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Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger: reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants


par Bachirou AYOUBA TINNI
Université Abdou Moumouni de Niamey - These de Doctorat  2021
  

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7.2.2 La répression de la migration dite irrégulière

Une fois le fonds additionnel empoché, le migrant ayant, durant la période d'attente, identifié au préalable son passeur, verse l'argent nécessaire pour son voyage. Là s'ouvre, une autre étape de l'attente : celle du nombre de passagers (20 à 25 personnes) nécessaires pour entreprendre le voyage. Généralement cela ne prend que peu de jours : une semaine maximum même si cela peut se compliquer avec la répression en cours. Comme le soulignent ces propos d'Ismael, Gambien :

« Je suis arrivé à Agadez le 28 Octobre. Le 5 novembre, j'ai payé 175.000fcfa frais de transport et 20000fcfa frais de route pour les policiers et douaniers. Tu fais une provision de denrées alimentaires pour 5.000fcfa et tu payes 2 bidons pour l'eau. En tout, j'ai dépensé 200.000fcfa. On a attendu un mois, le voyage n'a pas eu lieu. J'ai commencé à avoir des problèmes avec le coxer. Nous étions 6, ils nous ont mélangés avec trois autres foyers pour atteindre 25 personnes. Nous devons quitter lundi au crépuscule mais le chauffeur a dit qu'il faut attendre mardi car il y a beaucoup de policiers dans la ville. On a attendu jusqu'au vendredi, le départ n'a pas eu lieu. Le coxer s'est caché. On l'appelait mais il était injoignable. » (Entretien Ismael, Agadez, février 2021).

Puis suit, la période de préparation du voyage dans un contexte de restriction de mobilité née de l'application de la loi 2015-36 avec pour corollaire l'essor du transport clandestin de migrants vers l'Afrique du Nord.

Cette situation a conduit au prolongement du séjour des migrants à Agadez qui, de 3 jours à une époque récente, est passé à plusieurs semaines. Par-delà, les restrictions en cours ont rendu les migrants plus vulnérables, contraints de vivre dans la clandestinité, dans les ghettos, dans un état de promiscuité totale en attendant le départ. La criminalisation de la migration vers l'Afrique du Nord constitue un facteur de mise en attente des migrants à Agadez. Car ces

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derniers éprouvent de plus en plus de difficultés à trouver des transporteurs fiables en mesure de les conduire à destination du fait des arrestations et confiscations des véhicules opérées dans les rangs des transporteurs. Dans son document d'analyse, ARCI souligne que « La criminalisation des migrants dans les pays de transit augmente au contraire le nombre de victimes, de personnes refoulées dans le désert, dans les pays d'origine, obligées d'emprunter des routes de plus en plus impraticables » (ARCI, 2018) Cette analyse se confirme au Niger.

La répression de la migration de transit a largement contribué à la « clandestinisation » de la migration vers l'Afrique du Nord d'une part et au blocage des migrants à Agadez d'autre part. Cette présence prolongée crée d'énormes difficultés à la ville d'Agadez en termes d'hygiène et d'assainissement et d'utilisation des services publics. Il est même dans certains cas à mettre en relation avec l'insécurité résiduelle que connait la ville depuis l'application de cette loi qui pour de nombreux acteurs est faite pour étouffer Agadez sur le plan économique vu son application partielle dans cette seule région du Niger.

« Dès qu'on voit un migrant à Agadez, on le prend et on le fait passer dans le désert. Car on n'a pas de travail. Il y a des bus qui amènent les migrants à Agadez. On ne les arrête pas. Mais dès qu'un Touareg les prend pour les transporter au Nord, on nous dit que c'est interdit. Nous les Touaregs on s'en fout dès qu'ils arrivent on va les transporter. Depuis 1963, on transportait les migrants à dos de chameau. Aujourd'hui on le fait avec des véhicules. La sècheresse de 1974 et de

1984 a décimé le cheptel » (Entretien Rachid, passeur, Agadez, février 2018).

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Photo 23: Le jeu de cartes pour faire passer le temps au centre OIM Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, février 2018

7.2.3 L'absence de document de voyage : un autre facteur de blocage des migrants à Agadez

Pour les migrants ayant opté pour le retour dit volontaire de l'OIM, l'absence de document de voyage constitue aussi un facteur de blocage à Agadez. En effet, une fois enregistrés dans le centre, les migrants qui disposent de documents de voyage peuvent quitter pour Niamey même le lendemain si cela coïncide avec un départ, et continuer deux jours plus tard dans leur pays d'origine. En revanche, ceux qui ne disposent pas de document, l'OIM se met en contact avec les représentations diplomatiques au Niger du pays d'origine en vue qu'il le reconnaisse comme leur citoyen et qu'il autorise l'institution à le rapatrier. Une fois l'accord de principe acquis, le pays délivre des sauf-conduits qui permettent aux migrants en question d'effectuer le voyage. Cette procédure prend souvent du temps, un mois, souvent plus pour des pays comme le Cameroun, la Gambie et la Guinée Biseau qui n'ont pas de représentations diplomatiques au Niger.

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« Depuis notre arrivée ici, on a demandé ceux qui ont des cartes. Moi, j'ai un récépissé de carte nationale d'identité qui est valable jusqu'en juin de cette année. Nous sommes bloqués ici. On ne sait pas quand est-ce qu'on va partir. Même si c'est la prison, si on te dit que tu vas faire 10 ans, tu sais qu'à la fin tu vas sortir, ton esprit est tranquille. Si tu vas faire deux mois, on n'a qu'à te dire que tu vas faire deux mois. Comme cela, tu sais qu'après deux mois tu vas sortir. Bientôt nous avons

un mois ici. » (Zbigniew, migrant camerounais, Agadez, février 2018).

L'absence de document de voyage est donc un facteur de blocage des migrants (pour le retour), car l'établissement des pièces est un circuit long qui prend du temps, un à deux mois sinon plus. Pendant ce temps le migrant reste en attente à Agadez.

7.3 Les manifestations de l'attente

7.3.1 Temps de séjour migrants à Agadez prolongé

Les manifestations de l'attente / blocage des migrants à Agadez peuvent s'apprécier à travers la durée de leur séjour dans cette ville. Les résultats montrent que pour l'essentiel, les migrants restent moins d'une semaine à Agadez à la date à laquelle nous les avons interrogés. Mais à voir de plus près ces chiffres cachent des contrastes, car les données subissent le poids des migrants de retour de la Libye dans l'échantillon. En effet, ces derniers représentent au moins 1/5 de notre échantillon et nous les avons rencontrés à la douane où ils étaient 24 h après leur arrivée.

Une deuxième proportion (17%) de l'échantillon affirme avoir passé à Agadez moins de 15 jours. Or, à l'époque où il n'y avait pas de restriction sur la mobilité vers l'Afrique du Nord les migrants s'arrangeaient pour débarquer à Agadez le vendredi ou le samedi et utilisaient le weekend pour se préparer. Le lundi matin, ils récupèrent leur argent à la banque et payent le transporteur pour quitter la ville l'après-midi. Ils font donc tout pour minimiser la durée du transit à Agadez afin de réduire leurs dépenses d'hébergement, restauration et nourriture. Depuis l'application de la loi 2015-36, la durée de séjour à Agadez varie de 15 jours à un mois pour plus de 30 % des migrants interrogés. Cette situation s'est imposée aux migrants et elle ne dépend ni de leur bon vouloir et ni de celui des passeurs. Migrants et passeurs sont victimes de l'externalisation des politiques migratoires dont l'une des conséquences directes est le blocage des migrants à Agadez. Près de 24 % des répondants affirment vivre à Agadez depuis moins de 6 mois, tout en gardant toujours l'espoir de continuer l'aventure vers l'Afrique du Nord ou de retourner dans leur pays selon le cas.

La moitié des répondants (51 %) affirment avoir investi dans le voyage entre 90 000 et 270 000 FCFA, en moyenne 225 864 FCFA. Ce sont donc des sommes importantes que les migrants mobilisent dans ce voyage pour arriver à Agadez. Ils ne peuvent en aucun cas choisir de rester

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dans cette ville si ce n'est dû aux contraintes externes. C'est pourquoi certains migrants estiment que le Niger ne joue pas franc jeu, car les autorités les laissent venir jusqu'à Agadez avant de vouloir les refouler. Or, à ce moment-là beaucoup ont perdu de leurs ressources financières. Pour eux, le Niger gagnerait beaucoup plus en leur refusant l'accès à son territoire plutôt que de les laisser traverser jusqu'à Agadez pour finir par les bloquer.

« Il fallait trouver d'autres moyens que de dépouiller les gens, parce qu'avant que tu n'arrives là-bas, tu es psychologiquement touché car tu es spolié, taxé en route. Tu n'as rien et quand tu retournes il faut d'abord payer les dettes que tu as contractées avant de quitter et ensuite lancer une nouvelle vie. Il faut accentuer le contrôle au niveau des frontières nigériennes. Vaut mieux me faire retourner depuis le Nigéria que de me laisser trop dépenser, venir jusqu'ici puis me faire retourner » (Entretien Serge, camerounais, Agadez, novembre 2017).

7.3.2 La vulnérabilité financière des répondants : une manifestation de l'attente

La vulnérabilité financière des migrants accentue davantage leur blocage à Agadez. En effet, près de 68 % des répondants affirment qu'ils n'ont pas suffisamment d'argent pour continuer le voyage. Ils ont dépensé leur argent à travers les faux frais payés le long de la route migratoire et pendant le séjour forcé à Agadez. Ils n'ont donc pas de perspectives immédiates pour s'offrir le luxe d'un voyage vers l'Afrique du Nord. C'est pourquoi nombre d'entre eux (20 %) en l'absence de perspectives s'orientent vers l'OIM, pour bénéficier de l'hébergement, de la restauration, la sécurité et in fine du retour volontaire quand les conditions dans les ghettos ne sont plus tenables, ou quand le dispositif de restriction de mobilité mis en place par l'État et ses partenaires arrive à avoir raison du migrant qui finit par abdiquer :

« Nous sortons chaque jour sauf le dimanche pour aller dans les ghettos pour faire des discussions avec les migrants. Ce n'est pas là [qu'on va dire] nous sommes là pour vous faire retourner chez vous, on parle de protection, de la détresse dans le désert, du fait d'être bloqué dans la ville. On a des outils adaptés, par exemple un album photos, à partir de photos que les migrants ont partagé avec nous sur les atrocités de la Libye, des atrocités sur la route, des bandits. On montre aussi un film qu'on montre dans le ghetto. On a aussi la BD Rêves et enfer. On a une carte qu'on donne dans les ghettos. » (Entretien OIM, Agadez, avril 2019)

Les plus déterminés (20 %) disent attendre un transfert d'argent du pays afin de pouvoir financer la poursuite de leur voyage. Pour ces migrants, « la durée de l'attente se confond avec celle de la quête d'argent » (Mounkaila2010).

Cependant, 18 % des répondants comptent travailler sur place à Agadez pour chercher les ressources nécessaires. Mais quel travail une ville comme Agadez peut-elle offrir dans un contexte de fermeture de la mine d'or du Djado et de la mine d'uranium où les jeunes vivent les affres du chômage et les effets néfastes de la répression de la migration de transit ?

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Seule une faible proportion (28 %) dispose de ressources pour continuer le voyage. Quel que soit le cas, 88, 5% des répondants affirment qu'ils ne travaillent pas à Agadez. Généralement, les femmes arrivent à trouver du travail dans les bars et restaurants. Pour les hommes, c'est surtout dans le domaine de la construction qu'ils sont employés comme maçon ou manoeuvre.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984