WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger: reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants


par Bachirou AYOUBA TINNI
Université Abdou Moumouni de Niamey - These de Doctorat  2021
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

30

Chapitre 1 : Externaliser les politiques migratoires européennes au Niger

Le présent chapitre aborde le cadre théorique et méthodologique. Il englobe la problématique, les hypothèses, l'objectif général et la méthodologie.

1.1 Problématique

La migration est une pratique humaine en pleine expansion depuis quelques décennies. Le développement des moyens de transport et de la technologie permet de plus en plus à l'homme de se déplacer d'une partie du monde à une autre. Le nombre total de migrants internationaux s'est accru ces dix dernières années, passant d'environ 150 millions de personnes en 2000 à 280, 6 millions en 2020 dans le monde.8

Cette population de migrants est hétérogène composée à la fois de personnes à la recherche d'opportunités économiques, des étudiants, des femmes et des enfants. À cela s'ajoutent, des personnes poussées par le désarroi, les persécutions, les guerres et les conflits car « Si de nombreux individus font le choix d'émigrer, de nombreux autres n'ont pas le choix. On dénombre en 2019, 70 millions de personnes déplacées de force dans le monde, parmi lesquelles 26 millions de réfugiés, 3,5 millions de demandeurs d'asile et plus de 41 millions de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays » 9 . Cette situation dénote une exacerbation des conflits dans plusieurs parties du monde contraignant des hommes, des femmes et des enfants à se déplacer pour se mettre à l'abri. L'Afrique et l'Asie se présentent comme les espaces de départ de ces mouvements forcés de personnes. Le stock de migrants internationaux en Afrique est de 25,4 millions de personnes en 202010

Enfin, l'Afrique n'envoie que très marginalement ses migrants vers d'autres continents notamment l'Europe, l'Asie et l'Amérique. Quel que soit le motif de la migration, il est observé qu'en Afrique, la migration internationale s'effectue très largement à l'intérieur du continent. L'Afrique garde plus ses migrants qu'elle ne les exporte. Cela s'explique par l'existence de plusieurs filières migratoires sur le continent dont le premier niveau de migration est le pays frontalier. C'est donc une migration transfrontalière à l'image des blanchisseurs maliens au Niger (Ayouba Tinni, 2015), des Soudanais en Libye (Drozd et Pliez, 2005), des Zimbabwéens et Mozambicains en Afrique du sud (Crush et Tawodzera 2016) ou encore des Kenyans en

8 https://migrationdataportal.org/international-data?i=stock_abs_&t=2020

9 https://www.un.org/fr/sections/issues-depth/migration/index.html

10 https://migrationdataportal.org/data?m=1&rm49=2&i=stock_abs_&t=2020

31

Ouganda (OIM, 2013. La deuxième destination des migrants en Afrique est l'espace communautaire CEDEAO, CEMAC, SADEC. La migration africaine a un troisième niveau, qui peut être inter-régional, c'est-à-dire qui se déroule à l'intérieur de plusieurs blocs régionaux du continent. Elle implique une circulation des migrants dans les différents blocs régionaux du continent. « L'un des aspects les plus frappants des migrants internationaux en Afrique, c'est que la plupart se déplacent à l'intérieur de la région. Contrairement à ce qu'affirment les médias, la majorité des migrants africains ne quittent pas leur continent. Ils se déplacent surtout vers les pays voisins. Entre 2015 et 2017, par exemple, le nombre de migrants internationaux africains au sein de la région est passé de 16 millions à environ 19 millions. Au cours de la même période, le nombre d'Africains quittant le continent a connu une augmentation modérée, puisqu'il est passé d'environ 16 millions à 17 millions. »11

À l'échelle de l'Afrique de l'ouest par exemple « 70 % des émigrés ouest-africains restent en Afrique. 61 % d'entre eux privilégient les pays de la sous-région alors que 15 % seulement se dirigent vers l'Europe et 6 % vers l'Amérique du Nord. (Beauchemin et Lessault, 2014, P37).

L'analyse de la migration en Afrique de l'Ouest laisse apparaitre quatre principaux systèmes (Lalou, 1996, P 354) :

· système autour du Sénégal;

· système autour de la Côte d'Ivoire;

· système autour du Golfe de Guinée;

· système sahélien.

Néanmoins, il subsiste une migration ouest africaine vers les autres continents notamment l'Europe. Elle remonte à la période coloniale et s'est consolidée après les indépendances avec la signature des accords de coopération entre l'Europe et certains pays africains sur les migrations et le développement. Les accords sur les migrations visent « à réguler le déplacement, l'entrée et la sortie des personnes sur leurs territoires : politiques d'émigration vis-à-vis de leurs ressortissants, politiques d'immigration vis à-vis des étrangers, politiques envers les migrants en « transit » » (Lestage, 2010, P3 ). Ceux sur le développement prônent le

11 https://fr.weforum.org/agenda/2018/06/migrations-africaines-ce-que-disent-vraiment-les-chiffres-5696dc52-268d-43dd-8b43-12dc19bb5840/

32

développement des jeunes États. Autour des années 1970, à la suite de la crise économique et devant la menace que constituent les flux des migrants africains sur la préservation de ses acquis sociaux, l'Europe change de stratégie en matière de gestion des migrations. Désormais, elle intègre la gestion des migrations dans la coopération au développement avec les pays africains. Ce modus vivendi est à la base de la première reconfiguration forte des liens migratoires entre l'Europe et l'Afrique du nord et de l'ouest. Il va se consolider dans la décennie 90 dans un contexte ouest africain marqué par une croissance démographique forte, une flambée des prix des denrées alimentaires de base, une crise des services sociaux de base (santé, éducation, logement ) en milieu urbain, une hausse du chômage, des crises politiques dans certains pays, une récurrence des sécheresses et crises alimentaires (CILSS, 2007).

Ce changement s'est traduit en acte avec la signature de l'accord de Cotonou en 2000. La jonction entre politique migratoire et développement reflète surtout l'échec des premières politiques migratoires européennes qui ont eu pour conséquence l'essor de la migration clandestine. En effet, « l'augmentation des flux informels de migrants, par rapport à ceux formels, peut être considérée comme le principal résultat des politiques d'immigration européenne ». (Gabrieli, 2007, P5 ).

Dans cette situation de pauvreté, l'émigration apparait comme l'ultime solution pour des milliers de jeunes africains. Parmi eux certains choisissent d'aller en Europe. Or, avec la fermeture de frontières née de la restriction d'octroi de visa pour l'Europe, la migration légale est devenue quasi impossible pour de nombreux Africains. Pour contourner cet obstacle de visa, les migrants empruntent la Méditerranée pour se rendre en Europe sur des bateaux de toutes tailles et très marginalement en pirogue.

Cette traversée de la Méditerranée est en plein essor au regard de l'importance numérique des candidats à ce voyage qui arrivent sur les côtes européennes. C'est dans cette situation que le Conseil européen a adopté en 2005 une nouvelle politique migratoire dite « politique de l'approche globale »12 .

Selon Kabbanji (2011) l'approche globale se focalise sur la promotion de la migration légale, la lutte contre l'immigration irrégulière et la promotion du lien entre migration et

12 17 décembre Conseil européens-Bruxelles 15 &16 décembre 2005 conclusions de la présidence

33

développement. La mise en oeuvre de l'approche globale s'effectue dans un contexte d'établissement d'un programme de travail en 2006 entre l'UE et l'Afrique sur la gestion des migrations. C'est dans cette logique que s'est tenue une première conférence intergouvernementale euro-africaine à Rabat en juillet 2006, à l'initiative de l'Espagne et en étroite collaboration avec le Maroc et la France. Toujours en 2006, une autre conférence ministérielle euro-africaine entre l'Union Européenne et l'Union africaine (UA) sur la migration et le développement, s'est tenue à Tripoli les 22 et 23 novembre 2006. Une deuxième conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement est organisée à Paris le 25 novembre 2008, qui a abouti à l'adoption d'un programme de coopération triennal de 2008 à 2011.

La mise en oeuvre de l'approche globale s'effectue aussi avec un fort activisme diplomatique de l'Union Européenne. Elle se manifeste par la volonté de l'UE d'exporter sa vision des migrations dans les pays de départ et de transit des migrants. C'est dans ce contexte que la CEDEAO adopte en 2008 une approche commune de la migration. Celle-ci introduit deux logiques sous-tendant la politique externe européenne en matière d'immigration identifiées par Boswell cité par Kabbanji (2011): d'un côté, on y trouve majoritairement des mesures sécuritaires axées sur la coopération transfrontalière en matière de lutte contre l'immigration illégale ; de l'autre, la promotion du lien entre migration et développement est mise en avant principalement pour limiter l'émigration et la promotion de la migration légale.

Dans la mise en oeuvre de l'approche globale, les pays de départ et de transit des migrants occupent une place de choix dans les interventions de l'UE et de ses partenaires. Pays sahélo-saharien situé à la charnière entre l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest, le Niger a une longue histoire de migrations. En effet, depuis le début du 20ième siècle, les populations nigériennes ont participé aux mouvements migratoires notamment en direction des pôles économiques de l'Afrique occidentale. Les migrants ont d'abord suivi les routes ouvertes tout au long du 19ème siècle par les commerçants, puis progressivement des filières migratoires se sont construites s'arrimant à des diasporas situées dans les pôles urbains côtiers. Ces migrations se dirigeaient surtout vers le Ghana, le Nigéria, le Togo, le Benin et la Côte d'Ivoire (Yonlihinza, 2011). La période postcoloniale a vu le renforcement de cette tendance. En effet, le cycle de sécheresses des années 1970-1980 et de la crise économique qui a suivi les plans d'ajustement structurel et la dévaluation du francs CFA dans les années 1980-1990 ont accentué le départ en migration d'une partie de la population. Ainsi, les départs de certaines régions du Niger comme Tahoua, Agadez et Zinder se sont intensifiées et les destinations se sont

34

diversifiées, les migrants s'orientant aussi vers les pôles économiques d'Algérie et de Libye. L'analyse de l'espace migratoire nigérien fait ressortir deux constats majeurs.

Au plan national, le Niger reste principalement un pays de départ. L'analyse des pratiques migratoires montre la persistance des migrations circulaires qui selon Boyer (2013) sont des déplacements temporaires qui se répètent pendant une période de la vie de l'individu. Cette forme de déplacement est profondément ancrée dans les modes de vie des populations (Mounkaila et al., 2009).

Depuis les années 2000 et les crises politiques qui ont émaillé les pays d'Afrique de l'Ouest, on note aussi une accentuation des retours forcés au Niger de nombreux migrants jusque-là présents en Côte d'Ivoire, au Mali, en Libye, au Nigeria notamment. Il faut donc de plus en plus tenir compte de la migration de retour contrainte dans l'analyse des faits migratoires au Niger.

À l'échelle de la sous-région, le Niger est un pays de transit pour de nombreux ressortissants de l'Afrique de l'ouest et du centre voulant se rendre au Maghreb depuis les années 70. Ce rôle s'est consolidé et renforcé au fil des décennies du fait des opportunités de travail et du contexte socio-politique et économique qu'offraient alors en particulier l'Algérie et la Libye. La politique panafricaniste du président Kadhafi, le développement de l'économie pétrolière dans ces deux pays y ont largement contribué (Bensaâd 2002, Bredeloup et al, 2005, Brachet et al 2011). A cela s'ajoute un élément majeur du contexte international qui est la restriction des visas d'entrée en Europe. En effet, le durcissement des conditions d'accès aux pays d'Europe est à la base de la création de filières clandestines de migration de nombreux ressortissants des pays d'Afrique subsaharienne vers l'Europe via la Libye en particulier.

C'est ainsi que le Niger est devenu l'espace de transit privilégié pour de nombreux migrants en provenance du Nigeria, du Ghana, du Mali, du Bénin, du Burkina Faso, du Togo, de la Gambie, du Sénégal, de la Côte d'Ivoire ou du Cameroun. Comme le souligne Mounkaila (201) « Dans ces circulations migratoires, le Niger occupe une position stratégique en étant à la fois un pays pourvoyeur des migrants et un espace de transit privilégié pour les migrants d'autres pays d'Afrique subsaharienne ».

L'intérêt de l'Union européenne pour le Niger commence au début des années 2000 via des relations bilatérales de l'Espagne et de l'Italie à travers la mise en oeuvre de projets, comme « Across Sahara », centrés sur le contrôle des frontières. En juin 2006, l'ouverture d'une représentation de l'OIM au Niger marque un tournant décisif pour l'intervention étrangère dans

la gestion des migrations. En effet, les statistiques que publie cette institution sur la migration de transit révèlent la place du pays dans l'essor de la migration dite clandestine vers l'Europe à travers le Sahara et contribuent à le construire comme un espace d'enjeux majeurs.

Dès lors, le Niger longtemps resté à la marge des politiques migratoires européennes se retrouve au coeur de l'agenda politique européen en particulier lors du Sommet de La Valette en novembre 2015. L'UE déploie d'importants efforts pour une coopération avec le Niger dans la gestion des migrations comme le souligne le chef de mission de l'OIM au Niger lors de la visite de la chancelière allemande Angela Merkel en 2016 :»13. Adossée sur le Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne pour l'Afrique, dont le Niger est le principal bénéficiaire en Afrique de l'Ouest, cette collaboration s'articule sur deux volets. Le premier, d'orientation sécuritaire, prend la forme d'appui institutionnel, d'actions de formation des agents de police, de construction de nouveaux postes-frontières et de l'application d'une loi qui pénalise le « transport et l'hébergement de migrants illicites ». Le second volet est axé sur des actions de développement dans les zones de départ en vue de fixer les éventuels candidats à la migration, le refoulement des migrants illégaux, un programme de « retour volontaire » et le financement des projets des ONGs intervenant sur les questions de migration.

Cette intervention forte de l'UE entre en contradiction avec le protocole de la CEDEAO, dont le Niger est membre, en matière de libre circulation des personnes et des biens. En fait, « la libre circulation n'apparaît jamais dans le Discours International sur la Migration, ni comme une politique migratoire possible, ni comme un idéal de long terme. On comprend certes qu'il puisse être délicat, pour des instances intergouvernementales, de soulever un point aussi controversé » (Pécoud, 2015, p 5) ; l'Union européenne, en accord avec l'État, passe outre la libre circulation dans l'espace CEDEAO par ses actions envers les migrants ouest-africains présents sur le territoire nigérien. Or, en tant que pays de transit, plus rarement de destination, le Niger accueille de nombreux ressortissants ouest-africains sur son territoire (Maga, 2011). Avec la montée en puissance de l'interventionnisme de l'Union Européenne au Niger, c'est désormais toute cette mobilité historique (y compris les migrations nigériennes) construite depuis des décennies qui est fragilisée. Ainsi, depuis le début des années 2000, des changements majeurs sont apparus dans l'agenda politique du Niger avec la place de plus en plus importante

35

13 Souley Moutari(onep) 11 octobre 2016 http://lesahel.org/

36

qu'occupe la migration. Il s'avère donc nécessaire, après près de 10 ans de mise en oeuvre de l'approche globale de l'Union européenne d'étudier ses répercussions au Niger. Pour y parvenir, il est important d'analyser les dynamiques récentes des migrations et de la gestion de celles-ci dans un contexte d'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger.

D'où ces questions,

· Comment l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger reconfigure-t-elle l'approche des migrations non seulement de la part des acteurs nationaux et internationaux, mais aussi les parcours des migrants eux-mêmes ?

· Quels sont les effets de l'externalisation des politiques migratoires européennes sur les modalités de gestion de la migration au Niger ?

· L'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger ne perturbe-t-elle pas les systèmes migratoires nigériens et ouest-africains notamment vers l'Afrique du Nord (Libye et l'Algérie) avec l'accentuation des retours et une possible réorganisation des filières et des trajectoires migratoires ?

· Quels sont les impacts de cette externalisation sur les lieux de transit comme Agadez, espace témoin de la mise en oeuvre des nouvelles politiques en cours dans le domaine de la migration? .

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984