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Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger: reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants


par Bachirou AYOUBA TINNI
Université Abdou Moumouni de Niamey - These de Doctorat  2021
  

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2.1.2 Une émigration internationale intra africaine

L'émigration internationale des Nigériens est un phénomène ancien qui date de la période coloniale. Déjà en 1957, Jean Rouch notait la présence de migrants ressortissants de l'espace nigérien en Gold Coast (actuel Ghana). C'est une migration de travail qui relève de la recherche d'un bien être ou de l'aventure.

À l'échelle globale la migration des Nigériens vers le golfe de Guinée peut s'inscrire dans le prolongement de la migration de travail créée et entretenue par la colonisation : les pays sahéliens doivent fournir la main d'oeuvre nécessaire au développement de l'économie de traite, des plantations en RCI. Les migrations constituent donc à la fois l'un des éléments et l'une des conséquences des stratégies de développement mises en oeuvre par la colonisation et basées essentiellement sur l'économie de plantations. (Mounkaila, 2006).

Cette fonction de pourvoyeur de main d'oeuvre a été surtout assignée aux populations ressortissantes du Gourma malien et burkinabé. Même si n'ayant pas été directement visée par cette tâche, les populations du Gourma nigérien ne vont pas tarder à emprunter le chemin de l'émigration internationale pour diverses raisons : recherche du numéraire pour payer l'impôt colonial, volonté d'échapper à la rudesse du système colonial français, aventure, recherche de biens matériels.

À l'indépendance du pays, les difficultés économiques du jeune État auxquelles s'ajoutent les crises alimentaires et les famines récurrentes ont consolidé l'émigration internationale des Nigériens vers les régions côtières du Ghana, de la Côte d'Ivoire, du Togo et du Bénin. Elle va

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s'élargir vers l'Afrique du Nord dès les années 1960 avec la prospérité des États du Maghreb, les sècheresses et les rebellions des années 90 comme le confirment ces propos :

« L'émigration est une stratégie de survie à Tchintabaradem. Elle est très développée et affecte l'ensemble de la population. Les principales destinations sont l'Algérie et la Libye.il est très rare de voir un jeune de 18 ans (qui n'est pas scolaire) qui n'a pas voyagé dans un de ces deux pays. Les départs s'observent sur toute l'année avec une légère augmentation pendant la période de fraicheur qui donne une certaine facilité aux conditions de voyages ». (Entretien, Ayatollah, Tchintabaradem, janvier 2021).

Les Nigériens, notamment des régions de Tahoua, Agadez et Zinder, s'y orientent pour servir de main-d'oeuvre dans les grands chantiers engagés à cette période. Les années 1980 -1990 marquent un tournant dans l'émigration internationale des Nigériens. En effet, la persistance des difficultés économiques nées de la chute du prix de l'uranium, le caractère quasi cyclique des famines et crises alimentaires, les conséquences de l'ajustement structurel ont donné lieu à des crises tant en milieu urbain que rural. Au même moment, dans les pays d'accueil comme en RCI cette période coïncide avec l'instauration de la carte de séjour. Comme réponse à cette conjoncture, il s'en suit un élargissement et une réorientation de l'espace d'émigration internationale des Nigériens. Désormais, ils découvrent l'Afrique centrale : Cameroun, Gabon, Congo. Ils émigrent en Arabie Saoudite, en Europe et aux États Unis. Les lieux de départ sont le milieu rural et urbain et les destinations se diversifient comme le soulignent (Boyer et Mounkaila, 2010). « La diversification des destinations au fil des décennies répond, d'une part, aux difficultés grandissantes d'insertion professionnelle dans nombre de villes de la sous-région, et d'autre part, aux difficultés de circulation et d'installation même temporaire dans certains pays. Par ailleurs, un autre avantage de cette diversité des lieux possibles est qu'en cas de crise, d'impossibilité de circuler dans l'un ou l'autre des pays, les migrants ont la capacité de se replier ailleurs ». Par exemple durant la crise en RCI, il est noté une réorientation des flux vers la Libye, l'Algérie, Nigéria et le Bénin.

De plus en plus, les inondations apparaissent comme des facteurs poussant à l'émigration car détruisant les moyens d'existence de la population. Ainsi, en 2020 à la suite des fortes précipitations enregistrées des milliers de personnes sinistrées furent contraintes d'abandonner leur résidence. Le long du fleuve Niger, les exploitations rizicoles ont été fortement endommagées compromettant ainsi l'alimentation de plusieurs mois de nombreux ménages. Dans la recherche de solutions à ce phénomène conjoncturel, l'émigration apparait dans bien de cas comme une alternative.

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De manière générale l'émigration internationale des Nigériens est une migration circulaire ponctuée par des allers retours entre le pays d'accueil et le pays de départ. Elle est désormais ancrée dans la stratégie de gestion de la main d'oeuvre et du risque des ménages pour faire face aux incertitudes de la saison des pluies. La migration circulaire est l'une des pratiques migratoires les plus répandues car elle répond aux contraintes du milieu local. Elle assure l'équilibre du couple agriculture-migration, le maintien du peuplement dans les espaces de départ et permet aux paysans d'assumer les contraintes des systèmes de production. (Boyer et Mounkaila, 2013). Toutefois, il existe des cas où cette migration temporaire et circulaire devient définitive. Il subsiste un nombre important de communautés nigériennes établies au Ghana, Bénin, RCI, Nigéria et au Soudan.

L'analyse spatiale de l'émigration internationale des Nigériens en fonction des régions de départ montre que les émigrants nigériens viennent des régions de Dosso, Tillabéri, Tahoua, et plus marginalement Zinder.

En 2019, les statistiques des Nations Unies indiquent que 401 653 Nigériens résident hors de leur pays dont 364 562 soit 91% vivent en Afrique de l'Ouest. Dans cette région, les principaux pays d'accueil sont le Nigeria (118 119), le Bénin (77 300), la Côte d'Ivoire (67 766), le Togo (66 155), le Burkina Faso (13 155) et le Mali (12 863). Les Nigériens représentent la deuxième communauté étrangère la plus importante au Togo avec 24% du nombre total des migrants internationaux résidant dans ce pays. Au Bénin, ils viennent en 3ème position et au Nigeria en 5ème position (Nations Unies, 2019).

L'émigration internationale des Nigériens s'explique souvent par des raisons d'études, de regroupement familial notamment pour les femmes, d'aventure et de travail. Il faut noter la féminisation de l'émigration internationale au Niger (JMED 2014, Maliki Rabo, 2016, Manou Nabara, 2019) avec le départ des femmes de Kantché vers l'Algérie, le Tchad et le Soudan, des femmes bororos vers le Burkina Faso, le Mali et le Sénégal.

2.1.3 L'immigration internationale

2.1.3.1 Une immigration internationale transfrontalière

Au Niger, l'immigration demeure faible à cause des conditions économiques qui offrent peu d'opportunités d'emploi. Néanmoins, le pays accueille des immigrants internationaux. Il s'agit en majorité des ressortissants des pays voisins : « les immigrants proviennent à 93% de 6 pays : Mali, Burkina Faso, Nigéria, Bénin et dans une moindre mesure Togo et Côte d'Ivoire. Ces

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pays sont membres de la CEDEAO » (OIM, Niger, Profil 2009). C'est une immigration transfrontalière qui remonte à la colonisation et qui s'est consolidée après les indépendances. Ainsi, en termes d'effectifs les Maliens et les Nigérians sont les plus nombreux au Niger. Ils monopolisent certains domaines d'activités notamment la blanchisserie pour les Maliens (Ayouba Tinni, 2015), la vente des pièces détachées pour les Ibos, le maraîchage pour les Burkinabè. On note aussi la présence au Niger d'immigrants ressortissants de l'espace CEDEAO non frontalier avec le Niger. Ils exercent dans le domaine de la restauration, la domesticité et du commerce d'articles divers.

Plus récemment, la découverte de l'or dans le Nord du Niger a favorisé l'immigration de populations soudanaises et tchadiennes sur les sites aurifères du Djado et à Tiberkatan, comme le confirment ces propos « Le gouvernement a fermé en février 2017 un autre site aurifère découvert en 2014 dans le Djado et où travaillaient également plus de 20.000 Nigériens, Tchadiens, Libyens et Soudanais, selon les autorités locales »14. Dans l'ouest du Niger, il importe de souligner la présence des immigrants burkinabés et maliens sur les sites d'or des départements de Téra et Gothèye.

Dernièrement, la forte demande en construction dans la capitale a favorisé l'immigration à Niamey de jeunes venus de la sous-région spécialisés dans le domaine de la construction : maçons, plombiers, électriciens, carreleurs et staffeurs pour satisfaire un besoin dans un domaine où les compétences locales demeurent faibles ou inexistantes.

Le Niger accueille également des immigrés turcs, indiens, chinois, libanais très actifs dans le commerce général, l'hôtellerie, les services, la construction et les articles divers.

Tableau 2:Répartition des immigrants par nationalité

NATIONALITÉ

TOTAL

Malienne

17524

Burkinabé

12147

Nigériane

9709

Béninoise

8697

 

14 Journal la nation du mercredi 19 juillet 2017

55

Togolaise

4870

Française

804

Ivoirienne

748

Autres pays

3180

Total

173231

 

Source : RGP/H, 2012

2.1.3.2 Une immigration internationale de transit importante

Le profil migratoire du Niger inclut également la migration de transit. Cette fonction de carrefour correspond historiquement à trois phases importantes des mouvements migratoires entre le Sahel et le Maghreb (Mounkaila, 2010). Il s'agit de l'apogée du commerce transsaharien (du 10e au 19eme siècle) marqué par des échanges entre l'Afrique Noire, le Maghreb et l'Égypte. Durant cette période « Agadez devient le port de l'Afrique en direction du Maghreb et elle est la plaque tournante pour le trafic de l'Empire du Mali vers le Fezzan et vers la Tripolitaine. Des commerçants venus aussi bien du Nord que du Sud du Sahara, commençaient à se fixer. La ville était cosmopolite et plusieurs langues africaines étaient parlées », (Aboubacar, 2007).

La deuxième phase s'étend de la colonisation à la fin des années 80. Cette période correspond à l'introduction de l'automobile pour relier les deux rives du Sahara via les anciennes routes caravanières. Elle se singularise par l'essor des migrations de travail des Sahéliens vers les pays du Golfe de Guinée et accessoirement le Maghreb. Elle est consécutive aux grands travaux et aux projets de développement lancés en Algérie et en Libye dont la mise en oeuvre nécessite une main d'oeuvre qui n'est pas disponible localement (Brachet, 2007, p37). Il a donc dans ce contexte fallu encourager l'arrivée de la main-d'oeuvre immigrante. Celle-ci s'est amplifiée dans les zones de départ par les grandes sècheresses de 1969 et 1973 qui ont décimé une bonne partie du cheptel sahélien. Les nomades nigériens dans ce contexte ont dû quitter pour le Maghreb afin de servir comme travailleurs. Le Niger a donc servi à la fois d'espace d'émigration pour le Maghreb mais aussi de transit pour les autres Sahéliens voulant se rendre en Afrique du Nord.

La troisième phase commence à la fin des années 80. Elle fait suite à la découverte de l'uranium à Arlit à 240 km au Nord d'Agadez. Dans la suite de la mise en exploitation de ce minerai stratégique le Gouvernement du Niger a investi 30 milliards de francs CFA pour la construction d'une route dite de l'uranium permettant de relier Agadez au reste du pays. Cette infrastructure

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sera suivie quelques années plus tard du bitumage de la route Zinder-Tanout-Agadez. Le développement du réseau routier a permis de désenclaver la vaste région désertique et de le connecter au reste du pays et de la sous-région (Bensaâd, 2002). Ainsi, Agadez se trouve relié à l'ouest du pays et par conséquent au Sahel central et au Golfe de Guinée. Au Sud, la région est connectée aux grandes villes du Nigeria comme Kano, Lagos et à l'Atlantique. Notons que la mise en place du réseau routier a permis de détourner les flux et trafic le Tahoua-Ingall-Tamanrasset au profit du tronçon Agadez-Arlit Tamanrasset.

La mise en place du réseau routier connectant Agadez au reste du monde correspond également à une période de difficultés économiques dans certains pays d'Afrique de l'Ouest. Les politiques d'ajustement structurel ont eu des effets néfastes sur la création ou la consolidation de l'emploi dans bon nombre de pays. Dans ce contexte, les flux de migrants se tournent en direction du Maghreb où le boom pétrolier continu à attirer les jeunes du continent dans un contexte marqué aussi par une politique panafricaniste du Président Kadhafi. Ces flux qui traversent le Niger, ont participé à consolider Agadez comme espace de transit. La décennie 80 se distingue par la croissance des passages des ressortissants africains vers le Maghreb. Dès cette époque le Niger s'affirme comme espace de transit et d'émigration vers le Maghreb. La fonction de couloir de transit a connu un nouveau tournant dans les années 1990 à la suite de l'élargissement des aires de recrutement à l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest et du Centre en lien avec les difficultés économiques nées de l'ajustement structurel de cette décennie, la dévaluation du franc CFA et des crises politiques en RCI, en Sierra Léone et au Liberia. Elle s'est consolidée depuis la chute du régime de Kadhafi et la fermeture des autres routes migratoires (Mali et Mauritanie) permettant d'accéder à l'Europe via la Méditerranée occidentale. L'appartenance du Niger et des pays d'origine des migrants à l'espace CEDEAO a renforcé le transit dans le pays à cause des facilités de mobilité en vertu des textes communautaires sur la libre circulation des personnes et des biens.

À ce jour, la traversée via le Niger pour se rendre en Europe, en traversant la Méditerranée centrale est l'une des principales routes migratoires encore active. Chaque année des milliers de ressortissants de l'Afrique subsaharienne traversent le Niger pour se rendre au Maghreb et éventuellement en Europe (carte 2)

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Carte 2: Routes migratoires traversant le Niger Source : Notre étude

En 2015, l'OIM estime à 100 000 le nombre de migrants transitant annuellement par Agadez et 333 891 en 2016. Ces chiffres tombent à 69 637 en 2017 pour descendre à 18 792 en 2018. Ces données sont collectées dans un contexte de mise en place d'une politique restrictive des mobilités humaines en direction de l'Afrique du Nord au Niger sous l'injonction de l'Union européenne qui a pour autre conséquence l'émergence de nouvelles routes. Elle a rendu moins visible une migration jadis irrégulière et pourtant tolérée par tous. Ces chiffres ne reflètent donc que très partiellement la réalité du terrain. Aujourd'hui dans la région d'Agadez, les migrants vivent dans une situation de vulnérabilité liée à la clandestinité. Les passeurs qui les transportent empruntent des voies non balisées et exposent par-là même leurs passagers.

Dans ce contexte, il est évoqué de plus en plus l'irrégularité des flux transitant par Agadez. On parle de migrants dits irréguliers. La notion d'irrégularité des migrants se fonde sur la loi 201536 qui dans une de ses dispositions criminalise la sortie illégale. C'est donc sur cette base que

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tous les migrants se trouvant à Agadez sont qualifiés d'irréguliers car n'ayant pas de visa pour se rendre en Libye ou en Algérie.

Le caractère dit irrégulier de cette migration de transit a donné lieu au développement de réseaux transnationaux d'acteurs facilitant cette immigration dans la sous-région. Au Niger, dans les villes de transit comme Agadez, Dirkou et Arlit une véritable économie de la migration s'est installée comprenant le rançonnage, l'accueil, l'hébergement et le transport de migrants. Elle a aussi donné lieu à l'installation de plusieurs organisations internationales dans la commune urbaine d'Agadez qui offrent assistance aux migrants en transit. Les plus emblématiques d'entre elles sont l'OIM et le HCR. La première dispose d'un centre d'accueil de migrants souhaitant retourner dans leur pays. Elle dispose de ce fait d'un dispositif pour acheminer les migrants vers leur pays d'origine. La seconde a ouvert un bureau dans cette ville afin d'identifier les potentiels demandeurs d'asile se trouvant dans les flux migratoires. Une fois identifiés ces derniers sont orientés vers les structures habilitées à donner l'asile. En attendant la fin du processus, elle dispose d'un centre d'hébergement humanitaire pour ces personnes qui relèvent de son mandat.

Au titre des tendances de l'immigration internationale de transit depuis le début de l'application de la loi 2015-36 qui réprime la migration dite irrégulière vers l'Afrique du Nord on observe une baisse des flux sortants de la région d'Agadez en direction du Maghreb. Inversement, on constate une augmentation des migrants de retour à la suite des expulsions en Algérie et de la dégradation de la situation sécuritaire en Libye.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo