Conclusion
On ne trouve pas dans les deux ouvrages de Levinas des
discussions, et encore moins des polémiques essentiellement
théologiques. La théologie en tant que telle, même la
théologie juive, est absente, de manière nette, dans
Totalité et Infini et dans De Dieu qui vient à
l'idée. S'il arrive à Levinas d'en évoquer des
thèmes, c'est toujours après les avoir intégrés et
transfigurés dans une interprétation philosophique.
Que le rapport avec le divin traverse le rapport avec les
hommes et coïncide avec la justice sociale, voilà l'esprit de
Totalité et Infini, de De Dieu qui vient à
l'idée et des Exercices Spirituels de saint Ignace. Dans
les Exercices Spirituels de saint Ignace, comme dans l'éthique
du visage de Levinas, l'homme ne contemple pas un Dieu
désincarné, mais l'homme dans l'histoire. S'il y a un
rapprochement possible entre Totalité et infini et les
Exercices spirituels de saint Ignace en ce qui concerne le
face-à-face, nous avons souligné aussi leurs divergences, dont
celle, majeure, portant sur l'homme Jésus. Jésus est dans le
christianisme homme et fils de Dieu, ce qui semble inadmissible dans
l'éthique du visage de Levinas. L'homme ne peut être fils de Dieu
que par la responsabilité pour autrui. C'est de l'autre homme qu'il faut
répondre d'abord, et non d'un homme-Dieu, fut-il le messie
crucifié.
Pour Levinas, le mal n'est pas un principe mystique que l'on
peut effacer par un rite, il est une offense que l'homme fait à l'homme.
Personne, et pas même Dieu, ne peut se substituer à la victime. Le
monde où le pardon est tout-puissant devient inhumain. Le rapport avec
l'homme où s'accomplit le contact avec le divin n'est pas une
espèce d'amitié spirituelle avec un homme-Dieu, mais celle qui se
manifeste, s'éprouve et s'accomplit dans un monde de douleur, où
le sujet peut être bonté et justice, capable de dire "Me voici
pour répondre d'autrui".
Enfin, Il y a une ambiguïté d'une conception de
l'autonomie, que dévoile aussi bien la contemplation de Jésus
dans les Exercices Spirituels que la conception d'autrui par Levinas
dans Totalité et Infini et dans De Dieu qui vient à
l'idée. Présenter le sujet " nu" comme autonome, c'est
risquer d'oublier sa soumission à une vocation, celle d'être juste
et bon envers autrui. Etre juste, comme disent toutes les religions, c'est
obéir à l'éthique de la responsabilité, c'est
répondre de l'autre, c'est se soumettre au « Tu ne tueras
pas » ton semblable.
BIBLIOGRAPHIE
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______Liberté et commandement, Cognac, Fata
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notes de cours.
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1985. (Traduction du texte Autographe par Edouard Gueydan s.j)
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spirituels d'Ignace de Loyola et la phénoménologie de
Schaeffler, Editions Lessius, Bruxelles, 2002.
RICOEUR P., Soi-même comme un autre, Paris,
Seuil, 1990.
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