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Cusco et l'image de l'étranger dans Inka Trail et Senores destos Reynos


par Nataly Villena Vega
Université Paris III - Maitrise en Littérature Générale et comparée 2001
  

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Nataly VILLENA VEGA

Mémoire de Maîtrise rédigé sous la direction de

M. le professeur Gabriel Saad

Littérature Générale et Comparée

La ville de Cusco et l'image de l'étranger dans la littérature péruvienne contemporaine :

Inka Trail de Oswaldo Chanove et Señores destos reynos de Luis Nieto Degregori

Université Paris III Sorbonne Nouvelle

2002

Sommaire

Introduction ________________________________________________________________2

1. Cusco dans la littérature péruvienne contemporaine. 7

1.1 Fin de la dualité néo-indigénisme, néoréalisme. 9

1.2 Cusco, entre l'incanisme et le cosmopolitisme. 14

1.3 Nouvelles manifestations littéraires dans le Sud du pays. 25

2. L'image de l'étranger (du mot à l'image). 28

2.1 L'étranger, étymologie et institutions. 28

2.1.1 Inka Trail et Señores destos Reynos, deux textes imagotypiques. 30

2.2 Facteurs constructifs au niveau textuel. 31

2.2.1 Examen du lexique (Mots-clés et mots-fantasmes). 31

2.2.2 L'espace et l'étranger. 34

2.2.3 Morphologie de l'étranger. 35

2.2.4 Symbolique onomastique 47

2.3 Le stéréotype. 50

2.3.1 Des personnages stéréotypés 51

2.3.2 Stéréotype et lecture littéraire. 54

2.3.3 L'écriture à thèse. 55

3. La relation hiérarchisée de l'image de l'étranger. (Dimension idéologique des facteurs constructifs). ______________________________________________________________57

3.1 Le cadre spatio-temporel : la topographie de l'étranger. 58

3.1.1 L'espace du conflit. 60

3.1.2 L'espace de convergence. 67

3.2 Typologie de l'étranger. 71

3.2.1 Procédés d'inclusion - exclusion 74

4. Le Je et l'Autre : littérature et société. (L'image comme scénario). 79

4.1 Les scénarios ou l'« agrégat mythoïde ». 80

4.2 Facteurs constructifs à niveau transtextuel. 82

4.2.1 Intertextualité. ___________________________________________________80

4.2.2 Paratexte _______________________________________________________84

4.2.3 Hypertextualité __________________________________________________87

4.3 Le modèle symbolique. 95

4.3.1 La manie. 95

4.3.2 La phobie. 96

Conclusions 98

- Annexes 101

BIbliographie _____________________________________________________________98

Introduction

La figure de l'étranger, cet Autre qui menace et qui fascine, est présente dans la littérature péruvienne depuis ses origines. La culture du continent américain fut construite sur la rencontre des groupes qui se considéraient mutuellement comme des étrangers. Dans l'histoire du Pérou, un pays marqué par la cohabitation de groupes ethniques différents, le caractère étranger est aujourd'hui relatif.

Etranger fut l'Espagnol aux yeux de l'Inca lors de l'entreprise de la conquête du nouveau monde. Etrangers furent les « criollos » et Espagnols aux yeux des indigènes et des métis de l'époque coloniale. Etrangers sont aujourd'hui les indigènes, les touristes et les immigrants aux yeux de la majorité métisse.

Au sens propre, la qualité d'étranger est définie par un ensemble de dispositions juridiques dont le fondement est indissociable de la considération de la naissance d'un individu. Deux lignes de pensée tracent les axes fondamentaux de la législation, l'une d'elles considère que le facteur déterminant est la filiation - ius sanguis- et l'autre considère que le facteur déterminant est le lieu de naissance -ius soli-.

Au sens figuré l'étranger est l'Autre, tout être différent ou marginal à l'égard aux normes établies par ceux qui détiennent le pouvoir (pouvoir politique, pouvoir économique ou pouvoir symbolique : l'écriture).

La notion d'altérité est, certes, trop vaste pour être opérationnelle, mais il est vrai également que limiter la définition de l'étranger à une simple question de nationalité nous ferait emprunter un chemin trop étroit. La réalité nous a souvent démontré que la marginalisation d'un groupe peut avoir un faible rapport avec la possession d'un document qui attesterait de son appartenance légale à la communauté dans laquelle il vit.

Dans le présent travail nous analyserons ce type d'altérité, celle qui associe un individu à un groupe originaire d'une autre terre et d'une autre culture, indépendamment de sa nationalité.

L'absence de recherches sur les images littéraires de l'étranger dans la littérature péruvienne contemporaine et la complexité dont cette figure est investie aujourd'hui sont les raisons qui ont motivé le choix du sujet.

En effet, une société marquée tout au long de son histoire par de profonds changements sociaux proportionne une grande richesse de matériels pour la construction de l'image de l'étranger.

Afin de mieux préciser notre recherche nous avons décidé d'étudier deux oeuvres contemporaines dont la scène est la ville de Cusco1(*). Ancienne capitale de l'empire Inca, berceau de l'indigénisme et des mouvements de gauche, Cusco est aujourd'hui l'une des principales destinations touristiques en Amérique du Sud.

Inka Trail, de Oswaldo Chanove et Señores destos Reynos, de Luis Nieto Degregori, un roman et un recueil de contes apparus dans les années quatre-vingt-dix, furent accueillis avec enthousiasme par le public national. Dans ces oeuvres la figure de l'étranger apparaît de façon particulièrement intéressante ; ces livres profondément dissemblables, issus d'une scène littéraire marquée par la diversité, pourront nous permettre d'emprunter deux voies différentes dans la construction de l'image de l'Autre.

L'image littéraire est, nous le savons, inscrite dans un processus de littérarisation mais aussi de socialisation. Elle révèle les fonctionnements idéologiques et psychologiques d'une société qui ne peuvent être compris que dans une réflexion interdisciplinaire.

Pour étudier le thème de l'étranger dans la littérature péruvienne, il est alors nécessaire, sans perdre de vue la littérature elle-même, d'inscrire la recherche dans un contexte historique et social. Le risque de faire une analyse purement littéraire est celui de transformer la figure de l'étranger en un topos littéraire, et d'oublier le caractère indissociable des liens qui existent entre le texte et la société qui le fait naître.

Cesare Segra dans son étude sur les principes de l'analyse du texte littéraire affirme que si le texte est conçu comme faisant partie d'un acte de communication, il est nécessaire de considérer ses liens avec la culture. De cette façon la perspective historique est revendiquée parce que l'émetteur se sert de codes qui proviennent du contexte culturel auquel ils appartiennent, et le récepteur utilise les codes dont il dispose pour interpréter le texte. « Les systèmes de signification sont institués dans une culture et font partie d'elle.[...] Plus que condamner une lecture qui considère le texte en soi, en mettant entre parenthèses le contexte, ce qu'il faut faire c'est constater que cela résulte impossible », ajoute-t-il.

Daniel-Henri Pageaux propose d'étudier l'image à travers l'analyse de ses composantes : le mot, la relation hiérarchisée et le scénario.

Une première démarche consiste donc à connaître le contexte historique, social, culturel, économique et politique dans lequel naît l'image de l'étranger. Il s'agit de comprendre à partir de quelles données nos auteurs construisent cette image de l'Autre et de connaître les mécanismes internes du fonctionnement de la société. Ces mécanismes seront identifiés plus tard dans l'utilisation de certains mots, dans l'établissement de hiérarchies ou dans la configuration des scénarios.

A la suite de cette analyse du contexte, il faut ajouter celle de la construction de l'image à partir des mots. La critique littéraire du siècle dernier et des premières années du XXIème siècle part des études effectuées par Ferdinand de Saussure et Albert Secherhaya en 1916 (Cours de linguistique générale).

Cette approche analytique privilégie la structure ou forme du texte, en conséquence le texte est aussi étudié comme un corpus objectivement linguistique. Un examen du lexique nous permettra donc, dans le deuxième chapitre, de trouver les mots-clés et les mots-fantasmes ainsi que les mots pris à l'étranger qui composent les réseaux lexicaux dont l'image est issue. Le comptage d'occurrences et l'identification des procédés de différenciation ou d'assimilation serviront à comprendre l'écriture de l'altérité dans les textes de notre corpus ainsi que la formation et l'attribution des stéréotypes.

L'analyse des mots qui servent à créer l'image de l'Autre implique également l'identification des rapports hiérarchiques dans la structure du texte imagotypique. Dans le troisième chapitre nous nous occuperons d'établir un système de personnages à partir de la caractérisation de l'étranger et de la structuration de son espace, ainsi que de la formation de l'altérité par la qualification différentielle.

Toutefois, le texte et le contexte littéraire transcendent la seule structure. Dans un dernier temps, nous analyserons l'image de l'étranger comme scénario et nous identifierons des modèles préétablis dont les auteurs se servent. L'intertextualité éclairera finalement dans quelle mesure les textes de notre corpus peuvent aussi être des outils de communication symbolique.

1. Cusco dans la littérature péruvienne contemporaine.

« Cuzco que guarda y sustenta une energía fundamental[...] Esa ciudad esencial que conjuga las viejas experiencias históricas del país, resume el peregrinaje del hombre peruano y mantiene el orgullo de esa colectividad ilustre en el continente como forjador de culturas señeras. »2(*)

Pour un historien comme Luis Enrique Tord, Cusco est forcément un point de départ intéressant. Impossible de détacher cette ville de son passé, regretté, nourri, idéalisé, tergiversé et exploité, latent dans tout ce que l'on observe. Cusco est en effet une ville aux aspects multiples : centre des Andes, ville bohème, paradis des touristes et des aventuriers, centre écologique, espace mystique et lieu de fête.

L'importance de Cusco dans la littérature péruvienne a toujours été liée à sa condition de bastion du mouvement indigéniste. La littérature péruvienne reconnaît les origines de ce mouvement à Cusco vers la fin du XIXème siècle, avec la publication du roman Aves sin nido3(*) de Clorinda Matto de Turner4(*) (1854-1919) et du livre El padre Horán5(*), de Narciso Aréstegui.

A l'époque du modernisme, lorsqu'une forte polémique oppose deux groupes récalcitrants, les défenseurs nationalistes des indiens et les intellectuels d'inspiration raciste, Cusco se range du côté indianiste6(*). Pourtant, ce n'est pas seulement la littérature qui s'y intéresse, d'autres manifestations artistiques de tendance indigéniste telles que la photographie et le cinéma sont aussi développées7(*).

Après la Révolution mexicaine, l'indigénisme pénètre les arts plastiques péruviens de manière généralisée, mais dans la littérature, il est encore circonscrit à la zone andine et privilégie un genre : la poésie. La deuxième vague indigéniste regroupe ainsi une génération de poètes de Cusco issus de l'avant-garde postmodernisme : Luis Nieto Miranda, Gamaliel Churata et Mario Florián. Le mouvement indigéniste Resurgimiento est fondé à Cusco en 1926 et sa première action est l'organisation d'une « Cruzada por el Indio ». Les théoriciens les plus réputés de l'indigénisme national y sont rassemblés dont l'historien Luis E. Valcárcel et le sociologue José Uriel García, professeurs à l'université San Antonio Abad del Cusco. A l'indigénisme raciste que Valcárcel prône dans son Tempestad en los Andes (1927), s'oppose l'andinisme d'Uriel García qui, dans El nuevo indio (1930), considère l'indigène non pas comme un groupe ethnique mais comme entité morale. Ces thèses seront reprises par José María Arguedas qui les fera connaître dans le monde entier.

Cependant, la littérature de Cusco, dont l'importance a été déterminante dans la première moitié du XXème siècle, connaît un certain déclin pendant plus de deux décennies. L'indigénisme qui ne fait que se mordre la queue depuis longtemps s'engage dans une dérive chauvine. Une littérature qui semble privilégier la tradition orale et le conte se fait jour grâce à des écrivains jusqu'alors peu connus tels que Sueldo Guevara et Raúl Brozovich. Cependant, leurs intéressants travaux, qui n'ont pourtant pas la charge idéologique de l'indigénisme, resteront sans suite. Depuis, de nombreux travaux ont été publiés, l'indigénisme n'a pas abandonné complètement la plupart de ces oeuvres mais une nouvelle vision commence à s'instaurer et Cusco n'apparaît plus seulement liée aux questions d'ordre racial ou historique. Son atmosphère de plus en plus ouverte au monde par les communications et le tourisme est observée avec grand intérêt par le pays et constitue un cadre unique non seulement pour la création littéraire, mais aussi pour les arts plastiques, le cinéma et la photographie.

1.1 Fin de la dualité néo-indigénisme, néoréalisme.

Au Pérou, il était fréquent entre les années cinquante et les années quatre-vingt, de diviser le champ de la narration (et d'autres genres) en un secteur indigéniste, intéressé par le monde andin et les transformations que celui-ci subissait, et un secteur néoréaliste qui avait comme cadre la ville et les bidonvilles des alentours, et qui choisissait comme protagonistes les personnages marginaux de la société urbaine.

Depuis les années cinquante, une grande masse d'habitants de la province, entassée dans des bidonvilles, modifia le visage de la capitale socialement, économiquement et même artistiquement.

L'indigénisme du début du siècle -le protoindigénisme de Vargas Llosa-, opposé à l'hispanisme et influencé par le naturalisme français et le positivisme, s `est effacé lentement. Or, un nouvel indigénisme dont l'objectif n'est plus la protestation social ni la dénonciation de la difficile situation de l'indigène prend forme. Confronté à la nouvelle réalité, cet indigénisme agit pour le renouvellement des liens avec le monde andin.8(*)

Los ríos profundos (1958) d'Arguedas marque le début de cette période où le questionnement permanent sur la façon et la difficulté de conjuguer un monde en évolution et de le sortir de son régionalisme pour l'inscrire dans la littérature mondiale allaient être une préoccupation constante.

Après la mort d'Arguedas, Manuel Scorza prend le relais. Son roman La Guerra silenciosa jouit d'un grand succès qui lui permet d'accéder à la reconnaissance internationale.

Le néo-indigénisme utilise les attributs artistiques modernes sans toutefois rompre complètement avec la tradition indigéniste classique. Après Arguedas et Scorza, Edgardo Rivera, Eleodoro Vargas Vicuña et Cronwell Jara témoignent de l'effacement progressif de la ligne de séparation entre ce type de littérature et le néoréalisme urbain.

Le néoréalisme urbain, un type de littérature plus expérimental et moderne, s'intéresse aux changements de la ville et les phénomènes d'immigration, de pauvreté et de violence de l'époque. Lima est le sujet central de cette narrative. Des écrivains tels que le groupe Palermo, dont Julio Ramón Ribeyro est l'un des meilleurs représentants, produisent des oeuvres capitales dans la littérature péruvienne pendant deux décennies.

Entre les années cinquante et soixante-dix, les deux courants de création développent un travail complémentaire, chacun avec son propre monde référentiel. La littérature de cette étape a une image duale dont les deux faces peuvent s'articuler sans problèmes.

Pourtant, à partir des années quatre-vingt, cette cohabitation bien délimitée est bouleversée.

Après le retour à la démocratie marqué par l'élection de Fernando Belaúnde en 1980, la vie sociale et politique du pays subit une sorte de désintégration.

Le pays avait vécu sous le gouvernement des Forces Armées (1968-1975) un « néo-indigénisme d'Etat »9(*) qui prônait le nationalisme et prenait l'Indien comme symbole du peuple péruvien. Le système socio-économique avait été commotionné par des transformations radicales telles que la réforme agraire et le contrôle des grandes entreprises par l'Etat. Le retour à l'état de droit n'est donc pas des plus calmes.

En 1979 le Sentier Lumineux fait son apparition en Ayacucho, ville de la sierra et commence son action terroriste sans attirer une attention particulière des médias.

Cette guerre qui durera dix ans et qui plongera le pays dans la violence et la crise économique les plus dures de son histoire, n'éveillera l'intérêt national qu'en 198310(*). Un nouveau visage du Pérou apparaît et le terrorisme qui a, depuis longtemps, fait son travail, pousse de grandes masses d'habitants au déplacement, à la migration, phénomène déjà commencé à partir des années cinquante.

La société en est bouleversée, dans les grandes villes le paysan, l'intrus, devient un fondateur, c'est lui qui construit la nouvelle ville et qui forge une nouvelle image de soi et de son entourage. Le processus de « cholification » est en marche et une nouvelle culture mi-urbaine, mi-rurale tend à s'imposer à travers de pratiques économiques telles que le commerce informel, des expressions culturelles (notamment la musique) et les médias, particulièrement la radio et la télévision. La migration fait du pays un ensemble hétéroclite et déstructuré, les nouvelles circonstances obligent à s'adapter et à réviser toute classification.

Dans cette culture hybride submergée dans la violence, la littérature trouve de nouveaux éléments de création. L'analyse du nouveau panorama et des racines de la violence terroriste oblige à tourner la vue vers le monde andin et à essayer de le comprendre. Le néo-indigénisme et le néoréalisme urbain sont révisés. Aujourd'hui, ils n'ont plus de signification réelle car ce qui existe est un ensemble chaotique et intense. Des éléments thématiques ou formels qualifiés autrefois de purement indigénistes franchissent la ligne et se mélangent aux aspects urbains et vice versa.

Le néo-indigénisme circonscrivait les arguments et les personnages à un territoire spécifique, à un paysage et à certaines formes organisatrices ayant rapport strictement à la vie paysanne. Ceci rendait impossible le rapport entre le champ et la grande ville par la conception généralisée de ces deux mondes comme étant antagoniques. Le changement du mode de vie influence naturellement la littérature.

Vers la moitié des années 1980 deux lignes opposées dominent la narration péruvienne, l'une moderne et cosmopolite et l'autre intéressée uniquement à la réalité du pays.

Un néo-indigénisme renouvelé -l'indigenismo-2 de Mirko Lauer-11(*) illustre le statut du monde indigène dans un contexte socio-politique entièrement différent : celui de la violence.

La disparition de la dichotomie qui faisait la spécificité de l'indigénisme, disparition prédite par Sebastián Salazar Bondy, n'est pas loin d'être une réalité. Une forte crise des postulats dans les décennies passées donne comme résultat une superposition de nouvelles images souvent très conflictuelle. Du conflit de ces images faibles aucune ne paraît avoir l'hégémonie et le champ littéraire en rend compte.

Antonio Cornejo Polar affirme à ce sujet que le néo-indigénisme, qui fondait sa légitimité dans l'espace andin, s'est désterritorialisé profondément. Il cite comme l'un des exemples les plus clairs, le roman Patíbulo para un caballo de Cronwell Jara.

Ce qui donne la particularité à ce roman est le fait que l'histoire ait lieu à Lima, dans un quartier marginal ; l'histoire raconte les événements qui conduisent à la formation d'une barriada. La loi, le regard de la société et les drames personnels sont mis en scène dans un mélange hétérogène de contenus andins, criollos, afro-péruviens, et de la haute culture occidentale. Dans la narration confluent la sagesse populaire et l'académique mais cela n'arrive pas vraiment à se consolider dans un symbole totalisateur. L'impression qu'on a c'est que la narration cherche à montrer cette atomisation de la réalité, encore plus que le signe majeur de cette réalité est son caractère changeant, éphémère et aléatoire.

Le morcellement de la réalité confronte le lecteur aux mélanges : les personnages sont andins mais aussi de la côte, ils sont ruraux mais aussi urbains, provinciaux mais aussi de la capitale. On est donc face à ce que l'on appelle métissage.

Or le problème face auquel on se trouve est que l'idée de métissage est aussi en crise. Quelques années auparavant les phénomènes socioculturels pouvaient être expliqués grâce à l'idéologie du métissage si bien que l'analyse était simplifié. Le héros de cette formule idéologique avait été l'Inca Garcilaso de la Vega, le premier métis, le premier péruvien à avoir réussi dans la fusion harmonique de ses deux racines. Néanmoins, avec tout son contenu aristocratique, la figure de Garcilaso, fils d'un noble et d'une princesse, n'était pas celle d'un métis quelconque ; sa nouvelle image est aujourd'hui celle d'un être angoissé, victime de conflits non résolus : le besoin d'harmonie et la condamnation à l'impossibilité de celle-ci12(*).

La violencia del tiempo (La violence du temps) de Miguel Gutiérrez est un autre cas encore plus problématique. Ce roman raconte l'histoire de la famille du narrateur édifiée sur un péché originel : le viol de la mère par le conquistador. Le destin du lignage sera marqué par ce fait, et la seule façon d'effacer la honte consistera en exterminer la descendance métisse et donc maudite.

Contrairement à Gutiérrez, Edgardo Rivera Martínez, dans son País de Jauja (1993) présente un métissage idéalisé. L'histoire du roman se développe à Jauja, dans les Andes centrales du Pérou ; le métissage ne constitue pas ici une condition problématique, c'est une réalité déjà constituée que l'on accepte naturellement. L'auteur réalise un travail d'exploration des possibilités de transculturation entre la société métisse et les valeurs de la société occidentale entre le XIXème et le XXème siècle.

Puisque l'indigénisme, l'hispanisme, le néo-indigénisme et le néoréalisme urbain n'ont plus de signification réelle, on peut affirmer que le champ littéraire a cessé d'être régi par la hiérarchisation et l'organisation d'autrefois.

On est face à un nouvel espace littéraire, profondément dispersé, sans organicité et sans hégémonies. Ce qui existe est « une belligérance vaste et emmêlée entre diverses périphéries, chacune avec leurs propres postulations et avec un pouvoir fugace et aléatoire sur des petits espaces culturels. »13(*)

La vague du libéralisme qui envahi toute l'Amérique latine prône la nécessité d'une modernisation de racine, et ce changement est en train de recomposer l'espace littéraire et culturel du pays.

Face à ce désir de modernisation, deux grandes postures se sont emparées du milieu culturel, l'une d'elles en faveur de l'innovation, et le pari pour la modernité, et l'autre, plus conservatrice qui est en quelque sorte encore liée à la tradition néo-indigéniste.

1.2 Cusco, entre l'incanisme et le cosmopolitisme.

Une nouvelle dynamique s'est emparée de Cusco dans les trente dernières années grâce à l'interaction de deux phénomènes : l'idéologie incaniste14(*) et le tourisme.

L'incanisme pourrait trouver ses origines dans Los Comentarios Reales de los Incas de l'Inca Garcilaso de la Vega, premier récit qui présente l'empire du Tawantinsuyu de manière (aujourd'hui on le sait) idéalisée. D'autres oeuvres ont naturellement suivi cette idéologie et l'ont renforcée et incorporé à l'imaginaire social.

De même, le tourisme qui n'est pas un phénomène récent donné à la ville ces dernières années, un certain caractère cosmopolite. Cette disposition à rassembler des personnes de plusieurs origines et à subir des influences des nombreux pays commença au XVIIIème siècle, époque à laquelle des célèbres voyageurs tels que Humboldt ou Darwin visitèrent Cusco pour profiter de la géographie et de la tranquillité de la zone.

L'incanisme est une idéologie revendicatrice qui fait partie du mouvement indigéniste. L'incanisme considère le Tawantinsuyu comme un état modèle de bien-être, un empire de caractère socialiste. Dans ce « paradis », la terre appartenait à toute la population et elle était redistribuée selon les nécessités de chacun, les tributs bénéficiaient toute la communauté, l'état protégeait ses citoyens et l'aristocratie contribuait à la prospérité générale.

L'incanisme et l'indigénisme ont contribué à développer dans la population de Cusco et de la région un sentiment d'empathie envers les victimes de la domination (l'Inca ou l'indigène actuel selon ces idéologies), ce qui a converti la région en terrain fertile pour l'apparition de mouvements sociaux de proteste (la gauche est ici l'orientation politique d'acceptation majoritaire).

L'incanisme agit aussi en renforçant l'image que la population locale se fait de Cusco. L'habitant rural et urbain a une vision brillante de sa terre ; le régionalisme et ce sentiment de fierté adoucissent l'impact que des problèmes tels que le terrorisme, la corruption, la pauvreté, la contamination, le chômage, et tant d'autres a dans le reste du pays.

Dans les dernières décennies, l'idéologie incaniste est intervenue à tout niveau, le premier d'eux, le langage. L'incanisme prône l'apprentissage et le parler d'un quechua raffiné et culte, nettement différent de celui parlé par les indigènes monolingues15(*). Le fait de parler quechua est un motif d'orgueil car l'habitant se découvre favorisé par rapport aux habitants monolingues de la côte.

Cependant, cet orgueil est souvent accompagné de préjugés face aux indigènes contemporains. Si les Inca sont admirés, ses descendants sont parfois considérés ignorants, paresseux et alcooliques.

L'incanisme s'exhibe aussi de manière symbolique. L'exemple le plus frappant est le débat sur la façon correcte d'écrire le nom de la ville. « Cuzco », la forme castillane utilisée dès la fondation espagnole de la ville est refusée par son orthographie trop proche de l'espagnol. La seconde forme, Cusco, es celle d'usage courant et officialisée par les institutions régionales. « Qosqo », la troisième forme d'écrire le nom de la ville, répond au désir de récupérer la prononciation quechua et fut d'usage officiel entre 1990 et 1992. Evidemment cette dernière écriture est celle dont les incanistes se servent par son authenticité indigène.

L'incanisme se manifeste aussi à travers de nombreuses représentations visuelles. Le drapeau du Tawantinsuyu est officialisé et utilisé dans toute cérémonie comme le symbole de l'incanisme. L'architecture inca est objet de révérence publique : soigneusement restaurée et surveillée en permanence, la loi interdit son changement. Le style architectonique néo-inca envahit les rues et bâtiments du centre ville avec des monuments aux gouvernants inca, des fresques et des décorations, la plupart d'entre eux d'une esthétique douteuse.

Les habitants de Cusco, conscients de la valeur du patrimoine inca, l'exaltent à l'extrême en détriment du patrimoine colonial, également intéressant, mais commun à d'autres villes du continent et donc dépourvu du caractère unique.

Les musées reflètent aussi l'incanisme16(*), continuellement visités par les étudiants de l'école primaire et secondaire, contribuent à renforcer l'incanisme e indigénisme transmis à travers les textes d'histoire du Pérou.

Des cérémonies publiques telles que l'Inti Raymi sont les démonstrations les plus évidentes de l'incanisme17(*). Des fêtes telles que le Corpus Christi ou le Cruz Velacuy (veillée de la croix) sont des rituels de participation massive où le composant andin et inca est revendiqué sur le composant espagnol. Conçues comme des expressions d'affiliation collective, ces festivités marquent le caractère dual de la société et la culture de Cusco.

Bien qu'une grande partie de ces manifestations ait été créée pour un public local, aujourd'hui est de plus en plus destinées aux touristes.

Si le tourisme du XIXème siècle était occasionnel et élitiste, le tourisme en sens moderne commence à partir de la découverte de Machupicchu en 1911. Des publications telles que la National Geographic diffusent cet événement et, vers 1920, les premiers guides de voyages sont publiées. La ville reste pourtant de difficile accès jusqu'aux années soixante, où les premiers vols rendent possible l'arrivée de grands groupes de visiteurs. Cusco acquiert la réputation du centre de spiritualité et paix dans cette décennie de révoltes. Le tourisme de ces années connaît ainsi d'abord l'arrivée massive des hippies et de mochileros, jeunes voyageurs à budget réduit qui peuvent rester dans la région pendant des mois et ensuite du tourisme massif qui fait augmenter le nombre de vols à trois par jour.

Si en 1963, le nombre total de voyageurs était de 35,767, en 1986 il augmente jusqu'à 144,000, chiffre qui descend suite aux premières attaques terroristes, à 54,000 touristes en 1991. Avec la chute du mouvement séditieux, Cusco vécut une explosion touristique inattendue, en 1995, le nombre de touristes est de 183,000 en 1996, le gouvernement annonce le chiffre record de 600,000 touristes arrivés au pays. Les problèmes politiques et divers font que ces quantités soient très variables, les attentats du 11 septembre ont ainsi frappé le tourisme du pays et obligé aux acteurs économiques de varier leurs marchés. Aujourd'hui, le tourisme à Cusco est principalement européen et l'offre ne se borne plus au tourisme culturel mais aussi au tourisme écologique, mystique et d'aventure.

Malgré ses différences, ces phénomènes agissent de manière complémentaire. Le tourisme s'appuie économiquement dans l'incanisme18(*).

Le tourisme s'est aujourd'hui diversifié tout comme les images de la ville. Les jeunes pour la plupart, cherchent le tourisme d'aventure (randonnée, trekking, parapente, kayak, escalade et autres), l'écotourisme (voyages à la forêt ou aux réserves naturelles), le tourisme mystique (visite des lieux énergétiques, diverses cérémonies religieuses andines) où simplement la fête (l'ambiance nocturne de la ville est réputée). Ces formes de tourisme sont cependant liées directe ou indirectement aux thème inca.

La culture inca à travers le tourisme contribue à l'économie. Aux yeux de l'habitant de Cusco, la culture inca n'est plus seulement celle d'une société utopique du passé, au présent, elle se constitue en tant que soutien économique et source de reconnaissance. Le tourisme en tant qu'activité économique agit donc, en renforçant, en validant et en valorisant économiquement l'idéologie incaniste. Celle-ci devient en même temps une idéologie de fierté et de filiation régionale et aussi une marque stratégique pour vendre la tradition inca en tant que service de consommation pour le visiteur national et étranger19(*).

Max Hernández donne une intéressante explication psychanalytique de ces deux phénomènes dans la conscience de l'individu. La modernité, dit-il, apparaît en occident sous la forme d'un narcissisme hypertrophique, et dans le tiers monde le conflit que la modernité génère ont créé un état des choses qui mène soit à l'affirmation d'une conscience ethnique passionnée, soit à l'exhibition de formes idéologiques basées dans un « exécrable cosmopolitisme »20(*).

L'indigénisme et ses variations plus radicales, dont l'incanisme, ainsi que le cosmopolitisme et des phénomènes qui l'accompagnent tels que le bricherismo sont ainsi des symptômes qui cachent la crise du sujet.

1.2.1 Antécédents.

Avec l'arrivé des espagnols en 1532, Cusco perd son caractère de « nombril du monde », le centre du cosmos inca n'a plus d'importance pour le nouveau pouvoir. En 1535 la ville de Lima est créée et la totalité des organes administratifs s'y installent. Ceci est le point de départ de l'hégémonie politique et économique de la côte sur le reste du pays, et notamment la sierra. Socialement, ce changement se déroulera de façon plus complexe et moins radicale.

A l'époque coloniale, Cusco occupe encore une place privilégiée au sein de la Vice-royauté. La Cédule Royale émise à Madrid en 1540 déclare à Cusco « Première ville et premier vote de toutes les villes et villages de la Nouvelle Castille »21(*).

La position géographique de la ville s'avère être stratégique dans les domaines économique et commercial parce que Cusco est l'axe du « circuit de l'argent » qui comprend les mines du sud du Pérou, la Bolivie et le port de Buenos Aires, une source vitale pour la vice-royauté.

Une grande partie de la noblesse inca habite à Cusco jusqu'à sa disparition et pendant ce temps exerce encore une certaine influence sur les décisions du gouvernant, notamment en relation aux droits et normes qui déterminent la vie des indigènes.

En 1598, les jésuites fondent un séminaire qui ouvrira les portes à la postérieur création d'une des premières universités du continent.

Cusco, en tant que point de convergence des quatre régions inca, et carrefour des chemins qui y mènent, est le lieu où les mouvements et tentatives de rébellion face à la domination espagnole se produisent. L'antisuyo ou la jungle, est la parfaite cachette pour les Inca vaincus qui planifient à plusieurs reprises des actions militaires telles que la résistance des incas de Vilcabamba, initiée avec la mort d'Atahuallpa et finie en 1572 et la rébellion de Túpac Amaru II entre 1780 et 1781. Aux débuts du XIXème siècle, la noblesse inca est presque éteinte mais la ville est encore la scène des mouvements émancipateurs d'Aguilar y Ubalde en 1805 et Mateo Pumacahua et les frères Angulo en 1814.

Dans la lutte pour l'indépendance, dirigée fondamentalement par les criollos établis sur la côte, il y a une absence de bases fortes pour créer une nation intégrée et juste pour tous ses habitants. Le mouvement indépendantiste criollo, est marqué par son caractère fortement élitiste et urbain.

L'établissement de la République oblige le gouvernement à prendre des mesures particulièrement conservatrices pour se consolider. Le centralisme fait des ravages et les frontières avec d'autres Etats son fermées. Les circuits économiques qui avaient si bien fonctionné pour la Colonie sont désarticulés.

Dans son désir de rivaliser avec l'Europe, l'Etat concentre ses efforts de développement dans la capitale et empêche progressivement celui des régions intérieures du pays. Le cas des Andes est particulier car la géographie favorise l'isolement des villes.

Après une période de forte industrialisation qui avait consolidé l'économie des villes de l'intérieur, les marchés sont ouverts indistinctement à l'importation de produits hors du continent américain. Cela détermine la faillite de nombreuses industries textiles (obrajes) dans la sierra. Cette mesure, néfaste pour les économies régionales, marque le début de la décadence des villes de l'intérieur et Cusco en est le meilleur exemple.

L'énorme chute démographique de Cusco observée dans le XIXème siècle et aux débuts du XXème siècle par rapport à 1532, démontre à quel point son importance pour le pays et le gouvernement avait diminué. De 300 000 habitants en 1532, la ville avait passé à 12 000 en 1912.

De nombreux documents de l'époque laissent imaginer Cusco comme une ville obscure, fétide et lugubre, caractérisée par la bigoterie de sa société. Paradoxalement, c'est dans ce milieu où le courant indigéniste de Cusco se développe, accompagné d'un fort anticentralisme et d'une revendication de Cusco dans l'histoire nationale.

A partir de ce moment un sentiment de fierté généralisé prendra la forme d'un courant social et artistique : el cusqueñismo.

1.2.2 La ville et sa nouvelle vision d'elle-même.

En 1950, un terrible tremblement de terre laisse Cusco presque détruit et ceci attire l'attention des propres habitants et du reste du pays. Le processus de reconstruction oblige à un rassemblement des forces locales et une remise en question semble inévitable. Le processus de reconstruction de la ville détermine les bases de son développement et marque sa première modernisation.

Les discours indigéniste et cusqueñista déjà existants sont renforcés par la généralisation et l'approfondissement des études andines22(*). La présence du tourisme s'accroît et cet ensemble sert à stimuler une importante valorisation de l'entourage.

Dans les années soixante, des grandes mobilisations paysannes dans les vallées orientales de Cusco appellent l'intérêt du pays, préparant ainsi la région à sa future condition de terrain de lutte politique. Plus tard, dans les années soixante-dix, Cusco devient le siège des grandes fédérations de travailleurs urbains, paysans et étudiants et sa population confirme ses préférences politiques de gauche.

Dans la seconde moitié du XXème siècle, la population de Cusco se transforme en volume et composition. Une grande partie de l'élite intellectuelle et économique se déplace vers Lima et les phénomènes généralisés de la migration rurale, l'explosion démographique et la diminution du taux de mortalité touchent aussi cette ville. Le nombre d'habitants de Cusco est multiplié.

Après douze ans de dictature militaire, le pays rentre sur le terrain démocratique tout en ayant souffert de grands changements tels que la Réforme Agraire de 1969.

Vers 1980, avec la vague terroriste du Sentier Lumineux, la tension économique, sociale et politique explose et engendre une situation de crise totale. La violence et la répression qui en résultent n'atteignent pas la ville de Cusco de façon considérable mais la région en souffre et la misère se répand dans les alentours. La migration augmente de manière vertigineuse, particulièrement vers Lima, où tous les services de l'Etat étaient concentrés et vers la fin des années quatre-vingt, la violence envahit la capitale qui devient alors le centre du chaos.

En 1991, la crise du Golfe Persique se répercute très négativement dans l'économie du pays qui est de nouveau frappé par l'épidémie du choléra, les caractéristiques de cette maladie font que la côte soit la seule région affectée et que le sud andin connaisse une certaine tranquillité.

La proximité de Cusco et de la campagne fait que la ville trouve facilement des moyens pour s'approvisionner sans risque. Le choléra n'apparaît pas dans la ville mais provoque la forte diminution du tourisme. De nombreux hôtels, agences de voyages et restaurants ferment leurs portes pendant ces années.

Cependant, Cusco continue à être la destination favorite du tourisme national et dans le pays, cette ville devient l'un des derniers endroits de calme et de plaisir. Les habitants de Cusco ont l'impression de vivre dans un endroit privilégié.

En 1992, le pays est la scène du chaos, de la maladie et de la crise généralisée. Le gouvernement de Fujimori proclame un auto coup d'Etat et ferme le Parlement. A Lima on observe tous les jours l'explosion de voitures piégées qui terrorisent la population, le même panorama se reproduit dans les zones d'émergence. La capitale souffre à cause de la destruction des tours de haute tension et doit supporter des rationnements d'énergie et d'eau.

Dans la même période, la politique du gouvernement municipal de Cusco est orientée vers l'embellissement de la ville. Les oeuvres de construction civile dotent les zones marginales d'eau et d'énergie.

Le cusqueñismo est la principale caractéristique de ce gouvernement local, il stimule aussi la participation aux « Fêtes de Cusco »23(*). La population trouve dans ces festivités et dans le nouveau visage de la ville une source de satisfaction et un exutoire au désespoir.

En 1992, de grands événements commotionnent Cusco et le pays. Au niveau local, la célébration du Tricentenaire de la fondation de l'Université San Antonio Abad, principale université de la région, centre culturel de grande importance pour les habitants de Cusco et berceau des courants de pensée qui ont dominé le pays dans le passé, mobilisent la population entière.

En septembre de la même année, le dirigeant du Sentier Lumineux est capturé, le mouvement subversif est durement affecté mais la population civile vit dans la peur d'une riposte violente.

La commémoration du Cinquième centenaire de l'arrivé des Espagnols en Amérique n'éveille pas de réactions importantes de la population. Un groupe d'intellectuels issus de l'indigénisme et dans leur majorité professeurs à l'université nationale en sciences sociales, décident d'appeler cette date, « le centenaire de l'invasion espagnole » et de nombreux documents et articles de protestation sont publiés24(*).

La grande effervescence du cusqueñismo commence en 1991 pour être, en 1992, un sentiment généralisé qui dure jusqu'en 1994. Aujourd'hui les festivités de Cusco occupent une place importante dans le calendrier annuel mais le cusqueñismo semble être plus stable et moins débordant.

Pour les habitants d'aujourd'hui, Cusco n'est plus seulement un espace historique, archéologique ou de fête ; la politique indigéniste, l'arrivée du tourisme et la prospérité de la ville au milieu de la crise généralisée ont fait de cet endroit un ensemble éclectique qui constitue une nouvelle source d'images sur lui-même et sur sa société.

En réponse au centralisme, les villes régionales, dont Cusco, ne voient plus en Lima le modèle idéal de vie. Aujourd'hui ce sont les pays étrangers, et particulièrement les Etats-Unis qui attirent l'attention.

Le second phénomène de migration cette fois-ci économique a fait qu'un grand groupe de personnes, spécialement des professionnels25(*) soit obligé de chercher de meilleures possibilités de vie à l'extérieur. Le regard est maintenant posé sur l'espace étranger et c'est au travers les yeux de l'étranger, une sorte de miroir, que la société se construit une auto-image.

1.3 Nouvelles manifestations littéraires dans le Sud du pays.

Aujourd'hui, les frontières du néo-indigénisme et du néoréalisme ayant disparu, la scène est ouverte pour les villes de l'intérieur du pays et la récupération des voix des marges. Les écrivains péruviens montrent de moins en moins de désir régionaliste et leur littérature cherche de nouveaux cadres comme une réponse à la progressive décentralisation culturelle que le pays expérimente.

Un mouvement littéraire est ainsi initié à Arequipa vers la fin des années quatre-vingt par le poète et promoteur culturel Alonso Ruiz Rosas. D'autres poètes tels que Patricia Alba, Odi Gonzáles, Oswaldo Chanove et Misael Ramos s'agglutinent autour des magazines Omnibus et Macho Cabrío et la « República de los poetas » regroupe les écrivains les plus importants du pays dans des activités destinées à diffuser la littérature régionale, une série de lectures littéraires et d'atéliers d'écriture redonnent du souffle à l'activité culturelle du Sud péruvien.

La littérature de tendance cusqueñista prolifère à la même époque, sa thématique est présente dans presque toutes les publications faites par la Municipalité ou l'université de Cusco. Un nombre croissant de touristes arrivent à Cusco à la recherche d'expériences mystiques et prodigieuses promises dans les brochures et guides de voyage. La région y est présentée comme une source inépuisable de magie et d'énergie extraordinaire. De nombreux récits littéraires ou guides pour des voyages initiatiques dans lesquels ce stéréotype est renforcé ont été publiés.

A partir de 1986 la narration andine augmente considérablement sa production, fortement influencée par les événements tragiques issus de la subversion (aussi bien du Sentier Lumineux que du Mouvement Túpac Amaru) ses récits offrent des points de vue et des traitements divers sur le sujet. Les auteurs d'origine provinciale sont ceux qui s'occupent le plus du thème de la violence politique mais l'acceptation nationale est faible. Selon Mark Cox, le goût et le marché encore faibles seraient à l'origine de cette situation plus que la qualité même des travaux.

L'anthologie El cuento peruano en los años de violencia26(*) aborde le sujet de la violence politique dans les Andes et l'auteur signale qu'il y a un groupe d'écrivains qui commencent à produire à partir de l'expérience de la guerre subversive. Parmi les écrivains réunis, Dante Castro, Luis Nieto Degregori, Enrique Rosas Paravicino et Jaime Pantigoso Montes, tous nés à Cusco montrent une claire influence de l'indigénisme, mais comme Cox l'affirme, la narration andine qui s'occupe du thème de la violence est un trait de plus dans la littérature péruvienne actuelle.

Néanmoins, au-delà des aspects thématiques, ces modèles narratifs nous parlent aussi de la fugacité de ses messages. Ils constituent des codes expressifs marqués par leur condition éphémère, c'est-à-dire que dans leur propre forme ils communiquent une vision du désespoir qui coïncide avec celle dont leurs arguments parlent.

Une nouvelle ligne narrative apparaît pour enrichir le panorama de la prose de fiction : le récit historique, dont Señores destos Reynos (1994) de Luis Nieto Degregori27(*) (1955) est un exemple intéressant. Nieto réalise une vaste recherche historique sur les événements les plus importants de l'époque coloniale, pour construire dans une prose élégante, des univers où l'influence néo-indigéniste est évidente. D'autres écrivains comme Enrique Rosas Paravicino28(*) (1948) et Jaime Pantigoso s'intéressent aussi à cette voie.

En revanche, la narrative réaliste d'Oswaldo Chanove29(*) (1953) et Mario Guevara30(*) préfère s'éloigner de la tradition, thématiquement dans le cas de Guevara et aussi formellement dans le cas de Chanove.

En effet, Chanove, qui s'initie dans le monde de la littérature à travers la poésie, démontre un fort expérimentalisme ; ceci avait déjà surpris dans une poétique nationale dont les signes dominants étaient la pluralité et la dispersion. Ses premières publications poétiques étaient caractérisées par un fort iconoclasme qui pourrait trouver son origine dans le désenchantement politique et social. Son travail narratif en rend évidemment compte et l'attention est attirée par l'influence d'autres arts, en particulier le cinéma et la musique. De même, il y a une revendication de ce qui est banal, de la production des mass média, la culture pop et les clichés.

C'est alors dans un contexte littéraire individualiste, hétérogène et critique envers l'idéologie du passé où l'écrivain traduit la mise en question permanente de l'image de soi. Qui suis-je ? semble être la question sous-jacente dans la plupart des textes, et puisque cette question n'a pas de réponse, l'écrivain se retourne vers l'autre.

2. L'image de l'étranger (du mot à l'image).

Il est connu que l'image est une représentation verbalisée qui ne reflète pas la réalité mais un ensemble d'aspects basiques d'elle-même. Nous savons aussi que grâce à ces traits basiques l'homme peut la saisir de façon simplifiée, il s'investit d'une certaine assurance et agit en conséquence.

L'image fait partie de la constitution d'une conception du monde. Cette conception étant assimilée par l'éducation et par la société, on peut affirmer que l'image est l'une des façons dont l'homme apprend. L'homme essaie ainsi de se former une image lucide et simplifiée du monde pour surpasser celui de l'expérience en essayant de la lui substituer31(*).

L'image littéraire reprend et récrit ces interprétations verbalisées que l'homme fait sur sa perception de l'univers. Souvent légitimée ou réfutée, l'image littéraire peut servir à transmettre des idéologies parce qu'elle révèle les fonctionnements de la société

Dans les deux oeuvres étudiées, nous verrons comment les images de l'étranger sont construites et combien elles répondent à des considérations sociales, historiques et idéologiques.

2.1 L'étranger, étymologie et institutions.

Deux mots latins pour désigner l'étranger : « hospes » et « hostis ».

La dualité est le signe de l'étranger. L'étranger est l'hôte et l'ennemi.

Hospitalité et hostilité peuvent alors bien définir les sentiments à l'égard de l'Autre. L'étymologie des mots révèle trois acceptions : a) personne qui accueille, b) personne accueillie et dans ce dernier sens, c) étranger32(*). Plus tard, « hostis » acquiert une quatrième acception qui lui assigne la valeur d'« ennemi ». Curieux glissements sémantiques qui mettent en rapport direct celui que nous jugeons digne de notre hospitalité, celui que nous signalons comme étant différent par son origine lointaine et celui envers lequel nous éprouvons une franche hostilité.

Emile Benveniste, écrit dans un article consacré au monde étymologique de l'esclave en latin et en grec :

« [...] l'étranger est nécessairement un ennemi - et, corrélativement, [...] l'ennemi est nécessairement un étranger. C'est toujours parce que celui qui est né au dehors est a priori un ennemi, qu'un engagement mutuel est nécessaire pour établir, entre lui et EGO, des relations d'hospitalité qui ne seraient pas concevables à l'intérieur même de la communauté. Cette dialectique [...] joue déjà dans la notion de philos. [dans la Rome des premiers âges] Les rites, les accords, le traités, interrompent ainsi cette situation permanente d'inter-hostilité qui règne entre les peuples ou les cités. »33(*)

Mais l'étymologie peut nous conduire encore à d'autres réflexions intéressantes. Le mot « extranjero » dérivé du latin  exter (du dehors) et extra (hors de) établit un lien vers les catégories spatiales. Un étranger l'est donc parce qu'il s'est déplacé dans l'espace. Et si en latin « dehors » se dit extra et « près » se dit propre, l'extraneus devient l'im-propius et s'oppose à propius. La langue française, pour qui le propius est « le proche » ou « l'adéquat », lui accorde aussi l'acception de « propre », ce qui est en espagnol « limpio ». L'impropius est ainsi « l'inadéquat », « le non proche », « l'impropre », « el sucio ». L'étranger devient, grâce à ce réseau sémantique, « le sale ».

La notion castillane « limpieza de sangre » comprend en soi la polysémie des mots « propre » et « impropre » et quand on parle de pureté de sang on pense immédiatement aux mots « casto »34(*) et « castizo »35(*), tous les deux dérivés du latin castus (pur, vertueux, chaste).

Comme on peut l'observer, l'étymologie des mots liés à l'étranger est un point de départ intéressant pour la réflexion. L'analyse des conceptions occidentales sur l'étranger que le lexique latin et ses glissements sémantiques évoquaient peut nous permettre d'éclairer le sens présent du mot.

2.1.1 Inka Trail et Señores destos Reynos, deux textes imagotypiques.

Daniel-Henri Pageaux a bien signalé que l'image est un langage parce qu'elle intervient dans un processus de communication (auteur et lecteur étant alors émetteur et récepteur). Le choix délibéré d'une image de l'étranger dans un contexte précis (dans ce cas-ci celui du Pérou contemporain), révèle les rapports qui existent entre le Je et l'Autre36(*). Dans notre étude, la fonction de l'image de l'étranger est donc celle de révéler les rapports entre le métis d'aujourd'hui, l'indigène et le visiteur étranger. L'image de l'étranger a, dans la terminologie de Barthes, une « fonction-signe ».

Inka Trail et Señores destos Reynos sont des textes imagotypiques parce qu'ils peuvent être interprétés (décodés) par le public auquel ces oeuvres sont dirigées. Leur public lecteur connaît totalement ou partiellement le contexte culturel auquel les livres font référence. Il connaît aussi le vocabulaire utilisé et il peut facilement interpréter l'image de l'étranger.

Le langage utilisé par les auteurs est susceptible de générer des réflexes sémantiques plus ou moins univoques. A l'aide de mots-clés, authentifiés par l'histoire, ces textes permettent un décodage plus ou moins immédiat et le message transmis par les images de l'étranger peut aussi avoir un contenu idéologique sous-jacent. « A un moment historique donné, et dans une culture donnée, il n'est pas possible de dire, d `écrire n'importe quoi sur l'Autre », nous dit Pageaux.

2.2 Facteurs constructifs au niveau textuel.

2.2.1 Examen du lexique (Mots-clés et mots-fantasmes).

Notre analyse portera sur l'utilisation de certains mots (les mots-clès et mots-fantasmes auxquels Pageaux fait référence) dans la construction de l'image de l'étranger d'Inka Trail et Señores destos Reynos. Il faut pourtant ne pas oublier que lorsqu'il s'agit de désigner l'étranger, l'utilisation de certains mots est elle-même un signe. En effet, les mots dont chacun des nos auteurs se sert pour le désigner, ne sont pas les seuls pouvant satisfaire à cette fonction. L'utilisation de ces mots est sémantisée par leur style.37(*)

Dans Inka Trail, « gringo », est le mot pour désigner tout étranger. Ce mot péjoratif utilisé à la base pour parler de l'Américain du Nord  est, dans les oeuvres analysées, un terme d'usage généralisé. « Gringo » peut ainsi désigner aussi bien un Suédois qu'un Espagnol. Le mot « extranjero » est très rarement utilisé. D'autres variations sont aussi employées : « crudo » (cru), un mot de l'argot local pour parler de l'étranger en général qui fait référence à sa peau très blanche, comme la pâte du pain qui n'est pas cuite ; « extraterrestre » et « alien », deux mots qui signalent évidemment leur appartenance à un ailleurs lointain et à une flagrante étrangeté ; ou simplement « turista », étranger de passage, au premier abord intéressé par la culture du Je.

Si le mot « gringo » signale initialement l'Autre, une fois celui-ci intégré à l'histoire racontée, il est désigné par son prénom ou par des adjectifs faisant référence à ses traits physiques : « el viejo », « la rubia », etc. De même, l'emploi de la nationalité pour l'identification des personnages est très marqué (« el inglés », « la sueca », « la escocesa »), de façon à former ou à renforcer le stéréotype. Ce procédé est aussi utilisé dans Señores destos Reynos de façon à créer des couples oppositionnels : Inca - Espagnol, Péruvien - Espagnol, et, par extension, indien - métis.

Les personnages nationaux d'Inka Trail sont rarement mentionnés par leur prénom et apparaissent souvent dans l'incarnation de rôles ou fonctions (Manuel : « el cantinero », Víctor : « el cocinero ») contrairement à ce qui se passe avec les personnages de Señores destos Reynos, tous clairement identifiables.

Quant aux mots-fantasmes, il s'agit le plus souvent des mots en quechua qui ont un rapport avec le monde du Je. Certains de ces mots, particulièrement ceux utilisés par Nieto, servent le travail onirique et la communication symbolique. Souvent en rapport à certaines conceptions métaphysiques et philosophiques du monde andin, ces mots ne peuvent être compris qu'accompagnés d'autres mots complémentaires. Ainsi, collana, payan, et cayao symbolisent la tripartition de l'espace symbolique andin et hanan et urin, qui correspondent aux notions de haut et de bas, sont utilisés dans toute conception spatiale.

La création de l'homme selon les Incas commence par les munay, êtres faits pour l'amour. Comme ces êtres sont incomplets, les llank'aq sont créés, ces hommes faits pour le travail ne sont pas heureux. Le troisième âge correspond donc aux yachay, ceux qui savent penser et qui réussissent à harmoniser amour et travail.

L'univers andin est encore divisé en trois parties : l'ukupacha, le monde intérieur ou celui des dieux, le kaypacha, le monde extérieur ou le monde des humains et le hanaqpacha, le monde du bonheur auquel seuls les morts arrivent après un long voyage.

D'autres mots tels que runa (homme initié à la connaissance ésotérique), mallku (condor, oiseau sacré qui présage des événements), apu (dieu qui habite dans la montagne) et ayllu (groupe indigène vivant en communauté, réunit par des liens familiaux ou d'affinité) sont aussi utilisés.

Inka Trail inclut d'autres mots-fantasmes tels que : « Alita de Mosca » et « Caspa del Inca », noms qui font référence aux drogues et qui sont utilisés de façon à créer un effet exotique et à imprégner le monde du Je d'un certain mysticisme.

De même, le mot « brichero », utilisé dans les deux livres, introduit la figure du « latin lover » mystique. Le « brichero », une sorte de guide spirituel et amoureux, fait connaître les secrets de la culture andine ainsi que le « véritable » amour à une étrangère qui avait jusqu'alors fait partie d'un monde automatisé.

L'analyse lexicale nous permet de détecter aussi un grand nombre de mots pris à l'étranger, le plus souvent de l'anglais. La plupart d'entre eux correspondent à des noms de marques : Epson, Longines, Cheroquee, Pilsen, Coca-cola, Boeing, Chianti, BMW, Jack Daniels, More, Scania, Absolut ; des mots d'usage courant : « counter », « jeans », « water », « barman », « daddy », « the boss », « play », « Black label », « Rythm & blues », « Hi Fi », « Windows » ; des personnages de fiction, bande dessinée ou de séries télévisées : Garfield, Indiana Jones, William Body, Billy the kid, Enterprise, Up-Down, Kamikaze. On trouve aussi des mots hispanisés : « broder », « taper », « chef », « metro », « jatear », « sexapil » et les mots en quechua : « huayqui » ou « huayquicha », « capero », « ukukus », « saya »et « kirkincho ».

2.2.2 L'espace et l'étranger.

Le comptage des occurrences montre que du 100% des mentions des lieux spécifiques : 57% font référence à Cusco, 14% à Paris, 9% à New York, 9% à Lima, 7% à d'autres villes européennes et 4% à d'autres villes des Etats-Unis38(*).

Erreur ! Liaison incorrecte.

2.2.3 Morphologie de l'étranger.

L'étranger d'Inka Trail apparaît très rarement sous cette dénomination, des mots populaires ou encore de l'argot sont utilisés à sa place, alors que celui de Señores destos Reynos se fait le plus souvent désigner par sa nationalité :

 

Occurrences

Gringo
Turista

Extranjero

Crudo
Nationalité

Inka Trail

Señores destos Reynos

40

3

8

1

2

-

2

1

70

62

a) Saisie extérieure des personnages :

Les premiers signes de différentiation entre les personnes ont évidemment un rapport avec leur aspect physique. Dans le tableau suivant, certaines caractéristiques générales nous aideront à comprendre que l'image de l'étranger et la distance entre le Je et l'Autre, se construisent très souvent à partir des différentiations telles que la couleur des yeux ou le teint de peau.

L'étranger est, donc, clairement différenciable par son physique. Le procédé d'éloignement par le physique fait qu'aucun péruvien ne peut être confondu avec un étranger. Or, dans le groupe de personnages péruviens il est encore possible d'établir certaines différences entre les personnages andins et ceux de la côte. Cet éloignement étant trop subtil, les auteurs ont recours aux vêtements et aux traits de caractère.

Caractéristiques générales
(personnages principaux)

 
 

Yeux

Cheveux

Peau

Taille

Noirs

Clairs

Foncés

Clairs

Mate

Blanche

Basse

Moyenne

Grande

Personnages Inka Trail

Alias

Tupi

Autres Cusqueños

Memo

Arturo

Manuel

Gerardo

Autres Costeños

Helène

April

Stephen

Oliver

Autres touristes

Personnages S.d.Reynos

Parte Uno

Manco

Espagnols

Beatriz

Mariano

María Nieves

Parte Dos

Propriétaire

Fernando

Sonia

Abelardo

Laura

Gonzalo

X

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Le « brichero » est caractérisé de la façon suivante :

« Tupi Velázquez vestía de negro como fondo a un chaleco colorido con motivos prehispánicos. Coronaba su densa cabellera con el viejo sombrero de paño de José Gabriel Condorcanqui, Túpac Amaru, su antepasado inmediato. Llevaba, además, colgado en su pecho, un medallón de oro puro que le fue entregado a su padre, y al padre de su padre, y al de éste y al de éste. Su muñeca estaba ceñida por un lazo tejido por un artesano semiciego, implacable en cada puntada. »39(*)

« ...cabello largo, sombrero Túpac Amaru, chaleco de Taquile y camisa de bayeta... »40(*)

- Nationalité de l'étranger.

L'analyse des deux livres nous permet de détecter une grande diversité de personnages. L'étranger y est en grand nombre. De la soixantaine de personnages d'Inka Trail, 10 sont des personnages principaux et parmi eux, 6 sont des péruviens et 4 viennent d'autres pays. Des personnages péruviens seulement 2 sont de Cusco, les 4 autres viennent de la côte du pays dont 2 de Lima.

Señores destos Reynos rassemble dans sa première partie plus de 60 personnages, 10 personnages principaux dont 3 indigènes, 3 métis et 4 espagnols. Dans sa deuxième partie il y a un total de 40 personnages, dont 6 principaux : 5 de Cusco et 1 étranger.

Origines des

Personnages

Señores destos Reynos
Inka Trail

Masculin

Féminin

Total

Masculin

Féminin

Total

De Cusco (métis)

De Cusco (indig.)

De Lima

De Arequipa

Autres péruv.

Chilien

Argentin

Américains

Français

Anglais

Espagnol

Allemand

Hollandais

Belge

Autres

18

20

2

-

-

-

-

-

2

-

29

-

-

-

-

15

8

-

-

-

-

-

-

-

-

7

-

-

-

-

33

28

2

-

-

-

-

-

2

-

36

-

-

-

-

9

1

8

2

11

1

1

3

1

1

1

-

-

-

5

9

0

2

2

-

-

-

2

3

2

-

2

2

1

4

18

1

10

4

11

1

1

5

4

3

1

2

2

1

9

Il faut souligner la profusion de personnages masculins nationaux et féminins étrangers.

Erreur ! Liaison incorrecte.

Les noms et prénoms des personnages sont souvent substitués par leur nationalité ou lieu d'origine dans un procédé de nature métonymique. Cette constante mise en relief de l'altérité du personnage, au détriment d'autres caractéristiques, finit par le réduire au stéréotype et par le rendre en quelque sorte interchangeable :

- Profession ou activité de l'étranger

Le personnage a aussi une fonction sociale. L'importance de cette fonction est fortement déterminée par son activité économique, métier ou profession. Dans le cadre suivant nous pouvons distinguer les activités et professions choisies pour caractériser l'étranger dans les oeuvres analysées :

Profession/activité

De Cusco

De Lima

D'autres pays

Paysan

Anthropologue

Brichero

Patron

Guide Touristique

Chauffeur de taxi

Médecin, avocat

Fonctionnaire

Commerçant

Réalisateur

Mannequin

Ecologiste

Publicitaire

16

3

5

1

2

2

1

1

1

-

-

-

-

-

-

-

3

1

-

-

2

1

-

-

-

-

-

4

-

-

-

-

1

-

-

1

1

1

1

La plupart des personnages étrangers sont des gens éduqués, avec un bon niveau culturel et sans grandes difficultés économiques. Les auteurs choisissent souvent de les placer dans le cadre du loisir ou d'études lorsqu'il s'agit d'anthropologues ou ethnologues. Aucun des personnages principaux ne travaille de façon permanente à Cusco et les seules activités occasionnelles qu'ils exercent sont celles qui les mettent en contact avec leurs semblables : guide de tourisme, barman, etc.

Le Je pour sa part, exerce différentes activités, il est aussi bien un professionnel de bon niveau culturel (anthropologue, médecin, avocat) qu'un paysan, mais leurs métiers ont souvent un rapport avec l'activité touristique.

b) Saisie intérieure de l'étranger.

La saisie intérieure de l'étranger est souvent faite en termes absolus, particulièrement dans le cas de Señores destos Reynos. Tant le Je comme l'Autre sont caracterisés de façon opposée, la confrontation entre les bons et les méchants est la marque distinctive de la première partie du livre ; dans la deuxième partie cet effet est atténué. Inka Trail, pour sa part, pousse au bout certains traits des personnages et l'effet est proche de la caricature.

L'Inca est ainsi passionné : « En el afán de recuperar a esa mujer, su única luz entre tanta tiniebla, [...] quiso atraer [le conquistador] a una celada », et n'éprouve aucune rancune : « Por qué me has hecho esto?, le preguntó sin rencor ». L'Inca est digne et majestueux, capable d'imposer le silence avec un simple mouvement de mains. Sa nature est divine et il est vénéré par ses citoyens : « ...la cabeza del príncipe [...] en lugar de ser envilecida por los gusanos, estaba día a día embelleciendo... ».

L'indigène est courageux et vaillant, il se bat héroïquement. Son univers est celui de la magie et du monde naturel : « ...tenían el don de ver lo venidero en las nervaduras de las hojas, en las vísceras del cuy, en el corazón de las llamas... ».

L'indigène souffre à cause de sa nouvelle condition : « menospreciada en su propio país y apartada de su gente, no acababa de comprender cuál era su lugar en un mundo tan hostil » . Il vit en profonde tristesse : « una profunda melancolía [...] caló en su alma y dejó huella en su semblante ».

Quant aux étrangers, les métis sont conjurateurs et lâches : « pusilánimes, medrosos, sin esas partes nobles que [son] signo de hombría », et les Espagnols leur apparaissent en tant qu'êtres magiques : «... tenían truenos que mataban a la distancia... », « ...podían conversar [...] mediante unos pañuelos blancos... », « No serían de verdad enviados de Viracocha o de un dios aún más poderoso? ». Ils symbolisent le mal, ils sont dangereux et ils n'ont pas de merci : « ...no se fíen de la gente española porque no son enviados del Viracocha sino siervos del supay, hijos del demonio... », « [el virrey] es sumamente peligroso, fríamente calculador y extremadamente soberbio », « ni siquiera las montañas más inexpugnables ni los ríos más caudalosos eran obstáculo insalvable para ellos », « el virrey Toledo dio muestras de cuán inflexible podía ser ». Le Je les méprise car ils sont peu virils, cupides et voleurs : « [Toledo] el yana del rey de España », « el muy puerco », « como marido y hombre era tan poquísima cosa que la había defraudado », « se llevó la más sagrada de las reliquias,[...] además de otros cuantiosos tesoros y de un rebaño de cincuenta mil llamas », « extranjero usurpador que había robado tierras y hombres», « el verdadero dios de los españoles era el oro, [...] por ese metal estaban dispuestos a matar a sus propios padres y hermanos. », « la voraz codicia de los españoles », « su codicioso esposo », « el verdadero dios de los españoles era el oro y [...] la codicia guiaba sus actos », « lo que movió al capitán [...] fue el deseo de hacerse con los aderezos de oro de Túpac Amaru y con la jugosa recompensa... ».

La cruauté des Espagnols n'a pas de limites : « Todo en adelante fueron desgracias, vejámenes y saqueos [...] las peores humillaciones », « mont[ó] en cólera y viol[ó a Cura Ocllo y orden[ó] luego que la varearan, flecharan y arrojaran su cuerpo al río en una cesta... », « pérfidos invasores ». L'indigène ne peut rien contre eux car ils sont astucieux, faux et traîtres : « intentó superar a los barbudos en el arte del engaño y la traición », « ...no se deje engañar por los españoles, que lo único que buscan es echarle una argolla en el pescuezo... », « Y si los españoles, como hacían siempre, burlaban al Inca... ? », « habían engañado con malas artes », « ...fue con palabras melosas como me engañaron [dit l'Inca avant de mourir] ».

L'étranger méprise le Je, cependant celui-ci lui reconnaît sa bravoure : « [Le mari espagnol de Beatriz] no perdía oportunidad de denigrar a la nobleza cusqueña », « [les Espagnols] mostraron gran arrojo ».

En ce qui concerne l'étranger contemporain, il convient de signaler séparément les traits de caractère de l'indigène, de l'habitant de la côte et du touriste.

L'indigène apparaît humble et soumis mais aussi traître, rancunier, violent et vengeur : « ...Malisco, indio renegado y rastrero... », « ....fue el traidor Mamani el que sujetó las bridas de tu caballo ? », « ...basta una chispa para inflamar la ira y el rencor que el indio ha acumulado contra los blancos... », « ...respondieron con actos horripilantes, arrancándote la barba, sacándote los ojos, cortándote la lengua... », « ...y tumbaron la puerta, y me pegaron, y me quebraron los huesos de brazos y piernas, y me cortaron la lengua, y me saltaron los ojos y -para que nunca te metas con nuestras mujeres diciendo- me castraron... ».

Lui et son monde restent éloignés et mystérieux et le Je est partagé entre la fascination et le mépris envers eux : «  [j'étais] uno el que hablaba de los sufrimientos de los indios y otro el que los hacía trabajar por cuatro reales, uno el que estaba orgulloso de ellos y otro el que los despreciaba. », « El detonante [...] fue la innoble y destemplada reacción de los mistis del lugar, ante el nombramiento de un indígena [...] como gobernador del pueblo. », « ...es necesario escribir con dedicación y cariño la historia de las luchas campesinas y entregar la existencia a esa causa », « ...indio mugriento y piojoso de autoridad... ».

L'habitant de la côte est pour sa part bavard, extraverti et vantard. Il se lie d'amitié facilement mais dans ses rapports il y a, sous-jacents, un fort complexe de supériorité et un sentiment raciste envers l'habitant de la sierra : « Unos metros más allá, junto al muro, un sujeto flaco, de cabello castaño y de tez porosa los miraba fijamente. Dijo: -Cholo de mierda! », « La esposa del gerente era de provincias y odiaba la servidumbre de la capital. Decía que estaban todos maleados. -Rateros! », « ...Gerardo explicaba, con ese tono pedante característico de los no nacidos en la Capital Imperial, cómo los urbanistas cusqueños contemporáneos se habían ganado laboriosamente el título de perfectos imbéciles. »

Le touriste européen ou américain du Nord apparaît le plus souvent comme un individu sympathique et communicatif, insouciant, impulsif, curieux et extravagant, toujours à la recherche de soi, de nature libre et sans préjugés : «-Hola patas -saludaba, intentando mitigar la natural aspereza que le imponía su lengua y acortar así las distancias. », « [Stephen] me estrechó la mano con calidez paternal. No parecía recordar nada desagradable en su vida larga y llena de oprobio. », « -No eres de ningún lugar? -se burló él. -Soy de una ciudad. Todas las grandes ciudades son iguales. », « las hondas arrugas que configuraban aquel rostro neoyorquino no exhibían su exaltación característica sino que parecían suavizadas por la luz transparente de un nuevo día en el Imperio de los Incas. »

Attaché à ses habitudes : « Apareció un gringo que a pesar de la cordillera de los Andes seguía aferrado a su chaqueta de tweed. ». Sale ou propre selon les origines : « La complicidad del idioma común, de la piel, del código de señales, de la escasa tolerancia ante las bacterias. », « -Qué tal el viejo mundo? -Son peores que nosotros: se bañan cada quince días. ». Strict, décidé et profondement individualiste.

La femme étrangère est indépendante et sa sexualité est débordante, caractéristiques décrites de façon positive : « Helène bailaba a pocos metros, sola, con movimientos ondulantes que parecían dictados por una necesidad de explicar algo. », « Frente a Manuel se habían ubicado dos fulanas que emitían su sexapil con cierta impaciencia », « Katjia era una gigante. Pero era la reina del reino de las gigantes. Tal vez medía dos metros pero eran dos metros llenos de amor. » Son excentricité et son hystérie sont des traits négatifs soulignés de façon répétée : « A pocos pasos se agitaba un alien. Sin duda era norteamericano, pero de ascendencia sueca o danesa. En su amarillento brazo derecho ostentaba un complicado tatuaje. », « ..una joven europea lucía un ancho pantalón floreado que denunciaba su franca opinión sobre los principios generales de la estética. », « -Es una gringa loca, pero lo que pasa es que hemos enganchado. », « Contó que Helène era una loca.[...] - Lo que más odio son las mujeres histéricas -gritó. », « -Está loca -dijo el chileno-. Ya te lo dije. »

La religion, les croyances et les partis pris de l'étranger sont traités avec une certaine ironie : « ...un estado de nervios que nadie sabía explicar [...] terminó siendo achacado a la acción del maligno », « ...rezos y penitencias fueron el remedio... », « el severo Dios de los cristianos », « Las alemanas expertas en ecología jamás tocan los pelos de sus axilas. Y estos crecen exuberantes. No mancillan tampoco el lugar con productos químicos. », « El Atómico mostró una sonrisa iluminada e informó, con palabras rebuscadas, algo sobre el centro magnético del universo. -Hay un encuentro. Han venido maestros de renombre mundial -detalló. Parecía contento. »

- Le parler de l'étranger.

Pour traiter le thème du parler de l'étranger dans les oeuvres analysées il est nécessaire de faire quelques observations :

- Il faut, en premier lieu, dire que tous les personnages étrangers ne parlent pas dans les textes étudiés.

- Il faut noter ensuite que, lorsque les personnages étrangers parlent, le texte ne transmet pas toujours leurs paroles par l'entremise du discours direct.

- En dernier lieu, il faut souligner que, même lorsque les paroles de l'étranger sont retranscrites dans un discours direct, il existe une convention littéraire tacite selon laquelle tout personnage, même étranger, s'exprime dans la langue dans laquelle est écrite l'oeuvre narrative. Cependant, dans le cas d'Inka Trail, il est possible de trouver quelques phrases en anglais, particulièrement lorsque les personnages étrangers parlent entre eux.

Selon cette convention les textes peuvent choisir de ne pas retranscrire les nuances particulières de l'accent de chacun (de fait, dans les textes que nous analysons, 40 personnages étrangers sur 44,- c'est-à-dire 90% des personnages étrangers du corpus- ou bien ne parlent pas ou bien, s'ils le font, ils s'expriment dans un espagnol neutre), ce qui arrive dans presque la totalité des cas :

« -O sea que tú eres nada menos que el cantinero -dijo el anciano, con un castellano aprendido en Tijuana.

Examiné sus ojos azules que parecían esmaltados a fuego vivo.

-Vives para mezclar tragos que no son para ti? »

Quant aux paysans indigènes ou indigènes de la ville, il faut souligner que leur origine ne peut être déterminée que par leur parler. C'est à travers la subtilité du langage que les différences régionales sont établies.

Dans ce contexte, les personnages de la côte sont reconnaissables par leur utilisation de l'argot et de clichées :

« - Aprendí a imponerme -siguió Gerardo-. Alquilé un depto en un edificio que daba al Golf -arqueó una ceja-. Hasta les dejaba sus dolarillos a mis viejitos.

-Lo importante no es sólo ser el mejor sino parecerlo.

Soltó una carcajada.

Manuel llenó un vaso hasta el borde con agua mineral.

-Tú nunca chupas? -le preguntó Gerardo por enésima vez. »

Les personnages de la sierra parlent en argot s'ils habitent dans la ville et les paysans ne le font pas :

« -Yo era durazo, compadre, pero creo que eso a ella no le molestaba. Ahí empecé a entender que a las crudas les gustamos nosotros los indios de mierda. »

« -Qué le pasa, maestro? -se sorprendió el otro, divertido.

-Tienes vaina? -preguntó Manuel.

Tupi lo estudió un instante.

-A usted le gusta la cochinada.

-Dos mogras -dijo el cantinero, entregándole el billete. »

Le quechua est la langue douce que les indigènes luttent pour conserver et parler l'espagnol est pour eux l'équivalent d'un châtiment : « [le quechua était] el idioma dulce en el que [Beatriz] se comunicaba con su madre », « [L'espagnol] tortura[ba] su entendimiento ». La langue sert aussi à rapprocher le Je et l'Autre : « ... el suave torrente del quechua borraba la hosquedad de los rostros y todos, embrujados por las palabras, olvidaban que ahora él era un intruso... »

- Cadre spatio-temporel de l'étranger :

L'analyse des deux oeuvres porte sur deux moments historiques différents. Dans ces deux contextes on est confronté à des situations sociales, économiques et politiques qui déterminent le statut d'étranger.

Señores destos Reynos, qui traite dans sa première partie la période de la conquête espagnole et les débuts de la Colonie, présente un étranger conquérant. Les rapports entre l'étranger et le natif sont conflictuels, leur confrontation est violente car c'est la rencontre de mondes antagoniques et inconnus l'un pour l'autre. Cet étranger envahi, détruit, s'impose.

La vision actuelle de cet étranger du passé est particulièrement polarisée et stéréotypée. Le poids psychologique et idéologique dans l'interprétation d'un moment historique que l'auteur n'a pas vécu est clairement perceptible.

Dans un contexte différent, l'Autre de l'époque contemporaine est aussi bien l'indigène que le touriste étranger. Señores destos Reynos (dans sa deuxième partie) et Inka Trail explorent le tissu social contemporain et l'interaction entre le touriste et le métis. Si dans le cas de l'indigène nos auteurs exposent aussi bien le conflit que la cohabitation ; dans le cas du touriste, il s'agit plutôt de l'observation mutuelle car nul n'envahit le monde de l'autre et leur contact est bref.

2.2.4 Symbolique onomastique

Le choix du nom propre revêt une importance capitale dans la littérature réaliste. En effet, au-delà de la fonction de désignation, le nom propre de l'étranger est aussi porteur de connotations de caractère symbolique.

Les noms et prénoms attribués aux personnages des deux oeuvres portent en eux les échos des langues étrangères ou des temps anciens. Le personnage étranger subit ainsi une sorte de dissolution de sa particularité individuelle car son nom propre est associé à une communauté.

Lorsque nous considérons la question du nom propre des personnages étrangers dans nos deux oeuvres, force est de souligner, tout d'abord, que le 45 % des personnages étrangers n'ont ni prénom ni nom, 5 % n'ont qu'un prénom, 2 % ont seulement un nom de famille et 48 % ont et un nom et un prénom.

Dans le choix d'un nom propre, deux types de mécanismes sont mis en oeuvre : sa configuration phonique, qui se limite à mettre en évidence l'appartenance de ce nom à une certaine langue étrangère et, par ce biais, à une certaine communauté d'origine ; et ses connotations associatives, qui inscrivent le nom propre (donc le personnage qu'il désigne) dans certains réseaux sémantiques de la langue castillane.

Les noms propres des personnages des oeuvres étudiées ont une configuration phonique telle que le lecteur est capable d'identifier immédiatement leur communauté d'origine.

Certains noms et prénoms font référence aux communautés étrangères : allemande (Heide, Siggi Haas), française (Helène), hollandaise (Katja, Marion), anglo-saxonne (April, Stephen, Oliver), et aussi aux groupes régionaux du pays : de la côte (Arturo, Manuel) et de la sierra (Pascucha, Carmena, Agripina, Adela, Malisco). Dans ce dernier cas, le caractère métis de la combinaison de prénoms et noms sert à différencier les personnages d'origine Quechua et, à quelques exceptions près, l'habitant rural (Adriana Condori, Teodomiro Gutiérrez, Benito Kana, Josefa Chillo, Túpac Velásquez) de l'habitant de la ville (Gerardo Villegas, Manuel Zapata).

La fonction du nom propre n'est pourtant pas seulement celle d'identifier le personnage en tant qu'individu et, dans le cas de l'étranger, en tant que membre d'une communauté d'origine. Les sèmes que le nom possède ou évoque par association avec certains mots de la langue espagnole y ajoutent d'autres connotations.

Ce mécanisme, dénommé, « motivation » du nom, cherche à renforcer certains aspects de la caractérisation d'un personnage et rend le texte « lisible » (selon les termes de Roland Barthes) 41(*), cette « légibilité » étant l'objectif essentiel de la fiction réaliste.

Philippe Hamon affirme que dans la fiction réaliste « la famille forme une sorte de champ dérivationnel `motivé', `transparent' (Saussure), où les noms jouent un rôle de radicaux véhiculant une certaine information [...] et les prénoms, celui d'une sorte de flexion apportant une information complémentaire [...], structures fonctionnant comme une sorte de `grammaire' des personnages (mode de classement, restrictions sélectives, prévisibilité de comportement, etc.)42(*)»

Dans Inka Trail la motivation du prénom est particulièrement importante car il préfigure les traits de caractère des personnages que le lecteur découvre progressivement dans la lecture. Cette motivation explique le prénom du protagoniste : Manuel, (du latin manualis ou manuarius : main, symbole de la force et de l'autorité maritale sur la femme, et voleur), qui s'enferme dans sa chambre pour écrire, qui aime les femmes et qui finit par causer la mort de son rival pour lui prendre la sienne. Arturo (de arto : étroit, serré, réduit), est le machiste vantard, affectueux et profiteur, propriétaire de l'Enterprise, son petit monde, en dehors duquel il n'« existe » pas. Gerardo Villegas (de villa, nom lié à l'idée d'une ville dans son acception de lieu qui jouit de petits privilèges) est le jeune cadre aisé et talentueux qui laisse ses commodités et son ambiance à la mode à Lima pour reconstruire sa vie à Cusco. Túpac Velásquez dont le nom même signale son hétérogénéité est à la fois descendent direct d'un Inca, brichero professionnel, trafiquant de drogues et grand voyageur.

Le prénom a la même importance lorsqu'il s'agit des personnages féminins. Hélène43(*) est ainsi l'étrangère mariée à un habitant local dont l'union enflammée bascule entre l'ici et l'ailleurs et sépare le Je de ses semblables. April44(*), l'étrangère dont la beauté et la féminité séduisent le Je, découvre et fait découvrir à ses partenaires une seconde vie. Alias45(*) est la jeune et mystérieuse fille du pays, insaisissable et étrangère à tous les autres personnages, qui finira inexplicablement par s'approprier l'Enterprise et le renommer Inka Trail.

Dans la première partie de Señores destos Reynos, Nieto met en scène des personnages historiques et choisit de conserver leurs noms et prénoms. Dans la deuxième partie, l'onomastique des personnages est aussi évocatrice que celle d'Inka Trail. Nous avons ainsi Laura Cristóbal, dont le nom nous rappelle évidemment le prénom de Christophe Colomb, ce qui instaure l'idée de la découverte, et Gonzalo, prénom du « dernier inca », est aussi celui de Gonzalo Pizarro, l'un des premiers conquistadores arrivés à Cusco.

Il est évident que dans les oeuvres étudiées la signification du nom renforce et arrive même à synthétiser ou condenser le jugement de valeur que le texte assigne au personnage

2.3 Le stéréotype.

Etymologiquement le stéréotype correspond à l'idée de « type solidifié » (stereos : solide), il est « l'image figée qu'un groupe diffuse de lui-même et des autres »46(*), il relève donc du préconçu. Les stéréotypes désignent des « unités préfabriquées à travers lesquelles se révèle le discours de l'Autre »47(*), affirme Amossy et John Harding signale ses caractéristiques les plus importantes :

1) il est simple plutôt que complexe ou différencié ;

2) il est erroné plutôt que correct ;

3) il a été acquis de seconde main plutôt que par une expérience directe avec la réalité qu'il est censé représenter, et

4) il résiste au changement.

Claude Duchet fait aussi référence au caractère de « discours déjà tenu » du stéréotype. Le stéréotype ferait donc partie du déjà-dit.

A ce point le stéréotype pourrait apparaître comme un mécanisme plutôt nocif. Or, il peut aussi avoir un caractère bénéfique. Les sociologues affirment que le stéréotype protège une communauté contre toute menace de changement et lui permet de perpétuer des éléments de son histoire.

La force historique des stéréotypes réside ainsi plus dans leur valeur de reconnaissance que dans leur valeur de réalité. Les stéréotypes fonctionnent parce qu'ils sont familiers au lecteur et parce que celui-ci finit par confondre leur familiarité et leur validité.

Le stéréotype a toujours été présent dans l'histoire de l'homme ; on sait aujourd'hui que la représentation des personnages d'une nation particulière en tant que tradition textuelle obéit à certaines règles préétablies et indépendantes de la réalité politique et sociale du moment.

Deux de ces constantes sont intéressantes pour notre analyse48(*) :

- La périphérie d'une zone particulière est plus traditionnelle, atemporelle, réactionnaire et « naturelle » ; le centre de cette zone est plus cosmopolite, moderne, progressif, « culturel ». Or, ces valeurs peuvent acquérir, selon le contexte, un caractère positif ou négatif.

Prenons le Pérou avec Lima pour centre et les autres départements, dont Cusco en tant que périphérie. Prenons une région : Cusco en tant que centre et la campagne et les alentours comme périphérie. Prenons encore le monde : l'Europe et les Etats-Unis comme centre et le Tiers Monde en tant que périphérie. Dans tous ces cas le tempérament attribué au centre et à la périphérie est similaire structurellement : développement et changement contre tradition et retard.

- Les stéréotypes nationaux sont souvent contradictoires d'une façon spécifique : leur attribut le plus caractéristique suppose son opposé. Ainsi, l'Inca est courageux, loyal, stratège mais aussi lâche, traître et naïf ; les conquistadores sont vaillants et ambitieux, mais aussi vils et cupides ; le touriste anglo-saxon est soit sérieux, distant, rationnel soit informel, passionné, excentrique. Le cliché ultime que l'on puisse dire d'une nation est qu'elle est pleine de contrastes. L'indigène proche du primitif sauvage, et l'indigène détenteur d'un savoir millénaire sont ainsi, pour les auteurs qui réconcilient aujourd'hui ces deux positions, un seul individu à la fois attaché aux traditions archaïques et à la fois habile pour s'habituer aux nouvelles circonstances et en tirer profit.

2.3.1 Des personnages stéréotypés

Le choix du nom ou prénom des personnages dans les deux oeuvres et plus particulièrement dans Inka Trail, tend vers l'indifférenciation de l'individu en faveur de l'association au stéréotype d'une communauté. L'image de la communauté d'origine sert au lecteur comme cadre de référence pour comprendre l'altérité de celui qui ne partage avec lui ni l'histoire, ni les codes sociocognitifs, ni les affects, ni même, dans la plupart des cas, la langue. Le stéréotype s'interpose entre l'observateur et la réalité de façon presque systématique. Dans la caractérisation des personnages étrangers, la simple attribution d'un nom est conditionnée dès le début par des facteurs d'ordre idéologique.

La « légibilité » des oeuvres étudiées est atteinte dans la mesure où le sens du nom propre des personnages fonctionne comme dispositif de redondance sur le plan idéologique. Le choix onomastique est lié aux thèmes de la découverte, du conflit, du voyage et de la séduction.

L'Autre

Stéréotype positif

Stéréotype négatif

Passé

Inca

(Nieto)

Beau, noble, passionné, courageux, digne dans la défaite, généreux, nostalgique, puissant.

Fataliste, autoritaire.

Métis

(Nieto)

Bon négociateur, fidèle à la tradition, courageux.

Lâche, traître, pusillanime.

Conquistador

(Nieto)

Aventurier, vaillant, fidèle, obéissant, magnanime.

Assassin, peureux, cupide, traître, cruel.

Présent

« Cholo »

(Nieto, Chanove)

Habile, humble, martyr, travailleur, fidèle.

Brute, vaniteux, violent, feignant, traître.

« Brichero »

(Nieto Chanove)

Sensuel, mystérieux, tendre, attentif.

Dissolu, infidèle, machiste, intéressé, égoïste.

« Limeño »

(Chanove)

Extraverti, sociable, gai.

Vantard, beau parleur, agressif.

« Gringo »

(Nieto, Chanove)

Riche, aventurier, crédible, sérieux, propre, gentil, bon vivant, généreux.

Pauvre, peu crédible, informel, immoral, sale, dangereux, drogué, profiteur, individualiste

L'Inca est ainsi noble, passionné et courageux, digne dans la défaite. Vaincu, il est nostalgique et mélancolique mais n'éprouve pas de rancune. L'Inca est de nature divine et son univers, profondément lié à la nature et à la magie.

L'Espagnol est cruel et traître, capable des pires atrocités mais aussi un brave aventurier.

Les traits de l'indigène contemporain ont souvent un rapport avec les questions affectives, il peut être tendre et fidèle ainsi que violent, machiste et feignant. Le touriste et le « limeño » sont, de leur côté, stéréotypés en fonction de leur comportement social et leur condition économique.

En ce qui concerne les stéréotypes du passé, l'écriture de Nieto est traditionnelle. Tout comme la tradition qui définit le bon, le beau et le vrai par leur fidélité aux stéréotypes, l'écriture de Nieto est dans ce cas en conformité aux normes dominantes. Curieusement, dans son travail sur l'époque contemporaine il y a un changement d `approche. Les stéréotypes sont renversés et il y a une quête de nouveauté et de surprise.

Chanove, pour sa part, fait une sorte de déconstruction générale dont l'objectif semble être, plus que la simple opposition au stéréotype, celui de jouer avec le langage. Il y a un intérêt à préserver sa polysémie et les incertitudes qui en résultent.

Certains personnages utilisent les stéréotypes idéalisés de l'amant latin et de la culture Inca comme des outils pour la conquête des femmes étrangères (« gringas »).

Il est intéressant de signaler que, lorsqu'il s'agit du touriste, tant Nieto comme Chanove montrent que la façon dont le Je et l'Autre se rapprochent, tend aussi vers la stéréotypie.

Le tourisme est « la généralisation d'un mode de connaissance »49(*) dit Jean-Didier Urbain, ce qui appelle à la réflexion sur l'impossibilité, pour le touriste, de s'échapper des limites. La figure du touriste est aussi quelque peu stéréotypée. A la différence du voyageur, le touriste a une approche superficielle et artificielle de la culture de l'Autre. Le voyageur serait donc une sorte d'initié et le voyage serait une pratique partagée entre initiés. La différence entre le touriste et le voyageur se place alors du côté de l'authenticité.

2.3.2 Stéréotype et lecture littéraire.

On part du principe que le lecteur est capable de manipuler des stéréotypes et que sa liberté de lecture ne peut s'exercer qu'à partir de la reconnaissance de ces structures de sens minimales.

L'évaluation d'un texte littéraire reposera ainsi, selon Claude Lafarge, sur un double processus : a) la célébration par le lecteur des « clichés » qui forment sa « compétence » et, b) la célébration des éléments qui s'écartent de cette compétence.

Le lecteur devrait alors pouvoir combler son « horizon d'attente » en reconnaissant des formules familières mais en même temps devrait attendre du texte un minimum d'information, « que le stéréotype soit actualisé de manière quelque peu inédite »50(*).

La lecture des deux livres analysés est canalisée et modalisée par la manière dont ces stéréotypes se trouvent énoncés.

Inka Trail installe le lecteur dans un espace de tension, cette tension étant créée par le plaisir de la célébration des stéréotypes et le plaisir de les mettre à distance. Les stéréotypes agissent au troisième degré, ils sont tour à tour légitimés et dénoncés, utilisés et déconstruits. On part des préjugés physiques et psychologiques sur l'étranger, validés par l'écriture, qui sont ensuite relativisés.

Le cas de ce roman est intéressant parce que l'auteur met en évidence le texte en tant que construction verbale par l'utilisation manifeste et non pas sans ironie des signifiants reçus. Les formules préconstruites, les lieux communs, dans le sens de « formules banales » sont elles-mêmes déjouées. Si le banal se situe du côté de la très forte chance d'apparition, les lieux communs d'Inka Trail n'ont pas d'effet de banalité. Au contraire, ces lieux communs produisent un effet de surprise.

Dans Señores destos Reynos les stéréotypes apparaissent tant au premier degré qu'au deuxième. L'observation révèle qu'il n'y a pas une mise à distance des stéréotypes historiques sur le conquistador et l'Inca. Leurs images classiques (conquistador cruel et cupide et Inca noble et courageux) ne sont pas renouvelées. Or les stéréotypes actuels sur le même et l'Autre apparaissent au deuxième degré ; fortement critiqués, leur mise à distance est constante ce qui empêche l'adhésion aux valeurs qu'ils véhiculent. Curieusement la critique s'étend aux personnages et groupes sociaux dont les attitudes révèlent l'exploitation des stéréotypes historiques.

Le lecteur d'Inka Trail et Señores destos Reynos est ainsi confronté au désir de censurer la mise à distance des idées préconçues sur le passé et à la validation sur le plan éthique, esthétique et référentiel des stéréotypes historiques sur l'altérité.

2.3.3 L'écriture à thèse.

La première partie de Señores destos Reynos se rapproche de la littérature à thèse. Les traits avec lesquels Susan Rubin Suleiman élabore sa définition du « roman à thèse » d'un point de vue théorique peuvent bien être généralisés pour parler de littérature à thèse : la littérature à thèse s'inscrit ainsi dans le canon réaliste, sa fiction véhicule un message doctrinal et il y a un lien d'intertextualité monologique du texte de fiction par rapport au discours de la doctrine. De même, le pluriel du texte est réduit par le biais de la redondance opérant à plusieurs niveaux pour transmettre un sens virtuellement unique. Le monde présenté est dominé par une sorte de manichéisme qui sépare les bons d'un côté et les méchants de l'autre et l'interprétation des personnages est toujours claire. Les commentaires interprétatifs du narrateur laissent la place à un sens unique d'interprétation des actions.

Les limites entre réalité et fiction des récits de Nieto sont très faibles. Tout d'abord, parce qu'il s'agit de récritures de faits historiques consignés dans des chroniques du XVIème siècle et des recherches spécialisées, et ensuite parce que ces récits naissent dans un contexte très précis : la célébration de l'arrivé des espagnols en Amérique en 1992, le nouvel élan pris par les études indigénistes dans les deux dernières décennies et l'officialisation de l'idéologie incaniste par le gouvernement local entre 1990 et 1995.

Les récits de la première partie du livre ont un sens qui va au-delà des faits qu'ils évoquent et des personnages qu'ils mettent en scène. Ils ont aussi un caractère rhétorique dans le sens littéral de ce terme (rhétorique : art de la persuasion). L'histoire narrée dans les quatre récits est en rapport avec la vie des indigènes et des espagnols après leur arrivée au Pérou. Sont également traitées leurs relations, amicales ou conflictuelles, dans le contexte de la destruction de l'empire Inca et de l'établissement de la vice-royauté. De cette histoire peuvent se dégager deux thèses : soit la présence de l'étranger (le conquistador) est positive pour le pays, soit elle est nuisible. Nieto est plus proche de la dernière, c'est-à-dire du côté des idéologies indigéniste et incaniste.

L'idéologie incaniste, qui exalte les gloires de l'empire disparu est accompagnée d'un sentiment xénophobe à l'égard de l'Espagnol conquistador. La polarisation idéologique fonctionne comme principe structurel organisateur et comme thème fondamental des textes. Deux espaces sémantiques ou plutôt idéologiques peuvent ainsi être distingués : l'un d'eux, concernant le Je, doté du signe de l'euphorie (valorisation positive absolue) et le deuxième, en rapport avec l'Autre, doté du signe de la dysphorie (valorisation négative absolue).

3. La relation hiérarchisée de l'image de l'étranger. (Dimension idéologique des facteurs constructifs).

3.1 Le cadre spatio-temporel : la topographie de l'étranger.

N'appartenir à aucun lieu, aucun temps, aucun amour. L'origine perdue, l'enracinement impossible, la mémoire plongeante, le présent en suspens. L'espace de l'étranger est un train en marche, un avion en vol, la transition même qui exclut l'arrêt.51(*)

Aristote disait que l'effet salutaire et la distraction que le récit procure n'appellent pas nécessairement des lieux fictifs. L'importance de l'espace dans la littérature moderne est indéniable. Les événements situés dans des espaces que l'on connaît, que l'on peut visiter ou fréquenter, ont en général une valeur plus grande pour le lecteur que s'ils s'étaient produits dans un lieu inaccessible. Dans la littérature réaliste, c'est souvent le lieu qui fonde le récit. Dans ce contexte, l'affirmation de Henri Mitterand sur le fait que « ...l'événement a besoin d'un ubi autant que d'un quid ou d'un quando » nous paraît intéressante. A propos de la production de l'illusion référentielle, il ajoute que « le nom du lieu proclame l'authenticité de l'aventure par une sorte de reflet métonymique qui court-circuite la suspicion du lecteur : puisque le lieu est vrai, tout ce qui lui est contigu, associé, est vrai.52(*) » L'espace est donc important lorsqu'il s'agit de fictionnaliser des faits historiques ou simplement de recréer une atmosphère.

Señores destos Reynos et Inka Trail placent ses histoires à Cusco (Pérou). La ville y est dessinée sous deux traits différents, lieu de conflit culturel dans le premier cas, Cusco est la scène de la violence ; point de rencontre dans le deuxième, il s'agit d'une ville à multiples visages.

L'étranger mis en scène l'est aussi à deux niveaux : il y a un étranger qui provient d'un espace éloigné, le visiteur, le touriste, et un étranger qui appartient à une autre époque, l'indigène.

Une personne peut toutefois être considérée comme étrangère par un compatriote si elle est née dans un groupe minoritaire ou dépourvu du pouvoir. Dans ce second cas l'idée du déplacement spatial est aussi présente, car une minorité provient toujours d'un horizon plus ou moins éloigné. Cet horizon peut être éloigné dans l'espace mais aussi dans le temps, il s'agit donc d'un horizon perdu ou irrécupérable. A partir de ces écarts d'espaces géo-culturels les deux oeuvres peuvent construire leur image de l'étranger.

Les axes principaux de la topologie de l'étranger dans les oeuvres analysées sont la ville (locale ou étrangère) et la campagne. La topographie présentée est variée et l'on remarque que le degré de complexité de l'espace est fortement lié à la présence de l'étranger. C'est-à-dire que c'est là que l'étranger est le plus présent ou présent de façon plus active que l'espace se montre dans toute sa complexité.

Toutefois, si dans cette analyse on s'occupe de la topographie, on est obligé de considérer aussi le temps, car l'espace et sa valorisation changent selon le moment historique dans lequel les personnages sont situés.

Alors que Inka Trail place ses personnages à l'époque actuelle, Señores destos Reynos regroupe, dans sa première partie, des nouvelles sur l'époque coloniale et, dans sa seconde partie, des nouvelles sur l'époque contemporaine. La topographie de l'étranger apparaît donc de façon très différente dans les oeuvres étudiées.

3.1.1 L'espace du conflit.

Les notations relatives à l'espace dans le livre de Nieto enferment le récit dans un univers clos et dans des atmosphères oppressantes. Les personnages sont des prisonniers à la recherche permanente d'un ailleurs qu'ils ne retrouvent jamais ou auquel ils renoncent pour revenir au point de départ. L'étranger est souvent un envahisseur et l'espace lui est hostile, toutefois il y retourne avec acharnement ce qui entraîne sa perte. L'espace est insaisissable, incompréhensible et immuable, impregné par la fatalité.

Dans la première partie de Señores destos Reynos, les indications de lieu sont rapides. Les récits ne sont pas alourdis par la description des lieux car les actions tirées des faits historiques et des chroniques donnent beaucoup d'informations. Le lecteur est censé participer activement pour ne pas s'égarer car l'espace reste flou et le texte manque en quelque sorte d'ancrage réaliste. L'espace a donc une importance plutôt thématique car la scène des actions, avec son caractère minimaliste et symbolique, a du mal à produire l'illusion référentielle.

Pour l'indigène des débuts de la Colonie, le métisse et l'Espagnol sont des étrangers et c'est ce que l'on voit dans les deux premiers récits de Nieto53(*). En même temps, l'auteur raconte du point de vue de l'Espagnol. Celui-ci considère évidemment l'Inca comme étranger à lui (et dans ce cas-ci, la notion d'espace propre ou étranger n'est pas en jeu, mais celle de groupe dominateur et de groupe dominé). Dans les deux récits suivants54(*), seulement les figures du criollo ou métis de l'apogée colonial apparaissent et ces personnages-ci considèrent aussi l'Espagnol comme étant étranger. La topographie de l'étranger à l'époque coloniale que Nieto nous décrit s'accommode de cette conception.

Au-delà des sujets tels que la vengeance, l'amour et la mort, la conquête (ou la reconquête) de l'espace est le moteur de toutes les actions. Il y a un envahisseur qui cherche à s'emparer des territoires qui ne lui appartiennent pas et un habitant originaire, qui consacre sa vie à empêcher un processus qui semble d'ailleurs inéluctable.

L'Espagnol, l'étranger, est donc placé dans l'espace urbain. La ville est à la fois son refuge et la scène de ses actions. Tout ce qui se trouve au-delà de la ville lui est inconnu car c'est dans la ville qu'il se sent en sécurité, qu'il est écouté et respecté, et où il peut exercer son pouvoir.

La ville n'apparaît pas comme une scène de déploiement physique et toutes les actions qui impliquent des confrontations ou des batailles entre l'étranger et l'indigène auront lieu en dehors d'elle. Toute action développée dans la ville est déterminée par sa condition de centre administratif et politique. Les enquêtes, les conversations, les commérages, en somme, toutes sortes de communication serviront à faire avancer la diégèse.

Nieto situe les actions des personnages dans deux villes : Cusco, comme scène principale et Lima, fréquemment présentée de façon indirecte et sous l'appellation de « Ciudad de los Reyes »55(*), de façon à souligner son importance historique. D'autres villes coloniales sont mentionnées : Huamanga, Sicuani, Arequipa et Concepción, ainsi que Vilcabamba, seule ville inca à apparaître, étant alors présentée en tant que dernier bastion des insoumis.

C'est à Cusco que les personnages de la première partie de Señores destos Reynos vont être placés. Chez Nieto, Cusco est le lieu des souvenirs, dans cette ville le passé est quelque chose de latent qui ne laisse pas de place à l'oubli ; les protagonistes sont envahis d'un sentiment de non-résignation, Cusco est le lieu des insoumis où les mouvements rebelles sont en gestation permanente.

Il est évident que le Cusco que Nieto présente a déjà les caractéristiques urbanistiques de l'Espagne du XVIème siècle : une place centrale qui sert à la fois de marché et autour de laquelle les maisons et les palaces des nobles ont été construits, une église importante et un couvent. Le Cusco de Nieto maintient encore certains avantages de son ancienne condition de capitale d'un empire56(*), tels qu'un réseau de communication efficace et un système de routes qui conduisaient aux villes des quatre points cardinaux en excellent état.

Nieto nous introduit donc dans une ville que nous sommes censés connaître à priori, ce qui explique peut-être la monotonie dans le traitement de l'espace et le caractère symbolique dont chaque lieu présenté est investi. La topographie est construite de façon générale et les descriptions sont absentes, nous la devinons ou nous la supposons mais elle ne nous est pas imposée, c'est à travers les personnages et leurs actions que nous arrivons à pressentir l'atmosphère qui l'imprègne. L'espace est donc à construire par la lecture.

En ce qui concerne l'espace fermé, l'église est par excellence le territoire de l'étranger, l'indigène n'y va jamais et seulement les métis nobles le font. L'église est le centre du pouvoir religieux et en même temps un lieu de rencontres sociales. Les cérémonies célébrées à l'église sont de connaissance publique et acceptées par l'autorité, si elles n'y prennent pas place, elles n'ont pas un caractère officiel : Beatriz, jeune princesse inca protagoniste de Reina del Perú, est mariée au métis noble Cristóbal Maldonado dans sa résidence et non pas à l'église, car cette union est un pacte politique et économique contre l'autorité espagnole.

La force de la religion est encore soulignée par la présence du couvent. Ce lieu intermédiaire est pour les protagonistes féminines le passage du monde inca à l'espagnol. Le couvent a la triple condition de prison, lieu de conversion religieuse et refuge. Une princesse inca enfermée dans un couvent est surveillée, initiée au catholicisme et à la connaissance du monde de l'Espagnol et en même temps protégée des machineries et arrangements politiques pour lesquels elle est une sorte de butin ou garantie d'exécution. Le couvent est donc, un lieu de transit vers le monde extérieur et une nouvelle condition sociale, un lieu d'attente. La durée de cette attente peut néanmoins s'étendre à des périodes entières de la vie. La jeune Beatriz passe toute son enfance dans le couvent pour y revenir à deux reprises. Le couvent est pour les femmes de Nieto une sorte de fatalité : Beatriz décide à sa mort que sa jeune fille y restera jusqu'à l'âge adulte et María Nieves accepte par deux fois consécutives son enfermement avec résignation.

Le couvent est vaguement décrit et des caractéristiques classiques telles que le silence, l'existence de cellules, les règles à respecter, et la surveillance constante, servent à construire une ambiance oppressive et angoissante pour les protagonistes. Le parloir est le seul contact des personnages avec l'extérieur, leur lien à la réalité. Le témoignage des faits historiques leur est impossible et leur capacité d'action est limitée. Les protagonistes subissent les événements, même ceux qui concernent leur propres vies. C'est donc dehors que les décisions sont prises et que les personnages participent aux faits d'importance.

La place est une sorte de scène pour des événements historiques de grande transcendance. Lorsque le père de Beatriz et sa famille rentrent à Cusco en grande pompe, ils le font par la place, et les derniers résistants rentrent à Cusco par un quartier métisse pour être jugés et exécutés publiquement sur la place.

L'étranger de Nieto choisit la place pour montrer sa capacité d'action, sa puissance et son inflexibilité. Elle est le cadre de la violence la plus crue et les exécutions qui y sont présentées ont pour but de montrer la destruction progressive du pouvoir inca. C'est la place où la tête de Manco Inca, le dernier gouvernant, est plantée sur un bâton et là aussi où le prodige de son embellissement progressif a lieu. C'est, finalement, dans une place du centre ville où Diego Cristóbal Túpac Amaru et sa mère sont horriblement torturés et assassinés.

D'autres villes sont mentionnées dans ces récits en fonction des activités des personnages. Les « repartimientos » de Yucay, Jaquijaguana, Gualequipa y Pucara, les « corregimientos » de Huamanga et Huancavelica au Pérou, Potosí en Bolivie et Concepción au Chili, sont des centres économiques d'importance où les nobles exercent des fonctions administratives ; dans sa construction de l'espace, l'auteur montre un désir de fidélité historique.

Les centres peuplés d'indigènes sont des lieux de résistance ou de refuge. L'infrastructure pré-hispanique s'avère utile pour les rebelles, c'est le cas de Vilcabamba au Pérou et Curalaba au Chili.

Lima, « la ville des rois » est très présente, soit dans l'action elle-même57(*), soit indirectement. A Lima confluent les forces politiques de la vice-royauté et le texte de Nieto recrée une atmosphère de centralisme à tout niveau. La plus haute autorité, le vice-roi, vit à Lima et il détermine le destin des protagonistes, ce lieu fonctionne comme un échiquier.

Dans María Nieves, Lima a acquis avec le temps le caractère de centre culturel ce qui fait de Cusco un endroit périphérique. Les noblesses inca et métisse vont progressivement s'y installer suivre des études ou exercer des fonctions administratives. Cependant, la capitale apparaît toujours comme un espace étrange et incompréhensible pour les personnages, un lieu gouverné par des règles qui leur sont étrangères et qui les obligent à se soumettre même dans la vie quotidienne.

Dans la deuxième partie de Señores destos Reynos, la campagne est au contraire, l'espace du Je, celui auquel l'autre peut accéder mais de façon limitée. Tout comme la ville, la campagne n'est pas décrite en détail, le paysage est dessiné dans le texte par des lieux communs : les montagnes sont inextricables, les rivières ont un fort débit, la jungle est inaccessible et dangereuse. Les récits de Nieto montrent une vision partielle de la géographie du pays, la sierra et la jungle sud sont les seules régions présentes et la côte ainsi que la forêt amazonienne sont ignorées.

Aucune action directe des personnages n'a lieu dans la campagne, celle-ci apparaît à travers les souvenirs des histoires racontées aux protagonistes ou par eux. La campagne est un territoire absent, le cadre des seuls faits qui font avancer la diégèse.

L'indigène de Nieto, vainqueur des confrontations entre le Je et l'Autre, domine la campagne. Elle est donc le terrain inconnu de l'étranger, le lieu mystérieux, réservé aux initiés parce que même les métis semblent ne pas y appartenir.

Chez Nieto, la campagne est l'espace où tout est à créer. Le métis y va fonder, inventer, construire, car le paysan demeure paralysé dans le temps, loin de la « civilisation ». Dans ce monde étranger, le Je est un agent de dynamisation qui ouvrira les portes à la modernité et qui introduira une nouvelle valorisation de l'espace.

Alors que pour le paysan la terre est une partie de lui-même58(*), le métis lui accorde un intérêt purement économique ou sentimental. L'espace est donc l'enjeu de telles confrontations.

Pour le métis, l'espace peut être organisé uniquement selon ses codes, il ne reconnaît pas l'organisation de l'autre (les communautés paysannes en tant que centres urbains) ou la considère insuffisante. L'espace est alors recréé à sa façon et les règles de la cohabitation son établies par lui. Il y a un partage du territoire mais en même temps, une relation de hiérarchie.

Le village métis est le symbole de la vie moderne, créé avec une vision pratique économiquement et géographiquement, il est aussi marqué dès son origine par une froide manipulation des codes culturels paysans ainsi que la conscience des besoins de la ville moderne :

« Ya tenía de todo El Descanso, pensiones, escuela, cementerio, pero le hacían falta todavía tres cosas para que, cuando los viajeros se alejaban del pueblo, no mostrara un aire desolado : una feria, su fiesta y un milagro, sin importar el orden de los factores. »59(*)

Mi sangre teñirá la nieve raconte ce conflit à travers la vie du personnage principal et fondateur du village. Son pragmatisme dans la conception de l'espace et ses rapports duaux avec les paysans font de lui un marginal, un étranger permanent pour qui le seul espace familier est celui des souvenirs.

Les routes sont des espaces de grande importance, à la campagne elles fonctionnent comme les artères par lesquelles circulera le sang du commerce. Dans cet espace créé par l'homme moderne, le commerce et les communications sont vitaux. Le village grandit et se développe grâce à ses routes et celles-ci rendent possibles les échanges sociaux, culturels et politiques.

La campagne, dans son isolement, libère l'individu de toute contrainte sociale et morale, il se livre à lui-même car il n'y a pas de témoin ni de juge. La campagne devient la scène de la violence primitive, de la passion exacerbée, de l'abandon des règles imposées par le groupe. Elle peut pourtant être aussi le lieu de l'utopie : Fernando, l'un des personnages de Dónde está la verdad Gadafito?, confronté dans les espaces familier et urbain aux frustrations économiques et sociales se réfugie dans le monde rural en la croyance de pouvoir atteindre ses idéaux politiques.

La ville actuelle de Nieto est le lieu de l'individualisme pur et froid. La solidarité n'y existe pas, tout est régi par les apparences, par l'exploitation de ce que la culture ancienne a laissé comme héritage car la vie moderne se nourrit de la médiocrité. Les personnages locaux s'accrochent aux conceptions mystiques andines et Nieto s'en sert pour initier le lecteur aux connaissances anthropologiques de la philosophie et aux croyances incas60(*).

L'incompréhension des codes culturels de l'autre fait que l'étranger ne trouve pas sa place dans le monde qu'il visite, c'est seulement dans le domaine du rêve que la réconciliation entre l'étranger et le Je est possible, c'est là que le Je s'approche finalement de l'étranger « en égalité de conditions », et non pas « comme le ferait le vaincu du vainqueur »61(*) et prend sa revanche.

Il est inutile de rêver le départ, car l'espace emprisonne ; marqué par la fatalité il fonctionne comme un piège qui se referme sur les protagonistes pour les mettre face à leur destin, Fernando ne sera donc pas élu député et Sonia devra oublier ses illusions d'une nouvelle vie dans la capitale ; le grand propriétaire fondateur de El Descanso subira le même sort que son père, assassiné par les paysans ; et Laura, la visitante espagnole finira par tomber sous le charme du soi-disant dernier inca.

3.1.2 L'espace de convergence.

De la même façon que Nieto dans la deuxième partie de son livre, Chanove recrée la nouvelle vie urbaine du péruvien moyen ; la société qui nous est décrite est celle des migrants, de la polarisation et de l'abandon progressif de la campagne. Le paysan est devenu un étranger pour la nouvelle majorité métisse. Le visiteur venu d'autres pays en est évidemment un aussi et sa condition d'individu de passage se traduit par le changement continuel du cadre.

Une vision ironique et humoristique de la topographie souligne la vision stéréotypée que l'étranger a de la ville. Les descriptions de la ville et de la campagne dessinent un univers dominé par l'ignorance et la naïveté où l'espace a pour l'habitant local la valeur que l'étranger lui donne.

L'espace est fragmenté, possible influence du roman américain, et le narratif et le descriptif ne s'opposent pas. Grâce à ce procédé, la construction même de l'intrigue exprime le foisonnement nocturne de la ville, ses contrastes et la multiplicité des temps vécus qui s'y inscrivent.

Comme dans le roman moderne, il y a un effort pour rendre intime l'articulation entre le descriptif et le narratif ; le décor complètement divisé est intégré à la matière même du récit. Le rythme est donc trépidant, comme si le fait de promener le regard contemplatif pouvait faire perdre le fil de l'intrigue ; il est évident que le texte est articulé de façon à ne pas briser le mouvement et à ne pas casser le rythme. A la différence de l'atmosphère recréée par Nieto, celle de Chanove a, grâce aux notions spatiales, introduit une dynamique d'évasion.

L'espace de convergence de Nieto apparaît ainsi sous un point de vue différent. Fernando, le protagoniste de Dónde está la verdad Gadafito?, présente cet espace comme le symbole de la décadence de la société. Il décrit le lieu de façon péjorative :

« semipenumbra, música estridente, bancas, banquitos y mesas rústicas, dibujos harekrishna en las paredes y sobre todo esa sarta de autistas decadentes que entraban en trance a punta de contorsiones o brincos [...] ese antro que seguramente nunca hubiera pisado en otras circunstancias »62(*), et plus loin : « Era ése uno de los lugares que se debía borrar del mapa del Perú, ese antro que se proclamaba lugar de reunión de los locos responsables... »63(*).

Quand le protagoniste de la culture d'origine pénètre l'espace étranger, l'opposition entre le Je et l'Autre est évidente, mais l'incompréhension première de l'espace et de ses règles est finalement surmontée quoiqu'encore critiquée :

« La primera noche no pasó de la barra y de asomar con desconfianza, desde una de las dos puertas que daban acceso a ese ambiente alargado repartido mitad mitad entre el espacio ocupado por sillas y mesas y la pista de baile, a esa atmósfera saturada de emanaciones y vibraciones que le eran completamente extrañas. Luego, a punta de observar hora tras hora y cerveza tras cerveza ese caos, fue descubriendo las normas que lo regían... »64(*).

Si les territoires visités par les personnages étrangers d'Inka Trail se répètent, cette révélation progressive de détails ou de caractéristiques fait qu'ils sont en mutation permanente aux yeux du lecteur. L'image qu'on perçoit est enregistrée à grande vitesse et le monde auquel on a accès est trop éclaté et insaisissable, ce qui donne une sensation d'impuissance.

Le morcellement de l'espace permet d'observer l'étranger sous différentes facettes, l'espace fait le personnage et lui donne de l'épaisseur ; ainsi Manuel, le protagoniste du roman et barman de l'Enterprise, est, dans son domicile,un individu angoissé et tourmenté alors qu'il se montre audacieux et désinvolte au bar.

Dès le début du récit, l'idée de déplacement est instaurée, tous les personnages sont des étrangers, ils se sont tous déplacés pour se retrouver de manière fortuite à Cusco, à l'Enterprise ; ils viennent d'autres pays ou d'autres villes du pays. Ces personnages sont en mouvement continu, ils passent d'un lieu à l'autre dans des scènes qui se succèdent de façon presque vertigineuse mais les différents territoires que l'on observe trouvent leur point de convergence à l'Enterprise.

Malgré la claire délimitation de ce point de rencontre, il semble labyrinthique et difficile à maîtriser. Dans la foule d'images qui assaillent le lecteur, celui-ci ne retient que ce qui lui semble nouveau ou inquiétant et sa perception doit être à l'oeuvre pour lui permettre de trouver l'élément qui restructure tout.

L'Enterprise, l'espace du bonheur, est une sorte de zone affranchie que l'on trouve au-delà de la dernière frontière, le domaine de la liberté où celle-ci ouvre les portes de la lucidité et de la folie. L'Enterprise est « el mejor lugar para los que esta[n] hartos », c `est l'espace de l'étranger par excellence où toutes les histoires sont possibles mais où l'oubli est garanti, car il s'agit d'un vaisseau qui navigue toujours vers le présent.

Ce territoire présente néanmoins une particularité, il a un cycle vital qui se reproduit quotidiennement. L'Enterprise ouvre à la tombée de la nuit , le bruit, l'alcool et la foule en composent l'ambiance générale, une agitation dont le rythme progressif éclate au-delà de minuit, il attire toutes sortes de gens. Le petit matin est le temps de l'agonie et dans les premières heures l'espace meurt. « En el Enterprise todas las noches son iguales », dit l'un des personnages. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, cette répétition incessante n'a rien de monotone et apparaît même comme une nécessité. Par imitation, d'autres endroits similaires prolifèrent.

L'Enterprise rassemble une grande diversité d'individus venus d'ailleurs, c'est le territoire du hasard dans la mesure où des rencontres improbables s'y produisent. Le hasard est pourtant limité aux possibilités combinatoires et l'espace est régi par des codes stricts naturellement compris et appliqués par les uns et irrémédiablement incompris pour d'autres. Le lieu de la liberté est donc marqué par ces règles universelles (et non pas régionales) que certains comme Manuel, le protagoniste, choisissent de ne pas respecter. Il n'est pas gratuit que toutes les activités interdites ou illégales (le commerce et la consommation de drogues, la prostitution et l'assassinat) trouvent d'autres cadres pour être accomplies.

La fin de l'histoire marque aussi la fin de l'Enterprise, comme pour confirmer la narrativité de cet espace et son lien étroit avec le déroulement des actions. Le bar sera ainsi acheté par Alias, le seul personnage féminin local, et changera de nom : Inka Trail ; son ambiance, son décor et même son identité seront changés, l'espace du roman est aussi celui du changement. L'espace de l'Autre sera, symboliquement, incorporé à l'espace du Je.

3.2 Typologie de l'étranger.

Les images de l'étranger sont le résultat d'une mise en jeu d'éléments d'ordre pulsionnel, ce qui leur donne une certaine continuité et les met en relation. L'histoire des mentalités agit, selon Solange Alberto, dans des champs d'intérêts dominés par la sensibilité en opposition à ceux régis par la conscience. Le psychologique prévaut ainsi sur l'intellectuel tout comme ce qui est automatique et inconscient prévaut sur ce qui provient d'opérations mentales délibérées65(*).

Les traits physiques fonctionnent en tant que marques des différences sociales, ils sont à l'origine des associations binaires du type blanc - beau ; foncé - laid ; homme supérieur - homme inférieur, mépris - haine. Les traits physiques sont importants par la forte valorisation dont ils sont objets dans le contexte socioculturel analysé.

- Sexe masculin féminin :

Les positions de Nieto et Chanove à ce sujet sont opposées. L'étranger de Nieto est, la plupart du temps, décrit de façon péjorative, particulièrement lorsqu'il s'agit de l'homme étranger. Si Chanove en fait autant, l'effet est atténué par la sympathie que ses personnages dégagent et par l'humour. Quant à la femme native, le traitement que Nieto fait d'elle est euphorique. La femme native ne présente aucun défaut. Dans le cas de Chanove le traitement est dysphorique. Son physique n'est pas présenté comme étant agréable et encore moins son comportement. Seul un personnage féminin natif, Alias, révèle certains traits positifs (mais aussi neutres : le mystère, l'indépendance, l'audace, une certaine masculinité) et curieusement il ne s'agit pas d'une femme typique, elle est hors-normes, une sorte d'étrangère.

La femme étrangère est dans les deux cas objet de désir. De sensualité débordante, elle invite à l'exogamie. Si pour Chanove la femme étrangère rend possible la découverte d'autres réalités, pour Nieto l'étrangère ouvre les portes à la réconciliation des mondes.

L'étranger qui traverse une frontière et qui se retrouve loin de sa famille, de son cercle social n'est plus soumis à leurs règles ni à leurs contraintes. Son corps en est un nouveau, le regard des autres l'a rendu différent, cette nouveauté et la curiosité qu'elle engendre déclenchent chez l'étranger le désir de l'auto-exploration. Kristeva explique que l'audace de venir se poser ailleurs est accompagnée de l'éclatement du refoulement et de la frénésie sexuelle car l'interdit n'existe plus et tout est possible. L'Autre reproduit dans nos deux oeuvres le comportement déréglé typique de l'étranger ; ce dérèglement se manifeste fondamentalement dans les moeurs sexuelles et dans l'illégalité, c'est-à-dire, dans la consommation de stupéfiants et d'alcool ou dans les infractions des lois que l'on ne tolérerait pas dans son propre pays.

Inka Trail fait aussi allusion de façon répétée au mythe de la femme fatale. Les personnages féminins : Helène et April, ainsi que les autres femmes évoquées par l'intertexte : Rita Hayworth et Marlène Dietrich,

Nieto fait de son Je un nostalgique. Max Hernández définit la nostalgie comme l'affection intermédiaire -agréable et désagréable- qui alterne entre les objets du passé et ceux qui apportent les nouvelles circonstances et c'est ce que l'on observe chez Cristóbal Túpac Amaru, Fernando et le protagoniste de Mi sangre teñirá la nieve.

- Sauvage - civilisé :

L'opposition entre sauvage et civilisé est utilisée de façon à valider une position idéologique particulière. Alors que dans la plupart des oeuvres contemporaines qui ont comme thème la confrontation entre Espagnols et indigènes, celui-ci apparaît comme étant le moins civilisé, Nieto renverse cette idée en faisant apparaître l'étranger comme un être violent et sans contrôle. L'étranger, cruel, traître et assassin, est le sauvage, incapable de comprendre le natif et le fonctionnement de sa société tandis que ce dernier vit dans l'ordre, dans le respect de ses normes et de sa religion.

Si le conquistador du XVème siècle commet des crimes impunément, le métis en fait autant avec les indigènes vers la moitié du XXème siècle. Le métis est à la fois sauvage et civilisé. Il peut aimer et admirer le monde de l'Autre mais il est aussi capable des pires atrocités. L'indigène d'aujourd'hui que Nieto caractérise est aussi le sauvage. Irréflexif, vengeur, il est également cruel.

L'étranger venu d'autres pays est, pour Chanove, un porteur de nouveauté. Alors que le Je peut être machiste, profiteur et violent, l'étranger est libéré de ces tares. Nieto, pour sa part le présente comme un libertin, amant des excès, de sexualité débridée, consommateur de drogues et d'alcool. Ces caractéristiques sont communes aux personnages de Chanove, mais leur caractère négatif est fortement accentué dans Señores destos Reynos.

L'étranger est toujours seul et souvent cette solitude peut le faire apparaître comme un sauvage, un « alien ». Dans un monde inconnu il ne peut qu'être artificiel. L'excentricité est sa marque.

3.2.1 Procédés d'inclusion - exclusion

a) Procédé d'exclusion.

Parmi les procédés d'exclusion que l'on trouve dans les oeuvres de Nieto et Chanove, celui de l'utilisation d'un nom spécifique pour l'étranger est le plus efficace.

Le « choleo », la principale forme d'exclusion au sein de la société dont on s'occupe, est utilisé par les auteurs pour souligner les rapports discriminatoires du métis envers l'indigène, et de l'habitant de la capitale envers l'habitant de province. Si le métis appelle « cholo » celui dont les traits physiques sont indigènes, il est à son tour un « cholo » pour l'individu blanc de la capitale.

De même, lorsque le touriste étranger est confronté au Je ou lorsque sa compréhension de l'habitant local est entourée de difficultés, il est automatiquement appelé « el gringo », de façon à souligner son altérité. La curiosité du lecteur est éveillée, il fixera alors dans son imaginaire le « comportement étranger » et l'opposera naturellement au « comportement du Je » en renforçant le stéréotype.

b) Procédé d'inclusion.

Les procédés d'inclusion identifiés dans les livres analysés, ont la particularité de concerner plus la femme que l'homme étranger.

La plupart des personnages étrangers rentrent dans le régime de non-personnes (en tant que personnes absentes de l'espace de l'interlocution). Mais lorsqu'ils arrivent à établir un rapport plus approfondi avec le natif, ils ont droit à des dialogues présentés dans des discours directs.

Pourtant, au-delà de leur présence dans l'interlocution, l'homme étranger demeurera toujours un Autre, alors que la femme, souvent grâce à l'exogamie, pourra faire partie du monde du Je.

L'étrangère est décrite initialement comme « la gringa », à ce stade, elle est objet de curiosité ou d'admiration. A mesure que la rencontre amoureuse avec l'homme natif se produit et que la routine s'établit, la femme étrangère est désignée par son prénom ou un substantif générique, elle est décrite de façon moins enthousiaste. Une fois que ses actions, réactions et dialogues s'avèrent être les mêmes que ceux d'une femme native et que l'adjectivation en rend compte, tout comme les femmes natives elle est qualifiée par les personnages masculins de façon péjorative (« la muy puta », « está loca », « hembra », « histérica »).

3.2.2 Relations hiérarchisées.

a) Maître - esclave

Le rapport conquistador-indigène est chez Nieto, une forme d'interaction sociale basée sur l'abus d'un côté et la terreur panique de l'autre comme un patron de domination total. Ce type de rapport, présent à l'époque de la Conquête, est reproduit dans la vie rurale contemporaine, dans la relation métis-paysan ou maître-esclave, sujet traité par Hegel dans sa Phénoménologie de l'esprit.

Les personnages de Nieto, en tant qu'opprimés, répondent de deux façons : soit par la rébellion et la recherche de leur liberté, comme Cristóbal Túpac Amaru ou María Nieves ou par la complaisance et la résignation, comme la jeune Beatriz. De la même façon et dans le contexte contemporain, la première réaction apparaît dans la lutte des paysans contre les latifundistes et la deuxième dans la vie quotidienne où les indigènes sont au service du métis.

Julia Kristeva écrit que « l'étranger perçu comme un envahisseur dévoile chez l'enraciné une passion ensevelie : celle de tuer l'autre, d'abord craint ou méprisé, puis promu du rang de déchet au statut de persécuteur puissant contre lequel un `nous' se solidifie pour se venger. »66(*)

Dans la société contemporaine, tout indigène se sent plus ou moins étranger à sa propre terre. Kristeva explore la valeur métaphorique du terme étranger et affirme que l'indigène expérimente « une gêne concernant son identité sexuelle, nationale, politique professionnelle. Elle le pousse ensuite à une identification [...] avec l'autre. »

Les nouveaux maîtres et les nouveaux esclaves, affirme-t-elle, ont une sorte de complicité sans conséquences pratiques. Toutefois cette complicité pousse l'indigène à se questionner sur son identité psychologique, sa véritable appartenance au lieu où il habite, son destin et son libre arbitre. « Ne sont-ils pas maîtres de l'avenir ? » est pour Kristeva la question ultime que l'indigène se pose.

b) Homme conquistador - femme indigène

Le sexe établit un rapport de domination. La femme, comme l'affirme Lévi-Strauss, a une nature ambiguë, elle peut être marchandise, valeur et symbole à la fois. Les rapports de couple que Nieto tisse dans la première partie de son livre sont empreints de conflits. Les unions entre conquistadores et indigènes ne sont pas des alliances matrimoniales, mais de simples rencontres sexuelles. La peur de l'endogamie, donc de l'inceste, pousse l'homme occidental vers l'exogamie. Cependant, lorsque celle-ci implique des groupes humains si différents, ethniquement et culturellement, elle devient une transgression et le fruit d'une telle union est regardé avec méfiance. Le métis est, chez Nieto, une sorte d'hybride, rejeté des deux côtés et indigne de confiance.

Le rapport entre l'homme étranger et la femme native a aussi un caractère symbolique pour Nieto. L'entreprise de la conquête est celle de la domination d'une terre d'origine de caractère féminin (« madre tierra », pachamama). Tout comme le conquistador prend une femme native, l'Espagne s'empare des territoires nouveaux.

c) Homme indigène (local) - Femme étrangère

La distribution numérique des personnages fait qu'il y a une interaction importante entre les personnages natifs masculins et les personnages féminins étrangers.

Le rapport de domination actuel que Nieto et Chanove laissent entrevoir est l'opposé de celui que Nieto établit entre les conquistadores et les femmes indigènes dans la première partie de son livre.

Dans ce contexte, la figure du brichero67(*) apparaît. Comme Mark Cox l'a bien signalé, le brichero apparaît en tant que reflet symbolique des rapports économiques du Pérou avec des pays impérialistes. « Depuis longtemps on parle d'une économie postindustrielle ou d'une économie de services. Le brichero représente ce nouveau secteur de services qui continue à croître »68(*) dit Cox. Ce que le brichero offre, son produit, c'est l'amour exotique et mystérieux, intéressant seulement pour les femmes étrangères.

Inka Trail rassemble une grande quantité de personnages masculins nationaux et de personnages étrangers féminins.

4. Le Je et l'Autre : littérature et société. (L'image comme scénario).

Nous avons abordé dans le premier chapitre certains aspects historiques et sociaux d'importance qui nous ont servi à mieux connaître les bases de la construction de l'image de l'étranger. Daniel-Henri Pageaux affirme que l'image ne peut pas être pleinement autoréférentielle et que sa signification est garantie par le code social et culturel qui cautionne sa circulation et sa validité ; dans ce contexte, nous sommes bien obligés de penser l'image dans un cadre historique et social précis à partir duquel les oeuvres analysées peuvent élaborer des scénarios. Dans ce chapitre nous analyserons l'image en tant que scénario et nous essayerons de déterminer dans quelle mesure elle est tributaire d'autres scénarios.

Comme nous l'avons déjà mentionné, les deux textes étudiés correspondent à deux traditions idéologiques, culturelles et esthétiques différentes. Nieto choisit dans Señores destos Reynos, de donner une libre continuité au courant néo-indigéniste analysé dans notre premier chapitre et Inka Trail, pour sa part, est un roman plus expérimental qui suit la ligne du roman policier et dont l'originalité repose sur le travail formel, issu de la poésie.

L'imaginaire que nos textes exploitent et vers lequel ils se dirigent est celui d'une société métisse, de traditions fortement enracinées et de grande diversité qui ouvre depuis peu de temps ses portes au tourisme massif. La mise à jour d'importants faits historiques et cette vague de nouveauté à laquelle la société se voit confrontée depuis plus de vingt ans, présentent à la littérature de nouveaux scénarios.

Señores destos Reynos et Inka Trail, deux textes imagotypiques, agissent, dans les scénarios qu'ils proposent, sur l'opinion du lecteur de la société péruvienne en renforçant le sentiment de sa propre valeur, en renforçant l'amour et l'admiration pour sa propre culture et en leur permettant de prendre en quelque sorte une revanche sur les événements historiques qu'ils considèrent comme leur ayant été défavorables.

Les textes analysés agissent aussi de façon à permettre au lecteur de comprendre l'Autre et d'accepter ses différences. Certes, l'image historique de l'étranger que nos auteurs construisent est parfois fidèle au stéréotype, (et dans certains cas, notamment chez Nieto, tend même à le légitimer). Cependant, lorsqu'il s'agit de l'image de l'Autre contemporain, la lecture des deux oeuvres permet de réaliser qu'on est tous des étrangers et que toute société est construite sur la différence.

4.1 Les scénarios ou l'« agrégat mythoïde ».

Les différentes images de l'étranger fournissent des « modèles » ou des scénarios en puissance. Il s'agit des « agrégats mythoïdes » de Michel Cadot auxquels Daniel-Henri Pageaux fait référence en les plaçant « à mi-chemin entre le stéréotype et le mythe ». Les textes analysés nous permettent de dégager différents scénarios à partir des images de l'étranger qu'ils nous proposent.

Señores destos Reynos reproduit ainsi dans ses deux premiers récits les invariants identifiés par Jean Marc Moura dans une étude de textes consacrés au tiers monde : l'euphorie primitive, le personnage occidental fasciné et la destruction d'un monde primitif. L'étranger de Hijos de Supay et Reina del Perú, connaît les prodiges d'une culture inconnue, jouit de ses bonheurs et finit par imposer ses propres lois. Ceci entraîne la destruction de l'ancien ordre.

Un scénario plus contemporain met en scène un étranger hautain et sûr de lui confronté à l'inconnu par un habitant indigène et qui finit par être intégré dans son monde. Tant les personnages de nationalité étrangère, les « gringos », que les habitants de la capitale, les « limeños » d'Inka Trail, succomberont au charme du monde andin et seront subjugués par ses mystères.

Des variations sur ce scénario incluent la figure du « brichero », espèce d'amant entretenu dont le rôle est souvent celui de guide mystique. Ce scénario que l'on trouve de manière répétée dans les textes de Chanove et Nieto est aussi présent depuis presque vingt ans dans de nombreux récits de la littérature du Sud du Pérou. Dans le roman de Chanove ce scénario apparaît à cinq reprises, c'est l'argument du récit Buscando un inca et apparaît indirectement dans Dónde está la verdad Gadafito? de Luis Nieto.

Inversement, lorsque le Je se trouve dans l'espace et le monde de l'étranger, le scénario est celui du personnage éblouit par la modernité, qui expérimente l'incommunication et l'isolement et qui finit par en vouloir l'Autre. Il faut bien noter que la distance entre le Je et cet Autre peut bien être géographique et culturelle (c'est le cas quand le personnage de Tupi Velásquez, marié, doit vivre à Paris) ou simplement socioculturelle (quand le même personnage étant enfant voyage à Lima et devient l'employé de maison d'une famille bourgeoise).

Les rapports entre métis et indigènes fournissent aussi des scénarios, des « modèles » déjà classiques dans la littérature indigéniste dont Nieto se sert pour son récit Mi sangre teñirá la nieve et auxquels Chanove fait allusion. Le métis, père et bourreau des indigènes, voit ses protégés se soulever et finit par être puni. Dans le récit de Nieto, le métis latifundiste qui protège et qui exploite les paysans indigènes réveille leur colère et finit par être cruellement assassiné. Ce scénario, qui se produit une fois avec le père du protagoniste, va se reproduire avec le protagoniste lui-même.

4.2 Facteurs constructifs à niveau transtextuel.

Après avoir analysé les procédés que, au niveau textuel, nous considérons les plus importants dans la construction de l'image de l'étranger, nous pouvons passer à l'analyse des phénomènes transtextuels.

La notion de « transtextualité » a été définie par Gérard Genette et à partir de cette catégorie un grand nombre de phénomènes peut être étudié. Ces phénomènes vont de l'allusion et la citation aux rapports existants entre le texte de fiction et autres textes, de la signification de titres et sous-titres à l'imitation et la parodie. Nous sommes conscients de l'ampleur et de l'hétérogénéité de la transtextualité, mais c'est bien ceci ce qui nous intéresse. Cette ampleur nous permet de réunir des aspects très divers mais intrinsèquement liés à la construction des deux oeuvres.

La transtextualité d'Inka Trail et Señores destos Reynos privilégie les relations d'intertextualité et hypertextualité dans le premier cas et uniquement l'hypertextualité dans le second.

4.2.1 Intertextualité.

Il est possible de distinguer dans Inka Trail une palette d'intertextualité avec une forte relation de co-présence. Plusieurs textes sont effectivement présents dans le roman sous les formes d'allusions et de citations évidentes et masquées et parfois accompagnées des références. Une grande partie des liens intertextuels ont été tissés par euphonie, par conséquent on s'occupera uniquement des liens en rapport avec l'image de l'étranger.

De l'observation on peut se rendre compte qu'un bon nombre de citations ont été intégrées sans le suggérer au lecteur. Les oeuvres et auteurs faisant partie de cette intégration-absorption (sous la forme que Thiphaine Samouyault appelle impli-citation) peuvent être facilement identifiés grâce à une liste que l'auteur cite à la fin du livre.

Ce procédé invite le lecteur à pratiquer une lecture ouverte à un deuxième niveau et à rechercher les citations ou références au-delà du texte.

L'intertextualité nous permet de faire une réflexion sur le texte, et ce faisant nous plaçons le récit de fiction sous une perspective relationnelle car il y a un échange constant entre les textes.

Cet échange est le résultat d'un travail de bricolage69(*), d'une opération qui implique le recyclage de matériaux (littératures, médias, lieux communs), de collages et de combinatoire. Le procédé d'intégration par découpage ou écriture par montage, caractéristique de Chanove, rend ce travail évident.

L'intertextualité dans Inka Trail souligne le problème de la discontinuité. Par les citations, le roman de Chanove est ouvert à l'extérieur, à l'Autre. La conséquence en est une perte d'unité dans la lecture, une certaine dispersion et multiplicité, deux caractéristiques communes à la narration elle-même.

Les récits de Señores destos Reynos ont comme origine des recherches historiques minutieuses dont le bricolage, à la différence de celui d'Inka Trail, donne un effet de continuité. Si l'auteur réalise un énorme travail de récupération et de montage, il se préoccupe d'en effacer les traces.

Tout comme les histoires que le roman de Chanove et les nouvelles de Nieto racontent sont marquées par l'altérité et construites à travers elle, l'écriture nous révèle la présence de l'Autre, de l'étranger, par son intertextualité. Le roman policier, les chroniques, les études historiques, la science fiction, la poésie, les lieux communs et les clins d'oeil cinématographiques et télévisuels se retrouvent de façon directe ou indirecte dans ces textes.

a) Citations et allusions.

De la lecture d'Inka Trail on a réussi à identifier 46 citations de 42 auteurs70(*) dont moins de la moitié ont un rapport avec l'image de l'étranger. Bien que la plupart d'entre elles fasse partie du paratexte, certaines sont inclues dans le corpus textuel.

Les allusions retrouvées dans Inka Trail ont en général un rapport avec la culture populaire. La plupart d'entre elles vise à rappeler au lecteur des faits et des personnages historiques tels que les chroniques (p. 157), la religion (p.55), des films (p.173), des séries télévisées (p.145) ou la publicité (pp.92, 120), des personnages héroïques (pp. 28, 141, 168, 169) ou de fiction (pp.53, 125, 144).

b) La mémoire ludique (les lieux communs et l'ironie).

La mémoire s'expose ici sous la forme de clins d'oeil et plus particulièrement par l'utilisation de clichés et de lieux communs.

Le cliché est la phrase qui a été dite une fois et qui a finit par être généralisée jusqu'à devenir monnaie courante. Cette forme de communication qui fait partie de la mémoire collective d'une société est continuellement exploitée par nos auteurs.

Inka Trail introduit de nombreux clichés, la plupart d'entre eux rentrent dans le discours direct et soulignent le parler de certains personnages. Les phrases faites ont un effet clairement humoristique.

Lorsqu'il s'agit de Cusco et de son atmosphère, les stéréotypes sont renforcés : « Escucha tu voz interior » dit l'un des personnages étrangers en cherchant à convaincre son amante française, et Cusco apparaît encore comme une ville unique71(*).

Les lieux communs utilisés dans certains épisodes soulignent le côté beau parleur et vantard du stéréotype de l'homme de la capitale72(*). Manuel, le protagoniste, semble être la cible des lieux communs sur l'homme et son comportement social73(*). De même, la femme l'est sur son côté complexe, et en conséquence incompréhensible pour l'homme74(*). Finalement la fatalité est annoncée et assumée avec humour75(*).

4.2.2 Paratexte.

Le paratexte est souvent formé par des citations, la lecture au premier niveau d'Inka Trail n'est donc pas marquée par une co-présence totale (ou maximale) des textes, car ces citations sont identifiables. Clairement détachées du corpus textuel, elles ont été placées en tant que sous-titres ou épigraphes et mises en évidence. Le lien intertextuel n'est pas complètement effacé.

La préface, un monologue du protagoniste, culmine avec une citation de Melville : « Aunque no lo sepan, casi todos los hombres, en una o en otra ocasión, abrigan sentimientos muy parecidos a los míos respecto a partir. » Les idées du déplacement et de la condition d'étranger sont déployées dès le début du récit.

Quant aux 143 sous-titres et 7 titres du livre, ils fonctionnent de façon complémentaire à la narration qu'ils précédent et l'imprègnent souvent d'ironie.

Des thèmes tels que le voyage76(*), le tourisme77(*), des clins d'oeil au western78(*), à la science fiction79(*), à la métaphysique80(*), au cinéma81(*) et la musique82(*), des citations d'auteurs83(*) et des expressions locales84(*) ont un rapport avec le thème de l'étranger de façon souvent superficielle.

Certaines caractéristiques de l'étranger sont renforcées aux yeux du lecteur car elles sont annoncées par les sous-titres : « (Viejo Lobo del Norte) », « April Es El Mes Más Cruel », « (Casta De Malditos) », « El Héroe », « Las Emociones De Los Corredores De Bolsa », « (El Verdadero Enemigo) », « Gerardo Villegas, La Biografía », « (Manual Supersecreto Del Bacán) ».

Par une opération de collage, l'une des marques les plus caractéristiques du roman, un bon nombre de citations apparaissent sous la forme d'épigraphes. Certaines sont accompagnées de leurs références alors que d'autres ne le sont pas.

L'épigraphe joue à plusieurs niveaux : le roman commence85(*) avec une épigraphe qui porte et résume une part de la complexité du texte en faisant du voyage un motif récurrent dans la narration. En effet, le motif du déplacement réapparaît plus tard et donne une nouvelle signification à l'espace de l'étranger86(*).

La perception de la femme étrangère en tant qu'objet de désir est anticipée par l'épigraphe alors que dans le cas de l'homme étranger, l'épigraphe détourne le modèle pour provoquer un effet parodique87(*).

L'atmosphère de toute confrontation entre le Je et l'Autre88(*) est préfigurée par les épigraphes et leurs rapports amoureux sont imprégnés d'un teint artificiel et éphémère89(*).

La matérialité de l'écriture est donc mise en évidence de façon permanente par le collage, procédé qui est mené à sa limite dans l'inclusion d'une recette en tant que note marginale90(*).

L'épilogue est une sorte de revendication du Je et l'étranger finit par disparaître91(*).

4.2.3 Hypertextualité.

En ce qui concerne l'hypertextualité, nous analyserons les textes du corpus et nous essayerons de déterminer dans quelle mesure ils sont tributaires d'autres textes.

La transtextualité de Señores destos Reynos est marquée fondamentalement par une relation de dérivation. Luis Nieto écrit la première partie de son livre à partir des recherches historiques sur les récits des chroniqueurs du XVIIème siècle. Il se sert de ces événements qui fonctionnent en tant que scénarios préétablis pour écrire des récits de fiction. En plus des chroniques, de nombreux textes historiques constituent les références culturelles ou « autorités » auxquelles l'auteur obéit.

A la différence des événements historiques modernes, ceux racontés par les récits des chroniqueurs et les documents d'époque peuvent difficilement être corroborés ou comparés. Il s'agit souvent de documents uniques dans lesquels la subjectivité du chroniqueur façonne les images du Je et de l'Autre. L'exotisation de l'Inca est la marque la plus courante des textes les plus anciens, car ces écrits furent rédigés par des chroniqueurs et des autorités d'origine espagnole.

Nieto se sert des documents des archives historiques tels que : l'Instrucción del Inca don Diego de Castro Titu Cusi Yupanqui92(*) ; des lettres de Cusi Huarcay adressées au Vice-roi Comte de Villar don Pardo en 1586 ; des registres du couvent de Santo Domingo à Cusco, Pérou ; des documents datant de 1640 à 1650 qui ont servi à l'auteur pour reconstituer la vie de la jeune Beatriz ; le « Testamento inédito de doña Beatriz Clara Coya de Loyola, hija del Inca Sayri Túpac »93(*) ; une lettre de Cusi Huarcay, mère de Beatriz94(*) ; l'« Información de servicios de Martín García de Oñaz y Loyola »95(*) qui raconte la capture de Túpac Amaru et la « Descripción y sucesos históricos de la provincia de Vilcabamba »96(*).

L'auteur utilise aussi les chroniques du frère Martín de Murúa, ainsi que des recherches historiques diverses : Vida del conquistador del Perú don Francisco Pizarro, de Rómulo Cúneo Vidal97(*) ; El Señorío de los Marqueses de Oropesa en el Perú, de Guillermo Lohmann98(*) ; La conquista de los Incas de John Hemmings99(*) ; Nacimiento de una utopía. Muerte y resurrección de los Incas, de Manuel Burga100(*) ; l'article « Los mestizos rebeldes del Perú », de Héctor López Martínez101(*) et l'article « Amor y rebelión en 1782 : El caso de Mariano Túpac Amaru y María Mejía », de Kathryn Burns102(*).

Dans la deuxième partie du livre, le récit Mi sangre teñirá la nieve, tiré d'un fait divers, est aussi le résultat d'une abondante recherche, notamment dans le domaine des sciences sociales.

L'auteur construit l'univers de l'étranger à partir de différentes études ethnologiques et sociologiques. Les oeuvres utilisées sont : Kunturkanki, pueblo del Ande (Cusco, 1961), l'article « Chiaracke » (Túpac Amaru, Vol. II, N°2 y 3, Cusco, 1943) et la monographie « Sublevaciones indígenas » (conservée dans les archives historiques de la ville) du poète Andrés Alencastre, la nouvelle étant tirée de sa biographie. D'autres textes tels que le livre Vidas símbolos y batallas. Creación y recreación de la comunidad de indígenas. Cusco, siglos XVI-XX, de Luis Miguel Glave103(*) et les articles : « Las batallas de Rumitaqe. Movimientos campesinos en 1921 en Canas », de Abraham Valencia104(*) ; « De Taki Parwa a Taki Ruru »105(*) et « La canción mestiza en el Perú. Su valor documental y poético »106(*) de José María Arguedas ; et « Apu Qorpuna. Visión del mundo de los muertos en la comunidad de Awkimarka », de Ricardo Valderrama sont aussi utilisés.

Mi sangre teñirá la nieve est un récit particulièrement intéressant parce que le protagoniste agit comme un double de l'auteur et sa recherche sur l'Autre est comparable à la sienne. Tout comme l'auteur, le protagoniste plonge dans l'univers de l'étranger pour en tirer un profit artistique.

Chanove se sert pour sa part de textes divers. A la différence de Nieto, où l'on identifie une relation de dérivation plus ou moins encadrée par un domaine précis, les références culturelles que Chanove emprunte concernent des domaines divers.

Parmi ses sources on compte les Fleuves profonds, de José María Arguedas, un classique de la littérature péruvienne. L'une des premières scènes est curieusement récrite lors de la rencontre amoureuse dans les rues anciennes de Cusco de deux des protagonistes étrangers, une femme anglaise et un homme de Lima. L'homme déclare son admiration pour les murs inca et la femme exprime son désir d'y faire un serment ; le passage nous rappelle celui où Ernesto, protagoniste des Fleuves profonds, accompagne son père à Cusco pour la première fois et, émerveillé par l'architecture des Incas, veut en faire autant107(*). Le motif de l'étranger et son enthousiasme pour la culture du Je est traité dans les deux cas avec humour.

L'image littéraire de l'Autre est confrontée à des témoignages parallèles et contemporains aux représentations véhiculées par la presse, la télévision, la paralittérature, le cinéma et les arts.

Lors de la lecture d'Inka Trail nous trouvons de nombreux indices intertextuels tels que mots clés, citations, allusions et choix onomastiques, en rapport avec la science fiction.

Pour bien comprendre combien le lien avec la science fiction est intéressant pour notre analyse sur l'image de l'étranger, nous mentionnerons certaines des caractéristiques générales de ce genre dans le XXème siècle :

- La science fiction raconte des voyages épiques de découverte vers une altérité radicale et qui peuvent être évalués pat la richesse des relations présentées.

- Il y a dans toute histoire de science fiction un désir d'établir la communication (par l'intervention de langages par codes, télépathie ou inventions technologiques).

- La plupart des romans de science fiction posent le problème de cultures en contact et prônent le respect absolu de l'Autre.

- Il s'agit de légitimer une espèce de subversion de la réalité, de montrer que tout n'est qu'illusion, que rien n'est sûr et que l'homme n'est pas ce qu'il croit être.

- Une fin qui prend en compte à la fois le principe d'espérance et le principe de réalité.

Ces caractéristiques nous placent encore une fois face au thème de l'étranger. Dans de nouveaux espaces utopiques et lointains, dans de nouveaux cadres, on trouve aussi de nouveaux habitants. Ces étrangers (quelles que soient leur forme ou leur nature) sont des reflets de l'homme, tout comme ce lieu inconnu est le reflet de son monde.

Notre analyse des mots clés, nous avait déjà montré ce rapport linguistique avec la science fiction, l'étranger était appelé « extraterrestre » et « alien ».

Le lien hypertextuel le plus intéressant du roman concerne l'une des séries télévisées les plus populaires aux Etats-Unis pendant trente ans, Star Trek. Cette série fait partie de ce qu'on appelle le space-opera, des récits de science fiction qui racontent l'exploration de mondes fabuleux.

Filmée dans un décor immuable, le croiseur galactique Enterprise, la série rassemble une diversité de personnages. Le capitaine français, Jean- Luc Picard, le second vulcanien Spock, le médecin irlandais Mac Coy, le chef-mécanicien écossais Scott et l'officier de transmission ougandais Uhara ainsi que de nombreux autres personnages qui changent au fil du temps s'y retrouvent.

L'Enterprise est une goélette de l'espace commandée par une sorte de « Christophe Colomb » spatial, un conquistador, chargé par une instance majeure (la Confédération) d'explorer l'espace jusqu'à découvrir une terre inconnue intersidérale. On pourrait bien voire ici une transposition futuriste de l'entreprise de découverte du nouveau continent.

De même, cette recherche de mondes nouveaux est marquée par l'espoir de trouver dans l'inconnu, le lieu idéal, le groupe humain, l'organisation ou l'intelligence capables d'incarner le Bien.

Mais si la science fiction ne véhicule pas souvent les stéréotypes de la supériorité de l'homme sur les autres êtres vivants, ni ceux d'une race chargée de civiliser les autres, la série Star Trek le fait. L'évidence du lien intertextuel entre Inka Trail et la série nous fait considérer attentivement cette particularité.

Tout comme Star Trek, Inka Trail, réunit à la fois les paramètres formels d'unicité des lieux et des héros, et les paramètres thématiques de constante découverte d'information.

Si dans la série créée par Gene Rodenberry, le lieu est un vaisseau spatial, Inka Trail emprunte son nom, l'Enterprise, pour désigner le bar où son histoire se déroule. L'équipage du vaisseau y est littéralement concentré par les contraintes physiques et celui du roman l'est par son atmosphère envoûtante.

L'équipage du vaisseau explore l'espace lointain, l'espace donc de l'étranger, tout comme le font les personnages du roman qui se retrouvent à l'Enterprise.

Mais le choix de Star Trek est aussi étroitement lié à l'action de la télévision. La télévision a un rôle de témoin de son époque et sa fonction est celle de faire une médiation entre l'homme et toute espèce d'événement. « La vocation originelle de la télévision est de conférer l'ubiquité à nos sens infirmes » dit Michel Mourlet108(*). Cela voudrait dire que nous désirons explorer le temps aussi complètement que l'espace, car le présent ne comble pas notre quête.

Les choix de Chanove (séries télévisées, sitcoms, publicités, etc.) sont articulés dans le texte de façon similaire à la façon dont la télévision agit. Si la télévision est capable de reconstruire le monde à partir d'éléments bruts, l'écriture de Chanove essaie d'en faire autant. Ce travail qui exploite certaines caractéristiques de la télévision est pourtant possible seulement à partir d'une attitude active et critique à son égard. Par ces choix délibérés, Chanove met en évidence le manque d'innocence des médias.

Le roman a lui-même une structure de série télévisée, c'est-à-dire épisodique. Certains des principes appliqués par les séries télévisées sont exploités par le roman. Pour qu'une série ait du succès, il faut des personnages récurrents auxquels le public puisse s'attacher ainsi qu'une nouvelle surprise à chaque épisode. Ces principes semblent régir aussi le roman :

- La fragmentation de chaque chapitre et l'utilisation de titres comme s'il s'agissait d'un épisode de série.

- La présence des personnages est caractérisée par son intermittence.

- Le lecteur peut s'attacher aux personnages, par l'absence de polarisation, tout comme les protagonistes de la série, les traits de caractère des personnages du roman engendrent de la sympathie.

4.3 Le modèle symbolique.

Toute représentation des rapports culturels est une représentation de confrontation culturelle, et les valeurs culturelles de l'auteur ainsi que ses préjugés sont inévitablement mêlés à cette confrontation. Il y a toujours un degré de subjectivité (auto-image) dans la représentation d'une autre culture. Cet inavouable degré de subjectivité est l'une des différences les plus importantes entre l'« image » et l'information objective.

4.3.1 La manie.

L'image de l'étranger que Chanove véhicule dans Inka Trail est fondamentalement positive. L'étranger est observé avec curiosité et bienveillance alors que le regard porté sur le Je est extrêmement critique. Si les défauts du Je sont soulignés, ironisés ou directement critiqués, ceux de l'Autre apparaîssent plutôt en tant qu'excentricités. Tant que les personnages demeurent des étrangers par les procédés d'exclusion déjà mentionnés ils sont l'objet d'une adjectivation neutre ou positive alors qu'une fois inclus dans le monde du Je, ils sont qualifiés de façon moins favorable.

Une vision romantique de l'Autre est celle de Mi sangre teñirá la nieve et Buscando un Inca, deux des nouvelles de Luis Nieto. L'indigène, étranger pour le métis, est porteur d' « essences » culturelles, invariables à travers les siècles, éternelles et représentatives du Pérou profond. Cet étranger apparaît comme étant congelé dans le temps et sa culture n'est pas transformée bien que des événements de grande importance politique et sociale le secouent. Le Je dans ces textes ne cherche pas à le faire changer, il souhaite, au contraire, lui faire garder son « authenticité ». Cette vision révèle une forte exotisation de l'Autre. Cet étranger est admiré. Cet étranger possède quelque chose d'implicitement supérieur à la culture urbaine du métis, du Je, dont la culture est contaminée, polluée ou dégradée par la technique et la vie moderne.

4.3.2 La phobie.

L'Autre, l'étranger, traduit son défi de la morale de son pays en excès qui, perçus de façon ambivalente par le Je, peuvent devenir et une ligne de conduite et un comportement condamnable.

D'après le sémiologue Jean-Didier Urbain, le mépris du touriste et sa transformation en stéréotype révèle un modèle profond concernant le territoire symbolique du voyage et le rôle de l `individu109(*).

La phobie envers le touriste serait ainsi un phénomène d'origine interne, résultat de la répulsion du voyageur qui se trouve face à des doubles trop nombreux.

Les personnages de Nieto révèlent un sentiment de phobie à l'égard de l'étranger. Le comportement du Je est marqué par le mépris envers l'Autre et vice versa. Le langage utilisé par le narrateur pour exprimer la position des personnages ne ménage pas les invectives. Fernando de Dónde está la verdad Gadafito?, pense ainsi que le comportement de l'étranger « era lo que más detestaba [...], de lejos la peor lacra de la sociedad humana, contra la que había que apuntar las baterías », et Laura, de Buscando un Inca, pense que « los peruanos eran un hato de zoofílicos : las doncellas se enredaban con osos y los hombres se excitaban frotando con unas ratas peludas a sus mujeres.110(*) »

Conclusions

La cohabitation de groupes sociaux différents tant ethniquement que culturellement a fait historiquement du continent américain un continent d'étrangers. Ce phénomène présente aussi ses particularités lorsqu'on parle du Pérou, pays construit sur une civilisation native bien consolidée, qui subit jusqu'à ce jour, un processus de métissage généralisé.

Dans certains endroits de grande importance historique, ces changements sont encore plus complexes. C'est le cas de Cusco, ancienne capitale de l'empire Inca et aujourd'hui destination préférée du tourisme.

Dans un contexte politique et économique où le pays entier est dominé par la violence, Cusco vit une décennie fleurissante. Deux phénomènes sociaux : l'incanisme et le cosmopolitisme, agissent de manière complémentaire et permettent aux habitants locaux de créer une auto-image positive. Les sentiments qui en résultent adoucissent l'impact négatif que les grands problèmes économiques ont dans le reste du pays.

La littérature péruvienne traditionnellement divisée entre l'indigénisme et le réalisme voit ces courants opposés se moderniser dans les années quatre-vingts. Le pays subit une mutation sociale de grande importance, un processus de « cholification » qui instaure une nouvelle culture mi-urbaine, mi-rurale. Le néo-indigénisme et le néoréalisme urbain répondent à cette nouvelle situation et finissent par former un tout hétérogène.

La littérature de Cusco, lieu d'origine de l'indigénisme, subit aussi ces changements mais l'influence de cette idéologie est encore très forte.

Señores destos Reynos de Luis Nieto et Inka Trail d'Oswaldo Chanove sont deux des oeuvres apparues dans les années quatre-vingt-dix, une époque particulièrement intéressante en raison de la commémoration du cinquième centenaire de l'arrivée des Espagnols en Amérique et de l'accroissement du tourisme.

Dans ces livres nos auteurs reprennent et récrivent des interprétations verbalisées que le Péruvien d'aujourd'hui fait sur sa propre condition, celle de l'Autre (l'étranger), et sa perception du monde. L'image littéraire de l'étranger révèle les fonctionnements de la société péruvienne.

L'étymologie nous permet de créer un réseau sémantique pour le mot « étranger » à partir duquel il s'avère être en même temps l'hôte et l'ennemi.

Nieto et Chanove, par l'utilisation de certains mots-clés, de mots-fantasmes et d'un lexique pris à l'étranger écrivent l'altérité à leur façon. A partir de la lecture analytique nous pouvons établir des rapports hiérarchiques entre le Je et l'Autre ainsi que reconnaître la récriture de scénarios récurrents dans la littérature péruvienne.

Les images de l'étranger que Nieto et Chanove construisent sont pourtant opposées. Si le premier choisit une démarche plus proche de la tradition littéraire locale, Chanove en est libéré, son travail étant expérimental et novateur.

Alors que Nieto écrit à partir d'une recherche historique approfondie, Chanove utilise les moyens d'information, la télévision, la paralittérature et la publicité.

Nieto valide dans ses nouvelles les stéréotypes historiques de l'étranger. L'étranger est un ennemi qui arrive pour détruire l'ordre du Je. La qualité d'étranger change toutefois selon les époques et l'étranger d'autrefois ne l'est plus dans un cadre socio-économique et culturel différent.

En effet, le travail de Nieto est un parcours historique des rencontres entre le Je et l'Autre. Et leurs rapports sont ceux du conflit, ceux d'adversaires qui mesurent leurs forces. Les personnages de Nieto n'ont jamais la paix, la confrontation est leur caractéristique. L'ensemble de son livre propose des scénarios différents qui évoluent dans un sens ou dans un autre, comme un combat tantôt gagné par le Je, tantôt par l'Autre. Ces confrontations finissent toujours par une réconciliation. Le natif et l'étranger s'unissent finalement, après cinq cents ans de rancune.

Chanove, au contraire, fixe le moment actuel dans un espace précis, comme dans un instantané. L'espace est privilégié, l'étranger se déplace et le natif le fait aussi.

Les stéréotypes de l'étranger sont tour à tour utilisés et rejetés, validés et déjoués, et son but semble être purement ludique.

Le Je et l'Autre d'Inka Trail font tous les deux partie d'un micro-univers où la qualité d'étranger est un trait commun et partagé. Nous sommes tous des étrangers semblent dire les personnages. Peut importent ses origines, l'étranger devient le Je dans ce nombril du « nombril du monde ».

Bibliographie

OEuvres des auteurs

Chanove, Oswaldo

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Estudio sobre la acción y la pasión.- Lima : 1987.

El jinete pálido.- Lima : Editorial del Santo Oficio, 1994.

Inka Trail.- Lima : Editorial del Santo Oficio, 1998.

Canción de amor de un capitán de caballería para una prostituta pelirroja.- Version électronique : www.poesia.com , 2001. Actuellement en processus d'édition.

Luis Nieto Degregori

Harta cerveza y harta bala (1987)

La joven que subió al cielo (1988)

Como cuando estábamos vivos (1989)

Con los ojos para siempre abiertos (1990)

Fuego del sur : tres narradores cusqueños publié en collaboration avec Enrique Rosas Paravicino et Mario Guevara.- Lima : Ed. Lluvia, 1990

Señores destos Reynos.- Lima : Peisa, 1994.

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* 1 Nous préférons Cusco, au lieu de Cuzco ou Qosqo, l'utilisation de ce mot étant d'usage général.

* 2 Tord, Luis Enrique, Crónicas del Cusco, Lima, Ed. Delfos, 1977.

* 3 Aves sin nido, Ediciones Sempere, Valencia, 1889.

* 4 Clorinda Matto publie aussi le livre Tradiciones Cusqueñas (1910).

* 5 El padre Horán, Tipografía de El Comercio, Cusco, 1918.

* 6 Le député José Angel Escalante de Cusco, commence cette polémique avec la publication d'une critique caustique à l'indigénisme de José Carlos Mariátegui pour « profiter de la grande masse indigène (...) pour l'intronisation des idéaux bolcheviques et communistes au Pérou ».

L'indianisme, à différence de l'indigénisme, suppose un traitement idéalisateur de la figure de l'Indien, issu d'une culture paternaliste et sentimentale.

* 7 Les photographes Eulogio Nishiyama et Martín Chambi entreprennent un travail qui aboutira à la formation d'une « Escuela Cusqueña » de cinéma.

* 8 Il faut distinguer l'indigénisme en tant que mouvement culturel et politique. Comme Mirko Lauer l'a bien défini, l'indigénisme est « dans le mouvement politique [...] une métonymie de paysan, alors que dans le mouvement culturel il est une métonymie d'autochtone ».

Deux oeuvres ont traité ce sujet à profondeur et sous deux points de vue opposés. L'essai L'utopie archaïque (1996) de Mario Vargas Llosa, analyse l'oeuvre et la pensée de José María Arguedas ainsi que le mouvement indigéniste. Pour l'auteur, l'indigénisme fut non seulement un courant littéraire et artistique mais aussi une fiction idéologique dépassée et réactionnaire, une utopie archaïque qui tissait des éléments collectivistes, magiques, antimodernes et antilibéraux. La perception de l'indigénisme politique de l'historien Alberto Flores Galindo, est aussi d'intérêt ; son livre Buscando un Inca est une exploration historique de longue haleine sur les utopies élaborées par les peuples andins. Ces utopies seraient les réponses à un présent d'oppression par la recréation idéalisée du pays des Incas. Aujourd'hui, les revendications politiques marxistes et socialistes de Flores Galindo semblent ne plus correspondre à la réalité du pays, toutefois, son analyse historique est de grande justesse.

* 9 Fauve, Henri, Reforme agraire et ethnicité au Pérou sous le gouvernement des Forces Armées 1968-1980, Berlin : Colloquium Verlag, Ibero-Americanisches Archiv, 17-1-33, p.9.

* 10 Année du massacre d'un groupe de journalistes à Uchuraccay, village des Andes, aux mains des paysans ignorés par le gouvernement et restés dans l'isolement pendant des décennies.

* 11 Lauer, Mirko, Andes imaginarios. Discursos del indigenismo-2, Lima : Sur, 1997.

* 12 Le travail de Max Hernández sur la psychanalyse de Garcilaso : Memoria del bien perdido, aborde à profondeur ce sujet.

* 13 Cornejo Polar, Antonio, Perú 1964 - 1994 : economía sociedad y política, Lima, IEP, 1995, p. 300

* 14 Appelée ainsi par l'anthropologue Jorge Flores Ochoa.

* 15 L'Academia Peruana de la Lengua Quechua, créée en 1958 et formée par des intellectuels de classe moyenne avec des études supérieures est à l'origine de cette pratique.

* 16 Le Musée Inca, le plus important de la ville, rassemble la plus grande collection d'objets inca de Cusco et la Maison de Garcilaso de la Vega exhibe ses objets personnels et d'autres oeuvres d'art précolombien.

* 17 L'Inti raymi ou fête du soleil, est une mise en scène du rituel d'état inca qui rassemble plus de 500 acteurs. Parlée et chantée en quechua, cette représentation théâtrale attire des centaines de touristes et une grande quantité d'habitants locaux.

* 18 Si le touriste moyen qui arrive à Cusco est à priori intéressé dans la culture inca et désireux de visiter Machupicchu, Cusco, sa porte d'entrée n'est pas moins intéressant car le lieu présente toute une atmosphère qui exploite le thème inca, colonial ou indigène. Tout centre archéologique de la ville est ses alentours est accessible au visiteur ; des restaurantes et commerces dont les noms sont en quechua et dont la décoration utilise l'artisanat local sont nombreux.

* 19 Flores Ochoa, Jorge, Van der Berghe, Pierre, « Turismo e incanismo en el Cusco », in Andes, n° 3, 1999, p. 179-200.

* 20 Hernández Max, Memoria del Bien Perdido, Madrid : Ed. Encuentros, 1992, pp. 177-178.

* 21 « Primera ciudad y primer voto de todas las ciudades y villas de la Nueva Castilla ».

* 22 Création du « Centre Bartolomé de las Casas », organisation non gouvernementale dont le travail de recherche des thèmes andins est une source d'information de grand intérêt.

* 23 Festivités autour du 21 juin, le jour de l'Indien et anniversaire de la ville.

* 24 Le 12 octobre de 1992, la cathédrale apparaît couverte d'une pancarte où l'on peut lire : « 500 ans de Résistance Andine » à côté du torse nu de Túpac Amaru avec la poignée en haut. Un défilé silencieux autour de la Place d'Armes et une plaque commémorative clôturent cette date.

* 25 Ce phénomène a été nommé la « fuite de talents ».

* 26 Cox, Mark, El cuento peruano en los años de violencia, Lima, Ed. San Marcos, 2001.

* 27 Harta cerveza y harta bala (1987), La joven que subió al cielo (1988), Como cuando estábamos vivos (1989), Con los ojos para siempre abiertos (1990) et Fuego del sur : tres narradores cusqueños (1990) publié en collaboration avec Enrique Rosas Paravicino et Mario Guevara.

* 28 El gran Señor, Cusco: Municipalidad del Qos1qo, 1994, Ciudad apocalíptica. Lima : Libranco, 1998 et Al filo del rayo, Lima : Lluvia, 1988.

* 29 El héroe y su relación con la heroína (1983), Estudio sobre la acción y la pasión (1987), El jinete pálido (1994), Canción de amor de un capitán de caballería para una prostituta pelirroja (2001).

* 30 Cazadores de gringas y otros cuentos (1993).

* 31 Heyles, Katherine, La evolución del caos. El orden dentro del desorden en las ciencias contemporáneas, Barcelona, GEDISA, 1993.

* 32 Meillet, A, Ernout, M., Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 1959, pp.300-302.

* 33 Benveniste, Emile, « L'hospitalité », dans Le vocabulaire des institutions indoeuropéennes, Paris : Minuit, 1969, volume I, livre I, section II, chapitre 7, p. 361.

* 34 casto, ta. Dícese de la persona que se abstiene de todo goce sexual, o se atiene a lo que considera como lícito. // 2. Que no posee en sí sensualidad. CASTO AMOR DELEITE. // 3. Referido al estilo, castizo, puro. » (Diccionario de la Real Academia, volume I, p.436).

* 35 castizo. adj. De buen origen y casta.// 2. Por ext., típico, puro, genuino de cualquier país, región o localidad. // Aplícase al lenguaje puro y sin mezcla de voces ni giros extraños. // Muy prolífico, referido a animales. » Ibid, p. 436.

* 36 Pageaux, Daniel-Henri, La littérature générale et comparée, Paris : Armand Colin, 1994, p.62.

* 37 Sur ce point Barthes précise qu'une utilisation qui devient, du fait de la sémantisation, un signe, est une « fonction-signe ».

* 38 Occurrences : Cusco : 40, Paris : 10, Nueva York, New York, N.Y. : 6, Lima : 6, Londres : 2, Italia : 2, USA : 1, Chicago : 1, Johannesburgo : 1, Estocolmo : 1.

* 39 Chanove, p.

* 40 Nieto, p. 140.

* 41 Barthes, Roland, S/Z, Paris, Seuil, 1970.

* 42 Hamon, Philippe, « Un discours contraint », Poétique N°16, Paris, Seuil, 1973, p. 425.

* 43 Du grec Helenêa ou helios : torche, corps enflammé, brandon et par extension du sens, brandon de discorde ce qui nous rapproche de la figure mythique d'Hélène de Troie.

* 44 De aprilis, dérivé du mot indo-européen áparah et Apollo : avril, postérieur par rapport à l'autre ou être dont la beauté est éblouissante.

* 45 De alius, alter, alienus : autre, différent, celui qui s'oppose aux autres, d'autrui, étranger, hostile.

* 46 Amossy, Ruth, Les idées reçues, Paris, Nathan, 1991, p.8.

* 47 Ibid., p.10.

* 48 Leerssen, Joep, « Mimesis and steteotype », in Yearbook of European Studies, n°4, 1991, pp. 165-176. (p.167).

* 49 Urbain, Jean-Didier, L'idiot du voyage, Paris, 1997, p.89.

* 50 Lafarge, Claude, La valeur littéraire,

* 51 Kristeva, Julia, Etrangers à nous mêmes, Paris, Fayard, 1998., pp.17-18.

* 52 Mitterand Henri, Le discours du roman, p.194

* 53 Hijos de Supay.

* 54 Reina del Perú et María Nieves.

* 55 Ville des Rois.

* 56 Un empire, d'ailleurs, dont les caractéristiques sont très proches de la conception européenne d'un empire : contrôle d'un peuple nombreux et varié, un langage imposé, des tributs minutieusement calculés qui soutiennent la bureaucratie, une religion d'état, une armée et une aristocratie.

* 57 Gabrielico, ángel del demonio.

* 58 Le paysan appelle la terre la pachamama (la mère).

* 59 Nieto, 1994, p.92.

* 60 On rappelle ici, l'imaginaire auquel certains des mots- fantasmes font appel : la tripartition de l'espace symbolique en collana, payan et cayao, la division omniprésente entre le hanan (en haut) et le urin (en bas) et les trois mondes existants : le ukupacha (le monde intérieur), le kaypacha (le monde extérieur) et le hanaqpacha (le monde supérieur).

* 61 Op. cit., p.141.

* 62 Ibid., p. 127.

* 63 Ibid., p.131.

* 64 Ibid., pp.127-128.

* 65 Alberro, Solange, « La historia de la mentalidad: trayectoria y perspectivas », in, Historia Mexicana N° 166, Vol. XLII, N°2, 1992, p.334.

* 66 Kristeva, Julia, op.cit., p. 33.

* 67 Dans le prologue de « Cazadores de gringas », Eduardo Gonzáles Viaña décrir le brichero comme « une espèce d'indien proffesionnel dont l'attractif réside dans toute sa mimesis avec la couleur locale qui lui confère de l'exotisme et de la bonne fortune ».

* 68 Cox, Mark, « De pishtacos a bricheros », p.1

* 69 Terme auquel Lévi-Strauss faisait référence dans son étude de la pensée mythique.

* 70 William Blake, C. S. Lewis, S. Begley, J. Salinger, Sartre, Cioran, J.M. Arguedas, Lautréamont, Joseph Roth, Thomas Mann, Steiner, James Blish, Melville, Luis Hernández, H.P.Lovacraft, William Gibson, Yukio Mishima, M. Yourcenar, Ray Bradbury, W. Miller, Tolstoi, Jorge Eduardo Eielson, José Donoso, José Carlos Marátegui, Igor Davies, Rubém Fonseca, Barry Gifford, Tobias Wolf, Brautigan, James Thompson, Erich Segal, Jack Kroll, Quintiliano, Carson Mc. Cullers, Chesterton, C. M. Talkington, Pessoa, Denis Hooper, Curtis Bernhardt.

* 71 « -No existe otra ciudad como el Cusco -declaró Gerardo, mientras liquidaba la última gota de su trago »

« -Cusco es patrimonio de la humanidad! -clamaba Gerardo »

« (Patrimonio De La Humanidad) »

« -Dicen que Cusco es la mejor ciudad de América -dijo el chileno, intentando animarse con algo de conversación »

« April aplastó la punta de su hermosa nariz contra el grueso cristal de la ventana. -Parece otro mundo -exclamó en castellano. »

* 72 « Ladrón que roba a ladrón...-rió Memo. Sus dientes eran cortos y desiguales. No era indio. Tampoco era blanco. En realidad ni siquiera era mestizo. »

« -Tú eres mejor de lo que piensas -dijo. -Tú eres el único que se salvará -cargoseó. »

« La buena vida y la poca verguenza. »

« -Sí. Es hora de cruzar el charco -repuso Arturo, satisfecho. »

« -Claro, aunque no lo creas yo estaba muy cerca de la cresta de la ola -se ufanó Gerardo. Manuel lo contempló con una de sus gastadas sonrisas indescifrables, ponzoñosas. -El éxito temprano enloquece a las estrellas. »

« -Para mí la plata era como agua. Qué digo! Era peor que agua. »

« -Lo importante no es sólo ser el mejor sino parecerlo. »

* 73 « -Pareces un hombre nuevo -aduló alguien »

« -Éste es un asunto de caballeros y se resuelve como caballeros... »

« -Pórtate bien que nada te cuesta -recitó el mistiano a manera de despedida. »

« -Creo que has visto demasiadas películas. »

« Todo un mundo negado al mejor de los hombres. »

« (Peruano No Mea Solo) »

* 74 « -Las mujeres siempre se las arreglan para apoderarse de todo. »

« "Escuchen bien, porque sólo lo diré una vez: las mujeres no buscan sexo, buscan amor" »

* 75 « (Dios Pone A Prueba A Las Personas Que Ama) »

« (Nadie Puede Ser Tan Feliz Sin Ser Castigado) »

« En la última ceremonia en su honor alguien dijo: -No te has ido, vives en el corazón de los que te conocieron. »

« El Ocaso De Una Estrella »

« Jamás se volvió a saber de ellos. Quién puede creer en nadie en esta época? »

* 76 Bitácora de vuelo, Busco Mi Destino, La Ilusión Viaja en ENAFER (publicité), Boarding Pass, Desayuno Americano.

* 77 « El MachuPicchu », « Extraña Luminosidad De Las Grandes Piedras », « Anthropological Work In Perú », « Inka Trail, (Handbook Of The Inca Empire) », « (Imperio De La Luna)

* 78 « A La Conquista De La Última Frontera, Una Bala Sin Nombre, (Todas Hieren, La Última Mata) , (Soy Joven, Fuerte, Y Estoy Enojado). »

* 79 « (Viaje A Las Estrellas) »

« Gran Parte Del Planeta Sigue Siendo Un Lugar Inseguro E Incierto »

« Un Meteoro Caerá Sobre La Tierra »

« (Estos Impactos Personales Se Prestan A Grandes Interrogantes Como Cuál Será El Efecto De Ampliar Tan Considerablemente Las Facultades Humanas?) »

* 80 « Irrupción Del Azar »

« (Intromisión Del Azar) »

« El Sentido De La Vida »

« El Espíritu Triunfó Sobre La Adversidad »

« (Causa Y Efecto1, Sustancia Y Accidente, Posibilidad Y Realidad, Cantidad Y Calidad, Etc. ) »

« Algo Absolutamente Extraordinario Es Acaso Demasiado? »

« Uno Mismo No Es Suficiente »

« Absolutamente, Tal Vez »

* 81 (Nadie puede ser tan feliz sin ser castigado)- Cyd Charisse, El Hombre Que Sabía Demasiado, Easy Rider, Cusco, Ciudad Abierta, Perfume De Mujer, El Angel Azul (Una Bonita Gringa), Los Cuatrocientos Golpes, Corazón Salvaje, Love And A 45, La Noche Del Cazador (Radiocarbon Dating).

* 82 « (Riders On The Storm) », « Escalera al cielo », « (Noche de ronda) », « All You Need Is Love »

* 83 (Cantan Con Sus Dulces Bocas Circulares- William Blake, (Escribo para los ignorantes sobre cuestiones que yo mismo ignoro) - C.S.Lewis, Limpiarme Los Dientes, Peinarme, A Toda Costa Disimular Mi Risa Realmente Aterradora - Salinger, (La Tentación De Existir) - Cioran, (Yawar Mayu) - Arguedas, Abandonad Toda Desesperanza - Lautréamont, Esa Dinámica Ontológica Que Llamamos "Vida" - Steiner, La Energía Es La Delicia Eterna - William Blake, (La Noche Oscura Del Alma) - Juan de la Cruz, Qué Tal Imbécil Mi Corazón, Crece Y Crece Como Un Tumor De Terciopelo - Eielson, (Infiel Siempre, Desleal Jamás) - José Donoso, El Arte De Amar - Ovide, (Cordura) - Tobias Wolff, (Su Comportamiento Provee De Municiones Tanto A Sus Partidarios Como A Sus Críticos), Exagrama 44, Kou et (Es Propicio Atravesar Las Grandes Aguas) - Yi King, La Balada Del Café Triste - Carson McCullers, (Love Story) - Erich Segall, Quién, Qué, Dónde, Por qué medios, Por Qué, Cómo, Cuándo? - Quintiliano, La Casa Verde - Vargas Llosa.

* 84 « (Alita de Mosca) », « Sánguche De Pollo », « Señor Conchesumadre », « (Saltado Con Papas Fritas) », « Salud! ».

* 85 « El ser es la más estricta de las prisiones. »

* 86 « -Qué te trajo aquí?

-Mi salud. Vine por el mar

-Qué mar? Aquí no hay mar.

-Estaba mal informado.

En Casablanca »

« Este bar es la última oportunidad para los refugiados que buscan una visa para la salvación. Este bar es el purgatorio. Un punto intermedio.

En Casablanca »

« ...un impresionante torbellino de guitarras eléctricas, percusión reiterativa, teclados y fanfarrones ganchos pop »

* 87 « Here it comes, here it comes/ Here it comes your nineteenth nervous breakdown

M. Jagger »

« Hogar? Yo no tengo hogar. Perseguido! Despreciado! Viviendo como un animal. La selva es mi hogar. Pero le demostraré al mundo que puedo ser su amo. Perfeccionaré mi propia raza de gente. Una raza de superhombres atómicos que conquistará el mundo.

En Ed Wood, de Tim Burton. »

* 88 « Es de guerreros vencer o ser derrotados.

Atahualpa »

« Por qué es incapaz el oído de permanecer cerrado a su propia destrucción y el rutilante ojo al veneno de una sonrisa?

Blake »

« El ejercito se pone en marcha al son de los clarines. Si los clarines están desafinados es un mal signo.

La frívola alegría no es la debida disposición de ánimo para el comienzo de una guerra.

Exagrama 7 »

« Todos hablan de él como de un asesino, pero nadie menciona lo bien que tocaba el piano.

Comentario de Michline Reynaers a propósito de Josef Mengele. »

* 89«  -Tú me amas?

-Más que nada en el mundo.

-Más de lo que el motor ama al aceite?

-Más de lo que el motor ama al aceite.

en Love and a 45 de C.M. Talkington »

« Nunca amamos a nadie. Amamos, sólo, la idea que tenemos de alguien. Lo que amamos es un concepto nuestro, es decir, a nosotros mismos.

Pessoa »

* 90 «Kirkincho.

Ingredientes:

Un puñado de hojas de coca.

Dos limones.

Una medida de pisco puro.

Miel de abejas.

Preparación:

Se coloca el puñado de hojas de coca en un recipiente y se le agrega agua hirviente. Se deja reposar unos quince minutos y luego se cuela. Se endulza con miel de abeja. Se exprime los limones. Antes de tomar se aplica el pisco. »

* 91 « Post scriptum: Alias también fue feliz, aunque eso no estaba en el primer lugar de su agenda. De alguna manera consiguió el dinero suficiente y compró el Enterprise. Sólo le cambió de nombre: Inka Trail. Música folcklórica cada noche. »

* 92 Edition de Luis Millones (Ediciones El Virrey, Lima, 1985).

* 93 Dans la revue Fénix, Revista de la Biblioteca Nacional (N°7, Lima, 1950).

* 94 Dans la revue Revista del Archivo Histórico de Cusco (N°13, Cusco, 1970).

* 95 Dans le tome VII de l'édition de Víctor M. Maurtúa, Juicio de Límites entre el Perú y Bolivia (Imprenta de Henrich y Comp. Barcelona, 1906).

* 96 Ibid.

* 97 Obras Completas. Vol. III. Edit. Ignacio Prado Pastor, Lima, 1978.

* 98 Instituto Nacional de Estudios Jurídicos. Anuario Historia del Derecho Español, Madrid, 1948-1949.

* 99 Fondo de Cultura Económica, México, 1982.

* 100 Instituto de Apoyo Agrario, Lima, 1988.

* 101 Dans le livre Rebeliones de mestizos y otros temas quinientistas, Edit. P. L. Villanueva, Lima, 1972.

* 102 Dans la revue Histórica, Vol. XVI, N°2, Pontificia Universidad Católica del Perú, Lima, 1992.

* 103 Fondo de Cultura Económica, Lima, 1993.

* 104 Dans Rebeliones indígenas quechuas y aymaras, Centro de Estudios Andinos, Cusco, 1980.

* 105 Dans la revue Revista Peruana de Cultura, N°3, Lima, 1964.

* 106 Dans Indios, mestizos y señores, Ed. Horizonte, Lima, 1985.

* 107 «- Où que j'aille, les pierres que l'Inca Rica a fait assembler m'accompagneront. Je voudrais faire un serment ici même.

- Un serment ? Tu n'es pas dans ton état normal, mon petit. Allons voir la cathédrale. Ici c'est très sombre. » Les fleuves profonds, p.13.

* 108 Mourlet, Michel, La télévision ou le mythe d'Argus, Clichy-la-Garenne, France Univers, 2001, p.

* 109 Urbain, Jean-Didier, « Sémiotiques comparées du touriste et du voyageur », in Semiotica, LVIII, p. 269-286. (p. 271)

* 110 Nieto, 1994, p.140.






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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote