WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le lexique français


par Julie Mamejean
Faculté des Chênes, Cergy-Pontoise - DEA Lettres et Sciences du langage 2006
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

3) De la siglaison à la siglomanie

Le principe de siglaison, lié au système morphologique de la langue, qui joue sur la réduction de la forme, semble relativement récent, comme tend à le prouver l'évolution de la définition de ce mot.

Alors que le Petit Robert à la fin des années 1970 donnait une définition très sobre, « Initiale ou suite d'initiales servant d'abréviation », la définition du Petit Larousse au début du 21e siècle insistait d'avantage sur l'aspect courant de ce type d'abréviation : « Groupe de lettres initiales constituant l'abréviation de mots fréquemment employés »166(*).

En effet, dans n'importe quel discours, le sigle depuis une bonne dizaine d'années s'expose et s'institutionnalise à tel point que, pour reprendre l'intitulé d'un chapitre de P.Merle, « Parlez-vous sigle ? »167(*), le réflexe de « sigler » chaque mot est devenu omniprésent.

Aussi il n'est pas rare de se retrouver confronté à des phrases (sujet, verbe, complément) uniquement composées de sigles.

Et si les plus courants sont intégrés dans la langue quotidienne par facilité ou par économie du temps de parole, ils le sont en revanche sans traduction, puisque supposés déjà connus. Toute personne méconnaissant des sigles comme S.A.V ; S.D.F ; I.V.G ; O.P.A... doit alors se débrouiller seule.

Du temps où les sigles restaient propres à un domaine précis (le monde du travail avec ses R.T.T, ses C.P et sa P.L.V ; le milieu médical avec les I.V.G, M.S.T et T.S) on pouvait légitimement les justifier.

Mais, dès lors qu'ils intègrent tous les secteurs de la vie privé et publique, on ne peut plus parler que d'une invasion du sigle.

De la siglaison à la siglomanie, le pas est donc vite franchi, et le décodeur s'impose. Car il est flagrant de constater l'étendu de cette astuce langagière.

P.Merle dans ses différents ouvrages décrypte quelques-uns de ces sigles-acronymes.

En septembre 2004, Jean-Louis Borloo, ministre de la cohésion sociale, évoque lors d'une émission sur France 2, le renforcement imminent du P.T.Z (serait-il plus convivial de parler en sigles méconnus ? Ici, c'est le « Prêt à Taux Zéro » qui est évoqué) ; le 18 avril, le Journal du dimanche titre « les français ont peur des NEM »...bien loin d'un sondage sur les hésitations culinaires des français, il faut comprendre, après traduction, les « Nouveaux Etats Membres ».

Souvent un moment d'hésitation, un silence, un quiproquo, une moue inquiète, se font sentir.

Les sigles en tant que raccourcis linguistiques mènent dans leur profusion à une ambiguïté, voir à une incompréhension des gens qui les subissent.

Il n'y avait qu'à écouter les informations sur le salon de l'agriculture des mois passés pour en prendre conscience... la SOFRES donnait les résultats de son sondage sur le terroir français, la PAC, les O.G.M, la F.N.S.E.A, le CIFOG...

Aussi effrayant que cela puisse paraître, le sigle règne en maître dans le discours spécialisé ou courant, mais la confrontation est parfois tellement rude qu'on ne s'y attelle plus.

Lorsqu'on lit dans le Figaro économie, « la LOV privilégie-t-elle le DSQ ou la CLI ? », dans Le Monde, « le secrétaire général de l'OIP interdit d' ENM »168(*), on referme le journal, désemparé.

Cette omniprésence en plus de mener à un charabia au sein duquel on se perd, entraîne également une confusion lorsqu'un même sigle désigne deux réalités différentes.

Ainsi, dans une émission de santé publique diffusée sur la chaîne de la 5 au mois d'avril 2006, un nutritionniste qui s'indignait de l'oubli trop fréquent de l'I.M.C (« Indice de Masse Corporelle ») cédait la parole à une infirmière qui évoquait quand à elle la difficulté rencontrée de nos jours par les I.M.C (« Infirmes Moteurs Cérébraux »).

Et le comble concernant les sigles ne semble jamais atteint.

Hormis toutes les personnalités publiques qui bénéficient pour seul nom d'un sigle composé de leurs initiales (P.P.D.A, B.H.L, J.F.K, J.P.P, D.S.K, V.G.E...), on en vient à utiliser des sigles partout et pour tout, même si l'on frôle le ridicule, comme l'illustre V.Volkoff, par des exemples emplis d'ironie169(*) : le F.M.G désigne le « Fragile de la Matière Grise », le dément, le P.P.H n'est autre que celui qui ne « Passera Pas l'Hiver », autrement dit « le vieux », le F.P.C évoque d'un humour noir le « Fornicateur Par Coercition » ou « violeur ». Enfin, tout assassin est désigné par le sigle P.V.V, « Preneur Volontaire de Vie ».

Car le sigle n'est finalement jamais autant dérisoire que lorsqu'il est dit avec le plus grand sérieux, on trouve dans le magazine Capital en janvier 2005 un article sur les CDF, les « Chouchoux Du Fisc » ; une émission de radio évoque les FBI, les « Fausses Bonnes Idées » ; le Journal du Dimanche évoque l'ADM, « l'Arme de Destruction Massive », tandis qu'une pédopsychologue fait l'éloge à la radio, des BPF, les « Bons Pères de Famille ».

Cette « pluie de confettis de langage » comparable à une véritable épidémie selon P.Merle, semble ne jamais s'arrêter tant elle se démocratise, se banalise à l'extrême.

Si le succès d'un tel phénomène peut s'expliquer de diverses façons, nous avons surtout vu en cette technique langagière, une forme de préciosité linguistique.

Non pas que les sigles empêchent de dire des choses brutales, gênantes, choquantes... car il y a dans leur utilisation la même volonté que dans celle de la périphrase ou de l'euphémisme, la volonté de ne juger, de ne blesser personne. La volonté de dissimuler dans une forme nouvelle, un fond qu'on ne veut pas franchement prononcer.

La survie des sigles est donc assurée tant qu'ils nous tiennent à distance non contagieuse de ce qu'ils suggèrent.

Ainsi, pour reprendre les sigles les plus connus, S.D.F et H.L.M ont permis de neutraliser les concepts qu'ils sous-tendaient, T.S et I.V.G ont garanti l'oubli de toute connotation morbide.

Le marché du sigle se porte donc très bien, et l'amitié avec le politiquement correct est franche, le premier dédouane et le second supporte : la misère s'enrichit des ABS, « abus de biens sociaux », des ZUP, « zones à urbaniser en priorité », des CES, « contrat emploi solidarité », des RMI, « revenu minimum d'insertion » et autres ZEP, « zones d'éducation prioritaire », et les exclus de toujours intègrent la société par la grande porte avec le PACS, les CGL « centres gay et lesbien » ...

Le sigle permet d'aller donc plus loin dans l'abstraction de l'idée, pour enrayer sa signification première :

« La froideur, la neutralité du sigle permettent de prendre en considération une réalité qui nous dérange lorsqu'elle est appelée par son nom »170(*).

De plus, la maîtrise du sigle en tant qu'instrument d'adoucissement sémantique confère à celui qui en use, une sorte de supériorité, « car celui qui jongle avec ces amphigouris là, est à l'évidence, un initié »171(*).

L'une des autres techniques mises en place en tant que solution miracle à une éthique et à un langage défaillant, est celle de la récurrence lexicale.

Non pas tant astuce linguistique que pure technique de communication, le politiquement correct s'immisce et s'impose dans les médias, vecteur, canal de communication riche à souhait.

Maintenant qu'il a trouvé sa cible et les moyens de se l'approprier, c'est par la grande porte qu'il fait passer ses messages.

* 166 Définition du Petit Larousse 2003

* 167 P.Merle, Précis de la langue ..., p.74

* 168 Exemples de titres pris au hasard des recherches dans des journaux de 2002 à 2006

* 169 V.Volkoff, Manuel ..., p.132

* 170 P.Merle, Le prêt à parler, p.106

* 171 P.Merle, Précis..., p.75

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard