WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Echec scolaire et devenir comportemental des adolescentes vivant dans les quartiers precaires a Abidjan: Le cas de Yahosei dans la commune de Yopougon

( Télécharger le fichier original )
par Naye Dominique IRITIE
Université de Cocody - UFR Criminologie - Maitrise Criminologie 2005
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CHAPITRE 2 : INTERPRETATION ET DISCUSSION DES RESULTATS

PARAGRAPHE 1 : INTERPRETATION

1- Statut de déscolarisée et prise en charge au sein de la famille

Les adolescentes des milieux défavorisés sont de moins en moins prises en charge par leurs parents une fois déscolarisées, si ce n'est le décès de son père notamment qui a fait d'elle une déscolarisée. Elles sont placées très tôt face à la question de leur propre prise en charge financière et poussées à rechercher d'autres voies et issues afin d'assumer cette charge.

· Statut de déscolarisée au sein de la famille

Dans les sociétés africaines en général et la société ivoirienne en particulier, la part belle est souvent faite au sein des familles à l'enfant qui va à l'école, surtout dans les familles modestes et pauvres. Celui-ci est considéré au départ comme un investissement et donc mérite une attention particulière contrairement au déscolarisé, surtout si ce dernier l'est du fait de son mauvais rendement scolaire.

Souvent, le décès du père, principale source de revenu, laisse la jeune fille sans autre alternative. Quand bien même elle se retrouve parfois à la charge d'un tiers parent, sa prise en charge est biaisée.

· Question de la prise en charge de la fille par les parents

La prise en charge financière de la fille par les parents s'avère être plus limitée dans le temps que celle du garçon. A partir d'un certain âge, la jeune fille doit pouvoir se « débrouiller » elle-même et ne plus vivre aux dépends de ses parents et même souvent aider ceux-ci à s'occuper du reste de la famille.

Etre fille et de surcroît déscolarisée à l'âge de l'adolescence dans un milieu pauvre comme celui de Yahoséi signifie qu'il faut se chercher ; c'est d'ailleurs le terme qu'utilisent les adolescentes déscolarisées prostituées pour désigner ce qu'elles font.

La situation de ces adolescentes n'est pas aisée quand on sait que l'adolescence est une période marquée par l'accroissement des besoins de la fille (vestimentaires, monétaire...).

« La démission parentale conduit les jeunes à organiser la vie à leur guise, leur ouvrant ainsi la porte aux phénomènes de la déviance si connu dans nos régions : [...] alcool, drogue, prostitution. [...] Parfois, les jeunes filles sont aussi touchées par la démission des mères, qui, ne sachant quoi faire, les envoient se « débrouiller » dans la rue... »31(*)

2- Affaiblissement de l'autorité parentale et recherche de prise en charge

Qu'il s'agisse de celles qui s'adonnent à la prostitution ou des autres déscolarisées, les parents sont beaucoup moins engagés dans la prise en charge financière que du temps de la scolarité.

Ce relâchement a eu pour conséquence l'affaiblissement de l'autorité parentale.

· Affaiblissement de l'autorité parentale

Les parents ne pouvant ou ne voulant plus répondre aux besoins financiers de la fille voient leur autorité sur celle-ci diminuer considérablement. La fille obtient ainsi une certaine liberté à l'égard du contrôle parental et tombe dans un laisser-aller. En plus, à peu près la moitié des familles de ces adolescentes sont des familles monoparentales constituées surtout de la mère. Ce déséquilibre psychologique qui pré existe chez la fille, soit en termes de manque d'autorité paternelle ou d'affection maternelle, favorise davantage l'affaiblissement de cette autorité.

S'agissant de son entrée dans la prostitution Mlle X explique : « après la séparation de mes parents, je suis venue vivre avec ma mère. Cette dernière n'a plus les moyens de s'occuper de moi et mon père est aujourd'hui à la retraite ».

Comme le constate Serge Larivée, « Le vécu familial des adolescents délinquants présente un tableau général d'inharmonie et d'instabilité marqué par au moins deux absences : l'absence de stabilité relationnelle et l'absence de cohérence dans leurs règles de vie (exigences parentales) oscillant dans certains cas de l'exigence tyrannique au laisser aller le plus total. »32(*)

Par ailleurs, il convient de préciser qu'il existe des situations exceptionnelles de relâchement dans la prise en charge dues au décès du père. Dans ces cas, la cause de l'affaiblissement du contrôle parental est l'absence du père.

La prise en charge financière par les parents occupe une part importante dans l'engagement pro social. Mlle Z a 19 ans et est aussi déscolarisée et vit à Yahoséi. Elle apprend la couture et habite chez ses parents qui la prennent en charge.

· A la recherche de prise en charge non parentale

Que la déscolarisée soit en apprentissage d'un métier, qu'elle n'ait aucune occupation, c'est aujourd'hui la fille elle-même qui « se cherche » pour se prendre en charge.

Certaines se mettent en ménage avec un homme à qui revient la charge de s'occuper d'elle ou encore ont plusieurs partenaires. Mlle Y, jeune prostituée de 19 ans affirme quant à elle : « quand j'ai laissé l'école, j'ai commencé à apprendre la couture mais après j'ai arrêté à cause de la mort de mon père et je suis allé vivre avec mon copain à Divo.»

D'autres encore vont vivre chez un autre parent souvent un grand frère, une grande soeur, un oncle ou une tante.

Pour ce qui est des adolescentes qui s'adonnent à la prostitution, plusieurs quittent le domicile familial pour vivre avec d'autres camarades prostituées.

« Je suis le premier enfant de mes parents. Mon père est forgeron et ma mère est commerçante. Mes parents n'ont pas suffisamment de moyens pour s'occuper de moi .C'était dur et je voulais me prendre en charge. Je suis venue habiter ici avec mes camarades », nous fait comprendre une de nos enquêtée.

Face à la problématique déjà difficile de leur propre prise en charge financière par leurs parents, les adolescentes déscolarisées ont peur d'avoir à porter la charge d'un autre individu, d'un enfant. Ceci d'autant plus que les chances que le géniteur assume ses responsabilités sont maigres, sinon inexistantes. Les filles trouvent ainsi en l'avortement une solution toute indiquée au problème des grossesses non désirées auquel elles sont nombreuses à être confrontées.

3. Influence de l'environnement et tolérance du milieu

· Influences de l'environnement prostitutionnel

A Yahoséi, la prostitution est une réalité sociale que côtoient les adolescentes déscolarisées au quotidien.

D'emblée, il est bon de préciser que Yahoséi est un quartier hautement prostitutionnel. On y trouve un grand nombre de maisons closes où vivent plusieurs filles de diverses nationalités dont les Ghanéennes et les Nigérianes mais aussi des Ivoiriennes. A côté de cela, à Yahoséi, sont aussi domiciliées d'autres filles (adolescentes ou non) qui quittent leur quartier pour aller se prostituer sur d'autre sites tel la célèbre « rue princesse ». Le « Mouvement du nid », une ONG qui lutte contre la prostitution a identifié Yahoséi au nombre des sites prostitutionnels de Yopougon.

Une adolescente de 16 ans, vendeuse d'orange affirme : « Ici à Yahoséi, presque toutes les filles se prostituent. Le matin, on est même chose mais la nuit, beaucoup vont se prostituer à la rue, au bel air ou bien même ici.»

· Tolérance de l'avortement par le milieu social

Le sentiment de culpabilité dans la pratique de l'avortement est très faible, voire inexistant dans notre société moderne tant qu'il ne s'en suit pas de drame.

Dans ce délit, la jeune fille est rarement la seule responsable car les parents, le géniteur et tous les praticiens y ont leur part. Une adolescente scolarisée confie : « moi-même j'ai déjà fait un avortement. Mes parents ne voulaient pas de la grossesse et moi aussi je voulais continuer l'école, c'est pourquoi j'ai avorté.»

 Dans tous les pays d'Afrique où il est interdit, l'avortement provoqué est pratiqué aussi bien par des médecins dans de luxueuses cliniques privées que par des membres du personnel para médical, inexpérimentés et dans des conditions désastreuses. Toutes sortes de femmes y font appel sans distinction de milieu ou de condition sociale, aussi bien la très jeune fille que la femme déjà mûre, mère de plusieurs enfants. Sa fréquence, bien qu'impossible à chiffrer de manière précise peut être exprimée par le nombre des accidents qui amènent la malade à l'hôpital, dans des circonstances souvent dramatiques : septicémie [...], péritonite [...], choc toxi-infectieux, perforation utérine .Lorsque la malade guérit, il persiste des séquelles à type de douleurs abdominales chroniques et surtout de stérilité.33(*)

Plusieurs filles ont des camarades qui se sont déjà fait avorter, mettant ainsi leur vie en danger. Il en est de même pour la prostitution.

A la vue de cette situation, il n'est pas étonnant que ces adolescentes elles aussi s'adonnent à la prostitution car l'adolescence  représente une période assez sensible aux fréquentations, surtout des pairs.

4. Sensibilité de l'adolescence et processus d'imitation

· Sensibilité de l'adolescence dans la formation de la personnalité

L'adolescence est une période caractérisée par « la crise de l'adolescence » qui est un temps de quête d'identité propre, de déséquilibre où l'adolescente cherche ses repères. Elle est un temps d'errance, d'essaie. Aussi, les fréquentations des pairs jouent-elles un rôle catalyseur au sens où l'adolescente, désormais en contestation avec les valeurs des adultes, forme avec ses camarades une « classe sociale » à laquelle elle s'identifie et se reconnaît. « Dès lors qu'ils cherchent sans cesse les occasions d'évasions et qu'ils ne se sentent à l'aise que parmi les pairs, les jeunes sont à tout moment exposés à la déviance. »34(*)

En effet, le relâchement de leurs parents dans leur prise en charge, l'affaiblissement de l'autorité parentale et l'accroissement de leurs besoins, tout cela dans un contexte de pauvreté économique ne laisse pas les adolescentes indifférentes aux propositions de leur milieu ou de leurs camarades, qu'elles soient actives ou passives. Les adolescentes « se cherchent » c'est-à-dire qu'elles cherchent des voies et moyens pour s'en sortir dans la vie. Voulant imiter leurs camarades, plusieurs filles succombent à la tentation, s'aventurent et s'installent dans la prostitution. Une adolescente élève en classe de Terminale qui s'adonne à la prostitution nous raconte : «Je vis avec ma mère. C'est une institutrice à la retraite. Si je me prostitue, c'est pour avoir de l'argent de poche pour acheter des habits à la mode comme mes camarades. » 

· Imitation des pairs

Parmi les éléments cités dans le processus d'entrée dans la prostitution, les conseils donnés par les amis ont souvent parachevés la décision finale de se livrer à la prostitution. En effet, la camarade se présente comme celle qui entraîne sur le site prostitutionnel, elle est celle qui présente la nouvelle venue aux autres. La camarade est aussi celle qui encourage ou incite par ses biens matériels. Dans ce milieu défavorisé, elle constitue un modèle, elle fait envie. Mlle X, 16 ans, explique :

Après le décès de mon père qui était militaire pendant la guerre, ma soeur aînée et moi sommes venues à Abidjan. Nos parents paternels ont mis la main sur ce qui revenait à notre père et nous ont abandonnés. Nous sommes allées vivre avec la camarade de ma soeur qui se « cherchait ». Et ma soeur aussi a commencé à se chercher en zone 4 tout en m'interdisant de faire autant. Après son départ pour la France, sa camarade à refuser de me prendre en charge alors qu'elle bloquait l'argent que ma soeur m'expédiait. C'est alors que des camarades m'ont conseillées de venir ici à Yahoséi pour me chercher aussi.

Mlle Y, à son tour déclare : « Cela fait deux ans que je suis dedans. J'ai demandé à mes camarades qui s'habillaient bien comment elles faisaient pour gagner leur argent et j'ai commencé. »

On se rend compte à la lecture de ces dires que les raisons qui poussent les filles à la prostitution sont certes le manque de prise en charge financière mais la décision finale est souvent liée au contact que les adolescentes ont avec d'autres filles prostituées.

Ce comportement semble être un facteur humain décisif dans l'adoption du comportement prostitutionnel.

Quant à l'avortement, les camarades ou pairs constituent pour les adolescentes déscolarisées des exemples ayant « bravé et réussi » cette épreuve. Leur expérience ôte la peur, la crainte de passer à l'acte. C'est pourquoi, l'avortement constitue d'ailleurs une pratique courante dans le milieu des adolescentes à Yahoséi. Ici, les camarades donnent des conseils sur les produits, la méthode à utiliser ou encore conduisent chez le praticien.

5. Société de consommation et logique d'adaptation

· Une société de consommation

La société moderne africaine dans laquelle nous vivons aujourd'hui tend à devenir une société de consommation calquée sur le modèle européen.

Posséder alors le pouvoir d'achat est ce qui compte quelque soit la manière dont cela est fait. De plus en plus, la prostitution devient un moyen pour le faire.

En outre, la représentation de la réussite sociale tant pour les prostituées que pour les autres filles équivaut à l'argent ; toute chose qui appuie le caractère de plus en plus matériel de notre société.

Comme élément de réussite sociale, le foyer est aussi pris en compte mais en dernière position. Ceci s'explique par le fait aussi de la matérialisation des relations interpersonnelles même dans le cadre du mariage. En effet, bien que la vie de couple constitue dans notre société une grande valorisation, elle tend à être reléguée au second plan au profit du gain matériel. L'idée qu'une fille qui « ne fait rien » ne peut pas trouver un mari qui puisse la prendre financièrement en charge est aujourd'hui répandue. Avoir de l'argent est en définitive un puissant vecteur de valorisation sociale car il semble ouvrir toutes les portes.

· Logique d'adaptation sous jacente à la prostitution et à l'avortement

A Yahoséi, les adolescentes déscolarisées qui s'adonnent à la prostitution la conçoivent non pas comme une fin mais un moyen. Elle est un tremplin .Il s'agit pour ces adolescentes de recueillir le capital nécessaire pour entreprendre une activité génératrice de revenus, en l'occurrence le commerce. En effet dans une société où les valeurs morales sont de plus en plus corrompues au profit du matériel, ce qui compte le plus est de s'en sortir en définitive, peu importe les moyens. Ainsi beaucoup d'adolescentes répondent à la question de savoir quand elles arrêteront de se prostituer : « lorsque j'aurai l'argent nécessaire pour faire mon commerce. » Une élève de 15 ans en classe de 4eme et qui s'adonne à la prostitution affirme : « C'est moi-même qui paie mes cours dans une école privée avec l'argent que je gagne et je me prends aussi en charge. Je suis une déplacée de guerre et mes parents sont au village et n'ont plus rien. Plus tard, je veux devenir médecin ou avocate. »

Par ailleurs, le besoin d'indépendance cité par les adolescentes au nombre des causes de leur comportement prostitutionnel dénote aussi de leur recherche de valorisation sociale en termes de liberté .En effet dans ce milieu, n'être à la charge de personne, gagner soi-même sa vie est sujette de mérite et d'envie. En dehors de notre questionnaire, une adolescente nous confiait : « Tantie, tu vois la fille là, chez elle, il y a tout. Les gens peuvent penser que c'est garçon qui paie pour elle mais ce n'est pas vrai. C'est elle-même. »

Dans leur logique, les filles refusent le statut de fille mère autant qu'elles le peuvent en pratiquant l'avortement. Aujourd'hui, les mères ne sont pas toujours prêtes à recueillir leurs petits enfants comme c'était le cas par le passé à cause des besoins de plus en plus grandissant pour l'éducation d'un enfant.

6. Refus d'apprentissage et besoin de satisfaction immédiate

· Refus d'apprentissage

Chez les adolescentes déscolarisées, on note le goût du gain rapide qui se traduit à travers leur désir de faire le commerce plutôt que d'apprendre un métier. En effet l'apprentissage demande du temps, de la patience tandis que le commerce est une activité qui génère des revenus à très court terme. Le désir de satisfaction immédiate des besoins chez elles est symptomatique du trait de caractère psychologique du déviant.

· Besoin de satisfaction immédiate

Presque la totalité des adolescentes qui s'adonnent à la prostitution disent ne pas avoir le choix quand on leur demande pourquoi elles ne font pas autre chose.

Mais, à la question qui leur est posée de savoir si elles envisagent arrêter un jour, elles répondent toutes « oui ». Et lorsqu'il leur est demandé quand précisément elles comptent arrêter, une réponse vague est donnée : « quand j'aurai réuni l'argent nécessaire pour mon commerce », ou encore « quand je trouverai autre chose à faire ». Chez ces adolescentes, il n'y a pas de projection conséquente dans le futur de façon pratique mais plutôt théorique. Elles semblent se contenter de ce qu'elles gagnent « facilement » si bien qu'elles n'envisagent pas clairement le futur sans ce gain que leur procure la prostitution.

* 31Raymond Mampaka N'Lélé, Essai d'analyse sur le phénomène des échecs scolaires, P17, Abidjan, le 1er Août 2001, composition et impression : Collège Catholique St Jean Bosco Treichville

* 32 Serge Larivée, Le fonctionnement cognitif de l'adolescent délinquant, Thèse, Montréal, Août 1977.

* 33 Encyclopédie médicale de l'Afrique, éd. Larousse Afrique, 1986, volume3, p 787.

* 34Simon Saihassi Anvo, Education scolaire et délinquance juvénile en CI : (exemples d'Aboisso et d'Abidjan),

mémoire de maîtrise de Sociologie, 1979-1980 P53

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand