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Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger: reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants


par Bachirou AYOUBA TINNI
Université Abdou Moumouni de Niamey - These de Doctorat  2021
  

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9.2.3 Absence de travail dans les camps

Les camps se caractérisent également par une faible opportunité de travail et d'emploi. Ils sont situés en milieu rural où le contexte local est moins favorable au développement d'activités économiques encore moins en termes d'offres d'emploi. Les réfugiés se trouvent donc piégés par la baisse de l'assistance humanitaire à laquelle s'ajoute l'absence d'opportunité de travail et d'emploi dans la zone d'accueil.

9.2.4 L'insécurité au Tchad et en Libye

Qu'ils soient dans les camps des réfugiés ou dans ceux de déplacés internes, les occupants sont dans certains cas obligés de traverser la frontière tchadienne ou centrafricaine à la recherche de sécurité pour préserver leur vie. En effet, au Soudan les camps de déplacés internes sont la cible des exactions des milices Janjawid, ce qui crée une psychose de sorte que les IDPs dans certaines régions finissent par traverser la frontière pour se constituer réfugiés. La destination est soit le Tchad soit la Libye, déplacés internes et réfugiés partent à la recherche du travail au fil des années.

Au Tchad, la proximité avec le Soudan et les différentes rébellions internes font que les camps de réfugiés sont souvent attaqués par les groupes armés. Ce qui les rend répulsif aussi pour une partie des réfugiés.

La dégradation de la situation sécuritaire à laquelle s'ajoutent la baisse de l'assistance humanitaire et l'absence d'opportunités de travail agissent comme des déclencheurs et un accélérateur des mouvements de ces personnes.

Ces mouvements contraints s'inscrivent dans une route migratoire déjà existante entre le Tchad, le Soudan et la Libye. En témoigne la présence depuis les années 70-80 des migrants en provenance de ces deux pays en Libye dictée par la recherche du travail. Selon Drozdz et Pliez « La présence soudanaise en Libye est pourtant notable puisqu'on estime le nombre de leurs ressortissants à une large fourchette de 500000 et 800000 personnes, soit la seconde communauté immigrée après les Égyptiens et la première parmi les ressortissants d'Afrique subsaharienne » (Drozdz et Pliez, 2005). Dans le contexte de la dégradation de la situation sécuritaire au Tchad dans les camps de réfugiés, certains départs vers la Libye sont notés bien avant le déclenchement de la guerre en Libye comme l'illustre l'encadré ci-dessous.

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Encadré 6: Mohamed ressortissant du Darfour

« Je suis Mohamed, 24 ans ressortissant du Darfour. J'ai quitté mon village en avril 2005 à cause de la guerre. Mon papa est décédé à la suite d'une attaque des milices à Khartoum. Ma maman et mes frères ont quitté la ville pour le camp d'Al Fashir. La situation est très difficile j'étais obligé de venir au Tchad au camp de Farchana. Là aussi, j'ai eu des difficultés à m'enregistrer, mais j'ai fini par avoir un numéro d'inscription. J'étais resté là-bas deux (2) ans et six (6) mois avant d'aller en Libye.

Je n'ai pas pu faire venir la famille au Tchad, car je n'avais pas les moyens. Je survivais grâce aux travaux journaliers. Je ne recevais aucune assistance de l'UNHCR. Je vivais dans un jardin. J'ai souffert dans ma vie, car au temps de la guerre j'étais petit, je n'arrivais pas à distinguer les choses. Avec le décès de mon papa, la charge de la famille me revenait. Je voudrais trouver du travail et envoyer à ma famille. Je suis donc parti en Libye. C'est un Tchadien qui m'a aidé pour le transport. Le chauffeur m'a amené à Koufra ; arrivé dans cette ville j'ai pris contact avec les Soudanais qui m'ont aidé à trouver du travail. J'étais resté un an dans cette ville. Je travaillais dans une alimentation. Après le départ du Soudanais, le propriétaire de l'alimentation me maltraitait. J'ai quitté pour Benghazi.

Arrivé à Benghazi, j'ai pris contact avec les compatriotes. J'ai travaillé pendant trois ans dont la moitié comme ouvrier du bâtiment avec 1900 dinars de salaire mensuel. J'arrivais à envoyer à mes parents restés au Soudan à travers les agences locales. Vers la fin du chantier, on a commencé à remercier les gens et ça a coïncidé avec le début de la guerre en février 2011. On s'est retiré dans une grande cour. On nous a fouillés, car il y avait plusieurs nationalités. J'ai voulu retourner au Tchad, mais je n'ai pas pu. Mais j'ai pu m'échapper du camp à travers les commerçants qui nous amènent à manger. Ces commerçants nous ont fait sortir et nous ont amenés gratuitement à Sebha. J'ai passé deux ans dans cette ville, dont sept mois de travail dans un champ. Après les commerçants nous ont fait travailler dans le champ d'un autre sans salaire. Le dernier commerçant nous a kidnappé et a exigé qu'on paye pour se faire libérer. J'ai expliqué que mon père est mort et ma mère est malade. J'ai pris l'engagement de travailler en contrepartie de l'argent demandé. J'ai pu m'échapper lors d'une séance de salubrité pour me réfugier chez un Ghanéen pendant quatre jours avant qu'on ne soit à nouveau kidnappé. À la suite d'une bagarre entre les milices j'ai pu m'échapper pour Gatroun où pendant neuf (9) mois j'étais travailleur journalier. J'ai voulu

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retourner au Tchad, mais les Soudanais m'ont proposé de venir au Niger après ils vont voir comment me chercher de l'argent pour retourner au Tchad. Arrivé à Agadez j'étais à côté du marché avant que les agents d'APBE me prennent en charge. Actuellement, cela fait cinq (5) à six (6) ans que je n'ai aucune nouvelle de ma famille. C'est un kamikaze le fait de prendre le bateau pour l'Europe ».

Le parcours de Mohamed illustre la complexité du conflit au Darfour. Il est déplacé interne puis réfugié au Tchad à la recherche d'opportunités économiques pour faire face à ses obligations sociales. Au Tchad, en l'absence d'assistance humanitaire, il enchaine les petits boulots sans atteindre son objectif de pouvoir envoyer une partie à sa famille restée au Soudan. Pour atteindre cet idéal, il continue son parcours en Libye où il travaille et envoi aux proches. La crise libyenne et l'insécurité qui en découle l'amènent à changer de ville dans l'espoir d'être en sécurité et de continuer à prendre en charge sa famille. Il est kidnappé puis relâché. Il parvient à se rendre au Niger, pays jugé en sécurité bien qu'il ait voulu se rendre plus tôt au Tchad. Mohamed est donc une figure ayant fui l'insécurité pour se retrouver dans l'insécurité en Libye. Sa venue au Niger relève du hasard et sa requête d'asile relève des circonstances et des opportunités qu'offre ce pays d'accueil.

La migration des Soudanais va se maintenir et s'amplifier avec des flux circulants entre les deux pays et animés par une population jeune. Elle prendra une nouvelle tournure au printemps 2010 avec la chute du régime du Guide libyen. En ce moment, la Libye va se consolider en plaque tournante des migrations africaines et le point de liaison des côtes Méditerranéennes avec l'Europe. Les Soudanais avec une importante diaspora installée en Europe vont s'illustrer par leur présence sur les embarcations à destination de l'Italie.

Cette période est aussi marquée en Libye par une violence généralisée. L'économie du pays est détruite. Les milices armées qui ont émergé se distinguent par un mode opératoire particulier. Il s'agit des lieux de détention privés qui se sont développés dans le pays plus connu sous le nom de Guidan bachi ou maisons de crédits. Cette expression est utilisée par les migrants nigériens haoussas pour désigner ces lieux où la personne est détenue jusqu'à ce quelqu'un paie pour la faire libérer. Ces espaces sont connus pour les abus, les tortures et des cas de morts (Puig, 2017). Les migrants africains en payeront un grand prix. Les détenus sont violentés, torturés et forcés d'appeler leur famille pour envoyer le montant exigé pour leur libération comme le souligne Clément : «j'ai été kidnappé par la Katiba 42 à Tripoli. Ils ont exigé une

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rançon de 15 000 dinars pour me faire libérer. J'ai appelé mon grand frère qui a mobilisé les 15 000 dinars pour me faire libérer. J'ai été jeté au bord de la mer avec cagoule et 10 dinars comme frais de taxi » (Clément, demandeur d'asile, Agadez 22-07-2018).

Ainsi, est né un business avec au centre le migrant. Les familles des premiers détenus payent pour libérer leurs proches et les responsables des Guidan bachi découvrent alors un business rentable dans cette Libye post Kadhafi qu'ils comptent perpétuer par des nouveaux kidnappings. En effet, le cas de Clément est légion, lors des entretiens plusieurs personnes affirment avoir séjourné dans ces prisons. En fait, dans la Libye post Kadhafi des prisons privées ont émergé. Les humanitaires et les organisations de défense de droit de l'homme ont confirmé l'existence de ces cachots qui constituent une véritable source d'insécurité pour la population étrangère présente dans le pays. Le passage dans ces geôles privées est un facteur qui n'encourage pas de poursuivre le séjour dans le pays après avoir été libéré. Ainsi, plusieurs personnes à l'image de Clément affirment avoir quitté le pays juste après leur libération. Ces départs sont souvent encouragés par les familles contraintes de payer la rançon exigée alors qu'elles devraient plutôt recevoir les bénéfices de la migration.

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"