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Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger: reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants


par Bachirou AYOUBA TINNI
Université Abdou Moumouni de Niamey - These de Doctorat  2021
  

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Conclusion partielle

Au lendemain des indépendances, le Niger a signé plusieurs conventions avec ses voisins pour encadrer la mobilité des personnes et de leurs biens. L'approche bilatérale était le fil conducteur des autorités. Celle-ci va évoluer avec la création de la CEDEAO se traduisant par une approche communautaire avec comme axe central la libre circulation des personnes et des biens. Cette volonté de la CEDEAO fera face aux crises économiques dans les pays d'accueil en Afrique de l'Ouest qui se manifeste d'une part par une volonté de restriction de la mobilité dans ces pays,

22 https://www.rfi.fr/fr/afrique/20130323-greve-illimitee-mineurs-azelik-niger-chine-cnnc

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et d'autre part avec la consolidation avancée de l'espace Schengen, la voie légale des migrants africains en Europe s'amenuise. La Méditerranée apparait comme une solution pour de nombreux africains candidats à la migration vers l'Europe. L'afflux des migrants dits irréguliers au départ de l'Afrique pour l'Europe sera au début des années 2000 un axe de coopération entre l'UE et l'Afrique dans le cadre de l'externalisation des politiques migratoires européennes. Elle va s'intensifier à partir de 2005 pour prendre la forme de plusieurs dialogues. Le Niger pays de transit a pris part à toutes ces initiatives. Il fera d'ailleurs l'objet d'une attention particulière de la part de l'UE, de certains de ces États membres ainsi que des organisations internationales. Le point fulgurant de cette coopération est la participation au sommet de La Valette et son éligibilité au fond fiduciaire.

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Deuxième partie : Les effets de l'externalisation des politiques migratoires européennes à l'échelle locale

Cette deuxième partie aborde le dispositif juridique et institutionnel mis en place pour endiguer la migration de transit au Niger. Il sera aussi analysé les conséquences (économiques, sociales, politiques et sécuritaires) de ces actions sur les acteurs, les tentatives de solutions et l'émergence d'une nouvelle économie de la migration. Dans les espaces de transit, les reconfigurations des lieux et les tensions en cours sont passées en revues.

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Chapitre 4 : Endiguer la migration de transit au Niger ?

Agadez, le 8 août 2016, ce lundi en début d'après-midi, c'est un jour de voyage des migrants en direction de Sebha et Gatrone en Libye. C'est ce jour que la police a choisi pour s'attaquer à l'une des activités économiques les plus dynamiques de la ville : le transport des migrants vers la Libye et l'Algérie (Brachet, 2009 ; Mounkaila, 2014 ; Hamani et Bontianti, 2015 ; Hoffmann, Meester, Manou, Nabara, 2017). À l'intérieur des garages, des ghettos et dans d'autres lieux de rassemblement des migrants, la police patrouille pour immobiliser les véhicules chargés. Ces véhicules et passagers sont ensuite conduits au commissariat de la ville. Après interrogatoire, les passagers sont libérés et les chauffeurs conduits au Parquet.

Pourtant, à Agadez, le transport de migrants est devenu depuis la chute du tourisme, le secteur économique le plus dynamique dans cette ville carrefour. Avec l'arrestation des transporteurs l'État du Niger a décidé d'appliquer la loi 2015-36 du 26 mai 2015, une loi votée un an plus tôt qui réprime le trafic illicite de migrants. Par cet acte, l'État vient de mettre en marche un dispositif de répression de la migration dite irrégulière.

Le présent chapitre s'intéresse au cadre juridique, institutionnel et à la gouvernance de la migration au Niger. Il tente de cerner la manière par laquelle depuis le sommet de La Valette une machine juridique et institutionnelle est mise en place au Niger avec le soutien financier de l'UE et de certaines organisations internationales afin de lutter contre la migration dite irrégulière. Ce dispositif peut s'appréhender à travers le durcissement du cadre juridique, l'institutionnalisation de la gestion de la migration, l'émergence de nouvelles pratiques administratives et la répression de cette migration de transit. Ce chapitre a donc pour objectif d'analyser les changements récents de la gouvernance migratoire au Niger dans le cadre des relations avec l'UE.

4.1 Renforcement du cadre juridique et institutionnel de la gouvernance de la migration au Niger

4.1.1 Cadre juridique restreignant les mobilités

4.1.1.1 Législation migratoire et pratiques administratives

C'est en 2000 que les Nations unies adoptent la Convention sur la criminalité transfrontalière organisée plus connue sous le nom de protocole de Palerme en référence à la ville italienne où a eu lieu la signature. Entrée en vigueur le 29 septembre 2003, la convention de Palerme est

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complétée par deux protocoles additionnels sur la traite des personnes et le trafic illicite de migrants entrés en vigueur respectivement le 25 décembre 2003 et le 28 janvier 2004. Le Niger ratifie le 30 septembre 2004 la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée ainsi que ces protocoles additionnels en 2009.

En septembre 2013, l'émoi suscité par la découverte de 92 morts, dont 52 enfants et 37 femmes, dans le Sahara à la frontière entre le Niger et l'Algérie suite à une panne mécanique, motive les autorités à encadrer cette migration (Boyer, Ayouba et Mounkaila, 2020, p 109). Le Niger va traduire dans son ordonnancement juridique le protocole de Palerme sur le trafic illicite de migrants en terre, mer et air afin de doter le pays d'une base juridique pour prévenir et réprimer la migration dite irrégulière comme le soulignent ces propos : « vu la gravité de la situation et pour que ces victimes ne soient pas oubliées, le Niger a ainsi, non seulement légiféré, en adoptant la loi 2015-036 du 26 mai 2015, pour qu'en pareille circonstance d'abandon par les trafiquants des femmes et des enfants, que ces trafiquants soient sévèrement punis, car en 2013, il n'y avait pas encore de loi appropriée pour leur poursuite, sur la base d'un délit, qui est la mise en danger de la vie d'autrui. »23.

C'est ainsi qu'avec le soutien de l'ONUDC et de l'UE, l'Agence Nationale de lutte contre la traite des personnes a élaboré une loi pour traduire dans l'ordonnancement juridique du Niger le protocole de Palerme. Cette loi rédigée par des acteurs nigériens et internationaux vise à « prévenir et combattre le trafic illicite de migrants, protéger les droits du migrant objet de trafic illicite, promouvoir et faciliter la coopération nationale et internationale en vue de prévenir et de combattre le trafic illicite des migrants sous toutes ses formes» (Loi, 2015-36). Au sens de cette loi, le trafic illicite de migrants est le « fait d'assurer, afin d'en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l'entrée illégale dans un État Partie d'une personne qui n'est ni un ressortissant, ni un résident permanent de cet État ».

En amont de la soumission de cette loi, l'ANTLP a organisé deux séances parlementaires d'information à l'endroit des députés nationaux pour les rallier à sa cause comme le soulignent les propos de sa directrice générale au moment des faits « En 2015, nous avons fait le lobbying à travers deux (2) séances d'information parlementaire qui ont abouti à l'adoption par l'Assemblée nationale de la loi n°2015-36 du 26 mai 2015 relative au trafic illicite de migrants,

23 http://www.lesahel.org/index.php/2019/09/27/mme-goge-maimouna-gazibo-directrice-generale-de-lagence-nationale-de-lutte-contre-la-traite-des-personnes-e

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permettant ainsi à notre pays d'être le premier de la sous-région à disposer d'une loi réprimant le trafic illicite de migrants »24.

Soumis à l'Assemblée nationale pour adoption, la commission des affaires sociales a été saisie sur le fond pour examen du projet de loi sur le trafic illicite de migrants. Après analyse, celle-ci a saisi les acteurs de la société civile notamment Alternative Espace citoyen. Selon l'un des membres, son organisation a attiré l'attention des députés sur l'impact de cette loi sur la libre circulation des personnes et des biens et la migration circulaire. Il en est de même de la sortie illégale du territoire qui devient un crime dans la loi présentée. Prenant en compte ces observations, les honorables députés ont transmis un avis favorable à son adoption. Ainsi, après les débats qui ont porté principalement sur l'impact de ladite loi sur la migration nigérienne, la libre circulation, les différents groupes parlementaires ont invité leurs collègues à voter en faveur de son adoption.

Le contenu de la loi ainsi votée criminalise le trafic illicite de migrants et prévoie de lourdes peines aux auteurs « Article 10: Est passible d'une peine d'emprisonnement de cinq (5) à moins de dix (10) ans et d'une amende de 1.000 000 de francs CFA à 5.000 000 de francs CFA, toute personne qui, intentionnellement et pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, assure l'entrée ou la sortie illégale au Niger d'une personne qui n'est ni un ressortissant ni un résident permanent au Niger. » (Loi 2015-36 P4).

La loi vise donc à poursuivre les transporteurs, les hébergeurs, coxeurs, passeurs qui constituent le support de la migration vers l'Afrique du Nord ; en même temps elle considère le migrant comme une victime. Il ne doit donc pas faire l'objet de poursuite.

L'analyse des articles de la loi indique un durcissement des conditions de mobilité à travers le Niger. Elle se traduit par une restriction des conditions de mobilité dans l'espace Sahel -Sahara puisqu'une bonne partie des dispositions visent la migration de transit. Cette loi a ainsi criminalisé une migration jadis tolérée par tous.

Pour soutenir l'application de cette loi, l'ANLTP avec le soutien financier de l'ONUDC et d'Eucap Sahel, a organisé plusieurs sessions de formation à l'endroit des acteurs de la chaine pénale afin qu'ils puissent avoir la même lecture du texte. Par-delà, le renforcement des capacités vise à former des compétences locales capables de gérer la migration selon les normes

24 https://www.nigerdiaspora.net/index.php/interviews/1382-entretien-avec-mme-goze-maimouna-gazibo-

directrice-generale-de-l-agence-nationale-de-lutte-contre-la-traite-des-p

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et les standards internationaux qui régissent la thématique. Cette démarche rappelle la notion d'approche gestionnaire des migrations qui indique que les ateliers, les sessions de formation sont des espaces privilégiés pour les experts pour transférer des pratiques et des normes de gestion d'un pays à un autre (Beaujeu 2009 ; Aguillon, 2016). En fait, « le renforcement des capacités forme la gouvernance, non pas comme imposition externe mais comme une relation dans laquelle on aide les États-cibles à améliorer leur situation. ». (Andrijasevic, et Walters, 2010). L'OIM par exemple dans son approche n'impose pas aux États, il profite des formations de renforcement des capacités pour changer la vision notamment sur la migration et influencer les actions.

4.1.1.2 Une stratégie nationale pour lutter contre la migration irrégulière

Engagé depuis 2007 dans l'élaboration d'une politique nationale de migration afin de disposer d'un outil d'aide à la décision, le Niger se trouve dans le dernier semestre de 2016 contraint de mettre en veilleuse le processus faute de financement et d'ouvrir un autre chantier moins ambitieux pour satisfaire ses amis européens. En effet, l'intérêt brusque de l'UE sur la migration de transit ne peut s'accommoder de l'attente que le pays se dote d'une politique nationale. C'est pourquoi l'UE a décidé de financer l'élaboration d'une stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière au Niger.

Le travail est alors confié au comité interministériel chargé d'élaborer la politique migratoire du Niger. Ce choix est motivé par la volonté de mettre à profit l'acquis institutionnel. Le CIM étant un cadre existant. Il faut aussi éviter de perdre du temps avec la mise en place d'un autre comité. C'est aussi une façon pour l'UE de pousser ces acteurs à mettre dans le tiroir la PNM et de s'atteler à l'élaboration de la stratégie. Le comité est un cadre multi acteurs mis en place par un arrêté du ministre de l'Intérieur. Sa composition a évolué au gré des enjeux du moment. En effet, aux acteurs nationaux comme les ministères de la justice, de l'intérieur, des affaires étrangères, de la promotion de la femme et de la protection de l'enfant, de la défense, de l'emploi, du tourisme, se greffent des agences onusiennes : OIM, ONUDC, des agences de coopération technique : GIZ APM, GIZ Progem et des ONG internationales. Il a la légitimité nécessaire pour conduire ce processus. Ainsi, s'ouvre le jeudi 16 juin 2016, les travaux du Comité interministériel chargé d'élaborer la politique nationale de migration mandaté pour rédiger la stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière. Le comité élabore le document au bout de cinq sessions tenues à Niamey en présence d'experts internationaux (OIM, ONUDC, ICMPD et UE) auxquelles participaient à chaque fois les membres du CIM, les

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praticiens du terrain tels que les services de la police, de la magistrature et de la société civile. « Un déplacement au poste de police frontalier de Makalondi et un autre dans la ville d'Agadez ont été organisés afin de prendre en compte les réalités du terrain ». (CIM, Décembre 2016). Les principaux axes développés dans le document sont :

· mesures relatives à la gestion des frontières ;

· mesures de prévention ;

· mesures répressives et de protection ;

· mesures relatives au retour et réinsertion des migrants;

· mesures transversales.

L'analyse du contenu de la stratégie révèle que le document a été fortement influencé par les acteurs européens qui ont suscité son élaboration et ont commis des experts dont l'objectif principal reste l'endiguement de la migration dite irrégulière. Conviés comme experts aux travaux du CIM, ceux-ci ont transposé des modèles, des normes et standards de lutte contre la migration irrégulière dont leurs institutions d'attache fait la promotion, au contexte nigérien. Il s'agit des organisations comme Frontex, OIM, ICMPD et UE. Cette approche n'est pas sans rappeler la notion de modèles voyageurs dans le cadre des projets de développement. Olivier de Sardan mentionne que les experts transposent d'un pays à un autre des projets qu'ils ont mis en oeuvre ailleurs sans prendre en compte le contexte local (Olivier De Sardan, 2017).

Assortie de son plan d'action, la stratégie n'a pas fait l'objet d'application globale, mais certains aspects ont connu une mise en oeuvre. Il s'agit de la gestion des frontières avec la mise en place du système d'information migratoire et d'analyse des données (Midas) porté par l'OIM en collaboration avec Eucap Sahel, la promotion du retour volontaire, mais aussi les mesures répressives. L'approche du plan d'action n'est pas exempte de critiques comme en témoignent ces propos « les plans d'action devraient être entendus comme une technique essentielle au travers de laquelle les gouvernements se construisent comme des agents portant des responsabilités éthiques et une calculabilité pour la réforme dans des domaines de politiques particuliers. C'est l'instrument du plan d'action qui configure un nouveau type de relations entre les gouvernements, la communauté internationale et le contrôle des frontières étatiques. » (Andrijasevic, et Walters, 2010).

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Le plan d'action a été présenté le 1er juin 2017 à la deuxième session de la réunion du cadre de concertation des acteurs de la migration. À cette occasion, il a été recommandé « de renforcer le dialogue entre les dispositifs de mise en oeuvre de la stratégie nationale de sécurité et de la stratégie de lutte contre la migration irrégulière compte tenu des complémentarités qui existent entre ces deux documents stratégiques » (SP/CCM Rapport 2 juin 2017). Cette orientation stratégique révèle une volonté de faire le pont entre gestion sécuritaire et répression de la migration de transit.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius