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La commission internationale des frontières et des eaux (IBWC) face aux enjeux de la préservation de l'environnement


par Clémence Léger
Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 - Master Etudes Européennes et Internationales - Aire anglophone 2022
  

Disponible en mode multipage

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Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3

Institut du Monde Anglophone

Études Européennes et Internationales-Aire anglophone - Civilisation des pays anglophones

La Commission Internationale des Frontières et des Eaux (IBWC) face aux enjeux de la préservation de l'environnement

Master 2

Mémoire de Recherche

Clémence LÉGER

Directeur de recherche : M. Didier AUBERT

Juin 2022

Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3

Institut du Monde Anglophone

Études Européennes et Internationales-Aire anglophone - Civilisation des pays anglophones

La Commission Internationale des Frontières et des Eaux (IBWC) face aux enjeux de la préservation de l'environnement

Master 2

Mémoire de Recherche

Clémence LÉGER

Directeur de recherche : M. Didier AUBERT

Juin 2022

Déclaration sur l'honneur

Je soussignée Clémence Léger déclare avoir rédigé ce travail sans aides extérieures ni sources autres que celles qui sont citées. Toutes les utilisations de textes préexistants, publiés ou non, y compris en version électronique, sont signalées comme telles. Ce travail n'a été soumis à aucun autre jury d'examen sous une forme identique ou similaire, que ce soit en France ou à l'étranger, à l'université ou dans une autre institution, par moi-même ou par autrui.

10 juin 2022

Résumé

L'eau est un enjeu primordial dans les relations entre les États-Unis et le Mexique. Bon nombre de traités, de conventions et d'accords ont été signés entre les deux pays pour la distribution et la régulation des eaux des fleuves frontaliers (le Rio Grande, le Colorado et la rivière Tijuana) depuis la fin du XIXe siècle. C'est pourtant le Traité de 1944 qui marque le début d'une coopération, voulue soutenue, entre les deux pays pour répondre aux problèmes d'approvisionnement et de régulation de l'eau. Cette coopération s'est installée notamment grâce à l'amendement de l'International Boundary and Water Commission, instance binationale entre les États-Unis et le Mexique, qui permet une collaboration des deux pays autour des problèmes hydriques à la frontière. Le Traité de 1944 fut suivi par les accords de La Paz et de l'ALENA, qui ont des résultats plus mitigés.

L'IBWC, au fil des décennies, a laissé intervenir de nouveaux acteurs dans la résolution des problèmes hydriques, de manière à intégrer un aspect plus environnemental à ses prérogatives. En effet, l'implication des ONG dans les années 1990 et des habitants des États bassins dans les prises de décisions a permis à la Commission de percevoir des fonds et de pouvoir fournir des solutions hydriques et environnementales plus légitimes et plus ancrées, susceptibles de répondre effectivement aux problèmes.

L'analyse de certaines Minutes, procédé intégré au Traité de 1944, a permis de distinguer différentes phases dans la prise en charge des problèmes environnementaux, en partant de la mise en place de cadre jusqu'à la mise en oeuvre d'un programme de coopération pour la gestion des problèmes environnementaux.

Mots clés : gestion de l'eau, hydro-diplomatie, International Water and Boundary Commission, Traité de 1944, Minutes

Abstract

Water plays a key role in the relationship between the United States and Mexico. Several treaties, conventions, and agreements have been signed between the two countries since the end of the 19th century to regulate the water flow of the three border rivers (the Rio Grande, the Colorado, and the Tijuana). It was the 1944 Treaty, however, that began a relationship of cooperation, which was to last for a long time, between the two countries. A major component of this cooperation has been the amendment of the International Boundary and Water Commission, the bi-national commission between the United States and Mexico that enables cooperation on water problems at the border between the two countries. The 1944 Treaty was followed by the La Paz Agreement and NAFTA, which had mixed results.

Over the decades, this Commission has begun to engage new parties in the resolution of water problems in order to incorporate a more environmental focus into its functions. Through the involvement of NGOs in the 1990s as well as the participation of basin states in decision-making, the Commission has been able to collect funds and provide more legitimate and grounded water and environmental solutions that can effectively resolve problems.

An examination of some of the Minutes, an amendment system integrated to the 1944 Treaty, has permitted distinguishing different phases of the handling of environmental problems; from the creation of a framework to the implementation of a programme for cooperation.

Key words: water management, hydrodiplomacy, International Water & Boundary Commission, 1944 Water Treaty, Minutes

Remerciements

Je voudrais remercier, dans un premier temps, mon directeur de mémoire, M. Didier Aubert, pour ses précieux conseils, sa disponibilité et son soutien. Il m'a orientée dans mes recherches et a suivi avec attention la réalisation de ce mémoire. Je tiens également à remercier M. James Cohen qui a accepté d'être mon co-directeur de mémoire cette année. Je tiens à souligner tout particulièrement leur disponibilité et leur bienveillance.

Enfin, je remercie ma famille qui m'a soutenue tout au long de ce processus de recherche.

Table des matières

Déclaration sur l'honneur 1

Résumé 2

Abstract 2

Remerciements 4

Table des matières 5

Liste d'abréviations 7

Table des illustrations 8

INTRODUCTION 9

Les problèmes hydriques actuels à la frontière États-Unis-Mexique 9

Répartition des eaux du Colorado et du Rio Grande 11

Les causes des problèmes liés à l'eau à la frontière États-Unis-Mexique 13

Le rôle de la Commission Internationale des Frontières et des Eaux (IBWC) 16

Antécédents des relations hydro-diplomatiques entre les États-Unis et le Mexique 19

L'émergence de la question environnementale 21

PARTIE I - L'hydro-diplomatie : une approche efficace pour une gestion de l'eau pacifique et durable 25

Qu'est-ce que l'hydro-diplomatie ? 25

La diplomatie environnementale 29

Gestion Intégrée des Ressources en Eau 30

Hydro-hégémonie 32

Commission de coopération 33

Hydro-diplomatie et gouvernance adaptative entre les États-Unis et le Mexique 33

PARTIE II - L'hydro-diplomatie entre les États-Unis et le Mexique : l'évolution de l'IBWC 38

Chapitre I - Le rôle de l'IBWC et des Minutes, vecteurs d'hydro-diplomatie entre les États-Unis et le Mexique 38

Chapitre II - Relations diplomatiques et hydriques jusqu'à 1944 42

Diplomatie entre les États-Unis et le Mexique 42

Gouvernance de l'eau avant le Traité de 1944 46

La démographie : vectrice de problèmes hydriques 47

La crise de Mexicali de 1943 49

Le rôle de l'IBWC dans la mise en oeuvre du Traité de 1944 50

Situation inégale entre les deux pays lors de la signature du Traité de 1944 52

Chapitre III - Efficacité de l'IBWC depuis 1944 : un nouvel outil à disposition 55

Le Traité de 1944 55

Avancées et problèmes hydro-diplomatiques depuis les années 1940 57

Problèmes de salinité dans le fleuve Colorado 57

L'Accord de La Paz : nouveau pas dans la préservation de l'environnement 60

L'ALENA : des avancées environnementales grâce à la BECC 61

Etat des lieux des problèmes environnementaux dans les années 1990 63

Le cas des eaux souterraines 65

L'impact du public sur les politiques hydriques 66

PARTIE III - L'environnement : de plus en plus important dans les Minutes 67

Chapitre I - Minutes 306 et 316 : de la mise en place de cadre à la mise en oeuvre de solutions environnementales dans la rivière du Colorado 67

La Minute 306 67

Analyse de la Minute 306 68

La Minute 316 69

Analyse de la Minute 316 70

Chapitre II - Minutes 319 : point culminant des relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique et mise en place d'un programme de surveillance écologique 71

La Minute 319 71

Analyse de la Minute 319 72

Chapitre III - Minutes 323 : mise en oeuvre d'un programme de coopération pour la gestion des problèmes environnementaux 75

La Minute 323 75

Analyse de la Minute 323 75

CONCLUSION 79

Liste de références 84

Liste d'abréviations

ACEUM Accord Canada, États-Unis, Canada

ALENA Accord de libre-échange nord-américain

ANACDE Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement

BECC Border Environment Cooperation Commission

CEC Commission for Environmental Cooperation

CILA Comisión Internacional de Límites y Aguas

EPA Environmental Protection Agency

IBW International Boundary Commission

IBWC International Boundary and Water Commission

IID Imperial Irrigation District

NABD North American Development Bank

NAFTA North American Free Trade Agreement

ONG Organisation non gouvernementale

ONU Organisation des Nations Unies

PNUE Programme des Nations Unies pour l'environnement

USCMA US-Mexico-Canada Agreement

USIBWC US International Boundary and Water Commission

Table des illustrations

Figure 1 : Carte de la retenue d'Amistad et de sa région 1

Figure 2 : Les rivières du Colorado et du Rio Grande à la frontière États-Unis-Mexique 11

Tableau 1 : Croissance démographique à San Diego, E.U. et à Tijuana, Mexique 1

Tableau 2 : Valeurs extrêmes des précipitations dans la région de Mexicali 50

Tableau 3 : Les économies en eau mexicaines pour le BWSCP 77

INTRODUCTION

Les problèmes hydriques actuels à la frontière États-Unis-Mexique

La frontière entre le Mexique et les États-Unis est actuellement une région de tensions hydriques liées, entre autres, à des sécheresses successives et à une pollution accrue des fleuves qui mettent en danger l'agriculture, les populations et la biodiversité. À l'automne 2020, ces tensions ont débouché sur une crise dans la vallée du Rio Grande lorsque le gouverneur conservateur du Texas, Greg Abbott, pressa le Mexique d'honorer ses engagements et de verser aux États-Unis la quantité d'eau demandée dans le Traité de 1944. Il déclara notamment que le Mexique devait de l'eau aux États-Unis (Varady, Gerlak et al. 2021) dans la mesure où ce dernier détient la plupart des affluents du fleuve et donc la majorité des flux arrivant dans le Rio Grande. Le Traité de 1944 visait, à sa création, à réglementer et organiser la distribution équitable des ressources hydriques des fleuves du Colorado, du Rio Grande (appelé Rio Bravo au Mexique) et de la rivière Tijuana (dont il ne sera pas question dans ce travail), entre les États-Unis et le Mexique. Par ailleurs, il prévoit des exemptions possibles en cas de problèmes environnementaux majeurs tels que des sécheresses ou une pollution exceptionnelle, singulièrement du côté mexicain (Umoff 2008, 75). Malgré cette possibilité d'exemption, le Mexique s'est acquitté de la tâche qui lui incombait grâce aux ressources en eau de la retenue d'Amistad, située à la frontière, sur le Rio Grande. Cette décision a été prise en accord avec les États-Unis ; puisque les deux nations gèrent cette retenue, il est nécessaire d'avoir un accord mutuel pour l'utilisation de son eau. Toutefois, même si cette retenue a permis au Mexique de répondre aux attentes des États-Unis et du Traité, l'utilisation de cette eau a mis en péril l'approvisionnement des habitants de l'État de Coahuila, localisé en aval de la retenue comme le montre la Figure 1 ci-dessous (Kamps 2009).

Figure 1 : Carte de la retenue d'Amistad et de sa région

Cet évènement a intensifié les tensions et les préoccupations, en particulier parce que les agriculteurs ont besoin d'une quantité d'eau suffisante pour leurs cultures difficilement atteinte (Varady, Gerlak et al. 2021). Cela illustre la difficulté persistante des deux côtés de la frontière de surmonter les différends liés à l'eau, malgré la mise en place d'accords et d'organisations binationales dédiés à cet enjeu, tel que l'IBWC (International Boundary and Water Commission) créée dès 1889, et qui près d'un siècle et demi plus tard reste le principal canal de médiation sur ces questions.

L'exemple des complications telles qu'exposées plus haut est une des conséquences des problèmes hydriques qui se multiplient à la frontière au fil du temps et encore plus depuis les années 1990. La situation géographique de la frontière est, en elle-même, une des causes des conflits liés à l'eau. En effet, la localisation des fleuves du Colorado et du Rio Grande/Bravo à la frontière États-Unis-Mexique génère des problèmes hydriques dans la mesure où la zone est semi-aride et souffre de périodes de sécheresses impressionnantes. Le dérèglement climatique entraîne aussi un changement de climat dans la zone qui devient encore plus aride et qui accentue, de fait, les sécheresses et les pénuries d'eau.

Dans ces conditions, les deux pays ne sont pas égaux devant les risques liés à cette pénurie. Comme il est possible de le constater sur la Figure 2 (« Les rivières du Colorado et du Rio Grande à la frontière États-Unis-Mexique »), l'approvisionnement en eau pour les régions frontalières, notamment pour les États d'Arizona, du Nouveau-Mexique et du Texas du côté des États-Unis et les États de Basse Californie, de Coahuila, de Tamaulipas, de Sonora et de Chihuahua du côté mexicain, est fourni principalement par les rivières et les affluents du Colorado et du Rio Grande/Bravo. Ainsi, imaginer que le Mexique est d'autant plus touché qu'il est localisé en aval des rivières est crédible, particulièrement pour ce qui est du Colorado, puisqu'il accède à l'eau de cette dernière en fin de parcours, alors qu'elle est potentiellement déjà polluée ou disponible en trop faible quantité pour répondre à la demande de la population. Ce constat est, cependant, contrasté dans le cas du Rio Grande/Bravo dans le sens où le Mexique possède les débits de la plupart des affluents du fleuve en aval de Fort Quitman, comme il est possible de le voir sur la Figure 2 (« History of the International Boundary and Water Commission » s.d.). Il a ainsi un pouvoir très important sur les débits de ce fleuve puisque c'est à lui de fournir de l'eau aux États-Unis depuis le Traité de 1944.

Il est également essentiel d'insister sur le fait que, dès le début des années 2000, le Mexique se déclarait en situation de stress hydrique (Vega Cárdenas 2020, 28), notamment, et surtout, dans la région frontalière des États-Unis, semi-aride. Cela signifie que ses ressources en eau disponibles étaient déjà inférieures à la demande en eau de la population (Macé 2021). La crise du Rio Grande/Bravo de 2020 représente, à mon avis, une suite logique du processus de stress hydrique puisqu'avec l'aggravation du dérèglement climatique, le Mexique est de moins en moins capable de fournir suffisamment d'eau pour sa population, et n'est plus en mesure non plus de remplir, en toutes circonstances, sa part des accords et des traités signés avec les États-Unis. L'évolution du dérèglement climatique laisse à penser que ce phénomène n'ira qu'en empirant si rien n'est fait pour en atténuer les effets.

Figure 2 : Les rivières du Colorado et du Rio Grande à la frontière États-Unis-Mexique

Source : Carter, Nicole T., et al. 2018. « Sharing the Colorado and the Rio Grande: Cooperation and Conflict with Mexico ». Congressional Research Service. 12 Décembre 2018 : 1-33. https://fas.org/sgp/crs/row/R45430.pdf.

Répartition des eaux du Colorado et du Rio Grande

Pour comprendre les raisons pour lesquelles les États-Unis et le Mexique doivent se partager les ressources hydriques des fleuves et fournir une certaine quantité d'eau à l'autre, il faut se souvenir que le Traité de 1944 avait pour objectif, lors de son élaboration, de délimiter les droits des deux pays en ce qui concerne les eaux du Rio Grande/Bravo et du Colorado (Taylor 1996, 46).

Pour ce qui est du fleuve Colorado, les États-Unis possèdent la partie principale du fleuve, en amont, et doivent verser 1 500 000 acres-pieds1(*) de leur eau chaque année au Mexique. Ce chiffre comprend 900 000 acres-pieds provenant du drainage des projets étatsuniens qui, selon toute vraisemblance, devait permettre de contrôler la quantité d'eau qui serait fournie ainsi que de diminuer les probabilités d'inondations des eaux du Colorado. De plus, selon le Traité, en cas d'excédent au cours de l'année, le Mexique devait recevoir 200 000 acres-pieds supplémentaires des États-Unis (Glaeser 1946, 7). La qualité de l'eau n'était alors pas prise en compte dans les négociations.

De plus, comme il en est question dans ce travail, la construction d'infrastructures et de déviation a entraîné une raréfaction des ressources hydriques dans différentes zones du fleuve du Colorado et notamment dans son delta (« Colorado River Delta (in Mexico) » s.d.), localisé entre les États de Basse Californie et de Sonora au Mexique, comme le montre la Figure 2. La raison de ce constat dans la région du delta n'est autre que l'agriculture. En effet, l'eau du Colorado au Mexique est déviée, au-delà du barrage de Morelos, pour fournir de l'eau aux champs de coton, de blé, de foin et de légumes dans la vallée de Mexicali, au nord-ouest du Mexique (James 2020). Ainsi, durant plusieurs décennies, les débits du Colorado, déviés, n'atteignaient plus le delta, mais la Minute 306 et les suivantes permirent de réapprovisionner la zone en eau, petit à petit (Bussey 2018, 162) notamment grâce au développement de nouvelles infrastructures. Depuis la Minute 306 donc, le delta est au coeur des discussions de l'IBWC, entre autres, ce qui a permis un réapprovisionnement progressif en eau (Vanderpool 2018) même si le chemin reste long.

S'agissant du Rio Grande/Bravo, en aval de Fort Quitman, au Texas, chaque pays dispose de la moitié du débit du fleuve. Pour ce qui est des affluents du fleuve, le Mexique a la jouissance de toutes les eaux provenant des rivières San Juan et Alamo. Il a également accès aux deux tiers du débit des affluents mexicains de Conchos, San Diego, San Rodrigo, Escondido, Salado et Las Vacas Arroyo (« History of the International Boundary and Water Commission » s.d.). Les États-Unis, quant à eux, possèdent la totalité des débits des affluents Pecos, Devils, Goodenough Spring, Alamito, Terlingua, San Felipe et Pinto Creeks, en amont du Rio Grande/Bravo. Ils ont par ailleurs accès au dernier tiers des débits des affluents mexicains. De plus, puisque le Mexique détient la plupart des affluents, il doit allouer aux États-Unis, chaque année, au moins 350 000 acres-pieds des débits du Rio Grande/Bravo. Cette allocation est mesurée par cycle de cinq ans, ce qui signifie que le Mexique doit livrer 1 750 000 acres-pieds à la fin d'un cycle. S'il n'est pas en mesure d'atteindre ce résultat, il doit rembourser les États-Unis, mais il lui est aussi possible de fournir cette eau au cours du cycle quinquennal suivant (Taylor 1996 47-8). Il est ainsi possible de constater que pour le cycle 2015-2020, le Mexique n'a pas souhaité d'exemption et a finalement fourni la quantité d'eau demandée aux États-Unis.

Les causes des problèmes liés à l'eau à la frontière États-Unis-Mexique

Les problèmes hydriques rencontrés à la frontière sont nombreux. Il semblerait que la difficulté principale, datant d'avant la signature du Traité de 1944, soit l'approvisionnement en eau en raison des sécheresses qui se multiplient dans la zone. En effet, en 1943 déjà, le Mexique faisait face à une sécheresse dans la vallée de Mexicali (Anderson 1972, 608), en Basse Californie, au nord-ouest du Mexique. Ce problème est né, en majeure partie, de la croissance démographique et du développement constant des industries, de part et d'autre de la frontière, qui ont entraîné un stress hydrique au cours des XXe et XXIe siècles (Nava Jiménez 2007, 11). En effet, ces dernières décennies, la population à la frontière a augmenté de manière exponentielle pour atteindre 14 millions d'habitants. Cette population est localisée, pour une grande part, dans les villes frontalières jumelées telles que San Diego aux États-Unis et Tijuana au Mexique qui cumulent 4,9 millions d'habitants et à El Paso et Ciudad Juarez qui comptent 2,2 millions d'habitants. Les autres villes frontalières des deux côtés de la frontière s'y ajoutent pour former un ensemble de 14 millions (Wilder et al. 2020, 192). Pour préciser ce propos, en se focalisant sur les villes jumelles de Ciudad Juarez et d'El Paso, il est possible de constater une augmentation impressionnante tout au long du XXe siècle. Par exemple, El Paso est passé de quelques milliers d'habitants en 1900 à plus de 600 000 habitants en 1998, tandis que la ville de Ciudad Juarez comptait une population de 43 000 habitants en 1930, puis plus d'un million en 1995 (Peach 1998, 3), enregistrant ainsi une augmentation de 2 225,6 %. Ceci a entraîné une utilisation de plus en plus importante de ressources épuisables. En effet, puisque la population et les industries utilisent de plus en plus d'eau pour satisfaire leurs besoins sans que les réserves ne soient pleines ou sans qu'elles n'aient le temps de se renouveler, il est prévisible que la demande puisse dépasser la quantité d'eau disponible.

Dans ce contexte, le secteur agricole pose un double problème. En effet, dans un premier temps, il nécessite une utilisation accrue des ressources hydriques qui peut entraîner des problèmes environnementaux :

« In the Upper Rio Grande Basin alone, from its headwaters in Colorado to Fort Quitman in Texas, over 300,000 acres (120,000 hectares) are irrigated, including 25,000 acres (10,000 hectares) on the Mexican side of this section of the basin (SECURE Water Act 2011). Agriculture, including livestock production, accounts for over 85 percent of the surface water withdrawals in the bains » (Lubner et Thiel s.d., 1).

Il est ainsi aisé de comprendre le lien entre croissance démographique et utilisation accrue des ressources en eau ainsi que les problèmes que ce phénomène engendre. Cette croissance démographique a entraîné une augmentation constante de la demande en eau par les industries et les populations qui a provoqué, au fur et à mesure, un appauvrissement, voire la disparition, des ressources en eau, qu'elles soient souterraines ou non. Ce premier facteur, ajouté à un dérèglement climatique global qui s'intensifie dans les bassins des fleuves du Colorado et du Rio Grande favorisent l'apparition de sécheresses prolongées et d'un climat de plus en plus aride. Ceci peut également porter atteinte à la biodiversité puisqu'un manque d'eau constant dans une zone donnée ne permet pas aux espèces marines et aquatiques, entre autres, de rester, de se développer et d'évoluer (« Colorado River Basin and Delta » s.d.). Ce fut notamment le cas dans le delta du Colorado pendant plusieurs décennies (James 2020). C'est dans ce contexte que, durant l'été 2021, les États frontaliers mexicains et étatsuniens ont déclaré un état d'urgence environnemental puisqu'ils faisaient face à une pénurie d'eau induisant une réduction des livraisons d'eau dans le sud-ouest des États-Unis (Snider 2021) et par extension dans le nord-ouest du Mexique. Cette situation, si elle perdure, ne permettra bientôt plus aux retenues du Colorado, dont le lac Powell situé dans les États d'Arizona et du Nevada, mais étant partagé, depuis la Minute 319, entre les deux pays, de se remplir suffisamment pour compléter les débits naturels du Colorado et pour continuer de produire assez d'électricité dans des barrages, comme celui de Glen Canyon, dans l'État d'Arizona (Snider 2021).

Ce nouvel exemple permet de comprendre la multitude de problèmes liés à une diminution constante du débit d'eau des fleuves du Colorado et du Rio Grande et le lien intrinsèque entre toutes les conséquences qui en découlent et qui s'enchaînent.

Par ailleurs, un second problème émerge du développement de l'agriculture intensive et de la croissance démographique. Il s'agit de la pollution qu'elle induit avec l'utilisation d'engrais, de pesticides et d'autres polluants pour favoriser la production (Wilder et al. 2019). En effet, les répercussions de la croissance démographique se ressentent particulièrement avec la surexploitation des eaux par les activités agricoles, par exemple, qui induit une explosion de la pollution des débits du Colorado et du Rio Grande, causée par l'utilisation de polluants, comme il en sera question plus tard (Burman et Cornish 1975, 387).

Comme l'expliquent Flores B., Ren J., Krishnamurthy S. et Belzer W. dans Chemical Contamination of the Lower Rio Grande near Laredo, TX, le Rio Grande a été fortement affecté par la pollution de l'activité humaine à la frontière qui a réduit la présence de biodiversité dans la zone :

« For many years the Rio Grande has been polluted with municipal, industrial, agricultural and farming contaminants from both sides of the border. This pollution has led to the extinction or reduction of certain wildlife species as well as affecting the health of the residents along the border » (Flores et al. 2006, résumé).

Ainsi, par le biais des industries qui fleurissent et des polluants du secteur agricole, les eaux des deux côtés de la frontière sont de plus en plus polluées et en quantité de moins en moins suffisante pour répondre aux besoins de la population. Ceci dégrade notamment les écosystèmes dans la zone (Vega Cárdenas 2020, 29). Ainsi, pour ce qui est du Colorado, le plus long fleuve à la frontière, logiquement, le Mexique reçoit de plus en plus régulièrement de l'eau impropre à l'utilisation pour l'agriculture et pour la consommation des habitants, même si des Minutes récentes tentent de répondre aux problèmes de salinité. C'est le cas des Minutes 319 de 2012 et 323 de 2017 dont il sera question dans ce travail.

L'installation de barrage du côté des États-Unis est également un facteur de problèmes hydriques et de sécheresse à la frontière et au Mexique puisque, d'une certaine manière, l'eau est contrôlée pour ne pas provoquer d'inondation. Pour rappel, les barrages servent aussi à la conservation de l'eau pour les États-Unis et le Mexique comme des retenues d'eau (« Amistad Dam and Power Plant, Del Rio, Texas » s.d.). Ces barrages peuvent aussi être utilisés pour l'approvisionnement en électricité des populations dans une zone donnée. Cependant, puisque l'eau, au niveau des barrages localisés sur la section étatsunienne du Colorado, ne s'écoule que lorsque les États-Unis libèrent un certain volume d'eau, il arrive que cela conduise à des sécheresses du côté mexicain (Vega Cárdenas 2020, 33). En effet, comme l'explique Benedito Braga dans le chapitre « Water without Borders: sharing the flows? » de l'ouvrage Hydro-Diplomacy: Sharing Water Across Border : « When a dam is constructed, benefits are generated but at the same time change the flow regime will impact downstream users » (Pangare 2014, 17). Ainsi, les agriculteurs mexicains peuvent craindre, à raison, de manquer d'eau pour leurs cultures ou de recevoir de l'eau inutilisable puisque polluée. La crise dans la vallée du Rio Grande présentée plus haut est un exemple du manque d'approvisionnement en eau pour ces derniers puisque les Mexicains doivent céder de l'eau provenant d'une retenue binationale pour pouvoir répondre aux attentes des États-Unis.

Il est aussi possible de considérer que le problème d'approvisionnement du delta du Colorado est causé par le barrage de Morelos. En effet, comme il l'a été mentionné plus tôt, puisque les débits du Colorado sont déviés au niveau du barrage de Morelos pour permettre l'irrigation des champs dans la vallée de Mexicali (James 2021), ces débits n'ont plus atteint le delta qui voyait son volume d'eau diminuer au fil des décennies jusqu'à ce que l'eau ne puisse plus se jeter dans le golfe de Californie.

En ce qui concerne les nappes phréatiques, qui n'étaient pas prises en compte dans le Traité de 1944, leur quantité en eau dans la région frontalière a considérablement baissé, tout comme la quantité d'eau dans les retenues ; les réserves en eau ont été partiellement détruites. Par exemple, au début de l'année 2022, le niveau en eau dans le lac Powell, sur le fleuve Colorado, était descendu à 3 525 pieds par rapport au niveau de la mer, soit 1 074,42 mètres ; niveau le plus bas constaté depuis sa création dans les années 1960 (Torres 2022). Le niveau du lac est, en moyenne, situé à 3 700 pieds par rapport au niveau de la mer, soit 1 128 mètres. Il est ainsi possible de distinguer une forte baisse de la quantité d'eau dans la réserve qu'il faudrait maîtriser pour permettre à cette réserve de continuer de répondre aux besoins en eau en cas de besoin.

Ce n'est qu'en 1973 que fut demandé par l'IBWC le développement de la première Minute couvrant les ressources souterraines en eau qui ne vit finalement jamais le jour (Umoff 2008, 86). L'utilisation des eaux souterraines demeure un enjeu principal à la frontière avec la protection de l'environnement (Umoff 2008, 89) puisque plus de 40 % des eaux fournies à l'État d'Arizona et 60 % des eaux versées au Texas proviennent de ressources souterraines (Umoff 2008, 95). Ainsi, l'appauvrissement des retenues souterraines provoque, aujourd'hui, encore davantage de sécheresse dans la région (Vega Cárdenas 2020, 33).

Le rôle de la Commission Internationale des Frontières et des Eaux (IBWC)

Les problèmes cités plus haut, notamment celui de la dégradation de la biodiversité et l'aggravation constante des sécheresses, constituent en grande partie les raisons pour lesquelles le XXIe siècle représente un tournant dans la prise en charge des problèmes hydriques à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Ainsi, l'accroissement et la récurrence des incidents liés à la pollution et à des sécheresses ont poussé l'International Boundary and Water Commission (la Commission Internationale des Frontières et des Eaux) à mettre en oeuvre de nouvelles réglementations binationales pour tenter de sauvegarder la biodiversité et maintenir un niveau d'eau suffisant dans les rivières frontalières en essayant d'instaurer une coopération durable entre les deux pays.

Pour comprendre le rôle de l'IBWC dans le contexte mexicano-étatsunien, il convient de se rappeler que le partage d'une frontière fluviale implique la nécessité, pour les États limitrophes, de coopérer pour pouvoir résoudre les différends liés à la gestion et à la dégradation des ressources, ou du moins de les minimiser sur le long terme, sans fragiliser les relations diplomatiques binationales. De la même manière, le partage équitable de l'eau à la frontière est primordial et requiert une collaboration constante.

Ce facteur reste considérable même si depuis plusieurs décennies s'y ajoutent les enjeux de protection de l'environnement, devenue un aspect fondamental des relations hydriques régionales (Comair 2021). Toutefois, les exemples mexicano-étatsuniens présentés ci-dessus prouvent que cette coopération demeure compliquée à mettre en place et à maintenir dans les faits. Malgré ces difficultés, l'aspect environnemental, aujourd'hui prépondérant, pousse les deux nations à mettre de côté leurs différends pour protéger leurs ressources en eau et leurs populations contre de potentiels incidents environnementaux découlant des problèmes hydriques.

La mise en place d'une hydro-diplomatie est ainsi incontournable puisque la protection de l'environnement est devenue un enjeu fondamental. En effet, les économies, les cultures, les sociétés et l'historique des relations propres aux États-Unis et au Mexique ne permettent pas de consolider et pérenniser une coopération durable sans l'instauration de réglementations et d'instances de coopération. Il est, par exemple, possible de constater l'importance des questions environnementales qui se reflète dans leur inclusion dans des accords économiques majeurs tels que l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain). Cet accord, selon certains, a été le premier accord de libre-échange faisant un lien entre l'environnement et le commerce, notamment avec l'ANACDE (Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement) (Gouvernement du Canada 2020, 2), dont il sera question dans ce travail. Malgré tout, les exemples mexicano-étatsuniens présentés ci-dessus prouvent que cette coopération demeure compliquée à mettre en place.

En outre, les relations entre les deux pays sont asymétriques dans le sens où les États-Unis sont beaucoup plus influents sur le plan économique, avec une économie industrialisée avancée, par rapport à une économie mexicaine toujours en développement. De la même manière, les relations entre les États-Unis et le Mexique sont jalonnées de conflits liés à la délimitation de la frontière, à l'utilisation de l'eau et à l'immigration des Mexicains aux États-Unis, par exemple. Ces conflits se résolvent avec l'élaboration de compromis et d'accords pour la mise en place de relations commerciales ainsi que pour la lutte contre tous les types de trafics à la frontière et en faveur de la préservation de la frontière et de son environnement (Wilder et al. 2019).

Pour en venir à la définition de l'hydro-diplomatie, elle peut être précisée, d'un point de vue général, ainsi :

« those aspects of water that are subject to international relations - including negotiations of differences and conflicts, establishment of specialised transnational institutions, and establishment of protocols and agreement on use » (Pangare 2014, 23).

Cette définition marque une volonté d'appliquer des moyens diplomatiques, tels que des accords et le recours à des institutions spécialisées pour gérer les conflits liés à l'eau. Il est ainsi possible de considérer que l'IBWC, institution transnationale entre les États-Unis et le Mexique, créée dès 1889 sous le nom d'IBC, International Boundary Commission, relève d'une forme précoce d'hydro-diplomatie. Elle devient l'IBWC avec la signature du Traité de 1944, dont il sera question plus tard. Ses prérogatives sont les suivantes :

« [the IBWC] has responsibility for applying the boundary and water treaties between the United States and Mexico and settling differences that may arise in their application » (« The IBWC - Its Mission, Organization and Procedures for Solution of Boundary and Water Problems » s.d.).

Pour résumer, le but principal de la Commission est de créer une coopération entre les États-Unis et le Mexique pour la gouvernance de l'eau. Cette gouvernance se partage en deux organisations distinctes et équitables, une étatsunienne et une mexicaine, pour qu'aucun de ces pays n'ait, en théorie, plus de pouvoir décisionnel que l'autre (« The IBWC - Its Mission, Organization and Procedures for Solution of Boundary and Water Problems » s.d.).

L'année 1944 est ainsi fondamentale pour les relations hydriques à la frontière des États-Unis et du Mexique. En effet, la signature du Traité de 1944 sur l'utilisation des eaux des rivières du Colorado et de Tijuana et du Rio Grande (Water Treaty for the Utilization of Waters of the Colorado and Tijuana Rivers and of the Rio Grande) marque une nouvelle fois une tentative de coopération durable entre les deux pays s'agissant des eaux des fleuves et rivières citées et surtout un approfondissement de la coopération déjà existante avec la mise en place de Minutes.2(*) Ces documents ont permis à l'IBWC d'accroître ses prérogatives en faveur de l'environnement ainsi que de la régulation et de la gestion de l'eau à la frontière. Ces nouvelles prérogatives peuvent ainsi aussi aider à la préservation des économies et des relations entre les deux pays.

Antécédents des relations hydro-diplomatiques entre les États-Unis et le Mexique

Pour mieux comprendre les enjeux et problèmes actuels de l'eau à la frontière, il faut revenir au siècle dernier.

Même s'il n'est pas le premier accord à gérer les eaux frontalières entre les deux pays, le Traité de 1944 est le premier à instaurer des limites d'utilisation et une vraie réglementation à la frontière. Toutefois, il faut rappeler que l'asymétrie des relations politiques au niveau régional et des statuts des États-Unis et du Mexique en 1944 ont probablement pu avantager les États-Unis dans la signature de ce Traité quand le Mexique a, en quelque sorte, été contraint de le signer. En effet, en 1944, les États-Unis étaient en pleine construction de leur superpuissance au niveau militaire, économique et diplomatique. En d'autres termes, ils construisaient leur hégémonie alors que le Mexique, économiquement faible et fragilisé par une corruption institutionnalisée post-révolution (Rubenstein 2001, 180), se développait et faisait face, une nouvelle fois, aux conséquences d'une sécheresse dans la vallée de Mexicali. Ceci le plaçait encore plus en position de faiblesse par rapport aux États-Unis (Anderson 1972, 607-8).

En outre, plus de soixante-dix ans après sa mise en place, le Traité de 1944 est critiqué puisqu'il ne fait, en aucun cas, référence ni à la gestion durable des ressources hydriques, ni à la gestion de la pollution, de la qualité de l'eau ou des nappes phréatiques et des écosystèmes (Wilder et al. 2019). Ainsi, il est possible de remarquer que la gouvernance des eaux en 1944 et, plus généralement, dans la première moitié du XXe siècle ne se focalisait ni sur la conservation de l'environnement ni sur la biodiversité, mais plutôt sur une préservation de la paix dans la région et une répartition équitable des ressources hydriques à la frontière. Cependant, l'augmentation et l'aggravation des problèmes environnementaux ont poussé les deux pays et l'IBWC à favoriser, de plus en plus, une approche écologique pour la résolution de ces problèmes.

Pour tenter de pallier ces problèmes hydriques, les États-Unis et le Mexique ont signé l'Accord de La Paz en 1983, aussi connu sous le nom d'Accord États-Unis-Mexique sur la coopération pour la protection et l'amélioration de l'environnement dans la zone frontalière (Mumme et Duncan 1997-8, 44), mettant ainsi en place une coopération entre les deux nations pour la protection de la frontière et, par la même occasion, la préservation des rivières frontalières. Cet accord fut créé, en particulier, pour augmenter les marges de manoeuvre de l'IBWC dans la résolution des problèmes. De plus, les enjeux de cet accord n'étaient pas uniquement environnementaux, mais aussi économiques puisqu'il s'agit de résoudre des problèmes de types environnementaux et hydriques qui coûtent de plus en plus, sur le plan politique, économique et environnemental, aux deux nations.

Plus récemment encore, en 1994, les États d'Amérique du Nord ont signé l'ALENA, l'Accord de coopération économique et de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (NAFTA - North-American Free Trade Agreement), qui a été remplacé par l'Accord Canada-États-Unis-Mexique - ACEUM en 2021. Au début des années 1990, les critiques concernant l'IBWC et l'Accord de La Paz étaient de plus en plus vives dans une période où les problèmes hydriques à la frontière se succédaient (Mumme et al. 2012, 10). On peut citer, entre autres, la multitude de sécheresses qui a touché le Mexique à cette époque et la période qui a vu un déficit de précipitations prolongé et extrême (Stahle 2016, 36). Dans cette mesure, l'accord de l'ALENA devait permettre, comme il en sera question plus tard, d'apporter davantage de nouvelles solutions à l'IBWC pour résoudre les problèmes hydriques entre les deux pays.

Faciliter la résolution de problèmes environnementaux a pu se faire d'une part grâce à la Commission de coopération environnementale, créée également en 1994 - qui a mis en oeuvre l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement (ANACDE) (Lavoie 2001, 3-4) - et d'autre part à la Banque de développement d'Amérique du Nord (Seelke et Klein 2021, 29). L'objectif de ces deux institutions était d'offrir un financement pour les projets qui visaient à rétablir un environnement sain, mais les résultats obtenus ne furent pas ceux escomptés ; les organisations citées restaient passives malgré les projets et les fonds disponibles n'étaient pas utilisés de façon optimale pour répondre aux attentes environnementales (Runde et Rice 2021).

Le nouvel accord de l'ACEUM reprend notamment les principales dispositions de l'ALENA et modernise les dispositions de l'ANACDE et de la Commission de coopération environnementale avec un nouvel accord de coopération dans le domaine de l'environnement (Gouvernement du Canada 2020, 3).

Tous ces accords ont permis à l'IBWC de progresser en lui donnant, grâce à la mise en place de nouvelles réglementations, la possibilité de travailler sur la préservation de l'environnement en particulier. Par exemple, la Minute 319 de 2012, qui sera analysée plus tard, a permis des flux d'eau vers le delta du fleuve Colorado, situé dans l'État de Basse Californie, au Mexique. Il s'agissait de la première fois où les États-Unis et le Mexique fournissaient de l'eau au delta dans le but de promouvoir la restauration de l'écosystème (Wilder et al. 2019). Il est ainsi possible de distinguer, depuis le début des années 2000 notamment, une intensification du travail de la Commission ainsi que des ONG environnementales en faveur de la préservation et de la réhabilitation environnementale des rivières. Les ONG sont ainsi supposées permettre depuis plusieurs décennies de réunir les fonds pour respecter les engagements de préservation et de restauration (Wilder et al. 2019).

En somme, on peut considérer que l'évolution de l'IBWC depuis sa création lui a permis d'intégrer le concept d'hydro-diplomatie à sa définition. Pour ce faire, l'instauration de Minutes a été primordiale depuis 1944 et a rendu possible un changement d'axe plus environnemental au fil des décennies tout en préservant le rôle traditionnel de la Commission. Cependant, les problèmes environnementaux se multiplient et posent la question de l'adaptabilité de la Commission aux questions environnementales. En effet, à quel degré l'IBWC est-elle efficace face à la préservation de l'environnement et dans quelle mesure l'évolution de la Commission lui permet-elle, aujourd'hui, de pallier les problèmes environnementaux, de plus en plus prépondérants ?

L'émergence de la question environnementale

Mon projet consiste donc à interpréter le concept d'hydro-diplomatie, tel qu'il sera défini dans la première partie du travail, et d'observer l'efficacité et la durabilité de l'IBWC pour lutter contre les problèmes environnementaux à la frontière. Il s'agira d'évaluer dans quelle mesure l'institution créée au milieu du XXe siècle a été capable de prendre en charge des questions hydriques plus globales que celles pour lesquelles elle avait été imaginée, en prenant en compte notamment les nouveaux enjeux environnementaux.

Ce travail contribue à la recherche dans le domaine de la diplomatie de l'eau à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. La plupart des recherches portant sur l'eau à la frontière et l'hydro-diplomatie rapportent que les relations asymétriques entre les deux pays jouent un rôle prépondérant, que ce soit au XXe ou au XXIe siècle, dans la mise en place de projets binationaux pour la résolution de problèmes hydriques. De plus, les institutions binationales demeurent essentielles pour la mise en oeuvre de projets communs de préservation de l'environnement et d'une gouvernance adaptative permettant d'adopter, petit à petit, une gouvernance de plus en plus écologique. Toutefois, l'importance, le pouvoir et le poids de ces institutions pourraient être accrus. Par ailleurs, même si beaucoup de ces études portent sur l'alliance et l'entente entre les institutions, ainsi que sur les populations et les gouvernements des deux pays, un grand nombre d'entre elles se focalisent sur la frontière, les problèmes hydriques et leur impact aux États-Unis, davantage qu'au Mexique.

Dans ce contexte, ma recherche viendra apporter une perspective environnementale à l'analyse des projets binationaux de l'IBWC, en particulier. Ce travail s'inscrit dans une dynamique d'analyse environnementale des relations internationales et de l'évolution de l'environnement dans la mise en place de projets binationaux et dans la volonté de résolution des problèmes hydriques. Les articles scientifiques de Stephen Mumme et de Margaret O. Wilder, entre autres, ont également permis de comprendre la place de l'asymétrie dans les relations entre les États-Unis et le Mexique et la manière dont l'IBWC travaille à la réduire dans la résolution des problèmes hydriques binationaux pour répondre aux attentes environnementales de manière optimale.

Ainsi, dans un premier temps, il s'agira de définir l'hydro-diplomatie et d'appliquer cette définition au contexte de la frontière mexicano-étatsunienne.

Pour ce faire, ce travail s'appuiera notamment sur l'ouvrage Hydro-diplomacy: Sharing Water Across Border, dirigé par Ganesh Pangare, qui pose la question de l'hydro-diplomatie comme acteur et vecteur de coopération dans des régions plus ou moins stables. Il pose les bases et concepts liés à l'hydro-diplomatie et particulièrement les organisations internationales, telles que l'ONU, et les accords internationaux comme la Convention sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux (Vega Cárdenas 2020, 31) qui vise à protéger les ressources et à garantir une quantité et une qualité d'eau suffisante. J'utilise également des articles scientifiques et des interviews de Fadi Comair, dans la mesure où il explique sa propre vision du concept d'un point de vue global et dans le contexte régional particulier du Moyen-Orient qu'il est possible de comparer avec la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Il est nécessaire, dès lors, de mettre en lumière la particularité des relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique qui n'ont jamais ratifié un quelconque instrument international, en dehors de l'IBWC, lié à la conservation de l'eau. Ils n'ont pas, non plus, ratifié la Convention citée au-dessus, mais préfèrent leurs instruments régionaux, tels que l'IBWC, pour gérer et préserver l'eau à leur frontière. Dans cette dynamique, et puisque les deux nations semblent se détacher de la question du dérèglement climatique à l'échelle internationale, comment leur coopération peut-elle persister dans le temps pour résoudre les problèmes environnementaux et ceux liés à l'eau ?

L'utilisation d'articles de revues scientifiques sur l'hydro-diplomatie et la diplomatie environnementale permet également de rendre compte de l'importance grandissante de ce concept dans les régions du monde, et notamment à la frontière États-Unis-Mexique, où une stabilité des relations est nécessaire à tous les niveaux dans un ordre mondial en évolution.

Une seconde partie reviendra plus en détail sur l'évolution de l'IBWC et de traités depuis celui de 1944 pour la préservation des rivières et de l'environnement. Il s'agit d'analyser l'évolution de l'IBWC au fil du temps pour, aujourd'hui, être capable d'intégrer le concept d'hydro-diplomatie à sa définition. Quels biais permettent, à l'heure actuelle, à la Commission de pouvoir résoudre, plus ou moins efficacement, les problèmes liés à l'eau et de préserver, autant que possible et jusqu'à quel point, les ressources hydriques à la frontière ? L'IBWC parvient-elle à régler l'ensemble des problèmes environnementaux ? Il faut comprendre la manière dont la relation hydrique a évolué entre les deux instances de l'IBWC et comment les ambitions écologiques globales ont changé pour permettre à l'IBWC de se développer en faveur de l'environnement.

Pour répondre à cette question, je prends appui, notamment, sur l'ouvrage The U.S.-Mexican Border Environment: Progress and Challenges for Sustainability, coordonné par Erik Lee et Paul Ganster, qui propose un éventail de points de vue sur la frontière entre les États-Unis et le Mexique et la relation de chaque État avec cette frontière. Le livre consiste, pour une grande part, à détailler les initiatives des gouvernements fédéraux, voire l'action de la population pour la conservation de la qualité de l'eau à la frontière, des énergies durables dans la région et pour la mise en place d'infrastructures environnementales durables. L'idée principale du livre, comme son nom l'indique, est d'exposer les progrès qui ont été réalisés ces dernières décennies, ainsi que les défis et enjeux qu'il reste à relever concernant la préservation de l'environnement pour le futur.

Enfin, la troisième partie tentera de mettre en évidence le changement de perspective récent de l'IBWC et le changement de son axe de travail, devenu bien plus environnemental. Il sera question, notamment à l'aide des sources secondaires, de constater le nouvel impact et la nouvelle efficacité, plus ou moins constante, de la Commission Internationale des Frontières et des Eaux sur la préservation de l'environnement et la réactivité croissante des ONG au fil du temps dans la mise en oeuvre de nouvelles Minutes et plus globalement dans la résolution de problèmes environnementaux. Les années 1990 et 2000 marquent un tournant notable dans la prise de conscience de l'importance de la protection des écosystèmes et de la biodiversité à la frontière. Les coûts devenant de plus en plus élevés pour résoudre les problèmes hydriques, comme les sécheresses ou la pollution, les États-Unis et le Mexique ont dû améliorer, au moyen de différents traités et accords tout au long de ces dernières décennies, leur coopération en faveur de l'environnement. L'utilisation et l'analyse finale de certaines Minutes permettront de mettre en lumière la capacité et la volonté, de plus en plus marquées, de l'IBWC de préserver l'environnement à la frontière des États-Unis et du Mexique, même si la Commission ne parvient pas à solutionner tous les problèmes environnementaux à la frontière. En effet, les dernières Minutes de l'IBWC sont un exemple concret de ces avancées, avec notamment une mise en oeuvre de pratiques et d'un plan binational pour la préservation et la restauration du fleuve du Colorado.

PARTIE I - L'hydro-diplomatie : une approche efficace pour une gestion de l'eau pacifique et durable

Qu'est-ce que l'hydro-diplomatie ?

Dans cette première partie, il est question de définir, de manière générale, l'hydro-diplomatie et sa fonction dans les relations hydriques entre les États. Ainsi, l'hydro-diplomatie, ou diplomatie de l'eau, permet, comme l'écrivent Shadiqul Islam et Amanda C. Repella dans l'article « Water Diplomacy: A Negotiated Approach to Manage Complex Water Problems », de mettre en relation les différents États, les intérêts des entités concernées et les outils à la disposition des différentes parties afin de distinguer l'angle d'approche pour analyser un problème, le traiter et peut-être le résoudre sans que cela ne désavantage l'une des parties concernées. En ce sens, ces dernières entités peuvent aussi bien être les États limitrophes que tous les autres acteurs impliqués dans le problème hydrique en question. Il peut donc s'agir des populations touchées par le problème, des organisations gouvernementales, telles que des commissions gouvernementales spécialisées dans le domaine des affaires hydriques, ou non gouvernementales. De plus, les intérêts mentionnés plus haut sont définis par les auteurs de la manière suivante : « the reasons and objectives that underlie positions that develop to secure or advance the values held by stakeholders » (Islam et Repella 2015, 3). Puisque les problèmes hydriques sont certes écologiques, mais entraînent également des conséquences sociales et politiques, au niveau étatique et non-étatique, il est nécessaire de trouver des solutions qui conviennent au mieux au plus grand nombre.

Selon les deux auteurs encore, le concept de diplomatie de l'eau a émergé pour permettre une alternative plus flexible aux approches diplomatiques conventionnelles, souvent peu adaptées aux risques et aux intérêts des parties engagées dans un problème hydrique (Islam et Repella 2015, 6). En effet, ces approches diplomatiques traditionnelles n'envisageaient pas l'intervention d'organisations non gouvernementales, ni des populations, dont les points de vue sont aujourd'hui pris en compte. Il semble donc que le dessein de l'hydro-diplomatie pour Islam et Repella soit de constater les différences entre les États et les parties concernées dans le but de garantir les intérêts de chacun d'entre eux dans une coopération, afin que celle-ci reste pacifique et qu'elle débouche sur une résolution du problème donné.

De plus, dans la mesure où la diplomatie hydrique est définie comme la pratique de l'utilisation de l'eau comme vecteur de relations internationales et de coopération entre les parties impliquées dans cette gouvernance (« Water Diplomacy and Mediation » s.d.) et la diplomatie scientifique comme le recours à la collaboration scientifique entre les nations pour résoudre des problèmes communs et mettre en place des partenariats et une coopération (« What Do You Mean by Science Diplomacy? » s.d.), il est opportun de considérer l'hydro-diplomatie comme un mélange de ces deux concepts. En effet, même si la diplomatie de l'eau doit être conçue et perçue comme utilisant des moyens diplomatiques pour faire coopérer des nations, entre autres, en lien avec l'utilisation, la préservation et la conservation de l'eau et de la biodiversité aquatique à la frontière, l'intervention de scientifiques dans cette gestion pacifique des problèmes peut se révéler primordiale. Ils peuvent, par exemple, aider à mettre en oeuvre des projets à l'échelle régionale. L'IBWC en est un exemple puisque des experts, des scientifiques et des agents locaux travaillent conjointement pour tenter de répondre aux problèmes hydriques à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, comme il en sera question dans la prochaine partie.

Il existe également un enjeu économique et social à cette préservation. Souvent, l'eau à la frontière permet aux populations limitrophes de préserver leur économie qui repose, entre autres, sur une agriculture nécessitant l'utilisation d'une très grande quantité d'eau. En effet, dans un contexte de pollution grandissante des eaux qui entraîne une impossibilité de l'utiliser et de réchauffement climatique global qui peut déboucher sur une réduction de la quantité d'eau à la frontière, les enjeux de conservation et d'approvisionnement sont encore plus importants.

L'un des objectifs affichés de l'hydro-diplomatie est de prévenir la militarisation des conflits liés à l'eau en utilisant la diplomatie et la coopération (Comair 2021). Par exemple, l'Afghanistan et ses voisins, dont l'Iran, sont actuellement impliqués dans un conflit que des organisations internationales tentent de maîtriser. En effet, ce pays souhaite développer des infrastructures hydriques grâce aux rivières frontalières et les exploiter au maximum pour l'irrigation et la fabrication d'électricité. Toutefois, même si les pays voisins ne voient pas cette utilisation de l'eau d'un très bon oeil, aucun dialogue n'est initié et donc aucun moyen de résoudre les tensions de manière coopérative n'a été trouvé (« Transboundary Water Disputes between Afghanistan and Iran » s.d.). Il est ainsi possible de redouter une militarisation de ce conflit.

Dans un contexte de tentative d'apaisement pour éviter de la militarisation d'un conflit hydrique, il est important de rappeler que le terme « hydro-diplomatie » lui-même n'est apparu que tardivement, dans les années 1990, période pendant laquelle il était nécessaire de trouver un terme précis pour qualifier la régulation et la gestion pacifique de l'eau entre différentes parties. En cette fin du XXe siècle, les problèmes hydriques au niveau mondial se multipliaient, notamment causés par le dérèglement climatique et la pollution des eaux par les industries. Néanmoins, la gouvernance qui existait jusqu'alors n'incluait pas l'aspect environnemental et les problèmes environnementaux que cela impliquait, mais seulement la gestion et la répartition des eaux entre différents États. C'est ainsi que de plus en plus d'ONG se sont engagées pour la préservation de l'environnement et pour aider les communautés limitrophes à la conservation des eaux (Fauchon 2012, 12). C'est grâce à l'hydro-diplomatie que les États faisant face à des problèmes hydriques et aux retombées environnementales choisissaient, dès lors, d'utiliser la voie diplomatique plutôt que d'avoir recours à la force militaire dans un premier temps ou de faire le choix de ne pas s'en préoccuper et de laisser s'installer les conséquences sociales, économiques et environnementales de ces problèmes. L'idée était de permettre de résoudre ces problèmes dans une certaine mesure ou, au moins, de contribuer à maintenir la meilleure situation possible sans l'aide militaire. L'instauration du terme hydro-diplomatie a donc permis, au niveau international, d'inclure l'environnement et sa préservation dans les relations hydriques. En effet, jusqu'alors, la gouvernance hydrique entre les États se contentait de répartir une certaine quantité d'eau entre différentes parties et de s'assurer que cette quantité était respectée sans se soucier de la qualité de cette eau ni des problèmes environnementaux à la frontière. C'est pour cette raison que Fadi Comair, Diplomate de l'eau de l'American Academy of Water, a pensé ce concept comme :

« le travail diplomatique avec l'expertise en matière de planification de projets hydrauliques, via la création d'une coopération régionale. [...] Une grande place est également allouée à l'utilisation des eaux non conventionnelles - dessalement, recyclage des eaux usées... - qui permet un apport d'eau supplémentaire pour satisfaire la demande de tous les secteurs d'utilisation » (Comair 2017b).

Cette citation résume l'efficacité souhaitée de l'hydro-diplomatie et des apports d'une telle gouvernance pour la préservation de l'eau puisqu'il est question de la gestion des eaux conventionnelles et non-conventionnelles et de leur réutilisation pour répondre aux attentes des populations et des États limitrophes. Aussi, Fadi George Comair prend l'exemple du Moyen-Orient, dont il est expert, en expliquant qu'il faut rassembler dans une nouvelle gouvernance tous les acteurs liés à la gestion de l'eau, que ce soit des institutions transnationales, des organisations gouvernementales ou non gouvernementales ou tout autre acteur (Comair 2021). S'agissant des États-Unis et du Mexique, comme il en sera question dans la prochaine partie, l'IBWC (International Boundary and Water Commission) est une Commission binationale qui tente de jouer ce rôle. L'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) de 1994 fut également un point clé, en théorie, pour l'introduction d'un aspect plus environnemental à la gouvernance de l'eau à la frontière de l'IBWC. En effet, il devait mettre en place une coopération environnementale, notamment à travers la création de différentes instances, telles que l'ANACDE qui devait améliorer la protection de l'environnement en Amérique du Nord tout en empêchant que le libre-échange ne nuise à celui-ci (Lemieux et Groulx-Julien 2012, 73). Dorénavant, la Commission tente de préserver les relations diplomatiques, politiques et économiques mexicano-étatsuniennes tout en essayant d'apporter des solutions aux problèmes hydriques et environnementaux à la frontière.

Docteur Susanne Schmeier, quant à elle, définit l'hydro-diplomatie comme un ensemble de points permettant une coopération. Il s'agit de l'application d'instruments diplomatiques qui se concentrent sur les désaccords et les conflits pour assurer la coopération régionale, la stabilité et la paix (Schmeier 2018, 2). Cette définition est similaire à celle de Fadi George Comair qui considère les pays frontaliers comme des « catalyseurs pour la paix » qui collaboreraient positivement pour assurer une véritable politique de gestion de l'eau pacifique (Comair 2017a, 53). Dans cette perspective, l'hydro-diplomatie permet une coopération lors de problèmes hydriques entre des pays plus ou moins développés ou, lorsque les pays en question sont peu développés, d'être soutenus par des organismes internationaux.

De plus, Ganesh Pangare et Bushra Nishat considèrent, dans un chapitre du livre Hydro-Diplomacy: Sharing Water Across Border, que l'hydro-diplomatie ne se résume pas à l'expertise scientifique :

« with growing environmental concerns and strong disagreement about water infrastructures, the international community is looking at facilitating trust building processes, focusing not only on knowledge management, thematic studies, environmental monitoring but also on ensuring soft skills towards improving political sensitivity and negotiation » (Pangare 2014, 4).

Ainsi, selon eux, la communauté internationale est d'autant plus essentielle qu'elle doit permettre de cultiver des compétences en négociation et en gestion coopérative des connaissances et de la surveillance de l'environnement. Ainsi, encore une fois, un point fondamental de l'hydro-diplomatie demeure la coopération pacifique qui allie des études scientifiques à de la négociation. Néanmoins, comme il peut être observé avec les relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique et, par exemple, le Traité de 1944 qui semble incarner une forme précoce d'hydro-diplomatie, il arrive que l'État mettant en place un cadre de travail le fasse de manière à ce qu'il lui soit plus favorable qu'aux autres États. Ainsi, comme cela a été évoqué dans l'introduction, l'IBWC permet aux deux États partenaires de détenir le même nombre de scientifiques, d'experts et d'ingénieurs, pour des questions d'égalité. Malgré cette égalité affichée, il sera étudié dans la prochaine partie que, dans la période précédant la signature du Traité de 1944, le poids de certains États, tels que le Texas, a déséquilibré cet équilibre pour favoriser leurs intérêts dans sa mise en oeuvre, dans le cas du Rio Grande. Ceci a pu se faire grâce au poids du Texas à l'échelle nationale (Mumme et Little 2010, 256), comme il en sera question plus précisément dans une prochaine partie. De plus, la sécheresse de Mexicali de 1943 a encore plus affaibli le Mexique qui a fait appel à un organisme californien pour obtenir davantage d'eau (Anderson 1972, 608). Cette initiative du Mexique a ainsi augmenté le pouvoir de l'État de Californie dans la mise en place des principes du Traité concernant le Colorado. Dans cette optique, l'impact du Mexique dans la mise en place de ce Traité était bien plus faible. Les États-Unis ont ainsi fait en sorte qu'il leur bénéficie plus qu'au Mexique.

La diplomatie environnementale

Dans un premier temps, l'hydro-diplomatie s'intègre dans la diplomatie environnementale qui, comme son nom le laisse présager, consiste à mettre en place des accords bilatéraux ou multilatéraux pour la gestion et la préservation des ressources environnementales, quelles qu'elles soient. C'est lors du Sommet de Stockholm (Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement de 1972) que la diplomatie environnementale fut mentionnée pour la première fois. Il s'agit de l'art de la négociation sur les questions de politique environnementale dans un contexte de relations internationales (Pisupati 2015, 4). Dans la mesure où l'environnement est un bien partagé par tous, il doit être préservé de la même manière par tous les acteurs, étatiques et non-étatiques. Aussi, l'idée de la diplomatie environnementale est d'associer un principe de précaution avant de mettre en place des actions et des réponses proportionnelles par rapport au niveau de développement et à l'impact environnemental des pays en question (Pisupati 2015, 4) : « Le sommet souligne [...] la priorité des préoccupations environnementales, mais reconnaît du même souffle l'importance du développement économique » (Orsini 2018, 2). Ainsi, l'environnement ne doit pas porter préjudice à l'économie et inversement. C'est pourquoi les actions se font en fonction du niveau de développement des pays. Une action menée dans un pays très développé sera d'envergure nettement plus importante que dans un pays en développement, par exemple. De plus, le principe de précaution constitue une sécurité qui doit mettre en oeuvre des mesures de prévention des risques lorsque la science et les connaissances techniques ne peuvent pas apporter de certitudes. Il s'agit donc de prendre en compte les risques pour répondre à un problème assez tôt. Il fut officiellement entériné lors de la Déclaration de Rio en 1992 durant la deuxième Conférence des Nations Unies - suite à celle de Stockholm - sur l'environnement et de développement (« Le principe de précaution : prévenir plutôt que guérir » s.d.). Ainsi, il est possible de constater que ce principe permet de mettre en oeuvre des actions avant que des problèmes environnementaux ne s'intensifient.

Dans un autre temps, l'hydro-diplomatie est ainsi d'autant plus importante qu'elle est supposée apporter des solutions pérennes dans la zone frontalière États-Unis-Mexique, comme il en sera question dans les prochaines parties. Natalie Triedman explique notamment que les projets de développement et donc d'activité humaine ont, au fil de l'utilisation de son eau et de sa pollution, causé la perte d'une écologie aquatique, entre autres, dans le Colorado (Triedman 2012, 90). L'hydro-diplomatie doit permettre de retrouver, ou du moins d'essayer de retrouver, une certaine stabilité dans l'écosystème de la rivière en mettant en place des infrastructures en faveur de l'environnement. Il sera étudié plus tard les problèmes de salinité du fleuve liés à l'agriculture et qui détruisirent la biodiversité au fil du temps.

Gestion Intégrée des Ressources en Eau

L'hydro-diplomatie, selon Fadi George Comair inclut le concept de Gestion Intégrée des Ressources en Eau qui consiste en « l'application des principes du développement durable au secteur de l'eau. [...] Elle vise à intégrer les multiples parties prenantes, usages et enjeux concurrents, dont la préservation environnementale, afin d'assurer la pérennité des ressources en eau » (de La Plaza et al. s.d.). Il est donc question de demander à différentes parties de coopérer alors que ces États ne sont pas nécessairement alliés, ou n'ont pas de volonté convergente, en faveur de la préservation des ressources hydriques, par exemple. Pour ce faire, les gouvernements peuvent avoir recours à l'ONU comme acteur international pour la coopération, la sécurité et la paix autour de l'eau. Il est possible de citer, entre autres, l'ONU Environment, créé lors du Sommet de Stockholm, qui n'est autre qu'un Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) (Orsini 2018, 2). Il est question de la plus haute autorité des Nations Unies en matière environnementale qui doit :

« montrer la voie et encourager la coopération pour protéger l'environnement. Elle se doit aussi d'être une source d'inspiration et d'information pour les États et les populations et un instrument de facilitation » (Sundholm s.d.).

Cette description donne un pouvoir théoriquement fort au PNUE puisqu'il doit montrer la voie aux pays. Ainsi, force est de constater que l'ONU, avec l'appui de tous les accords mis en place, entend favoriser la coopération et faciliter la résolution de problèmes environnementaux, notamment en montrant l'exemple. Cependant, encore faudrait-il que tous les pays concernés se joignent aux programmes. Ce n'est pas le cas dans les relations Mexique- États-Unis si l'on considère que ces deux pays, comme indiqué dans l'introduction, n'ont ratifié aucun accord international ni aucune convention sur la protection ou l'utilisation des eaux frontalières, préférant limiter ces questions à un niveau régional et binational. Ils utilisent donc particulièrement, comme il en sera question dans la partie suivante, l'IBWC et le Traité de La Paz de 1983 ou encore l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement (ANACDE). Ces trois entités peuvent, dans certains cas, permettre de gérer et de préserver l'eau et la biodiversité à la frontière.

Ce phénomène illustre un problème général que rencontre l'hydro-diplomatie : de nombreuses institutions internationales traitent des eaux partagées, mais ne peuvent pas avoir de rôle déterminant dans la résolution de problèmes hydriques, notamment dans le sens où les États-Unis, depuis plusieurs années, tournent le dos au multilatéralisme et à ses contraintes. Donald Trump a, par exemple, sorti les États-Unis de l'Accord de Paris en 2020 (la COP 21 devait limiter à 2°C le réchauffement global de la planète) (Hersher 2020) pour garder le contrôle sur l'utilisation de ses ressources et pour préserver l'économie liée à des secteurs polluants. Il a notamment supprimé les limites de pollution au carbone pour les centrales électriques, les voitures et les industries liées aux combustibles fossiles (Hersher 2020). L'initiative de Donald Trump peut être une des raisons pour lesquelles les États-Unis et le Mexique ne préfèrent pas intégrer ces organisations trop contraignantes pour leurs industries et leurs économies au profit de leurs organisations binationales ou régionales que les deux pays peuvent modeler de la manière dont ils le désirent.

Hydro-hégémonie

Un autre élément qui semble crucial pour mieux cerner les enjeux de l'hydro-diplomatie et la situation à la frontière entre les États-Unis et le Mexique est le concept d'hydro-hégémonie. Robert G. Varady, Andrea K. Gerlak et Emily D. McGovern en proposent une définition dans le chapitre « Hydrosolidarity and its place in International Water Diplomacy » de l'ouvrage Hydro-Diplomacy: Sharing Water Across Border : « the term implies features unequal power relationships such as upstream-downstream interactions between states » (Pangare 2014, 23). Ce concept implique nécessairement qu'une relation de pouvoir existe entre les différentes entités impliquées dans la gouvernance hydrique et que l'une d'entre elles est toujours plus puissante que l'autre. Cette supériorité peut être due à des particularités géographiques (amont et aval). L'exemple des relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique à l'époque de la mise en place du Traité de 1944, et encore après, peut s'apparenter à de l'hydro-hégémonie. En effet, comme expliqué dans l'introduction, les États-Unis, possédant l'amont du fleuve Colorado, pouvaient décider de la plupart des principes des traités concernant cette rivière. C'était également le cas à cause d'une sécheresse en 1943 dans la vallée de Mexicali qui avait affaibli le Mexique, comme il en sera question dans la prochaine partie. Quant au Mexique, détenant la plupart des affluents du Rio Grande, il devait avoir une influence essentielle dans la mise en place des principes pour le fleuve. Il sera néanmoins observable, dans une section dédiée à la situation inégale entre les deux pays lors de la signature du Traité de 1944, que le Texas, entre autres, a eu un très fort impact dans les principes d'approvisionnement en eau du Rio Grande (Mumme et Little 2010, 256). De plus, lorsque le Traité de 1944 fut signé et lors de la détermination des principes de ce dernier, les États-Unis se pensaient supérieurs diplomatiquement, économiquement et même au niveau de l'ethnie. En effet, la frontière représentait une limite entre le Nord et le Sud, entre un peuple civilisé et un autre qui ne l'était pas, selon la pensée étatsunienne (Massey 2016, 160). Dans cette perspective, il n'est pas faux de penser que les États-Unis désiraient mettre en place des principes qui les avantageaient le plus sans se soucier des retombées environnementales probables de ces principes sur le Mexique puisque cette question n'était pas importante lors de la signature du Traité. Ainsi, les politiques binationales évoluent, même si durant de longues décennies, les problèmes en aval des fleuves, causés par de mauvaises pratiques en amont et par une mauvaise gestion globale des ressources, ne se voyaient pas résolus par les États-Unis puisque cela ne les impactait pas directement.

Commission de coopération

D'après Marko Keskinen et ses co-auteurs dans un chapitre sur les Commissions de coopération de l'ouvrage Hydro-Diplomacy: Sharing Water Across Border, les Commissions sont sources d'hydro-diplomatie :

« Many water cooperation agreements also have a joint body, such as a river commission, that facilitates the cooperation by providing technical support and by gathering information. Such a body can provide major support also for water diplomacy, as it creates a natural forum for discussion and can generate relevant and jointly produced data and information to facilitate the discussions » (Pangare 2014, 38).

Ici, les auteurs font référence à des commissions autour de rivières qui pourraient aider à la mise en place d'une coopération au niveau hydrique entre les pays limitrophes en apportant des supports techniques, en rassemblant des informations et en créant des forums de discussions. L'IBWC représente l'une de ces Commissions. Même si, dans les faits, il peut être compliqué pour les États-Unis et le Mexique de coopérer sur le plan hydrique, l'aggravation des problèmes environnementaux à la frontière et leur impact sur les populations rend l'IBWC de plus en plus essentielle pour éviter les conflits. Il sera étudié dans la suite de ce travail des forums de discussions mis en place par l'IBWC pour échanger les informations entre les populations, les scientifiques et la Commission, entre autres (« Citizens' Forum Meetings » s.d.) afin de trouver les meilleures solutions possibles. De plus, la mise en place de Minutes en faveur de l'environnement depuis les années 2000 est un exemple de coopération accrue. En outre, la collaboration et la mise en commun des informations récoltées par les scientifiques de part et d'autre de la frontière rend possible la mise en place de discussions qui aboutissent à des Minutes, en faveur de l'environnement notamment, comme il sera expliqué plus amplement dans les prochaines parties.

Hydro-diplomatie et gouvernance adaptative entre les États-Unis et le Mexique

Malgré l'apparition du terme d'hydro-diplomatie dans les années 1990 et la non-intégration de l'aspect environnemental dans les relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique avant les années 1980 et le Traité de La Paz, la plupart des articles scientifiques portant sur le Traité de 1944 ou sur les relations hydriques entre les deux pays de manière générale rapportent que dès 1944 il s'agissait déjà d'hydro-diplomatie : « the treaty is the countries' most notable and enduring act of hydrodiplomacy » (Wilder et al. 2019). Dans cet article, Margaret O. Wilder et ses co-auteurs définissent l'hydro-diplomatie telle que Fadi George Comair l'a fait puisqu'ils la désignent comme une coopération internationale concernant des ressources hydriques partagées par différents États et qui peut varier en fonction des outils et des pouvoirs de ces différents pays. Il s'agit également d'utiliser des expertises scientifiques pour mettre en place des actions visant à contrer des scénarios pessimistes d'un point de vue environnemental (Wilder et al. 2019). Par exemple, les auteurs constatent un paradoxe entre les États-Unis et le Mexique. En effet, même si le manque d'eau n'est pas effectivement encouragé par l'un des deux pays, lorsque des pénuries d'eau apparaissent à la frontière, elles sont souvent le résultat d'une mésentente. En ce sens, il est possible de reprendre l'exemple des barrages étatsuniens qui ne libèrent de l'eau que lorsque les États-Unis décident de le faire. Ceci prouve la nécessité de la coopération entre les deux pays pour tenter d'éviter les pénuries au sud des États-Unis et au Mexique. De plus, la méfiance des populations de part et d'autre de la frontière les conduit à faire appel à leur gouvernement pour résoudre les crises. Ces résolutions se font dans cent pour cent des cas en passant par l'IBWC. C'est ainsi qu'à la fin des années 2010, la Commission a mis en place des groupes de travail mexicano-étatsuniens concernant certains problèmes sur le Rio Grande (Wilder et al. 2019). Toutefois, ces groupes ne répondent pas aux questions d'approvisionnement en eau du Mexique vers les États-Unis en temps de sécheresse (Wilder et al. 2019) et ne répondent donc pas non plus au problème initial. En effet, le volume d'eau supposé être fourni lors d'un cycle de cinq ans n'est pas atteinte en temps de sécheresse par le Mexique et cela influe sur le secteur agricole étatsunien, notamment au Texas, qui a de forts besoins en eau et particulièrement celle du Rio Grande.

Un autre article scientifique rend compte de l'hydro-diplomatie entre les États-Unis et le Mexique comme étant effectivement introduite dans les discours au XXIe siècle et posant la question des éléments d'une collaboration scientifique et politique efficace pour la gouvernance de l'eau à la frontière. Dans l'article « Hydrodiplomacy and adaptative governance at the U.S.-Mexico border: 75 years of tradition and innovation in transboundary water management », Margaret O. Wilder et ses co-auteurs expliquent que même si des recherches scientifiques et des constats ont été faits sur les problèmes hydriques et environnementaux pour aider à les résoudre, la plupart des problèmes, au niveau global, ne sont toujours pas réglés, voire se révèlent impossible à l'être. En outre, selon eux, les résultats des problèmes hydriques sont souvent perçus comme binaires, positifs ou négatifs, faisant des gagnants et des perdants. Ce phénomène est très clair avec l'exemple des relations entre les États-Unis et le Mexique : concernant le Colorado, les États-Unis avaient l'ascendant sur le Mexique puisqu'ils possédaient la majeure partie du fleuve et pour ce qui est du Rio Grande, le Texas avait un impact très important lors de la signature du Traité de 1944. Ceci diminuait le poids du Mexique dans la relation, comme il sera possible de le voir dans la prochaine partie. C'est pour cette raison qu'une hydro-diplomatie effective et efficace doit faire en sorte que les États limitrophes prennent confiance l'un en l'autre pour finalement s'accorder sur des actions en faveur de l'environnement (Wilder et al. 2020, 190). C'est exactement l'ambition de l'IBWC qui doit faire coopérer l'instance mexicaine et étatsunienne pour tenter de résoudre les problèmes hydriques à la frontière.

Un terme important que soulève ce même article est celui de « gouvernance adaptative » des ressources en eau :

« adaptative governance eschews static water-resources management prescriptions, opting instead for engagement and knowledge exchange with diverse stakeholders, usually loosely, or formally organized within a multiscalar network » (Wilder et al. 2020, 191).

Cette gouvernance inclut les relations et la coopération entre les entités étatiques et non étatiques. Elle est d'ailleurs également nommée « cogestion adaptative », ce qui montre bien une intégration de différentes parties dans cette gouvernance hydrique. L'idée est de pouvoir mettre en commun les connaissances scientifiques et les connaissances locales dans le but d'adapter, potentiellement, les politiques à la région où elles seront mises en place. La gouvernance adaptative conçoit les questions de ressources hydriques à l'échelle locale, régionale et internationale ; il faut ainsi s'adapter encore et encore aux entités en cause. Il s'agit ainsi de faire oeuvre les différents États entre eux ou les États avec des communautés locales (telles que des agriculteurs) ou encore des communautés entre elles ainsi que des communautés d'experts pour résoudre les problèmes hydriques (Wilder et al. 2020, 191). Pour ce qui est des États-Unis et du Mexique, il est souvent question des agriculteurs texans qui mettent en cause les États Étatsunien et Mexicain pour ce qui est de la résolution des problèmes hydriques sur le Rio Grande.

Plusieurs auteurs désignent une gouvernance adaptative comme la meilleure garantie possible pour tenter de résoudre les problèmes hydriques environnementaux. En effet, la capacité à générer des connaissances et à les appliquer permet de répondre efficacement aux problèmes ou, du moins, d'apporter des réponses et solutions claires et adaptées même si elles ne sont pas toutes efficaces (VanNijnatten 2020, 1052). Encore une fois, la gouvernance adaptative suppose de prendre en compte les antécédents des problèmes hydriques et des résultats des solutions apportées. Il s'agit également de concilier les solutions avec les paramètres économiques, politiques et sociaux des États-Unis et du Mexique ainsi qu'avec les résultats des solutions précédentes pour optimiser les chances de réussite des nouvelles réponses. Pour ce qui est de la frontière États-Unis-Mexique, l'agriculture et les retombées économiques sont primordiales des deux côtés de la frontière et doivent être considérées lors de la prise de décision pour résoudre les problèmes hydriques. En effet, les enjeux économiques ne doivent pas surpasser les enjeux environnementaux même si les intérêts économiques des agriculteurs doivent être respectés. Ces enjeux économiques peuvent notamment concerner l'irrigation et les sécheresses et donc être liés à l'environnement.

La gestion intégrée des ressources en eau est également indissociable et pertinente dans la gouvernance adaptative de l'eau. En effet, la possibilité de faire participer une multitude de différents décideurs, riverains et autres entités en lien avec la gouvernance est également cruciale pour résoudre les problèmes, comme l'explique par exemple Debora L. VanNijnatten :

« There is clear evidence that governance and policy systems which promote interactions within and across state, private sector and civil society are more successful in terms of increasing both the legitimacy of decision-making within these governance systems as well as the quality of decisions made, particularly at local and watershed scales » (VanNijnatten 2020, 1053).

Ainsi, avoir un panel de points de vue différents permet de pouvoir répondre aux attentes de la plupart des entités prises en compte dans la mise en place de solutions des problèmes hydriques. En ce sens, tenir compte de la société civile permet d'accroître la légitimité et la qualité des décisions prises puisqu'elles seraient plus pertinentes pour ces populations. Il s'agit encore une fois de gérer à plusieurs et de partager le pouvoir à différentes échelles pour résoudre les problèmes hydriques. La gouvernance adaptative requiert donc une coopération entre entités étatiques et non-étatiques pour répondre aux problèmes liés à l'eau.

Pour ce qui est des agriculteurs à la frontière États-Unis-Mexique, leur opinion est entendue dans la mise en place de solutions environnementales puisque leur voix est très importante dans la région. Il n'est cependant pas certain que cette voix soit convergente avec la protection de l'environnement. On notera notamment que l'utilisation de l'agriculture intensive est problématique pour l'environnement. Néanmoins, les sécheresses ou les pénuries, par exemple, ont des retombées négatives pour les agriculteurs qui veulent alors les éviter. En considérant l'exemple de la crise dans la vallée du Rio Grande de l'automne 2020 mentionnée dans l'introduction, il convient de rappeler qu'il est question de la frustration des agriculteurs mexicains lorsque l'État utilise l'eau de la retenue d'Amistad pour répondre aux attentes du Traité de 1944 plutôt que pour répondre aux besoins des Mexicains. En effet, les agriculteurs ont besoin d'une quantité importante d'eau, mais le manque constant d'eau dans la région frontalière rend ce besoin difficile à satisfaire. Ainsi, lorsque le Mexique utilise ses réserves pour répondre aux attentes du Traité de 1944, les agriculteurs peuvent craindre un manque d'eau encore plus important qui ne permettrait pas de garantir une irrigation suffisante des cultures. Cette crainte débouche sur des manifestations et des affrontements pour préserver leurs intérêts (Varady, Gerlak et al. 2021).

Ceci démontre donc un paradoxe entre la gouvernance adaptative souhaitée et la réalité de la situation qui dénote une inaptitude à prendre en compte les besoins des usagers. Il est ainsi possible de constater le lien entre les intérêts des parties concernées par le problème et la solution mise en place pour y répondre.

PARTIE II - L'hydro-diplomatie entre les États-Unis et le Mexique : l'évolution de l'IBWC

Chapitre I - Le rôle de l'IBWC et des Minutes, vecteurs d'hydro-diplomatie entre les États-Unis et le Mexique

Je me focaliserai, pour ce chapitre, sur la Commission Internationale des Frontières et des Eaux pour définir ses objectifs et ses enjeux au fil du temps.

Dans un premier temps, bien avant que le terme d'hydro-diplomatie ne soit développé dans les années 1990, une gouvernance de l'eau à la frontière entre le Mexique et les États-Unis était cruciale. En effet, elle devait gérer les conflits liés à l'approvisionnement en eau à la frontière, qu'il s'agisse de problèmes de sécheresse ne permettant pas un apport optimal dans la zone ou bien des problèmes de salinité et de pollution entraînant une impossibilité d'utiliser l'eau fournie. Ainsi, en 1889 fut créée la Commission Internationale des Frontières (IBC - International Boundary Commission) qui se chargeait uniquement de la frontière. Elle devint la Commission Internationale des Frontières et des Eaux (IBWC) en 1944 pour intégrer l'aspect hydrique et mettre en oeuvre les accords binationaux concernant les frontières et les traités sur l'eau signés entre les deux pays (Mumme 2005, 509). Telle qu'introduite dans les sections précédentes, l'IBWC est, depuis 1944, composée d'une instance mexicaine et d'une autre étatsunienne qui sont administrativement séparées et régies par leurs institutions nationales respectives. L'instance étatsunienne, appelée la U.S. International Boundary and Water Commission, est contrôlée par le Département d'État des États-Unis, tandis que l'instance mexicaine, la Comisión Internacional de Límites y Aguas (la Commission Internationale des Frontières et des Eaux), est gérée par le Ministère des Affaires étrangères (Secretaría de Relaciones Exteriores) à Mexico. L'instance étatsunienne, quant à elle, est localisée à la frontière (Mumme et Little 2010, 256) pour pouvoir répondre plus efficacement aux problèmes dans la région. De plus, les deux nations disposent du même nombre d'experts, d'ingénieurs, de secrétaires, etc. pour permettre une égalité théorique :

« each Section is led by a Commissioner (required to be an engineer), two Principal Engineers, a legal advisor, and a secretary; this administration has diplomatic privileges and immunities in the territory of the other country » (Sánchez 2006, 134).

En ce sens, la Commission donne les mêmes clés à chaque pays pour que chaque instance puisse résoudre les problèmes liés à l'eau et pour qu'elles puissent interpréter et appliquer les traités binationaux. Les employés de chaque instance bénéficient, de plus, de l'immunité diplomatique aux États-Unis ou au Mexique. L'IBWC s'occupe des rivières du Rio Grande, du Colorado, des affluents, lacs et barrages situés de part et d'autre de la frontière. Chaque instance est notamment autorisée à faire appel à d'autres agences pour gérer les ressources en eau et résoudre les problèmes hydriques et environnementaux liés (Mumme et al. 2012, 8). Il est question, par exemple, de faire appel aux tribunaux nationaux pour l'application des décisions prises et pour la résolution de certains différends (Mumme et al. 2012, 8). Malgré cela, pendant longtemps, la Commission n'a pas suffi à elle seule à contrôler l'eau à la frontière. Il a donc été nécessaire de mettre en place un traité afin de garantir le respect de ses décisions par les deux pays. Cette garantie devait permettre effectivement de fournir une quantité d'eau équitable à chaque pays et de régler les autres problèmes liés à l'eau et son utilisation à la frontière.

C'est lors de l'année 1941 que débutèrent des échanges de propositions entre les États-Unis et le Mexique qui aboutirent au Traité de 1944. Ces échanges permirent de déterminer que le Mexique devrait recevoir chaque année 1 500 000 acres-pieds du fleuve Colorado ainsi qu'un supplément de 200 000 acres-pieds en cas de surplus aux États-Unis (Glaeser 1946, 7). Les négociateurs des États-Unis décidèrent notamment que 900 000 acres-pieds de l'approvisionnement total proviendraient du drainage aux États-Unis (Gantz 1972, 499). Il est possible de penser que cela devait permettre aux États-Unis de maîtriser l'attribution de l'eau au Mexique et de réguler les inondations. La quantité d'eau que devait recevoir le Mexique représentait environ 10 % du débit moyen du Colorado (Carter et al. 2017, summary). Le débit moyen était, dans les années 1940, de 16,8 millions acres-pieds, ce qui laissait plus de 15 millions d'acres-pieds pour répondre aux besoins des États-Unis (Carter et al. 2017, 10). Cette décision démontre d'autant plus le pouvoir des États-Unis sur le Mexique puisqu'ils avaient le dernier mot, que la qualité de l'eau n'a jamais été remise en question. Le problème majeur à l'époque du Traité de 1944 était de s'assurer de la quantité d'eau que recevrait le Mexique et jamais de la qualité de cette eau. Pourtant, lors des négociations du Traité, une des seules volontés du Mexique concernait les eaux qu'il devait recevoir du Colorado. En effet, il souhaitait que la majeure partie de ces eaux proviennent de zones situées au-dessus de la frontière inférieure, moins salines, pour disposer d'eau consommable et utilisable pour la population (Anderson 1972, 610). Il est ainsi possible de constater que le souhait du Mexique de recevoir une eau non salée n'a pas été appliqué dans la mise en oeuvre du Traité. En outre, cet accord, ainsi que d'autres traités et échanges qui suivirent, jetèrent les bases des principes de la coopération interétatique hydrique sans considérer l'aspect environnemental.

Par ailleurs, depuis la signature du Traité de 1944, l'IBWC a bénéficié d'un ajustement de ses prérogatives pour y inclure le contrôle des eaux souterraines, avec la Minute 242 de 1973, et de la salinité de l'eau du Colorado (Lee et Ganster 2012, 140). Malgré l'accroissement des prérogatives de l'IBWC, elle ne parvenait pas, dans les années 1990 et le début des années 2000, à résoudre une sécheresse persistante dans le Rio Grande, ni certains problèmes de pollution de l'eau et de salinité à la frontière. En effet, pour ce qui est des sécheresses dans le Rio Grande, elles ont entraîné un déficit des livraisons d'eau que le Mexique devait aux États-Unis (Woodhouse et al. 2012, 127). Il est ainsi possible de penser que ce phénomène poussait les deux nations à se méfier l'une de l'autre. Dans une perspective similaire, la Commission était également critiquée pour son incapacité à conserver les ressources souterraines et écologiques, entre autres (Mumme 2005, 510).

Après la signature du Traité de 1944, l'IBWC devait poursuivre des recherches grâce à des scientifiques, notamment, pour mettre en oeuvre des ouvrages, tels que des barrages qui devaient être exploités et entretenus par les deux pays (« Safety of Dams » s.d.), respectant d'une part les accords et traités entre les États-Unis et le Mexique et d'autre part les enjeux hydriques et économiques. La Commission a ainsi créé les barrages de stockage de Falcon sur le Rio Grande (entre l'État du Texas et celui de Tamaulipas) dans les années 1950 et celui d'Amistad dans les années 1960 (entre l'État du Texas et celui de Coahuila) (« Safety of Dams » s.d.). Ces barrages devaient permettre de contenir suffisamment d'eau pour le cas où des problèmes hydriques viendraient rendre problématique l'approvisionnement en eau. Il faut rappeler que chaque instance de l'IBWC est responsable des projets de son côté de la frontière et qu'elle doit rendre des comptes au niveau fédéral de chaque pays de l'avancée des évènements. La Commission doit également résoudre les conflits interétatiques en cas d'interprétation divergente du Traité (Mumme et al. 2012, 8).

En outre, le Traité de 1944, en plus d'avoir fait évoluer le nom de l'IBWC, lui a ajouté des Minutes qui constituent des documents officiels émanant de la Commission pour mettre en place des réglementations et des décisions afin de résoudre des problèmes hydriques à la frontière de manière plus effective (Carter et al. 2018, 4). Il s'agit, en quelque sorte, d'amendements qui permettent de modifier l'IBWC sans pour autant affecter le Traité de 1944. Ces Minutes, par souci d'équité, doivent être approuvées par les deux pays avant d'être mises en oeuvre. Elles permettent notamment de répondre à des questions spécifiques et de les résoudre. En effet, comme l'écrit Anabel Sánchez dans son article 1944 Water Treaty Between Mexico and the United States: Present Situation and Future Potential :

« The minutes are mainly clarifications of technical details and ambiguous language not mentioned in the original 1944 Treaty, which has remained essentially unchanged. The IBWC announces its decisions in the form of «Minutes», which are subject to the approval of the two governments and substantive agreements. The flexibility of this procedure allowed the IBWC to respond to changing conditions without the need to renegotiate the treaty. This evolving practice is one of the strengths of the U.S.-Mexico treaty » (Sánchez 2006, 134).

Cette citation résume l'utilité et le but des Minutes qui doivent faire évoluer et renforcer le Traité de 1944 en répondant aux attentes des deux instances de l'IBWC. Il s'agit de rendre intelligibles des portions du Traité pour résoudre les problèmes liés à l'eau à la frontière. Malgré cela, l'aspect environnemental devenait de plus en plus prépondérant à la fin du XXe siècle et n'était pas pris en compte dans les nouvelles Minutes. Ceci rendait le travail de l'IBWC moins pertinent puisque les problèmes environnementaux se multipliaient.

Ainsi, l'accord de l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) de 1994 a eu un impact important, en intégrant la question environnementale à l'IBWC. Pour ce faire, l'Accord de coopération environnementale frontalière (CEC - Commission for Environmental Cooperation), créé en 1994 dans le cadre de ce traité, devait aider à relier l'IBWC avec les discussions sur le développement durable et les besoins en infrastructures environnementales à la frontière. Ceci a permis des avancées majeures dont l'ajout de l'aspect environnemental aux décisions de l'IBWC. En effet, des ONG environnementales permirent d'augmenter l'intérêt des entités étatiques et non-étatiques envers la protection et la conservation des ressources et la biodiversité dans la zone frontalière (Mumme 2002, 244). Par exemple, durant la conférence sur le Delta de 1996, les ONG et notamment Defenders of Wildlife (pour la protection de la faune et la flore en Amérique du Nord et dans mon cas dans la zone frontalière pour tenter de rétablir la biodiversité de cette région) (« About Us » s.d.) ont posé la question d'une minute écologique dans les règlements de l'IBWC. En effet, jusqu'alors, aucune n'avait été signée (Mumme 2002, 245-6). La première Minute relative à l'environnement date de 2000 (Minute 306). Il en sera question dans la prochaine partie.

Néanmoins, beaucoup d'auteurs semblent penser que les conséquences de l'ALENA, sur le long terme, n'ont pas été uniquement bénéfiques pour l'environnement. En effet, même si des gains ont été enregistrés dans différents secteurs économiques liés aux ressources naturelles, l'Accord n'a pas empêché la pollution croissante des ressources hydriques, entre autres (Wold 2008, 243). L'évaluation environnementale finale de l'Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) explique notamment que l'accord de l'ALENA « a eu une incidence négative sur l'environnement au Mexique » (Gouvernement du Canada 2020, 9). Un des problèmes qui est constaté concerne le secteur minier dont l'activité a eu des conséquences négatives sur les ressources hydriques. En effet, puisque l'ALENA libéralisait le secteur minier et éliminait les taxes, elle permettait à davantage d'entreprises de ce secteur consommant excessivement d'eau de s'implanter. Ceci a entraîné une pollution accrue des eaux souterraines et de surface. Certaines entreprises rejettent particulièrement des éléments, tels que des solutions acides de sulfate de cuivre dans les rivières à proximité. C'est le cas de la mine de Cananea (dans l'État de Sonora, au nord-ouest du Mexique), qui affecte des dizaines de milliers d'habitants (Gladstone et al. 2021, 25) puisque les ressources deviennent impossibles à utiliser.

Chapitre II - Relations diplomatiques et hydriques jusqu'à 1944

Diplomatie entre les États-Unis et le Mexique

Il est crucial de garder à l'esprit que l'IBWC n'apparaît qu'en 1944. En effet, jusqu'alors, elle était connue sous le nom d'IBC et ne concernait que la frontière et, dans une moindre mesure, l'eau à la frontière. Il faut aussi rappeler que le Traité de 1944 a été instauré à une époque où l'IBC n'était plus suffisante pour contrôler l'eau à la frontière. En effet, cette commission visait surtout à prendre en charge la frontière terrestre, même si en 1933, les deux nations s'étaient engagées à stabiliser la frontière fluviale du Rio Grande avec l'aide de l'IBC, ainsi que les crues de ce fleuve (« History  of the International Boundary and Water Commission » s.d.). Cette Commission était trop faible dans un contexte de relations hydriques puisqu'elle ne prenait en compte qu'une petite partie des eaux frontalières et donc une infime part des problèmes d'approvisionnement dans les États bassins du fleuve Rio Grande. Le Colorado n'était, quant à lui, pas encore pris en compte par l'IBC (« History of the International Boundary and Water Commission » s.d.). Dans ce contexte, un nouveau document clé, supposé plus fort, devait voir le jour (comme un traité), pour garantir plus de prérogatives à la Commission, pour ce qui est de l'utilisation des eaux du Colorado et du Rio Grande, et assurer que les décisions seraient respectées par les États-Unis et le Mexique. En outre, comme cela a été vu dans le chapitre précédent, au cours de la première moitié du XXe siècle, les questions environnementales n'étaient pas au centre des préoccupations des États-Unis et du Mexique.

Ainsi, pour comprendre la situation hydrique avant 1944, il faut revenir sur la volonté des États-Unis de fédérer le plus d'alliés possible pour créer un nouveau système international et mondial, d'où la « politique de bon voisinage » dont il est question dans cette section. Cela reflète le développement de programmes binationaux de la première moitié du XXe siècle qui ont contribué à la mise en oeuvre du Traité de 1944. Ce n'est qu'après sa mise en place que des réglementations ont été établies pour l'ensemble des eaux frontalières afin de répondre aux problèmes économiques, notamment, liés à l'eau à la frontière avec l'aide de l'IBC (1889).

Il faut d'abord rappeler que le XXe siècle fut une période tendue diplomatiquement entre les deux pays : l'interventionnisme des États-Unis au Mexique entraînait un manque considérable de confiance de la part du Mexique par rapport aux intentions des États-Unis. En effet, le Mexique craignait la dépendance envers les États-Unis et la perte de son identité avec le processus d'américanisation. Il n'était ainsi pas enclin à coopérer avec ses voisins étatsuniens si cette collaboration impliquait de devenir une nouvelle marionnette de la superpuissance et de perdre son identité.

Ainsi, l'idée pour le Mexique était de conserver une certaine autonomie afin de ne pas devoir compter sur les États-Unis à tous les niveaux. Malgré tout, un manque de confiance persistait, comme l'explique Susan Kaufman Purcell dans son article « U.S.-Mexico Relations: An Optimistic View » :

« from the U.S. point of view, Mexico's fear of dependence on the United States and loss of its identity has been a serious obstacle to good relations between Mexico and its northern neighbour. This caused Mexico to adopt a defensive posture toward «the colossus of the north.» As a result, the opportunities inherent in a closer relationship between the two countries were often overlooked, while the potential costs were exaggerated » (Kaufman Purcell 1990, 423).

Il s'agissait donc, à cette époque, de résoudre les crises économiques et sociales, de s'occuper de la diplomatie internationale et de gérer les conflits liés aux propriétés pétrolières avant de s'attarder sur la question des ressources hydriques. En outre, la nationalisation des compagnies pétrolières mexicaines au cours des années 1930 et 1940, durant la période de la « politique de bon voisinage » (1933-1938) instaurée par les États-Unis, a été un élément perturbateur dans la relation binationale. En effet, en 1933, Franklin Delano Roosevelt, président démocrate, lança sa « politique de bon voisinage » qui devait améliorer les relations des États-Unis avec ses voisins d'Amérique latine en cessant l'intervention armée dans la région (Eisen 2015, 24). Cette politique fut mise en place dans la mesure où les États-Unis avaient tendance, selon les principes de la Doctrine Monroe, à s'ingérer dans les pays d'Amérique latine pour rétablir la paix, en théorie (Beck 1939, 110). En pratique, ils utilisaient les ressources des pays d'Amérique latine pour leur propre bénéfice. Ce phénomène est visible au Mexique, où les États-Unis intervenaient pour résoudre des conflits qui devaient être réglés par le Mexique. Par exemple, pendant la révolution mexicaine de 1910 à 1920, les États-Unis intervinrent à Veracruz en 1914, sous la présidence de Woodrow Wilson, notamment (Jones 1995, 75). En intervenant de la sorte et en voulant instaurer une démocratie telle que celle existant aux États-Unis, ces derniers espéraient, à terme, créer une union régionale sous l'égide étatsunienne. En effet, ce genre d'intervention avait lieu partout en Amérique latine.

C'est pour cette raison qu'en 1933, à la veille de la Seconde guerre mondiale, F.D. Roosevelt imagina que sa politique de bon voisinage serait un élément clé de l'amélioration de la relation interaméricaine et surtout avec le Mexique ; et ce fut le cas. Ainsi, la « politique de bon voisinage » impliquant la non-intervention des États-Unis au Mexique, entre autres, ne permit pas aux États-Unis de contrer la politique de nationalisation du Président Lázaro Cárdenas, membre du Parti révolutionnaire institutionnel et en faveur de l'indépendance économique du Mexique (Alexander 2019). Les entreprises étatsuniennes expropriées par le Mexique demandèrent à Roosevelt une intervention armée. Celle-ci n'eut pas lieu mais fut remplacée par des négociations entre les deux pays pour indemniser les pertes du côté étatsunien (Grayson 1969, 330). Cet évènement se termina positivement pour le Mexique puisqu'il s'émancipa économiquement des États-Unis et permit de retrouver une relation plus équilibrée entre les deux pays.

Aussi, les deux États étaient des partenaires importants dans le secteur du pétrole et devaient le rester pour le bénéfice des deux économies et pour la stabilité de la région dans cette période, même après la nationalisation du secteur pétrolier mexicain. Pour cette raison, il devait être intéressant pour les deux pays de continuer à coopérer et de trouver des accords à tous les niveaux et, entre autres, en ce qui concerne les problèmes hydriques à la frontière. En effet, puisque les deux nations coopéraient dans le secteur pétrolier, pourquoi ne trouveraient-elles pas d'accord sur la question de l'eau à la frontière, ce sujet devenant de plus en plus essentiel en raison de problèmes d'approvisionnement toujours plus fréquents. Louise Rolland et Yenny Vega Cárdenas déclarent notamment dans un article sur la gestion de l'eau au Mexique que les sécheresses intenses dans les années 1940 ont poussé le gouvernement fédéral mexicain à investir « dans le forage de puits pour l'approvisionnement de la population, surtout pour l'irrigation et la consommation domestique » (Rolland et Vega Cárdenas 2009, 26).

Ainsi, puisque le Mexique tentait de protéger sa population et son économie qui faisait face à de nombreuses sécheresses et que le gouvernement créait de nouvelles infrastructures hydriques, il est possible de croire que le Traité de 1944 a été créé sur des bases saines entre les deux pays. Il sera étudié toutefois qu'en pratique, les choses se sont passées différemment, notamment dans le contexte du programme de Bracero.

En effet, ce programme fut le premier programme de travail entre les États-Unis et le Mexique. Il dura officiellement de 1942 à 1945 et concernait un grand nombre de travailleurs mexicains qui entraient aux États-Unis pour pallier le manque de main-d'oeuvre des étatsuniens partis à la guerre (Overmyer-Velázquez 2013, 26). Ce programme était axé sur les industries agricoles et devait permettre une coopération économique et agricole dans laquelle les États-Unis recevaient plus de bénéfices que le Mexique (Fagen 1977, 700). En effet, les travailleurs mexicains étaient des travailleurs à bas coûts pour les États-Unis et étaient donc souvent sous-payés et exploités. L'idée était que les travailleurs mexicains, quand ils rentreraient dans leur pays à la fin du programme, pourraient utiliser les compétences acquises aux États-Unis pour exploiter les terres mexicaines et contribuer à la politique de développement rural du Mexique (Eisen 2015, 32). Ce programme donnait, à terme, plus de pouvoir aux États-Unis par rapport au Mexique qui ne pouvait pas gérer ses propres travailleurs qui partaient mais ne revenaient pas tous des États-Unis.

De plus, dans la mesure où les deux États préféraient coopérer dans le domaine de l'économie et favoriser leurs ambitions nationales, il semble compliqué de résoudre les problèmes hydriques et environnementaux, telle que la surexploitation des eaux par la population, la salinité causée par l'utilisation croissante de produits agricoles, les sécheresses (potentiellement liées à la surexploitation), etc. auxquels les populations étaient de plus en plus confrontées dans la zone frontalière.

Malgré l'amélioration de la relation binationale au cours des années 1940, le Mexique restait tout de même réticent à l'idée de coopérer avec les États-Unis. En effet, cette collaboration aurait pu impliquer une nouvelle perte d'indépendance. C'est pour cette raison que le Mexique revendiquait le principe de l'appropriation préalable pour certaines sources hydriques étatsuniennes. C'est un principe selon lequel les individus arrivés en premier sur un territoire sont ceux qui peuvent avoir la jouissance unique des sources d'eau localisées sur ce territoire même s'ils n'y restent pas. Ainsi, le Mexique avait possédé des territoires au sud des États-Unis actuels avant que ces derniers ne les achètent ou ne les conquièrent. Les autorités mexicaines étaient donc tentées de demander la jouissance exclusive de certaines ressources en eau localisées sur le territoire étatsunien (Boime 2002, 239).

Gouvernance de l'eau avant le Traité de 1944

Dans cette section, il est essentiel de revenir sur les antécédents du Traité de 1944 pour apprécier son utilité. Pourquoi les traités et accords précédents n'ont-ils pas fonctionné, ou pas aussi bien, et pourquoi le Traité sur l'eau de 1944 a-t-il été introduit à cette période ? Pour ce faire, il faut tenir compte de la situation de crise hydrique traversée par le Mexique à l'époque du Traité. En outre, cela permet de comprendre la mise en oeuvre finale du Traité et les caractéristiques spécifiques qui ont principalement profité aux États-Unis et qui ne prennent pas en compte l'aspect environnemental des eaux frontalières. Il a fallu beaucoup de temps avant de parvenir à un accord final entre les deux nations (Anderson 1972, 601).

L'un des premiers accords relatifs au partage de l'eau qui ont eu cours entre les deux pays avant 1944, la Convention de 1906 sur la répartition équitable des eaux du Rio Grande, traite de l'utilisation de l'eau à des fins autres que la navigation. Elle conclut que les États-Unis alloueraient 60 000 acres-pieds de leurs eaux du Rio Grande par an pour irriguer les terres situées en aval d'El Paso au Mexique (Ross 1965, 91). Elle peut être considérée comme l'ancêtre du Traité sur l'eau de 1944 car elle traitait déjà de l'utilisation du Rio Grande, même si elle était beaucoup plus limitée que le Traité de 1944. De même, en 1922, le Colorado River Compact fut approuvé ; il concluait que le Mexique ne recevrait que l'eau excédentaire au-delà des seize millions d'acres-pieds (19 735 680 000 mètres cubes) réservés à l'usage des États-Unis (Ross 1965, 91). Six ans plus tard, les États-Unis autorisèrent finalement le Mexique à utiliser un maximum de 750 000 acres-pieds, soit 925 110 000 mètres cubes, du fleuve Colorado (Gantz 1972, 497) parce qu'il en possédait la partie inférieure. C'était la quantité d'eau que le Mexique était supposé utiliser chaque année. Cette fois, le Mexique n'eut pas d'autre choix que d'accepter ce compromis. En effet, les États-Unis affirmèrent qu'il était plus intéressant pour le Mexique d'avoir une certaine quantité d'eau plutôt que d'en demander plus et de ne pas être capable de la gérer (Gantz 1972, 497). Il est possible de penser, dans un premier temps, que les États-Unis voulaient conserver le plus d'eau possible et donc en fournir le minimum au Mexique. Dans un second temps, il était économiquement préférable pour une nation d'être assurée de recevoir un certain volume d'eau régulièrement plutôt qu'un volume d'eau non régulé et, par conséquent, plus compliqué à utiliser correctement. C'est ce que les États-Unis attendaient du Mexique et que le Mexique a finalement accepté. Néanmoins, cet arrangement ne tenait pas compte des sécheresses récurrentes dans la région qui ne permettraient pas au Mexique de satisfaire ses besoins annuels en eau.

Toutefois, même si le Mexique ne pouvait pas recevoir plus de 750 000 acres-pieds du fleuve Colorado par an, le barrage Hoover, créé en 1935, devait aider le Mexique. Il faut d'abord se souvenir que ce barrage a été mis en place, dans un premier temps, pour fournir de l'énergie électrique à partir du débit du fleuve Colorado en Californie (« Hoover Dam » s.d.) puisque plus d'un quart du débit en amont du fleuve Colorado était consacré à l'énergie électrique. Pour ce qui est du Mexique, ce barrage devait permettre de réguler le débit du fleuve en amont et en aval et ainsi résoudre les possibles problèmes d'inondations en aval (Hundley 1967, 210). Cependant, il est possible de penser que cette régulation des débits par ce barrage en amont du Colorado a, comme expliqué dans l'introduction, entraîné des problèmes hydriques au Mexique dans la mesure où l'eau ne s'écoulait pas suffisamment en aval et favorisait surtout davantage de sécheresses.

La démographie : vectrice de problèmes hydriques

Comme expliqué en introduction, la démographie joue un rôle important dans les problèmes hydriques. C'est le cas aujourd'hui mais également avant les années 1940. En effet, il est possible de constater un lien entre la croissance démographique et les problèmes hydriques puisque l'accroissement de la population à la frontière sud-ouest des États-Unis ainsi que dans les villes frontalières mexicaines a entraîné une augmentation de l'agriculture dans les provinces du nord du Mexique, entre autres. Cela a ainsi engendré une nécessité croissante d'utiliser les eaux du fleuve Colorado et du Rio Grande. Cette utilisation massive a pu polluer ces eaux ou provoquer des sécheresses (Burman et Cornish 1975, 387).

Tableau 1 : Croissance démographique à San Diego, E.U. et à Tijuana, Mexique

Source : Walker, Margath A. « Knowledge production and border nationalism in northern Mexico. » Nations and Nationalism, vol. 17, no. 1, 2011, p. 172, doi: 10.1111/j.1469-8129.2010.00461.x.

Si seules les années 1930 et 1940 sont considérées, il est possible de constater une augmentation de la population d'à peu près 38 % en 10 ans pour San Diego et de 100 % pour Tijuana, cette dernière passant de 11 000 à 22 000 habitants. La différence entre 1930 et 1950 montre, logiquement, une augmentation encore plus exponentielle : 166 % pour San Diego et 491 % pour Tijuana. Ainsi, comme le montre le Tableau 1 (« Croissance démographique à San Diego, E.U. et à Tijuana, Mexique »), la population de San Diego, en Californie, et celle de Tijuana, en Basse-Californie, ont considérablement augmenté tout au long du XXe siècle et même au début du XXIe siècle. Ces deux villes représentent des exemples de la croissance démographique dans la région frontalière de manière générale. Cette augmentation exponentielle de la population dans certaines zones ainsi que le développement de l'agriculture intensive a entraîné un besoin croissant en eau, d'où la surexploitation et la pollution du Rio Grande et du Colorado, entre autres.

Dans cette perspective, les années 1940 marquent une explosion démographique à la frontière ainsi que le début d'une nouvelle ère agricole, avec l'apparition de nouveaux outils et de nouvelles technologies toujours plus polluantes. Ces caractéristiques ont conduit à une surexploitation de l'eau. Cette surexploitation et cette pollution de l'eau dues à l'agriculture et au drainage des eaux polluées vers le fleuve Colorado ont provoqué des problèmes écologiques importants liés à la salinité, la sécheresse ou la pollution. Pour prendre l'exemple du Mexique, la « Green Revolution », qui dura des années 1940 jusqu'aux années 1980 et qui représente une période florissante pour l'agriculture mexicaine, a certes bénéficié à l'économie du pays mais a aussi entraîné une dégradation de l'environnement dans la région frontalière notamment (Sonnenfeld 1992, 38). Selon David A. Sonnenfeld, les problèmes de pollution provoqués par cette révolution concernent, entre autres, la sur-utilisation des pesticides et des engrais (Sonnenfeld 1992, 38). La création de barrages dans les années 1940 et 1950 a également causé des problèmes environnementaux dans la mesure où l'eau était déviée de son parcours et rendait ainsi certaines zones très sèches, leur faisant perdre leur biodiversité. C'est particulièrement le cas du barrage de Morelos et du delta du Colorado, comme il en a été question plus haut.

Pour résumer, l'idée pour le Mexique à cette époque était de disposer d'une quantité d'eau spécifique et régulière chaque année, indépendamment de sa qualité, qui devait permettre d'atténuer les sécheresses ou tout autre problème qui se produisait toujours plus fréquemment dans la zone frontalière. Il est nécessaire de souligner que le début du XXe siècle a été compliqué pour le Mexique en raison des multiples sécheresses auxquelles il a été confronté ainsi qu'à des problèmes de salinité dus à la surexploitation des cours d'eau et des eaux souterraines, tant du côté mexicain que du côté étatsunien des fleuves. Ces questions sont fortement liées à la démographie de la région, car la croissance de la population a entraîné une utilisation accrue de l'eau et une mauvaise exploitation de celle-ci. Pour conclure, un traité relatif à l'eau était essentiel pour garantir l'approvisionnement en eau du Mexique.

La crise de Mexicali de 1943

La nécessité d'un traité sur la répartition des eaux frontalières devenait d'autant plus primordiale dans le contexte de la sécheresse de 1943, dans la vallée de Mexicali, en Basse Californie, au sud-ouest du Mexique, qui eut un impact prédominant dans la mise en oeuvre du Traité de 1944 (Anderson 1972, 607-8). L'accord de 1944 a été signé juste après l'apparition de cette sécheresse qui a davantage diminué le poids du Mexique, pour ce qui est du fleuve du Colorado surtout, dans les relations avec les États-Unis en matière d'eau et dans l'établissement d'un traité binational portant sur la quantité de l'eau. Cette sécheresse était si intense que le Mexique a dû commander de l'eau du fleuve Colorado au district d'irrigation impérial (IID - Imperial Irrigation District), localisé dans la Vallée impériale en Californie ; ce district demandant des sommes exorbitantes pour la livraison d'une quantité suffisante d'eau. Ainsi, il était coûteux de satisfaire les besoins d'irrigation du Mexique dans la zone de sécheresse (Anderson 1972, 608). Les États-Unis et l'État de Californie, par exemple, disposaient alors d'un nouvel élément qui aurait pu les aider à établir les principes du Traité sur l'eau de 1944 pour qu'ils en tirent le plus grand profit possible.

Tableau 2 : Valeurs extrêmes des précipitations dans la région de Mexicali

Source : « Proyecto bases de datos climatológicos. ». Servicio meteorológico nacional. Consulté le 15 mai 2021. https://smn.conagua.gob.mx/tools/RESOURCES/Max-Extr/00002/00002033.TXT.

Le Tableau 2 (« Valeurs extrêmes des précipitations dans la région de Mexicali ») montre que les périodes les plus arides entre 1944 et 2012 se sont concentrées sur les années entre 1944 et 1948. Les années proches de la sécheresse ont été très arides puisque la valeur minimale de précipitation pour les mois fournis en 1944 et en 1948 est de 0,0 centimètre et la moyenne des précipitations pour les mêmes données est de 0,2 centimètre. De fait, le Mexique avait besoin de l'eau de son voisin pour pouvoir satisfaire son besoin minimum annuel en eau. En d'autres termes, le Mexique a dû trouver un accord avec les États-Unis pour obtenir de l'eau régulièrement. Ce soutien de la part des États-Unis n'a pas aidé le Mexique à négocier la qualité de l'eau qu'il recevrait par le Traité (Gantz 1972, 498), d'autant que cette question n'importait pas aux États-Unis à cette époque. Ainsi, il apparaît que ces derniers avaient davantage de pouvoir que le Mexique, lequel était soumis à une forte pression. Il devait notamment répondre aux besoins imminents en eau dans le nord de son propre pays, aux sécheresses et aux pénuries qu'il ne pouvait gérer sans l'aide étatsunienne et sans le traité à venir.

Le rôle de l'IBWC dans la mise en oeuvre du Traité de 1944

Dans la mesure où la question d'un traité devenait de plus en plus essentielle et inévitable pour gérer l'eau à la frontière mexicano-étatsunienne, le début des années 1940 permit aux deux pays de travailler sur un éventuel traité et sur la quantité d'eau à attribuer à chaque pays. Comme il a été mentionné précédemment, l'objectif de l'IBWC était de créer une coopération entre les États-Unis et le Mexique pour la gouvernance de l'eau avec deux instances nationales distinctes. C'est ainsi que grâce à l'IBWC, les États-Unis et le Mexique, dans une mesure nettement moindre, ont pu engager des professionnels et des scientifiques pour mettre en oeuvre le Traité de 1944 sur l'eau et décider de ses principes.

De plus, puisque l'IBWC pouvait traiter des problèmes survenant dans la région frontalière (voir Figure 2 (« Les rivières du Colorado et du Rio Grande à la frontière États-Unis-Mexique »)), elle restait l'agence la plus puissante en matière de résolution des problèmes d'eau à la frontière et en avait même le monopole. Comme il l'a été mentionné plus tôt, l'IBWC ne pouvait cependant pas obliger les États-Unis ou le Mexique à respecter leur part des traités et des accords antérieurs au Traité sur l'eau de 1944. C'est pourquoi il fallait un nouvel accord pour inciter les deux pays à coopérer et à respecter les objectifs. Toutefois, malgré l'égalité théorique des deux pays, les États-Unis étaient avantagés dans la mesure où ils disposèrent de davantage de trésorerie que le Mexique pour mettre en place les principes du Traité, faire appel à des scientifiques et décider de ses principes afin de servir au mieux leurs intérêts. Il est possible, ici, de reprendre l'exemple du Texas qui avait une influence prépondérante, grâce à sa taille notamment, au Congrès et donc dans la mise en place des principes du Traité de 1944, entre autres.

Il est également important de souligner que le Traité sur l'eau de 1944 a été signé après de longues négociations, de réunions, d'accords et de discussions diplomatiques entrepris par les États-Unis et suivis par le Mexique (Anderson 1972, 601). Cela signifie que le Traité de 1944 était supposé être équitable pour l'économie et les populations des deux pays et devait leur être bénéfique : « to apply the rights and obligations [...] that benefits the social and economic welfare of the peoples on the two sides of the boundary and improves relations between the two countries » (« The IBWC - Its Mission, Organization and Procedures for Solution of Boundary and Water Problems » s.d.). Cependant, il est possible de penser que la répartition des eaux, décidée dans le cadre du Traité sur l'eau de 1944, a conduit le Mexique à oeuvrer davantage pour rendre le Traité plus équitable par le biais de l'IBWC et de différents accords, notamment du point de vue de la qualité de l'eau. Un autre objectif de la mise en oeuvre du Traité sur l'eau de 1944 était de développer une relation plus coopérative entre les États-Unis et le Mexique. Si les deux pays pouvaient coopérer dans le secteur hydrique, ils pourraient coopérer dans différents domaines internationaux.

De plus, il est possible de remarquer qu'aucune mention de l'environnement n'est faite ni dans le Traité, ni par l'IBWC. Seules les sécheresses étaient prises en compte, jusqu'alors, parce qu'elles affectaient l'économie des pays.

Ces éléments permettent ainsi de donner un aperçu du rôle de l'IBWC dans la mise en oeuvre du Traité sur l'eau de 1944.

Situation inégale entre les deux pays lors de la signature du Traité de 1944

L'un des facteurs qui illustrent l'échec du Mexique face aux États-Unis est le rôle prépondérant de ces derniers dans la conception des principes du Traité. En outre, lors de la signature du Traité, puisque ni l'environnement ni la qualité de l'eau n'étaient jugés importants, le Mexique devait recevoir 1 500 000 acres-pieds du Colorado par les États-Unis, peu importe que cette eau soit utilisable, consommable ou non (Bulson 1975, 286). Bulson l'explique notamment : « if read literally [what] would mean highly saline water returning to the river as drainage and even possible saline groundwater pumped into the Colorado » (Bulson 1975, 286). Ainsi, le problème de salinité dans le fleuve Colorado à l'époque du Traité et dans les décennies qui suivirent affaiblit le Mexique, mais puisque le Traité ne faisait pas référence à la qualité de l'eau, les États-Unis n'ont pas jugé bon d'agir afin d'aider leur voisin. En ce sens, le Mexique comprit que tous les droits et acquis qu'il pensait avoir obtenus par le biais de traités, d'accords et de conventions n'étaient pas certains et pouvaient être déviés pour profiter à l'autre pays (Anderson 1972, 601) :

« The full measure of the sacrifice Mexico was forced to make has only recently come to light in the context of the Colorado River salinity problem, as Mexico has discovered just how ephemeral are the few rights and remedies thought to have been acquired by her under this Treaty » (Anderson 1972, 601).

De plus, avec le Colorado River Compact de 1922, il était prévu que le Mexique ait accès à l'eau excédentaire des seize millions d'acres-pieds (19 735 680 000 mètres cubes) réservés à l'usage des États-Unis (Ross 1965, 91). Aussi, la qualité n'a pas été prise en considération et les États-Unis auraient pu potentiellement fournir de l'eau très salée et très polluée.

De plus, il est essentiel de souligner que, même si les États-Unis ont essayé d'apparaître comme favorables à leur voisin du sud, avec la Good Neighbour Policy, par exemple, il semble que cela n'ait pas été suffisant face aux mauvais comportements entre les deux pays. En effet, cela n'a pas contribué à améliorer les relations binationales sur l'eau puisque le Mexique a eu le sentiment d'avoir été trahi en raison du problème majeur de salinité mentionné plus haut. De plus, les intérêts et les avantages que les deux pays tirent de l'utilisation de l'eau à la frontière ont rendu la conclusion d'un traité compliquée, car le Mexique et les États-Unis souhaitaient tous deux poursuivre leur propre développement agricole et leurs projets d'irrigation à la frontière.

En outre, les États-Unis prétendaient, à l'époque de la mise en oeuvre du traité sur l'eau de 1944, avoir mieux et plus largement développé leur irrigation pour l'agriculture dans le Sud-ouest et que c'était une raison valable pour recevoir plus d'eau. En outre, comme l'écrit Stephen Mumme dans son article « Leadership, politics, and administrative reform at the United States Section of the International Boundary and Water Commission, United States and Mexico » :

« The political coalition supporting the treaty accepted Texan leadership in designing a treaty agency that was meant to be highly responsive to a border constituency. At the time, that constituency was an elite constituency of government water managers, irrigation districts, and agricultural and municipal interests directly dependent on the allocation and management of international river water » (Mumme et Little 2010, 256).

La citation ci-dessus, ainsi que différentes autres mentions des États, montrent un rôle important de ces derniers en tant que « parties prenantes » dans les décisions prises liées à l'eau. Les États Étatsunien et Mexicain frontaliers, les districts d'irrigation et les agriculteurs avaient différents intérêts à défendre dans l'approvisionnement et la régulation des eaux frontalières.

Dans le cas du Texas, il fût un acteur privilégié dans la mise en oeuvre de l'IBWC et du Traité de 1944, notamment dans le sens où l'USIBWC était localisée à El Paso, au Texas, plutôt que dans la capitale fédérale (Mumme et Little 2010, 256). De plus, le Texas, à cette époque, possédait un poids politique important à l'échelle nationale ; étant l'un des États les plus puissants et essentiels d'un point de vue politique et électoral, il était crucial de prendre son avis en compte pour les décideurs fédéraux. Ceci lui avait permis d'influencer le Traité de 1944. Selon Mumme, la délégation texane au Congrès avait une influence disproportionnée sur la politique américaine de l'époque (Mumme et Little 2010, 256). L'État voulait garder le contrôle sur tout organisme international, telle que la Commission, qui aurait une quelconque influence sur la gestion des eaux frontalières pour valoriser ses propres intérêts hydriques et les préserver (Mumme et Little 2010, 256). Il est également possible de penser que la croissance démographique dont il a déjà été question, notamment au Texas, a influencé l'État à demander une importante quantité d'eau du Rio Grande pour son agriculture et sa population.

C'est aussi pour cette raison que, lors de la sécheresse de 1943, les agriculteurs mexicains se sont tournés vers l'Imperial Irrigation District californien. Ce district d'irrigation avait accepté de procurer de l'eau aux agriculteurs à des prix exorbitants puisqu'elle disposait de la partie supérieure du Colorado et qu'elle contrôlait les barrages dans la zone, entre autres (Fradkin 1996, 300). Ainsi, on peut constater l'implication d'entités régionales dans la mise en oeuvre de décisions hydriques.

De plus, les États-Unis pensaient surtout que la quantité d'eau reçue devait être proportionnelle à l'utilisation alors en cours et aux besoins supposés en eau des deux parties. Cependant, étant donné que les dirigeants texans étaient membres de la coalition politique soutenant le traité à venir, il était très probable que les agriculteurs texans demandent plus d'eau que le Mexique. Ils ont présenté les besoins en eau de l'agriculture étatsunienne de sorte à recevoir davantage d'eau que la quantité qu'ils auraient pu recevoir sans le traité. En effet, comme le mentionne Kristen J. Anderson dans son article « A History and Interpretation of the Water Treaty of 1944 », les États-Unis tireraient beaucoup plus de bénéfices dans le traité final que ne le ferait le Mexique. Avant toute chose, il est important de rappeler que les États-Unis possédaient le cours supérieur du fleuve Colorado, ce qui leur donnait encore plus de poids. De plus, les États-Unis disposaient de beaucoup plus de ressources, que ce soit sur le plan technologique ou financier, qui leur permettaient de mener des recherches dans la région. Cela leur a permis, d'ailleurs, d'adapter le traité potentiel à leurs besoins. Ils ont beaucoup investi dans le contrôle du stockage et ont supposé que cela leur donnait plus de légitimité pour utiliser davantage d'eau que le Mexique. Finalement, un avantage reconnu pour le Mexique était de posséder une grande partie des affluents du Rio Grande (Anderson 1972, 611) et donc une grande part des eaux du fleuve. Le poids des États-Unis sur le Mexique ne permettait cependant pas à ce dernier de négocier de manière significative la quantité ou la qualité d'eau qu'il pouvait recevoir chaque année. La sécheresse à laquelle le Mexique avait été confronté l'année précédente et dont il ressentait encore les effets, avec l'aide apportée par l'IDD, ainsi que le poids du Texas, n'a pas permis au Mexique de peser considérablement sur les termes du Traité.

En résumé, il est possible de penser que le Mexique n'avait d'autre choix que d'accepter le Traité qui devait, en principe, l'aider à mieux gérer son eau et à mettre fin aux importants problèmes hydriques. Pourtant, cette situation ne pouvait pas conduire à un accord égal entre deux nations aux capacités et aux pouvoirs très différents. De plus, l'aspect environnemental n'était pas pris en considération.

Chapitre III - Efficacité de l'IBWC depuis 1944 : un nouvel outil à disposition

Le Traité de 1944

Cette section fournit une définition et une explication générale du Traité de 1944, créé pour aider l'IBWC à résoudre les problèmes et à mieux définir ses pouvoirs et ses limites. Pour résumer ce qui a été précédemment expliqué sur l'IBWC et le Traité de 1944, avec la signature de cet accord, la Commission de la frontière internationale (IBW), mise en place en 1889, est devenue l'IBWC. Elle était censée réglementer et imposer la livraison de l'eau du Colorado, du Rio Grande et du fleuve Tijuana entre les États-Unis et le Mexique. Ce traité prévoyait des exemptions possibles aux exigences de répartition de l'eau en cas de problèmes environnementaux majeurs, tels que les sécheresses causées par le drainage par exemple et les questions de salinité qui sont les principales difficultés survenant à la frontière. Il donne à l'IBWC les clés pour résoudre les différends relatifs à l'eau par le biais de Minutes. Les instances mexicaines et étatsuniennes doivent travailler ensemble pour résoudre les problèmes en élaborant des Minutes prévues pour agir directement là où les difficultés se posent. Il s'agit de mettre en place des règles et des décisions qui permettent de résoudre les questions d'eau à la frontière et celles liées à l'interprétation du Traité (Carter et al. 2018, 4). Elles intègrent la création de plateforme de consultation et l'organisation de missions d'enquête entre les deux instances.

Après 1944 donc, grâce à l'IBWC, les États-Unis et le Mexique ont pu engager des professionnels et des scientifiques pour appliquer le Traité de 1944 sur l'eau et décider de ses principes grâce à des missions d'enquêtes, entre autres. En outre, à cette époque, la force de l'IBWC était de moins en moins reconnue et la Commission avait besoin d'un nouveau traité pour lui ajouter plus de fonctionnalités et de pouvoirs dans la résolution des problèmes d'eau à la frontière.

Malgré les Minutes, la gouvernance de l'eau entre les États-Unis et le Mexique est restée compliquée et tendue après le Traité de 1944 et parfois même à cause de celui-ci. En dehors de l'obligation de fournir une certaine quantité d'eau par les États-Unis et le Mexique pour les fleuves du Colorado, du Rio Grande et la rivière Tijuana, le Traité, et notamment son Article 3, établit une hiérarchie de l'utilisation de l'eau en commençant par les utilisations domestiques et municipales, puis l'agriculture et l'élevage, puis l'énergie électrique, d'autres utilisations industrielles, puis la navigation, la pêche et la chasse et finalement toute autre utilisation définie comme bénéfique par l'IBWC (Umoff 2008, 76). Ainsi, le Traité ne mentionne ni la qualité de l'eau, ni l'écologie, ni les eaux souterraines, qui n'étaient pas essentielles à l'époque (Sánchez 2006, 131).

Le Traité prévoit également la construction de barrages et de canaux. Elle donne aussi de nouvelles prérogatives à l'IBWC, qui doit dès lors réaliser des analyses et des plans de contrôle des inondations, et également des études pour la production d'électricité provenant des barrages et réglementer l'exploitation et le maintien des réserves (Carter et al. 2018, 7).

Toutefois, à chaque fois que l'un des deux pays n'a pas été enclin à respecter sa partie du traité, des problèmes sont apparus. Par exemple, dans les années 1960, en raison de l'agriculture intensive aux États-Unis, le Mexique recevait une eau beaucoup trop salée pour les usages humains et agricoles (Carter et al. 2018, 10). Pour cette raison, il est essentiel d'étudier les problèmes environnementaux, économiques et politiques qui ont subsisté à la frontière ces dernières années et la manière dont les deux instances de l'IBWC y font face. Par exemple, il faut rappeler que le Traité de 1944 au paragraphe B de l'article 4 accorde au Mexique, s'il ne peut pas se permettre d'honorer le nombre d'acres-pieds qu'il est censé allouer, de demander le report de la dette de cinq ans, au cycle suivant (Sánchez 2006, 131). Cela signifie qu'un pays pourrait s'endetter pendant les cinq années suivantes et ne devoir rembourser ou donner de l'eau que lorsque cela lui est possible. Cet aspect du Traité a créé une crise hydro-diplomatique entre les deux pays, qui sera approfondie plus tard, puisque le Mexique n'a jamais donné les 350 000 acres-pieds d'eau en raison de plusieurs sécheresses auxquelles il a été confronté (Mumme et al. 2012, 17). Ainsi, le Mexique a violé les termes du traité pour s'adapter à la réalité à laquelle il faisait face. Dans tous les cas et avec la signature du Traité de 1944, les États-Unis ont été autorisés à utiliser davantage d'eau des rivières binationales que le Mexique. Cela est dû au contexte immédiat de la signature du Traité de 1944, à la puissance des États-Unis et aux facilités financières dont ils disposaient à cette époque, par rapport à celles du Mexique.

D'autre part, l'IBWC reçoit 29,4 millions de dollars de fonds pour différentes activités telles que la préservation du barrage d'Amistad et le contrôle des crues du Rio Grande ainsi que la reconstruction ou la réhabilitation de certaines infrastructures d'assainissement aux États-Unis et au Mexique (Seelke et Klein 2021, 29). Aujourd'hui, comme les problèmes de sécheresse, de salinité, etc. sont de plus en plus fréquents, l'IBWC doit les traiter et créer de nouvelles Minutes pour les régler. La Commission gère ainsi la résolution des problèmes liés à l'eau grâce au Traité sur l'eau de 1944, même si cette résolution est longue et ne suffit pas à certains acteurs. Anabel Sánchez considère notamment que tous les aspects liés aux ressources doivent être pris en compte :

« The integrated sustainable approach needed in the region should consider the sustainability of water resources taking into account the cross-border political, ecological, and social aspects, not just economic growth » (Sánchez 2006, 142).

Il est primordial de rappeler que le traité de 1944 a d'abord été signé à des fins économiques. Néanmoins, avec les problèmes récurrents liés à l'environnement et à l'écologie, il était important de commencer à intégrer ces facteurs dans les évaluations des politiques mises en place. Pour résoudre les problèmes, l'IBWC doit considérer un certain nombre d'éléments : les habitants vivant dans la zone et l'environnement du lieu.

Avancées et problèmes hydro-diplomatiques depuis les années 1940

Le Traité de 1944 était censé aborder l'éventail le plus large possible de questions relatives à l'eau, mais n'a pas toujours été en mesure de le faire. Il n'a pas pu gérer la protection et la conservation de l'environnement qui sont des aspects aussi importants que les questions économiques, mais qui, pendant longtemps, ne faisaient pas partie des prérogatives de l'IBWC.

Problèmes de salinité dans le fleuve Colorado

Le Traité de 1944 devait résoudre les problèmes liés à l'eau, mais il faut souligner que les problèmes environnementaux et l'épuisement des eaux souterraines du fleuve Colorado continuent de se poser après 1944. C'est pourquoi, en 1956, le projet de stockage du fleuve Colorado a été acté par le Congrès étatsunien. Il a autorisé la construction du projet de stockage du fleuve Colorado, qui a permis le développement des ressources en eau du côté étatsunien du fleuve. Il était aussi supposé contrôler les inondations et les sécheresses en assurant le stockage et la régulation de l'eau (« Colorado River Basin Salinity Control program » s.d.). Ce programme visait à autoriser le développement des ressources hydriques du bassin supérieur du Colorado, dans les États du Colorado, du Nouveau-Mexique, de l'Utah et du Wyoming, en prévoyant la construction du barrage de Glen Canyon en Arizona, entre autres, qui devait répondre aux besoins hydriques des États du bassin inférieur (Arizona, Californie et Nevada) (« Colorado River Storage Project » s.d.). L'idée était de répondre aux attentes du Colorado River Compact de 1922 et de fournir une quantité suffisante d'eau au bassin inférieur du Colorado qui était plus souvent touché par des sécheresses. Le travail sur le bassin inférieur du Colorado aurait pu également affecter le Mexique. En effet, si l'eau était correctement régulée aux États-Unis et si les stockages étaient mieux gérés, la probabilité que cela se produise au Mexique aurait été plus faible et l'eau reçue aurait été finalement utilisable et consommable.

Malgré ce projet, de nombreux scientifiques ont affirmé que des problèmes environnementaux subsistaient. Il est possible d'illustrer cette question avec le cas de la salinité des eaux du fleuve Colorado de 1962 qui a augmenté de manière drastique tout au long de la seconde partie du XXe siècle, à cause de l'activité humaine (Lillich et Jordan 1974, 229). En effet, les problèmes de salinité du fleuve Colorado dans les années 1960 et 1970 en amont ont eu un impact négatif à la fois sur les agriculteurs mexicains qui ne pouvaient utiliser ni l'aval du fleuve, ni l'eau reçue des États-Unis, trop polluée, et sur l'économie du Mexique (Carter et al. 2018, 10-11). Ce problème a été résolu en partie avec la Minute 218 de 1965, qui devait se terminer en 1970 et exigeait des États-Unis qu'ils étendent un drain pour réduire la salinité dans le fleuve (Stanger 2013, 83). L'idée était de définir les débits maximum du drainage jusqu'au barrage de Morelos afin que cette eau soit diluée avec l'eau du Colorado (Stanger 2013, 83). Quand vint la fin de la durée d'application de la Minute, ce problème de salinité n'était toujours pas résolu et avait toujours de graves répercussions pour les agriculteurs mexicains. C'est après de multiples différends entre les autorités étatsuniennes et le gouvernement mexicain que fut finalement acceptée la Minute 242 (1973), nommée solution permanente et définitive au problème international de l'eau (Carter et al. 2018, 11). Cette Minute obligea les États-Unis à verser 1 360 000 acres-pieds d'eau au barrage de Morelos pour la détourner vers les agriculteurs mexicains ; cette eau devait contenir une quantité minimale de sel. En effet, le niveau de salinité moyen annuel de l'eau du Colorado livrée au Mexique devait être de 144 milligrammes par litre par rapport à la salinité moyenne annuelle des eaux du fleuve dans le sud des Etats-Unis (Umoff 2008, 80). Aussi, si la quantité d'eau claire fournie était inférieure, ils devraient livrer la différence en amont à Morelos (Stanger 2013, 85). Les États-Unis devaient également continuer de drainer 140 000 acres-pieds d'eau très salée dans la mer, en aval du barrage de Morelos.

C'est aussi dans ce contexte qu'en 1972, l'Agence de protection de l'environnement (the Environmental Protection Agency (EPA)) a souhaité la création du programme de contrôle de la salinité du bassin du fleuve Colorado. L'idée était d'améliorer l'irrigation et la gestion de la végétation ; il s'agissait de développer des standards de qualité de l'eau pour ce qui est de la salinité (« Colorado River Basin Salinity Control Program » s.d.). Ceci devait, par ailleurs, réduire le transport de sel dans l'eau. En 1973, le Forum de contrôle de la salinité du bassin du fleuve Colorado (the Colorado River Basin Salinity Control Forum), composé des États bassins du Colorado, a continué de développer et d'établir les normes de qualité de l'eau pour la salinité établie en 1972, qui manquaient dans le cadre du traité sur l'eau de 1944. En 1974, le Congrès a promulgué la loi sur le contrôle de la salinité du fleuve Colorado en autorisant la construction et l'entretien des ouvrages de contrôle de la salinité (« Colorado River Basin Salinity Control Program » s.d.). Ici encore, l'objectif principal consistait à demander aux États-Unis de travailler sur la salinité pour favoriser l'économie nationale et les agriculteurs étatsuniens. Cette loi aurait aussi pu aider les agriculteurs mexicains même si ce n'était pas la priorité initiale des États-Unis. En effet, si un évènement survenait du côté étatsunien du fleuve, il aurait potentiellement pu avoir un effet sur le côté mexicain. Les problèmes se produisant dans le bassin supérieur du fleuve Colorado auraient des répercussions dans le bassin inférieur. Dans cette mesure, il était essentiel pour le Mexique que les États-Unis travaillent de leur côté du fleuve Colorado.

De plus, à la fin des années 1970, la gouvernance de l'eau mexicano-étatsunienne changea pour inclure de nouvelles compétences spécifiques afin d'aider les institutions traditionnelles. En ce sens, la diplomatie de l'eau a permis au Mexique et aux États-Unis de négocier des décisions liées à la gestion de l'eau. Cette évolution correspond à celle de l'IBWC. En outre, l'augmentation des Minutes a introduit une nouvelle manière de gouverner les eaux frontalières et de résoudre les problèmes binationaux de salinité, par exemple. De plus, l'idée de ce procédé d'hydro-diplomatie, mené par l'IBWC, était de décentraliser le système global. Ceci permettrait d'ajouter des juridictions à plusieurs niveaux pour traiter les problèmes directement là où ils se produisent et pour assurer une résolution efficace des problèmes d'eau à la frontière (Mumme et al. 2012, 9). Il est plus facile de résoudre les problèmes de salinité ou de sécheresse des eaux de Fort Quitman ou de Mexicali, par exemple, si les ingénieurs, les spécialistes, les analystes et autres intervenants travaillent directement dans ces villes. Cependant, le Traité de 1944 a généralement mis beaucoup de temps à résoudre les problèmes environnementaux liés à l'utilisation de l'eau, car ni les États-Unis ni le Mexique n'étaient enclins à agir ou à réagir pour solutionner ces problèmes. Le principal écueil concernait la pollution de l'eau, par exemple, principalement causée par l'agriculture, de première importance tant dans le sud-ouest des États-Unis que dans le nord-ouest du Mexique (Carter et al. 2018, 1). Ce problème s'est reproduit avant et après la mise en oeuvre du traité sur l'eau de 1944. Dans cette mesure, il est possible de penser que les États-Unis et le Mexique voulaient protéger leur économie et leur agriculture autant que possible tant que la pollution ne nuisait pas à l'agriculture.

L'Accord de La Paz : nouveau pas dans la préservation de l'environnement

Pour répondre aux besoins environnementaux dans la région, les États-Unis et le Mexique ont ainsi trouvé un terrain d'entente avec l'Accord de La Paz de 1983 concernant la coopération pour la protection et l'amélioration de l'environnement dans la zone frontalière (Mumme et al. 2012, 8-9). Comme son nom l'indique, cet accord porte sur la coopération entre les États-Unis et le Mexique, la protection de la frontière et, de fait, de l'eau à la frontière. L'accord comprend dans sa définition de la frontière une zone de 100 kilomètres de part et d'autre des frontières intérieures et maritimes entre les États-Unis et le Mexique (Payan et Cruz 2017, 3). Ceci n'inclut, cependant, pas toutes les ressources hydriques frontalières (Payan et Cruz 2017, 3) et, par conséquent, ne permet pas à certains problèmes d'être résolus ou analysés à travers cet accord. Ce dernier est une partie intégrante des engagements multilatéraux entrepris par les États-Unis et le Mexique, notamment depuis la déclaration de Stockholm des Nations Unies de 1972 (Mumme et Collins 2014, 304). L'Annexe 1 de l'Accord, notamment, porte sur le travail d'assainissement de l'IBWC, financé par les ministères des Affaires étrangères des deux pays. Ainsi, l'accord, dans son article 12, protège la compétence de l'IBWC en ce qui concerne l'assainissement (Mumme et Collins 2014, 306). Il a été créé pour augmenter le spectre de résolution des problèmes de l'IBWC. Cet accord est aussi important que le Traité sur l'eau de 1944 pour la gouvernance de l'eau à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Cette coopération mixe enjeux économique et environnemental puisque les problèmes environnementaux sont coûteux et dépassent les bénéfices de l'agriculture, par exemple. Il était donc nécessaire de réagir afin de revenir à une situation qui permettrait de préserver et restaurer les ressources hydriques et l'environnement. De plus, les années 1980 furent une période de récession pour l'économie étatsunienne. De cette manière, les États-Unis n'étaient pas enclins à investir dans la résolution de problèmes environnementaux, mais plutôt de problèmes financiers. Néanmoins, les environnementalistes jugeaient les réponses de l'IBWC inadaptées ou trop lentes à être produites (Mumme et Collins 2014, 306). Ces derniers critiquaient surtout l'inefficacité de l'Accord de La Paz malgré les rapports fournis, les réunions et les groupes de travaux mis en place. En effet, l'Accord était trop faible pour que les gouvernements mexicain et étatsunien ne priorisent les problèmes environnementaux à la frontière. Le financement des projets était également critiqué dans la mesure où les agences environnementales nationales devaient financer elles-mêmes leurs projets alors qu'elles étaient personnellement sous-financées (Mumme et Collins 2014, 305).

Malgré les critiques, l'Accord de la Paz est crucial pour la prise en compte de l'opinion publique puisqu'il s'agit du premier accord qui intègre la participation de la population dans les affaires hydriques (Lee et Ganster 2012, 110). Ainsi, la coopération entre les populations et l'IBWC permettrait de prendre en compte différents points de vue sur des problèmes et sur de possibles solutions. Ceci permit une plus grande légitimité des décisions prises par la Commission. Par exemple, au début des années 2000, l'USIBWC établit un nouveau plan qui demandait la consultation des citoyens des États bassins :

« By 2000, the U.S. Section had drawn up a strategic plan that favored sustainable development of the water resources in its jurisdiction and begun to establish new citizen forums in various watersheds for consultation and advisory purposes » (Mumme et Collins 2014, 317).

Parmi ces forums, il est possible de citer la création du « Upper Rio Grande (Southern New Mexico & West Texas) Citizens Forum Meetings » en 1999 qui a facilité l'échange d'informations entre l'USIBWC et la population sur les activités de la Commission entre le sud du Nouveau-Mexique et l'ouest du Texas (« Upper Rio Grande (Southern New Mexico & West Texas) Citizens Forum Meetings » s.d.). Il est toujours en cours d'utilisation aujourd'hui. Il est un des forums créés par l'USIBWC qui visent à rassembler les citoyens, les agences gouvernementales, les autorités locales et les écologistes pour échanger efficacement les informations, les besoins urgents ou les problèmes avec l'USIBWC. Ces forums concernent les communautés bassins des fleuves du Colorado et du Rio Grande (« Citizens' Forum Meetings » s.d.) et sont, aujourd'hui, au nombre de cinq.

L'ALENA : des avancées environnementales grâce à la BECC

En dehors de l'Accord de La Paz, un autre accord fondamental dans les relations hydriques demeure l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), établi en 1994 et remplacé par l'Accord États-Unis-Mexique-Canada (US-Mexico-Canada Agreement - USCMA) en 2018 puisqu'il devait contribuer à la résolution des conflits liés à l'eau et à la conservation des ressources. En effet, en octobre 1993, grâce à l'ALENA, la BECC, Border Environment Cooperation Commission, (qui est une branche de l'ALENA) fut créée, avec la NABD, North American Development Bank (la banque de développement nord-américaine). Ces deux institutions devaient, à leur création, s'occuper d'une zone de 100 kilomètres définie par l'Accord de La Paz, qui fut modifiée par le Congrès étatsunien en 2004. Ce changement permit à la BECC de gagner en efficacité puisque la région frontalière dont elle devait s'occuper s'étendait dorénavant à 100 kilomètres aux États-Unis et 300 kilomètres au Mexique (Payan et Cruz 2017, 3).

Les deux institutions devaient traiter la réparation des problèmes environnementaux créés dans la zone de libre-échange frontalière de l'ALENA. En effet, puisque le libre-échange impliquait une libéralisation des activités et une utilisation accrue des ressources à la frontière, il fallait désormais organiser une Commission permettant de préserver l'environnement. Il s'agit donc de la face environnementale de l'ALENA (Spalding 1997, 258). La BECC est supposée proposer des réponses environnementales aux problèmes et la NABD doit évaluer la faisabilité financière des projets de la BECC, et fournir une aide financière pour ces projets d'infrastructure environnementale, s'ils sont valables et recevables (Seelke et Klein 2021, 29). Ces deux institutions sont inséparables ; elles sont financées de la même manière par les États-Unis et le Mexique et chacun des deux pays dispose du même nombre de membres dans chaque institution (Spalding 1997, 269). Elles ont permis de répondre à certains besoins dans le domaine des infrastructures hydriques entre autres (Lee et Ganster 2012, 105) et elles ont été réclamées par des ONG et ainsi par la société civile qui a eu un très fort impact (Lee et Ganster 2012, 110-111). En effet, la BECC est une Commission de coopération constituée d'intervenants locaux, d'universitaires, de gouvernements locaux, etc. qui participent à la prise de décision quant aux projets environnementaux (Lee et Ganster 2012, 111) :

The BECC has a binational board of directors with 10 members, 5 from each country, and decision-making procedures structured to ensure that the views of states, local communities, and members of the public are taken into account (Spalding 1997, 270).

Ainsi, la coopération autorise une plus grande légitimité des décisions et permet de donner une voix à des individus directement concernés par les problèmes et projets liés aux ressources hydriques. Les deux Commissions ont permis de créer plus de 200 projets environnementaux à la frontière.

Il est important de mentionner l'accord de collaboration entre la BECC et la WWF en 2009 qui devait permettre de mettre en place un suivi des impacts et des bénéfices environnementaux des travaux entrepris par les deux organisations à la frontière. Ils devaient coopérer dans la préservation de l'environnement dans la région et mettre en oeuvre une stratégie pour intégrer tous les acteurs liés par les problèmes environnementaux à la frontière.

L'une des premières actions entreprises par les deux organisations n'est autre que la surveillance biologique de la qualité de l'eau du Rio Grande et du Conchos (une rivière affluente) (« WWF and BECC have signed an agreement for environmental conservation and sustainable development of the United States - Mexico border region » s.d.).

Au travers de cette collaboration, il est possible de distinguer une véritable envie de la part des États-Unis, du Mexique et des ONG de préserver leurs ressources hydriques et de coopérer pour ce faire.

En outre, après la transition de l'ALENA à l'ACEUM, la loi de mise en oeuvre de l'ACEUM a obligé les membres du conseil administratif de la NABD à donner la priorité au financement des projets d'infrastructure environnementale (Seelke et Klein 2021, 29).

Etat des lieux des problèmes environnementaux dans les années 1990

Les années 1990 ont été une décennie particulière pour la gouvernance de l'eau entre les États-Unis et le Mexique. Le Mexique a dû faire face à de multiples sécheresses de son côté du Rio Grande et n'a pas pu livrer les 350 000 acres-pieds qu'il était censé fournir aux États-Unis en cinq ans (Mumme et al. 2012, 17). En outre, comme expliqué plus tôt, il était possible pour le Mexique de demander que la dette soit reportée sur le cycle suivant. Cependant, cela a engendré un problème important entre les deux pays puisque le Mexique n'a jamais remboursé ou n'a jamais donné les 350 000 acres-pieds d'eau demandés par les États-Unis, comme expliqué auparavant. Au cours de la décennie suivante, les agriculteurs texans ont été lésés et ont invoqué une violation du Traité sur l'eau de 1944 par le Mexique, qui a déclaré que la sécheresse extraordinaire à laquelle il avait été confronté était une circonstance extrême qui lui permettait de ne pas respecter cette partie du Traité. En ce sens, l'IBWC n'a pas pu résoudre l'impasse dans laquelle se trouvaient les deux pays. Les ministères des Affaires étrangères respectifs sont entrés dans ce conflit sans pouvoir l'arrêter ni le résoudre. Ces tensions se sont terminées par l'adoption par le Congrès étatsunien d'une résolution demandant au Mexique de payer sa dette (Mumme et al. 2012, 17). Cela pose la question de savoir si l'IBWC peut encore appliquer le traité ou non.

En outre, la plupart des désaccords entre les deux pays sont la conséquence de la non prise en considération, lors de la signature du Traité de 1944, des questions de qualité de l'eau ou de préservation de la biodiversité. En ce qui concerne l'eau du Colorado, les problèmes de salinité aux États-Unis ont toujours été très importants et désastreux pour le Mexique. Nicole T. Carter et ses co-auteurs mentionnent notamment dans leur article sur le partage des fleuves du Colorado et du Rio Grande que la salinité du Colorado a empêché son utilisation pour le Mexique : « In the 1960s, salinity in the Colorado River rose dramatically. Mexico was receiving water that was too salty for human, livestock, or agricultural uses » (Carter et al. 2018, 10). Même si le constat n'est plus aussi problématique aujourd'hui, notamment grâce à certaines Minutes de l'IBWC, puisque l'eau du Colorado reste salée, il arrive encore que le Mexique se retrouve avec de l'eau non utilisable, ce qui a été à l'origine de nombreux problèmes économiques, les agriculteurs ne pouvant pas l'utiliser.

En effet, comme ces problèmes environnementaux sont de plus en plus fréquents, l'IBWC doit y faire face et créer des Minutes pour les régler et spécialement depuis la fin des années 1990. L'IBWC facilite toujours la résolution des problèmes liés à l'eau grâce au Traité de 1944.

Le traité de 1944 a d'abord été signé à des fins économiques. Néanmoins, avec les problèmes d'eau encore plus récurrents liés à l'environnement, l'IBWC a finalement commencé à considérer ces évènements dans les évaluations des politiques mises en place. Pour résoudre les différends, l'IBWC a également pris en compte les habitants de la zone concernée par les problèmes environnementaux et les ONG, comme expliqué dans le chapitre I.

La préservation des ressources environnementales et hydriques demeure, aujourd'hui, un enjeu majeur dans une situation de dérèglement climatique croissant, d'activité humaine néfaste, de sécheresses qui se multiplient et de perte de biodiversité dans les eaux, comme l'atteste l'exemple du Colorado à la frontière États-Unis-Mexique. En effet, Natalie Triedman l'explique dans son article « Environment and Ecology of the Colorado River Basin » :

Development projects have altered natural processes related to the hydrology, ecology, and climate of the basin, which has interfered with ecological stability and contributed to population declines among many different plant and animal species (Triedman 2012, 90).

Selon les recherches menées par l'IBWC, les déchets et les sédiments qui s'écoulent du Mexique vers les États-Unis et inversement sont à l'origine de problèmes environnementaux dans la région frontalière. La capacité des systèmes de traitement des eaux usées n'a pas évolué en même temps que la croissance rapide de la population dans la région frontalière. En outre, le vieillissement des infrastructures d'assainissement existantes a entraîné une augmentation des problèmes d'entretien, tels que la rupture des canalisations. Cela signifie que les questions liées à la pénurie d'eau augmentent de façon exponentielle partout dans la région frontalière tandis que les anciennes infrastructures perdent en efficacité (Seelke et Klein 2021, 28). Ceci est critique dans une zone où l'eau devient un élément très convoité.

Le cas des eaux souterraines

Lorsque l'utilisation des eaux du Colorado et du Rio Grande a été réglementée dans le Traité de 1944, les eaux souterraines n'ont pas été prises en compte, même si l'augmentation exponentielle de la population à la frontière a entraîné de forts abus dans son utilisation, qui ont débouché sur un stress hydrique dans la région. Comme mentionné dans l'introduction de ce travail, la population à la frontière est maintenant estimée à environ 13 millions de personnes, cela induit l'utilisation accrue de l'eau. C'est pourquoi les réserves d'eau souterraine du fleuve ont diminué dans le sud-ouest des États-Unis au cours de la deuxième moitié du XXe siècle (Burman et Cornish 1975, 387). Ces dernières années, il est donc apparu nécessaire de réglementer l'utilisation des eaux souterraines à la frontière puisqu'elles sont utilisées des deux côtés. En outre, le drainage des eaux souterraines détruit les réserves de ces eaux ainsi que les terres d'où l'eau est tirée. Le secteur agricole en Arizona et en Californie notamment a été considérablement affecté par les sécheresses successives (Burman et Cornish 1975, 387). De plus, les problèmes de salinité dans le fleuve Colorado étant récurrents, les agriculteurs préfèrent utiliser les eaux souterraines pour irriguer leurs champs. Ceci génère un problème encore plus important : la quantité d'eau souterraine diminue rapidement et il faut du temps avant qu'elle ne retrouve son niveau initial. De plus, l'eau utilisée par des agriculteurs se retrouve finalement dans les affluents les plus proches, qui finissent pollués par les produits utilisés par ces derniers. C'est pourquoi, après un traité concernant l'eau des fleuves frontaliers, les États-Unis et le Mexique ont besoin d'un nouvel accord pour garantir une utilisation des eaux souterraines plus respectueuse de l'environnement et parvenir à réglementer et limiter cette utilisation.

Aujourd'hui, les mouvements sociaux environnementaux et les ONG sont devenus des éléments importants dans la région. Ces nouvelles institutions et ces mouvements sociaux sont particulièrement intéressants dans la mise en place de Minutes environnementales comme il sera étudié dans la prochaine partie.

L'impact du public sur les politiques hydriques

Un élément crucial dans la mise en place de politique hydrique demeure la participation de la population dans la prise de décision qui la rend plus légitime et peut permettre, à terme, d'obtenir des résultats plus convaincants. En effet, la population vivant à proximité des rivières en question connaît les problèmes et peut apporter des informations aux décideurs. De plus, l'intervention du public peut permettre une meilleure intercompréhension et une meilleure coopération pour répondre aux attentes de toutes les parties (Lee et Ganster 2012, 106). Il est notamment possible de citer les ONG qui ont joué un rôle important dans la mise en oeuvre de la Commission de coopération environnementale, de la Commission nord-américaine de développement et de la Commission de Coopération Environnementale Frontalière (Lee et Ganster 2012, 110). Selon Lee et Ganster, la mise en oeuvre de ces organismes nécessitait l'intervention du public, que ce soit les citoyens des zones frontalières ou certains gouvernements locaux, pour prendre les décisions à la frontière. Néanmoins, selon Lee et Ganster une diminution des ONG est constatée à la frontière :

« The presence of border NGOs has significantly declined over the past 15 years and poses a major barrier to public participation. Lack of funding and capacity has reduced NGO involvement in the border program » (Lee et Ganster 2012, 125).

Ce phénomène est causé par un manque de financement de ces ONG qui implique une diminution de la possibilité pour la population d'avoir une voix afin d'intervenir dans les décisions hydriques prises à la frontière. Malgré tout, depuis les années 2000, on retrouve une recrudescence de Minutes qui ont été mises en oeuvre par l'IBWC se concentrant ou prenant en compte l'environnement, influencés par les ONG et la société civile, comme il sera étudié dans la prochaine partie.

PARTIE III - L'environnement : de plus en plus important dans les Minutes

Le XXIe siècle marque une nette évolution des Minutes par rapport au siècle précédent, avec l'ajout d'un aspect environnemental à la résolution des problèmes hydriques. Quatre Minutes en particulier me semblent d'autant plus cruciales qu'elles montrent la modification des prérogatives et du poids de la société civile et des ONG. Ces Minutes permettent également de voir un changement dans la considération des problèmes environnementaux et du besoin croissant d'y remédier.

Pour résumer, entre la Minute 306, datant de 2000, et la Minute 316 de 2010, il est possible de constater une évolution dans la mesure où la Minute 306 se focalise sur la mise en place d'un cadre tandis que la Minute 316 met en oeuvre des solutions en faveur de l'environnement sur la rivière du Colorado. La Minute 319 de 2012, quant à elle, représente le point culminant des relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique avec la mise en place d'un programme de surveillance écologique dans la rivière du Colorado. Il sera question, dans un troisième chapitre, de la Minute 323 de 2017 qui constitue l'extension de la Minute 319 et met en oeuvre un programme de coopération pour la gestion des problèmes environnementaux sur la rivière Colorado.

Chapitre I - Minutes 306 et 316 : de la mise en place de cadre à la mise en oeuvre de solutions environnementales dans la rivière du Colorado

La Minute 306

La Minute 306 est primordiale dans l'hydro-diplomatie entre les États-Unis et le Mexique. En effet, cet amendement, nommé « conceptual framework for United States-Mexico studies for future recommendations concerning the riparian and estuarine ecology of the limitrophe section of the Colorado River and its associated delta », met en place un cadre de coopération pour des études écologiques du fleuve Colorado. Ce cadre a notamment été réutilisé dans l'application d'autres Minutes, telles que la Minute 319, comme il sera possible de le voir plus loin.

Cette Minute fut signée en 2000, à une époque où les préoccupations environnementales s'accentuaient à la frontière, et particulièrement concernant le delta du Colorado, au Mexique (Bussey 2018, 162). En effet, le problème du manque d'approvisionnement en eau dans la zone du delta causé par une agriculture intensive, par exemple, devait être résolu grâce à la Minute 306.

Analyse de la Minute 306

Il est important de souligner que la Minute 306 fut signée après de nombreuses discussions et avec l'implication sans précédent d'ONG, telle que Defenders of Wildlife, mentionnée plus tôt. Cela devait permettre de définir les besoins de l'habitat des espèces marines et sauvages dans le delta (Lewis 2019, 237) afin de les protéger ou les préserver au mieux. Il s'agissait, pour cette Minute, de faire coopérer les organisations gouvernementales (IBWC et CILA), non gouvernementales, les populations et les associations prenant parti, dans le but d'obtenir le meilleur résultat et de tenter de résoudre certains problèmes dans le fleuve du Colorado. Il est notamment mentionné dans le document de cette Minute qu'elle devait mettre en place un forum de discussion et de coopération entre les organisations gouvernementales et non gouvernementales :

« That the Commission shall support the binational technical task force by establishing a forum for the exchange of information and advice among government and non-government organizations with an interest in the affected area » (IBWC 2000).

Ainsi, elle devait permettre un forum de discussion, en amont, pour mettre en commun les résultats et entamer les études écologiques (Stanger 2013, 88). Cette Minute marque également un changement dans la place des ONG et des communautés limitrophes des fleuves qui devient primordiale pour la mise en place de solutions hydriques bénéfiques pour l'environnement et les populations.

La Minute 306 est aussi la première à traiter directement du delta et à s'y intéresser puisque, jusqu'alors, il n'était traité que par le Mexique (étant situé sur son territoire). Le delta du Colorado se jette dans le golfe de Californie au Mexique. La situation dans la région s'est dégradée au fil du temps jusqu'à ce que l'eau ne rejoigne plus la mer. En effet, la construction de barrages, tels que le Hoover Dam en 1936 ou le barrage de Morelos dans les années 1950, et de structures de déviation des débits du Colorado vers les villes et vers les espaces agricoles au Mexique, ont ainsi contraint les flux à dévier de leurs cours normal dans le delta. Ceci a fortement amenuisé la quantité d'eau à cet endroit (Vanderpool 2018).

Le compte-rendu de la Minute 306 atteste notamment de l'importance du delta dans la mesure où elle vise à inspecter l'effet des débits sur l'environnement du Colorado, de la frontière entre les États-Unis et le Mexique jusqu'au delta, grâce à un groupe de travail technique binational (IBWC 2000). Ainsi, comme l'explique Stephen Mumme dans son article « The case for Adding an Ecology Minute to the 1944 United States-Mexico Water Treaty », la Minute 306 a permis la réalisation d'études, d'enquêtes et d'analyses binationales sur le delta du Colorado pour contrôler les inondations dans la partie mexicaine du fleuve (Mumme 2002, 252). En effet, cette Minute a été créée afin de mettre en place un cadre pour faire coopérer les deux branches de l'IBWC (CILA et USIBWC) dans des études écologiques du delta.

Ces caractéristiques sont typiques de l'hydro-diplomatie telle que définie dans la première partie de ce travail.

La Minute 316

Pour ce qui est de la Minute 316, elle fut signée entre les États-Unis et le Mexique en 2010 avec la mise en oeuvre de mesures de coopération. Il est ainsi possible d'observer une modification du sujet principal des Minutes passant de la mise en place d'un cadre de coopération avec la Minute 306 à la mise en oeuvre de mesures de coopération effective avec la Minute 316. C'est notamment ce qu'explique Stanger :

« until the adoption of Minute 316, ecological concerns were limited to creating frameworks, exploring possibilities, and setting up studies and plans - common themes in international environmental law » (Stanger 2013, 90).

Plusieurs conclusions peuvent être tirées de ce changement. Il rappelle notamment qu'avant la Minute 316, il ne s'agissait que de créer des cadres et d'explorer les probabilités. Ainsi, l'engagement environnemental effectif qui se dégage de cette Minute a permis d'influencer les Minutes suivantes, dont la Minute 319.

Cette Minute est intitulée : « Utilization of the Wellton-Mohawk bypass drain and necessary infrastructure in the United States for the conveyance of water by Mexico and non-governmental organizations of both countries to the Santa Clara wetland during the Yuma desalting ». Il s'agit donc d'une recommandation pour la mise en place de mesures de coopération pour maximiser les bénéfices liés au projet de l'usine de dessalement de Yuma, en Arizona.

Il est opportun de se souvenir que l'usine de dessalement de Yuma a d'abord été créée dans les années 1970, sous l'autorité du Colorado River Basin Salinity Control Act de 1974 (« Yuma Area Office » s.d.), pour traiter les eaux agricoles très fortes en sel qui s'écoulaient vers le Mexique par le drain de Wellton-Mohawk (Udasin 2021) :

« The purpose of the Yuma Desalting Plant is to save water for beneficial use while desalting sufficient drainage returns from the Wellton-Mohawk Irrigation and Drainage District in Arizona, in order to maintain salinity levels » (« Yuma Area Office » s.d.).

Cette eau était destinée aux livraisons d'eau vers le Mexique afin de préserver la quantité d'eau dans le lac Mead ainsi que de dessaler suffisamment les retours du drain de Wellton-Mohawk en détournant les flux. En détournant les eaux agricoles vers une zone asséchée, elle a permis de créer la zone humide de Cienega à Santa Clara, dans le delta (Udasin 2021). La zone humide de Cienega est, aujourd'hui, très importante, par sa taille et pour sa biodiversité, pour le delta (Bureau of Reclamation 2009).

Ainsi, l'idée de la Minute 316 était de continuer à faire coopérer les deux pays avec l'usine de dessalement pour préserver la zone humide.

Analyse de la Minute 316

Cette Minute a approuvé le « Joint Report of the Principal Engineers Concerning U.S.-Mexico Joint Cooperative Actions related to the Yuma Desalination Plant Pilot Run and the Santa Clara Wetland » qui visait, pour les États-Unis, le Mexique ainsi qu'une coalition d'ONG, à fournir chacun 10 000 acres-pieds d'eau vers la zone humide de Santa Clara (au Mexique) en passant par le canal de dérivation étatsunien de Wellton-Mohawk (Lewis 2019, 237) (IBWC 2010). Ce canal est situé au sud de l'Arizona, dans le désert de Sonora, et sert aujourd'hui à irriguer la région avec l'eau du Colorado ainsi qu'à drainer les flux du Colorado vers l'océan. Par cette initiative, la Minute a approuvé l'utilisation du « Wellton-Mohawk Bypass Drain » qui devait permettre au Mexique et aux ONG d'utiliser le drain étatsunien de Wellton-Mohawk pour transporter l'eau vers Santa Clara (« The United States and Mexico Bi-National Negotiations on the Colorado River » s.d.).

Ici encore, des instances hydriques étatsuniennes ont eu une forte influence sur la Minute :

« The Metropolitan Water District of Southern California (MWD), Southern Nevada Water Authority (SNWA), and Central Arizona Water Conservation District (CAWCD) have requested that the U.S. Bureau of Reclamation (Reclamation) conduct a Pilot Run of the YDP and are considering providing some funds needed for operation » (IBWC 2010).

En effet, un des objectifs de la Minute 316 visait à analyser l'effet du projet de dessalement sur la zone humide de Santa Clara au Mexique et de limiter les impacts potentiels d'une salinité trop importante, comme souhaité par les entités citées plus haut (Bussey 2018, 162). Ainsi, la Minute a permis de faciliter le suivi des gestions possibles des zones humides, dont celle de Santa Clara pour le futur (Lewis 2019, 238). Il s'agissait donc de travailler sur la gestion du delta sur le long terme plutôt que de répondre sur le court terme à un problème qui se reposerait dans le futur (qui est le manque d'approvisionnement dans le delta du Colorado).

L'introduction de cette Minute permet de comprendre la différence entre la Minute 306 et 316, mais elle permettra surtout de constater leur utilisation dans les Minutes 319 et 323. En outre, le delta est devenu une partie non négligeable du travail de l'IBWC. La Minute 319, dans la section III.6 par exemple, reconnait le cadre de coopération de la Minute 306 et la bonne coopération avec la Minute 316.

Chapitre II - Minutes 319 : point culminant des relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique et mise en place d'un programme de surveillance écologique

La Minute 319

Pour ce qui est de la Minute 319 (Interim international cooperative measures in the Colorado River Basin through 2017 and extension of minute 318 cooperative measure to address the continued effects of the April 2010 earthquake in the Mexicali Valley, Baja California), elle est d'autant plus cruciale qu'elle met en commun l'eau entre les États-Unis et le Mexique en cas de sécheresse, ou de tout autre problème hydrique ne permettant pas un approvisionnement suffisant en eau, comme avec le lac Mead. Ce lac, situé dans les États de l'Arizona et du Nevada, est une réserve d'eau formée par le Hoover Dam sur le fleuve Colorado (« Lake Mead »). Le niveau de cette réserve a atteint 325,4 mètres (1067,65 pieds) à la fin de 2021 alors qu'il était de 1 220 pieds (372 mètres) en 2000 (« Lake Mead to a Record Low » s.d.). Il est ainsi possible de constater que la diminution du niveau de cette réserve est drastique et nécessite de s'en préoccuper pour qu'elle puisse conserver sa fonction d'approvisionnement.

Cette Minute date de 2012 et permet notamment, à travers sa section III.7, des projets et des missions d'enquête binationale pour la restauration, la conservation du Colorado et le stockage des allocations d'eau pour le Mexique dans des retenues localisées aux États-Unis (cf. lac Mead).

Elle est l'extension des mesures prises dans la Minute 318. Ce sont des mesures coopératives prises dans le contexte des effets du tremblement de terre dans la vallée de Mexicali, qui avait eu lieu en 2010 (IBWC 2012).

Analyse de la Minute 319

Cette Minute est un programme pilote de cinq ans qui s'attache à traiter la pénurie croissante dans le fleuve du Colorado (Ingram 2004, 164) et qui a été recommandé par le groupe de travail de la Minute 306. Au commencement des négociations, toutefois, les États bassins ne pouvaient pas y participer officiellement, même si les représentants fédéraux pouvaient les consulter. Les États bassins du Colorado sont l'Arizona, la Californie, le Colorado, le Nevada, le Nouveau-Mexique, l'Utah et le Wyoming du côté des États-Unis et de Basse Californie et de Sonora au Mexique (Carter et al. 2017, 9). Aussi, les volontés de l'IBWC et des États bassins étaient divergentes puisque la Commission souhaitait rester la seule organisation capable d'avoir un impact sur les prises de décisions concernant les eaux partagées alors que les États bassins avaient des intérêts à protéger leurs ressources et devaient pouvoir avoir une voix dans la décision finale (Rivera-Torres et Gerlak 2021, 562).

Néanmoins, l'IBWC a finalement permis aux États bassins de participer aux négociations (Rivera-Torres et Gerlak 2021, 562). C'est ainsi que les discussions pour cette Minute se déroulèrent entre le Bureau of Reclamation, les États bassins du Colorado, des ONG, la USIBWC, la Comisión Internacional de Límites y Agua et des entités plus locales (Ingram 2004, 172). Ces discussions ont débouché sur la Minute 319 qui devait être la combinaison de la coopération entre tous ces acteurs, de leur avis et expertise sur la situation du fleuve Colorado. Il est ainsi aisé de comprendre le nouvel enjeu lié aux acteurs non gouvernementaux dans la prise de décision pour la préservation et la restauration du Colorado.

Cette Minute, comme la Minute 316, oeuvre pour le delta du Colorado mais, cette fois, plus que de travailler sur des probabilités, la Minute 319 a permis de répondre effectivement à un besoin environnemental. En effet, elle a aidé à restaurer le delta du Colorado et la biodiversité dans la zone. L'utilisation des débits était ainsi purement environnementale (Rivera-Torres et Gerlak 2021, 562).

Le programme pilote pour restaurer certaines zones du Colorado consistait à utiliser divers types de débits afin de reproduire les conditions de développement de la rivière. Il était donc question de faire cohabiter des petits lâchers d'eau périodiques (Base Flow) et d'autres grands lâchers d'eau simulant des inondations naturelles (Pulse Flow) (Lewis 2019, 239). L'apport d'eau dans le fleuve devait ainsi favoriser sa restauration et, par extension, sa conservation dans la mesure où les débits pulsés (grands lâchers d'eau) visaient à restaurer la végétation dans le Colorado en remettant en place les critères pour le développement de la biodiversité au moment voulu (Lewis 2019, 241). De plus, comme l'explique Lewis, un débit pulsé a été libéré au barrage Morelos en Basse Californie, en 2014, pour simuler une crue naturelle, qui avait eu lieu pendant des millénaires au printemps mais qui ne se produisait plus. En effet, l'IBWC livra de l'eau au barrage pendant huit semaines consécutives, entre mars et mai 2014. Il est donc possible de constater l'efficience de la Minute 319 dans la mesure où la coopération de la Secrétaire de l'Intérieur étatsunienne et le Secrétaire mexicain à l'Environnement et aux Ressources naturelles a permis au Colorado, pour la première fois depuis presque 20 ans, de finalement atteindre le golfe de Californie (Lewis 2019, 240). Le programme envisageait d'utiliser 158 088 acres-pieds sur cinq ans (IBWC 2012).

De plus, cette Minute devait permettre le stockage d'eau pour le Mexique dans des retenues étatsuniennes. C'est le cas avec le lac Mead, entre autres. Cela démontre aussi un niveau de confiance et de coopération jamais atteint auparavant entre les États-Unis et le Mexique (Rivera-Torres et Gerlak 2021, 562). En effet, l'idée pour le Mexique était de pouvoir utiliser l'eau qu'il a stockée dans les retenues étatsuniennes en cas de sécheresses ou de problèmes ne permettant pas un approvisionnement correspondant aux attentes. Cependant, pour ce qui est du lac Mead, en revanche, si le niveau d'eau est trop faible, le Mexique ne peut pas demander la fourniture d'eau. De la même manière, si le niveau d'eau est trop élevé, le Mexique ne peut pas non plus placer d'eau dans la retenue (Stranger 2013, 92). La coopération entre les deux pays était ainsi nécessaire pour le bon fonctionnement de la Minute et des retenues d'eau.

En effet, un objectif de la Minute 319 était de coordonner les opérations du bassin dans des conditions de réserves élevées du lac Mead pendant une période intérimaire afin d'avantager les deux nations (IBWC 2012). Cette coopération permet des livraisons supplémentaires d'eau, provenant des États-Unis, à destination du Mexique lorsque l'élévation du lac Mead était supérieure à 1 145 pieds par rapport au niveau de la mer (349 mètres) et que l'eau en amont est disponible pour le bassin inférieur des États-Unis (IBWC 2012). En résumé, le Mexique pourrait disposer d'un approvisionnement supplémentaire d'eau du Colorado si la quantité de cette eau en amont était suffisante pour fournir l'aval aux États-Unis et, par la suite, la partie mexicaine du fleuve. Il est, néanmoins, possible de penser que les sécheresses auxquelles le Colorado est confronté en amont ne permet pas nécessairement de fournir une quantité supplémentaire autre que les 1 500 000 acres-pieds requis par le Traité de 1944 (cf. la faible quantité d'eau dans le lac Powell).

En revanche, lorsque l'élévation du lac Mead, au 1er janvier, était égale à 1 075 pieds par rapport au niveau de la mer (327,7 mètres), la quantité d'eau reçue par le Mexique était amputée de 50 000 acres-pieds ; de 70 000 acres-pieds lorsque l'élévation du lac était inférieure à 1 050 pieds par rapport au niveau de la mer et de 125 000 acres-pieds lorsque l'élévation du lac devait être inférieure à 1 025 pieds (IBWC 2012). Ces propositions visent ainsi à stabiliser la quantité d'eau de la retenue du lac Mead. La quantité d'eau supplémentaire reçue par le Mexique est fonction de la quantité du lac par rapport à la moyenne pour tenter de maintenir une quantité minimale dans le lac.

Un autre point fondamental de cette Minute est l'intégration effective d'ONG dans les parties prenantes devant fournir de l'eau. En effet, une coalition d'ONG a été fondée en 2008 et a créé le Colorado River Delta Water Trust (Buono et Eckstein 2014, 273). L'objectif de cette coalition était d'utiliser les fonds pour des projets de restauration de l'habitat dans le delta du Colorado. Elle devait aussi acheter ou louer les droits en eau à des agriculteurs dans la vallée de Mexicali (Clay s.d.). L'eau ainsi achetée devait permettre de fournir le delta pour la première fois depuis plusieurs décennies en passant par des infrastructures préexistantes (Postel 2017, 33). Ce projet a également pleinement mis en avant les entreprises ayant contribué au soutien du projet (« Understanding « Sufficiency » : The Colorado River Delta : Overdrawn and Dried up (2014) » s.d.).

L'institut de Sonora explique notamment que les ONG ont été indispensable pour mettre en place la Minute :

« Through the NGO's coalition persistence in representing the environment in these negotiations, they have at last succeeded in achieving their goal to bring water and life back to the Delta with the passing of Minute 319 » (Zamora s.d.).

Ainsi, les débits fournis pour la restauration et la préservation du Colorado et de son delta ne proviendraient pas uniquement de l'IBWC mais également des ONG qui auraient, dorénavant, une responsabilité importante dans cette préservation (Rivera-Torres et Gerlak 2021, 561).

Chapitre III - Minutes 323 : mise en oeuvre d'un programme de coopération pour la gestion des problèmes environnementaux

La Minute 323

Finalement, il est question de la Minute 323 qui n'est autre que l'extension de la Minute 319 visant à davantage de coopération pour la gestion des retenues d'une part, et pour mettre en place un plan d'urgence en cas de pénurie et de réduction des risques d'autre part. Elle date de 2017 et fait écho à la pénurie d'eau dans le fleuve Colorado. L'amélioration de la végétation et de l'écosystème dans le delta du Colorado grâce à la Minute 319 a notamment été reconnue dans la Minute 323 (Mumme 2002, 242).

Ainsi, la Minute vise à clarifier les conditions de partage d'eau en cas de pénurie et à permettre la mise en oeuvre de projets environnementaux et d'infrastructure (Bussey 2018, 159). À titre d'exemple, comme pour la Minute 319, lorsque l'élévation du lac Mead, au 1er janvier, est située entre 1 145 et 1 170 pieds par rapport au niveau de la mer (327,7 mètres), le Mexique doit recevoir 40 000 acres-pieds supplémentaires ; 55 000 acres-pieds lorsque l'élévation du lac est entre 1 170 et 1 200 pieds par rapport au niveau de la mer ; 80 000 acres-pieds lorsque l'élévation du lac est égale ou supérieure à 1 200 pieds et 200 000 acres-pieds en cas de crues du Colorado (IBWC 2017). En cas d'élévation trop faible du lac Mead, l'apport d'eau au Mexique reste le même que sous la Minute 319 (IBWC 2017).

Analyse de la Minute 323

La Minute 323 reprend des éléments de la Minute 306, notamment en ce qui concerne la coopération écologique dans le delta du Colorado. Elle rappelle également les résultats obtenus par la Minute 319 pour ce qui est du programme pilote pour l'amélioration de la végétation, de la faune et des conditions dans le delta (IBWC 2017).

Il est possible de souligner que la Minute 323 reprend la Minute 319, mais sur un plus long terme ; cette Minute dure neuf ans et doit s'étendre jusqu'en 2026. Encore une fois, les États-Unis et le Mexique devront coopérer avec une coalition d'ONG pour partager la fourniture des débits d'eau environnementaux (Mumme 2002, 243) (IBWC 2017). Cette coalition, nommée Raise the River, est composée de six ONG étatsuniennes et six mexicaines (« Minute 323 - A U.S.-Mexico agreement on water that benefits all » 2017). Par ce biais, 210 000 acres-pieds devront être fournis pour le delta et 9 millions de dollars seront alloués pour la recherche scientifique. La surveillance de la rivière devra aussi être accentuée ainsi que le financement de projets de restauration de canaux et des infrastructures vieillissantes. Cette Minute et les projets mis en place devraient permettre aux États-Unis et au Mexique de répondre aux attentes d'approvisionnement et aux débits environnementaux jusqu'en 2026 (Mumme 2002, 243).

Les représentants des États ainsi que des ONG devront également coopérer dans la perspective d'identifier les sources d'eau et de mobiliser les fonds pour répondre aux attentes en eau. Ils devront aussi vérifier les efforts de restauration de la zone et de distribution de l'eau durant ces neuf années (IBWC 2017).

La minute met en place, dans la section IV, le plan binational d'urgence en cas de pénurie d'eau (Binational Water Scarcity Contingency Plan) qui conduira les deux pays à réduire les volumes d'eau supplémentaires en fonction des élévations du lac Mead (IBWC 2017) :

« the Commissioners noted the interest in adopting a Binational Water Scarcity Contingency Plan that provides for each country to save specified volume of water at certain low reservoir elevations for recovery at a later date when reservoir conditions improve » (IBWC 2017).

Ce plan permettrait de résoudre les problèmes liés à l'élévation du lac Mead et tous les autres problèmes environnementaux et hydriques liés en permettant aux deux nations d'avoir accès aux eaux du lac Mead lorsqu'elles seraient en quantité suffisante.

Tableau 3 : Les économies en eau mexicaines pour le BWSCP

Source : IBWC. Minute no. 323 - Officials with the International Boundary and Water Commission, United States and Mexico, today announced the conclusion of a new Colorado River Agreement, Minute 323, «Extension of Cooperative Measures and Adoption of a Binational Water Scarcity Contingency Plan in the Colorado River Basin». 27 septembre 2017.

Le Tableau 3 (« Les économies en eau mexicaines pour le BWSCP ») montre les économies en eau que doit faire le Mexique en fonction de l'élévation du lac Mead pour contribuer au Plan d'urgence binational. Ainsi, lorsque la projection de l'élévation du lac Mead au 1er janvier est égale ou inférieure à 1 090 et supérieure à 1 075 pieds par rapport au niveau de la mer, le Mexique doit économiser 41 000 acres-pieds. De la même manière, lorsque la projection est égale ou inférieure à 1 025 pieds par rapport au niveau de la mer, le Mexique doit économiser 150 000 acres-pieds. Ces économies sont réalisées en cas de pénuries d'eau dans le bassin inférieur des États-Unis et sont récupérables lorsque les conditions du lac Mead s'améliorent (IBWC 2017). Ceci signifie cependant que si la pénurie se prolonge sur plusieurs années, le Mexique doit continuer d'économiser une certaine quantité d'eau sans pouvoir la récupérer.

Un autre point important de cette Minute concerne la salinité. En effet, la Minute propose que le Mexique continue d'utiliser le canal de Wellton-Mohawk, comme dans la Minute 319, pour transporter la quantité d'eau appropriée tant que cela ne nuit pas aux opérations hydriques étatsuniennes (IBWC 2017). L'objectif pour le Mexique est de respecter les limites de salinité notifiées dans la Minute 242, mentionnée plus haut dans ce travail, soit une salinité de 144 milligrammes par litre par rapport à la salinité moyenne annuelle de la zone (Umoff 2008, 80), afin de la préserver.

Les éléments présentés ci-dessus montrent une implication de plus en plus marquée des ONG dans la prise en charge des problèmes hydriques et dans leur résolution à la frontière États-Unis-Mexique. La reprise des Minutes 306 et 319 dans cette Minute laisse présumer de la réussite de ces dernières. En effet, la Minute 323 souhaite utiliser les résultats positifs obtenus par les Minutes précédentes tout en intensifiant la prise en charge de l'environnement dans ces décisions.

Ainsi, l'ensemble des Minutes présentées ci-dessus montrent que l'aspect environnemental est devenu aussi important que la répartition des eaux du Colorado. L'ajout de parties prenantes, telles que les ONG ou les États et les populations, dans la prise de décision de l'IBWC marque également un changement dans la prise en charge des problèmes hydriques. Les réponses sont de plus en plus adaptées et efficientes puisque les décisions sont prises grâce à la coopération de différents acteurs touchés de près ou de loin par le problème en question.

La Minute 323 correspond à l'avancée la plus importante pour l'IBWC dans le domaine des problèmes environnementaux dans les eaux frontalières. Il est ainsi possible de conclure que les Minutes 306 et 316 ont mis en place des cadres de coopération qui ont servi aux Minutes suivantes pour mettre en oeuvre des réponses efficaces sur le long terme.

CONCLUSION

Jusqu'à la fin du XXe siècle, la question environnementale n'était pas centrale dans la prise en charge des problèmes hydriques par l'IBWC. De la même manière, les agents non gouvernementaux tels que les ONG, les habitants des États bassins et les États eux-mêmes ne faisaient pas partie du processus de décision de la Commission.

Ainsi, ce travail s'inscrit dans une réflexion sur l'intégration d'entités non gouvernementales dans la prise de décision de l'IBWC. L'étude de la littérature sur l'hydro-diplomatie à la frontière États-Unis-Mexique m'a permis de constater l'impact récent des ONG qui a notamment favorisé l'adaptabilité de la Commission aux questions environnementales, même si les réponses ne sont pas toujours optimales pour la préservation ou la restauration des ressources hydriques.

L'objectif pour ce mémoire était de donner une définition générale de l'hydro-diplomatie et des concepts liés, puis de voir en quoi l'hydro-diplomatie à la frontière États-Unis-Mexique permettrait de répondre, ou non, aux problèmes hydriques environnementaux dans les fleuves du Colorado et du Rio Grande. L'évolution de l'IBWC jusqu'à nos jours conduit à constater une prise en considération de l'aspect environnemental, notamment grâce aux Minutes créées depuis 2000 qui ont permis de réapprovisionner le delta du Colorado qui n'avait plus atteint l'océan depuis plusieurs décennies. En effet, un nombre important de Minutes, entre la Minute 306 de 2000 et la Minute 323 de 2017, ont démontré une implication de plus en plus importante des ONG, mais également une implication plus forte de la Commission dans la mise en oeuvre de programmes de coopération en faveur de la gestion des problèmes environnementaux à la frontière. En effet, lorsque la Commission ne considérait que l'avis d'experts, il est possible de penser que les réponses apportées pouvaient favoriser un État ou un secteur économique puissant plutôt que bénéficier aux populations locales.

La gouvernance adaptative de l'IBWC, à travers l'intégration des populations et des ONG dans le processus décisionnel, qui permet de rassembler une multitude de connaissances applicables aux problèmes et menant des solutions plus efficaces, est indissociable de la gestion intégrée des ressources en eau. En effet, l'idée de la Commission est aujourd'hui de faire participer une multitude de décideurs, tels que les riverains et les ONG, pour parvenir à des solutions les plus satisfaisantes pour toutes les parties prenantes.

Cette recherche apporte une analyse environnementale à l'étude des projets de l'IBWC. Elle contribue à l'étude de l'évolution de l'environnement et de la volonté de résoudre les problèmes hydriques entre les États-Unis et le Mexique.

L'analyse finale de quatre Minutes a également permis de mettre à jour l'implication grandissante d'ONG dans la mise en oeuvre de solutions environnementales. On constate dorénavant une coalition d'ONG qui verse des fonds et réapprovisionne certaines zones du Colorado, entre autres, en eau utilisable.

L'eau dans cette région, comme dans de nombreuses autres, est un enjeu crucial. L'augmentation constante de la population dans la région implique des problèmes de pollution liée à l'agriculture intensive ou aux industries minières, de pénurie et par là même de sécheresses récurrentes qui impactent l'environnement et les populations frontalières et nécessitant des solutions qui permettraient de préserver et de restaurer les ressources de la zone. De plus, la modernisation des infrastructures hydriques des deux côtés de la frontière grâce et par l'IBWC a entraîné plus de coopération entre les États-Unis et le Mexique et notamment avec la Minute 319 qui a proposé l'utilisation conjointe de certaines retenues et de drains étatsuniens pour traiter le problème de la salinité dans le Colorado, par exemple.

Malgré cette coopération actuelle, il était important d'étudier la diplomatie de l'eau entre les États-Unis et le Mexique qui implique l'analyse de la diplomatie et de l'histoire entre les deux pays. En effet, cela permet de comprendre les potentielles retenues de ces derniers dans une coopération en faveur de l'environnement, entre autres. La thématique des problèmes environnementaux à la frontière et de la résolution de ces derniers est devenue prépondérante dans une zone qui a été source de nombreux conflits au fil du temps.

Il est important de distinguer un lien entre les relations diplomatiques et les relations hydriques entre les deux pays puisqu'à l'époque où le Traité de 1944 a été signé, l'interventionnisme des États-Unis au Mexique et la peur de perdre son identité mexicaine mettait en péril la coopération souhaitée entre les deux pays. Il y avait un conflit d'intérêt entre les deux pays.

Une question soulevée par ce travail est celle de l'apparition de l'hydro-diplomatie dans les relations entre les États-Unis et le Mexique. En effet, beaucoup d'auteurs déclarent que le Traité marque le premier pas dans l'hydro-diplomatie entre les deux pays alors qu'il ne s'agissait que de la gestion et de la répartition des eaux entre différents États et qu'il n'incluait aucunement un aspect environnemental à sa création. Ainsi, il est possible de penser que l'hydro-diplomatie, définie comme une coopération environnementale entre des États limitrophes de rivières, est apparue après la signature du Traité de La Paz de 1983 qui intégrait effectivement l'aspect environnemental.

En outre, une conclusion à laquelle il est possible de parvenir à travers ce travail est l'impact ambigu de l'ALENA sur les ressources hydriques à la frontière. En effet, même si cet accord a permis la création d'une banque de développement et un accord de coopération dans le domaine de l'environnement qui ont favorisé la mise en place de projets environnementaux et de préserver certains secteurs liés à l'environnement, la mise en place d'une zone de libre-échange et donc l'impossibilité pour les États de gérer leurs ressources, avec des entreprises qui s'établissent dans la région, a entraîné des conséquences négatives pour les ressources hydriques. Cela a notamment impliqué la surexploitation des ressources hydriques au profit de croissances économiques de certaines industries, dont l'industrie minière au Mexique.

En somme, même si ce travail porte sur les rivières frontalières entre les États-Unis et le Mexique, la plupart des analyses se focalisent surtout sur le fleuve du Colorado. La troisième partie, par exemple, n'analyse que des Minutes pourtant sur le Colorado et son delta.

De plus, il était impossible de couvrir tous les aspects de la gouvernance de l'eau et de l'hydro-diplomatie à la frontière États-Unis-Mexique. En effet, il s'agit d'un vaste champ de recherche qui nécessite de reprendre l'histoire des relations entre les deux pays depuis l'indépendance des États-Unis pour comprendre la situation au XXe siècle et aujourd'hui.

Il serait question, pour prolonger cette recherche, de travailler sur le Rio Grande et sur l'impact des décisions de l'IBWC sur d'autres communautés touchées par les problèmes hydriques (par exemple, les Pueblos qui sont des peuples indigènes). En effet, alors que le Traité de 1944 codifiait la distribution des ressources hydriques entre les États-Unis et le Mexique, les Pueblos, localisés pour la plupart à la frontière mexicaine dans les États du Nouveau-Mexique, de l'Arizona et du Texas, n'étaient pas pris en compte. Avant le Traité de 1944, ces peuples indigènes étaient censés pouvoir prélever l'eau des cours sur leurs territoires pour l'usage de ses habitants. Le Traité de 1944 a changé la relation des Pueblos avec l'eau puisqu'il avait la mainmise sur la totalité des flux du Colorado et du Rio Grande grâce à l'IBWC. Ainsi, les Pueblos n'étaient plus souverains des eaux qui leur avaient été accordées, même avec le principe d'appropriation préalable, mentionné dans la deuxième partie, et devaient se soumettre aux termes de ce Traité. Par conséquent, la seule façon pour les autochtones d'avoir des droits sur l'eau était de passer par la justice. Dans cette mesure, et puisque l'eau appartient aux États où elle se trouve, les autochtones ne peuvent pas gérer directement de l'eau qu'ils sont censés posséder, mais ont besoin que la justice intervienne pour résoudre toute situation litigieuse. Il est possible de citer l'année 1966 qui a vu la naissance d'un procès entre l'État du Nouveau-Mexique et d'un Pueblo :

«  [New Mexico] brought a water adjudication suit in the United States District Court for the District of New Mexico to determine the rights to use waters of the Nambe-Pojoaque River system, a tributary to the Rio Grande, which drains the land of four Indian pueblos north of Sante Fe, New Mexico » (Merrill 1980, 56).

Même si souvent, les États bassins étatsuniens agissent avec la totalité des eaux du Rio Grande et du Colorado comme si elles leur appartenaient, ce procès montre la limite de cette pensée. En effet, la finalité du procès a laissé les débits du Nambe-Pojoaque, au nord de Santa Fe, aux Pueblos plutôt qu'au Nouveau-Mexique. Dans cette perspective, il s'agirait d'étudier la manière dont les eaux des Pueblos sont gérées par les États et de savoir si l'IBWC pourrait, à terme, prendre en charge ses problèmes.

Dans un autre temps, il serait aussi utile de se focaliser sur les nappes phréatiques et l'évolution de leur réglementation. En effet, elles n'étaient pas prises en compte dans le Traité de 1944 et sont, encore aujourd'hui, difficiles à contrôler puisque souterraines et ne respectant pas les frontières terrestres. Ainsi, il serait intéressant de s'attarder sur les potentiels amendements de l'IBWC et du Traité de 1944 pour faire face aux problèmes liés à la pénurie des eaux souterraines aujourd'hui. Après avoir fait de nombreux pas en faveur de l'environnement et de l'écosystème des rivières et des eaux de surface, l'hydro-diplomatie mexicano-étatsunienne, avec l'aide des ONG et des populations, pourrait tenter de résoudre certains des différends liés aux nappes phréatiques. Ainsi, il serait question d'étudier davantage les solutions apportées par les États-Unis et le Mexique pour traiter les problèmes d'eaux souterraines.

Comme le mentionnent Barbara G. Burman et Thomas G. Cornish dans l'article « Needed : A Groundwater Treaty Between the United States and Mexico » :

« a successful solution must also take into consideration the singular attributes of groundwater, particularly the slowly replenishing nature of the supply, which demands that it be treated as a finite resource » (Burman et Cornish 1975, 387).

Il s'agirait d'étudier plus en détail les solutions que pourraient apporter les instances mexicaine et étatsunienne de l'IBWC pour résoudre les problèmes liés aux eaux souterraines qui se remplissent bien plus lentement qu'elles ne se vident. Un compromis devrait pouvoir être trouvé entre ce problème et celui de pollution et de salinité des eaux des fleuves. En effet, l'IBWC doit continuer de trouver des moyens de résoudre les problèmes dans les eaux du Colorado et du Rio Grande pour permettre aux populations de les utiliser, plutôt que de se concentrer sur l'utilisation des nappes phréatiques.

En outre, la surexploitation des eaux souterraines, pour l'agriculture intensive ou pour la consommation des populations, comme il l'a été expliqué, entraîne encore plus de sécheresses de part et d'autre de la frontière dans la mesure où les ressources se raréfient et disparaissent. Cet enjeu doit ainsi être approfondi.

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* 1 Un acre-pied est une unité de volume utilisée aux États-Unis. Un acre-pied correspond à 0,405 hectare sur une profondeur de 30,48 centimètres, soit 1233,4 mètres cubes.

* 2 Comme il en sera question plus précisément dans le corps du mémoire, les Minutes sont des documents officiels qui mettent en place des réglementations pour résoudre les problèmes hydriques à la frontière.






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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore