 avant et utilise aujourd'hui des véhicules Toyota Hilux. ». (Entretien Hamissou, Agadez, février 2021).

Les coûts étaient relativement moins chers (35 000 FCFA jusqu'à Dirkou) comme le souligne cet acteur : « Les tarifs du transport ont connu des changements. Par exemple Agadez-Dirkou avant c'était 7500FCFA aujourd'hui c'est 10 000FCFA, par contre Agadez-Sebha (en Libye) qui était auparavant de 150 000FCFA a chuté et est de 60 000FCFA aujourd'hui à cause du manque des clients (passagers de nationalité étrangère) ». (Entretien, Adjoint-chef de ligne Dirkou-Agadez, Agadez, 24-02-2018)

À cette période, les propriétaires de véhicules étaient des Nigériens et quant aux passagers ils étaient à la fois Nigériens et étrangers. Après chargement, le chauffeur présente la feuille de route au commissariat de la gare pour obtenir l'autorisation de partir. Les camions de transport pouvaient prendre entre 50 à 100 personnes. Le départ vers l'axe Libye était organisé au rythme des convois qui quittaient chaque lundi sous escorte militaire pour des questions de sécurité.

154

6.3.3 Mutation des lieux d'embarquement des passagers

L'intense mobilité qui caractérise Agadez a donné lieu à la prolifération des gares informelles spécialisées dans le transport sur des longues distances (vers la Libye ou l'Algérie), mais aussi des courtes distances (vers Tabelot). Dans ces espaces sont souvent embarqués les migrants vers les communes voisines de la commune urbaine d'Agadez. Cette stratégie s'inscrit dans une logique de se soustraire aux contrôles des forces de l'ordre mais aussi pour échapper aux taxes. Les véhicules Hiace occupent ces gares informelles en général car ils sont moins suspects que les voitures-talibans. Ils font donc l'objet de moins de contrôle. Pour les migrants, il faut à tout prix sortir d'Agadez pour être dans les communes voisines ou les jardins afin d'attendre le transporteur. Il y a donc un changement des lieux d'embarquement des migrants de la gare centrale vers les gares informelles et puis vers la périphérie de la ville et les communes voisines. Les embarquements deviennent alors plus clandestins.

Photo 10: Migrants et transporteurs en concertation dans un quartier périphérique à Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, août ,2018.

Jusqu'à l'application de la loi 2015-36, les départs des passagers avaient lieu à partir des lieux d'hébergement des migrants, les foyers /ghettos.

« Les chargements sont faits hors des gares routières formelles. Les changements survenus au cours des dernières années sont : arrêt des destinations d'Agadez-Assamaka-Djanet et Agadez-Djado. Il existe l'organisation des départs hors gare au niveau de certaines lignes comme la ligne Agadez-Dirkou et la ligne Agadez-Tchirozérine. Mais après le chargement ils passent à la gare s'acquitter des formalités ». (Entretien transporteur, Agadez, 24-022018).

Comme impact direct de ce transfert, se retrouve l'affaiblissement de l'Ecogare qui du jour au lendemain est déserté par ses clients. Cette situation s'est accentuée avec l'application de la loi 2015-36. La gare centrale étant un domaine public est donc l'espace propice pour appliquer les décisions de l'autorité. Cela a eu pour conséquence l'exclusion des migrants non nigériens

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de la clientèle de cette gare : « Avant (la loi), les passagers transportés sont des Nigériens et des étrangers, mais aujourd'hui c'est seulement les nationaux que nous transportons. Pour les camions 32 c'est à peine que nous gagnions aujourd'hui des marchandises et quelques 30 à 40 personnes alors qu'avant c'est près de 200 à 300 personnes et tous Nigériens qui partaient » (Entretien chef de ligne Dirkou-Agadez, Agadez,24-02-2018). Or, les migrants internationaux constituent l'essentiel de la clientèle sur la ligne comme Agadez/Dirkou ou Agadez/Djanet (Algérie).

On note aussi l'émergence d'un nouveau profil de transporteur qui travaille en dehors des
normes établies par l'autorité compétente. Il exerce souvent au sein de réseaux transnationaux
en lien avec des acteurs locaux et étrangers : la chaîne comprend des « fournisseurs » de
migrants, coxeurs, des gérants de ghettos et des transporteurs. Ils opèrent avec la complicité
des fonctionnaires de police qui facilitent la mobilité entre les deux rives du Sahara. Avec
l'afflux des migrants et les enjeux financiers qui en découlent, une réorganisation du transport
à partir d'Agadez est notée dès 2010 avec le déclenchement du conflit libyen. Des réseaux
basés souvent dans les pays de la sous-région, en Europe, ou à Niamey envoient des migrants
à des passeurs/coxeurs à Niamey pour les acheminer en Libye. Ces derniers sont accueillis dès
leur arrivée à la gare d'Agadez ou bien avant dans les stations-services (Cf. : photos 15) par
des responsables de ghettos, qui vont se charger de leur hébergement.

Photo 11 : Migrants interceptés dans une station-service par les transporteurs Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, mai 2016.

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Avant août 2016, les ghettos étaient tolérés, bien que des opérations de police soient notées de temps en temps. Chaque lundi après-midi, les véhicules sont chargés directement au sein des ghettos. Toutefois, après le chargement des passagers, les transporteurs viennent au commissariat de la gare routière, munis de la feuille de route, pour s'acquitter du timbre fiscal et passer la barrière.

Les politiques en cours dans le domaine de la migration ont donné naissance également à des nouvelles aires d'embarquement des passagers. Certes dans certains cas, les chargements ont toujours lieu à la gare ou dans les ghettos mais force est de constater qu'il n'y a plus de transport de migrants internationaux vers l'Afrique du Nord à partir de la gare d'Agadez. La loi 2015-36 a eu cette lourde conséquence sur l'Ecogare. Toutefois, certains propriétaires notamment ceux chargeant dans les gares continuent d'opérer dans la clandestinité passant ainsi du transport irrégulier au transport dans la clandestinité (Brachet, 2018). Ainsi, on note des cas où les départs de migrants ont lieu sur la route de Zinder en périphérie d'Agadez à destination de la Libye ou de l'Algérie. D'Agadez, les migrants sont transportés par des motos jusqu'à la sortie de la ville. Une fois hors de la ville, ils sont hébergés dans des jardins pendant quelques jours avant d'être repris par les passeurs. En somme, les politiques en cours ont donné lieu aux déplacements des espaces de chargement des migrants hors de la ville ou bien avant Agadez. Dans certains cas, le mode opératoire des passeurs consiste à contourner la ville d'Agadez. Sur le terrain, il y a une invisibilité totale des transports des migrants internationaux vers l'Afrique du Nord à partir de cette ville.

6.3.4 Exclure les non nigériens du transport vers l'Afrique du Nord

À Agadez, depuis les années 90, le transport des migrants vers l'Afrique du Nord a presque toujours associé des voyageurs nigériens et étrangers. Avec la loi 2015-36, le transport des personnes de nationalité non nigérienne vers le Maghreb est criminalisé. De ce fait, la population étrangère y compris ressortissante de la CEDEAO est exclue de la mobilité formelle transsaharienne au départ d'Agadez. Mieux, au plus fort moment de l'application de ladite loi, le transport vers l'Algérie et la Libye a été stoppé par les autorités. Ce n'est qu'en mai 2018 que ce transport a repris sous la pression des autorités locales, des acteurs du transport et des migrants nationaux, mais sous un autre format. Désormais c'est le transport des Nigériens uniquement qui est accepté. Les autres nationalités en sont exclues comme le souligne ce transporteur : « Ici depuis la mesure, ce sont seulement les Nigériens qui voyagent, mais avant

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il y a presque toutes les nationalités. Les nationaux sont des Haoussas et Touaregs et hommes, femmes et enfants ». (Entretien transporteur, Agadez, 25-11-2017).

Or, les étrangers constituent une clientèle non négligeable d'autant plus qu'ils payent plus cher leur transport que les nationaux. Pour le chef d'escale STM Agadez, « nos passagers sont actuellement en majorité des nationaux (nigériens). Nous recevons quelques passagers parmi les migrants internationaux refoulés. Parmi les passagers transportés, les femmes sont dominantes ». (Entretien chef d'escale STM, Agadez, 24-11-2017). Cette exclusion des non nationaux a favorisé la clandestinité du transport, la baisse de la clientèle du circuit formel mais aussi la hausse des coûts de transport. Il est à noter également, un contrôle intense des non-Nigériens aux postes de police se trouvant sur la route migratoire de Niamey jusqu'à Agadez. À chaque poste, le policier collecte les pièces des migrants dans les bus et les invite à les rejoindre au poste pour collecter des statistiques, mais aussi soutirer des faux frais comme on le voit sur les photos ci-dessous.

Photo 12: Migrants internationaux au poste de police d'Abalak pour contrôle Crédit photo : B Ayouba Tinni, Abalak, mai 2016

La fréquence des contrôles sur la route a conduit certains opérateurs de transport sur la ligne Niamey-Agadez (STM et RIMBO), à mettre en place un bus pour les Nigériens et un autre pour les étrangers afin de réduire les pertes de temps lors des contrôles sur la route. Ce second bus, « réservé » aux étrangers, est appelé à subir toutes les tracasseries liées à la multiplication des contrôles de police, mais aussi à la stigmatisation liée à leur statut de migrant non nigérien.

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A Zinder par exemple, il est tout simplement interdit aux agences de transport de délivrer des billets de transport aux non Nigériens en direction d'Agadez depuis août 2016. Le contrevenant est tenu de rembourser le billet une fois que la police lors du poste de contrôle à la sortie de Zinder sur la route d'Agadez, ou à Tanout, constate que le migrant non nigérien n'a pas toute la documentation requise pour voyager. Il est alors renvoyé/ refoulé au commissariat de Zinder qui se charge de faire rembourser l'opérateur. La somme recouvrée va servir de frais de transport pour expulser le migrant en question au poste de police frontalier de Matameye situé entre le Niger et le Nigeria point d'entrée des flux en provenance de ce pays et du Cameroun.

6.3.5 Sortir dans une ville verrouillée ?

Les migrants ayant échappé au dispositif de filtrage de la frontière jusqu'à Agadez doivent une fois dans cette ville faire face à un autre dispositif de contrôle mis en place pour réprimer la mobilité vers la Libye ou l'Algérie. Il s'agit de l'arrestation des acteurs du transport, de la confiscation de véhicule, de la hausse du tarif de transport et enfin de l'implication des leaders communautaires pour dénoncer le transport vers le nord. La surveillance des points d'entrée et de sortie s'appuie sur une unité de 15 agents de police travaillant sous la coupe de l'officier en charge des questions migratoires. Ces agents aux dires de l'officier ne sont pas connus même par leurs collègues d'Agadez et travaillent à démanteler les réseaux de transport de migrants vers l'Afrique du Nord. Tout ce dispositif de blocage de mobilité rend difficile le départ des migrants vers l'Afrique du Nord. Ainsi, s'est développé très vite le phénomène des migrants bloqués à Agadez dans une ville à vocation de transit. Les rares qui y parviennent doivent faire face le long des 950 km qui relient Agadez à Madama à un important dispositif des forces de défense qui patrouillent dans cette zone. Or, instruction ferme a été donnée à tous les corps d'intercepter et renvoyer tout migrant étranger en direction de la Libye ou de l'Algérie même si par ailleurs ils disposent de tous les documents légaux. Comme quoi les frontières de la CEDEAO au Niger s'arrêtent dans la commune urbaine d'Agadez. Le Niger travaille ainsi à réduire le nombre de migrants en direction du nord pour le compte de l'Union européenne.

6.3.6 Baisse des flux ascendants à Agadez

Le fait majeur que l'on peut souligner en lien avec les impacts des politiques d'externalisation à Agadez est la baisse des flux migratoires transitant par cette région. En effet, selon l'OIM en 2016 le nombre de migrants entrés dans la région était de 111 230 personnes. Ce nombre correspond au pic des flux entrants. Il chute en 2017 à 99 455 pour tomber à 18 093 personnes au premier semestre de l'année 2018. Ces chiffres ne sont pas exempts de critique quand on sait

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que depuis l'application de la loi 2015-36 la tendance des migrants, des passeurs est à la clandestinisation. Cela se reflète par l'usage des routes alternatives qui évitent les voies officielles où opèrent les agents de monitoring de l'OIM ou les agents de contrôle de l'État.

Les manifestations de la baisse des flux migratoires s'apprécient selon les acteurs. Pour les transporteurs la baisse de la demande de transport reflète simplement la baisse des flux migratoires comme le souligne Zoumari

« Au niveau de la ligne Agadez-Dirkou le flux de passagers a diminué, car dans 100% des passagers auparavant, c'est seulement 10% qui voyagent aujourd'hui. Les raisons sont surtout l'arrêt de la migration par le gouvernement. Avant l'arrêt de la migration on peut charger deux (2) à trois (3) camions 32 par convoi, alors qu'aujourd'hui c'est à peine qu'on charge un (1) à deux (2) véhicules (voitures Hilux) » (Entretien Zoumari, Agadez, 22/02/2018).

Cette même lecture se retrouve également chez certains facilitateurs de la chaine de transport vers l'Afrique du Nord. Ainsi, pour le coxer Abdou d'une des gares informelles d'Agadez :

« De 2010 à aujourd'hui, le flux des passagers a diminué de manière considérable pour ne pas dire qu'il n'existe même pas (le transport), car sur 100% des passagers au début c'est à peine 2% qui voyagent aujourd'hui. Au début on peut faire sortir 20 à 22 véhicules par convoi avec 25 personnes à bord de chaque véhicule, à peu près 500 personnes et sur chaque personne le coxeur gagne 1000Fcfa soit 500 000FCFA par convoi. Aujourd'hui, à peine on fait sortir 10 véhicules. » (Entretien Abdou, coxer, Agadez, 26-02-2018).

Les gares de transport modernes opérant à Agadez ne sont pas épargnées :

« Avant on faisait charger trois (3) à quatre (4) bus, mais maintenant c'est à peine qu'on charge un bus. Il arrive des fois qu'on enregistre sept (7) personnes pour la destination Niamey-Agadez. Les raisons sont : les migrants ne viennent plus, le mauvais état de la route et la fermeture du site aurifère de Djado. Actuellement la clientèle manque. Les passagers transportés sont les nationaux. Il y a plus des passagers pendant les vacances ». (Entretien, Chef d'agence SONEF Agadez, 20-02-2018).

Les acteurs soulignent l'application de la loi 2015-36 comme mobile de la baisse des flux. Pour l'officier en charge des questions migrations à la DRPN d'Agadez.

« Les raisons de cette baisse des flux sont multiples : Il y a l'application de la loi 36-2015, l'arrestation des plusieurs passeurs, l'immobilisation de plusieurs véhicules de passeurs (113 véhicules), les embarquements clandestins dans les ghettos et périphéries de la ville d'Agadez et les embarquements dans la brousse loin de la ville sur la route de Zinder (à 100 km avant d'arriver à Agadez) » (Entretien officier, Agadez, le 19-02-2018).

D'aucuns estiment que cette baisse du nombre de passagers est liée à l'ouverture de plusieurs compagnies de voyage privées. Pour Bâ, migrant guinéen, hébergeur de migrants vivant à Agadez, la baisse des flux est une évidence « Le nombre des migrants a diminué durant les dernières années surtout avec l'application de la loi de 2015 avec la fermeture de la route, il y a des problèmes en Libye. Dans les dernières années, il y a eu plusieurs nationalités qui ont

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passé par ce ghetto, dont entre autres : des Gambiens, Maliens, Béninois, Ivoiriens, Ghanéens, etc. » (Entretien Bâ, migrant, Agadez 17-07-2018).

6.3.7 L'exclusivité du transport des migrants de retour à Rimbo

D'autres acteurs évoquent l'exclusivité dont bénéficient certains de leurs concurrents. C'est le cas du responsable de la compagnie 3 STV :

« Le flux a diminué. Le nombre des passagers a baissé par rapport aux dernières années. Les raisons sont entre autres : l'état des routes, la taxe qui a doublé de 15% à 30%, les tarifs de transport ont grimpé aussi, la pauvreté dans le pays, la fermeture du site aurifère de Djado et la question de la migration qui est interdite pour les migrants internationaux. Maintenant ces migrants sont conduits à l'OIM qui a signé un contrat avec RIMBO pour leur acheminement à leur point de départ. C'est seulement RIMBO qui profite du transport de ces migrants ». (Entretien chef d'escale 3STV, Agadez, 18-07-2018).

En fait, dans le cadre du programme dit de retour volontaire assisté de l'OIM l'acheminement des migrants d'Agadez à Niamey est confié à plusieurs agences de transport du Niger dont 3STV et RIMBO. Cependant, en 2018, l'OIM a signé un contrat d'exclusivité avec la société RIMBO dans ce cadre. Les autres opérateurs de transport voient d'un mauvais oeil cette approche dans un contexte où il y a de moins en moins de clients sur l'axe. Cependant, si on regarde de plus près, cet opérateur ne bénéficie que d'une partie du transport des migrants. En effet, toujours en 2018, des vols charters de transports de migrants à partir d'Agadez ont été organisés par l'agence onusienne, ce qui a contribué à réduire les flux de migrants de retour par route dans un contexte de diminution de flux entrants. En effet, rien qu'en 2018, l'OIM a organisé au moins 4 vols charters de rapatriement dit volontaire de migrants au détriment des transporteurs locaux qui pouvaient au moins bien faire la prestation de transport jusqu'à Niamey. Cette combinaison de facteurs directs et indirects a largement contribué à la baisse des flux en termes de bénéfices économiques pour les transporteurs d'Agadez.

6.3.8 Une clandestinisation des lieux d'hébergement des migrants

L'impact des politiques d'externalisation sur le parcours individuel des migrants et des lieux traversés s'apprécient aussi à travers les lieux d'hébergement dans les villes de transit notamment à Agadez. Ces espaces appelés couramment ghettos ou foyers servent de lieux d'hébergement aux migrants durant leur transit vers l'Afrique du Nord.

Pour le besoin de l'organisation du voyage vers le nord, les foyers constituent des lieux d'attentes des migrants. Ainsi, pour réduire le séjour à Agadez et les coûts y afférents les migrants s'arrangent pour arriver dans cette ville le plus souvent le jeudi ou le vendredi. Dès leur arrivée, ils prennent contact avec les coxeurs ou les gérants de ghetto. Le lendemain est

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consacré à la banque pour récupérer les sommes nécessaires à la poursuite du voyage, faire le marché en vue de se procurer quelques objets nécessaires à la traversée du Sahara : bidon, turban, la farine de manioc, du lait et des lunettes, mouchoirs, chaussettes et parfois un sac au dos. Les migrants payent aussi les frais d'hébergement s'il y a lieu. Il n'y a pas de frais fixes, c'est un montant forfaitaire d'un foyer à un autre. Selon les témoignages dans les foyers certains migrants payent jusqu'à 40000 FCFA. Au pic du transit des migrants vers l'Afrique du Nord la plupart des ghettos étaient gratuits. L'hébergement était le prolongement de l'activité de transport avant le départ. Les frais de transport à l'époque variaient de 100 000 à 150 000fCFA jusqu' à Gatroun en Libye. Les ghettos étaient localisés un peu partout dans la ville : centre, zone intermédiaire et périphérie. Ils étaient connus et tolérés. L'embarquement des migrants se faisait dans les rues ou les gares classiques. Les occupants sont également visibles puisqu'ils passent le matin ou l'après-midi à patienter, discuter devant la porte. Ce sont donc des espaces ouverts connus de tous. Leurs occupants entretiennent également des relations commerciales avec le voisinage à travers l'achat de glaces, cigarettes, allumettes, médicaments, riz ou autres condiments nécessaires à la cuisine.

Depuis la mise en application de la loi 2015-36 en août 2016 les ghettos sont devenus des espaces illégaux, réprimés par ladite loi. Ils opèrent de plus en plus dans la clandestinité, ce qui rend plus vulnérables les migrants. Subséquemment, de peur des représailles prévues par ladite loi, les gérants de ghettos, adoptent un nouveau mode opératoire : la discrétion voire la clandestinisation.

Ainsi, sur le plan spatial, les ghettos sont localisés dans des espaces particuliers notamment à la périphérie. Ils sont moins visibles de même que leurs occupants. Il y a donc une mobilité centrifuge des ghettos à Agadez. Sur les nouveaux sites, les ghettos deviennent des espaces fermés, opérant dans la clandestinité. Toutefois, ils conservent leur empreinte sur la ville. Les quartiers Daganamet, Misrata et Tadress sont devenus dorénavant les zones d'accueil des ghettos. Il en est de même à l'ouest de la ville d'Agadez, derrière l'aéroport ou dans le quartier Dubaï non loin du centre OIM. La majorité des ghettos présents dans le quartier Dubaï sont stratégiques. Les migrants profitent de la proximité du centre de transit pour se restaurer, se laver et même séjourner parfois pour ceux qui n'ont pas de foyers en attendant l'organisation du départ vers l'Afrique du Nord. L'analyse socio-anthropologique des ghettos en lien avec les quartiers indique qu'à Misrata existe une forte emprise des migrants nigérians et gambiens. On y trouve également, des ghettos sénégalais, gambiens et maliens rarement des ivoiriens et camerounais.

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Les ghettos nigérians se distinguent par une forte surpopulation entre 30-80 personnes, souvent plus. Ce sont des espaces fermés qui se caractérisent par la méfiance des occupants. Il faut passer par des intermédiaires pour y accéder.

Les ghettos des Ivoiriens se localisent sur la route de Zinder dans le quartier Misrata et dans celui de Toudou sur la route d'Arlit. En termes de nombre on peut compter 10-30 personnes par ghetto. Les ghettos sénégalais sont aussi à Misrata, Daganamet et plus marginalement à Tadress. Quelques rares ghettos sont également identifiés dans le centre-ville. Là, le plus souvent, la stratégie des passeurs consiste à loger les migrants dans les familles.

Depuis août 2016, les ghettos ne sont plus des espaces où le confort des occupants est recherché. Des chantiers inachevés ont remplacé les villas. Ils sont situés en périphérie de la ville et le plus souvent non connectés au réseau d'eau et d'électricité. Autour de ces espaces, l'insécurité est quasi permanente, les migrants sont souvent victimes de braquages à main armée et de petits vols courants, car certains foyers n'ont pas de porte solide ni de bonne serrure. Par nationalité, les foyers sont mixtes en fonction du sexe, mais aussi en fonction de la religion. Les Nigérians sont les plus nombreux dans les ghettos à cause de la proximité géographique avec le Niger et de la bonne organisation du voyage qui s'appuie sur un réseau migratoire vieux de plusieurs années.

De manière générale, on peut distinguer deux types de ghettos :

Les ghettos très fermés : ce sont des espaces fermés à clé à l'extérieur pour limiter et surveiller les entrées ou les sorties. Cette pratique est courante dans les ghettos tenus par les Nigérians. Les migrants sont sensibilisés par les coxeurs qui leur interdisent de faire confiance à quelqu'un, qui les prévient qu'ils peuvent être raflés et rapatriés par la police à tout moment. Ils ont donc intérêt à rester enfermés dans les foyers. C'est pourquoi même pour les achats des condiments dans les foyers nigérians les migrants préférèrent envoyer un enfant moyennant une petite rétribution ; parfois le gérant du ghetto lui-même fait les achats. Il faut aussi noter que la barrière linguistique ne permet pas aux Nigérians de communiquer correctement avec la population d'Agadez, hormis pour les haoussaphones.

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Photo 13 : Ghetto fermé avec des migrants à l'intérieur à Agadez
Photo crédit : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2018

Les ghettos ouverts : ils sont tenus en majorité par les Francophones : Ivoiriens, Guinéens, Maliens et Sénégalais. Ici, les migrants ont la possibilité de sortir et de revenir à leur guise. Il est fréquent de les voir le matin ou l'après-midi en train de discuter entre eux devant la porte de leur maison. Cependant, même dans ces espaces, la peur de sortir existe, car les migrants veulent quitter Agadez sans ennui avec la population ou les autorités. Le risque d'être raflé ou rapatrié par la police demeure toujours. Ces foyers sont fermés de l'intérieur, le visiteur est tenu de se faire identifier avant toute acceptation.

On peut aussi trouver des ghettos mixtes partiellement fermés où cohabitent des Nigérians et d'autres nationalités. Quel que soit le type de ghettos, les occupants font la cuisine une seule fois par jour. Les migrants cotisent un montant fixe ou volontaire en fonction de la capacité financière de chacun.

La marmite est posée vers 14-15h pour un plat à servir vers 17h30. S'il y a un reste le plat est conservé pour le petit déjeuner du lendemain. Dans le cas contraire chacun se débrouille à l'image de la photo ci-dessous.

Photo 14 : Jour sans cuisine dans un ghetto, faute de moyens Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017

Photo 15: Des migrants se retirent dans la chambre pour manger Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017

Il est à noter des situations où les propriétaires de ghettos fournissent le riz aux occupants et ces derniers cotisent pour les condiments. Dans les ghettos mixtes anglophones et francophones l'organisation de la restauration est communautaire. Elle répond souvent à l'identité linguistique héritée de la colonisation. Les anglophones s'organisent entre eux et les francophones font de même. Notons que cette différence linguistique est souvent source de méfiance réciproque et suspicion. Les francophones estiment qu'ils sont au Niger en zone francophone où ils ont une facilité d'intégration contrairement aux anglophones.

6.3.9 Architecture des ghettos.

Les foyers des Nigérians sont majoritairement composés de deux salons et d'une grande cour. Ce sont des ghettos mixtes avec des grandes cours, mais sans hangar solide. Le plus souvent en

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journée, les occupants utilisent des pagnes pour faire de l'ombre et se reposer. De plus en plus, des organisations humanitaires fournissent des kits, couverture, natte etc. À l'intérieur les occupants s'organisent en petit groupe en fonction des affinités et s'approprient l'espace. Sur des nattes, les groupes se reposent sans distinction de sexe. Les occupants se particularisent par leur nette méfiance vis-à-vis des visiteurs en lien avec la barrière linguistique, la peur d'être emmenés à l'OIM pour le retour volontaire. Notons que depuis le dernier trimestre de l'année 2016 des policiers se déguisent en agent de l'OIM pour accéder aux ghettos et aux migrants. Dans certains cas ils opèrent des descentes pour contraindre les occupants à rejoindre le centre OIM comme le souligne Monsieur B. « Ici (ghetto), ce n'est pas facile. Les policiers nous prennent comme des trafiquants. Un jour, dans la nuit, on préparait à manger quand les policiers ont sauté dans la maison pour nous emmener au commissariat. Ils nous ont fouillés, pris nos téléphones pendant deux jours avant que l'OIM vienne nous chercher. Eux aussi ils viennent nous dire retour volontaire. On leur a dit qu'on ne veut pas retourner à la maison. On est rentré dans le centre de l'OIM même pas 10 mn on est ressorti » (Entretien migrant, Agadez, 23-07-2018).

Photo 16: Couchette des migrants dans un ghetto
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2018

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Photo 17 : Message laissé par des migrants sur les murs d'un ghetto Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2018

Les migrants sont sensibilisés à ne faire confiance à personne ni parler de l'organisation des départs pour la Libye « Hier entre 17-18h il y a eu le départ de 17 personnes de ce ghetto pour la Libye. Là où ils font le chargement du véhicule si tu n'es pas voyageur tu ne pars pas. » (Entretien migrant, Agadez, 23-07-2018).

S'agissant de la restauration un seul repas est servi par jour à 10h ou 17h. On note donc une dégradation des conditions de vie des occupants, liée aux restrictions de sortie que subissent les occupants du ghetto. Pour la restauration, ils doivent solliciter le gérant du ghetto ou leur leader qui seul est habilité à sortir faire des courses. Cela montre un état de psychose généralisé au niveau de ces migrants. Ces derniers pensent être raflés et renvoyés à l'OIM une fois hors du ghetto. Tel est le discours que leur tiennent les convoyeurs.

Les ghettos sont dans certains cas des espaces d'abus. La personne du migrant n'est pas respectée, considérée comme une marchandise. Certains convoyeurs peuvent aussi les récupérer pour leur propre bénéfice et là ils seront dans l'obligation de repayer pour le voyage. Au cours de leur patrouille, les forces de l'ordre une fois qu'ils identifient les ghettos des migrants peuvent les rançonner demandant parfois des sommes importantes ; parfois ils arrêtent aussi les migrants pour les conduire au commissariat, sans qu'il y ait de délit constaté. Après des interrogatoires et une garde à vue de 48h, qui permettra aux policiers d'identifier s'il y a des coxeurs, transporteurs, démarcheurs, gérants dans le groupe, les migrants sont libérés et/ou remis à l'OIM. Ceux qui sont soupçonnés d'un délit relatif à la loi 2015-36, sont conduits en

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justice. Après libération, les migrants affirment souvent avoir été dépouillés par les forces de police. Enfin, une fois sortis du commissariat les migrants ne parviennent pas à retrouver leurs foyers, car ils ne connaissent pas la ville d'Agadez. Ainsi, ils peuvent être encore récupérés par d'autres convoyeurs qui vont leur demander de payer à nouveau les frais de voyage. Depuis l'application de la loi 2015-36 on note que les Nigériens se sont officiellement retirés de la gestion de ces espaces. C'est de plus en plus des étrangers résident ou pas à Agadez qui donnent l'adresse des ghettos aux migrants. À distance, ils organisent le voyage de leur client jusqu'en Libye et éventuellement en Italie.

Les ghettos sénégalais, gambiens et guinéens, se caractérisent par la grande affinité linguistique et géographique des occupants. Plus ouvert que les précédents, ils sont attentifs à leurs visiteurs. En termes de densité on peut trouver 20-40 personnes ou beaucoup plus dans ce type de foyer. Ils sont organisés autour d'une grande cour avec une chambre entrée et coucher, ou deux entrées et couchers ou carrément deux chambres salons. Ces ghettos sont à moitié fermés. En matinée, leurs occupants sont fréquemment assis devant la porte comme le montre la photo ci-dessous.

Photo 18:Migrants devant la porte d'un ghetto à Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017

6.3.9.1 Des routes alternatives face aux politiques d'externalisation

Depuis août 2016, avec la mise en application de la loi 2015-36 les passeurs et migrants ont tendance à emprunter des nouvelles routes pour échapper aux dispositifs en vigueur. Cette loi se heurte cependant à l'appartenance du Niger à la CEDEAO : les citoyens de cet espace communautaire peuvent circuler à condition qu'ils soient en règle. La pratique en cours actuellement au Niger est de procéder à des contrôles approfondis aux différents postes de police frontaliers afin de filtrer et expulser ceux qui ne possèdent pas les documents requis. La

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stratégie des migrants et des passeurs consiste à contourner les postes de police à l'aide des motos comme le souligne cet acteur :

« Moi je transporte les migrants nigérians. Il y a des gens au Nigéria qui nous envoient les migrants jusqu'ici à Agadez. De-là, nous les transportons jusqu'en Libye. Les véhicules utilisés pour le transport sont des Toyota Hilux. Quand les migrants quittent à partir de Kano, ils sont transportés dans des véhicules Hiace jusqu'à la frontière au niveau de Maïmoujiya. À partir de-là, ils sont transportés sur des mototaxis (Kabou-Kabou) en contournant le poste de contrôle. Mais il y a d'autres qui passent par la barrière, tandis que d'autres la contournent. Une fois arrivés à Zinder on les achemine vers Agadez dans des Hiace. Mais avant d'entrer en ville, on les dépose en cours de route et leurs gens vont les chercher. À partir d'Agadez, ils sont chargés dans des Toyota Hilux et on prend la direction de la Libye en contournant toutes les barrières jusqu'à l'entrée en Libye. Moi je ne travaille pas avec les coxeurs, car les passagers viennent directement dans mes mains. Je les héberge moi-même et les transporte. Les passagers sont hébergés dans une grande maison (Villa) de trois (3) chambres et salon qui peut contenir 100 personnes ou même plus. La maison est équipée en nattes, en électricité, en eau et tout, Mais aujourd'hui avec l'application de cette loi, ce n'est plus possible. C'est le contournement des barrières (postes de contrôle) et le changement des routes. C'est un grand risque qu'on prend, car là où nous passons, on ne veut même pas que quelqu'un nous voit » (Entretien transporteur, Agadez, 13-02- 2018).

Cette pratique de contournement des postes de police s'inscrit dans une dynamique d'adaptation face aux contraintes de mobilités. Elle rend de plus en plus vulnérable les migrants, car son parcours se fait dans la clandestinité. Le contournement des postes de police transfrontaliers est très développé en particulier au niveau du poste de Maymoujiya. Cette situation peut être liée à la dépendance des convoyeurs, à l'absence de documentation et au passage de migrants non ressortissants de la CEDEAO. Sur cet axe l'évitement des postes débute au nord du Nigéria. Ainsi, il est fréquent avec les migrants nigérians d'entendre que jusqu'à leur arrivée à Agadez ils ne sont passés par aucun poste de police.

Sur cet axe la nouvelle route consiste à éviter les postes de police tout au long de la route entre Zinder et Agadez. Les transporteurs sont contraints d'abandonner la route bitumée dans certains cas pour éviter les FDS. Une autre stratégie, est de déposer les migrants à quelques kilomètres de la ville d'Agadez. Là, ils doivent poursuivre le trajet avec les taxis-brousse en prenant le soin d'éviter les postes de contrôle.

Sur l'axe Tahoua-Agadez la même pratique est en vigueur. Les migrants choisissent de voyager par Hiace et non via les bus pour être moins visibles. À quelques kilomètres de la ville, avec la complicité des chauffeurs, ils changent de moyen de transport. La moto est alors préférée pour contourner le poste, et rentrer à Agadez comme le souligne ce migrant sénégalais.

« A 25 km d'Agadez, le chauffeur nous a fait descendre. Il a dit qu'il y a trop de contrôle et que si on nous prend, il va perdre son véhicule; on s'est même disputé, mais on l'a laissé partir. Nous étions au nombre de six. J'ai négocié un "Kabou-kabou", moto taxi pour nous amener à 22.500fcfa. Il a fait trois voyages pour nous transporter à Agadez. J'ai pris un autre

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"Kabou-kabou pour aller à Rimbo. Un Sénégalais est venu me chercher pour m'amener au foyer » (Entretien, Président des sénégalais au centre OIM, Agadez, juillet 2017).

Dans la ville d'Agadez aussi plusieurs stratégies sont développées par les passeurs pour faire sortir les migrants. Certains sortent à l'aube, d'autres en journée notamment aux heures de prières comme celle du vendredi comme le souligne un officier de police :

« Dans la ville il existe des bretelles pour la sortie des migrants qui contournent les postes de contrôle. Chaque passeur s'organise et fait son embarquement en fonction de la disponibilité des passagers. Il y a des moments de la journée qui sont choisis par les passeurs pour faire sortir les migrants de la ville. Il s'agit du vendredi à l'heure de la prière de 13h, du coucher de soleil (Maghreb) et tard dans la nuit. Ce sont des moments où les contrôles ne

sont pas fréquents ». ((Entretien, officier de police, Agadez, juillet 2018).

6.3.10 Tensions dans les lieux de transit

Dans le contexte économique peu propice à l'offre d'emploi, plusieurs évènements vont d'une manière ou d'une autre affecter la vie économique et sociale de la région d'Agadez. Il s'agit de la chute du régime de Kadhafi et de la montée en puissance des politiques migratoires restrictives. En rappel, depuis 1970 la Libye constituait une destination pour les migrants nigériens en particulier ceux d'Agadez. La région dépend des produits alimentaires et manufacturés en provenance de ce pays mais aussi des transferts d'argent, des ressources générées par la migration. La chute de Kadhafi plonge la Jamahiriya dans un chaos politique, économique, social dont les répercussions se ressentent chez les voisins du sud qui désormais doivent payer plus cher les produits venant de la Libye. Or, à Agadez, le chômage né des vagues de licenciement dans les sociétés minières a impacté le pouvoir d'achat des ménages et la fermeture des sites d'orpaillage.

Quant à l'Algérie, le contexte est marqué par la montée de la xénophobie mais aussi la restriction des migrations qui se traduit par des refoulements et expulsions de migrants subsahariens majoritairement des Nigériens. Une fois de plus, la région d'Agadez est privée d'une partie de sa rente de situation géographique.

Dans ce contexte, deux évènements majeurs redonnent espoir à la région d'Agadez. Il s'agit de la découverte de l'or dans le Djado et de l'essor de la migration de transit. En effet, au cours de l'année 2012-13 des caravaniers, découvrent de l'or au Djado aux confins de l'extrême Nord du pays. Très vite une population à la fois locale, nationale et internationale se rue vers le site. En l'espace de quelques mois, un véritable business de l'or s'installe dans la région avec des réseaux qui dépassent les frontières du Niger. Les jeunes toubous, touaregs et haoussa et même arabes profitent des revenus générés par l'exploitation de l'or pour se procurer des véhicules Hilux en provenance de la Libye à la suite de la chute de Kadhafi. Ces véhicules vont remplacer

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les dix-roues jadis utilisés pour relier Agadez à la Libye. Fort de la connaissance du désert les jeunes Toubous proposent leur service de transport aux centaines de migrants qui débarquent chaque semaine dans la région d'Agadez en vue de se rendre sur l'autre rive du Sahara et éventuellement de continuer en Europe. Le rapport de la table-ronde sur les migrations estime à plus de 300 millions les revenus de la migration dans la ville d'Agadez et, des communes comme Dirkou en dépendent largement. C'est dans ce contexte de dépendance vis-à-vis de l'or et de la migration que l'État du Niger a fermé le site aurifère du Djado par un décret présidentiel le 28 février 2017. Les populations se retrouvent ainsi privées d'une source de revenus devenue par la force des choses l'une des mamelles de l'économie locale. Les jeunes désemparés se concentrent alors sur le transport des migrants. Là aussi l'État récidive avec l'adoption de la loi 2015-36 et sa mise en application en 2016. La frustration commence à prendre forme à travers les jeunes qui se tournent vers les élus locaux.

Ce contexte est aussi marqué par l'installation des bases militaires américaines et françaises par l'ouverture du bureau Eucap Sahel à Agadez, mais aussi par la présence de l'OIM à Agadez avec son projet de retour volontaire assisté donnant plus de place à la migration de retour. En mai 2017, le HCR ouvre aussi un bureau pour offrir la protection internationale aux personnes se trouvant dans les flux migratoires.

Les licenciements d'une partie du personnel des mines d'uranium, l'installation des bases militaires, la fermeture du site aurifère de Djado et la criminalisation de la migration de transit constituent des sources de mécontentement de la population locale. Par-delà, les activités du HCR et de l'OIM orientées vers les migrants et les réfugiés au détriment de la population hôte cristallisent l'attention des couches populaires. Elles ouvrent une ère de tension et de contestation entre populations.

Dans l'analyse de la gestion actuelle de la migration au Niger quatre facteurs indirects peuvent être mis en avant pour expliquer les tensions en cours dans cette région : il s'agit de : l'application de la loi 2015-36, le séjour prolongé des expulsés d'Algérie à Agadez et des demandeurs d'asile et le faible financement du développement.

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6.3.11 L'application de la loi 2015-36

La région d'Agadez qui s'illustre par l'offre de services aux migrants est fortement dépendante des ressources générées par la migration. Pour Anacko Mohamed30, « la migration a été paradoxalement une bouffée d'oxygène pour l'économie locale à travers les emplois qu'elle génère pour la jeunesse de la région. ». C'est justement en raison de la position stratégique d'Agadez dans la circulation transsaharienne que l'État décide unilatéralement sous la pression de l'Union européenne d'appliquer en août 2016 la loi 2015-36 dans cette seule région du Niger. Selon Moussa Tchangari, acteur de la société civile, le Niger monnaye son engagement auprès de l'UE dans la lutte contre la migration irrégulière : « Les autorités nigériennes ont accepté, moyennant un financement de 50 milliards FCFA, de s'investir totalement dans la lutte contre ce que les Européens appellent «la migration irrégulière», «le trafic de migrants» et «la traite des êtres humains». Cela veut dire que le Niger va prendre des mesures pour empêcher les migrants de remonter vers le Nord, y compris au mépris des dispositions du protocole de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des biens. Cela veut dire que le Niger installera, avec l'appui des Européens, et l'expertise de l'OIM, des centres de rétention des migrants sur son territoire. » ( Discours, Tchangari, jeudi 5 mai 2016).

La mise en application de la loi 2015-36 est perçue par la population comme une tentative de les priver de leur principale source de revenus. Son caractère brusque qui se traduit par des arrestations et des emprisonnements a accentué le sentiment de révolte. Au bilan de la mise en oeuvre de cette loi, on note entre le 6 juin 2016 et le 27 septembre 2017, selon le procureur de la République d'Agadez 71 procès-verbaux, en matière de trafic illicite de migrants, 134 personnes déférées, 59 condamnations et 109 véhicules misent à la disposition du parquet31. Pour bon nombre d'acteurs, cette loi est en contradiction avec les textes communautaires car les migrants qu'ils transportent sont des ressortissants de la CEDEAO. Ils ont donc le droit de les transporter jusqu'à la frontière nord du Niger conformément au protocole de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des biens. Le fait le plus révoltant pour les populations généré par l'application de cette loi est son application sélective à la seule région d'Agadez. En effet, les transporteurs qui assurent la desserte vers la Libye et l'Algérie font le même travail que les promoteurs des gares modernes qui transportent les migrants de Niamey à Agadez.

30 Discours du Président du Conseil Régional le 24 janvier 2017 à Agadez à la signature de la convention entre la HACP et l'UE

31 Rapport de la 3ème journée nationale de mobilisation contre la traite des personnes, Agadez 2017.

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Pourtant ces promoteurs ne sont nullement inquiétés. Pour Issouf Ag Maha, Maire de Tchirozerine, la loi « est vécue comme du «deux poids, deux mesures» en ce sens que les transporteurs des migrants sur les différentes étapes avant Agadez mènent allègrement leur activité pendant que ceux des étapes après Agadez deviennent des criminels à arrêter et dont il faut confisquer le capital productif »32. En outre, les opérations d'investigation mises en oeuvre par la police pour démanteler les réseaux de passeurs et des gérants de ghettos ont participé à la détérioration des relations entre police et population locale. Bien plus, la criminalisation de la migration par cette loi a contribué à la clandestinité de cette migration de transit avec pour conséquence l'augmentation du prix de transport, la vulnérabilité des migrants, l'abandon des migrants durant le transport, le changement de route ainsi que l'augmentation du nombre des morts. En mai 2017 par exemple, «les corps de 44 migrants ont été retrouvés sans vie dans le désert nigérien. Ils sont morts de soif après avoir été victimes d'une panne de moteur. Après la Méditerranée, c'est le désert d'Agadez qui devient à son tour un cimetière pour les réfugiés (pour les migrants) »33.

Selon l'ONG Médecin du monde Belgique qui procure des soins aux migrants à Agadez, « cette tragédie n'est que la partie émergée de l'iceberg, et le désert se fait chaque mois plus meurtrier. La raison, une loi soutenue par l'Union européenne au Niger en mai 2015. Depuis son entrée en vigueur, les migrants sont forcés d'emprunter des routes inconnues pouvant -- comme dans ce cas -- s'avérer mortelles. ». L'organisation humanitaire appelle à une « révision urgente de ce dispositif ».

6.3.12 Séjour prolongé des expulsés d'Algérie à Agadez

Ville de transit depuis plusieurs décennies, Agadez n'est pas habitué au séjour prolongé des étrangers qui passent. Mais depuis le début de la crise libyenne, il est constaté le retour de plusieurs milliers de migrants qui transitent par Agadez. Dans cette perspective, H Mounkaila fait remarquer que « le phénomène de migrants «bloqués» se développe de plus en plus à Agadez. Il s'explique principalement par les expulsions, déportations et refoulements. D'après les résultats des enquêtes, 56 % des migrants enquêtés de retour de Libye ont fait l'objet

32 Issouf Ag Maha, maire élu de Tchirozérine et porte-parole des élus de la Région à l'occasion de la 3ème édition de la journée nationale de mobilisation contre la traite des personnes, les collectivités territoriales de la région d'Agadez

33 https://reliefweb.int/report/niger/44-migrants-d-c-d-s-apr-s-la-m-diterran-e-le-d-sert-au-niger-se-transforme-son-tour-en#:~:text=Les%20corps%20de%2044%20migrants)

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d'arrestation, de même que 80 % des migrants dont le dernier pays de résidence est l'Algérie » (Mounkaila, 2014, 155). Au séjour prolongé des retournés de la Libye, on adjoint ceux des expulsés d'Algérie. En effet, le gouvernement algérien procède à l'expulsion des milliers de migrants africains sur le territoire nigérien. Deux types d'expulsions sont à noter. Il s'agit des « expulsés piétons » que l'Algérie expulse sur le territoire nigérien notamment sur le point zéro qui est la borne frontière entre le Niger et l'Algérie. Ces expulsés sont le plus souvent des migrants non nigériens qui doivent faire le trajet de 15 km à pied jusqu'au poste de police d'Assamaka (Niger). C'est là que l'OIM les profile avant leur acheminent dans son centre d'Arlit.

Le second type d'expulsés d'Algérie est communément appelé « officiel ». Il s'agit des migrants nigériens que l'Algérie expulse au Niger à la suite d'un accord verbal avec le gouvernement. Pour ces cas précis le gouvernement algérien organise des convois pour leur acheminement jusqu'à Agadez, d'où l'appellation officielle. À Agadez leur séjour varie de 1 à 10 jours. Le tableau ci-dessous présente les statistiques des Nigériens acheminés par les convois officiels. On note que plus de la moitié des expulsions ont eu lieu au cours de l'année 2018.

Tableau 7 : Statistique sur les expulsions des Nigériens en provenance de l'Algérie

Phase de refoulement

Périodes

Nombre de vagues accueillies

Nombre de refoulés

Phase I

2014

5

1347

 

20

5966

 

23

11 167

 

17

11 188

Phase II

2018

70

26 645

 

Total

135

56 313

 

Source : DRPGCC/AZ

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Photo 19:Migrants nigériens expulsés d'Algérie, Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez septembre 2019

Ces expulsés, essentiellement Nigériens, ne bénéficient pas des mêmes conditions d'accueil et de transit que les migrants internationaux. Pour cause le HCR et l'OIM disent qu'ils ne relèvent pas de leur mandat. Ce sont les autorités régionales qui se mobilisent avec leurs maigres ressources pour les assister. Cela constitue également une source de tension et de frustration. Pour beaucoup d'observateurs, il est inconcevable que dans la région d'Agadez les humanitaires puissent mettre en place des dispositifs qui accordent protection et assistance aux étrangers mais qui excluent les nationaux.

6.3.13 Présence prolongée des demandeurs d'Asile à Agadez

Installé à Agadez depuis mai 2017 à travers une sous délégation, le HCR de concert avec les autorités et l'OIM identifie les personnes ayant besoin de protection internationale dans les flux migratoires mixtes. L'initiative se fonde sur le fait que 20 à 30 % des migrants qui arrivent en Europe en transitant par le Niger se voient accorder l'asile en Europe. L'approche est donc d'installer un dispositif à Agadez, ville de transit pour permettre de les identifier et leur offrir la protection sur place en leur évitant le voyage à travers la Méditerranée. De mai 2017 à juillet 2018, le HCR a identifié à Agadez plus de 2000 demandeurs d'asile. Cette population est composée majoritairement de Soudanais (88 %). En attendant la tenue des sessions de la Commission Nationale d'Éligibilité au statut de réfugiés, les demandeurs d'asile sont hébergés dans la ville d'Agadez dans 6 villas et un centre régional d'accueil composé de 4 parcelles clôturées. Ce sont essentiellement des Soudanais qui sont logés dans ce dernier site. Cet espace d'attente dont Agadez est le réceptacle est le prolongement des hotspots proposé un temps par

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le président français Macron et plus largement des politiques européennes visant à éloigner les migrants des frontières sud de l'Europe). « En soutenant l'accès à la protection et à l'intégration des réfugiés au Niger, le HCR organise un système de filtrage qui contribue in fine à l'objectif européen de réduire les arrivées à ses frontières; sinon, il se fait le relais en amont d'une politique de tri des demandeurs d'asile susceptibles d'être réinstallés» (Boyer et Chappart, 2018).

La présence prolongée des demandeurs d'asile en plein coeur de la ville d'Agadez constitue une source de tension et de conflit aux enjeux sécuritaires et sociaux. Sur le plan sécuritaire, du fait qu'une partie des Soudanais vient de Libye, certains estiment qu'ils sont des combattants et par conséquent peuvent être une source d'insécurité pour la région d'Agadez dans un contexte déjà précaire. Cette position est partagée par la société civile et les autorités. Pour ce groupe, Agadez ne saurait constituer un espace d'asile pour des combattants. Selon Rhissa Feltou, Maire de la commune urbaine d'Agadez au moment des faits, « s'il y'a bien des gens qui doivent demander l'asile ce sont bien les Libyens mais ils ne l'ont pas fait. Pourquoi devrons-nous accorder l'asile à des Soudanais ? ». (Intervention, Rhissa Feltou, Agadez, le 4 juillet 2018, Forum sur la migration mixte). La solution pour eux c'est de renvoyer les Soudanais dans leur pays d'origine ou au Tchad où certains ont été déjà reconnus réfugiés.

Sur le plan social, la tension est également entretenue du fait que dans les documents d'accord la présence des requérants de l'asile à Agadez ne doit pas durer dans le temps. C'est une situation de transit le temps mais à ce jour 8 mois aucune session de la CNE n'a été tenue. Ce qui prolonge davantage le séjour à Agadez., « nous nous sommes préparés à tenir la session de la CNE au moment où nous avions autour de 300 demandes mais l'évolution fulgurante du nombre des DA soudanais, on s'était dit qu'il fallait être prudent et voir clair dans cette affaire des Soudanais » (Intervention du Directeur général de l'état civil, des migrations et des réfugiés, Agadez, le 4 juillet 2018, Forum sur la migration mixte).

Cette présence prolongée a terni l'image du HCR et de l'OIM aux yeux des autorités communales qui estiment que ces organisations ne font pas assez pour remplir leur cahier des charges. Car la présence des demandeurs d'asile a un impact significatif sur la ville en termes d'assainissement et de pressions sur des ressources, telles que l'eau, l'électricité et les services de santé. Or, ces organisations ne font pas assez d'efforts pour accompagner la mairie à compenser ces dommages liés à la présence prolongée des demandeurs d'asile selon le Maire de la commune. Mieux, les lieux d'hébergement des demandeurs d'asile et migrants ne

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respectent pas le cadre d'assainissement de la ville en témoignent les photos (22 et 23) ci-dessous postées sur Facebook par le maire d'Agadez de l'époque Monsieur Rhissa Feltou pour dénoncer ce qu'il appelle « la nouvelle donne ».

Photo 20:Illustration des problèmes au centre des demandeurs d'asile à Agadez Crédit photo : Rhissa Feltou, Agadez, juin 2018

Photo 21:Fosse septique ouverte dans la rue au centre OIM Agadez
Crédit photo : Rhissa Feltou, Agadez, juin 2018

La tension est accentuée par le comportement des DA et migrants dans une ville conservatrice comme Agadez. En effet, les DA passent la nuit à circuler dans les rues en groupe, ce qui amène

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les populations à douter des vrais motifs de leur présence dans cette région qui a déjà connu des tensions sécuritaires par le passé. Le comportement des DA avec leur coiffure et habillement ne favorisent pas un climat de confiance avec la population locale et motive leur rejet par la population. Le voisinage des lieux d'hébergement des DA se plaint régulièrement du tapage nocturne, des violences verbales à l'égard de leurs femmes et enfants. Cette situation a été diffusée via les radios où les chefs de quartiers se sont plaints. Pour régler cette question de coexistence pacifique les autorités ont mis à la disposition du HCR un terrain de 4 ha pour loger ces pensionnaires. L'espace est aménagé à partir de septembre 2018 pour les accueillir.

6.3.14 Chômage et faible financement du développement

La situation complexe d'Agadez marquée par la fermeture des mines d'or, d'uranium et l'arrêt du business de la migration a eu un double effet : le chômage des jeunes qui étaient employés dans les mines et des prestataires de la migration ce qui a une incidence sur l'économie. Parallèlement, dans la région s'est développé un afflux des organisations non gouvernementales de la région. Ces ONG dont le mandat porte le plus souvent sur les migrants et demandeurs d'asile accordent peu d'importance au financement du développement local. Ce qui est une source de tension entre les ONG et la population locale. En outre, dans l'incapacité justifiée ou non de trouver au niveau local des profils recherchés, certaines organisations ont recours souvent au recrutement de personnel national ou international. Or, cette approche est régulièrement fustigée par la société civile d'Agadez qui saisit toutes les occasions pour dénoncer le faible recrutement dont bénéficie la région.

Chômage et faible financement du développement constituent le noeud des tensions à Agadez. Pour le cas spécifique du développement, les tensions sont portées par les autorités élues et administratives et accessoirement la société civile. Cependant, les frustrations liées à la présence des ONG sont régulièrement relayées par la société civile, les jeunes organisés ou non ainsi que des voix indépendantes.

Conclusion partielle

L'analyse de la dynamique des lieux dans le contexte d'externalisation des politiques migratoires a permis de mettre en exergue que la position géographique du Niger en tant que carrefour entre le Sahel et le Sahara a motivé son choix par les Européens. Les flux de migrants qui accèdent au Niger y transitent pour se rendre en Libye et éventuellement sur les côtes européennes. Cette dynamique est renforcée par de longues et poreuses frontières que le Niger partage avec ses voisins. Dans ce contexte et en lien avec la collaboration de l'UE, le Niger a

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mis en place un dispositif pour lutter contre la migration de transit. Celui-ci inclus le renforcement du contrôle aux frontières, le refoulement, la reconduite aux frontières et le démantèlement des réseaux. Une telle dynamique a participé aux reconfigurations d'une ville de transit comme Agadez. Celle-ci peut s'apprécier par l'émergence des nouvelles routes de transport des migrants, la baisse des flux ascendants vers le Nord, le changement des lieux d'hébergement des migrants et un changement des lieux d'embarquement des migrants ainsi que des moyens de transport. Agadez apparait de plus en plus comme une ville sanctuarisée où les sorties des migrants vers la Libye ou l'Algérie sont systématiquement contrôlés. Seuls les Nigériens y sont autorisés.

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Troisième partie : Appréhender l'externalisation à l'aune des parcours migratoires

La troisième partie traite des parcours des migrants dans un contexte d'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger. Elle met en évidence, la transformation progressive de la ville d'Agadez, point de transit historique, en espace d'attente pour les migrants voulant se rendre en Libye ou en Algérie. Par-delà, elle rend compte des conditions de retour des migrants ouest africains de Niamey à Dakar dans le cadre du retour volontaire assisté mis en oeuvre par l'OIM avec le soutien financier de l'UE. Enfin, l'ouverture de la protection internationale dans le contexte de la migration mixte à Agadez est abordée.

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Chapitre 7 : Agadez, espace d'attente pour les migrants en partance ou de retour du Maghreb ?

Au Niger, la migration de transit a connu son essor au début des années 2000. Elle va se consolider à la suite de la chute du régime du Guide libyen, interlocuteur de l'Union européenne (UE) pour le contrôle des frontières de la Méditerranée centrale. Instable et sans État, la Libye n'arrive plus à accomplir cette tâche. C'est ainsi que l'UE se tourne vers le Niger pour contenir en amont les migrants dans ce pays, afin de limiter l'accès à la Libye et conséquemment aux côtes libyennes (Boyer et Chappart 2018 ; Brachet, 2018). Dans la foulée, la loi 2015-36 de lutte contre le trafic de migrants est votée et mise en application dans la région d'Agadez. A cela s'ajoutent plusieurs actions visant à bloquer les migrants dans cette ville. Ainsi, depuis 2016, commence à émerger une forme d'attente des migrants à Agadez. Il est donc utile d'analyser comment le contexte politique particulier d'Agadez a impacté les parcours des migrants ? Et comment il a participé à créer / accentuer les situations d'attente ?

L'attente est considérée « comme un paradigme pour penser les sociétés en déplacement, pour s'interroger sur la capacité des discours, des pratiques et des infrastructures de la mobilité à créer des arrêts aussi bien que du mouvement » (Vidal et Musset, 2015). C'est dans ce cadre théorique que nous allons analyser la situation des migrants à Agadez selon 4 axes. Le profil des migrants, les facteurs de l'attente, ses manifestations et les lieux d'attentes.

7.1 Les profils des migrants ouest-africains coincés à Agadez 7.1.1 Caractéristiques socio-démographiques

Sur un échantillon de 105 répondants, les résultats indiquent que 88, 5 % sont de sexe masculin contre 10,4 % qui sont des femmes. L'âge moyen est de 26 ans. Ces chiffres cachent beaucoup de disparités. En effet, au cours de la collecte de données, il est ressorti que l'âge des migrants varie entre 18 et 27 ans. On note parmi eux la présence de mineurs, car 21 % des répondants ont moins de 18 ans à la date de notre passage.

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Photo 22 : Des migrants convoyés par OIM en attente dans la gare 3STV Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017

L'analyse du statut matrimonial des migrants révèle une large prédominance des célibataires (57,1%) contre 40,9 % de mariés et 0,9 % de divorcés. Là aussi les résultats croisés révèlent que cette prédominance s'explique par le poids des jeunes dans notre échantillon. Dans l'ensemble le profil des répondants met en exergue des jeunes, célibataires, ayant suivi un enseignement général, et originaires de l'Afrique de l'Ouest et centrale.

7.1.2 Pays d'origine et compétences linguistiques

Les répondants sont nés dans 11 pays d'Afrique de l'Ouest et du Centre. Le Sénégal, la Côte d'Ivoire et le Nigéria se distinguent dans l'échantillon. À l'inverse, le Cameroun, la Guinée Bissau et la Gambie se trouvent moins représentés. Cette sous-représentation est à relativiser, et ne peut faire l'objet de généralisation par rapport au flux de migrants transitant par Agadez. Elle correspond juste aux migrants interrogés dans un contexte de répression de la migration dite irrégulière. Toutefois, on peut noter que la migration vers l'Afrique du Nord prend de l'ampleur dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest et du centre dès le début des années 2000. « L'accroissement du nombre de migrants s'est fait avec la diversification des pays de provenance. D'abord sahélienne, elle va s'étendre à toute l'Afrique de l'Ouest, pour devenir

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une migration africaine. 4/5 des migrants transitant par Agadez vont en Libye et le reste en Algérie. Le Nigéria fournit 45% des flux » (Bensaâd, 2002). Cela s'explique par la persistance de la crise dans certains pôles économiques traditionnels qui deviennent du jour au lendemain des pays de départ (Sénégal, Nigéria, Côte d'Ivoire).

L'analyse des zones de provenance montre que les ressortissants sénégalais et gambiens viennent du milieu rural alors que les Camerounais, Nigérians, Ivoriens et Libériens proviennent en majorité du milieu urbain : Bénin City, Yaoundé, Douala, Abidjan, Freetown et Monrovia. Ce constat a été déjà fait dans certains pays sahéliens comme le confirment ces propos : « dans certains pays du Sahel (Mali, Mauritanie, Sénégal), massivement la jeunesse des villes vient rejoindre celle de contrées rurales au passé migratoire plus ancien dans un projet commun : partir au Nord. Jamais projet n'a rencontré autant de suffrages au sein d'une jeunesse tant urbaine que rurale et nourri autant de rêves, de fantasmes et d'imaginaires. Bien que plus ou moins soutenus dans cette initiative par leurs familles et les parents déjà partis, la démarche d'émigrer n'en est pas moins discrète, parfois solitaire et secrète » (Timéra, 2001).

Les migrants disposent de compétences linguistiques variées. On y dénombre le français, l'anglais en sus des langues vernaculaires comme le peul, le djoula, le wolof et le mandinka.

7.1.3 Contexte familial et économique de départ

L'examen du contexte familial de départ montre que 60,9% des répondants déclarent que leur père est en vie contre 39 % pour les mères. En analysant de près ces chiffres, on peut comprendre que l'absence du père pour 39 % des répondants peut être un facteur concourant au départ. En effet, l'absence du père de famille peut aboutir à un transfert des charges familiales vers le ou les fils en fonction de la place dans la fratrie. Or, ce dernier est donc contraint d'aller chercher des ressources complémentaires autres que l'agriculture ou qu'un emploi urbain peu satisfaisant. Il emprunte ainsi les chemins de la migration pour faire face aux charges familiales.

75,2 % des répondants avaient une occupation avant leur départ. Les emplois relèvent du secteur informel avec une dominance des emplois suivants : conducteur, petit commerçant, agriculteur et maçon. Les femmes exercent comme serveuses dans les bars ou coiffeuses dans les salons de coiffure. Le mode de paiement du salaire des répondants est journalier un tiers et mensuel, un cinquième.

La rémunération moyenne journalière des migrants est de 3 308FCFA. En moyenne, les migrants sont payés 16 333 FCFA/semaine. Le salaire mensuel moyen est de 75 714 FCFA.

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Ces montants sont en deçà des besoins des familles quand on sait que la vie devient de plus en plus chère. À cela, s'ajoute le poids familial, avec une moyenne de 7 personnes en charge par répondant.

Dans ce contexte, 42,9 % des répondants motivent leur départ par l'insuffisance du salaire. « Le jeune candidat à l'émigration reste insatisfait de l'assistance familiale qui permet de survivre, voire de vivre décemment mais sans réelle considération familiale et sociale. Cette prise en charge familiale interdit de satisfaire non seulement des ambitions personnelles, mais surtout d'entrer dans le rôle social que la société attend de lui. Aussi, le projet migratoire s'inscrit-il dans une volonté de rupture initiatique dans l'optique d'un futur retour glorieux permettant d'obtenir la reconnaissance sociale de son groupe et d'accéder à une véritable majorité sociale (Timéra, 2001, P 38).

Ces jeunes migrants ne sont pas satisfaits de leur salaire qu'ils jugent insuffisant pour satisfaire leurs besoins. Près de la moitié des répondants (45,7%) affirment avoir quitté leur emploi à cause du salaire jugé peu intéressant contre 32,3 % qui le motivent par l'absence de travail dans leur pays. Il ressort que la majorité des répondants n'ont pas accès à un travail suffisamment rémunérateur. Les motivations économiques sont des facteurs déclencheurs de la migration comme le souligne ce migrant : « Les gens quittent pour subvenir à leurs besoins. C'est la pauvreté qui pousse les gens à quitter leur pays. La principale cause de départs des jeunes c'est la pauvreté. Il y a des déceptions après les études universitaires, les jeunes se retrouvent au chômage. Ils continuent à dépendre de leur famille pour tous leurs besoins. Alors qu'à côté, les camarades qui ont quitté l'école pour l'aventure ont déjà construit pour eux et leur famille. Ils ont réussi. J'ai perdu mon père en 2004, c'est lui qui me soutenait. J'ai donc perdu tout espoir de solution sur place pour mes problèmes. J'ai donc décidé de migrer » (Entretien, Franklin, Agadez, 22 août 2018).

7.1.4 Destinations finales des migrants

S'agissant des destinations finales, la moitié des répondants veulent aller en Europe à travers la Méditerranée. Ainsi, 31,4 % ont choisi l'Italie, 8,6 % la France et moins de 5 % l'Allemagne. En fait, l'Italie est la porte d'entrée en Europe pour ceux qui y accèdent via les côtes libyennes. Ces candidats à l'immigration vers l'Europe, proviennent largement du milieu urbain, des pôles économiques comme le Nigéria, le Cameroun et la Côte d'Ivoire. Ils sont jeunes et instruits, leur rêve est d'aller en Europe. Certains ont des contacts le long de la route migratoire liant le

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Niger, l'Algérie, la Libye et même l'Europe. Selon Timéra, « le choix de la destination est rarement le fait du hasard ou de la subjectivité. Il répond à des considérations de contexte : l'existence de filières familiales déjà constituées et la disponibilité de « points de chute ». Ainsi, on part souvent pour rejoindre quelqu'un de la famille déjà installé. On peut partir parce que fonctionnent des stratégies migratoires familiales qui font que le premier arrivé permet à ceux qui le suivent (fils, frères, cousins) de « passer ». La présence dans presque tous les cas d'un membre de la famille (père, oncle, frère, cousin) dans le lieu d'immigration choisi le confirme. » (Timera, 2001).

À l'inverse, la Libye et l'Algérie sont mentionnées par la moitié des répondants comme destination finale. Il s'agit des Sénégalais et Gambiens qui n'ont pas les moyens pour financer un long voyage en Europe. Leurs objectifs sont de travailler en Afrique du Nord, d'avoir des ressources pour aider leur parent, de constituer un capital puis retourner au pays et monter une activité génératrice de revenus dans certains cas pour ne pas revenir en migration comme le souligne Monsieur I : « j'ai quitté mon pays pour des raisons économiques. La plupart de ces gens qui quittent leur pays c'est pour aller au Maghreb soit pour aller en Europe. Moi, j'ai quitté mon pays pour venir travailler et gagner de l'argent puis retourner dans mon pays et continuer mes études parce que ma famille est pauvre. Dans ma famille je suis le seul qui a étudié. Mon père est décédé, ma mère est vieille, mon grand-père n'a pas fréquenté, il ne sait pas lire. Mon cas est particulier, je suis Sénégalais, j'ai étudié au Sénégal mais toute ma famille vit en Guinée Bissau et elle ne comprend rien concernant les études. J'ai étudié jusqu'au niveau Master. J'ai entendu des gens dire que là-bas on peut gagner de l'argent dans peu de temps et revenir ». (Entretien, Ismael, Agadez, 11 février 2018).

La possibilité de trouver du travail est soulignée par 42,9 % des personnes interrogées pour choisir la destination, contre 13,3 % en vue de l'opportunité de trouver un club de football, alors que 19 % le motivent pour gagner plus d'argent.

Ces chiffres de manière relative révèlent à quel point l'eldorado européen persiste auprès des jeunes africains. La réussite du voisin, ou du cousin ayant construit une villa ou un immeuble constitue des facteurs déclencheurs du départ « L'ambition personnelle est un moteur puissant qui conduit sur les routes nombre de jeunes africains et pas seulement les plus audacieux. (Bredeloup, 2008)

C'est donc un schéma où la réussite des uns déclenche le départ des autres. En outre, de nos jours, l'immense profit que génère l'industrie du football pousse les jeunes africains à vouloir

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aller en Europe à la recherche d'un club. Du Libéria à la Côte d'Ivoire en passant par le Sénégal, le Cameroun, le Nigéria et le Togo, le mythe de devenir le prochain Georges Weah, Etoo fils, Drogba ou Adebayor, Mohamed Sallah, Sadio Mané persiste toujours dans les facteurs motivant le départ.

Ce contexte est renforcé par la puissance des réseaux sociaux qui ont considérablement réduit la distance. Le camarade ou l'ami qui quitte le village peut se retrouver en un mois en Europe. Il n'hésite pas à envoyer ses photos et partager le chemin emprunté avec ses amis restés au pays. Il va jusqu'à donner les contacts des passeurs qui lui ont facilité le voyage à chaque étape de sa mobilité. L'exemple réussi de traversée pousse toujours les amis à vouloir tenter leur chance. Comme le souligne la chargée de protection du centre de transit OIM Agadez « Le départ pour les jeunes africains est un défi qu'ils se lancent entre eux, un appel d'air entre mineurs à travers le téléphone et les réseaux sociaux. Chercher des conditions de vie meilleure et améliorer leur pouvoir d'achat telles sont les motivations ». (Entretien, centre OIM Agadez, février 2017).

7.1.5 Conditions de voyage

L'analyse des conditions de voyage relève que deux tiers des migrants voyage seul contre un tiers en groupe. La décision de partir en migration s'inscrit dans une dynamique communautaire car 22,9 % des migrants voyagent en général avec des compatriotes ou avec des amis (21 %), et marginalement avec des frères (5 %). Le voyage avec un ami ou des compatriotes s'explique par le fait qu'en général, pour emprunter la route migratoire, il faut aller avec ceux qui connaissent la route, ou en groupe pour minimiser les risques. Le taux faible de voyage avec les frères indique une dynamique de gestion de la main-d'oeuvre familiale à travers le risque de départ de tous les bras valides. Il faut donc que certains membres de la famille restent pour les travaux champêtres tandis que d'autres partent chercher les compléments qui pourraient résulter de la campagne agricole. Cette pratique permet de gérer le risque comme le soulignent Boyer et Mounkaila : « la migration apporte les ressources que ne peut plus fournir l'agriculture, permettant justement de pérenniser les systèmes locaux. Le risque est géré par le maintien de cet équilibre économique et social entre agriculture et migration. » (Boyer et Mounkaila, 2013).

En général, durant tout le voyage vers le Niger, les migrants ne font pas de connaissances. Seule, une faible proportion (28 %) indique qu'ils ont fait des connaissances. Ces chiffres restent un peu élevés lors du voyage à travers le Niger où une proportion de 35 % des répondants

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affirme avoir fait des connaissances. Cette différence s'explique par le fait que lors du voyage vers le Niger les migrants font plus d'escale ou de transit. Financièrement autonomes, ils voyagent en fonction de la disponibilité des bus et n'ont pas besoin de nouer des relations pour chercher de l'aide. Or, les migrants commencent à perdre cette autonomie financière au Niger, car fatigués par le coût du voyage et les faux frais à payer aux forces de contrôle. Ils se retrouvent dans certains cas contraints d'attendre quelques jours à Niamey en attendant un hypothétique envoi. Ce temps d'attente est une occasion de nouer des relations pour pouvoir vivre ou même se faire transporter à Agadez.

C'est à Agadez que le transit est très long. Financièrement très faibles, les migrants doivent faire face aux politiques restrictives sur la migration vers l'Afrique du Nord. Ils sont contraints donc de vivre discrètement dans les ghettos en attendant le voyage vers le Maghreb et éventuellement l'Europe. Pendant cette période d'attente, ils font des connaissances et lient des amitiés.

Les points d'entrée des migrants au Niger sont largement tributaire de la nationalité. En effet, Ivoriens, Sénégalais, Gambiens, Guinéens passent par la frontière du Burkina Faso via Téra et Makalondi alors que Nigérians et Camerounais passent par Maimougia. 81 % des migrants sont rentrés au Niger par le bus de transport. Une faible proportion indique être rentrée au Niger avec les motos pour échapper aux contrôles des pièces notamment à Makalondi frontière avec le Burkina Faso.

S'agissant du choix du Niger comme couloir de passage, 60 % des répondants le motivent par le fait que le pays est situé sur la route de la Libye ou encore c'est la seule route terrestre qu'ils connaissent pendant que certains disent qu'ils ont été conseillés à suivre cette voie.

Cependant, 10,4 % soulignent qu'ils n'ont pas les moyens de prendre l'avion tandis que d'autres expliquent qu'ils se sont vu refuser le visa.

En général, les migrants voyagent avec leurs documents de voyage. Ainsi, 78 % affirment en détenir contre 21 % le contraire. Les documents de voyage les plus présents chez les répondants sont la carte d'identité 57,14 %, et marginalement le passeport. Ce sont surtout les migrants de retour de la Libye ayant perdu tout dans ce pays qui dominent dans la catégorie des sans-papiers.

7.1.6 Financer la migration

Les sources de financement varient d'un migrant à un autre. Pour l'essentiel, les répondants ont autofinancé leur voyage et ce par diverses stratégies. Adam par exemple a mis en gage son

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champ pour concrétiser son rêve de se rendre en Libye « Quand j'ai quitté chez moi ; en tout cas ça n'allait plus. J'ai mis un petit champ en gage pour 5 ans à 1 500 000FCFA mais j'ai pris une avance de 500 000FCFA pour mon voyage. Avec cet argent, j'étais parti jusqu'en Libye » (Entretien Adam, Agadez, février 2018). Le cas de cet Ivoirien n'est pas isolé. L'ambition des jeunes de quitter leur terroir à la recherche de conditions de vie meilleures les pousse à mettre en gage leur capital de production qui est la terre pour financer leur voyage. Un autre migrant, Moussa apprenti chauffeur affirme avoir économisé 200 000 FCFA pour entreprendre le voyage. Cependant, les mauvaises informations et le caractère dynamique des conditions de voyage qui sont plus au moins aléatoires font que les migrants se contentent d'avoir l'argent requis tel qu'annoncé par leurs informateurs. Ils se retrouvent surpris par la hauteur forte des faux frais qu'ils doivent payer le long de la route. Ils sont alors obligés d'avoir recours à des parents, qu'ils n'ont parfois pas informés de leur départ, pour une assistance financière. Entre temps ils se retrouvent en attente à Agadez, faute de ressources financières.

Comme la majorité des migrants exerçaient des activités avant de partir, ce sont les revenus des activités de taxi moto, coiffure, commerce de friperie qui ont servi à financer la migration. La tontine a aussi été d'une grande utilité dans le financement du voyage.

Les migrants instruits, diplômés d'université espèrent aller en Europe afin de poursuivre leurs études. Farouk, Guinéen de 25 ans explique : « j'ai décidé d'aller en Europe pour tenter l'expérience sur la géo-mine. J'ai tenté d'avoir la bourse, je n'ai pas eu et j'ai décidé de venir comme cela » (Entretien Farouk, Agadez mai 2016). Ces étudiants se sont fait financer le voyage par leurs propres parents ou un autre membre de la famille. Toutefois, il est fréquent d'avoir des migrants non instruits dont les frais de transport sont pris en charge par des membres de leur famille.

Les principales étapes des migrants ouest-africains incluent Bamako (26, 6 %), puis Ouaga (15,2) et enfin Zinder (11,3 %) pour les migrants en provenance de l'axe Nigeria, de manière marginale Conakry et Dakar.

Au fil du voyage, les migrants passent beaucoup de temps dans les lieux de transit. C'est à partir de Niamey que les migrants commencent à passer au moins 3 jours dans les lieux de transit. Cela est à mettre en relation avec les difficultés financières rencontrées tout au long du voyage. La durée de transit va s'allonger à l'étape d'Agadez pour passer de 3 jours à une semaine voire un mois ou plus pour certains. Cette situation est à mettre sur le double compte des difficultés financières et des restrictions de voyage vers l'Afrique du Nord qui entravent les mobilités. Ce

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dernier volet a considérablement réduit l'offre de transport vers le Maghreb et fait grimper les coûts de transport. Cette situation a rendu les migrants vulnérables vis-à-vis des passeurs et autres acteurs impliqués dans l'économie migratoire. Il accroit aussi le risque d'abandon durant la traversée, car les routes balisées sont surveillées par les forces de défenses et de sécurité (FDS) tandis que sur les autres routes secondaires se retrouvent trafiquants et passeurs. Toutes ces voies font régulièrement l'objet de surveillance de la part de la patrouille mixte régionale d'Agadez. La moindre présence réelle ou supposée des FDS constitue pour les passeurs une raison valable pour abandonner les passagers afin d'épargner leur vie (répondre pénalement de l'acte) et éviter de se faire confisquer son véhicule.

7.2 Les facteurs de l'attente des migrants 7.2.1 Tracasseries routières

La moitié des répondants (52,38 %) affirme avoir eu des difficultés financières durant le trajet. Celles-ci prennent la forme de l'incapacité à payer le transport pour continuer le voyage pour 33,33 % des répondants et pour 28,57 % de l'incapacité de payer les faux frais aux FDS ; 5,71 % ont été dépouillés de leur argent par les forces de contrôle, contre près de 9 % qui disent qu'ils n'ont pas d'argent pour manger. On note que 34 % des difficultés financières relèvent des faux frais payés au cours des contrôles.

« J'ai commencé à payer les frais de route au Mali, premier poste, 1.000 FCFA; deuxième poste 1.500 FCFA, troisième poste, 1000 FCFA, dernier poste, 5.000 FCFA. Au Burkina Faso, j'ai perdu beaucoup d'argent pour les frais de route. Je ne peux même pas compter le nombre de postes. Là-bas, on paye 15.000 à 20.000 FCFA à chaque poste. Le dernier poste au Burkina, on te met dans une chambre, on te demande de l'argent. Quand tu dis que tu n'en as pas, on te bastonne. Ce sont les policiers et les gendarmes. À l'avant dernier poste, on trouve de n'importe quoi. Si tu dis que tu n'as rien, on te fait entrer dans une chambre, on te déshabille pour voir si tu n'as pas caché l'argent. S'ils ne trouvent rien avec toi, ils te retiennent. Parfois le bus laisse même des gens là-bas. Ce n'est pas bon. Nous sommes tous des êtres humains. C'est la langue qui fait la différence. On rentre au Niger, au premier poste on paye 3.000 FCFA, au dernier poste, on paye 10.000 FCFA. Que tu aies carte ou passeport ou pas, tu dois payer le même tarif. Parfois la carte même ne sert à rien. Tu payes 3.000 FCFA pour le laisser-passer. Il y un deuxième poste à Makalondi où tu dois payer 5.000 FCFA pour le laisser-passer. Là-bas où tout mon argent est terminé. Un copain m'a prêté une

somme. » (Entretien, Nouhou migrant sénégalais, Agadez, février 2018).

Les tracasseries routières participent au gonflement du budget des migrants. La difficulté avec les faux frais est qu'ils sont aléatoires et changeants comme le souligne Aziz, Ivoirien :

« De San-Pedro à Yamoussoukro on a payé 5000 FCFA. De Yamoussoukro à Niamey jusqu'à Agadez, on a payé 60.000 FCFA avec vaccination. Mais en venant, sur la route, on a eu beaucoup de difficultés. Depuis Burkina, chaque poste de police, on paye 2000, 3000, 5000 FCFA jusqu'à la gendarmerie du Burkina 15000 FCFA, 15000 FCFA, 10000 FCFA, à la frontière du Niger, nous avons payé 10000 FCFA, là-bas. Niamey-Agadez, il y a des barrages de 5000-1000 FCFA. J'ai

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quitté Côte d'Ivoire avec 200 000 FCFA. Je me suis retrouvé ici avec 50000 FCFA à Agadez. J'étais obligé de faire appel à mon père. Je ne peux pas aller en Algérie avec 50000 FCFA ». (Entretien Aziz, migrant Ivoirien, Agadez, février 2018).

Les migrants ne peuvent pas budgétiser les faux frais avec exactitude comme celui du transport. La conséquence qu'ils se retrouvent presque toujours en déprogrammation financière car ils doivent dépenser plus qu'ils n'ont prévu. Dans certains cas, ils ne peuvent ni payer leur transport ni se nourrir.

Ces deux témoignages de migrants ayant quitté le Sénégal et la Côte d'Ivoire illustrent le quotidien des passagers le long des routes qui relient les pays de l'UEMOA et/ou de la CEDEAO. Les ressortissants de ces espaces communautaires dont la libre circulation est la règle se trouvent piégés le long des routes. En effet, des fonctionnaires usent et abusent de leur position pour soutirer de l'argent à ces passagers. Le fait le plus révoltant est que souvent ces faux frais dépassent largement les frais de transport réels que les citoyens doivent payer pour se rendre d'un point à un autre. Le Niger, le Mali et le Burkina Faso se révèlent être des pays où les forces de l'ordre prennent injustement de l'argent aux passagers, malgré la possession des documents de voyages. Le cas du Burkina Faso se distingue par le nombre de postes de contrôle mais aussi l'implication des gendarmes dans ces pratiques. Le pays des hommes intègres se particularise aussi par les montants exigés aux passagers (10 000 -20 000 FCFA par personne). Les témoignages soulignent des cas de violences verbales et physiques vis-à-vis des migrants. Ces faux frais constituent des facteurs de vulnérabilité des migrants puisqu'ils impactent leur budget de voyage. Pour certains répondants, les difficultés financières commencent au Niger et très marginalement au Burkina ou au Mali. Au Niger, pour l'essentiel, ces difficultés commencent à l'entrée de la ville d'Agadez où les migrants doivent payer à la police entre 5000 et 20 000 FCFA par personne pour accéder à la ville. Après plusieurs jours de voyage, les faux frais finissent par avoir raison des budgets prévisionnels des migrants. Ils sont contraints de prolonger leur séjour à Niamey ou à Agadez le temps d'un envoi du pays pour poursuivre le voyage. Si l'hypothétique envoi n'arrive pas, ils peuvent se rendre au centre de l'OIM pour un retour dit « volontaire ».

Cette « tracasserie routière » est l'une des raisons évoquées par les migrants pour ne pas voyager avec leur argent. Elle met à mal la libre circulation dans l'espace communautaire et l'ensemble des politiques d'intégration économique pour faciliter la mobilité humaine. Notons au passage qu'elle est un facteur de frustration des citoyens africains comme en témoignent ces propos d'Issaka migrant guinéen :

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« On crie Union Africaine, mais ce n'est pas par la bouche. Sur le terrain ce n'est pas pratiqué. Si un ressortissant d'un autre pays va en Guinée, on le considère comme un Guinéen. Si un Guinéen va dans un autre pays, on le considère comme citoyen de ce pays. On doit prendre l'exemple des États-Unis ou de l'Union Européenne. Parce que maintenant, il y a des gens qui disent, si je vois un Burkinabé ou un Nigérien ou Guinéen, ça va se passer mal entre nous. Ce n'est pas bon. ». (Entretien Issaka, Agadez mai 2016).

Les migrants arrivent à Agadez financièrement affaiblis, avec aucune perspective de trouver de l'argent sur place ; ils doivent faire face à la « gourmandise » des acteurs entrant dans la chaine du transport vers l'Afrique du Nord. Il s'agit de coxers, gérants de ghetto, passeurs. A Agadez, une nouvelle étape du parcours s'ouvre celle du transit et de l'attente. Sans aucune ressource, les migrants sollicitent des ressources additionnelles au pays pour pouvoir continuer le périple. Ceux qui sont restés au pays doivent se débrouiller pour le leur envoyer et cela peut prendre un jour, des semaines ou des mois selon le cas. L'attente des fonds additionnels contribue donc à la mise en attente des migrants africains à Agadez.

7.2.2 La répression de la migration dite irrégulière

Une fois le fonds additionnel empoché, le migrant ayant, durant la période d'attente, identifié au préalable son passeur, verse l'argent nécessaire pour son voyage. Là s'ouvre, une autre étape de l'attente : celle du nombre de passagers (20 à 25 personnes) nécessaires pour entreprendre le voyage. Généralement cela ne prend que peu de jours : une semaine maximum même si cela peut se compliquer avec la répression en cours. Comme le soulignent ces propos d'Ismael, Gambien :

« Je suis arrivé à Agadez le 28 Octobre. Le 5 novembre, j'ai payé 175.000fcfa frais de transport et 20000fcfa frais de route pour les policiers et douaniers. Tu fais une provision de denrées alimentaires pour 5.000fcfa et tu payes 2 bidons pour l'eau. En tout, j'ai dépensé 200.000fcfa. On a attendu un mois, le voyage n'a pas eu lieu. J'ai commencé à avoir des problèmes avec le coxer. Nous étions 6, ils nous ont mélangés avec trois autres foyers pour atteindre 25 personnes. Nous devons quitter lundi au crépuscule mais le chauffeur a dit qu'il faut attendre mardi car il y a beaucoup de policiers dans la ville. On a attendu jusqu'au vendredi, le départ n'a pas eu lieu. Le coxer s'est caché. On l'appelait mais il était injoignable. » (Entretien Ismael, Agadez, février 2021).

Puis suit, la période de préparation du voyage dans un contexte de restriction de mobilité née de l'application de la loi 2015-36 avec pour corollaire l'essor du transport clandestin de migrants vers l'Afrique du Nord.

Cette situation a conduit au prolongement du séjour des migrants à Agadez qui, de 3 jours à une époque récente, est passé à plusieurs semaines. Par-delà, les restrictions en cours ont rendu les migrants plus vulnérables, contraints de vivre dans la clandestinité, dans les ghettos, dans un état de promiscuité totale en attendant le départ. La criminalisation de la migration vers l'Afrique du Nord constitue un facteur de mise en attente des migrants à Agadez. Car ces

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derniers éprouvent de plus en plus de difficultés à trouver des transporteurs fiables en mesure de les conduire à destination du fait des arrestations et confiscations des véhicules opérées dans les rangs des transporteurs. Dans son document d'analyse, ARCI souligne que « La criminalisation des migrants dans les pays de transit augmente au contraire le nombre de victimes, de personnes refoulées dans le désert, dans les pays d'origine, obligées d'emprunter des routes de plus en plus impraticables » (ARCI, 2018) Cette analyse se confirme au Niger.

La répression de la migration de transit a largement contribué à la « clandestinisation » de la migration vers l'Afrique du Nord d'une part et au blocage des migrants à Agadez d'autre part. Cette présence prolongée crée d'énormes difficultés à la ville d'Agadez en termes d'hygiène et d'assainissement et d'utilisation des services publics. Il est même dans certains cas à mettre en relation avec l'insécurité résiduelle que connait la ville depuis l'application de cette loi qui pour de nombreux acteurs est faite pour étouffer Agadez sur le plan économique vu son application partielle dans cette seule région du Niger.

« Dès qu'on voit un migrant à Agadez, on le prend et on le fait passer dans le désert. Car on n'a pas de travail. Il y a des bus qui amènent les migrants à Agadez. On ne les arrête pas. Mais dès qu'un Touareg les prend pour les transporter au Nord, on nous dit que c'est interdit. Nous les Touaregs on s'en fout dès qu'ils arrivent on va les transporter. Depuis 1963, on transportait les migrants à dos de chameau. Aujourd'hui on le fait avec des véhicules. La sècheresse de 1974 et de

1984 a décimé le cheptel » (Entretien Rachid, passeur, Agadez, février 2018).

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Photo 23: Le jeu de cartes pour faire passer le temps au centre OIM Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, février 2018

7.2.3 L'absence de document de voyage : un autre facteur de blocage des migrants à Agadez

Pour les migrants ayant opté pour le retour dit volontaire de l'OIM, l'absence de document de voyage constitue aussi un facteur de blocage à Agadez. En effet, une fois enregistrés dans le centre, les migrants qui disposent de documents de voyage peuvent quitter pour Niamey même le lendemain si cela coïncide avec un départ, et continuer deux jours plus tard dans leur pays d'origine. En revanche, ceux qui ne disposent pas de document, l'OIM se met en contact avec les représentations diplomatiques au Niger du pays d'origine en vue qu'il le reconnaisse comme leur citoyen et qu'il autorise l'institution à le rapatrier. Une fois l'accord de principe acquis, le pays délivre des sauf-conduits qui permettent aux migrants en question d'effectuer le voyage. Cette procédure prend souvent du temps, un mois, souvent plus pour des pays comme le Cameroun, la Gambie et la Guinée Biseau qui n'ont pas de représentations diplomatiques au Niger.

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« Depuis notre arrivée ici, on a demandé ceux qui ont des cartes. Moi, j'ai un récépissé de carte nationale d'identité qui est valable jusqu'en juin de cette année. Nous sommes bloqués ici. On ne sait pas quand est-ce qu'on va partir. Même si c'est la prison, si on te dit que tu vas faire 10 ans, tu sais qu'à la fin tu vas sortir, ton esprit est tranquille. Si tu vas faire deux mois, on n'a qu'à te dire que tu vas faire deux mois. Comme cela, tu sais qu'après deux mois tu vas sortir. Bientôt nous avons

un mois ici. » (Zbigniew, migrant camerounais, Agadez, février 2018).

L'absence de document de voyage est donc un facteur de blocage des migrants (pour le retour), car l'établissement des pièces est un circuit long qui prend du temps, un à deux mois sinon plus. Pendant ce temps le migrant reste en attente à Agadez.

7.3 Les manifestations de l'attente

7.3.1 Temps de séjour migrants à Agadez prolongé

Les manifestations de l'attente / blocage des migrants à Agadez peuvent s'apprécier à travers la durée de leur séjour dans cette ville. Les résultats montrent que pour l'essentiel, les migrants restent moins d'une semaine à Agadez à la date à laquelle nous les avons interrogés. Mais à voir de plus près ces chiffres cachent des contrastes, car les données subissent le poids des migrants de retour de la Libye dans l'échantillon. En effet, ces derniers représentent au moins 1/5 de notre échantillon et nous les avons rencontrés à la douane où ils étaient 24 h après leur arrivée.

Une deuxième proportion (17%) de l'échantillon affirme avoir passé à Agadez moins de 15 jours. Or, à l'époque où il n'y avait pas de restriction sur la mobilité vers l'Afrique du Nord les migrants s'arrangeaient pour débarquer à Agadez le vendredi ou le samedi et utilisaient le weekend pour se préparer. Le lundi matin, ils récupèrent leur argent à la banque et payent le transporteur pour quitter la ville l'après-midi. Ils font donc tout pour minimiser la durée du transit à Agadez afin de réduire leurs dépenses d'hébergement, restauration et nourriture. Depuis l'application de la loi 2015-36, la durée de séjour à Agadez varie de 15 jours à un mois pour plus de 30 % des migrants interrogés. Cette situation s'est imposée aux migrants et elle ne dépend ni de leur bon vouloir et ni de celui des passeurs. Migrants et passeurs sont victimes de l'externalisation des politiques migratoires dont l'une des conséquences directes est le blocage des migrants à Agadez. Près de 24 % des répondants affirment vivre à Agadez depuis moins de 6 mois, tout en gardant toujours l'espoir de continuer l'aventure vers l'Afrique du Nord ou de retourner dans leur pays selon le cas.

La moitié des répondants (51 %) affirment avoir investi dans le voyage entre 90 000 et 270 000 FCFA, en moyenne 225 864 FCFA. Ce sont donc des sommes importantes que les migrants mobilisent dans ce voyage pour arriver à Agadez. Ils ne peuvent en aucun cas choisir de rester

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dans cette ville si ce n'est dû aux contraintes externes. C'est pourquoi certains migrants estiment que le Niger ne joue pas franc jeu, car les autorités les laissent venir jusqu'à Agadez avant de vouloir les refouler. Or, à ce moment-là beaucoup ont perdu de leurs ressources financières. Pour eux, le Niger gagnerait beaucoup plus en leur refusant l'accès à son territoire plutôt que de les laisser traverser jusqu'à Agadez pour finir par les bloquer.

« Il fallait trouver d'autres moyens que de dépouiller les gens, parce qu'avant que tu n'arrives là-bas, tu es psychologiquement touché car tu es spolié, taxé en route. Tu n'as rien et quand tu retournes il faut d'abord payer les dettes que tu as contractées avant de quitter et ensuite lancer une nouvelle vie. Il faut accentuer le contrôle au niveau des frontières nigériennes. Vaut mieux me faire retourner depuis le Nigéria que de me laisser trop dépenser, venir jusqu'ici puis me faire retourner » (Entretien Serge, camerounais, Agadez, novembre 2017).

7.3.2 La vulnérabilité financière des répondants : une manifestation de l'attente

La vulnérabilité financière des migrants accentue davantage leur blocage à Agadez. En effet, près de 68 % des répondants affirment qu'ils n'ont pas suffisamment d'argent pour continuer le voyage. Ils ont dépensé leur argent à travers les faux frais payés le long de la route migratoire et pendant le séjour forcé à Agadez. Ils n'ont donc pas de perspectives immédiates pour s'offrir le luxe d'un voyage vers l'Afrique du Nord. C'est pourquoi nombre d'entre eux (20 %) en l'absence de perspectives s'orientent vers l'OIM, pour bénéficier de l'hébergement, de la restauration, la sécurité et in fine du retour volontaire quand les conditions dans les ghettos ne sont plus tenables, ou quand le dispositif de restriction de mobilité mis en place par l'État et ses partenaires arrive à avoir raison du migrant qui finit par abdiquer :

« Nous sortons chaque jour sauf le dimanche pour aller dans les ghettos pour faire des discussions avec les migrants. Ce n'est pas là [qu'on va dire] nous sommes là pour vous faire retourner chez vous, on parle de protection, de la détresse dans le désert, du fait d'être bloqué dans la ville. On a des outils adaptés, par exemple un album photos, à partir de photos que les migrants ont partagé avec nous sur les atrocités de la Libye, des atrocités sur la route, des bandits. On montre aussi un film qu'on montre dans le ghetto. On a aussi la BD Rêves et enfer. On a une carte qu'on donne dans les ghettos. » (Entretien OIM, Agadez, avril 2019)

Les plus déterminés (20 %) disent attendre un transfert d'argent du pays afin de pouvoir financer la poursuite de leur voyage. Pour ces migrants, « la durée de l'attente se confond avec celle de la quête d'argent » (Mounkaila2010).

Cependant, 18 % des répondants comptent travailler sur place à Agadez pour chercher les ressources nécessaires. Mais quel travail une ville comme Agadez peut-elle offrir dans un contexte de fermeture de la mine d'or du Djado et de la mine d'uranium où les jeunes vivent les affres du chômage et les effets néfastes de la répression de la migration de transit ?

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Seule une faible proportion (28 %) dispose de ressources pour continuer le voyage. Quel que soit le cas, 88, 5% des répondants affirment qu'ils ne travaillent pas à Agadez. Généralement, les femmes arrivent à trouver du travail dans les bars et restaurants. Pour les hommes, c'est surtout dans le domaine de la construction qu'ils sont employés comme maçon ou manoeuvre.

7.3.3 Les conditions de vie précaires : une autre dimension du blocage

Par rapport aux conditions de vie à Agadez, 42 % des répondants estiment qu'elles sont difficiles. Ce groupe est largement constitué de migrants ouest-africains en partance ou de retour de l'Afrique du Nord rencontrés dans les gares, les ghettos, à la douane ou encore au centre de transit de l'OIM. Ils jugent la vie à Agadez difficile pour des raisons diverses : hébergement précaire, nourriture inadaptée et de mauvaise qualité, promiscuité dans les ghettos, vie dans la clandestinité, absence de ressources et d'activités et surtout le mirage qu'est devenu le voyage vers l'Afrique du Nord. Plus les migrants s'approchent, plus la destination s'éloigne. Ces difficultés ressortent à travers les propos d'Achille, ressortissant libérien : c'est « très difficile, on ne sort pas de la maison de peur d'être raflé par la police, on a des difficultés pour assurer la nourriture, on mange une fois par jour, on se lave une fois chaque 3 jours, on est victime de vol, on a peur d'être rapatrié, économiquement dur tout est à payer » (Entretien Achille, migrant Libérien, Agadez, Février 2018).

Ces difficultés sont à mettre au compte des politiques restrictives de mobilité dont la mise à oeuvre se fait à Agadez. Dans ce cadre, la police opère des descentes dans les ghettos. Ainsi, les migrants sont mis en garde à vue au commissariat avant de se voir proposer le retour volontaire assisté. Dans l'échantillon, 16 % indiquent qu'ils se « débrouillent ». À ce niveau l'expression « se débrouiller » révèle qu'ils ne sont pas contents, mais qu'ils acceptent cependant leurs conditions de vie.

7.4 Les lieux d'attente

7.4.1 Attendre dans les ghettos

Les migrants qui jadis bénéficiaient des conditions de séjour plus au moins légales se retrouvent dans la clandestinité. Les ghettos, leurs espaces d'accueil classiques sont déclarés illégaux par la loi. Les propriétaires sont traqués et mis à la disposition de la justice. Dans ce climat, les ghettos se ferment en lien avec les arrestations ou la peur des propriétaires d'être arrêtés. Ceux qui continuent d'exercer cette activité sont contraints de changer de stratégie. Ils déménagent du centre-ville vers la périphérie moins animée où ils peuvent travailler dans la discrétion. Dans

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ce cas, ce sont en général des maisons sans voisinage qui sont choisies ou des chantiers inachevés. Certains passeurs hébergent les migrants dans les familles avec obligation d'être discrets car cela permet de brouiller les pistes pour la police.

Photo 24: Des migrants en attente dans un ghetto

Crédit Photo : B Ayouba Tinni, Agadez, mai 2016

Quelle que soit la variante, notons que l'application de la loi 2015-36 a rendu les conditions de séjour et de transport des migrants vers l'Afrique du Nord très précaires. En effet, leur séjour à Agadez se fait dans la clandestinité pour échapper à la police. Ils sont donc contraints de vivre des jours et des jours dans des maisons fermées. Leur liberté de mouvement se trouvent violées. Seul le plus ancien résident du ghetto ou le responsable lui-même peuvent entrer et sortir. Ils collectent les achats des pensionnaires et les exécutent une fois en ville. En interne, ils organisent la restauration quotidienne. Là aussi, les trois repas ne sont pas assurés. Les migrants doivent se contenter d'un repas le soir et manger le reste le lendemain comme petit déjeuner, en cas de reste. Or, avant la répression en cours, la liberté de mouvements des migrants leur permettait d'aller au marché faire leurs propres achats, dans les banques pour retirer de l'argent transféré, de travailler sur les chantiers pour se faire une nouvelle santé financière sans être suivis par la police, ce qui réduisait considérablement leur vulnérabilité économique, sanitaire et sécuritaire.

L'enfermement dans les ghettos réduit les offres de transport vers l'Afrique du Nord, ils n'ont plus la possibilité de choisir leur transporteur en fonction de sa fiabilité et de son coût. Un transporteur leur est imposé car ils sont enfermés dans les ghettos avec peu de contact avec le monde extérieur. Ils ne peuvent donc pas mettre à profit leurs réseaux ou celui de leurs colocataires pour choisir un bon transporteur et négocier le prix. De surcroit, la répression a fait

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grimper le montant à payer d'Agadez à AlGatroun de 100 000 FCFA à 300 000 FCFA voire plus entre août 2016 et décembre 2017.

7.4.2 Recourir au retour volontaire assisté

Bâti sur un espace de plus de 6 ha, le centre de transit de l'OIM à Agadez est devenu un passage obligé pour de nombreux migrants africains. Ces personnes pour la plupart rejoignaient la ville dans l'intention de continuer en Afrique du Nord. En ce printemps 2017, les entretiens avec 30 migrants au centre de transit de l'OIM montrent que pour l'essentiel ils n'ont pas de bonnes informations sur le contexte migratoire de la région marqué par une répression de la migration dite irrégulière. Cela s'explique en partie par le fait que les informations qu'ils possèdent proviennent de leurs compatriotes et amis qui ont réussi la traversée et se retrouvent au Maghreb ou en Europe. Leurs informations ne sont donc plus d'actualité compte tenu de l'application récente de la loi à partir de septembre 2016. Ce n'est qu'une fois à Agadez qu'ils découvrent la réalité comme l'illustrent les propos d'Abdallah, migrant sénégalais : « je vais retourner parce que les informations que j'ai reçues des gens qui sont revenus de la Libye ou de l'Algérie ne sont pas bonnes. Parce que d'après eux ; tu payes ton argent, arrivé à la Libye, on t'enferme, on te frappe. Et puis encore en Libye, comme il n'y a pas de président, il n'y a pas de loi, c'est le désordre total. C'est arrivé ici que j'ai su qu'il n'y a pas de président en Libye. »

A partir d'août et septembre 2016, les forces de défense et de sécurité, la justice, la chefferie traditionnelle, les autorités locales se sont engagées de manière coordonnée en vue de combattre le transport dit irrégulier de migrants vers l'Afrique du Nord en application de la loi 2015-36.

Photo 25 : Dormir une façon d'attendre dans le centre OIM Agadez Crédit Photo : B Ayouba Tinni, Agadez, mai 2016

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Dans cette dynamique, des acteurs se sont vus confisqués leurs véhicules et d'autres mis sous mandat de dépôt.

Dans ce contexte marqué par la répression de la migration en direction de l'Afrique du Nord l'Organisation Internationale pour les Migrations met en oeuvre avec l'appui de l'UE, un projet de « retour volontaire assisté » des migrants. Elle dispose d'un centre de transit d'une capacité de plus de 1000 places. Ce centre constitue l'un des espaces d'attente des migrants à Agadez. En l'absence de perspective, les migrants se tournent vers l'OIM pour s'inscrire sur la liste des candidats au retour volontaire assisté (RVA). Le RVA est un mécanisme « visant à faire partir les demandeurs d'asile déboutés et les immigrés clandestins en les faisant retourner dans leurs pays d'origine. Ce type d'initiatives, qui a débuté en Allemagne en 1970, a été largement développé (en nombre et en portée) par l'OIM au fil des années. En 2004, l'organisation a mené vingt programmes de RVA, poussant ainsi au départ des migrants dans dix-huit pays européens. » (AndRijAsevic, Walters). C'est donc cette expertise d'isolement et d'éloignements des migrants loin des frontières européennes que l'OIM met en oeuvre au Niger avec le soutien financier de l'Europe. L'analyse du profil des occupants du centre indique la présence de migrants ayant tenté la traversée du Sahara. Abandonnés en plein voyage par les passeurs à la suite de panne mécanique ou de la rencontre avec la patrouille des FDS, ils sont par la suite convoyés à Agadez où ils doivent choisir entre le « retour volontaire » de l'OIM ou l'auto-prise en charge. Les informations reçues des migrants de retour de la Libye dissuadent également certains d'y aller comme l'indiquent ces propos de Claude, Camerounais : « Les migrants qui vont vers la Libye disent qu'aller là-bas c'est se sacrifier la vie car c'est mourir dans le désert ou se faire emprisonner. Ils disent qu'arriver en Libye, même si on pense que ça va, le chauffeur qui vous a amenés, est attrapé, tapé, emprisonné et taxé par des bandits. Après t'avoir bastonné, on te remet le téléphone pour que tu appelles ton parent. Ils vont te dire la somme que tu vas lui dire d'envoyer sinon tu vas mourir en prison. Beaucoup de gens ont vécu cette situation. ».

Le second groupe qu'on retrouve à l'OIM c'est celui des migrants internationaux refoulés d'Algérie. Ils sont de deux types : les « refoulés piétons » et les « refoulés officiels ». Les premiers arrivent à pied à Assamaka généralement le vendredi et sont automatiquement pris en charge par l'OIM qui a fait construire un hangar à Assamaka pour la circonstance. Elle met également à la disposition des « piétons » des véhicules pour les amener à Arlit dans son centre de transit pour les mettre dans le circuit du retour volontaire. C'est d'Arlit qu'ils rejoignent ensuite le centre d'Agadez.

Les retournés officiels eux sont transportés d'Algérie jusqu'à Agadez par des véhicules algériens. Les non Nigériens sont triés pour être mis dans le circuit du retour dit volontaire et rejoignent le centre OIM d'Agadez. Parmi eux on note des migrants de retour de la Libye ou de l'Algérie qui faute de moyens s'inscrivent dans ce programme.

Conclusion partielle

L'étude a permis de mettre en exergue le profil des migrants. Il ressort que ce sont des jeunes, célibataires, instruits de l'enseignement général en majorité originaires de l'Afrique de l'Ouest et centrale. Certains veulent aller travailler en Afrique du Nord tandis qu'une autre partie envisage l'Europe. Ces personnes en mobilité se trouvent, malgré elles, en attente à cause des tracasseries routières avec pour corollaire les faux frais à payer, l'attente des fonds additionnels, l'absence de documents d'identité mais surtout la lutte contre la migration irrégulière. L'attente se manifeste par un allongement du temps de séjour à Agadez, la vulnérabilité financière et des

199

conditions de vie précaires. Les lieux d'attente sont les ghettos, les gares et le centre de transit de l'OIM.

200

Chapitre 8 : Niamey-Dakar : voyage avec les rapatriés de l'Organisation Internationale pour les Migrations

Installée au Niger depuis 2006, l'Organisation internationale pour les migrations a ouvert des centres de transit dans la région d'Agadez dans la foulée de la crise libyenne (2010-2011) pour mettre en place un programme de « retour volontaire assisté (RVA) ». Durant cette période, les bénéficiaires étaient essentiellement des Nigériens et ressortissants de pays tiers de retour de la Libye et de l'Algérie.

Au fil des années, avec la persistance de la crise libyenne et la politique d'externalisation des frontières européennes au Sahel, l'OIM a développé une véritable « industrie du rapatriement » à partir du Niger comme l'indique le tableau ci-dessous.

Tableau 8:Migrants ayant bénéficié d'un RVA du Niger vers le pays d'origine

Année

Nombre de personnes

2016

4

788

2017

6

461

2018

14 977

2019

16 378

2020

9

068

2021

2

484

 

Source : OIM

En effet en 2016, l'agence affirme avoir rapatrié 4 788 personnes, ce chiffre grimpant en 2017 à 6 461 pour atteindre 14 977 en 2018. En 2019, il est à 16 378 personnes et 9068 en 2020. De janvier à mai 2021, le tableau révèle 2 484 migrants ayant bénéficié du retour volontaire assisté. L'évolution fulgurante du nombre de rapatriés témoigne de l'ampleur de cette industrie qui comprend l'accueil, l'hébergement, la restauration des migrants à travers ces centres de transit (Arlit, Dirkou, Agadez et Niamey). Selon l'OIM, l'aide au retour volontaire et à la réintégration est un « soutien administratif, logistique et financier, y compris à des fins de réintégration, apporté à des migrants qui ne peuvent ou veulent rester dans le pays hôte ou le pays de transit et qui décident de retourner dans leur pays d'origine ». En fait, depuis le sommet de La Valette

201

en 2015 et la mise en place d'un fond fiduciaire d'urgence pour l'Afrique, l'OIM s'est positionnée comme un pilier fondamental dans la gestion des flux migratoires au Niger. Ainsi, l'État du Niger bloque la migration vers l'Afrique du Nord et l'OIM se charge de recueillir et rapatrier les migrants non nigériens vers leur pays d'origine. Depuis lors, on note une diversification du profil des bénéficiaires. Aux retournés de la Libye s'ajoutent les expulsés de l'Algérie auxquels s'adjoignent des migrants coincés dans la région d'Agadez du fait des politiques restrictives. On note également des migrants abandonnés dans le Sahara qui sont récupérés dans le cadre de la mise en place du projet « Migrants Rescue and Assistance in Agadez Region (MIRAA) », A cela s'ajoute des migrants (2208 personnes entre le 6 juin 2016 et le 27 septembre 2017) mis à la disposition de l'OIM par la police aux fins de rapatriement dans le cadre de la lutte contre la migration dite irrégulière. À ce groupe, on adjoint les personnes enrôlées lors des initiatives de mobilisation communautaire de l'OIM pour décourager la migration vers l'Afrique du Nord et faire la promotion du retour dit volontaire dans le cadre du projet « Migrant Resource and Response Mechanism (MRRM) ».

L'industrie du rapatriement développée par l'OIM au Niger à partir d'Agadez comprend l'accueil, le profilage, l'hébergement, la restauration, la prise en charge sanitaire, psychologique, la liaison avec les consulats et ambassades pour assurer l'accès à des documents de voyage. À cela s'ajoute la mobilisation de compagnies de transport terrestres et aériennes, d'un personnel, et des agences à l'extérieur du Niger.

Le présent chapitre rend compte du dispositif d'assistance au retour volontaire mis en place par l'OIM à partir de la région d'Agadez. Il met en relief, l'itinéraire d'un groupe de migrants ouest-africains rapatriés par l'OIM de Niamey à Dakar que nous avons suivi à partir du 6 janvier 2018. Dans le développement qui suivra, il sera question du profil des rapatriés, des motivations du retour, et des différentes étapes du parcours.

8.1 Des rapatriés aux profils divers

Dans cette partie, il sera question d'analyser le profil des migrants rapatriés par l'OIM dont l'itinéraire de Niamey à Dakar (Sénégal) a été étudié. Il s'agit de 29 rapatriés répartis comme l'indique le tableau ci-dessous.

202

Tableau 9:Répartition des rapatriés en fonction des pays

Pays d'origine des rapatries

Nombre de migrants

Burkina Faso

2

Mali

5

Guinée (Conakry)

1

Guinée Bissau

2

Sénégal

16

Gambie

3

Total

29

 

Source : notre étude.

L'analyse du tableau montre que les Sénégalais sont les plus nombreux (16) suivi par le Maliens (5). A l'inverse la Guinée Conakry est la moins représentée avec une seule personne. Ces rapatriés, nous les avons rencontrés lors de la deuxième étape de leur itinéraire dans une gare privée de Niamey. En effet, la première étape du rapatriement a commencé avec la prise en charge par l'OIM lorsqu'ils s'inscrivent dans le processus de retour dit volontaire dans leur pays. Arrivés à Niamey le jeudi 4 janvier 2018 en provenance d'Agadez, les rapatriés ont passé les journées du vendredi et du samedi au centre OIM avant d'être emmenés à la gare Rimbo le samedi 6 janvier en début de soirée. C'est là que nous les avons trouvés le samedi vers 22h.

Dans le dortoir de la gare privée, les candidats au retour volontaire sont facilement identifiables. Ils occupent le dortoir en fonction de la nationalité et du partage de langue. Ainsi, à l'entrée à gauche se trouvent les Sénégalais. Les plus nombreux du groupe, ils marquent leur présence dans le dortoir par un long alignement avec leurs bagages autour d'eux. Plus à droite se trouvent les Gambiens. Moins nombreux, ils échangent entre eux mais aussi avec certains Sénégalais en langue peule. Un peu devant les deux Bissau Guinéens occupent leur matelas et échangent quelques mots. Un peu plus dans l'angle se côtoient les 5 Maliens et les 2 Burkinabè. Dans tous les groupes, les discussions portent sur la Libye, Agadez, le centre OIM et le retour au pays. Un peu isolé, le seul Guinéen de Conakry se distingue par sa solitude. Je m'installe à côté de lui, à ma gauche, un migrant ghanéen de retour de la Libye en voie de rapatriement dans son pays d'origine. Deux profils de rapatriés se dégagent.

203

8.1.1 Les « revenus » de la Libye

L'essentiel des migrants interrogés a séjourné en Libye. La durée de séjour varie de 8 mois à 4 ans. L'âge varie de 25 à 40 ans. Ces migrants ont tous travaillé dans le bâtiment comme ouvrier, peintre ou soudeur. Certains avaient pour ambition d'aller en Italie mais ils ont échoué à l'image de Diouf migrant sénégalais de 24 ans, dont 4 ans, au Gabon comme pompiste. C'est de ce pays qu'il prend l'avion pour Cotonou puis le bus pour la Libye en passant par le Niger. En Libye, il séjourne 8 mois, dont 4 tentatives ponctuées d'échec pour aller en Italie. À deux reprises il est jeté en prison à Baní Walid, ville située dans le district de Misrata. Il passe chaque fois à peine une semaine en prison et son père envoie l'argent pour le faire libérer. Ainsi, à sa première arrestation il paye 600 000FCFA pour recouvrer la liberté. À la seconde, il paye 250 000FCFA. Fatigué il paye son billet d'avion de Tripoli pour Niamey puis se rend à l'OIM qu'il connait bien et se fait rapatrier. À la main, il tient des téléphones portables qu'il a payés en Libye pour sa mère et ses frères. Célibataire, il affirme que l'aventure n'est plus bonne. Une fois au pays il va rester pêcher du poisson avec son père.

Notons toutefois que la majorité des migrants était en Libye à la recherche de travail et ont été témoins d'ignobles atrocités. La durée en prison varie d'une semaine à 3 mois.

Constatant l'échec d'une installation en Libye ils ont décidé de rentrer au pays. Ceux qui sont restés longtemps en Libye, à l'image d'Abakar et Yacouba sont reconnaissables par les importants bagages qu'ils transportent, deux à trois valises par personne. Ils payent eux-mêmes leur transport retour jusqu'à Agadez car incapable de rejoindre l'OIM en Libye à cause de l'insécurité. Par contre, les rapatriés Issoufoulé et Fataou ont eu recours à la famille (dans le pays de départ) pour financer le voyage retour à Agadez. Ces migrants se font transporter généralement de la Libye à Agadez sans difficulté majeure. Le coût du transport varie entre 30 000 et 40 000FCFA. Toutefois, on note de plus en plus d'abandons de migrants lors du voyage retour dans le Sahara nigérien. Cette pratique est le plus souvent l'oeuvre de chauffeurs de véhicules Hilux. C'est pourquoi bon nombre de candidats au retour préfèrent les véhicules dix roues dont le risque d'abandon dans le désert est faible mais dont l'inconvénient est le temps de voyage très long. Le choix de la ville d'Agadez s'explique par le fait qu'elle se trouve sur la route de retour, la sécurité qui y règne et l'opportunité de bénéficier du RVA.

204

8.1.2 Les victimes des politiques restrictives du Niger

Le second profil est celui de migrants coincés ou abandonnés dans le Sahara nigérien 34. Ces personnes pour la plupart ont quitté les pays d'Afrique de l'Ouest et centrale pour rejoindre la Libye dans l'espoir ou pas de rejoindre l'Italie. Ressortissants d'Afrique de l'Ouest pour la plupart, ces migrants en raison de leur appartenance à la CEDEAO accèdent non sans grande difficulté au Niger qui est leur couloir de passage. Arrivés à Agadez, dernière ville à la porte du Sahara, ils doivent faire face à l'application de la loi 2015-36 qui criminalise le transport illégal des migrants vers l'Afrique du Nord. Ils se trouvent ainsi pris entre la clandestinité des ghettos à Agadez, la rigidité de l'application de la loi et l'absence de scrupule des passeurs : « Les refoulements et la chasse des candidats au départ vers le Nord par les forces de sécurité obligent une partie d'entre eux à se jeter dans les bras de marchands transnationaux de transport parfois criminels communément appelés passeurs. » (Rapport AEC, 2016). Depuis l'application de la loi 2015-36, les migrants se retrouvent coincés dans la ville sans possibilité d'effectuer le voyage. Le séjour prolongé dans les ghettos impacte aussi leur budget puisqu'ils doivent se prendre en charge (restauration, hébergement, communication). C'est d'ailleurs dans les ghettos que les mobilisateurs communautaires de l'OIM sensibilisent les migrants sur les possibilités qu'offre cette institution en termes de retour volontaire. En l'absence de toutes perspectives de voyages vers l'Afrique du Nord, ils choisissent de retourner dans leur pays d'origine malgré l'immense espoir suscité par leur départ. Néanmoins certains migrants réussissent à quitter Agadez pour la Libye malgré l'important dispositif sécuritaire. Cependant, ils sont abandonnés dans le Sahara nigérien au cours de la traversée. En effet, lors de la 5ème réunion de concertation sur les migrations, le Directeur de la Surveillance du Territoire a présenté le tableau (8) ci-dessous concernant les Migrants abandonnés et retrouvés. Ils sont alors secourus par la patrouille des FDS ou l'équipe de l'OIM. Ils se retrouvent alors rapatriés au centre OIM de Dirkou ou vers celui d'Agadez où on leur propose le retour volontaire. Psychologiquement faibles et sans ressource les migrants adhèrent au retour dit volontaire malgré eux.

34 Notons au passage que les abandons ne datent pas d'aujourd'hui

205

Tableau 10:Migrants abandonnés et retrouvés

Années

Personnes retrouvées

2017

2317

2018

442

2019

55

2020

15

 

Source : Direction de la Surveillance du Territoire 8.2 Les motivations du recours au retour volontaire assisté

Selon le profil, on distingue trois motifs qui motivent le recours des migrants à l'OIM pour leur retour au bercail : l'absence de document de voyage, les contraintes financières et les facilités de mouvement qu'offre l'OIM.

8.2.1 Absence de document de voyage

Pour la majorité des migrants interrogés, le recours à l'OIM se justifie par l'absence de documents d'identité, car beaucoup d'entre eux ont perdu leurs pièces pendant leur séjour en Libye. Or, l'OIM offre cette facilité de voyage pour les sans-papiers « Pour faciliter les retours, l'OIM se concerte avec les consulats, les ambassades et les autorités nigériennes pour obtenir des documents d'identité, car près de 77% des migrants aidés au retour volontaire n'ont pas de papiers d'identité. Ces précieux partenariats établis entre l'OIM et ces parties prenantes ont contribué à la mise en oeuvre sûre du programme d'aide au retour volontaire et à la réintégration (AVRR) du début à la fin » (OIM, 2017). En effet, les sauf-conduits qui accompagnent les migrants leur permettent de voyager librement jusque dans leur communauté sans payer les faux frais que les forces de contrôle imposent injustement aux passagers. Ainsi, Ouédraogo, migrant burkinabé de 33 ans environ, explique « j'ai perdu toutes mes pièces en Libye. Or, il est très difficile de voyager d'Agadez jusqu' à Ouagadougou sans aucun document d'identité. C'est pourquoi je me suis référé à l'OIM » (Entretien Ouédraogo, Téra, janvier 2018). Le recours à cette agence onusienne est une échappatoire au contrôle et au paiement des frais pour passer les barrières gardées par les forces de défense et de sécurité. Le convoyage par

206

le biais de l'OIM a le mérite de réduire la corruption de certains agents de contrôle au passage des migrants.

8.2.2 Les contraintes financières

Certains migrants justifient le recours à l'OIM par l'absence de ressource pour financer le voyage retour. Pour l'essentiel, ce sont des migrants coincés à Agadez ou abandonnés dans le Sahara. Ils se rabattent sur l'OIM pour s'inscrire sur la liste des candidats au retour dit volontaire.

Certains migrants de retour de la Libye affirment aussi ne pas être en mesure de financer leur voyage jusque dans leur pays d'origine. Ils saisissent donc les possibilités offertes par l'OIM, via le Retour Volontaire Assisté. En fait, pour cette catégorie c'est au cours du voyage entre la Libye et Agadez qu'ils ont appris à travers les chauffeurs qu'il y a une institution qui assure gratuitement le voyage retour au pays, et de surcroît offre un peu d'argent une fois au pays.

8.2.3 Facilité de mouvement avec l'OIM

Qu'ils soient du premier ou du second groupe, les migrants soulignent en majorité le recours à l'OIM à cause de la facilité de mouvement qu'elle offre. Franck, jeune migrant ghanéen de retour de la Libye, explique « OIM bus is very good, free movement, no paying, no police stop » (Entretien, Franck, Niamey, gare Rimbo, Janvier 2018)

Dans ce contexte ouest-africain marqué par la montée du terrorisme et ses répercussions sur le contrôle des routes, la mobilité dévient de plus en plus difficile pour de nombreux citoyens. Cette situation a favorisé le contrôle sécuritaire le long des routes et la corruption. Dans ce climat, l'OIM devient une porte d'entrée pour de nombreux migrants pour le convoyage au pays. La facilité de mobilité faite aux migrants de retour les encourage à solliciter l'agence onusienne pour rentrer dans leur pays.

8.3 De Niamey à Dakar le difficile chemin du retour

Il s'agit dans cette partie de rendre compte du voyage avec les rapatriés de Niamey à Dakar. Elle met en exergue les conditions du voyage dans les différents pays traverses.

207

8.3.1 Première étape du rapatriement : Niamey-Petel-Kolé frontière avec le Burkina Faso

8.3.1.1 Le départ de la gare Rimbo de Niamey : la première séparation

Il est 3h du matin à la gare internationale Rimbo de Niamey. L'heure de l'embarquement a sonné pour les passagers. On peut entendre à travers les haut-parleurs « passagers à destination de Ouaga, Bamako, Cotonou, Lomé...rejoignez les bus ». Dans la foulée chacun ramasse ses bagages du dortoir. Chaque passager se précipite vers le bus de sa destination. Chacun s'assure d'être au bon endroit. Les Ivoiriens se dirigent vers le bus à destination d'Abidjan ; Béninois, Togolais et Ghanéens se retrouvent devant le bus de Lomé tandis que Burkinabè, Sénégalais, Maliens, Gambiens, Guinéens de Bissau et de Conakry attendent devant le bus de Bamako. Mais avant de se séparer en fonction des destinations les rapatriés prennent quelques minutes pour des accolades entre eux avec toujours cette phrase à la fin « bonne chance, mon frère ». C'est la première étape de séparation entre les rapatriés dont les destins de certains se sont croisés au Niger dans le centre OIM d'Agadez. Ce séjour a fait d'eux une « communauté de destin » puisqu'ils sont tous candidats au retour dit volontaire.

Moteur en marche, l'agent de Rimbo se tient devant le bus où doit commencer l'appel nominatif. Derrière lui, se trouve l'agent OIM, convoyeur des migrants rapatriés. Il est reconnaissable à travers son gilet de visibilité. L'appel commence et déjà 5 passagers prennent place dans le bus. Soudain, l'agent annonce les couleurs « OIM préparez-vous », c'est-à-dire que ce sont eux qui seront appelés bientôt. Les migrants perdent ainsi momentanément leur identité individuelle au profit d'une assimilation à l'agence onusienne.

Bien qu'étant parmi les premiers à embarquer, les migrants occupent les sièges arrière du bus. Là, on note de nouveau un regroupement par nationalité comme dans le dortoir. À 4h du matin, on sort de la gare.

8.3.1.2 La traversée de la frontière Niger- Burkina Faso ou le début d'un contrôle discriminatoire

La lumière éteinte, les passagers reprennent le sommeil. C'est ainsi que le voyage continue jusqu'à l'entrée de Téra où nous faisons l'objet de contrôles de la part de la police. À la gare Rimbo de cette ville, un arrêt est marqué pour la prière de l'aube.

Arrivés à Petel-Kolé, poste de police frontalier avec le Burkina Faso, deux agents se postent devant le bus. L'agent OIM se met à côté d'eux et rassemble les laissez-passer des rapatriés. La

208

police collecte les cartes d'identité des autres passagers. Tous les passagers attendent d'un côté sous la surveillance d'un agent de police. Pendant ce temps, le convoyeur de l'OIM se présente devant le poste de police pour l'enregistrement et la vérification des laissez-passer. Les rapatriés sont autorisés les premiers à passer la frontière.

Pour les autres passagers, les cartes sont regroupées en deux lots. Ils sont tous invités à traverser la frontière. Le premier lot comprend les scolaires et les fonctionnaires nigériens qui sont invités à récupérer leur pièce d'identité un peu à l'écart du goudron. Ils récupèrent sans rien payer. Par contre, ceux du second lot comprenant des Nigériens et d'autres nationalités, ils ont dû passer sous le hangar de la police pour récupérer leur pièce. Il s'agit en fait d'un espace aménagé où la police des frontières procède à un dernier contrôle des personnes sortantes du territoire afin d'identifier les concernées. Malheureusement les agents profitent de cet exercice administratif pour dérober de l'argent aux personnes qui doivent suivre ce contrôle. En effet, tous les passagers nigériens et étrangers ont dû payer 1000 francs CFA pour passer la frontière pendant que les autres Nigériens scolaires et fonctionnaires en sont exemptés.

Carte 12 : Itinéraire des migrants de retour Niamey-Dakar

Source : notre étude

209

Le constat général qu'on peut faire de la traversée de la frontière nigérienne pour le Burkina Faso est que le convoyage de l'OIM et les sauf-conduits que détiennent les rapatriés sont plus opérationnels sur le terrain que les cartes d'identité. C'est ce qui explique les facilités que les rapatriés ont eu.

La sortie du Niger pour entrer au Burkina Faso nécessite la traversée de la frontière. Cette situation crée deux catégories de citoyens nigériens dans leur propre pays. D'une part, les scolaires et fonctionnaires qui sont exemptés de payer les 1000 FCFA dû à la police. D'autre part, les autres Nigériens (majoritairement des jeunes qui partent en migration au Burkina Faso, Mali et Sénégal) et les autres non Nigériens doivent subir le contrôle dans un espace dédié à cela. À ce niveau ils doivent payer 1000fCFA pour passer la frontière et sans reçu.

8.3.1.3 Deuxième étape du rapatriement : la traversée du Burkina Faso

8.3.1.3.1 Similitudes de pratiques administratives à la frontière entre le Burkina Faso et le Niger

Le bus arriva à Seytanga, premier village du Burkina Faso après la frontière avec le Niger. La gendarmerie demande à nouveau aux passagers de descendre pour un contrôle. Les rapatriés rechignent et demandent au convoyeur de l'OIM de présenter leur laissez-passer aux gendarmes.

Un consensus est trouvé entre l'agent OIM et les gendarmes. Les rapatriés restent dans le bus et les gendarmes passent siège par siège pour le contrôle. Chacun doit présenter son sauf-conduit. Les autres passagers quant à eux descendent du bus et remettent leurs pièces aux gendarmes qui les collectent. À ce niveau aussi les documents d'identité sont triés. Ainsi, les fonctionnaires sont exemptés de « faux frais » tandis que les autres passagers doivent payer 1000 FCFA pour défaut de carte et 1000 FCFA pour défaut de carnet de vaccination.

La route reprend et quelques kilomètres plus loin, le bus se retrouve au poste de police de Seytanga. Ici, la technique de contrôle utilisé est le rang ou « l'entrée en classe » pour citer les rapatriés. Il s'agit d'aligner les passagers en deux rangs parallèles : l'un pour les rapatriés et l'autre pour les passagers ordinaires.

À partir de leur rang, les rapatriés passent un à un au niveau de l'agent de contrôle pour présenter le laissez-passer et obtenir le quitus de rejoindre le bus. Ce contrôle se passe sans contrainte.

210

Quant aux passagers ordinaires, ils passent le contrôle un à un. Les fonctionnaires sont à nouveau triés et invités à rejoindre le bus tandis que les autres doivent payer entre 1000 à 2000 FCFA comme « faux frais ».

Tout de même une interaction se produit entre les rapatriés et les gendarmes lors du contrôle. « Tu es sénégalais ? » le rapatrié hausse la tête.

· « On sait qu'il y'a du travail chez vous, poursuit le gendarme, tu viens d'où ?

· Libye

· Tu as eu la chance on ne t'a pas tué »

Un autre migrant passe, Ouédraogo, s'adressant à son compatriote l'agent de la gendarmerie lâche : « tu laisses le travail ici, pour nous revenir avec la honte ??? »

Le constat général est que de part et d'autre de la frontière entre le Niger et le Burkina Faso, les mêmes pratiques de corruption existent aux postes de contrôle. Fait nouveau qui mérite d'être souligné c'est qu'au Burkina Faso la gendarmerie procède au contrôle des pièces d'identité des voyageurs, ce qui n'est pas le cas au Niger. Comme similitude de part et d'autre de la frontière, c'est la ressemblance des pratiques administratives.

On peut aussi noter que la mobilité est entravée par les nombreux postes de contrôle (gendarmerie, police, douane) le long de la route qui relie le Niger au Burkina Faso. Cette nouvelle situation est une réponse à la crise sécuritaire née des différentes attaques terroristes dans ces pays.

Dans les deux pays, le convoyage de l'agent OIM, les laissez-passer délivrés par le Niger à la demande des ambassades et consulats ont plus de valeur juridique sur le terrain que la carte d'identité délivrée par les mêmes États. Les candidats au retour volontaire se considèrent par leurs comportements comme des super voyageurs à cause du laissez-passer dont ils disposent. En effet, ils montrent de la résistance pour se soumettre au contrôle du fait qu'ils sont convoyés par l'OIM.

8.3.1.3.2 Ouagadougou : fin de course pour les rapatriés burkinabés

Arrivé à 16h 30 à Ouagadougou l'agent OIM se retire dans un coin de la gare Rimbo avec les deux Burkinabés qui sont arrivés à la fin de leur périple : « c'est toi et le petit-là qui vont descendre ici ? » lance l'agent de l'OIM chargé de convoyer les migrants. Oui, répondent-ils. Sur cette réponse, il donne aux deux Burkinabés retournés volontaires le contact téléphonique

211

de ses collègues de l'OIM Burkina Faso et le manifeste du voyage (liste des retournés volontaires et la lettre de l'OIM Niger).

La consigne est claire, les migrants doivent prendre attache avec l'agence de leur pays pour récupérer les frais de subsistance afin de rentrer au village. Mais le problème c'est que les deux migrants n'ont pas de téléphone. En attendant le lundi, ils doivent continuer à se prendre en charge et se loger avec les 16 000 FCFA (tableau ci-dessous) perçus à Niamey.

Quelques minutes plus tard, les deux Burkinabè se retrouvent au portail de la gare. La plus jeune lance à son compatriote « as-tu trouvé le téléphone ? », l'autre répond : « Non pas encore ». Son aîné était plongé dans une profonde réflexion sur son retour au village après deux ans d'absence mais fort de ces convictions religieuses, il lança « Dieu et grand ».

Tableau 11:Frais de subsistance donnés par l' OIM-Niger aux migrants pour le voyage de retour

Destination

Frais de subsistance

(FCFA)

Ouagadougou

16

000

Bamako

16

000

Dakar

19

000

Conakry

24

000

Banjul

24

000

Guinée Bissau

24

000

Source : notre étude

8.3.1.3.3 Traverser la frontière entre le Burkina Faso et le Mali : entre juxtaposition du contrôle, perte de privilège et tracasseries administratives

Le voyage se poursuit toute la nuit. Arrivé à Bobo-Dioulasso vers 22h, j'en profite pour échanger quelques mots avec l'agent OIM sur son travail qu'il résume en quelques mots : « nous sommes organisés en tour pour les missions de rapatriement. La mission dure 10 jours pour les convoyeurs. C'est vraiment très fatigant. Je dois conduire la mission à Dakar faire 1 jour et retourner par voie terrestre ». Sur ces mots, le chauffeur démarre pour continuer le voyage toute la nuit jusqu'à la frontière entre le Burkina Faso et le Mali (Cf. : encadré ci-dessous).

212

Encadré 3: Ttraversée de la frontière entre le Burkina Faso et le Mali

3h 30, le bus arrive à la brigade territoriale de Ter Faramana. Les passagers descendent du bus pour rejoindre le poste de la gendarmerie. De là, l'agent exige deux rangs : un pour les rapatriés et l'autre pour les passagers. Ce qui fut fait. Un troisième moins formel se forme entre les deux rangs. Il s'agit de 4 policiers nigérians de la Minusma de retour des congés qui rejoignent leur poste au Mali. En quelques minutes ils présentent leurs pièces et sont autorisés à rejoindre le poste de police situé à 100 m. L'agent OIM fait les démarches nécessaires pour les candidats au retour volontaire. Il montre le document de convoyage (lettre et laissez-passer). Néanmoins, ils sont mis au rang pour passer le contrôle. Le gendarme garde les laissez-passer et procède à l'appel nominatif des migrants. Chacun répond à l'appel de son nom pour ensuite recevoir l'autorisation de rejoindre le poste de police afin de subir un autre contrôle. Ils passent les deux contrôles sans payer.

Juste après le gendarme ramasse les cartes des autres passagers pour les remettre à son collègue se trouvant dans le bureau. Le convoyeur de Rimbo et l'apprenti pénètrent dans le bureau. Ils échangent quelques mots avec les gendarmes.

Au-dehors, sous la surveillance de deux agents lourdement armés les passagers doivent attendre l'appel nominatif pour rentrer dans le bureau et faire les formalités.

Certains ressortent et rejoignent le poste de police pendant que d'autres reviennent attendre avec le groupe. J'observe sans comprendre grand-chose. Dix minutes plus tard, le convoyeur sort du poste de gendarmerie et lança en langue Haoussa « on part vous arranger la route en prenant la direction du poste de police situé à 150 m ».

20 minutes plus tard, le convoyeur revient au poste de gendarmerie. L'apprenti lui parle en langue «il faut leur parler sinon ils vont nous perdre le temps ». Celui-ci lança aux gendarmes « Chef, on ne peut pas appeler 2-2 ? » Le gendarme répond « non, non, un à un. Si les gens adhèrent, ça va aller. Mais si les gens se mettent à parler français que ça prend du temps. »

Soudain, je suis invité à passer dans le bureau pour les formalités. J'y pénètre, l'agent regarde ma carte d'étudiant et me regarde, ensuite il me montra un billet de 2000 FCFA. Sur le bureau il avait beaucoup de billets. J'ai compris alors qu'il venait de faire payer les autres passagers. Néanmoins je tente de négocier. Chef, je suis étudiant, sans ressource. Il me

213

rétorque « Nous même on a étudié, il faut payer c'est tout ». J'ai payé les 2000 FCFA et repris ma carte pour rejoindre le poste de police

Pendant, ce temps, les passagers n'ayant pas payé les 2000 FCFA attendent dehors. Parmi eux un Nigérien fonctionnaire international avec ces deux enfants qui rejoint son poste au Mali. L'apprenti négocie, les autres passagers acceptent de payer et de rejoindre le poste de police sauf le fonctionnaire international. L'apprenti intervient mais les gendarmes restent intraitables. Il autorise l'apprenti à continuer le voyage sans eux. Il est prêt à rester sur place. Le gendarme constatant la détermination du fonctionnaire lui remet ainsi qu'à ses enfants leur carte pour rejoindre les autres passagers au poste de police.

Source : Carnet de terrain, 7/01/2018

Arrivés au poste de police, les rapatriés et les policiers de la MINUSMA ont déjà fini les formalités et ont rejoint le bus. Trois agents armés assurent la garde et deux autres se tiennent devant le bâtiment. Les cartes sont collectées au fur et à mesure de la venue des passagers. La police en profite pour collecter des statistiques sur le sexe et la nationalité des voyageurs. Ensuite, les passagers sont invités à s'asseoir sur un banc. Les cartes sont subséquemment ramenées dans le bureau. À l'appel de son nom, le passager doit rentrer régler son cas. Le convoyeur était encore là pour faciliter le passage à la frontière. À l'intérieur trois agents de police. Derrière un bureau, chaque passager doit payer 2000 FCFA.

À l'appel, je me présente. L'agent fixe ma carte et me regarde une nouvelle fois avant de dire monsieur 2000 FCFA. Je négocie : « chef je suis un étudiant ». Le convoyeur du bus lance « chef, c'est un étudiant », l'agent répond « nous même on a étudié » (extrait de carnet de terrain) L'agent me regarde à nouveau et me demande de payer 1000 FCFA. Je m'exécute, et je rejoins le bus où migrants OIM, militaires Minusma et autres passagers nous attendent. Notons qu'au poste de police le convoyeur se fâche contre un passager qui parle mal au policier pendant que lui tente d'arranger la situation entre eux. Déçu par le comportement de ce passager, il se dit néanmoins déterminé à faire son travail qui consiste à faciliter le voyage aux passagers. Il négocie avec le passager en question pour qu'il paye la somme exigée pour passer la frontière.

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Pendant ce temps le convoyeur retourne à la gendarmerie pour négocier le passage des autres passagers qui n'ont pas payé. Il fait de même à la police. Dans tout le groupe seul le fonctionnaire international et ses enfants n'ont pas payé « les faux frais ».

Les fonctionnaires et les étudiants ont donc perdu tous les privilèges auparavant acquis tout au long du voyage en termes de facilitation de mobilité.

8.3.1.4 Troisième étape du rapatriement : la traversée du Mali

8.3.1.4.1 Au poste de police frontalier du Mali : mêmes pratiques administratives

Arrivé au poste frontalier malien, l'agent de police se présente au pied du bus pour collecter les cartes. Oumar, l'un des Maliens candidats au retour volontaire sort et invite le policier à taxer les passagers au prix-fort, car au Niger on leur a fait payer beaucoup de « faux frais ». Cela suscite le mécontentement des autres passagers.

Les militaires nigérians se font enregistrer au poste de police /service émigration. Ensuite, un appel nominatif des rapatriés de l'OIM est fait en présence de leur convoyeur au guichet émigration.

Les autres passagers sont appelés dans un autre compartiment du poste de police. À la salle d'entrée dans le hall un agent de police appelle les passagers, puis indique le couloir à gauche où se trouvent deux agents. Le premier fait l'appel et remet les cartes au second. À ce niveau 3000 FCFA est exigé aux passagers sans reçu pour récupérer la carte. À mon arrivée l'agent de police me demande l'objet de ma visite au Mali : « un colloque à Bamako », il me laisse passer après que j'ai négocié de ne pas payer les « faux frais ».

8.3.1.4.2 La fouille douanière

Au poste de douane, il est demandé aux passagers de suivre les formalités de contrôle. L'apprenti du bus descend et ouvre les coffres pour permettre l'accès aux bagages à la douane et aux passagers.

Les passagers récupèrent leurs bagages pour les soumettre au contrôle de la douane. Décidé à faire subir les formalités à tous les passagers, le délégué des rapatriés maliens tente de faire sortir des coffres des valises appartenant aux militaires nigérians. Il est vite arrêté par Aicha, agent de police, qui refuse catégoriquement que sa valise soit trimbalée. Une querelle éclate entre les deux. Mais vite le consensus est retrouvé avec l'intervention des autres passagers. Les bagages des agents de la MINUSMA ne seront pas transportés au poste de contrôle ; ils

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présentent leur carte et obtiennent que le douanier parte fouiller les valises dans les coffres du bus.

L'agent OIM se présente aux douaniers pour négocier le passage. Il obtient la dérogation de contrôle pour les rapatriés qui finissent par rejoindre le bus stationné un peu devant. Quant aux autres passagers, chacun a amené ses bagages sur la table de contrôle pour les fouilles.

Toujours sur la route nous arrivons au poste de la gendarmerie. L'agent contrôle les cartes au pied du bus et les remet directement aux scolaires et aux militaires nigérians. L'agent OIM se déplace au poste pour les formalités des rapatriés. Les autres passagers doivent payer 1000 FCFA malgré la validité de leur document d'identité.

8.3.1.4.3 De Ségou à Bamako entre envie de paraitre et inquiétude du retour

Arrivée à Ségou vers 10h, une escale est faite pour permettre aux passagers de se relaxer. Les rapatriés se regroupent par nationalité pour échanger. Les uns font des achats notamment de bracelets et des articles. Les Maliens cherchent de l'eau pour se laver, il n'est pas question de rentrer à Bamako sale. Deux des cinq Maliens passent de boutique en boutique pour chercher des montres.

Plus on s'approche de Bamako, plus Issa s'inquiète. À Ségou, Il cherche de l'eau pour se laver. Il ne veut surtout pas rentrer avec cette saleté en famille. Il pose des questions sur le montant que l'OIM donne aux migrants rapatriés. Il sait que pour les Ivoiriens c'est 152 000FCFA. Il a besoin de comprendre pour peaufiner son retour en famille. Pris dans une longue réflexion il me lâche « mon frère je regrette d'avoir gaspillé mon argent accumulé au Gabon pour chercher à aller en Italie. J'ai mis plus de 700 000FCFA sur cette affaire et voilà là où je me retrouve. » (Carnet de terrain, 8/01/2018)

Ensuite, il passe un temps avec Monsieur O son compatriote pour chercher une montre. Parti depuis 10 ans sa fiancée s'est mariée à un instituteur et vit à Sikasso. Sa principale réflexion est comment rentrer à la maison après 16 ans d'absence d'autant plus il n'a averti personne de son retour.

Après Ségou, le bus marque à nouveau un arrêt pour subir le contrôle de la police. À ce niveau seul l'agent OIM descend. Il présente les documents : la liste des migrants ainsi que la note d'information. L'agent n'effectue alors aucun contrôle à l'encontre des personnes. Enfin, le bus entre à Bamako. Les Maliens visiblement très satisfaits se retrouvent à trois à côté de la porte arrière pour contempler la ville. Oumar, le plus jeune, parti de Bamako il y a 6 mois, explique

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la ville à ses ainés, l'un parti est parti il y a deux ans alors que l'autre cumule 16 ans d'absence. Sourire aux lèvres ils découvrent une ville métamorphosée par sa croissance démographique, son extension spatiale et son architecture.

Photo 26: Des rapatriés maliens retrouvent Bamako après une longue absence Crédit photo : B Ayouba Tinni, Bamako, janvier 2018

À Bamako, le bus traverse une bonne partie de la ville pour rejoindre la rive droite où se trouve la gare. Pendant ce temps, les rapatriés maliens prennent le temps de regarder la ville.

À la gare Rimbo, les passagers descendent les uns après les autres. Chacun récupère ses bagages. Les rapatriés (photo ci-dessous) Sénégalais, Bissau Guinéen, Gambien et Guinéen qui doivent continuer le parcours sécurisent leurs bagages dans un coin spécifique non loin de l'espace d'enregistrement.

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Photo 27 : A la gare Rimbo Bamako

Crédit photo : B Ayouba Tinni, Bamako, janvier 2018

8.3.1.4.4 Les rapatriés maliens : de l'espoir au désenchantement

Arrivés à destination, les Maliens se réunissent avec leurs bagages pour la suite de l'aventure. Issa profite de ce temps pour se laver. Il change d'habit pour s'endimancher, se met en costume et jean. Sous le hangar, le jeune Oumar l'observe attentivement. Il ne peut s'empêcher de rire de son ainé qui prend beaucoup de temps pour peigner ces cheveux. Irrité par les hilarités de son cadet Issa lança : « ce n'est pas toi, qui as dit que même si on n'a pas l'argent on ne doit pas le montrer aux autres ? » (Carnet de terrain, 7/01/2018). Dans le « retour volontaire » il faut paraitre, à tout prix paraitre, malgré la forme d'échec qu'il suppose. Pendant ce temps, les autres rapatriés ayant fini de se laver cherchent individuellement ou en groupe de quoi déjeuner. Le groupe de Maliens se retrouve pour discuter de leur cas. La question aux lèvres, est combien vont-ils recevoir comme frais d'installation quand soudain un véhicule 4x4 pénètre dans la gare avec à son bords deux agents de l'OIM-Mali. Ils prennent contact avec leur collègue convoyeur qui leur remet la liste et la note verbale. Le convoyeur se met de côté. Les deux agents se retirent sous un arbre. Assis sur un banc, ils appellent les Maliens deux à deux (photo ci-dessous).

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Photo 28 : Les agents de l'OIM Mali échangent avec les migrants rapatriés

Crédit photo : B Ayouba Tinni, Bamako, janvier 2018

Une batterie de question leur est posée sur leur identité, l'itinéraire, une photo est prise au moyen de tablette et ensuite une enveloppe blanche leur est remise. En amont, le retourné volontaire doit poser son empreinte digitale sur la fiche d'émargement. En 30 mn, le sort des Maliens est scellé par l'OIM. Ils reçoivent chacun 52 000FCFA comme frais d'installation. Omar, délégué du groupe est mécontent car le montant est dérisoire selon lui. Il veut l'exprimer devant les agents de l'OIM, mais ses camarades l'en dissuadent. Il faut éviter à tout prix une discussion inutile. Soudain, un monsieur se présente. Il s'adresse aux agents de OIM : « je suis.........X de la DGSE (Direction générale des services extérieurs), je voulais avoir le manifeste de la mission ». La sécurité s'invite aussi dans l'accueil des rapatriés. Cet agent effectue des interviews individuelles informelles avec chacun des cinq Maliens. Les questions portent sur leur identité, leur parcours et leur projet de retour dans leur pays. Issa, désoeuvré raconte ainsi son cas : « Je suis bachelier je compte vraiment faire le test pour rentrer dans la police ou la gendarmerie ». L'agent de police l'encourage avant de prendre congé.

Après le départ des agents de l'OIM et de la DGSE, les cinq Maliens se retrouvent en compagnie des autres migrants pour manifester leur mécontentement face au 52 000FCFA reçus. Déçu Issa lance : « voilà pourquoi tous ceux qui sont partis ne donnent pas de nouvelles. Le Mali est un pays pauvre qui vit de misère. Sinon, comment on peut nous donner 52 000FCFA alors que les Ivoiriens reçoivent 152 000FCFA » (Carnet de terrain, Bamako, le 7-01-2018). En fait, les rapatriés jusqu'à leur arrivée à Bamako ne connaissaient pas la somme qu'ils allaient percevoir de l'OIM. Ceux qui les ont précédés ont toujours promis de les informer mais n'ont pas tenu parole. La seule chose qu'ils savent, est que les Ivoiriens bénéficient de 152 000FCFA à leur

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arrivée. Ils pensaient à ce titre percevoir une somme semblable et pas réduite au tiers. C'est à juste titre que les 5 Maliens se mettent ensemble pour critiquer leur gouvernement et l'OIM. Quelques temps après Oumar et Issa deux retournés volontaires maliens tirent leurs valises pour sortir de la gare. Ils reviennent de la Libye. Ils sont de Sikasso et Ségou. Ils doivent payer des frais de voyage pour retourner vers leur famille. Mais pas dans l'immédiat, ils décident d'aller en ville à Bamako passer quelques jours avant de retourner au village.

Oumar, le plus jeune, n'a pas de bagage. Cigarette en main, il tient un sac à main et fait au revoir aux gens avec un autre compatriote. Les deux ont leur famille à Bamako.

Des 5 Maliens rapatriés, seul Issa reste dans la gare (encadré sous dessous)

Encadré 4 : Un difficile retour en famille

Après le départ des compatriotes, la situation devient compliquée pour Issa. Il regarde son sac qu'il trouve un peu vieux et décide de le renouveler. Il sort et paye un nouveau sac. Il s'arrête devant les agents de la gare Rimbo assis sous un arbre et lance à nouveau « je regrette mon argent que j'ai pris de Libreville pour mettre dans cette aventure. Il raconte son histoire. J'étais au Gabon je vendais des véhicules. Ça marchait pour moi. Les gens de ma famille m'appelaient je leur raccrochais au nez. La seule personne à laquelle j'accordais une importance c'était ma fiancée. Elle était étudiante. Je lui envoyais chaque mois 100 à 200 000FCFA. Les gens de ma famille je leur raccrochais au nez, je parlais mal aux gens et je changeais de numéro fréquemment. Même le décès de ma mère en 2013 ne m'a pas ramené dans cette ville. J'avais de l'argent et je faisais la belle vie. Il y a quelques années j'ai fait le même voyage jusqu'au Maroc pour aller en Espagne. J'étais à Melilla avant d'être refoulé au Mali. Comme j'avais laissé de l'argent au Gabon, on m'a envoyé pour retourner au Gabon sans que ma famille ne sache que j'étais à Bamako. À Libreville, j'ai repris la vente de véhicules tout marchait très bien. Je continuais ma belle vie tout en négligeant ma famille

En 2013 ma maman a rendu l'âme. Je ne suis même pas venu pour les condoléances. Mon business marchait, et j'ai encore eu l'idée d'aller en Italie en passant par le Niger. J'ai donc pris l'avion de Libreville à Cotonou. De là j'ai pris le bus pour Agadez en passant par Dosso. La route n'a pas été facile les frais que la police me demandait de payer ont réduit considérablement mon budget. J'arrive après quelques jours de séjour, je trouve un passeur qui promet de m'amener en Libye. Mon argent était insuffisant, j'étais obligé de faire appel

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à la famille au Mali. J'ai appelé mon grand frère pour lui dire que j'ai besoin d'un appui financier pour continuer mon périple en Libye. Mais personne dans la famille ne voulait m'assister. Seul le grand frère m'a fait un geste. Je paye 250 000 FCFA. Nous quittions Agadez nuitamment ; après une journée de voyage, le chauffeur nous abandonne dans le désert. On y passa une nuit avant d'être retrouvé par la patrouille militaire. Nous sommes rapatriés à Agadez au centre OIM où on nous propose le rapatriement au pays. Comme j'ai tous mes papiers au complet j'ai passé deux semaines au centre avant de quitter pour Bamako. Voilà comment je me suis retrouvé dans ce bus pour Bamako avec l'appui financier d'OIM. Honnêtement, je regrette pourquoi j'ai quitté Libreville pour mettre mon argent dans cette aventure.

Après ce bref tour d'horizon, Issa réfléchit sur quoi faire. Il lâche : est-ce que je peux prendre un motel avec cet argent ? Les gars de la gare le dissuadent, il avance l'idée d'aller chez un ami. Il est une fois encore dissuadé. On lui propose d'aller chez sa grande soeur. Issa se rappelle avoir mal parlé à cette soeur et ne trouve pas le courage d'aller chez elle. Finalement, il décide d'appeler son frère ainé pour lui dire qu'il est à Bamako. Celui-ci commerçant est en déplacement, néanmoins il permet à son frère d'aller s'installer dans sa famille en attendant son retour. Issa trouve ainsi une solution à son cas. Il prend son sac au dos et souhaite bon voyage aux autres rapatriés. Aujourd'hui, Issa se trouve en Espagne après un séjour en Mauritanie.

Source : carnet de terrain, Bamako, 7-01-2018

Pendant ce temps dans l'autre coin de la gare les migrants gambiens, sénégalais, bissau guinéens et guinéens qui doivent poursuivre le voyage ensemble se retrouvent autour d'un thé. Ils sont presque tous contents de quitter cet épisode de leur vie pour retourner au pays. Néanmoins, ils auraient préféré ne pas retourner au pays dans la précarité. Ces chefs de famille doivent braver toute la charge sociale relative à un retour de migration dans une extrême précarité pour faire face à la honte du retour, aux dettes contractées pour entreprendre le voyage et aux séquelles traumatisant causées par un séjour en Libye, la traversée du désert et la vie au centre OIM à Agadez. Ils doivent aussi se battre pour se faire une place au soleil au village, pour se réintégrer socialement, économiquement et culturellement. C'est là que l'OIM et les structures étatiques sont en train de faillir, car visiblement aucun dispositif n'est prévu dans les communautés pour

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faciliter la réinsertion sociale, économique et culturelle de ces retournés. Ce qui intéresse l'OIM et ses partenaires c'est que ces migrants ne parviennent pas en Europe. Tant qu'ils sont hors de cette sphère de transit, l'OIM ne se soucie guère de leurs conditions de vie dans leur pays d'origine. Or, l'accompagnement psychologique et économique est aussi important.

8.3.1.4.5 Vers une solidarité entre rapatriés

Il est 17 h, le bus de la compagnie malienne Polana qui devrait transporter les autres migrants jusqu'au Sénégal entre dans la gare. Pendant ce temps le responsable de Rimbo donne les frais de transport nécessaire à Aboubacar Camara l'unique Guinéen de Conakry pour prendre le taxi de brousse et rentrer dans son pays. Il prend sa valise, son sac au dos en quittant la gare Rimbo après un au revoir aux autres migrants qui font leur entrée dans le bus. Mais malheureusement, certains n'ont pas de place puisque le bus est venu avec des passagers. Les rapatriés se fâchent et l'un d'entre eux lance : « Nous sommes ensembles OIM, si une seule personne manque de place on descend ». Le chauffeur intervient « calmez-vous, vous allez trouver des places. Et de rajouter OIM, descendez, on va compter ». Tous les passagers descendent pour être recompté ; avant de remonter, les passagers OIM n'ont alors plus de problème de place.

Le bus quitte la gare de Rimbo vers 18h pour Dakar, à ce niveau on peut noter que dans le bus se trouvent des migrants nigériens qui partent au Sénégal pour exercer dans la dibiterie. Dans le bus se côtoient rapatriés et migrants.

Le voyage continue toute la nuit. Au petit matin, une pause prière est marquée à Kayes. Juste avant l'embarquement, Youssouf, leader des rapatriés se plante devant le bus pour que celui-ci ne laisse pas ses camarades.

Je profite de cette pause pour échanger quelques mots avec les migrants. Je me tourne alors vers Chérif resté très silencieux et timide durant tout le voyage. Seul fils d'un couple sénégalo-gambien, âgé de 34 ans, marié avec 2 enfants qui vivent en Gambie, il a passé 18 mois en Libye où il s'est fait torturer. Il a alors décidé de rentrer au pays après 18 mois sans envoyer aucun franc à sa famille. Arrivé à Agadez, il s'inscrit au centre OIM pour se faire rapatrier. Il n'a informé personne de son retour. Avec les fonds que l'OIM va lui donner une fois à Dakar, il compte donner une partie de l'argent à son père et à sa femme. L'autre partie il prévoit de payer de la friperie pour faire du commerce et commencer une nouvelle vie.

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Pendant 18 mois en Libye, il n'a pas pu appeler son père. Il prend de ses nouvelles via un ami qui travaille dans une agence gouvernementale gambienne. Pour son retour au pays, cet ami a envoyé de l'argent à Shérif pour que se celui-ci paye un téléphone à sa femme.

Il a été torturé par ses geôliers en Libye pour qu'il appelle au pays afin d'envoyer l'argent nécessaire à sa libération. Il a préféré souffrir de la torture et épargner son père malade. Il n'a donc pas donné de numéro.

Candidat au rapatriement, Chérif, n'a appelé ni femme ni parents pour annoncer son retour. Il affirme à cet effet : « It is not easy, 18 mois sans envoyer aucun franc ».

8.3.1.4.6 De Kayes à Diboli (frontière Mali/Sénégal) entre tracasseries administratives et pratiques corruptive

Le bus est arrivé à l'aube au poste de police frontalier de Kayes. Là, à la sortie du bus un policier récupère les cartes et se retire dans leur hangar. L'agent OIM présente la note verbale et les sauf-conduits. Les détenteurs sont exemptés de contrôle. Par contre ceux ayant la carte doivent passer au hangar pour les formalités. L'agent OIM présente sa liste sur laquelle figure son nom ainsi que ceux des autres migrants détenteurs de carte pour pouvoir les récupérer. Les autres passagers doivent payer 1000 FCFA afin de pouvoir continuer.

Arrivé au poste de Diboli, l'agent de police vient au bus récupérer les cartes. Les rapatriés détenteurs de laissez-passer sont invités à rejoindre le bus. Cependant, ceux possédant des pièces d'identité sont amenés au poste de police. Les voyageurs sont invités à s'asseoir pour attendre l'appel. Soudain arrive un adjudant-chef de la police : « je viens voir la liste des refoulés ». Il vérifie les noms en commençant par le convoyeur de l'OIM : « Toi, comment t'appelle-tu ? Il retrouve le nom sur la liste et demande à son collègue de lui remettre sa carte. La même méthode est appliquée aux autres rapatriés. En revanche, les autres passagers doivent payer 1000 FCFA pour passer la frontière.

8.3.1.5 Le Sénégal, 4ème étape du rapatriement ou la grande séparation 8.3.1.5.1 Vers une obsession du paraitre

Le bus entre au Sénégal par le poste douanier de Guidara. Les rapatriés en particulier les Sénégalais se procurent des puces de téléphone, se font identifier, payent des lunettes et des écouteurs. Ils préparent leur retour dans leur communauté. Ils en profitent aussi pour s'échanger leur numéro. Après 2 ans d'absence ils constatent que leur puce est coupée par l'opérateur

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orange et ils doivent reprendre une nouvelle puce pour échanger des numéros WhatsApp et Facebook avec leurs amis.

Ils profitent de cet arrêt de bus pour payer des Power Bank, de l'eau minérale. Ils veulent paraitre une fois à destination. Les rapatriés travaillent leur image à travers la téléphonie et les accessoires.

8.3.1.5.2 Au poste de police de Guidara un sérieux contrôle des rapatriés

Au poste de police frontalier de Guidara, le bus est à peine stationné qu'un policier vient ramasser les pièces d'identité, l'agent OIM collecte les laissez-passer qu'il remet au policier. Les voyageurs sont invités à rentrer dans l'enceinte du commissariat et à attendre l'appel pour récupérer leur pièce. On pénètre dans la cour du commissariat pour attendre la fin des formalités. Les laissez-passer des rapatriés sont traités dans une salle par le commissaire pendant que les autres documents sont traités dans une autre salle moyennant 1000 FCFA et un reçu attestant que l'on est passé au commissariat.

C'est à l'entrée du Sénégal seulement que les autres passagers ont eu leurs documents avant les rapatriés de l'OIM. Tout indique un examen à la loupe des pièces des migrants. Le commissaire lui-même sort et, appelle les rapatriés un par un. Il pose des questions sur la région d'origine et le travail au pays avant le départ. Il semble que la Présidence a instruit une demande pour collecter ces informations afin de les aider à trouver du travail une fois au pays.

Un agent monte dans le bus pour vérifier effectivement si tous les voyageurs sont passés par le poste de police. Pour cela il vérifie les cachets d'entrée sur le territoire et les tickets remis au commissariat pour les détenteurs de carte d'identité.

Arrivé à Tambacounda le chauffeur se dirige vers la gare routière de cette ville. C'est là que les deux Bissau Guinéens quittent le bus. Devant une boutique le chauffeur marque un arrêt. Très vite les passagers sortent pour se détendre. L'agent OIM prend place sur un banc. À sa droite, le leader des rapatriés s'assied à ces côtés (photo ci-dessous). Devant eux se tiennent les deux rapatriés arrivés au point de séparation. Ils leur remettent la note verbale, la liste et des contacts de l'OIM de la Guinée Bissau qu'ils doivent appeler une fois à destination. Poignées de main, sourires, les rapatriés souhaitent bonne chance à leurs deux compagnons de route. La compagnie Polana fait le nécessaire à la gare en termes de paiement des frais de transport.

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Photo 29 : Mise en route des deux Bissau guinéens Crédit photo: B Ayouba Tinni, Tambacounda, 8-01-2018.

À la sortie de la ville de Tambacounda, les passagers doivent se soumettre au contrôle de douane. Là, l'agent OIM présente le laissez-passer. Il obtient gain de cause pour les rapatriés. Les autres passagers ayant dédouané leurs biens confient à l'apprenti chauffeur le soin de cacheter leur document auprès de l'administration de la douane. Le même système est appliqué au poste de douane de Koumentoum, Kiffirnie.

8.3.1.5.3 Kaolack : les Gambiens se détachent du groupe

21h, le chauffeur s'arrête à Kaolack au siège de la compagnie de transport Polona. Trois (3) Gambiens quittent le bus pour continuer leur voyage vers leur pays. Trois valises et deux sacs de garins yayi zahi (la galère en ville en langue haoussa) sont enlevés de la soute du bus. L'agent OIM les appelle à l'écart. Ils sont vite rejoints par les rapatriés sénégalais pour l'au revoir. L'émotion est grande. L'agent OIM fait sortir une copie de la note verbale ainsi que la liste qu'il remet à l'un des rapatriés gambiens avec la consigne suivante « A chaque poste de contrôle faites sortir vos laissez-passer et remettez ce papier. Une fois en Gambie il faut passer au bureau de l'OIM » (Cahier de Terrain, Kaolack, le 8-01-2019).

L'agent local de Polana se présente : « où sont les passagers ? », « Les voilà. Ils sont 3, répond l'agent OIM, vous devriez assurez leur transport jusqu'en Gambie ». (Cahier de Terrain, Kaolack, le 8-01-2019).

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8.3.1.5.4 Un groupe homogène arrive à Dakar

Arrivé à la gare de Dakar vers 0h30mn, fatigué mais heureux, les 16 Sénégalais (photo ci-dessous) récupèrent leurs bagages.

Photo 30 : Arrivés à Dakar des rapatriés Sénégalais Crédit photo : B Ayouba Tinni, Dakar, janvier 2018

Pendant ce temps le convoyeur de l'OIM prend contact avec le commissariat de police de la gare. Il obtient l'autorisation de passer la nuit avec les migrants derrière le commissariat. Certains se dirigent vers le lieu indiqué alors que d'autres se promènent dans la gare. Le convoyeur négocie les nattes de la prière de la compagnie Diallo voyage pour servir de couchettes au groupe. Le principe est acquis mais il faut à l'aube les ramener, car les gens doivent prier sur les nattes. Les migrants sont mécontents de dormir en plein air et ils ont deux nattes pour 16 personnes. Ils chuchotent qu'ils ne comprennent pas, car les compatriotes qui les ont devancés ont loué des chambres pour dormir et le lendemain l'OIM a remboursé.

Le lendemain, les agents de l'OIM-Sénégal arrivent à la gare. Ils profilent les rapatriés avec des tablettes sur leur itinéraire, les raisons du retour avant de remettre à chacun une enveloppe d'une centaine de mille FCFA. La présidence du Sénégal envoie une équipe pour recueillir les informations sur les rapatriés notamment leurs aspirations en matière de travail. Les rapatriés se séparent ainsi à la gare de Dakar après un périple depuis Agadez. Ils échangent leurs numéros, des profils Facebook ou WhatsApp pour rester en contact. Chacun prend son destin en main pour retourner en famille. Sur leur visage contrastent tristesse et joie. Bien que la majorité d'entre eux n'habitent pas à Dakar, ils choisissent de séjourner quelques jours dans la capitale avant de regagner la famille.

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8.3.1.6 Entre usage abusif de la note verbale et mauvaise coordination

Tout au long du trajet Niamey-Dakar, on note un abus de l'usage du sauf-conduit qui est fait. Ainsi, à chaque passage de douane ou autre poste de contrôle les chauffeurs du bus ou le convoyeur tentent d'user de ce document pour soustraire les candidats au retour volontaire à tous contrôles. La coordination entre les équipes nationales de l'OIM pour l'organisation du retour est aussi faible. Ainsi, au Burkina Faso par exemple les rapatriés arrivés un weekend à Ouagadougou sont contraints de passer la nuit dans cette ville avant de rejoindre leur village. Or, aucune disposition en matière d'hébergement n'est prévue à cette fin.

À toutes les étapes, la mauvaise organisation impose aux rapatriés des dépenses inutiles et du temps perdu. Ils sont obligés d'aller jusqu'à la capitale pour être profilés par l'OIM du pays et recevoir les frais d'installation. En effet, du Burkina Faso au Sénégal en passant par le Mali, de nombreux rapatriés n'ont pas nécessairement besoin d'aller à la capitale : quelqu'un de Ségou au Mali que l'on dépose à Bamako doit payer encore 6000 FCFA dans ces 52 000 FCFA pour retourner dans cette ville, que le bus traverse pourtant lors du voyage. Il en est de même des gens de Kolda au Sénégal qui sont déposés à Dakar. En outre, la mauvaise coordination fait qu'aucun dispositif d'accueil n'est prévu pour les migrants sénégalais arrivés au cours de la nuit. Ils sont contraints d'improviser leur hébergement, tout comme l'agent de l'OIM.

L'autre constat général que l'on peut faire de l'itinéraire Niamey-Dakar c'est la persistance des tracasseries routières et l'ampleur des « faux frais » qu'on impose aux passagers. Ainsi, le Niger et le Burkina Faso s'illustrent par la soustraction des fonctionnaires et scolaires au paiement de ces « faux frais » hormis à la frontière Burkina Faso-Mali.

Le Burkina Faso se particularise par le nombre de postes de contrôle, la juxtaposition des postes de police et de gendarmerie, le contrôle des pièces d'identité par la gendarmerie qui n'hésite pas à imposer des « faux frais » aux passagers. Cette situation fait du pays des hommes intègres l'espace où les passagers souffrent le plus tout au long de leur itinéraire. Au Mali, les mêmes pratiques corruptives existent. Cependant, elles sont l'apanage de la police uniquement. Les gendarmes ne contrôlent pas les pièces d'identité. Le Sénégal semble être un grand boulevard de la libre circulation. De Guidara à Dakar un seul contrôle des pièces d'identité au poste de police frontalier a été sanctionné par le paiement de 1000 FCFA ; aucun contrôle n'a lieu pendant tout le reste du voyage. Les passagers ayant préalablement dédouané leurs bagages à la frontière doivent se contenter d'un cachet au fil des postes de douane, ce qui ne prend en

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général que quelques minutes. L'autre constat est le respect tout au long de l'itinéraire des sauf-conduits par les agents de contrôle.

Conclusion partielle

Le profilage des rapatriés de l'OIM a fait ressortir que certains sont revenus de la Libye et d'autres sont des victimes des politiques de lutte contre la migration irrégulière. Ce constat ne peut faire l'objet de généralisation puisqu'il ne repose pas sur des données recueillies auprès de tous les rapatriés mais plutôt sur une vingtaine de personnes avec lesquels nous avons voyagé et échangé entre Niamey et Dakar.

L'analyse révèle que ces personnes se sont orientées vers l'OIM pour bénéficier du retour volontaire pour plusieurs raisons dont l'absence de document de voyage, les contraintes financières et les facilités de mouvement avec l'OIM.

Voyager avec les retournés volontaires dans leur pays d'origine a permis de se rendre compte aussi des difficultés de mobilité sur l'axe Niamey-Dakar en raison des nombreux postes de contrôle qui sont sur cette route, des faux frais que les voyageurs doivent payer. Il a aussi permis de comprendre le contexte moral et psychologique dans lequel retournent ces personnes. Absent depuis des mois voire des années, sans perspective, ils sont contraints de revenir dans certains cas bredouille malgré l'immense espoir suscité par leur départ.

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Chapitre 9 : Ouvrir la protection internationale dans le contexte des mouvements mixtes

Le présent chapitre aborde l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger (Agadez) sous l'angle de la protection. La porte d'entrée de l'analyse regroupe à la fois les acteurs institutionnels et ceux au nom desquels le dispositif est mis en place, c'est-à-dire les réfugiés et les demandeurs d'asile, plus globalement les personnes en demande protection internationale. En sus, des entretiens avec les acteurs mentionnés, des données secondaires sont mobilisées pour mieux comprendre les caractéristiques sociodémographiques de la population étudiée. Un regard est porté sur leur parcours, les motivations de la requête, le choix du Niger, la vie des personnes concernées et les perspectives en lien avec l'octroi ou non du statut et l'accès aux solutions durables. L'espace témoin de cette étude est la région d'Agadez, point de passage des flux en partance ou de retour de l'Algérie et la Libye (Bensaad, 2003 ; Bredeloup, 2005 ; Brachet, 2014). Si bon nombre de personnes se déplacent pour des raisons économiques, une proportion non négligeable est contrainte de fuir des persécutions, des violences généralisées et se retrouve sur le chemin de la migration à la recherche ou en demande de protection internationale. Il peut s'agir des réfugiés, des demandeurs d'asile, des personnes à risques d'apatridie ou des victimes de la traite. C'est pourquoi le HCR parle de migration/mouvement mixte en référence à la diversité de profils des personnes se trouvant dans les flux. « Les mouvements mixtes (ou migration mixte) font référence aux flux de personnes voyageant ensemble, généralement de manière irrégulière, sur les mêmes itinéraires et utilisant les mêmes moyens de transport, mais pour des raisons différentes. Les hommes, les femmes et les enfants qui voyagent de cette manière ont souvent été forcés de quitter leurs foyers par des conflits armés ou des persécutions, ou sont en déplacement à la recherche d'une vie meilleure. Les personnes qui voyagent dans le cadre de mouvements mixtes ont des besoins variés et peuvent inclure des demandeurs d'asile, des réfugiés, des apatrides, des victimes de la traite, des enfants non accompagnés ou séparés et des migrants en situation irrégulière. »35 . Cette notion introduit la question de l'asile dans un contexte de déplacement. En effet, depuis mai 2017, en accord avec le gouvernement du Niger36, le HCR a ouvert un bureau à Agadez

35 HCR, la protection des réfugiés et les mouvements migratoires mixtes, plan d'action en 10 points

36 Mémorandum sur l'identification des réfugiés et demandeurs d'asile dans les flux migratoires d'Agadez de 2017 ;

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pour promouvoir l'offre d'asile. Boyer souligne : « la préoccupation du HCR pour les « migrations mixtes », terme renvoyant dans le contexte du Niger aux migrations de transit en direction de l'Algérie et de la Libye » (Boyer et al, 2019, P8). L'objectif est de fournir une protection internationale aux personnes correspondant aux critères et se trouvant dans les flux en direction ou en provenance de l'Afrique du Nord. L'approche vise donc selon les promoteurs à éviter la dangereuse traversée du Sahara et de la Méditerranée pour demander l'asile en Europe. Signataire de la convention de Genève de 1951 et de la convention de l'OUA de 1969, le Niger dispose d'un cadre légal d'accès à l'asile. Le pays a domestiqué ces deux instruments dans son arsenal juridique et en 1997 a adopté la loi portant statut des réfugiés (loi n°97-016 du 20 juin 1997) dont le décret d'application a été adopté en décembre 1988 (décret n°98-382). Aux termes de cette Loi, le terme « Refugie » s'applique, au Niger,

« A toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion de sa nationalité, de son appartenance a un certain groupe social et de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut, ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

Le terme « Refugie>> s'applique également « à toute personne qui du fait d'une agression, d'une occupation extérieure, d'une domination étrangère ou d'Evénement troublant gravement ('ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit a l'extérieur de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité ».

C'est sur la base de ces textes que les réfugiés maliens et nigérians ont été reconnus prima faciès respectivement le 16 mars 2012 37 et le 9 juillet 2020 38 . L'extension de la protection internationale à certains protagonistes de la migration mixte constitue un tournant décisif de la question de l'asile au Niger. Elle implique l'enregistrement des cas en province notamment à Agadez et la mise en place d'une politique d'accueil et de détermination du statut de réfugiés

37 Arrêté N°142 /MI/SP/D/AR/DEC-R du 16 mars 2012, accordant le bénéfice du statut de réfugiés prima faciès au Niger, aux Maliens victimes de conflit armé au nord Mali

38 Arrêté N°571 /MISP/D/ACR/SG/DGEC-MR du 9 Juillet 2020, accordant le bénéfice du statut de réfugiés prima faciès aux ressortissants nigérians victimes de l'insécurité généralisée dans certains Etats fédérés du nord du Nigéria ;

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au cas par cas sur une population numériquement assez importante dépassant les habitudes de l'administration.

9.1 Comprendre la population en quête d'asile à Agadez 9.1.1 Une prééminence des Soudanais

Le tableau (10) ci-dessous renseigne sur la population des demandeurs d'asile (il s'agit des personnes qui ont fait des requêtes afin d'être considérées comme réfugiées et dont les cas doivent être déterminer par la commission nationale d'éligibilité) et réfugiés présents à Agadez à la date du 12 juillet 2020. Il s'agit de 1070 personnes de 18 nationalités. Les Soudanais représentent 93 % du groupe, suivi du Cameroun 2 % et la Centrafrique 1 %.

L'analyse du tableau relève également la présence de nationalités hors du continent africain, dont des Pakistanais, Syriens et Yéménites. Ces personnes ont généralement été l'objet d'une expulsion vers le Niger.

Tableau 12:Répartition par nationalité des personnes sous mandat UNHCR à Agadez

Pays d'origine

Nombre

Soudan

994

Cameroun

22

République centrafricaine

12

Mali

10

Pakistan

7

Togo

6

Tchad

5

Guinée

2

Côte d'Ivoire

2

Soudan du Sud

2

Érythrée

1

Palestine

1

Syrie

1

231

Ghana

 

1

Libéria

1

Burkina Faso

1

Somalie

1

Sénégal

1

Total

1070

Source : UNHCR juillet 2020

Le tableau ci-dessous indique que l'arrivée des demandeurs d'asile à Agadez date de moins de 5 ans. Les premiers flux ont débuté en 2017 avec l'ouverture du bureau du HCR à Agadez. Ceux-ci représentent 12 % de la population étudiée. La période novembre-décembre 2017, correspond au pic des arrivés lors de cette année.

Tableau 13:Année d'arrivée des personnes sous mandat du HCR à Agadez

Année

Nombre

Pourcentage

2020

91

9 %

2019

64

6 %

2018

782

73 %

Avant 2018

133

12 %

Total

1070

100 %

Source : UNHCR juillet 2020

L'année 2018 est la période d'arrivée pour 73 % du groupe cible. Elle coïncide également avec l'intensification des combats dans le Sud libyen, la mise en place de l'opération ETM et la campagne médiatique concernant l'ouverture de places à la réinstallation par le HCR au Niger. Ces éléments auxquels s'ajoutent l'aménagement à Agadez des abris solidaires, la prise en charge alimentaire et la forte présence des humanitaires ont joué en faveur de cette ville comme destination pour cette population.

232

À partir de 2019 une baisse des personnes enregistrées est à noter. 64 personnes ont été enregistrées soit une diminution de 782 cas par rapport à l'année précédente. Une reprise des requérants à l'asile est en cours, car à la date du 12 juillet 2020, 91 personnes sont enregistrées.

L'analyse du statut des personnes référencées par le HCR révèle selon le tableau, ci-dessous, que 72 % sont demandeurs d'asile, alors que 28 % sont déjà reconnus comme réfugiés. Ils disposent des documents attestant ce statut ou ont été retrouvés dans la base de données BIMS biométrique de l'UNHCR. Il s'agit de la plateforme dans laquelle sont conservées les données biométriques des personnes enregistrées par le HCR dans ses différentes représentations à travers le monde. C'est un outil inter-connecté.

Tableau 14:Statut des Personnes sous mandat du HCR à Agadez

Statut des PoCs

Nombre

Pourcentage

Demandeurs d'asile

769

72 %

Réfugiés

301

28 %

Total

1070

100 %

Source : UNHCR juillet 2020

9.1.2 Une population vulnérable

Le profil de la population en quête de protection à Agadez révèle un groupe hétérogène majoritairement jeune (tableau ci-dessous) composé d'hommes et de femmes entre 18 et 59 ans. Les personnes les plus âgées proviennent du Cameroun, du Nigéria et du Mali. On trouve également des personnes de cette tranche d'âge au sein des Soudanais. La communauté des demandeurs d'asile se particularise également par un nombre élevé de mineurs (174) comme l'indique le tableau ci-dessous. Il s'agit de 80 enfants âgés de 0-4 ans, de 52 dans la fourchette des 5-11 ans et de 42 âgés dans celle des 12-17 ans. Dans cette population de mineurs, on trouve des enfants séparés et/ou non accompagnés qui sont d'autant plus vulnérables. Cette catégorie de personnes considérées comme très vulnérables a droit à la protection selon les acteurs

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humanitaires. Aux personnes potentiellement vulnérables on peut adjoindre les femmes. Le tableau ci-dessous révèle qu'elles représentent 15 % de la communauté étudiée. Parmi elles on y recense des femmes cheffes de ménage avec souvent à charge des enfants mineurs. Cette catégorie se trouve en majorité chez les Soudanais et marginalement chez les autres nationalités.

Tableau 15:Répartition sexe et Âge des personnes sous Mandat HCR à Agadez

Âge

0-4 ans

5-11ans

12-17 ans

18-59 ans

Pourcentage

Total

Féminin

40

24

9

88

15 %

161

Masculin

40

28

33

808

85 %

909

Total

80

52

42

896

100 %

1070

Source : UNHCR juillet 2020

Les femmes et jeunes filles qui voyagent seules constituent également une catégorie de vulnérables. Certaines ont été victimes le long de leurs parcours migratoires d'atrocités comme les violences basées sur le genre dont le viol. À cela s'ajoutent les personnes à besoins spécifiques, dont les plus âgées ou ceux souffrants de pathologies particulières ou les femmes enceintes. Ces personnes du fait de leur vulnérabilité et des risques associés à cette vulnérabilité bénéficient d'une protection spécifique qui va au-delà de la convention de Genève ou de l'OUA. Il s'agit entre autres de l'assistance humanitaire, de la mise à l'écart des hommes et/ ou adultes et de l'accès prioritaire à des solutions durables telle que la réinstallation.

Lors de nos entretiens, il est apparu que les Soudanais se distinguent par le nombre élevé de personnes vulnérables dont celles ayant des besoins spécifiques, les enfants séparés et non accompagnés comme Younouss dont le parcours est décrit ci-dessous et les femmes cheffes de ménages. À l'inverse, dans les autres nationalités on retrouve des femmes ou filles qui voyagent seules, des femmes chefs de ménages et quelques personnes à besoins spécifiques.

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Encadré 5 : Younouss demandeurs d'asile à Agadez

Je m'appelle Younouss, 15 ans, ressortissant du Darfour. Je vivais au village avec mes parents au Soudan. Mon père est tué lors d'une attaque des Janjawid dans notre village. Ma mère est morte plus tard. En juillet 2016, j'ai décidé de quitter mon village pour Abéché au Tchad à la recherche de travail. J'ai fait le métier d'apprenti chauffeur pour venir au Tchad puis en Libye. Récemment, j'ai appris que ma grand-mère et ma soeur sont venues au camp des réfugiés à Treguine au Tchad. C'est en Libye que quelqu'un m'a informé. J'ai fait cinq (5) jours au Tchad avant d'aller à Al Gatroun en Libye.

À Al Gatroun, j'ai été emprisonné pendant cinq (5) mois avant que nous soyons libérés, trois (3) mineurs. À notre sortie, on a appris avec les gens qui passent qu'il y a un centre pour les réfugiés au Niger. Je suis venu seul, un chauffeur m'a amené gratuitement à Agadez le 14 janvier 2018. J'ai pu me faire enregistrer par APBE. Avant de rejoindre le site, j'habitais dans le ghetto soudanais. Je peux rester au Niger, car il y a la paix et la sécurité. Ce n'est pas comme au Soudan et en Libye. Si j'ai le choix, je vais m'accrocher à l'UNHCR. Je n'envisage pas le Tchad, car j'ai peur, car notre camp est frontalier avec le Soudan. Je n'ai aucun papier j'ai tout perdu en prison en Libye.

Le cas de Younouss, illustre la situation de nombreux jeunes pris aux pièges de l'insécurité de leur pays d'origine, mais aussi des pays d'accueil. Né pendant le conflit du Darfour, il continue à vivre les affres d'un conflit qui n'a que trop duré. Orphelin à la suite de l'assassinat de son père puis du décès de sa mère, il est contraint de prendre son destin en main. Ainsi au lieu de retourner à l'école comme les jeunes de son âge, il prend le chemin de la migration et est contraint de travailler. Il se retrouve au Tchad puis en Libye comme apprenti chauffeur. Emprisonné à Al Gatrone malgré son âge, il subit des troubles psychologiques du fait de l'isolement et de l'enferment de la prison. Aujourd'hui au Niger où il est dans le processus d'asile, Younouss représente cette catégorie dite vulnérable en raison de son âge, 15 ans. L'absence des parents biologiques ou proches le classe dans la catégorie des enfants séparés alors que son séjour en prison fait de lui une catégorie à besoin spécifique en lien avec les violences subies.

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9.2 Traverser les frontières à la recherche de la protection internationale

Les mobiles de la recherche de la protection internationale des répondants sont : le conflit au Darfour, la baisse de l'assistance dans les camps, l'absence de travail, l'insécurité au Tchad et en Libye, les conflits communautaires et la volonté d'échapper à la justice. Pour les ressortissants du Darfour, la venue à Agadez est surtout motivée par la volonté de fuir le chaos libyen. Dans ce contexte, leurs expériences de réfugiés au Tchad ou de déplacés internes au Soudan ont été capitales dans la décision de venir au Niger. En effet, ils savent qu'avec la présence du HCR dans ce pays ils ont la possibilité de demander l'asile. Cette venue au Niger s'inscrit dans le prolongement du conflit au Darfour qui est à l'origine du premier déplacement forcé. La baisse de l'assistance dans les camps de réfugiés ou les sites de déplacés internes va également motiver un autre déplacement. Tandis que pour les autres nationalités (Camerounais, Centrafricains, Nigérians...) le déplacement forcé est lié aux conflits communautaires, à la participation à des activités de protestation et à la dégradation de la situation sécuritaire.

9.2.1 Conflit au Darfour

Le conflit au Darfour est à l'origine du premier déplacement des demandeurs d'asile soudanais. En effet, au début des années 2000, cette région a fait l'objet de plusieurs exactions de la part des milices Janjawid. Ces attaques répétitives ont motivé le départ d'une partie de la population comme le souligne Nour : « À cause de la guerre toute la famille était obligée de quitter le Soudan pour les camps des réfugiés au Tchad. Je suis resté au Tchad de 2003 à 2016. On suit les cours d'alphabétisation au camp des réfugiés. Pendant la saison de pluie, on fait les travaux champêtres pour avoir de l'argent. Du Tchad je suis allé en Libye, car je suis aîné de ma famille. J'ai une obligation sociale. » (Nour, demandeur d'asile, Agadez, 23-07-2018).

La guerre est donc l'élément déclencheur du départ des Soudanais pour le Tchad afin de bénéficier de la protection internationale et de l'aide humanitaire. Au Tchad, Nour indique avoir séjourné pendant 13 ans dans le camp des réfugiés. Cela traduit l'inscription dans la durée du conflit qui a contraint les personnes à vivre plus d'une décennie hors de leur pays malgré eux.

La guerre au Darfour a créé un désastre humanitaire corroborée par la mise à feu des abris, la privation de bétail, les mouvements forcés de personnes à l'intérieur du Soudan et dans les pays voisins. « Plus de 50 000 personnes ont été tuées dans le conflit et au moins 1,4 million d'autres, principalement issues de communautés paysannes, ont été déplacées de force, leurs villages incendiés, leurs troupeaux et autres biens pillés. Des milliers de femmes ont été violées. » (Amnesty international, 2004)

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Elle a aussi nécessité une intervention humanitaire tant sur les sites de déplacés internes au Soudan, que dans les pays voisins à travers l'accueil des réfugiés. Les mouvements forcés consécutifs au conflit sont mentionnés de manière récurrente par les personnes interrogées comme la première étape de ce qui va devenir progressivement une errance jusqu'au Niger.

9.2.2 Baisse de l'assistance dans les camps

L'inscription dans la durée du conflit a prolongé le séjour de ces personnes dans les camps de déplacés internes (IDPs) au Soudan et de réfugiés au Tchad. Ayant tout perdu, ces personnes se trouvent loin de leurs capitaux productifs (terre, troupeaux et relation sociale). Elles restent dépendantes de l'aide humanitaire au quotidien. Or, plus le conflit s'inscrit dans la durée, plus il est noté une baisse des ressources humanitaires et par conséquent une baisse de l'assistance comme le soulignent ces propos : « le Darfour a quitté le devant de la scène médiatique et diplomatique internationale. Le gouvernement de Khartoum parachève impunément le nettoyage du Jebel Marra, tandis que la population déplacée reste cantonnée dans les camps surpeuplés, où l'aide humanitaire se raréfie, sans qu'une solution politique ne se dessine » (Lavergne, 2011). Il est même noté le départ de certaines organisations humanitaires faute de financement ce qui a eu pour conséquence sla traversée de la frontière tchadienne par certaines personnes déplacées internes à la recherche de revenus pour prendre en charge la famille comme le souligne Koulbou :

« Attaqué par les Janjawid en 2003, nous avons rejoint le camp de Kalma avec toute la famille. De 2003 à 2017, nous étions au camp de Kalma. J'ai quitté le camp à cause de l'insécurité née du départ des ONG et de l'absence de travail. J'ai quitté seul le camp de Kalma pour passer par le Tchad et rejoindre la Libye. J'ai choisi d'aller en Libye pour deux raisons : la sécurité et la possibilité d'aller en Europe. Mais une fois en Libye, j'ai trouvé que la situation était pareille avec le Soudan en termes d'insécurité. J'étais pris en otage par les milices à Sebha. J'ai passé 6 mois en prison sans arriver à payer la rançon. Après j'ai travaillé pour eux pendant trois mois avant de recouvrer ma liberté et je suis revenu m'installer à Gatroun » (Koulbou, demandeur d'asile, Agadez, 23-07-2018 »)

La durée du conflit a placé au second rang la question du Darfour dans les priorités de la communauté internationale, ce qui se traduit par une baisse des ressources mobilisées par les acteurs humanitaires. Cette situation a eu un impact négatif sur la population assistée. En l'absence d'opportunités locales, Kouboul et d'autres familles abandonnent le Darfour pour le Tchad. La baisse des capacités d'intervention des ONG est donc un élément qui peut motiver des déplacements secondaires et tertiaires.

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9.2.3 Absence de travail dans les camps

Les camps se caractérisent également par une faible opportunité de travail et d'emploi. Ils sont situés en milieu rural où le contexte local est moins favorable au développement d'activités économiques encore moins en termes d'offres d'emploi. Les réfugiés se trouvent donc piégés par la baisse de l'assistance humanitaire à laquelle s'ajoute l'absence d'opportunité de travail et d'emploi dans la zone d'accueil.

9.2.4 L'insécurité au Tchad et en Libye

Qu'ils soient dans les camps des réfugiés ou dans ceux de déplacés internes, les occupants sont dans certains cas obligés de traverser la frontière tchadienne ou centrafricaine à la recherche de sécurité pour préserver leur vie. En effet, au Soudan les camps de déplacés internes sont la cible des exactions des milices Janjawid, ce qui crée une psychose de sorte que les IDPs dans certaines régions finissent par traverser la frontière pour se constituer réfugiés. La destination est soit le Tchad soit la Libye, déplacés internes et réfugiés partent à la recherche du travail au fil des années.

Au Tchad, la proximité avec le Soudan et les différentes rébellions internes font que les camps de réfugiés sont souvent attaqués par les groupes armés. Ce qui les rend répulsif aussi pour une partie des réfugiés.

La dégradation de la situation sécuritaire à laquelle s'ajoutent la baisse de l'assistance humanitaire et l'absence d'opportunités de travail agissent comme des déclencheurs et un accélérateur des mouvements de ces personnes.

Ces mouvements contraints s'inscrivent dans une route migratoire déjà existante entre le Tchad, le Soudan et la Libye. En témoigne la présence depuis les années 70-80 des migrants en provenance de ces deux pays en Libye dictée par la recherche du travail. Selon Drozdz et Pliez « La présence soudanaise en Libye est pourtant notable puisqu'on estime le nombre de leurs ressortissants à une large fourchette de 500000 et 800000 personnes, soit la seconde communauté immigrée après les Égyptiens et la première parmi les ressortissants d'Afrique subsaharienne » (Drozdz et Pliez, 2005). Dans le contexte de la dégradation de la situation sécuritaire au Tchad dans les camps de réfugiés, certains départs vers la Libye sont notés bien avant le déclenchement de la guerre en Libye comme l'illustre l'encadré ci-dessous.

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Encadré 6: Mohamed ressortissant du Darfour

« Je suis Mohamed, 24 ans ressortissant du Darfour. J'ai quitté mon village en avril 2005 à cause de la guerre. Mon papa est décédé à la suite d'une attaque des milices à Khartoum. Ma maman et mes frères ont quitté la ville pour le camp d'Al Fashir. La situation est très difficile j'étais obligé de venir au Tchad au camp de Farchana. Là aussi, j'ai eu des difficultés à m'enregistrer, mais j'ai fini par avoir un numéro d'inscription. J'étais resté là-bas deux (2) ans et six (6) mois avant d'aller en Libye.

Je n'ai pas pu faire venir la famille au Tchad, car je n'avais pas les moyens. Je survivais grâce aux travaux journaliers. Je ne recevais aucune assistance de l'UNHCR. Je vivais dans un jardin. J'ai souffert dans ma vie, car au temps de la guerre j'étais petit, je n'arrivais pas à distinguer les choses. Avec le décès de mon papa, la charge de la famille me revenait. Je voudrais trouver du travail et envoyer à ma famille. Je suis donc parti en Libye. C'est un Tchadien qui m'a aidé pour le transport. Le chauffeur m'a amené à Koufra ; arrivé dans cette ville j'ai pris contact avec les Soudanais qui m'ont aidé à trouver du travail. J'étais resté un an dans cette ville. Je travaillais dans une alimentation. Après le départ du Soudanais, le propriétaire de l'alimentation me maltraitait. J'ai quitté pour Benghazi.

Arrivé à Benghazi, j'ai pris contact avec les compatriotes. J'ai travaillé pendant trois ans dont la moitié comme ouvrier du bâtiment avec 1900 dinars de salaire mensuel. J'arrivais à envoyer à mes parents restés au Soudan à travers les agences locales. Vers la fin du chantier, on a commencé à remercier les gens et ça a coïncidé avec le début de la guerre en février 2011. On s'est retiré dans une grande cour. On nous a fouillés, car il y avait plusieurs nationalités. J'ai voulu retourner au Tchad, mais je n'ai pas pu. Mais j'ai pu m'échapper du camp à travers les commerçants qui nous amènent à manger. Ces commerçants nous ont fait sortir et nous ont amenés gratuitement à Sebha. J'ai passé deux ans dans cette ville, dont sept mois de travail dans un champ. Après les commerçants nous ont fait travailler dans le champ d'un autre sans salaire. Le dernier commerçant nous a kidnappé et a exigé qu'on paye pour se faire libérer. J'ai expliqué que mon père est mort et ma mère est malade. J'ai pris l'engagement de travailler en contrepartie de l'argent demandé. J'ai pu m'échapper lors d'une séance de salubrité pour me réfugier chez un Ghanéen pendant quatre jours avant qu'on ne soit à nouveau kidnappé. À la suite d'une bagarre entre les milices j'ai pu m'échapper pour Gatroun où pendant neuf (9) mois j'étais travailleur journalier. J'ai voulu

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retourner au Tchad, mais les Soudanais m'ont proposé de venir au Niger après ils vont voir comment me chercher de l'argent pour retourner au Tchad. Arrivé à Agadez j'étais à côté du marché avant que les agents d'APBE me prennent en charge. Actuellement, cela fait cinq (5) à six (6) ans que je n'ai aucune nouvelle de ma famille. C'est un kamikaze le fait de prendre le bateau pour l'Europe ».

Le parcours de Mohamed illustre la complexité du conflit au Darfour. Il est déplacé interne puis réfugié au Tchad à la recherche d'opportunités économiques pour faire face à ses obligations sociales. Au Tchad, en l'absence d'assistance humanitaire, il enchaine les petits boulots sans atteindre son objectif de pouvoir envoyer une partie à sa famille restée au Soudan. Pour atteindre cet idéal, il continue son parcours en Libye où il travaille et envoi aux proches. La crise libyenne et l'insécurité qui en découle l'amènent à changer de ville dans l'espoir d'être en sécurité et de continuer à prendre en charge sa famille. Il est kidnappé puis relâché. Il parvient à se rendre au Niger, pays jugé en sécurité bien qu'il ait voulu se rendre plus tôt au Tchad. Mohamed est donc une figure ayant fui l'insécurité pour se retrouver dans l'insécurité en Libye. Sa venue au Niger relève du hasard et sa requête d'asile relève des circonstances et des opportunités qu'offre ce pays d'accueil.

La migration des Soudanais va se maintenir et s'amplifier avec des flux circulants entre les deux pays et animés par une population jeune. Elle prendra une nouvelle tournure au printemps 2010 avec la chute du régime du Guide libyen. En ce moment, la Libye va se consolider en plaque tournante des migrations africaines et le point de liaison des côtes Méditerranéennes avec l'Europe. Les Soudanais avec une importante diaspora installée en Europe vont s'illustrer par leur présence sur les embarcations à destination de l'Italie.

Cette période est aussi marquée en Libye par une violence généralisée. L'économie du pays est détruite. Les milices armées qui ont émergé se distinguent par un mode opératoire particulier. Il s'agit des lieux de détention privés qui se sont développés dans le pays plus connu sous le nom de Guidan bachi ou maisons de crédits. Cette expression est utilisée par les migrants nigériens haoussas pour désigner ces lieux où la personne est détenue jusqu'à ce quelqu'un paie pour la faire libérer. Ces espaces sont connus pour les abus, les tortures et des cas de morts (Puig, 2017). Les migrants africains en payeront un grand prix. Les détenus sont violentés, torturés et forcés d'appeler leur famille pour envoyer le montant exigé pour leur libération comme le souligne Clément : «j'ai été kidnappé par la Katiba 42 à Tripoli. Ils ont exigé une

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rançon de 15 000 dinars pour me faire libérer. J'ai appelé mon grand frère qui a mobilisé les 15 000 dinars pour me faire libérer. J'ai été jeté au bord de la mer avec cagoule et 10 dinars comme frais de taxi » (Clément, demandeur d'asile, Agadez 22-07-2018).

Ainsi, est né un business avec au centre le migrant. Les familles des premiers détenus payent pour libérer leurs proches et les responsables des Guidan bachi découvrent alors un business rentable dans cette Libye post Kadhafi qu'ils comptent perpétuer par des nouveaux kidnappings. En effet, le cas de Clément est légion, lors des entretiens plusieurs personnes affirment avoir séjourné dans ces prisons. En fait, dans la Libye post Kadhafi des prisons privées ont émergé. Les humanitaires et les organisations de défense de droit de l'homme ont confirmé l'existence de ces cachots qui constituent une véritable source d'insécurité pour la population étrangère présente dans le pays. Le passage dans ces geôles privées est un facteur qui n'encourage pas de poursuivre le séjour dans le pays après avoir été libéré. Ainsi, plusieurs personnes à l'image de Clément affirment avoir quitté le pays juste après leur libération. Ces départs sont souvent encouragés par les familles contraintes de payer la rançon exigée alors qu'elles devraient plutôt recevoir les bénéfices de la migration.

9.2.5 Travailler pour recouvrer sa liberté

Pendant la guerre en Libye les chantiers de construction qui emploient essentiellement la main-d'oeuvre migrante se raréfient. L'offre d'emploi s'amenuise dans un contexte de violence généralisée. Les rares migrants qui parviennent à trouver un travail sont peu ou pas rémunérés, les employeurs profitant de l'impunité générale et de la vulnérabilité des migrants du fait de leur statut d'étranger.

Dans ce contexte d'insécurité en Libye une autre activité prend de l'essor. Il s'agit de la technique qui consiste à faire travailler les personnes kidnappées pour rembourser le montant réclamé pour leur mise en liberté. Les détenus doivent travailler pour leurs geôliers durant des mois afin de recouvrer leur liberté. Il est fait recours à cette méthode lorsqu'après torture le détenu n'arrive pas payer la rançon réclamée pour sa libération. Les travaux sont en général domestiques ou liés à l'agriculture et l'élevage.

9.2.6 Les motivations des autres nationalités

9.2.6.1 Mobiliser l'asile pour tenir son projet migratoire

Du fait des opportunités de travail qu'elle offre, la Libye apparait comme une destination pour les migrants de l'Afrique de l'Ouest et Centrale. Des milliers de jeunes transitent par le Niger

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afin de profiter des opportunités économiques ou comme pays de transit afin de se rendre en Europe. Certains sont parvenus en Libye, mais ont été contraints au retour à cause de la dégradation de la situation sécuritaire. D'autres sont bloqués à Agadez du fait de l'application de la loi 2015-36 qui réprime le trafic illicite de migrants. Bloquées à Agadez faute d'offre de transport, ces personnes finissent par dépenser les maigres ressources dont elles disposent. Ne pouvant ou ne voulant pas opter pour le « retour volontaire » que propose l'OIM, elles s'inscrivent dans le système d'asile et restent à Agadez.

9.2.6.2 Les conflits communautaires

Le départ du pays d'origine pour certains répondants est motivé par des violences dont les origines relèvent de problèmes ethniques et communautaires non résolus. Il s'agit des agissements en cours dans la région nord du Cameroun pour l'indépendance. La riposte militaire qui est privilégiée a eu des conséquences sociales sur la vie des populations de cette région. Celles-ci sont dans certains cas contraintes de quitter leurs terroirs pour avoir la vie sauve. Dans ce processus, ils empruntent les routes migratoires à la recherche à la fois d'un bien-être ou de protection internationale à l'image de Yolande qui retrace son parcours dans l'encadré ci-dessous.

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Encadré 7 : Yolande originaire du Cameroun

« Je suis Yolande, 32 ans, originaire du Sud-Ouest camerounais. Un jour on dormait vers 2 h du matin, les gens ont arrêté mon père et coupé la main de ma petite soeur. On a tué mon père hors de la concession. Le matin on a fui la maison. Les bandits sont venus brûler notre maison. Les gens ont menacé de tuer toute notre famille. J'ai fui au nord du Cameroun avec mon frère, mais je l'ai perdu. Je suis allé au nord du Nigéria. Dans la voiture il y avait quatre hommes qui m'ont bien violée. Ils ont failli me tuer et fini par m'abandonner dans la nuit. Vers 7 h du matin, un véhicule m'a prise. Ils m'ont amenée au Niger.

Je me suis enregistrée comme demandeuse d'asile sans logement en novembre 2017. Avec l'ouverture des cases de passages, le HCR m'a appelé pour m'installer. Je suis vraiment fatiguée, car il y a trop de problèmes, on doit interdire aux hommes de violer les femmes.

Je ne peux pas rester ici (Agadez), il n'y a pas de travail ici. Il n'y a rien à faire ici. Je ne peux rester. Depuis là, je n'ai pas des nouvelles de ma famille. Je vais aller dans un endroit où je serais en sécurité. Je ne peux pas rester au Niger, car il n'y a rien à faire.

Au Cameroun j'étais couturière. Je ne savais pas où aller, je voulais fuir pour éviter de me faire tuer. Je voulais aller dans un endroit où je peux trouver du travail et la sécurité. Ici ce n'est vraiment pas la peine. Je suis chrétienne, je ne peux m'habiller comme eux les musulmans. Même là où je travaille les gens m'insultent et cela m'énerve. La police vient nous arrêter. Ils disent qu'ils veulent l'argent. Cela fait deux fois qu'on m'arrête. La police prend 10 000 FCFA avec nous ».

Le cas de Yolande indique un départ du pays d'origine ayant coûté la vie à son père. Elle fuit avec son frère au Nigeria à la recherche de la sécurité. Sur la route migratoire, elle est victime de violences puis se retrouve à Agadez. Yolande formule la demande d'asile à Agadez et continue à se prendre en charge. Avec la mise en place du dispositif d'assistance humanitaire le HCR prend attache avec elle et elle est logée et prise en charge. L'analyse du parcours montre qu'elle a fui le Cameroun pour « sauver sa vie ». Dans la recherche d'un espace où elle peut être en sécurité, elle traverse la frontière avec le Nigéria accompagné de son frère qu'elle perd. Il y a donc une seconde séparation avec la famille. Sur cette route migratoire, elle est violée

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avant de se retrouver à Agadez. Sa demande d'asile s'inscrit dans une logique circonstancielle, celle de la présence du bureau du HCR à Agadez. Elle profite donc pour exploiter les avantages qu'offre son milieu d'accueil en termes de protection.

9.2.6.3 Problème ethnico-politique

Dans certains pays, les problèmes ethniques font que certains groupes sont pris pour cible par les autorités. Face à ces exactions, les victimes fuient pour se mettre à l'abri. Dans une telle perspective, le point d'arrivée est généralement le pays voisin en lien parfois avec la présence des membres de la même communauté qui peuvent faciliter son accueil. Ce type de fuite concerne par exemple, certains Tchadiens présents parmi les demandeurs d'asile à Agadez.

9.2.6.4 Fuir le Nord du Nigéria pour Agadez

La décision de quitter les Etats du nord-ouest du Nigéria est motivée par les violences religieuses. En effet, les femmes nigérianes interrogées à Agadez rapportent avoir quitté à la suite d'une explosion à la mosquée de Kano un jour de vendredi. La panique consécutive à l'incident est si inhabituelle qu'elles ont pris la décision de quitter la ville en direction du Niger. Le long du trajet le transport est financé grâce à la mendicité. Après un séjour à Zinder elles rejoignent Agadez ayant entendu parler de la supposée rentabilité de la mendicité dans cette ville. Certaines parviennent aussi à s'insérer dans la domesticité et toutes vont demander l'asile.

9.2.7 Se soustraire de la justice

Dans la longue liste des facteurs du départ du pays se trouve pour quelques rares personnes ayant la volonté de se soustraire à la justice pour des faits relevant du droit. Par exemple, un ancien officier de l'armée camerounaise affirme que lors d'un interrogatoire qui a mal tourné, il a tué un officier supérieur en cherchant à obtenir des aveux dans le cadre de l'opération épervier39. Cette situation l'a conduit en prison où il restera plusieurs mois avant d'être exfiltré de son pays afin d'échapper à la justice. En effet, en complicité avec la justice et l'armée il parvient à sortir nuitamment de la prison et est transporté à la frontière du Nigéria. Là, il se voit remettre son passeport et reçoit pour ordre de disparaitre et ne plus revenir au Cameroun. C'est ainsi qu'il emprunte le chemin de la migration avec pour objectif d'être toujours aussi loin que

39 L'Opération Épervier est une vaste opération judiciaire initiée dans le cadre de la lutte anti-corruption au Cameroun. Cette opération a été lancée par le gouvernement du Premier ministre Ephraïm Inoni en 2006, sous la pression des bailleurs de fonds internationaux

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possible du Cameroun. Il transite par le Nigéria puis le Bénin, le Mali, l'Algérie (Tin Zaouatine) puis Tamanrasset avant d'être expulsé au Niger.

À ce cas s'ajoute celui d'un élève tchadien qui a participé à une manifestation à laquelle une personne a perdu la vie. Leader syndical, la justice est à sa recherche afin de répondre de ce crime dont il est accusé. C'est pour se soustraire à la justice qu'il a fui jusqu'en Libye puis continué au Niger.

En général, ces cas sont très rares et pris en charge par le CICR dont c'est le mandat.

9.3 Choisir le Niger comme destination 9.3.1 Des expulsés de l'Algérie

Certains demandeurs d'asile en provenance de l'Algérie sont des expulsés de ce pays. En effet, depuis 2014 à la suite d'un accord verbal avec le Niger, l'Algérie organise l'expulsion des migrants nigériens jusqu'à Agadez. À partir de 2016, une forme de retour forcé commence à émerger sur cet axe. Il s'agit des migrants subsahariens, des demandeurs d'asile et réfugiés qui sont expulsés et convoyés jusqu'au point zéro par les forces de l'ordre algériennes. Là, ils reçoivent l'ordre de continuer à pied leur chemin jusqu'au Niger et au village frontalier d'Assamaka distant de 15 km. Cette forme d'expulsion est plus connue sous le nom de « piétons ». Arrivés au poste frontalier la police les enregistre (photos ci-dessous) avant qu'ils ne passent devant les organisations humanitaires notamment l'OIM pour le profilage.

Photo 31 : Rond-point zéro

Crédit photo : B Ayouba Tinni, Assamaka, août 2019

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Photo 32 : Enregistrement des expulsés piétons Crédit photo : B Ayouba Tinni, Assamaka, août 2019

Après cette étape l'agent du projet Postes d'Observation des Mouvements Migratoires (POMM) mis en oeuvre avec l'appui financier du HCR sur place identifie les personnes en demande de protection et celles possédant déjà des documents de demandeurs d'asile ou de réfugiés. Contact est alors pris avec le HCR afin qu'il soit référé à l'institution une fois à Agadez. Ainsi sont identifiées les personnes en quête d'asile qui vont sur place être référencées afin de bénéficier de la protection internationale.

Les migrants expulsés d'Algérie sont sensibilisés sur le mécanisme de retour volontaire assisté qu'offre l'OIM. Certains refusent d'adhérer. En effet, ils ne veulent pas retourner dans leur pays d'origine pour des raisons diverses. Ces derniers prennent connaissance de la possibilité de demander l'asile à Agadez. Ils sont orientés vers le HCR et la DREC pour des écoutes préliminaires. Les informations recueillies peuvent permettre d'apprécier l'existence d'éléments qui requièrent l'ouverture d'un dossier. Dans tous les cas, les personnes référées par l'OIM sont écoutées et des demandes d'asile formulées. Après cette étape ils prennent attache avec le HCR pour bénéficier de la protection internationale : accès à la sécurité, aux services sociaux de base c'est-à-dire essentiellement la santé, accès à un abri et prise en charge alimentaire et sanitaire.

9.3.2 Tranquillité à Agadez

Sur l'axe Agadez-Madama-Libye, les demandeurs d'asile et réfugiés interrogés avancent plusieurs raisons pour justifier le choix du Niger comme destination. Parmi elles on peut noter l'insécurité en Libye. Les demandeurs d'asile étant majoritairement soudanais, ils se trouvent

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en nombre dans le sud de la Libye et ne veulent ni retourner au Tchad leur premier pays d'asile pour certains, ni au Soudan. Ils décident alors de tenter leur chance à Agadez.

Aux Soudanais on peut adjoindre d'autres nationalités qui pour les mêmes raisons décident de rebrousser chemin au Niger pour sauver leur vie en attendant une évolution favorable de la situation sécuritaire en Libye.

9.3.3 Un appel d'air à relativiser

Le choix de venir au Niger fonctionne également comme un appel d'air à mettre au registre de la bonne connaissance des activités du HCR et des possibilités que cette organisation offre en termes de réinstallation. Les Soudanais dont une grande communauté se trouve en Europe, aux USA et au Canada sont informés que l'agence onusienne a ouvert un mécanisme de réinstallation à partir du Niger. L'annonce du premier vol de ce mécanisme dit ETM a atterri à Niamey avec 54 personnes de nationalités érythréennes, éthiopiennes, somaliennes et un Soudanais a fait le tour du monde dans les médias. Avec la force des réseaux sociaux, la nouvelle s'est répandue. Ainsi, l'ETM a conduit les Soudanais à tenter leurs chances au Niger.

Cette période de lancement d'ETM a coïncidé quelques jours plus tard avec l'ouverture à Agadez par le HCR via IRC d'une case de passage dans le but d'héberger les demandeurs d'asile. Les premiers pensionnaires de cet espace d'hébergement sont en majorité des Soudanais. Les conditions d'accueil y sont nettement supérieures à celles de l'OIM. Des kits individuels, des lits de dortoirs avec des chambres climatisées, un accès à Canal + au quartier administratif d'Agadez sont mis à la disposition des occupants. Là également, les réseaux sociaux ont joué un rôle essentiel dans la diffusion de l'ouverture de ce lieu d'accueil ainsi que des éléments de confort qui s'y trouvent. Dans ce contexte, les jeunes Soudanais en difficultés sont conseillés par leurs compatriotes sur place d'aller au Niger où le HCR a ouvert un « camp » comme l'explique Abdallah :

« On a quitté le Soudan avec mon beau-frère et mon grand frère pour la Libye dans l'espoir d'aller en Europe. J'étais à Sebha pendant un an. Mon beau-frère et mon grand frère sont partis à la mer pour voir comment les gens traversent pour aller en Europe. Ils ne sont plus revenus. Les gens m'ont dit d'aller au Niger il y a une ONG qui s'occupe des enfants. Ma femme a vendu ses boucles d'oreilles en or pour payer le transport jusqu'au Niger. Arrivé à Agadez, on était à la grande mosquée. Les frères m'ont loué une maison pendant un mois puis je suis parti à l'OIM. Ma femme a accouché là-bas. Après OIM m'a orienté vers le HCR qui m'a amené dans cette maison »

(Abdallah, demandeur d'asile, Agadez 21-07-2020).

Ainsi, la nouvelle s'est vite propagée en Libye, à Janciya où il y a une grande concentration de migrants africains ; les Soudanais se passent rapidement le message sur l'ouverture d'un

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« camp » à Agadez. D'où un effet « appel d'air » à la fin du mois de décembre 2017 alors que les combats s'intensifient dans le sud de la Libye. Cet afflux va connaitre son apogée en janvier 2018 avec plus de 2000 Soudanais voulant demander l'asile à Agadez afin de bénéficier de la protection internationale comme le souligne Adam : « J'ai appris avec des amis à Sebha qu'au Niger l'UNHCR offre protection aux gens. Mes amis ont cotisé pour moi afin de payer le transport pour le Niger. J'étais venu à Agadez en mars 2018. En ce moment je n'avais pas la prise en charge alimentaire. Je dormais à la gare, car y'avait pas de sites pour nous. » (Adam demandeur d'asile, Agadez 19-07-2020).

Les commerçants soudanais ont joué un rôle important dans l'afflux par la mise à disposition des frais de voyage pour les démunis afin de rejoindre Agadez à travers divers arrangements. Certaines personnes interrogées soulignent avoir voyagé avec les commerçants soudanais jusqu'à Agadez.

L'afflux est bien sûr à relativiser eu égard au chiffre de 2000 personnes venues de la Libye, lorsque l'on estime qu'à la même période plus de 500 000 Soudanais sont en Libye et 200 000 sont réfugiés au Tchad. C'est donc insignifiant au regard du stock de personnes de nationalité soudanaise dans ces deux pays.

9.4 Itinéraire des demandeurs d'asile et refugies

L'analyse de l'itinéraire des demandeurs d'asile et réfugiés à Agadez permet de mettre en évidence quatre types de parcours.

9.4.1 Des camps des déplacés internes du Darfour à Agadez

C'est le parcours type des ressortissants du Darfour. Il commence par une installation dans un camp de déplacés internes à la suite des représailles liées à la guerre. On peut noter celui de Kalma. En effet, la persistance des attaques des Janjawid dans ces espaces depuis 2003 auxquelles s'ajoutent les mauvaises conditions de vie vont pousser les occupants à franchir les frontières. Alors que certains se dirigent vers les camps de réfugiés au Tchad, d'autres continuent en Libye à la recherche de meilleures conditions de vie afin de soutenir la famille. Cependant, avec la crise libyenne, les opportunités de travail se réduisent. Les violences, le kidnapping et le refus de payer les travailleurs prennent de l'ampleur.

Le témoignage de Boubacar illustre ce parcours :

« la première vague était venue au mois de novembre 2017. La majorité vient de la Libye, mais on en trouve quelqu'un venu du Tchad et du Soudan. C'est la guerre qui nous a poussés à quitter le

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Soudan pour la Libye. À notre arrivée là-bas ; nous avons été surpris par l'insécurité. C'est pourquoi, nous sommes venus au Niger pour chercher la protection. Certains ont appris la présence du HCR par les médias d'autre part d'autres sources notamment internet.

Nous étions dans les prisons en Libye. Il y a des organisations humanitaires qui viennent négocier et faire sortir les gens pour les amener au Niger. C'est à travers cela que nous avions su qu'il y a la protection au Niger. C'est un voyage long le fait de quitter la Libye pour Agadez. À Agadez, nous avons trouvé une population gentille qui nous a bien accueillis. Certains venaient de Gatroun, Sebha, Tripoli. Nous avons quitté la Libye avec l'accentuation des problèmes sécuritaires (emprisonnement, séquestration, torture). Certains ont voulu prendre la mer pour l'Europe. Nous savons que c'est dangereux, mais nous n'avons pas d'autres choix. Nous bravons le danger de la mer pour chercher refuge en Europe. La situation au Darfour, la guerre au Darfour nous a fait quitter notre pays pour la Libye depuis 2015-17. Mais en Libye la situation est devenue chaotique. C'est pourquoi nous sommes venus au Niger chercher la paix, la santé, l'éducation et la sécurité. Mais il reste toujours un besoin non couvert en termes de santé et éducation. Au Niger, nous sommes rassurés même si nous sommes dehors, nous nous sentons en sécurité. Mais en Libye même dans les chambres ; nous craignions les balles » (Boubacar, demandeur d'asile, Agadez 20-07 2020).

L'analyse du parcours montre que les Soudanais ont fui la violence pour se retrouver d'abord au Tchad ensuite en Libye. Avec l'ouverture du bureau du HCR à Agadez suivi de la case de passage pour héberger les demandeurs d'asile, une partie des Soudanais se trouvant en particulier dans le sud de la Libye vont poursuivre leur errance à Agadez. Là, ils seront d'abord, dans le site d'habitation solidaire, puis quelques-uns les cases de passage avant de se retrouver dans le centre humanitaire régional.

9.4.2 Transiter par le Tchad -Diffa-Agadez

Un autre parcours plus au moins similaire au premier est celui des réfugiés soudanais au Tchad et de certains déplacés internes soudanais dont la particularité est qu'ils ne transitent pas par la Libye. En effet, de ces espaces, ils transitent par le Tchad, descendent jusqu'à N'Guigmi au Niger puis remontent à Diffa, passent par Zinder pour rejoindre Agadez et finir sur le site dédié aux demandeurs d'asile et réfugiés.

Nous sommes donc dans un schéma où des personnes qui quittent les camps de réfugiés et déplacés internes finissent encore dans ces mêmes espaces.

9.4.3 De Bangui à Agadez

L'encadré ci-dessous nous retrace le parcours de Hussein, un Centrafricain qui quitte son pays en passant par le Soudan transite par la Libye pour se retrouver à Agadez. C'est une trajectoire moins fréquente dans la population étudiée. C'est pourquoi il est apparu essentiel de la mettre en exergue (encadré 8.4) ci-dessous afin de saisir la complexité des flux mixtes.

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Encadré 8 : Hussein demandeur d'asile de nationalité centrafricaine

« Je m'appelle Hussein de nationalité centrafricaine, 20 ans. Je suis arrivé à Agadez le 17 janvier 2018 en passant par le Soudan. La guerre m'a fait quitter mon pays. J'étais à Bangui, j'ai dû quitter en février 2014, car il y avait la guerre. On a brûlé ma maison, tué toute ma famille. C'est l'oeuvre des Anti Balakas. Ils m'ont frappé.

Arrivé au Soudan en décembre 2014 à Nyala je vends de l'eau, il n'y avait plus de sécurité. J'ai quitté le Soudan en février 2016 pour la Libye. Je partais à Tripoli, on m'arrête à Saffa où la katiba Achara m'arrête pour m'exiger de payer l'équivalent de 100 000 F. Ils m'ont torturé pendant 3 jours pour que j'appelle mes parents. J'ai fait 6 mois dans leur prison. Trois jours après ramadan, ils m'ont fait sortir de la prison. J'étais resté 4 mois chez un vieux Tchadien qui a un restaurant. Il m'a soigné.

J'ai travaillé comme déchargeur de camion car je ne peux pas aller à Tripoli à cause de l'insécurité, j'ai appris qu'il y a des postes de réfugiés au Niger. Je suis venu voir si le HCR peut m'offrir une bonne ville pour vivre.

J'ai quitté la Centrafrique pour le Soudan à cause de l'insécurité. Au Soudan, il n'y avait pas de travail. En Libye j'ai appris qu'il y a de la place pour les réfugiés au Niger. J'ai dit au vieux Tchadien que je vais venir au Niger. J'ai payé 60000FCFA au transporteur puis 1000 FCFA à Madama pour passer la frontière.

Arrivé à Agadez, le taxi moto m'a amené au bureau de l'APBE. J'ai dormi là-bas pendant 3 jours avant de faire les formalités d'écoute et d'hébergement dans les cases.

En cas d'octroi du statut de réfugiés, je serais obligé de rester au Niger, car je n'ai pas de famille. Si je rentre au pays, ils peuvent me tuer.

Si on me refuse le statut, je ne sais pas quoi faire, Dieu décidera. Je remercie Dieu, depuis que je suis venu ici, je n'ai pas vu quelqu'un qui est en train de se bagarrer ou tuer.

Au pays, je fais du commerce c'est la première fois que je suis sorti du pays. Mais ici je ne travaille pas. Un Soudanais m'a donné 30 000 FCFA pour que je rentre en Libye Maintenant mon père et ma mère ; c'est le HCR seulement. C'est le HCR qui peut décider de m'amener là où il veut. Si le HCR pense qu'ici il n'y'a pas de sécurité, il peut m'amener ailleurs. ».

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Le parcours d'Hussein montre la persistance de l'insécurité dans certains pays africains depuis plusieurs années. En effet, partie de son pays en 2014 pour le Soudan à la recherche d'un environnement de paix il est contraint de quitter ce pays pour la Libye. Là il passe par la prison avant de rejoindre Agadez (Niger) pour saisir l'offre de protection internationale. A Agadez, il est enregistré comme demandeurs d'asile et bénéfice des services d'assistance humanitaire. La requête de protection de Hussein, relève de la catégorie des demandes délibérées. Car il affirme avoir quitté la Libye pour demander asile au Niger. Ne sachant pas trop lire son avenir, il se confie au HCR pour décider de ce qui est mieux pour lui.

9.4.4 Quitter le Nord Nigéria pour se retrouver à Agadez

Un autre parcours prend sa source au nord du Nigéria. En effet, à la suite d'une explosion de bombe dans une mosquée lors de la prière de vendredi une panique générale se crée en périphérie de Kano. Les habitants désemparés se sauvent. Dans ce contexte un groupe de femme quitte Kano passe par Daoura au Nigéria puis arrive à Maimoujiya, ville frontalière avec le Niger. Sur la base des ressources de la mendicité, elles continuent leur chemin à Zinder. Dans cette ville elles pratiquent la mendicité qu'elles continuent à Agadez. Les enfants travaillent comme domestiques. Après sensibilisations des équipes d'APBE, elles sont enregistrées comme demandeuses d'asile.

9.5 Chercher la protection internationale à Agadez

Les Soudanais interrogés indiquent avoir été orientés vers APBE et la DREC à leur arrivée à Agadez afin d'accomplir les formalités de demande d'asile. Mais pour ceux passant par APBE, leurs cas doivent être soumis au HCR. C'est à l'agence onusienne d'apprécier la nécessité ou pas de poursuivre le référencement. Il en est de même des cas provenant du centre OIM, même si dans la pratique ceux qui sont référés par l'OIM ont plus de facilités dans l'accomplissement de la demande d'asile du fait du protocole qui lie le HCR à l'OIM. Un mécanisme de référencement existe entre les deux agences et la direction générale de l'état civil, des migrations et des réfugiés dont l' objectif est d'établir « un mécanisme de référencement entre l'OIM et l'UNHCR et la Direction Générale de l'État civil, des Migrations et des Réfugiés (DGECMR), à travers les procédures opérationnelles (POS) ; à charge pour la DGECMR d'assurer par la suite le référencement des personnes concernées vers les procédures étatiques d'éligibilité au statut de réfugié. Ces procédures visent à fixer et à formaliser l'identification et le référencement des demandeurs d'asile entre les trois parties, en vue de faciliter leur prise en

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charge et leur accès aux procédures d'éligibilité au statut de réfugié au Niger » (SOP, 2017, P2).

Le référencement est envisagé si la personne ne souhaite pas retourner dans son pays d'origine pour des craintes de persécution, liées à sa race, religion, appartenance à un groupe marginalisé, opinion politique ou de violences généralisées. La demande d'asile doit s'inscrire soit dans la convention de Genève de 1953 soit dans celle de l'OUA de 1969 sur les aspects propres des réfugiés en Afrique.

Une fois ces fondements ressortis dans les propos du requérant lors de l'écoute, ce dernier est appuyé pour écrire et déposer à la DREC sa demande. À cette étape, normalement un numéro et une attestation sont délivrés pour indiquer que la personne a demandé l'asile afin de pouvoir jouir de ce droit. En fonction de la vulnérabilité, la personne bénéficie d'une prise en charge alimentaire, de l'hébergement, de la santé.

À Agadez, la DREC/M/R centralise les demandes d'asile puis les transmet à la commission nationale d'éligibilité au statut des réfugiés pour évaluation lors des sessions. C'est cette structure qui est habilitée à accorder le statut de réfugié conformément à la loi de 1997. Mais de novembre 2017 à juillet 2018, il est à noter un statuquo sur les dossiers des Soudanais. L'État voyant leur nombre augmenter du jour au lendemain voulait comprendre davantage les motifs de leurs arrivées avant de commencer à examiner les dossiers. Cette situation a créé une d'attente prolongée des Soudanais à Agadez sans aucune nouvelle du traitement de leur dossier. Cela a eu pour conséquence l'organisation des marches de protestation des Soudanais au bureau du HCR à Agadez pour dénoncer la lenteur qui caractérise le traitement de leur dossier. L'attente se traduit par une absence d'information sur le dossier et l'incertitude quant à son aboutissement comme le souligne ce demandeur d'asile soudanais « J'ai été identifié et référé par APBE au HCR qui à son tour m'a orienté vers la DREG pour le processus de demande d'asile. Je fais l'interview et j'ai un numéro d'enregistrement. Mais à présent, je n'ai aucune information sur mon dossier. » (Yasser, demandeur d'asile, Agadez, 25-07-2018).

Aux marches et meetings organisés en guise de protestation sur la lenteur administrative dans le traitement de leur dossier, on peut ajouter d'autres formes de protestation. Il s'agit de la renonciation à l'asile. Elle se caractérise par des départs spontanés vers la Libye dans la majorité des cas. Il s'agit en majorité des départs pour le Sud libyen ou à la suite de l'arrêt des combats la vie semble reprendre son cours. Il y a donc des opportunités économiques à saisir. D'autres indiquent également repartir en Libye afin de prendre les bateaux pour se rendre en Europe.

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Des départs spontanés sur les sites aurifères de la région d'Agadez sont également notés. Il s'agit du groupe qui est optimiste sur l'aboutissement de leur dossier. Ils choisissent de se rendre sur les sites à la recherche d'opportunités économiques en attendant le traitement de leur dossier. Ce groupe refuse l'oisiveté et l'attente qui caractérisent la demande d'asile. Il importe de souligner que les demandeurs d'asile n'ont pas le droit de travailler au Niger.

Le tableau ci-dessous indique pour la période de mars 2018 à mars 2019 que les départs spontanés ont concerné 757 demandeurs d'asile ou réfugiés. Ces données sont collectées lors des vérifications mensuelles ou par des signalements de cas. On note qu'en juin 2018, 60 départs spontanés ont été enregistrés donc juste 4 mois après l'afflux de l'année. Cette progression va baisser pour atteindre 55 en septembre puis le taux record de 447 individus en septembre. Cette variation dénote un abandon de la requête d'asile pour sa lenteur, l'absence d'activité génératrice de revenus à Agadez. En un mot le départ est synonyme dans ce cas précis de déception vis-à-vis du système en place.

Tableau 16:Départs spontanés des demandeurs d'asile et réfugiés à Agadez : mars 2018-mars 2019

Année 2018 (mois/nombre)

Année 2019 (mois/nombre)

Mars

Avril

Mai

Juin

Juillet

Aout

Sept

Oct

Novem

Déc

Janv

Fév

Mars

1

26

14

60

35

16

55

447

10

8

2

48

34

Source : HCR Niger

9.5.1 Opter pour la réinstallation

Interroger sur la manière dont ils envisagent leur avenir, certains répondants indiquent qu'en cas d'octroi de l'asile ils ne souhaitent pas rester à Agadez comme le souligne Sidik, demandeur d'asile, Sud Soudanais : « Je ne peux pas rester à Agadez, car nous sommes plus de 100 dans une seule maison. C'est toujours le même repas. Quand j'étais en Libye j'avais de l'argent pour envoyer à ma famille. Là, je suis là, depuis six (6) mois sans argent, mes enfants ont besoin d'aller à l'école. C'est surtout ça mon problème. Je suis très fatigué » (Sidik, demandeur d'asile, Agadez, 24-07-2020). Cette ville n'offre pas à leurs yeux les conditions permettant leur installation durable : l'école pour les enfants à cause de la barrière linguistique, des opportunités économiques et surtout la rudesse du climat sont présentés comme autant de facteurs répulsifs. Ils optent beaucoup plus pour le souhait d'une réinstallation en Europe. Pour cela ils confient

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au HCR le soin de trouver un pays en mesure de leur assurer la protection internationale comme l'attestent ces propos « Maintenant mon père et ma mère c'est le HCR. C'est le HCR seulement qui peut décider où m'amener » (Djibril, demandeur d'asile, Agadez, 23-07-2018). Les plus optimistes indiquent vouloir aller en France pour poursuivre leurs études. Cette idée de confier son destin au HCR traduit l'incertitude qui caractérise l'offre d'asile dans la migration mixte. Les requérants ont peu d'information sur l'évolution de leur dossier et les choix qui s'offrent à eux. Même le HCR et l'État du Niger ne semblent pas avoir une solution prête. Ils jouent sur le temps en prenant la précaution de ne pas créer un appel d'air en cas d'ouverture des places pour la réinstallation à Agadez. À cela s'ajoute l'ambiguïté de la population locale quant à la présence des étrangers. Dans ce contexte, les demandeurs d'asile font face à leur destin en trouvant refuge dans leur croyance religieuse pour justifier le prolongement de leur présence à Agadez, mais aussi leur disponibilité à s'installer là où le HCR leur proposera. Certains envisagent même de se faire venir leur famille si le statut est attribué. Il est prévu par un répondant de rester au Niger pour poursuivre ses études. Les possibilités offertes aux enfants déterminent le choix du pays où s'installer pour une partie des répondants.

Dans leur majorité les ressortissants du Darfour n'envisagent ni de repartir en Libye ni de vivre à Agadez ni dans leur pays d'origine non plus. Pour ce groupe la réinstallation est ciblée comme un objectif à atteindre.

9.5.2 Refus de l'asile

L'asile dans le contexte de la migration mixte apparait comme une incertitude eu égard à la situation que vivent les requérants. En effet, les Soudanais par exemple ont subi des atrocités au Darfour avant de se voir contraints de s'installer dans les camps de de déplacés internes ou de réfugiés au Tchad. Ils poursuivent leur itinéraire en Libye à la recherche d'un bien-être. Malheureusement l'insécurité les contraint une fois de plus à s'inscrire comme demandeurs d'asile à Agadez. C'est donc l'unique porte de sortie pour l'aboutissement de cette requête. C'est pourquoi ils considèrent que c'est une catastrophe humanitaire si jamais leur demande d'asile n'aboutit pas comme l'illustrent ces propos : « Le refus de m'accorder le statut des réfugiés me fera beaucoup mal, car j'ai mis sept (7) mois à attendre. C'est du sable aux yeux » (Agadez, décembre 2019). Pour d'autres ils vont s'en remettre au HCR « I have not choice. The choice is for UNHCR. The UNHCR is my mother and my father» ( Shourem, demandeur d'asile, Agadez, decembre 2019). Face à un avenir qui n'est pas assez lisible, notre interlocuteur a choisi de mettre son destin dans les mains de l'agence onusienne. A ces yeux, le

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HCR dispose des moyens et du réseau nécessaire pour plaider et trouver une solution à leur cas. Cette prise de position traduit le degré d'incertitude des Soudanais, incapable d'assumer leur destin qu'ils confient au HCR.

9.5.3 Retourner au premier pays d'asile

Le retour au premier d'asile est une option envisagée par un nombre important de Soudanais. Pour ces personnes si l'incertitude persiste au Niger il est plus judicieux de retourner dans les camps de réfugiés au Tchad, retrouver la famille, les amis, les connaissances et retrouver la protection internationale. Cette solution est du reste celle préconisée par le HCR dans la gestion des mouvements secondaires des réfugiés. Pour qu'elle aboutisse, le HCR doit prendre contact avec le premier pays d'asile. Celui-ci doit donner son accord pour la réadmission. En ce moment le HCR organise avec l'OIM le retour dans le premier pays d'asile : la réadmission.

9.5.4 Régulariser le séjour au Niger rester au Niger pour les études

Certains répondants estiment qu'en cas de refus de l'asile ils vont s'installer au Niger afin de poursuivre leurs études. Au regard de la loi nigérienne cette option est bien sûr envisageable, mais suspendue à la régularisation du séjour en tant que migrant. Il s'agit de prendre un visa et un permis de séjour. Pour les tenants de cette position, cela est dû à la sécurité qu'ils trouvent au Niger. Le pays est épargné par la violence contrairement à la Libye et loin du Soudan. Au Niger, l'intégration de ces personnes peut être facilitée par la présence de commerçants soudanais et par ceux qui auront bénéficié d'une réponse positive à leur demande d'asile. Pour une minorité de personnes interrogées, le retour en Libye n'est pas une option envisageable. Ces personnes gardent surtout des mauvais souvenirs de ce pays marqué par des enlèvements, des kidnappings, des demandes de rançon et la perte des personnes proches. Ils ne peuvent y retourner en connaissant les risques auxquels ils s'exposent. Il en est de même d'un retour au Soudan.

9.5.5 Retourner en Libye

Toutefois certains indiquent avoir l'intention de retourner en Libye si jamais l'incertitude sur leur demande persiste ou en cas de réponse négative sur leur requête. Ils envisagent de retourner en Libye pour prendre le bateau et aller en Europe. En fait, dans les mobiles à l'origine de leurs déplacements en Libye, on note que beaucoup voulaient rejoindre l'Europe. Ceci est motivé par l'absence d'opportunité au Tchad et même en Libye devenue un enfer terrestre. C'est aussi motivé par les tentatives réussies de compatriotes et des connaissances ayant pu rejoindre le

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vieux continent par cet itinéraire. Sur les réseaux sociaux, ces personnes partagent les photos de l'Europe, mais aussi les conseils nécessaires pour être en contact avec les passeurs et la stratégie pour survivre une fois en Europe avec les interviews. La diaspora soudanaise installée dans le vieux continent n'est pas en marge de cette dynamique. Elle participe au financement de la migration à l'échelle du continent africain et même de l'Europe. Elle fournit également des informations utiles au périple.

9.6 Attendre l'asile

9.6.1 A la recherche de son conjoint

Une femme malienne interrogée indique n'avoir pas de nouvelles de son mari partie en Europe

« Je m'appelle Zara, j'ai quitté Mopti pour la Libye. Arrivée à la gare d'Agadez un homme qui parle fulfulde nous a dit que c'est très dangereux. Il nous a mis dans un taxi moto pour le centre OIM. Je suis avec mes enfants à la recherche de leur père qui a quitté pour le Maroc dans l'intention de rejoindre l'Europe. Depuis trois ans on n'a aucune nouvelle. J'ai quitté le village, car la grand-mère de ma fille l'a fait quitter l'école pour un mariage alors que c'est une gamine. Je partais en Libye pour chercher du travail afin de pouvoir élever mes enfants. J'ai vendu l'or que ma maman m'a laissé après sa mort. Arrivé à l'OIM j'ai dit que je ne voulais pas rentrer au pays. J'ai donc fait la demande d'asile. Je ne voulais pas rester au Niger, je veux un pays qui est bon ». (Zara,

demandeuse d'asile, Agadez, 28-07-2018)

C'est donc pour aller à la recherche de son conjoint qu'elle a décidé de se mettre sur cette route migratoire. Des cas pareils ne sont pas isolés. Beaucoup de migrants laissent leur vie dans le Sahara, dans les centres de détentions en Libye ou dans la Méditerranée. Les difficultés pour identifier les corps en l'absence de document d'identité ne permettent pas de communiquer aux pays d'origine les décès de leurs ressortissants. C'est pourquoi beaucoup de familles n'arrivent pas à faire leur deuil. Certains répondants estiment avoir perdu le contact avec les proches après un séjour dans les centres de détentions ou à la suite du vol de leur téléphone portable. Les numéros sont gardés sur des bouts de papier. La perte de ce sésame est synonyme de pertes des contacts avec les proches surtouts pour les Soudanais. La grande mobilité liée au nomadisme et à l'insécurité constitue un des facteurs qui font que les gens n'ont pas dans certains cas les moyens de prendre des nouvelles de leurs proches. Cependant, une minorité affirme être en contact avec la famille. Il s'agit des réfugiés installés dans les camps de réfugiés au Tchad et dont les parents continuent à y vivre. Du fait que ces Soudanais viennent des mêmes camps au Tchad, ils peuvent prendre des nouvelles des proches par personnes interposées.

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9.6.2 Blocage et intégration

Plusieurs facteurs limitent l'intégration à Agadez des réfugiés et demandeurs d'asile dont le principal est la langue. C'est un facteur de rejet et de blocage comme le souligne Alhassane : « Le problème principal à Agadez c'est la langue qui est la principale raison de blocage. On ne peut pas trouver du travail, car on ne parle seulement que l'arabe » (Alhassane, demandeur d'asile, Agadez, 24-07-2018). En effet, les Soudanais ne parlent ni les langues locales du Niger ni le français langue officielle du pays. De même la population d'Agadez parle peu l'arabe du Soudan ; seuls, quelques-uns ayant séjourné en Libye sont en mesure de comprendre ce dialecte. C'est donc une inaptitude à communiquer qui freine les interactions entre les Soudanais et la communauté hôte.

L'intégration des demandeurs d'asile et réfugiés à Agadez est aussi limitée par les difficultés de trouver du travail sur place. L'environnement économique offre moins de possibilités pour des travailleurs non qualifiés. L'écosystème de l'emploi offre peu de perspectives même dans l'emploi informel comme le souligne Ibrahim « Je serai prêt à travailler ici, mais je ne vois pas s'il y a du travail ici. Je peux rester au Niger si j'ai le statut de réfugié ». (Ibrahim, demandeur d'asile, Agadez, 19-07-2018). Même dans ce cas les conditions de travail sont difficiles et peu rémunérées. La majorité des Soudanais espèrent trouver à Agadez un travail permettant, à l'image de la Libye à une époque, de se prendre en charge et d'envoyer régulièrement des ressources à la famille restée dans les camps. Cela est accentué par l'absence d'opportunité économique qu'offre le Darfour.

D'autres acteurs réfugiés ne souhaitent pas s'intégrer à Agadez à cause des mauvaises conditions sécuritaires. Ils notent des descentes fréquentes de la police dans les ghettos. De là, ils sont mis en garde vue au commissariat avant de se voir proposer d'intégrer le programme de retour volontaire. Ce climat de suspicion et de méfiance réciproque entre police et migrant n'est pas de nature à favoriser l'intégration de cette population.

En outre, une partie de cette population n'envisage même pas une intégration à Agadez. Ils sont bloqués faute de moyens financiers pour continuer le voyage ou à cause de la répression de la migration de transit.

9.6.3 Travailler à Agadez

Malgré ce contexte de morosité économique à Agadez certains demandeurs d'asile se battent pour trouver du travail. Il s'agit principalement des femmes originaires de Kano. Auto-logées

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au quartier Pays-Bas ces femmes vivent de la mendicité, du balayage des rues et de la domesticité dans les maisons.

Notons également que les Subsahariens notamment Nigérians, Camerounais, Ivoiriens se distinguent pour les femmes par le travail dans les bars en qualité de serveuses. Les hommes sont moins enclins à chercher du travail bien qu'ils se plaignent de l'oisiveté. Les Soudanais hommes et femmes ne cherchent pas de travail et attendent l'appui des organisations humanitaires.

Conclusion partielle :

En définitive, il ressort que les personnes en quête d'asile à Agadez sont majoritairement jeunes et de nationalité soudanaise. C'est une population vulnérable comprenant des enfants séparés ou non accompagnés et des femmes cheffes de ménages.

Les mobiles de la demande de protection englobent le conflit au Darfour, la diminution de l'assistance dans les camps, l'absence de travail, la sécurité, les conflits communautaires et l'opportunisme. Le choix du Niger comme destination relève de la contrainte au travers les expulsions en provenance de l'Algérie. D'autres avancent les conditions sécuritaires favorables pour justifier le choix. Pour le troisième groupe, c'est un appel d'air. Les itinéraires sont complexes avec un départ des camps (réfugiés ou IDPs) pour finir dans un camp à Agadez.

En termes de dispersion géographique les migrants africains y compris Soudanais préfèrent s'installer au sud de la Libye où est installée déjà une forte diaspora africaine. Cette stratégie permet de faciliter l'accès au logement, à l'emploi et les envois au pays d'origine. Une chaine de solidarité locale existe dans les villes du sud : Sebha et Al Gatrone. Elle se développe dans un contexte de baisse du racisme qu'on retrouve dans les villes de Tripoli. Le sud est dominé par des Toubous qui ont des ramifications familiales au Niger, au Tchad et Soudan. C'est pourquoi les migrants de ces pays préfèrent fuir les humiliations du Nord bien que cette région offre plus d'opportunités et d'emploi. Cependant, au sud comme au nord la situation est marquée par la persistance des emprisonnements et des kidnappings de migrants.

Dans une Libye en plein désastre sécuritaire, politique et économique le kidnapping est devenu une activité rentable à laquelle s'adonnent avec aisance les milices et des personnes privées en l'absence de perspectives locales.

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Conclusion générale

Le présent travail d'étude et de recherche a permis de mettre en évidence la place de choix qu'occupe la migration dans les relations entre l'UE, ses États membres et le gouvernement du Niger. Cette collusion s'accompagne d'un durcissement de la législation migratoire au Niger. Ainsi, entre 2010 à 2020 le pays a élaboré et adopté plusieurs textes dans ce sens. Il s'agit de l'ordonnance sur la traite des personnes, la loi 2015-36 sur le trafic illicite des migrants, la stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière et la politique nationale de migration.

Sur le plan institutionnel, au registre des changements enregistrés, figurent la mise en place de l'agence nationale de lutte contre la traite des personnes et le trafic illicite de migrants, la commission nationale de lutte contre la traite de personnes, le cadre de concertation sur la migration dotée d'un secrétariat permanent, les sous-groupes : migration et sécurité, migration et protection, groupe de travail sur la migration. Notons en sus l'adoption d'un nouveau format de rencontre incluant une réunion préparatoire, une réunion technique et une réunion politique. L'objectif de cette approche est d'ouvrir un espace de discussion entre le Niger et l'Union européenne ou ses pays membres sur les progrès réalisés dans le cadre de l'endiguement de la migration de transit, les défis et les perspectives.

Côté force de défense et de sécurité, il est noté la mise en place de l'Unité GARSI au niveau de la gendarmerie nationale, la division investigation spéciale en charge de la lutte contre la migration irrégulière, les compagnies mobiles de contrôles des frontières (CMCF). Ces éléments qui paraissent isolés constituent la machine mobilisée pour lutter contre la migration dite irrégulière de transit. Cette injonction de l'UE se traduit par une focalisation sur la migration de transit au Niger en direction de la Libye et de l'Algérie reléguant au second rang le fait que le pays soit avant tout un espace de départ. Elle réoriente de facto les modalités de gestion de la migration au Niger. Par-delà, il est noté une évolution des pratiques administratives marquée par des arrestations, des emprisonnements, la promotion du retour volontaire des migrants et le refoulement aux frontières de personnes dites en situation irrégulière. Ces constats confirment notre première hypothèse de travail qui postule que la collaboration entre l'UE et le Niger vise à endiguer la migration de transit en direction de la Libye et l'Algérie.

Avec l'opérationnalisation du fonds fiduciaire, il est noté sur le terrain la présence de plusieurs acteurs oeuvrant dans le domaine de la migration. Il s'agit des acteurs étatiques qui s'approprient de plus en plus la thématique (la commission nationale des droits de l'Homme, la Médiature de

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la République, les ministères de l'Intérieur, de la Justice, de la promotion de la femme et la protection de l'enfant), les organisations non gouvernementales internationales :IRC, MDM, CRN, MSF, APBE, COOPI, INTERSOS, MEDU, CIAUD-Canada, AIRD, des agences de développement : GIZ, AFD, Lux dev et des agences onusiennes OIM, HCR, HCDC, PNUD. Ces acteurs interviennent avec des projets spécifiques souvent avec des financements de l'UE et/ou ses États membres. On note aussi la mise en place de projets transnationaux dans le but de combattre la migration dite irrégulière. Ces interventions sur une petite ville comme Agadez avec le déploiement de staffs sur le terrain ont conduit à une prolifération des acteurs oeuvrant dans le domaine de la migration. Ainsi, l'analyse de la dimension économique met en exergue une économie de transit anéantie par les mesures de lutte contre la migration irrégulière. C'est un business animé par des acteurs multiples comme le connecteur international, le coxeur, le gérant de ghetto, les transporteurs, les vendeurs de bois, turban, lunettes, des taxis motos. Ces acteurs ont pour trait commun l'offre de service aux migrants. Cela inclut, le transport, l'hébergement et le convoyage des migrants, et la vente d'article comme le turban, les lunettes et le bois. Il est également noté l'émergence d'une économie de l'anti transit et une économie de l'humanitaire. Cette économie est une interaction entre l'humanitaire-le développement et une élite économique et intellectuelle pouvant mettre à disposition des maisons en location, exécuté des appels d'offres ou ayant le profil pour se faire recruter dans une agence humanitaire.

En lien avec la collaboration de l'UE, le Niger a mis en place un dispositif pour lutter contre la migration de transit. Celui-ci implique le renforcement du contrôle aux frontières, le refoulement, la reconduite aux frontières et le démantèlement des réseaux. Une telle dynamique a participé aux reconfigurations d'une ville de transit comme Agadez. Celle-ci peut s'apprécier par la prolifération des gares. En effet, de moins de 5, il y a quelques années, Agadez compte aujourd'hui plus de 10 gares modernes. Même si, cela n'est pas uniquement lié à la migration, les changements dans le secteur du transport ont contribué à son développement. Ces compagnies de transports convoient les migrants de leurs pays d'origine (Mali, Burkina Faso, Togo, RCI et Sénégal) jusqu'à Agadez. Cette offre de transport permanente a facilité la liaison entre les villes de l'Afrique de l'ouest et Agadez. Par-delà, la prolifération des gares de transport est le reflet de l'intense mobilité qui caractérise cet espace. En effet, elle a donné lieu à la prolifération des gares informelles spécialisées dans le transport sur des longues distances (vers la Libye ou l'Algérie), mais aussi des courtes distances (vers Tabelot). Dans ces espaces sont souvent embarqués les migrants vers les communes voisines de la commune urbaine d'Agadez. Cette stratégie s'inscrit dans une logique de se soustraire aux contrôles des forces de l'ordre

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mais aussi pour échapper aux taxes. Les véhicules Hiace occupent ces gares informelles en général car ils sont moins suspects que les voitures talibanes. Ils font donc l'objet de moins de contrôle. Pour les migrants, il faut à tout prix sortir d'Agadez pour être dans les communes voisines ou les jardins afin d'attendre le transporteur. Il y a donc un changement des lieux d'embarquement des migrants de la gare classique vers les gares informelles et puis vers la périphérie de la ville et les communes voisines. Les embarquements deviennent alors plus clandestins.

L'impact des politiques d'externalisation sur le parcours individuel des migrants et des lieux traversés s'apprécient aussi à travers les lieux d'hébergement dans les villes de transit notamment à Agadez. Ces espaces appelés couramment ghettos ou foyers servent de lieux d'hébergement aux migrants durant leur transit vers l'Afrique du Nord. Pour le besoin de l'organisation du voyage vers le Nord, les foyers constituent des lieux d'attente des migrants. Les foyers étaient localisés un peu partout dans la ville : centre, zone intermédiaire et périphérie. Ils étaient connus et tolérés. L'embarquement des migrants se faisait dans les rues ou les gares classiques. Les occupants sont également visibles puisqu'ils passent le matin ou l'après-midi à patienter, discuter devant la porte. Ce sont donc des espaces ouverts connus de tous. Leurs occupants entretiennent également des relations commerciales avec le voisinage à travers l'achat de glaces, cigarettes, allumettes, médicaments, riz ou autres condiments nécessaires à la cuisine.

Dans la dynamique des lieux, notons également la baisse des flux ascendants vers le Nord, selon l'OIM en 2016 le nombre de migrants entrés dans la région était de 111 230 personnes. Ce nombre correspond au pic des flux entrants. Il chute en 2017 à 99 455 pour tomber à 18 093 personnes au premier semestre de l'année 2018. Ces chiffres ne sont pas exempts de critique quand on sait que depuis l'application de la loi 2015-36 la tendance des migrants, des passeurs est à la clandestinisation.

À Agadez, un changement important est à souligner, celui des moyens de transport avec l'introduction des véhicules de type Hilux. Sur les destinations en direction de l'Afrique du Nord, les voitures talibans surnom donné à ce type de véhicules ont révolutionné le transport. Les voitures-talibans ont réduit la durée du voyage entre les deux espaces de 6 à 7 jours auparavant, à 2 à 3 jours aujourd'hui. Légers, pouvant contenir 20 à 25 personnes, il est très adapté à la traversée du désert. Les voitures-talibans ont permis une réorganisation de la chaine de transport, mais aussi du coût du voyage.

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Les politiques en cours dans le domaine de la migration ont donné naissance également à des nouvelles aires d'embarquement des passagers. Certes dans certains cas, les chargements ont toujours lieu à la gare ou dans les ghettos mais force est de constater qu'il n'y a plus de transport de migrants internationaux vers l'Afrique du Nord à partir de la gare d'Agadez. La loi 2015-36 a eu cette lourde conséquence sur l'Ecogare. Toutefois, certains propriétaires notamment ceux chargeant dans les gares continuent d'opérer dans la clandestinité passant ainsi du transport irrégulier au transport dans la clandestinité. Ainsi, on note des cas où les départs de migrants ont lieu sur la route de Zinder en périphérie d'Agadez à destination de la Libye ou l'Algérie. D'Agadez, les migrants sont transportés par des motos jusqu'à la sortie de la ville. Une fois hors de la ville, ils sont hébergés dans des jardins pendant quelques jours avant d'être repris par les passeurs. En somme, les politiques en cours ont donné lieu aux déplacements des espaces de chargements des migrants hors de la ville ou bien avant Agadez. Dans certains cas, le mode opératoire des passeurs consiste à contourner la ville d'Agadez. Sur le terrain, il y a une invisibilité totale des transports des migrants internationaux vers l'Afrique du Nord à partir de cette ville.

L'analyse des actions de lutte contre la migration de transit à travers le Niger a eu des répercussions sur les trajectoires des migrants. Ainsi, il est signalé de plus en plus l'émergence de routes secondaires. Les migrants utilisent ces trajectoires afin d'échapper aux contrôles de la police.

Cette pratique de contournement des postes de police s'inscrit dans une dynamique d'adaptation face aux contraintes de mobilités. Elle rend de plus en plus vulnérable les migrants, car leur parcours se fait dans la clandestinité. Le contournement des postes de polices transfrontaliers est très développé en particulier au niveau du poste de Maymoujiya. Cette situation peut être liée à la dépendance des convoyeurs, à l'absence de documentation et au passage de migrants non ressortissants de la CEDEAO. Sur cet axe l'évitement des postes débute au nord du Nigéria.

Sur cet axe la nouvelle route consiste à éviter les postes de police tout au long de la route entre Zinder et Agadez. Les transporteurs sont contraints d'abandonner la route bitumée dans certains cas pour éviter les FDS. Une autre stratégie, est de déposer les migrants à quelques kilomètres de la ville d'Agadez.

Sur l'axe Tahoua-Agadez la même pratique est en vigueur. Les migrants choisissent de voyager par Hiace et non via les bus pour être moins visibles. À quelques kilomètres de la ville, avec la

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complicité des chauffeurs, ils changent de moyen de transport. La moto est alors préférée pour contourner le poste, et rentrer à Agadez.

Dans la ville d'Agadez aussi plusieurs stratégies sont développées par les passeurs pour faire sortir les migrants. Certains sortent à l'aube, d'autres en journée notamment aux heures de prières comme celle du vendredi.

Aussi, avec la promotion du retour volontaire, émerge le phénomène de migration inversée. L'ouverture de l'espace d'asile est accompagnée de l'afflux à Agadez de personnes en quête de protection. Dans ce contexte, les parcours des migrants se reconfigurent donnant lieu à des trajectoires complexes prenant naissance dans les camps de réfugiés ou déplacés du Tchad ou du Darfour pour terminer dans les cases de passages des demandeurs d'asile à Agadez. La trajectoire des migrants inclut également les pays d'Afrique de l'Ouest, du Centre, l'Afrique du Nord pour se retrouver à Agadez. Cette reconfiguration des trajectoires migratoires confirme notre deuxième hypothèse de travail selon laquelle l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger reconfigure les parcours des migrants.

Dans ce contexte, Agadez ville de transit se reconfigure en espace d'attente. L'attente comprend l'attente institutionnelle pour laquelle on dénombre d'une part les candidats au retour volontaire et les prétendants à l'asile, d'autre part, des personnes coincées à Agadez en raison des politiques restrictives ayant pour conséquence la rareté de l'offre de transport. L'attente a transformé la ville avec la mise en place de dispositifs d'accueil. Il s'agit du centre de transit de l'OIM, le centre humanitaire régional, les cases de passages, l'espace d'hébergement solidaire et enfin les ghettos de plus en plus localisés en périphérie. Notons également une mutation dans les espaces d'embarquement des migrants de la gare aux ghettos, garages, ménages et les jardins situés à la périphérie de la ville. Ces éléments participent à la transformation de la trame urbaine d'une ville de transit comme Agadez. Par-delà, le cantonnement et éloignement des migrants suscitent des tensions à Agadez de la part de la population hôte, des migrants et demandeurs d'asile. Ces éléments confirment notre troisième hypothèse qui soutient que la collaboration entre l'Union européenne et le Niger dans le domaine de la migration reconfigure les lieux de transit.

En termes de perspectives, nous comptons consacrer nos prochains travaux aux déplacements forcés de population. Avec la dégradation de la situation sécuritaire aux frontières et dans certaines parties du territoire, il est noté une augmentation du nombre de personnes en quête d'asile et des déplacés internes au Niger. Il parait utile de comprendre le mécanisme de

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protection de ces groupes, leur insertion dans les espaces d'accueil et le retour dans les zones de départ.

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Timera M., 2001, « Les migrations des jeunes sahéliens : affirmation de soi et émancipation », Autrepart, n° 18, pp. 37-49

271

Annexes

Annexe 1 : Outils de collecte des données

Guide adressé aux acteurs institutionnels et aux migrants Date :

Nom :

Prénom : Institution : Fonction : Lieu de l'enquête :

Cartographie des acteurs (capacite institutionnelle)

Liste des acteurs impliqués dans la gestion des migrations (étatiques, non étatiques)

Rôle de chaque acteur

Historique des interventions

Activités des acteurs

Niveaux d'intervention

Secteurs et personnes concernées

Moyens et sources des moyens

Partenaires

Difficultés rencontrées dans les activités

Perception de la migration

Les rapports avec les migrants

Niveau de connaissance de la législation sur la migration (loi traite, loi trafic, entrée et séjour des étrangers)

Perception sur les textes (lacunes des ces textes, les difficultés d'application etc..)

Perception des écarts entre les discours, les normes (textes) et les pratiques des acteurs au niveau local

L'assistance aux migrants Les institutions internationales

Les institutions non gouvernementales et autres acteurs impliquées dans l'assistance aux migrants

272

Les services fournis (logement, transport, nourriture, protection ou défense etc..), la disponibilité, qualité des services (répond aux attentes et aux besoins des migrants)

Les difficultés rencontrées

Les rapports avec les migrants

La perception des migrations de transit

Niveau de connaissance de la législation et des politiques en matière de migration

Perception des écarts entre discours, normes (textes) et pratiques de terrains

Les autres acteurs

Liste des acteurs

Perception de la migration de transit

Rapports population avec les migrants

Rapports entre migrants et institutions

Comment la population d'accueil ; les institutions publiques ; la société civile et les autres

migrants perçoivent les migrants en transit ?

Comment les medias font ils le portrait de la migration de transit et /ou des migrants en transit ?

Les acteurs migrants

Accès au support légal : recours a la loi si leurs droits sont violés)

Si les migrants ont un accès a l'éducation et a la formation

S'il y'a des liens entre le transit, le trafic et la fraude

s'ils enregistrent des cas de violence ou d'abus du fait du sexe (décrivez)

Sil y'a des cas de discrimination et /ou actes de xénophobie contre les migrants, et si de tels

actes sont commis a l'égard de tous les migrants ou un groupe spécifique (décrivez) Niveau de connaissance de la législation et des politiques en matière de migration

273

Guide adressé aux acteurs de l'économie de la migration

Date : Nom :

Prénom : Fonction :

Lieu de l'enquête :

I. Situation économie de la migration à Agadez en 2015-2016

1. Les acteurs/secteurs qui ont tiré profil du passage des migrants à Agadez en 2015

2. Expliquez comment ces acteurs/secteurs opéraient pour tirer profit de la migration

3. Citez les acteurs/secteurs qui ont le plus profité des retombés économiques du passage de migrants à Agadez

4. Pouvez-vous estimez en 2015-2016 le nombre de migrants internationaux qui voyagent d'Agadez vers la Libye chaque semaine?

5. Nombre de véhicules quittaient Agadez pour la Libye chaque semaine

6. Comment arriviez-vous à avoir les migrants que vous transportiez ?

7. Combien paye un migrant d'Agadez-Gatroun?

8. En ce moment combien gagnez-vous par semaine ?

9. Pouvez-vous citez les dépenses d'un migrant de son séjour jusqu'à son départ vers la Libye ?

10. Quels sont les acteurs qui ont le plus bénéficié de l'impact économique de la migration en ce moment ?

11. Combien de ghettos y'a t'ils à Agadez en ce moment ?

12. Quels quartiers avaient plus de ghettos ?

13. En moyenne combien coûtait la location d'un ghetto/mois ?

II : Situation économie de la migration 2018-2019

14. Les acteurs/secteurs qui tirent profil du passage des migrants à Agadez en 2018-19

15. Expliquez comment ces acteurs/secteurs opéraient pour tirer profit de la migration

16. Pouvez-vous estimez en 2018-2019 le nombre de migrants internationaux qui voyagent d'Agadez vers la Libye chaque semaine?

17. Combien de véhicules quittaient Agadez pour la Libye chaque semaine ?

18.

274

Comment arriviez-vous à avoir les migrants que vous transportiez ?

19. Combien paye un migrant d'Agadez-Gatroun?

20. Combien gagnez-vous par semaine

21. Pouvez-vous citez les dépenses d'un migrant de son séjour jusqu'à son départ vers la Libye.

22. Expliquer les raisons de la baisse des migrants

23. Pouvez-vous citez les dépenses d'un migrant de son séjour jusqu'à son départ vers la Libye ?

24. Quels sont les acteurs qui ont le plus bénéficié économiquement des politiques de lutte contre la migration en direction de l'Afrique du Nord

25. Combien de ghettos y'a t'ils à Agadez en ce moment ?

26. Quels quartiers ont plus de ghettos ?

27. En moyenne combien coûtait la location d'un ghetto/mois ?

III. Conséquences de l'arrêt de la migration

28. Expliquer les conséquences économiques de l'arrêt de la migration à Agadez

29. Expliquer les conséquences sociales de l'arrêt de la migration à Agadez

30. Expliquer les conséquences culturelles de l'arrêt de la migration à Agadez

31. Expliquer les conséquences sécuritaires de l'arrêt de la migration à Agadez

32. Pouvez-vous me parler du plan de reconversion des acteurs de la migration

33. Quels sont ces impacts positifs et négatifs

34. Aviez-vous des propositions pour relancer l'économie de la commune d'Agadez

275

Questionnaire sur les Migrants -(Niger)

Questionnaire/guide pour migrants en partance (hommes /femmes) Statut migratoire : Migrant en partance

Section 1: Informations personnelles

1. Âge

2. Sexe :

3. Etes-vous célibataire, marié(e), divorcé(e) ou veuf (ve)

4. Avez-vous fréquenté l'école? Oui / Non

5. Si oui, indiquer quel type d'éducation vous avez reçu?

A. Religieux

B. Professionnel

C. Général

D. Cours d'adulte (alphabétisation)

E. Autres

6. Si B ou C, indiquer le dernier niveau d'éducation atteint ?

A. Primaire

B. Secondaire

C. Supérieur

7. Quel est votre pays de naissance?

8. Quel est votre pays d'origine si différent du pays de naissance?

9. Quel est votre pays de départ ?

10. Quel est le nom de votre village et de votre région / ou de votre ville d'origine?

11. Quelle est votre langue maternelle ?

12. Quelles sont les langues que vous parlez ?

Section 2: Contexte du départ

13. Est-ce que votre père est en vie? Oui/ Non

14. Est-ce que Votre mère est en vie? Oui / Non

15. Il y a combien de membres en vie dans votre famille?

16. Aviez-vous une occupation avant votre départ ? Oui /Non

17. Si oui, préciser le type d'occupation.

18. Etiez-vous payé par jour, par semaine ou par mois ?

19. Préciser la rémunération.

276

20. Etiez-vous satisfait de votre rémunération ? Oui / Non

21. Pourquoi ?

22. Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez quitté votre pays?

A. N'a pas de travail

B. Travaille mais salaire peu intéressant

C. Menaces pour la sécurité personnelle

D. Guerre civile

E. Autres raisons (Préciser).

23. Quelle était votre destination finale choisie au départ?

24. Pourquoi avez-vous choisi cette destination ?

Section 3 : Contexte du voyage

25. Avez-vous voyagé seul ? Oui/Non

26. Si Non, avec qui ? Préciser : un ou des membres de la famille ? Lesquels ?ou des amis depuis le pays d'origine ou des compatriotes ?

27. Est-ce que vous vous êtes fait des connaissances pendant le voyage vers le Niger ? Oui / Non

28. Est-ce que vous vous êtes fait des connaissances à travers le voyage au Niger ? Oui / Non

29. Par où êtes-vous entré au Niger?

30. Par quels moyens de déplacement ?

31. Pourquoi avez-vous choisi de passer par le Niger ?

32. Avez-vous quitté avec des documents de voyage ? Oui/ Non

33. Si oui, quels types (pièce d'identité, passeport, carte d'identité CEDEAO, carte consulaire, laissez-passer, etc.) ?

34. Comment vous avez financé votre voyage ? Demandez plus de détails sur les sources et les montants du financement (parents, amis, endettement, vente d'actifs, etc.).

35. Décrivez votre itinéraire à partir de votre pays de départ, en indiquant les lieux de transit et le temps passé dans ces lieux?

36. Avez-vous été contraint de travailler ? Oui/ Non

37. Si oui, quel travail avez-vous exercé?

38. Pendant combien de temps ?

39. Avez-vous reçu des aides durant le trajet ? Oui/ Non

40. Si oui, préciser les types d'aides.

41. Si oui, préciser les donateurs.

42. Avez-vous résidé dans d'autres pays au moins pendant trois mois avant d'arriver au Niger? Oui/ Non

43. Si oui, quels pays?

44. Avez-vous travaillé dans un de ces pays? Oui/ Non

45. Si oui, quels types de travail ?

46. Quelle est la nationalité de la principale personne qui vous a aidé à organiser votre voyage vers le Niger?

47. Avez-vous fait l'objet de violences quelconques pendant le trajet (extorsions de fonds, menaces verbales, physiques, etc.) ? Oui/ Non

48. Si oui, lesquelles ?

49. Combien avez-vous payé à chaque point de contrôle ?

50. Comment avez-vous géré votre fonds de voyage ? (voyager avec l'argent, déposer dans une banque, transférer par un parent /préciser le canal).

51. Avez-vous eu des difficultés financières pendant votre voyage ? Oui/ Non

52. Si oui, préciser lesquelles et où ?

277

Section 4: Informations socioéconomiques sur les conditions à Agadez

53. Pourquoi êtes-vous passé par Agadez?

54. Qui vous a recommandé Agadez ?

55. Avez-vous toujours des documents de voyage avec vous ? Oui / Non

56. Avez-vous un membre de la famille à Agadez ? Oui / Non

57. Aviez-vous déjà des amis, des connaissances ou des contacts à Agadez avant votre arrivée ? Oui / Non

58. Aviez-vous déjà leurs contacts téléphoniques ? Oui/ Non

59. Qui vous a accueilli à Agadez ?

60. Depuis combien de jours êtes-vous à Agadez?

61. Combien votre voyage vous a-t-il coûté au total de votre pays d'origine (ou point de départ) à Agadez ?

62. Est-ce que vous avez suffisamment d'argent sur vous pour continuer ? Oui /Non

63. Si vous n'avez pas assez d'argent actuellement pour continuer, que comptez-vous faire ?

64. Travaillez-vous actuellement? Oui/ Non

65. Si oui, quel type de travail?

66. Comment avez-vous eu ce travail ?

67. Où travaillez-vous?

68. Travaillez-vous avec d'autres migrants? Oui/ Non

69. Si oui, combien de migrants?

70. Veuillez décrire vos conditions de vie à Agadez (restauration, alimentation, santé, sécurité, loisirs, etc.) ?

71. Comment percevez-vous les Nigériens?

72. Comment les Nigériens vous perçoivent ou vous traitent?

73. Comment les agents de sécurité vous traitent-ils ici ?

74. Avez-vous reçu une assistance humanitaire depuis que vous-êtes à Agadez ? Oui/ Non

75. Si oui quel, type d'assistance et de qui (personnes, organismes, église, mosquée, etc.) ?

76. Recevez-vous une assistance humanitaire actuellement ? Oui /Non

77. Si oui, quel type d'assistance et de qui (personnes, organismes, église, mosquée, etc.) ?

78. Comment sont vos relations avec les autres Africains à Agadez?

79. Est-ce que vous vous êtes fait des amis ou des connaissances à Agadez? Oui/ Non

80. Si oui, qu'est-ce qui a facilité cette opportunité de relations avec les jeunes d'ici (prières collectives, sport, marchés, lieux de loisirs, etc.)?

81. Vous ont-ils invité à visiter leurs familles ou leurs quartiers ou des clubs de jeunes? Oui/ Non

82. Si non, quels sont les obstacles rencontrés pour nouer des relations?

83. Avez-vous créé ou impulsé des activités récréatives telles que le sport (ex : football), la musique, la danse, etc.)? Oui / non

84. Si oui, préciser.

85. Avez-vous participé à des cérémonies de mariage, de baptêmes et à d'autres célébrations à Agadez? Oui / Non.

86. Avez-vous appris quelques mots en langues locales ? Oui /Non

87. Si oui, dans quelles langues : Tamasheq, Hausa, Peul, Zarma, Arabe, etc.

278

Section 5 : Genre et migration

88. Avez-vous voyagé avec des femmes migrantes en partance aussi ? Oui / Non

89. Avez-rencontré des jeunes couples de migrants (avec ou sans enfants) qui voyagent ensembles? Oui/Non

90. Que pensez-vous des conditions des migrants hommes et femmes ici? Y a-t-il des différences?

91. Les jeunes femmes migrantes sont-elles mieux traitées socialement que les jeunes hommes dans les ghettos par les autres migrants ? Oui/Non

92. Si oui, préciser les types de traitements.

93. Les jeunes femmes migrantes sont-elles mieux traitées socialement que les jeunes hommes dans les ghettos par les propriétaires de ghettos ?

94. Si oui, préciser les types de traitements.

95. Les jeunes femmes migrantes sont-elles mieux traitées socialement que les jeunes hommes en ville par les Nigériens ?

96. Si oui, préciser les types de traitements.

97. Quels sont les types d'occupation exercés par les femmes migrantes ici ?

Section 6 : Informations sur le pays de destination visé

98. Quel est votre pays de destination finale?

99. Pourquoi le choix de ce pays ?

100. Qui vous a ou vous ont guidé à choisir ce pays ?

101. Par où comptez-vous passer (pays, villes, etc.) avant d'arriver dans ce pays?

102. Savez-vous combien le voyage va-t-il vous coûter ? Oui/ Non/NSP

103. Si oui, combien ?

104. Etes-vous informé des risques sur les routes migratoires ? Oui/ Non

105. Si oui, quels sont les risques dont vous avez entendu parler ?

106. Avez-vous peur des risques encourus sur les routes migratoires menant au pays de destination? Oui / Non

107. Etes-vous conscients que vous pouvez mourir dans le désert ? Oui / Non

108. Avez-vous déjà une promesse d'emploi ou de travail dans le pays visé ? Oui / non

109. Si oui, quel type d'emploi ou de travail ?

110. Si non, que comptez-vous faire comme emploi ou travail dans ce pays de destination?

111. Etes-vous certain d'avoir un travail ou un emploi ? Oui/ Non/ NSP

112. Avez-vous des membres de votre famille là-bas ? Oui/ Non

113. Si oui, lesquels ?

114. Avez-vous des amis là-bas ? Oui / Non

115. Si oui, lesquels ?

116. Avez-vous des connaissances là-bas ? Oui / Non

117. Avez-vous des contacts téléphoniques ? Oui / Non

Section 7 : Perspectives

118. Que pensez-vous des mesures prises par le Niger contre la migration vers le Maghreb?

119. Que pensez-vous des mesures prises par les pays du Maghreb contre la migration vers l'Europe?

120. Que pensez-vous des mesures prises par les européens contre la migration des africains? (Discutez davantage avec le migrant)

121.

279

Qu'est-ce qui pourrait vous amener à ne pas quitter votre pays ? (discutez davantage avec le migrant).

122. Qu'est-ce qui pourrait amener les jeunes à ne pas quitter leur pays ? (discutez davantage avec le migrant).

123. Quelles sont vos aspirations pour le futur ?

124. Avez-vous des questions à nous poser ?

280

Questionnaire sur les Migrants de retour -(Niger)

Statut migratoire : Volontaire, Refoulé ou Expulsé Section 1: Informations personnelles

1. Sexe:

2. Âge

3. Quel est votre statut matrimonial ?

A. Célibataire

B. marié(e)

C. divorcé(e)

D. veuf (ve)

4. Avez-vous fréquenté l'école ? Oui/ Non

5. Si oui indiquer quel type d'éducation vous avez reçu

A. Religieux

B. Professionnel

C. Général

D. Cours d'adulte

E. Autres

6. Si B ou C, indiquer dernier niveau d'éducation atteint ?

A. primaire

B. secondaire

C. supérieur

7. Quel est votre pays de naissance ?

8. Quel est votre pays d'origine si différent du pays de naissance?

9. Quel est le nom de votre village et de région/ ville d'origine?

10. Quel est votre pays de départ ?

11. Quelle est votre langue maternelle ?

12. Quelles sont les langues que vous parlez ? Section 2 : Contexte du départ

13. Est-ce que votre père est en vie ? Oui/Non

14. Est-ce que votre mère est en vie ? Oui/ Non

281

15. Il y a combien de membres en vie dans votre famille ?

16. Aviez-vous une occupation avant le départ ? Oui Non

17. Si oui préciser le type d'occupation

18. Etiez-vous payé par jour, par semaine ou par mois ?

19. Préciser la rémunération

20. Etiez-vous satisfait de votre rémunération ? Oui/Non

21. Si non pourquoi ?

22. Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez quitté votre pays d'origine?

A. N'a pas de travail

B. Travaille mais salaire peu intéressant

C. Menaces pour la sécurité personnelle

D. Guerre civile

E. Autres (à préciser)

23. Quelle était votre destination finale au départ?

24. Pourquoi vous avez choisi cette destination ?

Section 3 : Contexte du voyage

25. Avez-vous voyagé seul ? Oui/Non

26. Si non avec qui ? Préciser un ou des membres de la famille/lesquels ? ou des amis depuis le pays d'origine ou des compatriotes ?

27. Est-ce que vous avez fait des connaissances pendant le trajet jusqu'au lieu de destination ? Oui/Non

28. Par où êtes-vous entré au Niger?

29. Par quel moyen de déplacement ?

30. Pourquoi avez-vous choisi de passer par le Niger?

31. Avez-vous quitté avec des documents de voyage ? Oui/Non

32. Si oui quels types ?

A. Passeport

B. Carte d'identité

C. Carte consulaire

D. Laisser passer CEDEAO

E. Autres (préciser) :

33. Comment avez-vous financé votre voyage ? (demander plus de détail sur les sources et montant de financements : parents, amis, endettement, vente d'actifs)

34. Décrivez votre itinéraire à partir de votre pays de départ en indiquant les lieux de transit et le temps passé dans ces lieux ?

35.

282

Avez-vous été contraint de travailler? Oui/Non

36. Si oui, quel type de travail avez-vous exercé ?

37. Pendant combien de temps ?

38. Avez-vous reçu des aides durant le trajet? Oui/Non

39. Si oui préciser les types d'aides ?

40. Si oui préciser les donateurs

41. Avez-vous résidé dans d'autres pays au moins pendant trois mois avant d'arriver dans votre destination finale ? Oui/Non

42. Si oui quels pays ?

43. Avez-vous travaillé dans un de ces pays ? Oui/Non

44. Si oui quels types de travail ?

45. Quelle est la nationalité de la principale personne qui vous a aidé à organiser votre voyage jusqu'à destination ?

46. Avez-vous fait l'objet de violence quelconque pendant le trajet ? (violence physique, extorsions de fonds, menaces, autres...) Oui /non

47. Si oui quel type de violence ?

48. Combien avez-vous payé à chaque point de contrôle ?

49. Comment avez-vous géré votre fonds de voyage ? (voyager avec l'argent, déposer dans une banque, transféré par un parent/préciser canal)

50. Avez-vous eu des difficultés financières pendant votre voyage ?

51. Préciser lesquelles et où ?

Section 4 : Informations sur le pays de destination finale

52. Quel était votre pays de destination finale?

53. Pourquoi le choix de ce pays ?

54. Qui vous a ou vous ont guidé à choisir ce pays ?

55. Par où comptez-vous passer (pays, villes, etc.) avant d'arriver dans ce pays?

56. Savez-vous combien le voyage va-t-il vous coûter ? Oui/Non/NSP

57. Si oui combien ?

58. Etes-vous informé des risques sur les routes migratoires ? Oui/Non

59. Si oui ? quels sont les risques dont vous avez entendu parler ?

60. Avez-vous peur des risques encourus sur les routes migratoires menant au pays de destination? Oui / Non

61. Etes-vous conscients que vous pouvez mourir dans le désert ? Oui / Non

62. Avez-vous déjà une promesse d'emploi ou de travail dans le pays visé ? Oui / non

63. Si Oui, quel type d'emploi ou de travail ?

64. Si non que comptez-vous faire comme emploi ou travail dans ce pays de destination?

65. Etes-vous certain d'avoir un travail ou un emploi ? Oui/Non/NSP

66. Avez-vous des membres de votre famille là-bas ? Oui/Non

67. Si oui lesquels ?

68. Avez-vous des amis là-bas ? Oui / Non

69. Avez-vous des connaissances là-bas ? Oui / Non

70. Avez-vous des contacts téléphoniques ? Oui / Non

71.

283

Combien de temps avez-vous passé là-bas ?

72. Avez-vous toujours vos documents de voyage avec vous ? Oui/Non

73. Avez-vous des amis, des connaissances, des contacts au lieu de destination avant votre arrivée ? Oui/Non

74. Avez-vous déjà leurs contacts téléphoniques ? Oui/Non

75. Qui vous a accueilli dans ce lieu de destination ?

76. Quel était votre occupation ?

77. Quelles étaient vos rémunérations par jour, semaine, mois ?

78. Avez-vous fait l'objet d'arrestation par la police pendant votre séjour? Oui/Non

79. Si oui, précisez les causes, lieux et les dates.

80. Avez-vous fait l'objet de violence quelconque pendant votre séjour ? (violence physique, tortue, menaces diverses, extorsions de fonds, autres..) Oui/Non

81. Si oui, précisez les dates, lieux, auteurs ou sources et l'assistance reçue éventuellement.

82. Veuillez décrire vos conditions de vie à Agadez (logement, restauration, alimentation, santé, loisirs, sécurité etc..)

83. Comment percevez-vous les populations du pays d'accueil?

84. Comment les populations du pays d'accueil vous ont perçu ou traité?

85. Comment les agents de sécurité vous ont traité?

86. Avez-vous reçu une assistance humanitaire quelconque pendant votre séjour? Oui/Non

87. Si oui quels types d'assistance ? De qui ?(personnes, organismes, église, mosquée etc..)

88. Comment étaient vos relations avec les autres Africains subsahariens là-bas?

89. Est-ce que vous vous êtes fait des amis ou des connaissances là-bas? Oui/Non

90. Si oui, qu'est-ce qui a facilité cette opportunité de relations avec les jeunes de là-bas? (prières collectives, stades, sports, marchés, lieux de loisirs)

91. Vous ont-ils invité à visiter avec leurs familles ou leurs quartiers ou clubs de jeunes? Oui/Non

92. Si non, quels sont les obstacles pour nouer ces relations?

93. Avez-vous créé ou impulsé des activités récréatives telles que le sport (ex football,) musique, danse etc.) ? Oui/Non

94. Avez-vous fait des envois au pays d'origine pendant votre séjour? Oui/Non

95. Si oui de quelles natures ?

96. Si envois de fonds quels étaient les montants ?

97. Et à quelle fréquence ? (par semaine, par mois, par an, ou occasionnellement)

98. Par quels canaux ?

99. A qui étaient destinés ces envois ?

100. Avez-vous appris quelques mots en langues locales ? Oui/Non

101. Si oui dans quelles langues ? (tamacheq? arabe ? français ?anglais ? etc...

102. Les mariages se produisent-ils entre les hôtes et les migrants ? Oui/Non/NSP

103. Si oui plus fréquemment ? Rarement ?

104.

284

Cette situation modifie-t-elle les projets de migration? Oui/ Non

105. Les hommes migrants se marient-ils plus que les femmes migrantes avec des partenaires du pays hôte? Oui/Non

106. Dans quels quartiers les migrants et leurs familles sont-ils mieux accueillis?

107. Selon vous, quelle est l'explication?

Section 5: Genre et migration

108. Avez-vous voyagé avec des femmes migrantes en revenant ? Oui/Non

109. Avez-vous de jeunes couples de migrant avec ou sans enfant qui voyagent ensemble ? Oui/Non

110. Que pensez-vous des conditions des migrants hommes et femmes ici? Y a-t-il des différences?

111. Les jeunes femmes migrantes sont-elles mieux traitées socialement que les jeunes hommes dans les ghettos par les autres migrants? Oui/ Non

112. Si oui, préciser le type de traitement.

113. Les jeunes femmes migrantes sont-elles mieux traitées socialement que les jeunes hommes dans les ghettos par les propriétaires de ghettos ? Oui/Non

114. Si oui, préciser le type de traitement.

115. Les jeunes femmes migrantes sont-elles mieux traitées socialement en ville par les Nigériens. Oui/Non

116. Si oui, préciser le type de traitement.

117. Quels sont les types d'occupations exercées par les femmes migrantes ici ?

Section 6: Compétences de migration acquises pendant la migration

118. Avez-vous appris de nouveaux métiers ou acquis de nouvelles compétences dans votre pays de destination finale? Oui/Non

119. Si oui lesquels ?

120. Avec qui ?

121. Avez-vous reçu une rémunération pour ce métier ? Oui/Non

122. Avez-vous pensé créer des activités lucratives avec les jeunes du lieu de destination finale? Oui/Non

123. Si oui, quels types d'activités ? (par exemple club sportif, musique, danse, arts, restaurants et autres métiers, la femme de ménage, enseignement aux enfants des pays hôtes?

285

124. Existe-t-il une stigmatisation sociale liée au type de travail en fonction du genre (masculin ou féminin) - par exemple, un homme qui fait la coiffure ou une femme de boucherie ou lavage auto? Oui / Non /NSP

125. Si oui préciser.

126. Que pensez-vous de cette mentalité culturelle liée au travail, à la classe sociale et au sexe masculin et féminin?

127. Avez-vous échangé des compétences avec les jeunes de votre pays d'accueil? Oui/Non

128. Si oui, lesquelles ?

Section7 : Conditions du voyage retour

129. Quelles sont les raisons de votre retour ?

130. Avez-vous fait l'objet de violence quelconque pendant votre trajet jusqu'à Agadez ? (violence physique, tortue, menaces diverses, extorsions de fonds, autres..) Oui/Non

131. Si oui préciser.

132. Si oui, de la part de qui ? (préciser lieux, dates)

133. Avez-vous reçu des aides (hébergement, assistance médicale, assistance financière, autres..) durant le voyage retour jusqu'à Agadez? Oui/non

134. Si oui, préciser la nature.

135. Si oui, de la part de qui ?

136. Avez-vous voyagé seul ? Oui/Non

137. Si non, avec qui ? Préciser un ou des membres de la famille/lesquels ? ou des amis de depuis le pays d'accueil ou des compatriotes ?

138. Est-ce que vous avez fait des connaissances pendant le trajet jusqu'à Agadez ? Oui/Non

139. Par où êtes-vous entré au Niger?

140. Par quel moyen de déplacement ?

141. Qui a financé votre déplacement ? (vous-même, une tierce-personne, organisme etc...) Section 8: Informations socio-économiques sur les conditions à Agadez

142. Pourquoi avez-vous choisi de passer par le Niger?

143. Disposez-vous de documents de voyage ? Oui/Non

144. Si oui quels types ?

a. Passeport

b. Carte d'identité

c. Carte consulaire

d. Laisser passer CEDEAO

e. Autres (préciser) :

145. Si non pourquoi ?

146. Avez-vous un membre de la famille à Agadez ? Oui/Non

147. Avez-vous des amis, des connaissances, des contacts à Agadez avant votre arrivée ? Oui/Non

148.

286

Avez-vous déjà leurs contacts téléphoniques ? Oui/Non

149. Qui vous a accueilli à Agadez ?

150. Combien de jours comptez-vous passer à Agadez?

151. Combien votre voyage vous a-t-il coûté au total de votre pays d'accueil à Agadez ?

152. Est-ce que vous avez eu suffisamment d'argent pour continuer ? Oui/Non

153. Si vous n'avez pas eu suffisamment, Comment vous avez fait ?

154. Avez-vous travaillé à Agadez? Oui/Non

155. Si oui, quel type de travail ?

156. Comment avez-vous eu ce travail ?

157. Où avez-vous travaillé?

158. Travaillez-vous avec d'autres migrants ? Oui/Non

159. Si oui, combien de migrants ?

160. Avez-vous reçu une formation ? Oui/Non

161. Si oui, dans quel domaine ?

162. Veuillez décrire vos conditions de vie à Agadez (logement, restauration, alimentation, santé, loisirs, sécurité etc...)

163. Comment percevez-vous les Nigériens?

164. Comment les Nigériens vous perçoivent ou vous traitent?

165. Comment les agents de sécurité vous traitent-ils?

166. Avez-vous reçu une assistance humanitaire quelconque depuis que vous êtes à Agadez ? Oui/ Non

167. Si oui, quels types d'assistance ? De qui ? (personnes, organismes, église, mosquée etc..)

168. Recevez-vous une assistance humanitaire actuellement ? Oui/ Non

169. Si oui, préciser la nature.

170. Comment sont vos relations avec les autres Africains subsahariens à Agadez?

171. Est-ce que vous vous êtes fait des amis ou des connaissances à Agadez? Oui/ Non

172. Si oui, qu'est-ce qui a facilité cette opportunité de relations avec les jeunes d'ici? (prières collectives, stades, sports, marchés, lieux de loisirs)

173. Vous ont-ils invité à visiter avec leurs familles ou leurs quartiers ou clubs de jeunes? Oui/ Non

174. Si non, quels sont les obstacles pour nouer ces relations?

175. Avez-vous créé ou impulsé des activités récréatives telles que le sport (ex football, musique, danse etc...) Oui/ Non

176. Si oui, préciser la nature.

177. Avez-vous participé à des cérémonies de mariage, baptêmes et à d'autres célébrations à Agadez? Oui/Non

178. Avez-vous appris quelques mots en langues locales ? Oui/Non

179. Si oui, dans quelles langues ? (Tamasheq? Hausa? Peul? Zarma? Arabe?)

180. Vous sentez-vous en sécurité dans votre lieu d'hébergement ? Oui/Non

181. Etes-vous pressé de rentrer dans votre pays d'origine ? Oui/Non

182.

287

Justifier votre réponse ? Section 9 : Perspectives

183. Que pensez-vous des mesures prises par le Niger contre la migration vers le Maghreb ?

184. Que pensez-vous des mesures prises par les pays du Maghreb contre la migration vers l'Europe ?

185. Que pensez-vous des mesures prises par l'Europe contre la migration africaine ?

186. Quelles sont vos aspirations pour le futur ?

187. Qu'est-ce qui pourrait vous amener à ne pas quitter votre pays ?

188. Qu'est-ce qui pourrait amener les jeunes à ne pas quitter leurs pays ?

189. Quelles sont vos réflexions sur la création d'emplois et l'utilisation de vos nouvelles compétences dans les pays d'accueil (Niger, Tunisie et Libye) et dans votre pays d'origine?

190. Quels sont vos points de vue concernant le rejet des migrants dans votre dernier pays de résidence en tant que migrant?

191. Quelles leçons tirez-vous après le retour dans votre pays ?

192. Quel message avez-vous à livrer aux candidats à la migration ?

288

Grille d'observation des ghettos à Agadez, Date :

Nom du gérant :

Nationalité :

Modules

Questions

Indicateurs

Location du

ghetto

Situation géographique

Nom du quartier

 
 

Centre-ville péri urbain

périphérie

 
 

Matériaux de construction : banco ciment semi

dur

 
 

Ghetto en clandestinité ou pas : Oui

 

Type d'habitat

Non

 
 

Porte principale du ghetto toujours fermée ou pas : Oui

 
 

Non

 
 

Porte de la maison toujours fermée ou pas : Oui

 

Voisinage du ghetto

Non

 
 

Décrire la devanture du ghetto :

 
 

Présence de commerce ou boutique aux alentours du ghetto :

 
 

Oui Non

 
 

Présence de mosquée ou église aux alentours du ghetto :

 
 

Oui Non

 
 

Décrire les maisons voisines immédiates du ghetto

 
 

Identité propriétaire du ghetto :

289

Confort interne du ghetto

 

L'équipement du ghetto

Présence d'électricité : Oui Non

Présence d'eau : Oui Non

 
 

Présence de toilette interne : Oui Non

nombre

 
 

Présence de toilette externe : Oui Non

nombre

 
 

Nombre de chambre/pièces dans le ghetto :

 
 

Disponibilité de matelas : Oui Non

nombre :

 
 

Disponibilité de nattes/ : Oui Non

nombre :

 
 

Disponibilité de seau pour se laver : Oui Non

nombre :

 
 

Décrire la cour externe du ghetto/pratique et usage de l'espace

 
 

Décrire l'intérieur du ghetto/ disposition des chambres, des matelas, nattes.

 
 

Hygiène dans le ghetto

Les occupants

Profil des occupants du

Sexe :

du ghetto

ghetto

Age :

 

Taille des occupants

Nationalité :

 
 

Niveau d'instruction :

 
 

Nombre d'occupants :

Vie dans le

Organisation sociale du

Mode d'organisation collective ou individuelle/restauration

ghetto

ghetto

Existence de hiérarchie

290

 

Sociabilité dans le ghetto

Migrants vivent ils cachés ou pas dans le ghetto ? Y' a-t-il inter action entre les migrants ou pas ?

L'interaction est fondée sur quelle base ? Nationalité, ethnique, générationnelle, sexe, linguistique ;

Le ghetto est -il mixte ou pas ?

Y'a-t-il un espace aménagé pour les femmes dans le ghetto ?

Les organismes d'assistance aux migrants ont-ils accès au ghetto ?

(fiVuNHCR

The UN Refugee Agency

Agence des Nations Unies pour les Reis

KEY MESSAGES

Situation of asylum seekers in Niger

1. United Nations High Commissioner for Refugees {UNHCR) is mandated to lead and coordinate international action to protect refugees and resolve refugee problems world- wide and search for durable solutions.

2. UNHCR is not a substitute for States.

3. The role of UNHCR is to support the Government of Niger in the management of asylum applications.

4. A refugee is a person "who is outside his country of origin and cannot return because he has a well-founded fear of persecution because of his race, religion, nationality, membership of a particular social group, or political opinion" because his life, his physical integrity or his freedom are seriously threatened by widespread violence or events seriously disturbing public order.

5. It is the Government of Niger which grants refugee status to those who deserve it, on the basis of its own laws and regulations.

6. UNHCR cannot guarantee that you will be recognized as a refugee by the authorities in Niger.

7. Assistance and shelter are not systematically granted to all asylum seekers. Accommodation and humanitarian assistance are provided on the basis of well-defined vulnerability criteria by UNHCR and its partners.

291


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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon