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De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le lexique français


par Julie Mamejean
Faculté des Chênes, Cergy-Pontoise - DEA Lettres et Sciences du langage 2006
  

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III/ Le politiquement correct à la française, l'utopie contemporaine

« Car on se soumet à de certaines idées reçues non comme à des vérités, mais comme au pouvoir » (Mme de Staël)

1) Des débuts prometteurs

Détaché du contexte social et politique américain et canadien, le politiquement correct répond à son nouvel ancrage : prudence abusive et bons sentiments sont érigés en dogme. Le politiquement correct en France c'est un peu ce que J-P. Sartre appelait hier « la morale chrétienne sans Dieu ». On s'abandonne à ce qu'on croit reconnaître comme la nouvelle foi populaire dont l'unique préoccupation est :

« D'éviter que l'auto estime des différents groupes sociaux minoritaires puissent être offensés par des propos non appropriés, de nature à induire ou à renforcer une vision dévalorisée ou culpabilisante d'elle-même »49(*).

Dès lors, le politiquement correct est présenté comme une enseigne de l'art du bien parler, enraciné dans un terroir intellectuel et académique. Et c'est grâce à cette forme de contrôle social du langage, contrôle revendiqué comme légitime, que l'on doit apprendre la manière de se comporter pour éviter heurts et conflits, pour tempérer menace et crise pesant sur les minorités.

Ainsi, certaines expressions sont littéralement interdites.

Plus qu'un apprentissage, le politiquement correct est comme son nom ne l'indique pas :

« D'abord une opération sur le langage. Son souci est de bannir du lexique usuel -dans un but primitivement généreux sinon louable- les termes ou appellations évoquant une réalité par trop désagréable, jugés négatifs, discriminatoires, abusivement autoritaires, dont on estime qu'ils constituent en eux-mêmes un jugement d'infamie »50(*).

Nous devons reconnaître que la société française notamment, a des origines qui la prédestinait aimablement à l'acception puis à l'adoption de ce phénomène : tout d'abord comme l'explique V.Volkoff 51(*), l'une des caractéristiques du politiquement correct est l'esprit chrétien qui réside sous la forme de « dolorisme » et de « misérabilisme » le composant.

De fait, il y a dans le politiquement correct une certaine forme de méfiance à l'égard de toute société, d'une société en général, capable de mépriser certaines de ses communautés.

Vague écho ici du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, où est mis en avant l'idée que, des « inégalités de condition et de fortune » naissent les inégalités sociétales, les défaillances de l'organisation sociale, le politiquement correct semble avoir trouvé un terrain fertile pour l'accueillir.

Hérité du rousseauisme, cette idée que si l'homme ne se bat pas, il sera soumis voir anéantit par la société, correspond parfaitement au principe du politiquement correct qui est, à son origine, un mouvement permettant de rassembler les exclus (on condamne les expressions connotées) et de les faire exister par le langage (on les remplace par des termes neutres évitant tous jugements ou sous-entendus).

Première forme de discours social, on reconnaît au politiquement correct, l'idéologie de l'effacement des différences.

Et parce qu'il est admis dans la pensée commune que la France est un pays de résistants, de contestataires, on pourra également reconnaître dans le politiquement correct le « sens exacerbé de la lutte des classes »52(*) et comme nous l'avons déjà brièvement évoqué, les relents des mouvements soixante-huitards.

Et puis, au-delà de tout cela, il y a dans le politiquement correct une idée qui ne peut que séduire la France : réformer le langage pour les raisons que nous savons c'est instaurer de nouvelles règles, de nouvelles normes énonçant le « parler-correct », une langue propre et policée, un français finalement fils de la grande dame du Quai Conti.

En alliant la volonté d'égalité pour tous -idéal républicain- à une normativité linguistique - main mise de l'Académie- le politiquement correct pouvait être sur de trouver en France un confortable fauteuil.

2) Le politiquement correct, essence de la langue française

A- Une innéité discursive

Si le politiquement correct bénéficie dans la langue française d'une telle assurance, c'est qu'il entre dans un schème de communication bien précis.

En imposant le principe de lutte contre la discrimination à l'égard des ethnies, des minorités, il se présente comme un phénomène inattaquable car bien fondé.

En négociant la légitime reconnaissance des communautés d'identité traumatique (colonialisme, esclavage, diaspora), il s'impose comme un discours évident, naturel.

Des principes comme la tolérance, la dignité de la personne, sont réétudiés pour offrir une nouvelle signification. Tout repose donc sur une apparente objectivité, ce qui prouve la cohérence du système :

« Les tenants de la correction politique vont édifier une doxa, un corpus de notions (...) en posant d'éternelles minorités comme victimes, l'idéologie du politiquement correct est légitimée »53(*).

Allant plus loin encore, le politiquement correct se présente comme un langage résolument épuré de toute racine énonciative, et inspiré d'une neutralité unique dont le parangon est celui notamment du langage scientifique.

Fondé sur la revendication affirmative d'une lutte humaniste et humaine, le politiquement correct se présente comme un nouvel élan qui promet de garantir l'égalité dans le langage.

A.Semprini explique que le politiquement correct tend à y arriver via un « double programme » : le programme négatif est celui qui remplace le mot « impur », et en parallèle le programme positif, caractéristique même du politiquement correct, vise à une amélioration de la langue.

Ainsi, bien plus qu'une tentative, ce phénomène linguistique se présente comme un phénomène pensé, et rationalisé. Et c'est là toute sa force.

Il s'apparente sans plus tarder au fameux « ce qui va de soi » de la rhétorique barthésienne.

Dès lors, parce qu'il s'énonce comme discours inné, le politiquement correct annule l'existence de toute forme de doute en avançant et en imposant l'aspect indiscutable de son vocabulaire.

Le concept idéologique devient arme de conviction et la notion d'évidence imposée comme un innéisme y participe.

Qui oserait en effet contester un tel phénomène linguistique ? Quelle personne sensée et raisonnable pourrait se plaindre de ce nouveau code langagier qui renie toute forme de mépris envers les communautés exclues ?

S'enrôlant dans un schème discursif qui l'illustre comme stratégie de persuasion, le politiquement correct s'annonce comme une réalité philosophico-linguistique relevant d'un principe tout à fait louable, celui d'une égalité commune de toutes les races, de tous les peuples, de toutes les langues, portée par le mouvement pour les droits civiques. L'égalitarisme comme moteur d'une démocratie politiquement correcte donc ...

« Droitsdelhommisme » généralisé comme se plait à le dire V.Volkoff, il y a dans ce néologisme l'obsession d'un droit universel de l'homme, d'un droit qui remplaçant tous les commandements, serait le seul absolu.

Il n'est donc pas possible de donner au politiquement correct une définition exacte, de l'affubler d'une date de naissance ou d'un point de départ tant il est quelque chose d'immanent à l'être humain. Le politiquement correct, visant à l'égalité universelle se fonde sur la notion de compensation. Son unique dessein est d'effacer toutes les différences.

Ni code linguistique, ni doctrine sociopolitique, le politiquement correct plus simplement s'inscrit dans « une façon de réagir aux choses, une sensibilité sui generis »54(*).

Autant dire qu'il était inconcevable de parler de ce fait linguistique sans démontrer l'intégrité de sa démarche qui s'étend jusque dans l'univers lexicographique.

* 49 A.Semprini, Le multiculturalisme, chap.3

* 50 G.Racle, site http://ottawa.blog.lemonde

* 51 V.Volkoff, Manuel..., p.8

* 52 Id.

* 53 S.Desclous, Le politiquement..., p.31-32

* 54 V.Volkoff, Manuel...

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon