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Le Roman français et l' Avenir de la littérature francophone, face au Manifeste pour une littérature Monde

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par Mame Diarra DIOP
Université Paris IV La Sorbonne - Master 1 de Lettres Modernes Appliquées 2007
  

Disponible en mode multipage

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Paris IV- La Sorbonne / Département de Littérature française et comparée.

Mémoire de Master de Lettres Modernes Appliquées

2006-2007

Le Roman français 

Enquête sur les phénomènes éditoriaux

et

  L'avenir de la littérature francophone face au manifeste pour une littérature monde

16/20

Auteur : Mame Diarra DIOP

Sous la direction de Pierre Brunel

Prélude

« J'avais tellement assimilé les leçons de Koullel, le conteur, qu'on m'avait surnommé "Amkoullel", c'est-à-dire "le petit Koullel". Je leur répétais tout ce que j'entendais conter à la cour de Tidjani, et qui constituait l'enseignement même de la tradition orale........... Il y avait la poésie épique, la poésie bucolique et champêtre, les éloge en l'honneur de certaines familles ou d'actes de bravoure, les poésies concernant les métiers, et les satires pour censurer les moeurs, sans parler des enseignements pratiques, tel que la pharmacopée, par exemple...... Toute ma vie, je me suis cherché sans me trouver. Je ne saurais me définir moi-même".

Amadou Hampâté Bâ, le grand traditionaliste de la littérature africaine.

SOMMAIRE

Introduction.....................................................................VI

I Des nouvelles formes de la littérature contemporaine ou tendances dominantes de celle-ci..............................................................................8

A L' autofiction, phénomène éditorial.......................................................10

1. L' autofiction pure........................................................................10

2. La chicken littérature ou littérature de poulette....................................11

3. Les témoignages de vie.....................................................................12

4. Les essais politico-people..................................................................12

B De la nécessité des prix littéraires........................................................15

1. Descriptif des cinq grands prix littéraires : du plus prestigieux au moins médiatisé..................................................................................................15

2. De la valeur marchande d'un prix......................................................18

3. Quand les prix divisent, consacrent et créent la polémique........................ 19

-a les jurées.................................................................................19

-b les écrivains ensuite....................................................................21

-c les éditeurs, la combinaison galligrasseuil.........................................22

C Conclusion de la première partie..........................................................23

II De l'avenir de la francophonie  au manifeste pour une littérature Monde XXV

A  Qu'est-ce que la Francophonie ?....................................................................26

1. Définition et Historique.................................................................26

2. L'organisation Internationale de la Francophonie................................28

B Francophonie et Littérature.................................................................29

1. Le prix des cinq continents de la Francophonie....................................34

2. Les collections dédiées aux auteurs étrangers.......................................35

C Le manifeste pour une Littérature Monde..............................................39

1. Extraits Choisis et Analyse d'un Contexte.........................................40

La convention de Saint Malo..........................................................45

2. Réactions  au manifeste................................................................49

- En France..............................................................................49

- A l'étranger...........................................................................51

- Quelques intellectuels analysent le manifeste..................................57

3. Le classement des auteurs francophones en rayon.................................63

4. Pour une littérature Monde, l'ouvrage..............................................70

D Conclusion de la seconde partie...........................................................72

Conclusion Générale..................................................................73

- Annexes

- Bibliographie (76)

- Sources médias et Internet

I

Le Roman français 

Enquête sur les phénomènes éditoriaux

Introduction

Le roman français contemporain en péril ? Le philosophe et sémiologue Tzvetan Todorov s'interroge aujourd'hui sur l'avenir de la littérature moderne. Dans un entretien accordé au journal la Croix Littéraire1(*), il évoque la production littéraire actuelle largement mise en avant par les deux rentrées de Septembre et de Janvier. Premier constat : « Le péril viendrait de l'enseignement scolaire qui a subi une mutation au lendemain de 68. Pour Todorov, l'absurde serait un trait dominant de cette littérature, à laquelle l'exigence même de produire des beaux textes, alors une connexion entre le monde réel et le monde imaginaire de l'écrivain, ceci pour mieux nous comprendre, manquerait... Si les critiques littéraires sont jugés fautifs, trois autres phénomènes sont à l'origine de la faiblesse du roman contemporain, le formalisme, le nihilisme et l'autofiction ». Or Todorov juge la littérature porteuse de sens avant tout, symbolique et merveilleuse. Il estime également que si les écrivains modernes écrivent comme ils peuvent, leur univers en revanche est pauvre et monotone, ce qui justifie le faible manque d'intérêt de la littérature française à l'étranger...

Par ailleurs, André Schiffrin, éditeur et auteur de l'ouvrage Le contrôle de la parole, évoque un système dépendant de deux grands groupes que sont Editis et Hachette et qui imposent des pratiques commerciales sauvages au livre, cet objet culturel devenu un produit marketing, ceci au détriment du pôle éditorial et surtout de la découverte des auteurs. Car aujourd'hui, dans l'édition, on fabrique plus d'auteurs qu'on en découvre. Nous partirons donc de ces constats pour développer notre argumentation autour de la littérature contemporaine. Nous allons également décrypter des phénomènes éditoriaux comme Les Bienveillantes2(*), véritable tour de force littéraire, ceux qui promettent le succès commercial, comme les nombreuses autofictions exposées sur les rayons des librairies parisiennes, de même que nous parlerons des prix littéraires qui ont couronné à l'automne dernier, des écrivains d'origine étrangère,communément appelés auteurs francophones.

Dans notre deuxième partie, nous nous intéresserons à la francophonie, à la littérature francophone et aux écrivains qui la représentent. D'ailleurs, est-il possible de parler de la littérature française et francophone sans évoquer un fait littéraire très important qui a eu lieu cette année au mois de Mars. En effet, 44 écrivains ont publié dans Le Monde des Livres3(*) un manifeste afin de prêcher pour une « Littérature Monde en français » et rejeter l'appellation «  francophonie ».

A partir de là, nous analyserons les réactions des uns et des autres (éditeurs, auteurs, lecteurs ou libraires) et nous verrons qu'il est n'est pas évident de se faire une plume quand on vient d'ailleurs et sans faire l'objet d'une catégorisation littéraire ou appartenir à une collection au sein d'une grande maison d'édition française. Des questions que nous approfondirons en prenant l'exemple de plusieurs écrivains confirmés ou débutants  comme le congolais Wilfried Nsondé4(*) ou la mauricienne Ananda Devi5(*), parmi tant d'autres...

La démarche linguistique que nous adopterons sera celle de l'enquête, un peu comme un long article de presse, et à cet égard, il y aura des témoignages et des commentaires tirés de sources périodiques ou Internet pour illustrer notre propos.

I Des nouvelles formes de la littérature contemporaine ou tendances dominantes de celle-ci :

Une grande partie des livres étalés sur les rayons des librairies et des grandes surfaces commerciales de Paris comme la Fnac ou Virgin, donnent le là les tendances littéraires dès la rentrée de Septembre. Au détour des allées et diverses sections de littérature, on trouve de plus en plus d'ouvrages dont une brochette appartenant à la catégorie  Meilleures Ventes. Le réflexe du consommateur est donc de se diriger vers cette sélection plutôt que vers les oeuvres anciennes ou classiques cachées au fond de rayons poussiéreux. La littérature moderne a subi une véritable mutation dans sa forme et sa cible, d'où une nuance entre une oeuvre reconnue et une oeuvre installée. La deuxième catégorie s'attache aux auteurs des siècles passés, dont les oeuvres sont étudiées dans les programmes scolaires ou universitaires et la première, à des auteurs contemporains dont les livres sont reconnus des pairs et de la critique, mais ne sont pas encore soumis aux études académiques...

Dans les années 50, on a parlé du nouveau roman. A l'école, on a lu les chansons de geste, les textes de Molière, de Corneille, les pensées des philosophes, tel Kant, Hegel ou Lacan. Nos professeurs nous ont joyeusement initié à l'essence de la littérature classique, puis contemporaine... Et de belles chronologies nous ont été lues : L'odyssée d' Ulysse du poète Homère, des biographies comme celle de Voltaire, humaniste et homme d'idées, des oeuvres intemporelles comme Anna Karenine de Tolstoï, ou Crime et Châtiment de Dostoïevski, décryptées par les étudiants du monde entier. Toutefois, la grande littérature se limite t-elle à ces grands classiques  même si les intellectuels les prennent en référence dans les débats télévisés ou dans les conférences ? Et peut-on se prétendre intellectuel en ne lisant que ce qu'on trouve sur les rayons de la rentrée ? Pour être simple lecteur d'une grande maison d'édition comme Gallimard ou Grasset, il faut une érudition époustouflante, à l'instar de Raymond Queneau6(*) ou de Jean-Marie Laclavetine7(*). Par ailleurs, que sait-on des manuscrits de Tombouctou ou des parchemins de l'antiquité égyptienne ? Quels textes merveilleux enferment les papyrus marqués de savants hiéroglyphes et que nous ne saurions déchiffrer, hormis les initiés et les traducteurs ? Que savons-nous des chefs d'oeuvres de la littérature mondiale à l'heure où plus de six cent livres sont produits et éparpillés dans les libraires de l'hexagone ? Enfin, qu'est-ce qui nous garantit la qualité littéraire de ces oeuvres ?

Ayant grandi au Sénégal, mon fond littéraire a été constitué d'oeuvres variées. Des aventures du Club des Cinq8(*) aux Rêveries du promeneur solitaire9(*), le voyage est enivrant... Petite, j'ai aimé lire et ceci lorsqu' Internet ne faisait point partie de ma vie, je rentrais alors de l'école pour lire jusqu'à ce que le sommeil m'emporte. Puis, en grandissant, ma soif de littérature est un peu retombée. D'autres matières plus urgentes l'ont supplanté : l'économie, la géographie, puis la philosophie et l'étude des textes fondateurs jusqu' à ce que la filière littéraire encourt le risque d'une suppression pure et simple aujourd'hui. Pourquoi enfin ? Que s'est-il passé ? Est-ce la faute à Internet ? Aux nouvelles technologies ou à nous mêmes ? Todorov a-t-il raison de dire qu'aujourd'hui, l'univers d'un écrivain est à déplorer ? Pauvre et monotone comme les arbres en automne ? Qu'est-ce qui différencie JK Rowling, auteur fantastique d'Harry Potter10(*) de Christine Angot racontant ses aventures intimes dans Rendez-vous ? Ceci a donc légitimé ce qu'on appelle l'autofiction ou l'art intime de se raconter :

A L'autofiction, phénomène éditorial

De cette tendance littéraire, on pourrait dégager trois courants :

1/ l'autofiction pure 

Christine Angot défend son statut d'écrivain par rapport à cette forme littéraire et contre les mauvaises langues. Avec Rendez-vous paru chez Flammarion, Christine Angot avait été annoncée comme l'évènement de la rentrée littéraire de 2006 par Les Inrockuptibles11(*), mais son livre a été détrôné par les Bienveillantes, pavé historique de 900 pages sur l' Holocauste de l' américain Jonathan Littel et couronné prix Goncourt. Toutefois, Christine Angot reste la reine de l'autofiction avec cet art fabuleux de mettre en scène sa propre vie. Gare à ceux qui la fréquentent car ils pourraient bien se retrouver transformés en personnages de ses prochains romans. En 2000, Christine avait publié le non moins nombriliste Sujet Angot12(*), s'inscrivant d'emblée dans la tendance autofictive. Dix sept livres au total pour cet auteur plutôt prolixe.

Dans un genre plus autobiographique, car l'autofiction semble être une posture revendiquée, il y a le phénomène belge Amélie Nothomb. Depuis la sortie de Hygiène de l'Assassin, aux éditions Albin Michel en 1992, elle réussit tous les ans l'exploit de réunir des lecteurs fidèles au mois d'Août. Et Amélie Nothomb a véritablement du mal à ne pas se mettre en scène dans la plupart de ses romans. On peut citer : Biographie de la faim, paru en 2004, Métaphysique des Tubes en 2000, Grand prix du Roman de l'Académie Française, Le Sabotage amoureux en 1993, où elle déroule son récit à la première personne. Une internaute du forum www.guidelecture.com, écrivait en comparant Angot et Nothomb : «  Qu'est ce qui fait que c'est plus agréable de lire Amélie Nothomb que Christine Angot? Avec l'une, on a un détachement et un regard plein d'humour, même sur les choses tragiques, alors que l'autre crie à l'injustice et à l'incompréhension. L'une dit : « Je ne comprends pas ce qui m'arrive », tandis que l'autre revendique son statut d'écrivain et attaque ceux qui osent le remettre en question ! ». Voilà qui résume tout l'engouement qu'il peut exister autour d'Amélie Nothomb et de Christine Angot. Et l'on n'a pas fini d'entendre parler de ces deux auteurs...

On peut également citer un troisième auteur : Frédéric Beigbeder ! Il a fait un véritable carton avec 99francs paru chez Grasset en 2000. La narration, bien que déroulée par un personnage  Octave Parangon,  mêle autofiction et mise en scène. Beigbeder s'inspire de sa propre collaboration avec une agence de pub dont il a été viré. Et 99francs a fait l'objet d'une adaptation cinématographique grâce à son succès populaire. Depuis, l'auteur a rédigé d'autres ouvrages, comme Windows on The World13(*) en 2003, couronné Prix Interallié. Critique littéraire, chroniqueur télé et éditeur chez Flammarion14(*), constituent l'essentiel de ses activités aujourd'hui... Cette année, Frédéric Beigbeder a récidivé avec un nouveau livre au titre plus que douteux : Au secours pardon !

2/ La Chicken littérature ou littérature de poulettes 

C'est une forme beaucoup plus romancée de l'autofiction. Lancé par la new-yorkaise Candace Bushnell, auteur de «  Sex and the City » et décliné en série TV, le phénomène a gagné l'hexagone. Cette littérature relate les crises existentielles de trentenaires, belles, riches mais malheureuses en amour avec humour, cynisme et dérision. Il y a eu « Le diable s'habille en Prada », l'énorme succès de Lauren Weisberger qui décrit la tyrannie de son ex patronne, grande prêtresse de la mode new-yorkaise. On peut citer Le journal de Bridget Jones, de la britannique Helen Fielding ou tout récemment chez Anne Carrière, Sainte Futile d'Alix Girod de l'Ain, journaliste à l'hebdomadaire Elle...

3 / Les témoignages de vie

C'est un genre qui affleure sur les rayons. Est-ce une autre forme d'autofiction ? Seulement, quand des personnalités, des artistes en devenir ou des footballeurs célèbres comme Lilian Thuram avec  8 Juillet 1998,  se mettent à écrire ( et beaucoup recourent à un nègre) pour raconter leur vie ou des expériences marquantes, cela donne matière à vendre. Chez Robert Laffont, Un conte de fée Républicain de la djiboutienne Safia Otokoré se situe dans la veine : c'est l'histoire d'une femme engagée et membre du parti socialiste qui narre son parcours de Djibouti sa ville natale à l'arrivée en France et l'entrée dans la vie politique...

4 / Les essais politico people 

Sans réellement être de l'autofiction, ils reviennent sur des tranches de vie, des scandales, des faits personnels et analysent la politique et la société dans laquelle nous vivons via l'oeil de quelques experts patentés, journalistes et commentateurs politiques etc... Avec la période de campagne électorale, il y a eu une floraison d'essais sur les rayons des librairies. A la rentrée 2006, Sexus Politicus de Christophe Deloire, un ouvrage narrant les relations entre hommes politiques et femmes journalistes, n'a pas réussi à atteindre son objectif. On peut également citer La Madone et le Culbuto, de Carl Méeus et Marie-Eve Malouines ou L'Inconnu de l' Elysée par l'ex journaliste du Monde, Pierre Péan, sans oublier tous ceux qui ont accompagné les dernières élections présidentielles...Tout récemment, Femme Fatale, écrit par deux journalistes du Monde, remporte tous les suffrages et Ségolène Royal, principale concernée, a intenté un procès pour empêcher la diffusion de ce livre. En vain. 

Depuis le siècle des lumières où des textes fondateurs ont surgi et jusqu' à l'apparition de ce qu'on a appelé le Nouveau roman, la littérature en France a évolué de même que la notion d'auteur, plus précisément cette fonction d' auteurialité. De nos jours, il s'agit d'être visible grâce à un nom et à une image plutôt que d'écrire pour l'immortalité comme Balzac, Dumas ou Zola au début du siècle. Ceux-ci scribouillaient les ardeurs de leur époque, racontaient des chroniques sociales, longues et fournies en descriptions, quand tant de livres modernes brillent par leur nombrilisme, d'où la masse de romans qui éclosent à chaque rentrée littéraire et qui s'engagent dans la course aux prix d'automne. Prenons l'exemple du prestigieux Goncourt qui promet une immortalité à l'un et l'autre, avant de consacrer une nouvelle plume l'année d'après. Admirable pour les écrivains primés, si ce n'est que très peu sur l'ensemble, atteignent le graal littéraire : être un best seller et vivre pleinement le fantasme de l'écrivain populaire...se nourrir de sa plume donc !

L'édition en France a véritablement muté pour devenir une entreprise hautement commerciale avec la concentration des groupes industriels comme Editis et Lagardère. Claude Durand, PDG des éditions Fayard, raconte avec nostalgie l' époque où Arthème Fayard fonda au début du siècle la libraire Fayard, en publiant les oeuvres de l'italien Garibaldi ou du Chansonnier Béranger sous forme de fascicules reliés et vendus à cinq francs pièce jadis. Aujourd'hui, les éditeurs ont recours à la fameuse Cameron, une machine infernale qui peut imprimer 7000 livres à l'heure quand il s'agit d'un best-seller. Et avec des évènements comme le Salon du Livre, on voit l'augmentation de la production littéraire année après année, les nouveaux éditeurs affleurer et les visiteurs croître davantage. Alors, il devient cornélien de choisir des oeuvres de qualité, celles qui nous laisseront cette impression durable par leur caractère universel. Car ce qui fait un livre, n'est-ce cette tentation urgente de le rouvrir une fois la lecture terminée ? Combien de livres peuvent prétendre à cette particularité et combien d'auteurs jouissent du succès d'estime si cher à l'idée française de la littérature, car l'écrivain populaire serait piètre en littérature. En effet, lorsqu' on vend beaucoup en France, on est boudé par le milieu et par la critique. Fi de ce constat, il y a les best-sellers imposés par les Médias, ceux qu'il faut absolument lire, adaptables en films et générant des produits dérivés comme le Da Vinci Code visible entre toutes les mains l'été 2005. Ainsi, même le livre n'échappe pas au marketing de masse et fait l'objet de multiples stratégies commerciales. On répond alors à une demande, on anticipe les besoins du lecteur, on lui propose des produits et on étudie ses attentes. Le temps du décideur dans sa tour d'ivoire a vécu ; les éditeurs sont de plus en plus à l écoute du marché », estime Nicolas Roche, directeur général des éditions Stock. Les éditeurs misent sur des opérations spéciales (publicités sur les panneaux de quais de gare, affichages dans les couloirs du métro...) et des informations ciblées pour faire connaître leurs nouveaux romans. De nouvelles collections naissent (Milles et une Nuits), des formats attractifs sont fabriqués, accompagnés de cadeaux, comme la série des mini polars d'été offerts en supplément dans des magazines grand public comme Elle ou Marie-Claire. Mais le succès passe surtout par les libraires, rappelle Philippe Dorey directeur commercial chez Lattès puis par les journalistes. Si la télé est le premier prescripteur de ventes livres, les magazines se placent en deuxième position. Un roman comme le Da Vinci Code de Dan Brown, a bénéficié d'une campagne promotionnelle soutenue avec la Une de Livres Hebdos et un gros service de presse. Plus d'une centaine de livres ont ainsi été dispatchés dans toutes les grandes rédactions parisiennes et les journalistes n'ont pas tari d'éloges sur le polar de l'été 2005. « Avec «Da Vinci Code», Dan Brown fait fort, mais alors vraiment très fort, puisqu' il ébranle rien de moins que les fondations de l'Eglise... », écrivait Bernard Loupias du Nouvel Observateur et Anne Berthod de l'Express, affirmait : «  Avec une trame machiavélique, digne d'Arturo Pérez Reverte, un rythme (des chapitres courts, un rebondissement toutes les quatre ou cinq pages) d'une efficacité redoutable, ce polar érudit reste remarquablement bien ficelé. Et donne envie, une fois refermé, de courir revoir la célèbre Cène de Léonard de Vinci, celle que l'on croyait si bien connaître ». Ajouté à l'engouement populaire, le roman a du se balader sur toutes les plages du monde en détournant les lecteurs du reste de la production littéraire. Voilà comment fonctionne la rentrée littéraire française, avec ce paradoxe étrange : Publier plus de six cent livres chaque année et n'en faire émerger qu'un ou deux, dans le meilleur des cas. « Peut-on alors parler de diversité culturelle en littérature, quant cette culture est imposée par les mass médias, notamment pour ce lecteur consommateur non averti. Quant on nous impose ce qu'il faut lire, ce qu'il faut voir au cinéma, que reste t-il de la diversité culturelle », des idées que défendait l' écrivaine indienne Alka Saraogi, invitée du salon du Livre 2007, lors d'une conférence sur les enjeux de la mondialisation.

B. De la nécessité des prix littéraires 

1. Descriptif des cinq grands prix littéraires de France : du plus prestigieux au moins médiatisé :

- Le prix Goncourt 

Il représente le graal pour celui qui l'obtient et récompense chaque année le meilleur ouvrage d'imagination en prose d'un auteur de langue française. Crée en 1896 par le testament d' Edmont Goncourt qui a lui-même a rédigé de nombreux ouvrages avec son frère Jules Goncourt, le premier prix Goncourt a été décerné le 21 décembre 1903 par la Société littéraire des Goncourt à John Antoine Nau pour son ouvrage La force ennemie, hélas, cet auteur est vite tombé dans l'oubli. Alphonse de Chateaubriand l'a obtenu en 1911 pour Monsieur de Lourdines et André Malraux en 1933 avec La Condition Humaine. Dans la deuxième moitié du siècle, des auteurs comme Tahar ben Jelloun avec La Nuit Sacrée en 1986 ou Patrick Chamoiseau avec Texaco en 1992, l'ont obtenu. Si le prix n'apporte pas de récompense financière sinon un montant symbolique de dix euros, il promet une notoriété au lauréat qui verra les ventes de son livre doubler et attirer l'attention des lecteurs les plus récalcitrants. Didier Zaitoun, libraire à Hyères, raconte au journal La Marseillaise du 22 octobre 2007, que le Goncourt est le livre qui se vend le plus et qu'on offre souvent à Noël. C'est donc le prix plus convoité par les auteurs. Aujourd'hui, il est attribué aux alentours du mois de Novembre (après délibération des membres du jury au célèbre restaurant Drouant) et il fait l'objet de toutes les spéculations à chaque rentrée littéraire. C'est la fameuse course des prix. Aussi, faute du Goncourt, le Renaudot est une merveilleuse consolation.

-Le prix Renaudot 

Proclamé au même moment que le Goncourt au restaurant Drouant, il fut crée en 1926 par dix critiques littéraires et perpétue le souvenir de Théophraste Renaudot, médecin de Louis XIII, par ailleurs instigateur d'institutions comme l' agence pour l'emploi, la presse et les petites annonces... Au cas où le lauréat du Renaudot aurait déjà eu le Goncourt, un deuxième auteur est désigné. Ce prix a pour réputation de réparer les injustices éventuelles du Goncourt et il n'est doté d'aucun montant financier. Comme le Goncourt, il garantit un succès d'estime au lauréat et lui promet de belles ventes. Des écrivains comme Céline, Aragon ou Jean Marie Gustave le Clézio et tout dernièrement Alain Mabanckou avec Mémoires de Porc-Épic en 2006, l'ont obtenu. Parmi les membres du jury, figurent des personnalités du monde littéraire comme Patrick Besson, André Brincourt ou le journaliste Franz Olivier Giesbert. En 2005, c'est la franco-algérienne Nina Bouraoui qui été couronnée avec Mes mauvaises Pensées  et Irène Nemirovsky en 2003 avec Suite Française. Avec des paris audacieux et un jury tournant, le prix Renaudot est un peu moins académique et fait la part belle aux femmes. Sur un siècle d'attributions, le Goncourt a aussi récompensé des femmes, parmi lesquelles Marguerite Duras ou Simone de Beauvoir...

- Le Femina 

Contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, ce prix récompense aussi des hommes. Crée en 1922 à l'initiative de vingt deux collaboratrices du magazine La Vie Heureuse, (actuel Femina), il a été décerné l'année dernière à la romancière franco-canadienne Nancy Huston pour Lignes de Faille publié chez Actes Sud.

- Le prix Interallié 

Comme pour le Renaudot, des journalistes attendant les délibérations du Femina, se sont réunis en 1930 pour créer un prix qui récompense un journaliste auteur d'un roman. En 2006, il a été attribué à Michel Schneider pour Marilyn, dernières séances, chez Grasset. Le premier lauréat fut le célèbre André Malraux pour La Voie Royale et Patrick Poivre d' Arvor en 2000 pour son roman L'irrésolu. C'est un prix très aimé en France et qui introduit l'auteur dans la sphère des éditeurs les plus courtisés.

- Le Grand prix du Roman de l'Académie Française 

C'est le prix le plus prestigieux de l'Académie Française, décerné depuis 1918. Faisant un doublé avec le Goncourt 2006, il a récompensé Les Bienveillantes de Jonathan Littel. En 1996, il a été attribué à la camerounaise Calixthe Beyala pour son roman Les honneurs perdus, publié chez Albin Michel. Amélie Nothomb l'a également obtenu avec Stupeurs et Tremblements en 1999.

Pour citer un sixième prix qui ne figure pas parmi les cinq plus prestigieux, il y a celui du Livre Inter, dont le jury est présidé par l'écrivain Camille Laurens. Il a été récemment attribué à François Vallejo pour son roman Ouest. Ce dernier qui avait été 2è pour le Goncourt 2006, ne veut pas qu'on lui parle de prix de consolation et s'est réjouit d'avoir été primé. Un débat sur France Inter avec les jurés, expliquait le choix de cet ouvrage. D'un avis commun, ils ont souligné l'imagination de l'auteur, son style littéraire et cette maîtrise des personnages qui ont séduit et exercé un fort pouvoir d'identification sur les lecteurs. François Vallejo semble donc échapper à ce terrible constat de la littérature centrée sur le moi, loin du phénomène d'autofiction répandu sur les rayons des librairies. D'ailleurs, l'auteur estime que la littérature française reste vive et riche dans son expression globale. Pourtant, parmi les pays les plus traduits en langue étrangère, les auteurs français restent loin derrière les italiens, les anglais ou même les indiens à l'honneur au Salon du Livre 2007. L'une des jurés signalait aussi une grande ouverture au monde dans ce roman de François Vallejo, rejoignant l'idée du manifeste pour une Littérature Monde et dont nous parlerons dans la deuxième partie de ce Mémoire.

Les prix littéraires abondent en France et sont attendus chaque année à l'automne, période à laquelle, ils sont pour la plupart attribués. Le Goncourt des Lycéens est également important et permet de faire émerger un auteur. C'est le cas de Léonora Miano, auteur de Contours du jour qui vient chez Plon et lauréat 2006. Ainsi, les éditeurs, les auteurs et les jurés spéculent et les chiffres de vente d'un livre primé sont calculés d'avance. Alors quelle est la valeur marchande d'un prix ?

2/ De la valeur marchande d'un prix 

Une chose est sûre, un prix littéraire va augmenter les ventes d'un livre. L'exemple le plus illustrant cette année est Les Bienveillantes de Jonathan Littel, qui s'est vendu à plus de 500000 exemplaires, après attribution du Goncourt. Avec le Renaudot, Alain Mabanckou a également vu les ventes de   Mémoire de Porc-épic  doubler, quant on sait qu'un auteur qui vend relativement bien, se situe entre 9000 et 25000 exemplaires, on peut imaginer l'impact d'un prix littéraire sur ces chiffres qui peuvent tripler et même quintupler...Parmi les maisons d'édition qui vendent le plus, on trouve Albin Michel avec Amélie Nothomb qui atteint 165 millions d'euros de chiffre d'affaire global. Marc Lévy, l'auteur à succès de « Et si c'était vrai ? » totalise près de 116 millions d'euros avec Robert Laffont et son dernier livre Les enfants de la liberté15(*), va augmenter ce montant. Quant à Max Gallo, auteur de la série des Napoléon aux éditions Fayard, il est à près de 46 millions d`euros, des chiffres vertigineux qui incluent les ventes à l'étranger. Ce sont ce qu'on peut appeler des auteurs « bankable » et ces chiffres restent exclusifs aux best-sellers ou mega-long-sellers. En France, ils sont environ une dizaine à jouir de ce privilège. Anna Gavalda a rejoint le cercle très fermé des écrivains valant des millions, en publiant un livre très populaire : Ensemble, c'est tout, aux éditions Le Dilettante.

Dans la catégorie Essais, l'ouvrage Femme Fatale rédigé par Ariane Chemin et Raphaëlle Bacqué et mettant en scène Ségolène Royal et son ex compagnon François Hollande, se place en tête du top 20 des meilleures ventes loin des 38000 exemplaires du premier tirage, selon Livres Hebdos16(*).

3 Quand les prix littéraires consacrent, divisent et créent la polémique :

a) les jurés eux-mêmes :

Cette année, l'affaire du Femina a secoué le petit monde des jurés littéraires. Madeleine Chapsal, auteur prolifique et ancienne journaliste à L'Express, publiait à la rentrée 2006   Journal d'hier et d'aujourd'hui chez Fayard et dans lequel elle dénonçait la «  petite cuisine des prix ». Offusquées par ses révélations « diffamatoires » sur les conditions de délibération internes, les membres du jury Femina (parmi lesquelles, Mona Ozouf, Viviane Forrester), ont exclu Madeleine Chapsal de leur association. Voici ce qu' a déclaré Madeleine Chapsal en date du 8 novembre 2005 à la presse : « Raconter une remise du prix Femina, le jour J, relève de l'impossible, tant il se passe de petits faits et gestes entre douze dames, plus la secrétaire du prix, Anne de Caumont... Quant à ces dames, six d'entre elles avaient décidé mordicus et avant même d'entrer en scène de voter pour Gallimard en faveur de Régis Jauffret. Je n'avais rien contre, mais c'est ce côté « gang » qui m'a énervée.  En soutien à l'exclusion de Madeleine Chapsal, Régine Desforges a démissionné du jury : «  Comment ces femmes, écrivains, supposées intelligentes ont-elles pu en arriver là, montrant leur intransigeance, leur susceptibilité, face aux propos somme toute plutôt anodins d'une des leurs ? De plus, quel manque d'humour ! Mais ça, il ne faut pas trop en demander. Mes propos ne leur ont pas plu. C'était à qui justifierait sa décision mais avec quelle hargne pour ne pas dire quelle haine ; j'avais l'impression d'assister à une curée de chiennes excitées par l'odeur du sang. Il est vrai que nous n'étions pas loin de la place où se dressa la guillotine... Cette mésaventure me pose une question : Madeleine n'aurait-elle pas mis le doigt sur ce que certains journalistes n'hésitent pas à appeler « les magouilles des prix » ? On peut se poser la question, non ? Je dois préciser que je n'ai jamais été témoin de « magouilles » au sein du Femina, du moins si cela a été le cas, on ne m'en a pas avertie », déclarait-elle à son tour au quotidien Le Figaro, le 2 novembre 2006. Alimentant la polémique, Madeleine Chapsal a été jusqu' à prôner la suppression pure et simple des prix littéraires, car elle estime que le Fémina n'a pas récompensé les plus grands. Quant à Claude Durand, PDG des éditions Fayard, il a suggéré de remettre les prix avant l'été, ce qui risque bien de chambouler le concept de rentrée littéraire, mais l'idée n'a pas séduit. Ailleurs, les éditeurs en Espagne, en Italie ou même aux Etats-Unis considèrent la rentrée littéraire de Septembre comme une exception française et la course aux prix reste une spécificité de l'hexagone et à laquelle ils prêtent une certaine attention, ceci afin de repérer les auteurs qu'ils vont traduire et dont ils vont négocier les droits de traduction. A contre courant, Anjali Singh, éditrice aux Etats-Unis chez Houghton Mifflin, précise : «  Même moi qui parle le français, je prête assez peu d'attention à la rentrée littéraire parce que la masse de livres publiés est accablante ! » Voilà qui est dit. De son côté, le chinois Hu Xiaoyue, responsable de la littérature étrangère chez Sea Sky, rétorque : «  La rentrée m'aide beaucoup à faire des choix car presque tous les bons livres paraissent à ce moment là, cela m'évite de me fier au hasard », un entretien tiré de Livres Hebdo17(*).

b) les écrivains ensuite...

Ils sont bien sûr les principaux concernés. Comment bouder un prix quand on le reçoit et quand on sait qu'il va apporter un coup de projecteur à son oeuvre. En général, les écrivains sont entretenus par leurs éditeurs de ces cuisines internes. Dans sa chronique du magazine Lire18(*), Frédéric Beigbeder se confie : «  Il y a cependant une chose dont personne ne parle, l'effet atroce des prix sur ceux qui n'en ont pas. Plusieurs fois, il m'est arrivé d'être le loser d'une de ces guerres picrocholino-germanopratines. En 2000, PPDA me souffla un Interallié qu' Yves Berger m'avait fait miroiter pour 99 francs... » Plus loin, il ajoute : « La valse des prix infantilise les auteurs. Je me souviens en 2003 quand Pierre Mérot n'a pas eu le prix Décembre pour Mammifères : il souffrait vraiment comme un bon élève qui avait une mauvaise note. » Autre cas : Michel Houellebecq, débauché des éditions Flammarion par l'éditeur Raphaël Sorin, avait d' abord été repéré chez un petit éditeur du nom de Maurice Nadeau, grâce au succès de « Extension du domaine de la lutte ». Malheureusement, Houellebecq a raté le Goncourt qui lui avait été quasiment assuré avec La possibilité d'une île, publié chez Fayard en 2005. C'est François Weyergans qui l'a emporté avec Trois jours chez ma mère, entretenant la fameuse combinaison historique Galligrasseuil...

c) et les éditeurs - La combinaison Galligrasseuil,

On verra donc que très souvent Gallimard, Grasset ou Seuil sont les maisons d'édition favorites, pour remporter des prix prestigieux comme le Goncourt. Avec 121 récompenses attribuées, Gallimard est en tête du trio, suivi par Grasset avec 91 distinctions. Viennent ensuite Le Seuil,  Mercure de France, Flammarion, Julliard, Fayard ou Calmann-Lévy... Alors, la rentrée devient la période d'acharnement, une bataille terrible pour l'obtention des prix. André Rollin, journaliste et écrivain raconte dans un article paru dans le Canard Enchaîné19(*): «  Ils font tous partie de ce «  petit milieu » de l'édition ; Ils s'observent, se jalousent, avec des sourires par devant et des coups de griffe dans le dos. On se serre les mains pour mieux se faire des crocs en jambe. On se félicite à haute voix pour mieux se dénigre dans les chuchotements. C'est ce petit monde de combines. » Ce sont ces mêmes combines que Jacques Brenner, à l'instar de Madeleine Chapsal, mais dans un tout autre genre, dénonce dans «  La cuisine des prix » 1980-199320(*). Mort en 2001, l'ancien collaborateur de Grasset et ex-membre du jury Renaudot, a tout noté : ses rencontres, ses coups de fil, les déjeuners, les petits arrangements entre amis... C'est au cours de ces combines, que tout se décide, que sont choisis les jurys, eux même affiliés aux éditeurs et aux futurs lauréats des prix. Ironique, Brenner écrira encore : « Pour remercier Robbe Grillet d'avoir fait obtenir le Médicis à Bernard-Henri Lévy, on (Grasset) publiera un mauvais érotique de sa femme (14 avril 1985). » Le 8 novembre, il cite Angelo Rinaldi, critique féroce mais écrivain médiocre et candidat au prix dire : «  Antoine Gallimard m'a téléphoné. Un accord a été conclu entre Gallimard et Grasset. Les jurés Gallimard voteront Grasset pour le Goncourt et les jurés Grasset voteront Gallimard pour le Renaudot. » Et ces confidences s'étalent à près de sept cent pages, un pavé dans la mare que beaucoup d'éditeurs ne démentiront pas. «  Les ennemis des jurys ont bien raison quand ils parlent de magouilles et je donnerais ma démission du Renaudot si je n'en retirais moi-même quelques bénéfices », confesse Brenner le 16 octobre 1993 dans son Journal, suite du tome I, publié chez Fayard. D'ailleurs, Claude Durand, PDG rebelle de Fayard, ne se privera pas de répondre aux questions des journalistes, quant à ces magouilles éditoriales et auxquelles sa propre maison n'échappe pas. Dans un entretien accordé au Journal du Dimanche21(*), il reste pessimiste face à la prépondérance de cette combinaison Galligrasseuil et admet ne pas avoir apprécié la manière dont Michel Houellebecq a raté le Goncourt 2005. Toutefois, Claude Durand qui est par ailleurs l'éditeur de Soljenitsyne, d'Ismaël Kadaré ou encore celui qui a traduit en français Cent ans de Solitude22(*), reste optimiste quant à l'avenir de l'édition française et cela, à court et moyen terme. Quand on spécule sur son départ possible des éditions Fayard, il prépare son prochain coup d'éclat. Ce qu'explique bien un autre observateur dans son ouvrage La grande magouille, Guy Konopnicki écrivait qu'un Goncourt rapporterait plus de dix millions d'euros de chiffre d'affaires », un chiffre qui ne laisse aucun éditeur indifférent et à regarder la composition des jurys immuables, on ne peut ignorer le jeu des influences. Mais la France pourra t-elle un jour adopter le système anglo-saxon du Booker Prize ou celui du Pulitzer américain, à savoir dissoudre un jury dès proclamation des résultats ? L'exception française risquerait d'en être profondément atteinte ?

Nous avons observé le milieu de l'édition en France, à travers la description des prix littéraires et les nouvelles formes du roman moderne, nous avons aussi retracé les courants qui dominent le marché, un marché de l'édition lui-même soumis à la loi du profit car appartenant à des industriels. Hachette, dirigé par Arnaud Lagardère, et Editis, gouverné par le baron Ernest Antoine Seillière, se partagent le gâteau de l'édition. Fort heureusement, il existe des maisons indépendantes comme Gallimard ou Flammarion et aussi de toutes petites maisons d' édition qui font un travail éditorial soutenu et se dédient à découvrir des auteurs plus qu'en à fabriquer. A l'heure où l'auteur pourtant n'existe qu'à partir d'un nom et d'une visibilité médiatique, certains prix permettent de révéler des auteurs étrangers qui écrivent en langue française. Même s'ils sont encore catalogués comme écrivains francophones et si leurs livres se trouvent classés dans des rayons spéciaux en librairies ou en grande surface commerciale, Saint Germain des Prés comme l'on a coutume de nommer l'ensemble des éditeurs français, est entrain de subir des changements qui la forcent à s'éloigner de son centre névralgique pour regarder vers le monde. L'an dernier, l'écrivain français d'origine congolaise, Alain Mabanckou a reçu le prix Renaudot pour son livre Mémoires de Porc-épic et Léonora Miano, celui du Goncourt des lycéens pour Contours du jour qui vient, alors va-t-on continuer à les qualifier d'auteurs francophones ? C'est tout le débat lancé par la publication du Manifeste des 44 dans les pages du Monde des Livres23(*), un texte qui appelle à Une littérature Monde en Français...

II

De l'avenir de la Francophonie 

Face au manifeste pour une Littérature Monde.

Il convient dans un premier temps de définir la francophonie pour comprendre pourquoi il y a des auteurs francophones et des auteurs français même s'ils utilisent tous la langue française pour écrire. La question suscite polémiques et débats, depuis que 44 écrivains parmi lesquels Erik Orsenna, Ananda Devi, Boualem Sansal, ou encore Jean Marie Gustave Le Clézio, se sont érigés contre le concept de littérature francophone pour plébisciter ce qu'ils ont appelé La Littérature Monde en Français...

A D'où vient la francophonie ?

1) Historique :

On ne dit pas anglophonie mais les pays anglophones ou le Commonwealth. On ne dit pas non plus lusophonie mais des pays lusophones. Alors, comment le terme francophonie est-il apparu dans la langue de Voltaire ? Onésime Reclus24(*) l'a utilisé pour la première fois dans son ouvrage La France et ses colonies, après avoir dénombré les populations sous la gouverne de la France et qui utilisaient le français comme langue de communication. Le terme est ensuite oublié pendant une cinquantaine d'années et refait surface dans les années soixante, notamment avec l'ouvrage de Georges Tougas, La francophonie en péril, et grâce aux organisations naissantes autour du concept de Francophonie. Si d'un point de vue politique, des agences comme l' ACCT (Agence de coopération culturelle et technique), ont vulgarisé le terme de francophonie, la paternité ne leur en revient pas. Au lendemain des indépendances, on avait même utilisé le mot  francité, pour désigner les caractéristiques linguistiques et culturelles transmises par la langue de Molière. Le terme francophonie connotait alors fortement de relents coloniaux, désapprouvés par les milieux intellectuels de l'époque. Il a fallu attendre les années 80 pour que la France elle même se considère comme faisant partie de la francophonie. Selon une définition commune, la francophonie désigne un ensemble d'états et de gouvernements ayant le français en partage. » Toutefois, il faut distinguer les pays où le français est la langue officielle comme les pays créolophones, et ceux où le français est la langue maternelle (l'Europe du nord et le Canada francophone). Par ailleurs, ceux où le français n'est parlé que par certaines classes sociales (Maghreb, Madagascar...). En France, le français est la langue d'Etat et ailleurs, en Afrique subsaharienne, au Sénégal par exemple, la langue a été héritée de la colonisation pour devenir langue officielle de l'administration après un apprentissage à l'école. On estime aujourd'hui à 200 millions, le nombre de locuteurs du français dans les pays membres de l' OIF25(*), (Organisation Internationale de la francophonie). Outre les zones de pays appartenant à l'OIF, il y a dans le monde, environ 100 millions de personnes qui apprennent le français au cours de leurs études et dans des instituts comme l'Alliance Française.

Par ailleurs, une confusion demeure entre le concept de francophonie littéraire et la défense de la francophonie par l' OIF, qui reste une entité politique, économique et culturelle, regroupant un certain nombre de pays, où le français n'est pas forcément reconnu comme langue officielle et utilisé fréquemment. Un pays comme le Québec se dit appartenir à la francophonie, mais il garde toute sa culture québécoise, notamment ce charmant accent qui caractérise si bien les canadiens francophones.

Pour l'écrivain Henri Lopes26(*), qui s'est exprimé lors d'un débat à l' Ecole Normale Supérieure de Paris, le 26 mai dernier, il subsiste beaucoup d'idées reçues autour de la francophonie.   « Je ne ressens aucun complexe à me dire francophone et je me trouve à un moment de l'histoire où il est trop tard pour changer de posture », admet-il. L'auteur d'ouvrages célèbres comme Le Pleurer Rire, a également une fonction d'ambassadeur plénipotentiaire du Congo en France, qui l'empêche de participer au débat autour de la Francophonie, et cela, quant elle revêt une forte connotation coloniale pour beaucoup. Mais l'idée de francophonie et tout ce qu'elle fédère comme valeurs et idées culturelles, reste défendue envers et contre tout par l'OIF.

L'OIF ou Organisation Internationale de la francophonie

L' OIF est une institution dont les membres, constitués d'Etats ou de gouvernements participants, ont en commun le partage de la langue française. Elle met aussi en avant des valeurs de diversité culturelle et regroupe 55 d'états membres parmi lesquels 13 pays observateurs...

Abdou Diouf, l'ancien président du Sénégal, est le Secrétaire Général de l' OIF depuis le IXè sommet de la Francophonie, qui s'est tenu à Beyrouth au Liban en 2002. Il a succédé à Boutros Boutros Ghali et a été élu pour quatre ans, avant de voir son mandat renouvelé au XIè sommet à Bucarest en Roumanie.

Chaque année, le 20 mars, est célébrée la Journée Internationale de la Francophonie, avec des manifestations culturelles partout dans le monde. Cette année, dans un discours, le Secrétaire Général a appelé : « à fêter la langue française qui nous offre la chance formidable de communiquer par delà les frontières et les océans, de nous rencontrer, d'entrecroiser nos cultures, nos traditions, nos imaginaires. » 

Pour atteindre ces nobles objectifs, l'OIF s'appuie sur l'Agence Universitaire de la Francophonie, la chaîne de diffusion francophone TV5, l'Université Senghor, Radio France Internationale (RFI) qui diffuse des émissions en français facile et d'autres assemblées consultatives de même que de multiples associations. L'OIF intervient également dans de multiples domaines comme la consolidation de la Démocratie et des Droits de l'Homme dans l'espace francophone. Elle entend promouvoir la diversité culturelle, l'éducation dans le monde et la formation, au service de l'économie et du développement. La littérature reste un domaine privilégié pour l'OIF et il existe un Prix des Cinq Continents de la Francophonie, dont Ananda Devi a été lauréate en 2006 pour son roman : Eve de ses décombres. Abdou Diouf s'est aussi exprimé sur le manifeste des 44 écrivains pour une littérature monde dans le journal Le Monde27(*) et nous y reviendrons dans la deuxième partie de ce travail

B Francophonie et littérature 

Les deux sont liées et évoluent ensemble d'un point de vue historique. Progressivement, les termes « littérature de langue française hors de France » ou «  littérature d'expression française » ont été remplacés par celui de « Littérature francophone ». Ensuite, il a fallu faire une distinction entre écrivains de langue française à l'intérieur de l'hexagone et ceux de langue française, géographiquement éloignés de la France et appelés auteurs francophones. C'est ainsi que le terme de littérature francophone a pris son envol et s'est imposé au fil du temps.

A présent, intéressons-nous à la littérature francophone d'Afrique28(*), même si les écrits du Maghreb et de la Caraïbe, en sont des composantes. Tout commence avec l' Abbé Boilat, au XIXè siècle, écrivain et métis sénégalais. Il fut l'un des premiers à écrire des ouvrages en langue européenne, puis au début du XXè, René Maran, un fonctionnaire colonial d'origine antillaise, publiera Batouala29(*), un roman qui a pour décor l' Oubangui Chari et couronné du Prix Goncourt en 1921. Cet ouvrage suscita la polémique et la désapprobation de la classe intellectuelle française, en donnant une description singulière de l'Afrique qui tranchait avec les récits coloniaux à connotation exotique de l'époque, ceux de missionnaires ou d'administrateurs coloniaux, pétris de l'idée d'une «  mission civilisatrice » de l'Occident sur l'Afrique sauvage et barbare.

Vint ensuite le mouvement de la Négritude, une étape clé dans le développement des Lettres africaines et l'émergence d'intellectuels éminents comme Léopold Sédar Senghor, le martiniquais Aimé Césaire, ou Léon Gontran Damas, puis la fondation de revues de protestation comme L'étudiant noir 1934-1940, La revue du monde noir, dans les années trente. Avec la négritude, il s'agissait : d'une entreprise de réhabilitation des valeurs de l'homme noir, en créant un mythe inverse de celui de la dénégation blanche », écrit Josias Semujanga, dans l'ouvrage  Introduction aux littératures francophones30(*). Avec La Nouvelle Anthologie de la poésie nègre et malgache, publié en 1948 par Senghor et préfacé par Jean Paul Sartre sous le titre Orphée noir, émerge véritablement la littérature africaine d'expression française. L'enfant Noir31(*) du guinéen Camara Laye, reste de nos jours l'un des grands classiques de la littérature africaine, même s'il aura suscité à sa sortie de vives critiques quant à l'image d'une Afrique « paisible, belle, maternelle, conforme à l'image attendue par le petit bourgeois »... Après lui, des écrivains comme Mongo Béti (Le pauvre Christ de Bomba, 1956, Ville Cruelle, 1954), Ferdinand Oyono (Le vieux nègre et la médaille, 1956), Cheikh Hamidou Kane (L'aventure Ambiguë, 1961) tenteront de rompre avec le discours colonial, pour décrire une Afrique vivante, à travers un style d'écriture sobre, un réalisme saisissant et un engagement clairement exprimé. De cette première génération, post-indépendance, deux courants revenaient dans la production littéraire africaine. D'une part, le roman historique : Soundjata ou l'épopée Mandingue32(*) de Djibril Tamsir Niane en 1961 et Le Monde s'effondre de Chinua Achebe en 1958... D'autre part, le roman d'éducation ou initiatique avec Les bouts de bois de Dieu de Ousmane Sembene33(*) en 1960. Dans les années soixante dix, une deuxième génération d'écrivains, comme Sony Labou Tansi (La vie et demi) ont opéré une véritable rupture stylistique, et surtout l'ivoirien Ahmadou Kourouma, auteur du Soleil des Indépendances34(*) et lauréat du Renaudot 2000 avec Allah n'est pas obligé, aux éditions du Seuil. Du français, il a fait une langue vive, imagée, ironique, presque cinématographique pour décrire une Afrique post-coloniale et raconter le fonctionnement des systèmes politiques du continent à partir des années 50. Kourouma traduit ainsi l'univers Malinké en français. De l'avis de beaucoup d'intellectuels, comme Caya Makélé, directeur des éditions Acoria, il est un grand écrivain, dont l'oeuvre s'est véritablement appropriée la langue française, comme on peut le voir à travers cet extrait de Allah n'est pas obligé :

« M'appelle Birahima. J'aurais pu être un gosse comme les autres (dix ou douze ans, ça dépend). Un sale gosse ni meilleur ni pire que tous les sales gosses du monde si j'étais né ailleurs que dans un foutu pays d'Afrique. Mais mon père est mort. Et ma mère, qui marchait sur les fesses, elle est morte aussi. Alors je suis parti à la recherche de ma tante Mahan, ma tutrice. C'est Yacouba qui m'accompagne. Yacouba, le féticheur, le multiplicateur de billets, le bandit boiteux... »

Par ailleurs, le guinéen Tierno Monénembo auteur de Peuls, le sénégalais Boubacar Boris Diop, Le temps de Tamango35(*) ou William Sassine, Mémoire d'une peau36(*), ont été de cette génération d'écrivains qui ont inspiré de nombreux auteurs modernes et tracé une ligne nouvelle dans la littérature d' Afrique. Leurs récits sont politiquement engagés et empruntent à la mémoire, à la tradition et aux travers de l'être humain. Dans les années 80, les femmes entrent en littérature : Aminata Sow Fall, grande figure des lettres sénégalaises publie en 1979, La grève des Battù, qui deviendra un immense succès car traitant d'un fait de société : en effet, les mendiants de la capitale dakaroise décident de se mettre un jour en grève au grand dam des citoyens qui ne savent plus à quels saint se vouer pour accomplir leurs rites sacrificiels. Puis, Mariama Bâ, avec Une si longue lettre37(*), dépeint la condition de la femme à travers la polygamie et Ken Bugul, dans un style imagé, exploite certains travers de la société africaine ou l'introspection intérieure et les expériences de vie marquantes comme dans Riwan ou le chemin de sable et plus récemment Rue Félix Faure et La pièce d'Or... Toutes ces femmes en tant qu'écrivains ont participé au développement d'un genre romanesque centré sur le récit autobiographique. Cependant, la dernière génération d' écrivains, ceux des années 90 et 2000, auront été les plus qualifiés d'écrivains francophones : il y a notamment le djiboutien Abdourahman Waberi ( Cahier Nomades, Aux Etats-Unis d'Afrique), le somalien Nuruddin Farah (Dons), l'ivoirienne Véronique Tadjo ( L'ombre d'Imana ), la Suisso-gabonaise Bessora ( Petroleum, Cueillez-moi jolis messieurs ), le congolais Alain Mabanckou ( Verre Cassé, Bleu BlancRouge, Mémoires de Porc-épic ), la burkinabé Monique Ilboudo ( Le mal de peau ), l'algérien Boualem Sansal ( Harraga ) ou le togolais Samy Tchak, ( Le Paradis des Chiots) etc.38(*) Ensemble, ils ont grossi les rangs des auteurs dits francophones. Le salon du Livre 2006 leur a rendu hommage en installant un pavillon d'honneur sous le titre  Francofffonies , une orthographe délibérément choisie, avec de nombreux prix à décerner pour les genres du conte, de la poésie ou du roman. Les organisateurs de cette thématique se doutaient-ils à pareille époque que l'année suivante, la francophonie et le concept de  littérature francophone, se verrait contesté par ces mêmes écrivains, parmi lesquels  la célébrissime Maryse Condé ( Ségou, les Murailles de la Terre I et II ) ou Edouard Glissant ( La Lézarde, 1958 ), l'un des dignes représentants de la littérature francophone des Caraïbes et du concept d' antillanité, une recherche stylistique mélangeant les tournures et expressions créoles avec le français classique. Plus tard, Raphaël Confiant, Patrick Chamoiseau et Jean Bernabé, défendront le concept de créolité en publiant un manifeste -c'était déjà une mode- intitulé Eloge de la Créolité en 1989. Une démarche esthétique visant à produire un langage créole, au sein de la langue française, en la métissant davantage.

Si le concept de francoffonies s'employait lors du salon du livre 2006 à intégrer toutes ces littératures venues d'Afrique, d'outremer ou d'ailleurs, pour d'autres écrivains, notamment du Maghreb, la revendication se situait ailleurs, c'est-à-dire dans l'acceptation de la richesse de leurs langues d'origine, celles là marginalisées par la langue du colon devenue langue officielle d'administration de leurs patries. Mais des figures comme Amin Maalouf ou Assia Djebar ont véritablement conquis les lettres françaises. Le premier a obtenu en 1993 le prix Goncourt pour son roman Le rocher de Tanios et la deuxième est membre de l'Académie Française depuis le 16 juin 2005 aux côtés d' Hélène Carrère d'Encausse... Pour Kateb Yacine : « La francophonie est une machine politique néocoloniale, qui ne fait que perpétuer notre aliénation, mais l'usage de la langue française ne signifie pas qu'on soit l'agent d'une puissance étrangère, et j'écris en français pour dire aux français que je ne suis pas français », une déclaration énoncée en 1966. Ensuite, Kateb Yacine s'est dédié à la traduction de ses textes en berbère. Parmi ses oeuvres les plus appréciées, il y a Nedjma aux éditions du Seuil, 1956 ou encore le Polygone étoilé publié en 1966. Son oeuvre traduit essentiellement la quête d'identité d'un pays aux cultures variées et les aspirations d'un peuple fier...

On a brièvement retracé cette littérature francophone marquée de tournants chronologiques et syntaxiques, on l'a connu dynamique et célébrée par les institutions, on la découvre discutée aujourd'hui par des écrivains d'Afrique, d'Amérique du Nord, du Maghreb, d'Océanie ou même d`Asie qui soutiennent le mouvement de la Nouvelle littérature monde, en rejetant l'idée d'enfermement. D'autres littératures, celles d'Haïti, des Caraïbes ou du Canada s'inscrivent aussi dans le combat, avec leur histoire personnelle et leurs propres ruptures, et des auteurs sont couronnés du prestigieux prix des Cinq continents de la Francophonie.

1 Le prix des Cinq continents de la francophonie 

Créé en 2001 par l'OIF, le prix des cinq continents consacre le roman d'un auteur d'expression française. Doté d'une valeur de dix milles euros, il met en valeur l'expression de la diversité culturelle et éditoriale de la langue française au coeur des cinq continents. L'an dernier, le 8 septembre 2006, il a été décerné à la mauricienne Ananda Devi pour son roman Eve de ses décombres, publié aux éditions Gallimard. Or cette dernière compte parmi les signataires du manifeste pour Une littérature Monde.

Pourquoi Ananda Devi a-t-elle été élue au prix des cinq continents de la francophonie ? Selon le jury, présidé par l'écrivain congolais Henri Lopes et composé de Lise Bissonnette (Canada-Québec), Monique Ilboudo (Burkina Faso), Paula Jacques (France-Égypte), Vénus Khoury-Ghata (Liban), Jean-Marie Gustave Le Clézio (Maurice-France), Andreï Makine (Russie), René de Obaldia (Hong Kong), Leila Sebbar (Algérie), Denis Tillinac (France), Lyonel Trouillot (Haïti) et Alain Mabanckou (Congo), lauréat 2005 pour Verre cassé, on a plébiscité « sa très belle écriture représentative de la diversité des cultures dans l'espace francophone ainsi que pour l'originalité de ses personnages qui vont aux lisières de l'animalité afin de remuer la conscience de ceux qui pensent représenter l'humanité ». Ainsi ce prix s'attache à promouvoir la diversité, un concept très à la mode aujourd'hui. Rama Yade, l'actuelle Secrétaire d'état aux Affaires Etrangères, n'était-elle pas auparavant chargée du volet francophonie et diversité à l' UMP. Il semble que ce prix revête un caractère politique, une vitrine de défense du français dans un monde où l'anglais est de loin la langue dominante, aussi bien dans les affaires que dans la littérature. Par ailleurs, le Booker Prize et le Pulitzer sont autant de prix prestigieux qui récompensent des écrivains de langue anglaise mais qui dans leur dénomination, ne connotent pas d'un combat linguistique et politique.

Avec Eve de ses décombres, Ananda Devi a séduit la francophonie et celle-ci le lui a bien rendu. Evoquant sa chère île Maurice, son roman narre d'une écriture singulière le destin de quatre adolescents ayant commis un crime odieux. Ethnologue de formation et titulaire d'un doctorat en Anthropologie sociale de l'université de Londres, Ananda Devi a aussi publié : Le voile de Draupadi, Moi l'interdite, Soupir, Pagli et La vie de Joséphin le Fou... C'est tout récemment qu'elle est passée à la collection « blanche » de Gallimard grâce à Eve de ses Décombres, alors que ses précédents romans étaient presque tous édités dans la collection Continents Noirs de Gallimard ou chez l' Harmattan et parfois aux éditions Dapper.

Nous allons maintenant parler de ces collections spéciales, qui comptent tant d'auteurs francophones à leur actif avant d'évoquer le manifeste pour une Littérature monde en Français...


2 De ces collections « ghettos » dédiées aux auteurs étrangers

Pourquoi des collections pour éditer des auteurs d'origine étrangère qui utilisent la langue française ? Le flot est-il si important qu'il faut le juguler dans des collections particulières ? Et quelle est donc la spécificité de ces collections ? En quoi mettent-elles en valeur des auteurs étrangers dont la plume est vivace ? Si beaucoup jugent qu'elles enferment les écrivains et empêchent leurs livres d'être lus à large échelle, Jean Noël Schifano, directeur de la collection Continents Noirs de Gallimard, répond  dans un entretien accordé au site Africultures.com : « En avion, il y a 5473 km entre l'aéroport Charles De Gaulle et celui de Libreville. J'étais avec Antoine Gallimard. Nous allions faire des conférences au Gabon. Au milieu du vol, Antoine a parlé de Tutuola, qui avait été traduit jadis par Queneau. Et puis, on s'est demandé s'il y avait un grand fleuve africain portant les livres d'une façon claire. On a parlé du bon travail fait chez Hatier, L'Harmattan, Le Serpent à Plumes, Actes Sud, Présence Africaine, voire chez Gallimard, Grasset, Le Seuil, Albin Michel, qui, de temps en temps, publient un auteur d'Afrique ou de la diaspora. Mais tout ça était un peu éparpillé. On voyait mal le puissant courant d'écritures africaines. Nous nous sommes alors dit que nous allions relever le défi. Et il m'a confié la direction de la future collection. Nous l'avons donc annoncée à la conférence de presse de Libreville fin janvier 1999 ; fin janvier 2000, le contrat oral est respecté, avec cinq premiers titres. On ouvre le siècle avec l'Afrique et ce n'est pas fini. Les éditeurs ont tous du pain sur la planche. Il va se créer une exigence de qualité. L'Afrique a au moins tout le siècle pour nous étonner, parce qu'on aura, avec les écritures africaines, beaucoup plus de surprises créatrices qu'on n'en a eu avec les écritures d'Amérique latine »39(*) 

Or cette collection Continents Noirs, créée pour donner une meilleure visibilité à ce que Jean-Noël Schifano appelle « le puissant courant d'écritures africaines », comporte des livres tous similaires à la couverture jaune pâle (et blanche au tout début), décorés d'une poignée de terre rouge représentant la latérite et qui se déplace au gré de l' oeuvre. Et même si l'auteur d'un texte est bon, si son histoire vaut le détour et qu'en plus, il possède un titre accrocheur comme Rêve d' Albatros40(*) du togolais Kangni Alem, force est de constater que très peu, émergent sur la scène littéraire française, quant aux autres, ils vont se rajouter à la masse des auteurs inconnus déjà publiés sous cette typographie particulière. C'est là que Michel Cadence, directeur des éditions Ndzé intervient et déclare : «  Quelle proportion d'Africains, c'est à dire de femmes ou d'hommes vivant en Afrique, peut-on trouver chez Continents noirs de Gallimard ? Chez Ndzé, c'est 80% des auteurs, et si je poursuis ce travail, ce sera bientôt 90%. J'édite les laissés-pour-compte de Gallimard, Hachette et autres Serpents. Et j'en suis fier. Je publie des textes impubliables sur lesquels je fais travailler les auteurs pendant trois ans ». Bien entendu, tout le monde ne partage pas cet avis, et certains trouvent leur compte à être publié chez Continents Noirs en dépit des mauvaises langues  ou des critiques frustrés : C'est le cas d'Eugène Ebodé, auteur de La Transmission puis La Divine Colère et Silikani, une trilogie éditée chez Continents Noirs en raison des très bons rapports de l'écrivain avec la maison. Ce qui montre bien que la relation que l'on peut entretenir avec un éditeur est primordiale, la collection ne fait alors plus cas de discussions et seul compte le livre, cet objet q'il faut soumettre au lecteur, cet objet qui doit séduire le lecteur !

- ACTES SUD

Chez Actes Sud, Bernard Magnier dirige la collection Afriques depuis 2000. Créée afin de promouvoir les littératures africaines, elle fait preuve d'une grande qualité dans les choix éditoriaux et l'esthétisme des livres dédiés aux lettres africaines, ne se différencie pas radicalement avec la collection officielle... Dans un entretien accordé au site www.linternaute.com, Bernard Magnier explique que l'exil familial, économique ou politique d'africains, est susceptible de créer un besoin en littérature et qu'il existe cette attraction de la France vue comme prestigieuse pour les écrivains africains. Il admet aussi que les livres publiés en France, sont mieux diffusés mais plus chers. A l'inverse, les livres édités en Afrique ont très peu de chance d'être diffusés en France. En Afrique, ajoute Bernard Magnier, le livre constitue encore un objet singulier et rare, et la lecture reste une activité solitaire, qu'il n'est pas facile de concilier avec les réalités africaines.

Le Serpents à plumes et la collection Motifs 

Elle a révélé beaucoup de talents africains. Appartenant à la maison d'édition, Le Serpent à Plumes, elle fut un temps dirigée par Pierre Astier aujourd'hui agent littéraire à son propre compte. Des auteurs comme Abdourahman Waberi, Ken Bugul, ou Boniface Mongo Boussa y ont publié de même qu'Aminata Sow Fall (Le jujubier du Patriarche) et Boubacar Boris Diop, ( Le Temps de Tamango). D'après Pierre Astier, les auteurs lui faisaient confiance et il les suivait dans leur parcours littéraire. Mais après que le Serpent à Plumes ait été racheté par les Editions du Rocher, et intégré à un groupe commercial, la ligne éditoriale s'en est trouvée radicalement changée et beaucoup d'auteurs ont cherché par des procès, à obtenir leurs droits financiers et à se défaire de leurs contrats avec le Serpent à Plumes. Pierre Astier se souvient de l'aventure du Serpents à Plumes sur le blog41(*) d' Alain Mabanckou :

« La création de la maison d'édition en 1993, grâce à la détermination de Claude Tarrène (actuel directeur commercial du Dilettante) fut un moment fort, marqué par le succès du premier livre publié au Serpent : La Grande Drive des esprits de Gisèle Pineau, qui reçut successivement le Prix Carbet de la Caraïbe 1993 et le Grand Prix des Lectrices de Elle 1994. La découverte d'auteurs, le lancement de collections (Motifs, Serpent noir, etc.) furent chaque fois, avec mes collaborateurs, Tania Capron et Pierre Bisiou, de magnifiques moments... »

Pierre Astier dirige également un département de littérature française, aux Editions Naïves : « J'observe qu'il y a de moins en moins de collections spécialisées et de plus en plus d'auteurs d'origine africaine qui se fondent dans des collections de littérature et c'est tant mieux, car l'humanité ne peut plus, au XXIe siècle, se concevoir sur la base de communautés cloisonnées, ni la société française, ni a fortiori la littérature de langue française. Sur la question des collections ghettos, on a beaucoup glosé sur la collection Continents noirs de Gallimard, omettant de souligner que les collections de littérature française, chez bon nombre d'éditeurs français, étaient des collections ghettos pour écrivains nationaux français dans lesquels pouvaient au mieux se glisser un Belge ou un Suisse francisé à l'extrême, mais quasiment jamais un « francophone » extra-européen. Ma politique éditoriale, au Serpent à Plumes, a été de mêler auteurs du Nord et auteurs du Sud, auteurs américains et auteurs européens, auteurs africains et auteurs asiatiques ».

En dépit des critiques, ou du caractère dit ghettoïsant de ces collections appartenant à des maisons prestigieuses, elles continuent d'attirer les écrivains africains qui préfèrent y être publiés plutôt qu'ailleurs. En raison de problèmes de diffusion, de promotion ou de suivi éditorial, beaucoup d'auteurs préfèrent éviter les petites structures africaines installées à Paris, car elles ne les satisfont pas entièrement pour l'exploitation de leurs livres. Citons Présence Africaine, la doyenne : un nom, un fond extraordinaire d`auteurs, une maison qui a déniché de nombreux talents mais souffre d'une gestion financière critiquable. Certains vont même jusqu' à dire que Présence Africaine aurait pu être le Gallimard de l'Afrique, au lieu de voir s'échapper ses auteurs vers le Seuil, Plon ou Anne Carrière... Mais il semblerait que la maison ait fait son temps. Et ce qui fait véritablement débat aujourd'hui, c'est le manque de considération des auteurs étrangers écrivant en français. Alors, coup d'éclat ! Le 15 Mars 2007, 44 écrivains publiaient un manifeste dans Le Monde des Livres, en proclamant l'avènement d'une littérature monde en français. Et grâce à l'attribution de prix prestigieux comme le Renaudot et le Goncourt aux auteurs « venus d'ailleurs », le moment était tout idéal La Canadienne, Nancy Huston, le congolais Alain Mabanckou et la Camerounaise Léonora Miano, en ont été les heureux récipiendaires...

C  Le Manifeste des 44

Le texte intitulé  Pour une Littérature Monde en français est paru dans Le Monde des Livres le jeudi 15 Mars 2007 et signé par une cinquantaine d'auteurs dont Muriel Barbery, Tahar Ben Jelloun, Alain Borer, Roland Brival, Maryse Condé, Didier Daeninckx, Ananda Devi, Alain Dugrand, Edouard Glissant, Jacques Godbout, Nancy Huston, Koffi Kwahulé, Dany Laferrière, Gilles Lapouge, Jean-Marie Laclavetine, Michel Layaz, Michel Le Bris, JMG Le Clézio, Yvon Le Men, Amin Maalouf, Alain Mabanckou, Anna Moï, Wajdi Mouawad, Nimrod, Wilfried N'Sondé, Esther Orner, Erik Orsenna, Benoît Peeters, Patrick Rambaud, Gisèle Pineau, Jean-Claude Pirotte, Grégoire Polet, Patrick Raynal, Jean-Luc V. Raharimanana, Jean Rouaud, Boualem Sansal, Dai Sitje, Brina Svit, Lyonel Trouillot, Anne Vallaeys, Jean Vautrin, André Velter, Gary Victor, Abdourahman A. Waberi...

La plupart sont écrivains, puis éditeurs ou directeurs de festivals comme Michel Le Bris42(*), lecteur attitré comme Jean-Marie Laclavetine, musiciens comme Wilfried Nsondé, académicien comme Erik Orsenna, écrivain-voyageur comme JMG Le Clézio et même infirmière en psychiatrie comme Gisèle Pineau. Tous viennent d'horizons divers, mais tous écrivent en français et pour toutes ces raisons et d'autres inavouées, ils se sont proclamés hérauts de ce manifeste à caractère révolutionnaire.

1/ Extraits choisis et Analyse d'un contexte ( Voir annexe)

« Plus tard, on dira peut-être que ce fut un moment historique : le Goncourt, le Grand Prix du roman de l'Académie française, le Renaudot, le Femina, le Goncourt des lycéens, décernés le même automne à des écrivains d' outre France... »

Dès les premières lignes, le manifeste a voulu s'inscrire dans un moment historique et dans la continuité d'un automne particulier où les prix ont récompensé des auteurs étrangers. A partir de cette « révolution copernicienne », poursuit le texte, « le centre, ce point depuis lequel était supposée rayonner une littérature franco-française, n'est plus le centre ». Et allant plus loin, ces 44 auteurs, affirment sans ambages et sans détour :

« Fin de la francophonie. Et naissance d'une littérature monde ! »

Face à une telle sanction, la réaction fut immédiate. C'est Abdou Diouf, Secrétaire Général de l' OIF, le premier, qui a publié un droit de réponse :

« Mais vous me permettrez de vous faire irrespectueusement remarquer, mesdames et messieurs les écrivains, que vous contribuez dans ce manifeste, avec toute l'autorité que votre talent confère à votre parole, à entretenir le plus grave des contresens sur la francophonie, en confondant francocentrisme et francophonie, en confondant exception culturelle et diversité culturelle. Je déplore surtout que vous ayez choisi de vous poser en fossoyeurs de la francophonie, non pas sur la base d'arguments fondés, ce qui aurait eu le mérite d'ouvrir un débat, mais en redonnant vigueur à des poncifs qui décidément ont la vie dure... »43(*)

Une deuxième réaction, celle de Nicolas Sarkozy, alors président de l' UMP et candidat à l'élection présidentielle, est venue alimenter le débat naissant. Rappelons que l' UMP a un volet francophonie et diversité. Et dans les colonnes de la rubrique « Opinions et Débats » du Figaro, l'actuel président de la République, déclarait ceci :

« Ce n'est pas un hasard si, parmi les derniers pays que j'ai visités, le Sénégal et l'Algérie ont offert à notre Académie deux des plus fervents amoureux de la langue française, Assia Djebar et Senghor. Dans l'enseignement supérieur, il est urgent de commencer à réfléchir à la création de chaires francophones, quasi inexistantes en France, afin de retenir des talents littéraires comme Maryse Condé, Alain Mabanckou ou Achille Mbembe, qui ont fini par s'exiler aux États-Unis. Le coeur et l'avenir de la francophonie sont de moins en moins français, mais, paradoxalement, de plus en plus anglo-saxons. La francophonie sauvée par l'Amérique ? Un comble ! »44(*)

Ainsi, plutôt que d'enterrer définitivement cette francophonie, Nicolas Sarkozy, proposait de créer plus de chaires francophones, afin de maintenir la langue française dans l'enseignement des lettres et surtout face à la prépondérance de l'anglais. Un propos qui souligne bien le manque de considération des doctorants en Lettres et Littérature en France. Force est de constater que très peu parviennent à trouver des postes d'enseignants titulaires en France et préfèrent donc s'exiler aux Etats-Unis, où il existe une demande très forte par rapport à la littérature francophone. Le problème de la terminologie francophone ne se pose plus, on parle surtout de littérature africaine et dans les universités américaines, on cherche des enseignants qualifiés pour dispenser la littérature mondiale, ce qui constitue une bonne nouvelle pour les auteurs...

« Le monde revient. Et c'est la meilleure des nouvelles. N'aura-t-il pas été longtemps le grand absent de la littérature française ? Le monde, le sujet, le sens, l'histoire, le "référent" : pendant des décennies, ils auront été mis "entre parenthèses" par les maîtres-penseurs, inventeurs d'une littérature sans autre objet qu'elle-même, faisant, comme il se disait alors, "sa propre critique dans le mouvement même de son énonciation », poursuit le manifeste. Et depuis trop longtemps, déplorent les signataires, la littérature française, restait fermée sur elle-même, rejetant tout ce qui faisait sa richesse, ignorant tous ceux qui contribuaient, même en silence, à la rendre vivante  et les choses ne s'arrêtent pas là, en effet :

« Le roman était une affaire trop sérieuse pour être confiée aux seuls romanciers, coupables d'un "usage naïf de la langue", lesquels étaient priés doctement de se recycler en linguistique. Ces textes ne renvoyant plus dès lors qu'à d'autres textes dans un jeu de combinaisons sans fin, le temps pouvait venir où l'auteur lui-même se trouvait de fait, et avec lui l'idée même de création, évacué pour laisser toute la place aux commentateurs, aux exégètes. Plutôt que de se frotter au monde pour en capter le souffle, les énergies vitales, le roman, en somme, n'avait plus qu'à se regarder écrire... »

Cette littérature française au lieu de vibrer, se regardait écrire, se laissait commenter par les seuls « capables », cela au détriment de ceux qui la faisaient naître. Les penseurs, commentateurs et autres exégètes, du haut de leur savante exégèse, en avaient oublié jusqu' à la saveur même de la littérature, celle d'être lue, d'être ressentie comme un plaisir, d'être vécue comme une communion avec le monde, avant toute interprétation intempestive et réductrice.

« Que les écrivains aient pu survivre dans pareille atmosphère intellectuelle est de nature à nous rendre optimistes sur les capacités de résistance du roman à tout ce qui prétend le nier ou l'asservir... »

On rejoint ici le propos du philosophe Tzvetan Todorov qui dénonce le danger d'appauvrissement de la littérature actuelle à travers trois tendances, à savoir le nihilisme, le formalisme et l'autofiction45(*), et qui ensemble, contribueraient de façon alarmiste à la faiblesse du roman contemporain. D'où ce désir exprimé par quarante quatre écrivains de retrouver :

« ... Les voies du monde, ce retour aux puissances d'incandescence de la littérature, cette urgence ressentie d'une "littérature monde... »

Une urgence donc, de retrouver une littérature fortement empreinte du monde, des récits de voyages, d'aventures, la littérature dans toute sa capacité d'expression infinie et variée :

« Les récits de ces étonnants voyageurs, apparus au milieu des années 1970, auront été les somptueux portails d'entrée du monde dans la fiction. D'autres, soucieux de dire le monde où ils vivaient, comme jadis Raymond Chandler ou Dashiell Hammett avaient dit la ville américaine, se tournaient, à la suite de Jean-Patrick Manchette, vers le roman noir. D'autres encore recouraient au pastiche du roman populaire, du roman policier, du roman d'aventures, manière habile ou prudente de retrouver le récit tout en rusant avec "l'interdit du roman". D'autres encore, raconteurs d'histoires, investissaient la bande dessinée, en compagnie d'Hugo Pratt, de Moebius et de quelques autres. Et les regards se tournaient de nouveau vers les littératures "francophones", particulièrement caribéennes, comme si, loin des modèles français sclérosés, s'affirmait là-bas, héritière de Saint-John Perse et de Césaire, une effervescence romanesque et poétique dont le secret, ailleurs semblait avoir été perdu... »

Le manifeste entend lancer un appel et brandir cette effervescence romanesque, celle de littératures en mutation constante, cela quand :  

« Bruce Chatwin partait pour la Patagonie, et son récit prenait des allures de manifeste pour une génération de travel writers ("J'applique au réel les techniques de narration du roman, pour restituer la dimension romanesque du réel"). Puis s'affirmaient, en un impressionnant tohu-bohu, des romans bruyants, colorés, métissés, qui disaient, avec une force rare et des mots nouveaux, la rumeur de ces métropoles exponentielles où se heurtaient, se brassaient, se mêlaient les cultures de tous les continents. Au coeur de cette effervescence, Kazuo Ishiguro, Ben Okri, Hanif Kureishi, Michael Ondaatje - et Salman Rushdie, qui explorait avec acuité le surgissement de ce qu'il appelait les "hommes traduits" : ceux-là, nés en Angleterre, ne vivaient plus dans la nostalgie d'un pays d'origine à jamais perdu, mais, s'éprouvant entre deux mondes, entre deux chaises, tentaient vaille que vaille de faire de ce télescopage l'ébauche d'un monde nouveau. Et c'était bien la première fois qu'une génération d'écrivains issus de l'émigration, au lieu de se couler dans sa culture d'adoption, entendait faire oeuvre à partir du constat de son identité plurielle, dans le territoire ambigu et mouvant de ce frottement. En cela, soulignait Carlos Fuentes, ils étaient moins les produits de la décolonisation que les annonciateurs du XXIe siècle... »

Un roman enrichi de brassages culturels, de métissage, d'identité plurielle, la littérature ayant pour fonction de dire le monde de demain et esquisser les générations d'écrivains à venir. Mais si cette mutation s'opérait naturellement parmi les écrivains anglophones, félicités pour avoir dignement pris possession de la langue anglaise, chez les francophones, elle les marginalisait et le manifeste questionne ses destinataires :

« Combien d'écrivains de langue française, pris eux aussi entre deux ou plusieurs cultures, se sont interrogés alors sur cette étrange disparité qui les reléguait sur les marges, eux "francophones", variante exotique tout juste tolérée, tandis que les enfants de l'ex-empire britannique prenaient, en toute légitimité, possession des lettres anglaises ? »

Plusieurs hypothèses sont émises et une allusion à la mission civilisatrice de l'occident envers les peuples noirs, ce que perpétuerait la francophonie, en dépit du renouveau des lettres françaises, opéré par des écrivains venus d' ailleurs : Ici politique, littérature et langue, viennent se confondre :

«  Fallait-il tenir pour acquis quelque dégénérescence congénitale des héritiers de l'empire colonial français, en comparaison de ceux de l'empire britannique ? Ou bien reconnaître que le problème tenait au milieu littéraire lui-même, à son étrange art poétique tournant comme un derviche tourneur sur lui-même, et à cette vision d'une francophonie sur laquelle une France mère des arts, des armes et des lois continuait de dispenser ses lumières, en bienfaitrice universelle, soucieuse d'apporter la civilisation aux peuples vivant dans les ténèbres ? Les écrivains antillais, haïtiens, africains qui s'affirmaient alors n'avaient rien à envier à leurs homologues de langue anglaise... »

Une évidence s'est alors imposée aux écrivains d'outre-mer et la Créolité est devenue une forme de résistance :

« Le concept de "créolisation" qui alors les rassemblait, à travers lequel ils affirmaient leur singularité, il fallait décidément être sourd et aveugle, ne chercher en autrui qu'un écho à soi-même, pour ne pas comprendre qu'il s'agissait déjà rien de moins que d'une autonomisation de la langue... »

Ainsi, la langue n'appartient pas à un seul peuple ou à une seule élite capable de la comprendre et de la manier. Elle serait la propriété de tous ceux qui la pratiquent et l'enrichissent au jour le jour : La rentrée 2006 et la distribution des prix d'automne l'a démontré, souligne le manifeste et les lettres françaises sont prêtes pour s'inscrire dans un champ d'expression encore plus vaste. Plus rien ne peut arrêter le mouvement, pas même la francophonie  qui ne renverrait qu'à un monde virtuel :

« Soyons clairs : l'émergence d'une littérature monde en langue française consciemment affirmée, ouverte sur le monde, transnationale, signe l'acte de décès de la francophonie. Personne ne parle le francophone, ni n'écrit en francophone. La francophonie est de la lumière d'étoile morte. Comment le monde pourrait-il se sentir concerné par la langue d'un pays virtuel ? Or c'est le monde qui s'est invité aux banquets des prix d'automne. A quoi nous comprenons que les temps sont prêts pour cette révolution... »

La révolution, pourquoi n'a-t-elle pas eu lieu plus tôt ? La réponse est sans équivoque :

« Parce que le monde, alors, se trouvait interdit de séjour. Comment a-t-on pu ne pas reconnaître en Réjean Ducharme un des plus grands auteurs contemporains, dont L'Hiver de force, dès 1970, porté par un extraordinaire souffle poétique, enfonçait tout ce qui a pu s'écrire depuis sur la société de consommation et les niaiseries libertaires ? Parce qu'on regardait alors de très haut la "Belle Province", qu'on n'attendait d'elle que son accent savoureux, ses mots gardés aux parfums de vieille France... »

Quant à ce pacte entre la nation et la langue, qui a tenu l'écrivain si longtemps dans les marges, il y a urgence à s'en affranchir pour toujours :

« Et l'on pourrait égrener les écrivains africains, ou antillais, tenus pareillement dans les marges : comment s'en étonner, quand le concept de créolisation se trouve réduit en son contraire, confondu avec un slogan de United Colors of Benetton ? Comment s'en étonner si l'on s'obstine à postuler un lien charnel exclusif entre la nation et la langue qui en exprimerait le génie singulier - puisqu'en toute rigueur l'idée de "francophonie" se donne alors comme le dernier avatar du colonialisme ? Ce qu'entérinent ces prix d'automne est le constat inverse : que le pacte colonial se trouve brisé, que la langue délivrée devient l'affaire de tous, et que, si l'on s'y tient fermement, c'en sera fini des temps du mépris et de la suffisance. Fin de la "francophonie", et naissance d'une littérature monde en français : tel est l'enjeu, pour peu que les écrivains s'en emparent... »

Le concept de littérature monde serait-il un échappatoire vers une liberté créatrice sans bornes et sans marginalisation du milieu lui-même ?

«  Littérature monde parce que, à l'évidence multiples, diverses, sont aujourd'hui les littératures de langue françaises de par le monde, formant un vaste ensemble dont les ramifications enlacent plusieurs continents. Mais littérature monde, aussi, parce que partout celles-ci nous disent le monde qui devant nous émerge, et ce faisant retrouvent après des décennies d'"interdit de la fiction" ce qui depuis toujours a été le fait des artistes, des romanciers, des créateurs : la tâche de donner voix et visage à l'inconnu du monde - et à l'inconnu en nous... »

Maintenant que le texte a été publié et le mouvement lancé, il ne doit plus s'arrêter :

«  Enfin, si nous percevons partout cette effervescence créatrice, c'est que quelque chose en France même s'est remis en mouvement où la jeune génération, débarrassée de l'ère du soupçon, s'empare sans complexe des ingrédients de la fiction pour ouvrir de nouvelles voies romanesques. En sorte que le temps nous paraît venu d'une renaissance, d'un dialogue dans un vaste ensemble polyphonique, sans souci d'on ne sait quel combat pour ou contre la prééminence de telle ou telle langue ou d'un quelconque "impérialisme culturel". Le centre relégué au milieu d'autres centres, c'est à la formation d'une constellation que nous assistons, où la langue libérée de son pacte exclusif avec la nation, libre désormais de tout pouvoir autre que ceux de la poésie et de l'imaginaire, n'aura pour frontières que celles de l'esprit... »

Le vaste ensemble polyphonique, voilà en dernier lieu, ce que prône le manifeste, sans aucun impérialisme culturel pour brider la langue, cette matière première. La langue libérée de son pacte exclusif avec la nation étant une condition absolue à la perpétuation et la reconnaissance de la littérature monde, proclamée par 44 écrivains. Mais tous l'entendent-ils de cette oreille ?

Pour Julien Kilanga-Musinde, Directeur de la Langue Française et de la Diversité linguistique à l' OIF, il persiste une grande confusion entre la francophonie institutionnelle, dont il est le représentant et la francophonie littéraire, pour laquelle il oeuvre. Mais avant tout, il y a matière à se poser des questions car : «  La littérature africaine en langue française » nous convie à un banquet de l'esprit ouvert à tous les souffles en posant des questions essentielles au devenir de la Francophonie à un moment où on s'interroge sur ses contours. Une francophonie polyphonique ? La littérature africaine en langue française ». Et Monsieur Kilanga donne sa définition personnelle de la francophonie à laquelle il attribue d'abord: « Un sens géographique, la Francophonie saisie comme l'ensemble des peuples et des hommes dont la langue (maternelle, officielle, courante ou administrative) est le français ». Quant à la littérature monde, elle est un terme trop vague, qui englobe tout et rien à la fois !

La Convention de Saint-Malo 

Avant d'analyser les réactions médiatiques au manifeste, signalons qu'il a donné lieu à la convention de Saint-Malo. Le festival « Etonnants Voyageurs », chapeauté par Michel Le Bris, et qui s'est tenu entre le 26 et le 28 mai 2007 dans la ville aux remparts mythiques, a été le cadre idéal pour instaurer une convention destinée à rendre visible le mouvement de la nouvelle littérature monde :

«  Cette nouvelle pléiade, nous avons la volonté de la rendre visible, de suivre sa trace poétique, de l'accompagner, de la rendre évidente, en créant un regroupement de trente écrivains représentatifs de cette diversité littéraire et géographique, qui par la publication d'une revue annuelle captant les miroitements de cette constellation et par la remise d'un prix de printemps, servira, nous l'espérons, de caisse de résonance à ce mouvement que les prix littéraires d'automne - et leurs jurés écrivains - ont contribué à révéler. Le groupe se dissoudra dans cinq ou dix ans. Accompagner un mouvement n'est pas l'encadrer... »

- Réactions en France 

« La photo entrera peut-être dans l'histoire : une quinzaine de romanciers serrés sous leurs parapluies, sur le pont du navire-école Belem à Saint-Malo. On reconnaît Michel Le Bris et Jean Rouaud, Muriel Barbery et Jacques Godbout, Jean-Luc Raharimanana et Michel Tremblay... Tous ont signé le fameux Manifeste des 44, « Pour une littérature-monde en français », publié dans Le Monde du 16 mars 2007. Un manifeste à double lame. La première annonce la mort de la francophonie dans sa forme actuelle et la naissance d'une littérature-monde riche de toutes les littératures en langue française animées par « l'envie de goûter à la poussière des routes, au frisson du dehors, au regard croisé d'inconnus ». La seconde s'en prend aux « maîtres-penseurs » de la littérature et de l'édition, ces « inventeurs d'une littérature sans autre objet qu'elle-même », qui « se regarde écrire ». Traduisez : les héritiers du nouveau roman, du structuralisme ou de la déconstruction, qui s'égarerait aujourd'hui dans le formalisme et l'autofiction...»46(*)

Pour sa part, l'écrivain Abdourahman. A Waberi (l'un des quatre rédacteurs du manifeste avec Michel le Bris, Alain Mabanckou et Jean Rouaud), remarquait à propos de la francophonie : « Non seulement elle nous transforme en espèce «exotique» aux yeux du public, mais elle creuse un fossé symbolique entre les auteurs. Comme s'il existait un «centre pur» - Paris et les écrivains français «de souche» - et une périphérie, une «annexe», avec les «francophones». 

Un commentaire entériné dans un article du journal Marianne47(*), sur les enjeux de la francophonie : « Face au mépris » des élites intellectuelles françaises autocentrées, pour qui la création littéraire francophone est une sorte de tiroir qui relègue les auteurs africains ou canadiens en « marge » de la création dans la langue de Molière, 44 écrivains, dont Jean Marie Le Clézio, Tahar Ben Jelloun, Edouard Glissant, Amin Maalouf ou Alain Mabanckou - rien que ça - ont lancé le manifeste pour une « littérature-monde en français », qui signerait ni plus ni moins «l'acte de décès de la francophonie » telle que vécue jusqu'à aujourd'hui, avec son centre - la France - et sa périphérie exotique. Force est de constater que la France a tendance à se replier sur ses (maigres) ressources. C'est pourtant à un autre niveau que se situent les enjeux d'une diversité culturelle pleine et assumée, face à l'homogénéisation des contenus culturels dans le monde...».  

Le journaliste Jean Pierre Bourcier ajoutait : «  Que la langue française est aussi nourrie par d'autres espaces dans le monde, comme c'est déjà le cas pour les écrivains de langue anglaise. En France, ajoutent les signataires (Didier Daeninckx, Nancy Huston, Amin Maalouf...), une« jeune génération [...] débarrassée de l'ère du soupçon, s'empare sans complexe des ingrédients de la fiction pour ouvrir de nouvelles voies romanesques ». Et ils soulignent notamment le rôle éminent des« récits de ces étonnants voyageurs apparus au milieu des années 70... »48(*)

La francophonie continue de susciter critiques et commentaires divers. Un fonctionnaire de l'OIF, qui a voulu rester anonyme, me confiait lors d'un entretien et non sans une pointe d'agacement : «  On nous a beaucoup critiqué sur notre position mais les gens oublient que nous oeuvrons pour la diversité culturelle et le rayonnement de la langue française, regardez, nous avons créée un prix des cinq continents de la francophonie ! Littérature monde ? Ca ne veut rien dire ! ».

« Alors que la francophonie politique s'est imposée comme une force avec laquelle, il faut désormais compter, la francophonie littéraire, continue de susciter méfiance et rejet... le centre est désormais partout, la francophonie qui servait à regrouper les marges, n' a plus de raisons d'être »49(*), notait de son côté Tirthankar Chanda, journaliste culturel à l'hebdomadaire Jeune Afrique.

On l'aura compris, le manifeste a ouvert un débat et des réactions continuent d'être publiées dans divers journaux. Le phénomène a même gagné l'Amérique, où beaucoup de signataires du manifeste sont installés et enseignent la littérature francophone dans les grandes universités, notamment à UCLA50(*)

Les réactions à l'étranger

«In Paris, Language sparks culture War ! » : c'est le titre de l'article d'Alan Riding publié dans le New York Times51(*). Autrement dit : A Paris, la langue entraîne une guerre des Cultures, un titre qui traduit la vision manichéenne américaine, avec un vocabulaire légèrement guerrier, sans doute pour mieux accrocher le lecteur. Et la première phrase de l'article, le confirme, avec le terme « Battle ». Alan Riding explique ensuite ce qui a conduit à la publication du manifeste : «With French long engaged in a losing battle against, English around the world, a new way of fighting back has been proposed by a multinational group of authors who write in French: uncouple the language from France and turn French literature into «world literature» written in French. For guardians of the language of Molière, Voltaire and Victor Hugo, this is tantamount to subversion. But the 44 signatories of a manifesto published in Le Monde this month are in a rebellious mood. They assert that it is time for the French to stop looking down on francophone authors, as foreigners writing in French are known, because these very novelists -- many from former French colonies -- hold the key to energizing French literature.»

La prépondérance de l'anglais comme langue d'affaire internationale a conduit ce groupe d'écrivains multinationaux, à proposer une nouvelle forme de résistance. Celui de la littérature monde. Pour les héritiers de la langue de Molière, de Voltaire et de Victor Hugo, c'était un mouvement à caractère subversif. D'une humeur révolutionnaires, les 44 signataires ont publié ce texte afin que la France cesse de voir en eux des auteurs francophones, car ils contribuent à enrichir la langue française, et cela en dépit de leur rattachement aux anciennes colonies françaises52(*)...

Quant au quotidien suisse, Le Temps, il reprenait l'intégralité du manifeste sans autre forme de commentaires, tandis que l'article d'Alan Riding, était repris dans le Hérald Tribune. Et Radio Canada offrait un commentaire sur son site web :

« Leur but est double: redonner au roman une ouverture sur le monde et le souffle de la fiction; s'élever contre les inventeurs d'une littérature nombriliste sans autre objet qu'elle même. Une idée dans l'air du temps. Cette idée d'une littérature monde en français était déjà dans l'air. En novembre dernier, le Français Jean Rouaud et le Franco Congolais Alain Mabanckou avaient abordé ce thème, lors d'une manifestation tenue à Bamako, au Mali. À cette occasion, Jean Rouaud avait écrit: « La langue française a quitté l'île de la Cité pour composer un archipel »53(*)

Le manifeste est loin d'être passé inaperçu. Michel Le Bris et ses collaborateurs ont donc fait de la littérature monde, le thème principal du dernier Festival Etonnants Voyageurs à Saint Malo. Lors d'un café littéraire, l'amoureux de lettres en a profité pour rebondir sur les diverses réactions médiatiques, en insistant sur la nécessité de : «  prendre le temps de discuter de cette littérature monde, avec des débats, un prix littéraire, l'édition d'une revue annuelle qui permettrait de publier des articles et remarquer de jeunes auteurs talentueux. Contrairement à l'engouement de la presse sur le débat autour de «  la mort de la francophonie », Le Bris ajoute que ce n'était pas l'idée première du manifeste. Si le roman du 19è siècle, a engendré ce qu'il appelle le Romantisme, il se demande pourquoi à un moment donné, les écrivains se sont retirés du monde, pour se regarder le nombril. La littérature de voyage, elle tient vraiment sa place, au sein du Festival Etonnants Voyageurs... Et s'il y a autofiction, alors, il s'agit d'un moi qui se cogne au monde, se révèle par le rapport à autrui, mais pas d'un moi qui s'admire... »

Michel Le Bris reste toutefois optimiste, car ajoute t-il, la littérature française reprend vie. A cette littérature, s' ajoute même de nouvelles formes : Le Slam, ou les déclamations de poétiques de jeunes en quête d'expression personnelle ou encore les problématiques de la banlieue, défendus par Thomté Ryan avec « Banlieue Noire », Rachid Djaïdani dans « Viscéral » ou encore Faïza Guène54(*), invitée à Saint Malo, tandis que Wilfried Nsondé, d'origine congolaise et qui vit à Berlin, a récemment publié chez Actes Sud, Le Coeur des Enfants Léopards, un récit moderne engagé, aux allures poétiques sur la condition difficile des jeunes de quartier en France...Tous doivent être pris dans le courant vif et révolutionnaire de La littérature Monde, sans faire l'objet de catégorisation et c'est justement cette séparation des littératures qui a conduit l'écrivaine vietnamienne Anna Moï, à signer le manifeste :

« J'ai été invitée lors du salon du livre 2006 dont le thème était la Francophonie et je croyais que cela intégrait tous les auteurs écrivant en français. Et puis, une journaliste m'a posé cette question : Est-ce que vous lisez des auteurs francophones ? De là, j'ai compris, qu'il y avait d'un côté, les auteurs franco-français, issus de l'hexagone, et d'autre part, les autres, originaires des anciennes colonies françaises et considérés comme ne faisant pas partie de la grande littérature française. Et puis, il y avait les catégorisations dans les librairies, ceux qui étaient du Canada ou d' Océanie, n' étaient pas classés dans les même rayons que ceux venus d' Afrique, et pourquoi, on ne trouvait pas des auteurs français en rayon littérature francophone ?... ».

Le suédois, Bjorn Lassund, écrivain et professeur à l'Université de Lund en Suède, va plus loin et livre une fine analyse du manifeste et en général de la littérature étrangère et sa réception en France :

« On accuse souvent la France de ne pas s'intéresser suffisamment à la littérature étrangère. Cependant, le chauvinisme culturel de la France n'est pas -- ou n'est plus -- pire qu'ailleurs ; celui-ci a beaucoup à envier aux pays anglo-saxons où, par exemple, l'attribution d'un prix Nobel à un écrivain « étranger » se remarque à peine dans les ventes -- si encore l'écrivain est traduit. Gardons le sens des proportions : on a toujours abondamment traduit la littérature étrangère en France et les écrivains se sont largement laissés influencer par celle-ci. Sans Kafka, Joyce, Dostoïevski, Hemingway, Dos Passos, Calvino et d'autres encore la littérature française ne serait pas devenue ce qu'elle est. Aujourd'hui encore, il suffit d'ouvrir Le Monde des Livres ou Le Magazine Littéraire pour voir que la littérature étrangère est loin d'être négligée. Le succès du festival des Étonnants voyageurs à Saint-Malo a été en grande partie construit sur l'ouverture au monde.
Il n'empêche que les oeuvres littéraires sont presque toujours classifiées par leurs origines dans les librairies et dans les catalogues des éditeurs. Il y a des collections pour la littérature étrangère, pour la littérature africaine ou pour la littérature hispanique, que celles-ci soient traduites ou écrites directement en français. Les magazines et suppléments littéraires consacrent régulièrement des pages à la littérature de tel ou tel pays. À Paris, on trouve des librairies spécialisées dans la littérature d'un seul pays. Sur la quatrième de couverture, l'information incontournable est le pays d'origine de l'écrivain. Récemment, j'ai découvert qu'un de mes romans, Le cercle celtique, était décoré d'un bandeau rouge qui portait le texte « Polar suédois ». Pour un roman qui parle d'identité celtique sans contenir un seul mot sur la Suède et qui est écrit par un écrivain déraciné et dénationalisé comme moi qui vit à l'étranger depuis vingt ans !  ».

Muriel Barbery, auteur de L'Elégance du Hérisson55(*), se dit quant à elle « séduite par le concept de littérature monde », car il colle avec son amour des « romans généreux, ceux qui s'attachent à dire une condition humaine restituée dans le souffle du monde, de Guerre et Paix à Autant en emporte le vent. » Mais elle ajoute aussitôt qu'elle n'a pas l'intention de « donner des leçons à qui que ce soit »...

*

Voyons maintenant comment le manifeste a été accueilli dans le milieu de l'édition, car n'est-il pas la cible première de ses revendications ? N'est-ce pas le milieu de l'édition qui est considéré comme «  ce centre  » décrié par des écrivains en quête de liberté, « ce centre » qui les a tenu si longtemps à la périphérie de la République des Lettres, d'autant que le débat s'articule également autour de la littérature intimiste, qui minerait le roman avec un grand R. Et quand Michel Le Bris dit :

« Je n'ai rien contre la littérature intimiste, et d'ailleurs la réflexion sur le moi est une tradition ancienne dans la littérature française. Mais Angot, ce n'est pas Montaigne ! »

Paul Otchakovsky-Laurens, patron des éditions POL, répond : « Quant à affirmer que l'autofiction, ou la recherche formelle, ne « disent » pas le monde, cela même est discutable : « Tous les dix ou quinze ans, on assiste à une attaque contre la soi-disant «censure» que certaines maisons d'édition feraient subir au roman... Chaque fois, on célèbre le retour du romanesque contre une littérature supposée nombriliste et desséchée. Cette année, c'est le concept très séduisant de «littérature monde» qui fait fureur - mais l'ouverture au monde se fait aussi à travers les romans les plus introspectifs ! »56(*)

Olivier Pascal Moussellard, rapporte aussi les propos agacés d'Olivier Cohen, des Editions de l'Olivier : «  Je n'aime pas cette façon d'opposer les écrivains les uns aux autres. La littérature, c'est une addition, pas une soustraction de talents. Notre métier n'est pas de vendre des catégories d'écrivains, mais de publier des auteurs, tous singuliers. Tracer une «ligne de démarcation» entre les écrivains en fonction de leur «camp», me paraît très dangereux. »

Pour Pierre Astier aux éditions Naïves, il s'agit d'intégrer les écrivains francophones dans la littérature française :

« Le problème est désormais moins de savoir comment la littérature française intègre les écrivains francophones (de ce qu'elle conçoit encore comme une périphérie) que de savoir comment les écrivains français intègrent la vaste « Francophone Literature » comme la définit sans état d'âme le très sérieux trimestriel étasunien « World Literature Today » qui passe brillamment en revue les littératures du monde d'un seul point de vue linguistique, sans considération et hiérarchie géopolitiques aucune ».

- Quelques intellectuels analysent le manifeste 

Commençons avec Achille Mbembe, l'un des intellectuels africains les plus en vue aujourd'hui. Il est professeur d'Histoire et de Sciences Politiques à l'Université du Witwatersrand à Johannesburg et directeur de Recherches au Witwatersrand Institue for Social and Economic Research (WISER)...

Dans l'analyse qu' il livre du manifeste, Achille Mbembe commence d'abord par opposer la France et l' Amérique en précisant les atouts de cette dernière: « Le premier, c'est leur capacité presque illimitée de capter et de recycler les élites mondiales. Au cours du dernier quart du vingtième siècle, leurs universités et centres de recherche sont parvenues à attirer presque tous les meilleurs intellectuels noirs de la planète - ceux d'entre eux qui avaient été formés en France, voire des universitaires français noirs auxquels les portes des institutions françaises sont restées hermétiquement fermées... »

Un commentaire qui rejoint celui de Nicolas Sarkozy, même si ce dernier n'est pas homme de lettres mais avocat en premier lieu. Il n'empêche que la France souffre de ne pas savoir valoriser et retenir ses intellectuels d'origine étrangère, ce qui les amène à être sollicités par le pays de l'Oncle Sam et son « éthique de l'hospitalité », poursuit Achille Mbembe, une éthique qui serait rare en France... : «  Ceci dit, c'est cette éthique de l'hospitalité qui fait défaut à la France contemporaine. Son absence explique, en partie, l'incapacité française à penser ce qu'Édouard Glissant appelle le « Tout Monde». Et cela en raison de bien de facteurs historiques liés à la langue française :

« Ce rapport métaphysique à la langue s'explique lui-même par la double contradiction sur laquelle repose l'Etat nation français. D'une part, les noces de la langue et de l'État trouvent une partie de leur origine dans la Terreur (1793-1794) durant la Révolution. C'est de cette époque que date le réflexe du monolinguisme - cette idée typiquement française selon laquelle la langue française étant une, indivisible, et centrée sur une norme unique, tout le reste n'est que patois. Il s'agit, d'autre part, de la tension, elle aussi héritée, du moins en partie, de la révolution de 1789, entre le cosmopolitisme et l'universalisme... »

Là encore, Achille Mbembe, même s'il n'a pas signé le manifeste, évoque «  ce centre » tourné vers lui-même et qui a longtemps rejeté toute forme de métissage ou réappropriation de la langue française...

Or ce qui veut prévaloir de nos jours, c'est le « Tout Monde », un terme dont la paternité revient au romancier antillais Edouard Glissant, Docteur ès Lettres, Prix Renaudot 1958 pour son roman La LézardeDistinguished Professeur of French, à la City University de New York ( CUNY) et surtout poète reconnu :

«  J'appelle Tout-monde notre univers tel qu'il change et perdure en échangeant, et, en même temps la « vision » que nous en avons ».

« Le divers du monde a besoin des langues du monde », affirme aussi Glissant dans son  Traité du Tout Monde57(*).

Dans La Poétique de la Relation58(*), il va plus loin :

« Véhiculaire ou non, une langue qui ne se hasarde pas au trouble du contact des cultures, qui ne s'engage pas à l'ardente réflexibilité d'une relation paritaire aux autres langues, me paraît, peut-être à long terme, condamnée à l'appauvrissement réel ».

Il ne faut plus s'attarder sur la Francophonie, mais parler d'une francopolyphonie du Tout-Monde ou les expressions multiples d'une appartenance commune à travers le vecteur de la Langue, seraient frottés à des facteurs culturels, destinés à enrichir la langue.

Pour Pierre Assouline, écrivain, journaliste et auteur du blog très fréquenté de la « République des Lettres », il n' était peut être pas nécessaire de faire autant de bruit autour de cette littérature monde, qui selon lui était déjà en marche et à l'insu des auteurs :

« Etait-il indispensable de l'officialiser avec tambours et trompettes ? Malgré les ravages de l'autofiction, le nombrilisme bien connu des écrivains métropolitains, le ronronnement de la francophonie institutionnelle et le centralisme de l'édition germanopratine, ils sont tout de même un certain nombre depuis un certain temps, les écrivains de langue française qui font de «la littérature monde»sans le savoir comme M.Jourdain de la prose ».

Alain Diassé, un autre critique littéraire et Docteur en Sciences du Langage et Analyse du Discours, voit en la littérature monde une notion vide de sens : « Je trouve que c'est une autre manière de nommer la francophonie ou la littérature francophone. Je crois qu'il est important pour les signataires de ce manifeste de se penser comme des écrivains d'expression française qui veulent s'adresser au monde sans pour autant se prévaloir de la francophonie. Ce qui est différent de cette notion barbare de ''littérature monde'' en français.  Je crois que se réclamer de la ''littérature monde'', est une façon de se renier ! ».

Un avis pour le moins tranché et pour l'intellectuel Romuald Fonkoua qui s'exprimait  à l' Ecole Normale Supérieure : « le manifeste se trompe de cible et il existe une grande confusion entre France et Francophonie : Le titre même du manifeste, qu'il traduit par World Literature in French, reste ambigu. » S'il est certain qu'en France, il y a un déficit de l'enseignement des littératures francophones, un terme qui ne semble pas gêner Fonkoua car le débat est ailleurs, il faut que la littérature française prenne conscience de ses  « excroissances » et cela en terme d'Histoire Littéraire. A titre d'exemple, Fonkoua cite les littératures émergentes comme celles dites de banlieue. En conclusion, il ajoute qu'il faut penser la littérature dans ses formes multiples et la sortir des terminologies douteuses.

Romuald Fonkoua est éditeur chez Présence Africaine. Universitaire reconnu, il est aujourd'hui professeur de Littérature Française et Francophone à l'Institut de Littérature Française de l'Université Marc Bloch de Strasbourg II, après avoir été Maître de Conférences à l'Université de Cergy Pontoise, en littérature générale et comparée.

Pour Léonora Miano, lauréate 2006 du Goncourt des Lycéens pour Contours du jour qui vient59(*), le manifeste présente quelques faiblesses :

« Il ne m'a pas été demandé de signer le manifeste. J'ai été approchée pour participer à l'ouvrage qui a suivi, mais mon texte n'a pas été retenu. On m'a expliqué qu'il était trop court...Ce que je pense de ce manifeste, c'est que ses intentions sont louables, mais qu'il n'est pas de nature à influencer vraiment les pratiques du milieu littéraire français. Or, après avoir entendu Michel Le Bris dans l'émission Répliques d'Alain Finkielkraut, l'objectif premier de ce manifeste (et du livre qui a suivi), était de mettre fin au complexe de supériorité qu'affiche le microcosme littéraire, vis à vis des auteurs francophones non occidentaux... ».

Léonora Miano poursuit en fustigeant Gallimard, une maison pourtant indépendante :

« Il me semble que pour atteindre des telles visées, il aurait fallu commencer par publier le manifeste ailleurs que chez Gallimard. Cette maison qui est la plus prestigieuse de ce pays, est la seule à publier des auteurs noirs écrivant directement en français dans une collection où seule la couleur de leur peau les rassemble. Continents Noirs ne reconnaît pas les univers d'auteurs, et présente l'origine ethnique comme vectrice d'un corpus. C'est aberrant, pour dire le moins. Le manifeste se saborde lui-même, en paraissant chez ceux qui procèdent de cette façon. Comment faire après cela, pour que les auteurs noirs de langue française soient mieux considérés ? »

Elle pose ensuite la question de la reconnaissance des auteurs et réfute l'accusation du manifeste sur la supposée tendance nombriliste de la littérature française contemporaine :

« En outre, le manifeste, si mes souvenirs sont bons, fustige la littérature française écrite de nos jours, pour son côté centré sur elle-même, sa propension à se regarder le nombril plutôt qu'à prendre le monde en compte. Là encore, je ne suis pas d'accord. Il existe un grand nombre d'auteurs français contemporains qui écrivent sur le monde qui les entoure. Ce n'est pas parce qu'ils sont mal promus, qu'on peut prétendre qu'ils n'existent pas ».

Quant à la notion de littérature monde, Léonora Miano pense que chaque auteur représente le monde à sa façon et quel que soit ce qu'il écrit :

« Ensuite, parler du monde, en littérature, c'est toujours et avant tout parler de soi. L'écriture est un acte intime, solitaire. Lorsque l'auteur choisit un sujet, quel qu'il soit, il le traite en fonction d'un point de vue particulier. Si on admet cela, il est raisonnable de postuler que ces auteurs qui semblent parler d'eux-mêmes, parlent aussi des autres. Parce qu'ils sont des humains. Leur expérience recoupe celle des autres, et touche, de ce fait, à l'universel. On ne peut pas dire aux gens sur quoi écrire, et comment le faire ».

Pour conclure son propos, Léonora Miano déplore le côté compassé et bourgeois de toute cette affaire :

« Enfin, je regrette beaucoup le côté compassé et bourgeois de cette affaire. Il me semble qu'on tente, en prétendant s'ouvrir, de créer un autre sérail. Un sérail coloré, mais quand même... Je ne sais pas ce que les lecteurs peuvent en tirer. Je crois que les universités continueront d'enseigner séparément littérature française et littératures francophones, et que les libraires ne modifieront pas leur organisation ».

Ici, se pose la question de l'organisation de la base de la chaîne du livre : les libraires. Et cela, même si on a tendance à se précipiter vers les rayons Meilleurs Ventes des grandes surfaces commerciales. Car une fois les auteurs publiés, comment ceux qui sont chargés de les mettre en valeur, font-ils leur classement sur les rayons ? Je me suis rendue à la Fnac Montparnasse et à celle des Halles pour étudier le compartimentage des auteurs et entendre l'avis de responsables dans plusieurs librairies parisiennes. Je leur ai aussi demandé leur avis sur le manifeste pour de la littérature monde.

3 Le classement des auteurs francophones en librairies

Pour Denis Laborey, responsable à la librairie L'oeil écoute, situé sur le boulevard du Montparnasse, il n'est pas facile de classer les auteurs étrangers ou auteurs francophones. Si le manifeste n'évoque rien dans son esprit, la francophonie renvoie d'abord aux auteurs québécois ou caribéens et Denis Laborey précise que dans sa librairie, il n' y pas de classement séparé entre littérature française et littérature francophone d' autre part. Dans ses rayons, on trouve aussi bien Edouard Glissant que Gisèle Pineau ou Alain Mabanckou à côté d'Erik Orsenna, de Dany Lafferière ou de Lyonel Trouillot, tous considérés comme des auteurs de langue française. « De toute façon, ajoute Denis Laborey, je n'ai pas le choix et ici, c'est surtout une librairie touristique, alors le client doit pouvoir trouver de tout ».

A la Fnac60(*) de Montparnasse, dès l'entrée dans le rayon littérature, on distingue deux catégories : Littérature française et Littérature Etrangère. Aucune trace d'un rayon francophone comme à la Fnac de Châtelet-Les Halles. Pourquoi ? Virginie Parmentier, une employée m'explique que dans la Littérature française, on trouve aussi les auteurs antillais. Si auparavant, le classement se faisait par collections, aujourd'hui, il s'agit de bassins linguistiques et la littérature dite francophone se fond très bien dans la littérature française. Cela a d'ailleurs posé problème à une époque. En effet, certains clients se sont plaints car ils ne trouvaient plus la section Antilles auparavant couplée avec l'Afrique et le Maghreb, alors, la Fnac de Montparnasse a du réaménager ses étagères pour séparer les auteurs antillais des auteurs de métropole. Toujours présents dans le rayon Littérature française, ils sont groupés sur une étagère annexe, afin de permettre à tout un chacun de choisir entre Maryse Condé, Patrick Chamoiseau ou l'haïtienne Kettly Mars. D'ailleurs, quand tous les livres étaient mélangés, les ventes de littérature antillaise avaient chuté. Mais comme chacun le sait, le client d'une grande surface culturelle est roi.

Pour la littérature d'Afrique Noire, un rayon intitulé Roman Afrique, accueille les auteurs de Continents Noirs61(*) comme la gabonaise Bessora, ou la sénégalaise Ken Bugul, publiée chez Motifs, une section des éditions du Serpents à Plumes. Il y aussi le djiboutien Abdourahman A. Waberi ou le togolais Kangni Alem et même la camerounaise Calixte Beyala, qui s'est plainte de ne pas être classée en Littérature française, car après tout, son dernier livre  L'Homme qui m'offrait le ciel62(*), évoque à peine de l'Afrique. De plus, Calixthe Beyala, a reçu le Grand Prix de l'Académie Française pour son roman Les Honneurs Perdus en 1996, ce qui lui vaut un traitement particulier. Alors, la Fnac a décidé de classer ses livres dans les deux rayons, Afrique et Littérature Française pour éviter toute discrimination, explique Hélène Perentidis, une autre employée. Pour elle, le terme francophonie revêt une forte connotation politique et renvoie aux blessures de la décolonisation. Quant à la littérature monde, cette jeune diplômée des Métiers du Livre, pense qu'il n' y a pas une littérature monde tel que l'affirme le manifeste, mais plusieurs littératures mondes. Un terme qu'il aurait fallu mettre au pluriel afin de satisfaire l'ego de tous. Hélène considère également que le débat autour de la francophonie est un faux débat même s'il révèle ce désir des auteurs étrangers, utilisant le français comme langue de travail, d'être acceptés parmi la grande littérature française. En fin de compte, quelle posture, ou quelle identité défendent les auteurs ? Une rencontre organisée entre libraires parisiens et les Fnac sur le thème de la francophonie après la publication du Manifeste, a suscité maintes questions parmi ces acteurs de l'industrie du Livre. La francophonie reste décidément vague, indéfinissable ou à signification multiple pour les uns et les autres. Si Virginie Parmentier se référait aux auteurs québécois et un client aux auteurs étrangers écrivant en français, pour les plus virulents détracteurs de la Francophonie, il s'agit tout bonnement des écrivains originaires des ex-colonies françaises. Le débat n'est pas prêt de s'essouffler...

On voit bien que le classement des auteurs étrangers pose des difficultés aux responsables de librairies, mais il sous tend également la question de l'identité d'un auteur. Le commentaire de l'intellectuelle Lilyan Kesteloot63(*), est clair et sans équivoque à ce propos : « Dire, je ne suis pas un romancier africain, quand on écrit sur l'Afrique avec cette facilité, ce naturel, c'est ridicule. Pourquoi cacher ou refuser son identité ? Le premier courage de l'homme, c'est de s'assumer. Après quoi, on peut se tenir debout. Rappelez-vous de Peaux Noires, Masques Blancs...64(*) ».

Continuant mon enquête, je me suis rendue chez à la Fnac des Halles où il y a une large section intitulée Roman Francophone et dans laquelle sont classés des auteurs du monde entier. Dans le même espace, il y a les section Roman Afrique et Roman Antilles. Il y a aussi la section Roman Anglophone et les romans de Terroirs. « Voilà un bon compromis linguistique et géopolitique pour satisfaire tout le monde, même si Tahar Ben Jelloun, s'est indigné d'être classé dans le rayon Maghreb plutôt qu'en Littérature Française », explique Erik, responsable de ce rayon, avec humour. Et il ajoute que la francophonie est un fourre-tout. Pour lui, il y a d'abord des auteurs africains et des auteurs antillais. Quant à la littérature monde, la notion reste vague, et la reconnaissance des auteurs francophones reste une affaire complexe. D'un autre côté, on ne peut pas nier à un écrivain sa maîtrise de la langue française. Et pour conclure, Erik estime que, tant qu'une langue émettra de la littérature écrite, elle existera davantage... Or la littérature écrite en langue africaine n'est pas très développée, et seul le sénégalais Boubacar Boris Diop a commis un roman intégralement écrit en wolof et intitulé Doomi Golo65(*). ou l'enfant du singe.

J'ai ensuite été à la librairie Le Divan, une filiale du groupe Gallimard, afin de voir comment le manifeste influençait le classement des auteurs en rayons : Sur place, j'ai été un peu déçue de trouver la librairie en remaniement. En effet, faute de place, les romans africains par exemple, étaient cachés au fond d'une pauvre étagère en attente d'être mis en valeur, m'expliqua Louis, l'un des employés. « Et il y aura un rayon Francophonie ! Oui, nous ferons en sorte que cette littérature du Québec, des Antilles et d'Afrique, soit visible ». Et sur d'autres rayons promotionnels, on trouve ensemble des auteurs français, des auteurs africains, des auteurs israéliens ou même arabes, pourvu qu'ils aient eu du succès, à l'instar de Lily La Tigresse de l'israélienne Alona Kimhi ou Lignes de Faille66(*), de la canadienne Nancy Huston, prix Femina 2006...

Pour Anne, une autre employée au Divan, la francophonie renvoie d'emblée aux québécois. Et le Maghreb reste une littérature à part. C'est tout récemment que cette jeune libraire a découvert la littérature francophone à travers Les Petits enfants nègres de Vercingétorix d'Alain Mabanckou ou L'hibiscus Pourpre de la Nigériane Chimamanda Ngozie Adichie, pour la littérature anglophone. Anne admet qu'elle méconnaît encore la littérature francophone et que les auteurs sont tout aussi valables que les écrivains hexagonaux du simple fait qu'ils écrivent dans la langue française. Et rejoignant l'avis d' Erik de la Fnac des Halles, Anne estime que la francophonie est une notion ambiguë et fourre tout qui sert à mettre des littératures complètement différentes et originales dans un même sac. Dommage...

Enfin, j'ai rendu visite à quelques librairies africaines installées à Paris. Pour cause de fermeture estivale, je n'ai pu recueillir d'avis chez Présence Africaine, installée à la Rue des écoles. Je me suis donc rabattue sur les librairies Anibwe et l' Harmattan toutes aussi célèbres que la doyenne des lettres africaines :

Pour Kassi Assemian d'origine ivoirienne et propriétaire d'Anibwe, carrefour d'un public amoureux de lettres plurielles, l'équation est simple : « Il n' y a pas de littérature monde, mais des littératures de pays. Ceux qui se réclament de cette littérature monde, n'assument pas leur africanité, ajoute t-il en citant quelques noms célèbres... Il n'existe pas de littérature tout court mais une littérature italienne, une littérature américaine, une littérature belge ou haïtienne... ». Quant à la francophonie, c' est un faux prétexte pour des auteurs qui n'assument pas d'où ils viennent, juge Kassi Assemian, légèrement énervée par ces « débats stériles » ou ces « nouvelles terminologies », qui dénotent d'un complexe d'infériorité...

Chez l'Harmattan, j'ai rencontré Raphaëlle, responsable du magasin et auteur d'un mémoire sur Le Bilinguisme dans le Roman Sénégalais. Dans ses locaux, Raphaëlle affirme qu'un rayon francophonie serait tout simplement impossible à gérer, car il comporterait tellement d'auteurs qu'il serait compliqué pour les clients de s'y retrouver. Alors chez l'Harmattan, on retrouve des rayons multiples et variés. Rien que pour l' Afrique Noire, on fait la distinction entre les écrivains africains d'expression française, lusophone ou anglaise. Pour le Maghreb, on distingue la littérature libanaise de la littérature arabophone classique ou moderne. Il y a même un rayon pour la littérature dite  beur  ou littérature des auteurs issus de l'immigration, avec des plumes comme Rachid Djaïdani (Viscéral, Mon Nerf et Boumkoeur67(*)), ou Mohamed Razane ( Dit Violent) chez Gallimard...Quant à la littérature monde, Raphaëlle, pense que c'est un terme trop vague et Edouard Glissant s'est déjà exprimé sur cette notion avec le concept de Tout-Monde... Si le terme francophonie ne gêne en rien la jeune libraire, il se réfère juste aux auteurs d'expression française et n'a aucune connotation négative ou coloniale... Il faut aller au-delà d'une telle terminologie pour se consacrer aux textes seuls. De toute façon, ajoute Raphaëlle, la francophonie n'est pas Une mais variée et les auteurs sont d'abord des écrivains avec un univers singulier...

Précieux, le témoignage de Marie France Emery, responsable de la section Francophonie à la Bibliothèque François Mitterrand de Paris, m'a un peu plus éclairé sur la question : bibliothécaire avertie et grande lectrice d'ouvrages, puisque chargée de les mettre en valeur, Marie France Emery estime que la francophonie littéraire est très difficile à définir et qu'elle englobe plusieurs choses à la fois. Elle est à double sens : Si d'un côté, elle met en valeur les auteurs, de l'autre, elle les marginalise. Mais il est certain que l'on va vers la fin de la francophonie, sa mort, comme l'a annoncé le manifeste... Alors que faudra t-il dire à l'avenir ? Littérature française d'expression africaine ? Littérature antillaise d'expression française ? Littérature monde ? Marie France Emery confie que certains auteurs de province, qui peinent à se faire un nom à Paris, auraient aimé bénéficier du sceau de la francophonie lors du salon du livre 2006, tandis que d' autres y voyaient un enfermement, une séparation d'avec la littérature franco-française. « Pourtant, ajoute Madame Emery, la littérature francophone est une littérature métissée, qui dit le monde. C'est évident. C'est une littérature qui est beaucoup plus traduite à l'étranger que la littérature franco-française. Alors, il faut reconnaître à ces auteurs francophones, une plume originale et qui a toute sa légitimité dans le champ littéraire de l'hexagone. Si le concept de littérature monde est une belle idée, il vaut mieux dire des littératures mondes. Mais l'un des risques de ce manifeste, c'est encore de créer une autre catégorisation littéraire, alors qu'on cherche justement à sortir des cercles élitistes... Dire, qu'il y a là de la grande littérature et ailleurs, une littérature intimiste ou mineure, consiste à porter un jugement ». Or, un auteur a tout à fait le droit d'exprimer son Moi. D'ailleurs, Marie France Emery, fonctionnaire dans une institution qui compte près de 13 millions de titres, aime lire de tout : aussi bien le japonais Murakami68(*) que le camerounais Gaston Paul Effa69(*) ou l'haïtien, Lyonel Trouillot qui vient de sortir L'amour avant que j'oublie, chez Actes Sud.

Pour Alain Mabanckou, signataire du manifeste, des questions se poseront encore : « Verrons-nous bientôt venir ce jour où des écrivains africains cesseront vraiment d'être francophones ?», il est évident que nous nous éloignons du domaine de la création pour emprunter les sentes embourbées de la militance. Être francophone nous empêche-t-il d'être des écrivains ? L'ombre de la France pèserait-elle si fort au point de nous empêcher d'écrire en toute liberté ? N'avons-nous pas encore compris qu'il y a longtemps que la langue française est devenue pour les Français eux-mêmes une langue étrangère, et que l'Académie française n'en a plus le contrôle ? Que dire de l'impertinence, des fugues de langue venant d'un Ahmadou Kourouma, d'un Patrick Chamoiseau, d'un Sony Labou Tansi ou d'un Daniel Biyaoula ? Si, dans le terme «écrivain francophone», l'adjectif « francophone » est de trop pour certains, peut-être faudrait-il déjà commencer par être écrivain tout court ! ».

4. Pour une littérature Monde : l'Ouvrage

Nous l'avions annoncé, le manifeste a donné lieu à un ouvrage collectif. Sous la direction de Michel Le Bris et Jean Rouaud, écrivain, une trentaine d'auteurs choisis, dont Tahar ben Jelloun, Maryse Condé ou Nancy Huston, poursuivent le combat et apportent leur points de vues  dans Pour une Littérature Monde, publié chez Gallimard. En voici quelques extraits et le premier, Michel Le Bris s'exprime :

« Littérature Monde très simplement pour revenir à une idée plus large, plus forte de la littérature, retrouvant son ambition de dire le monde, de donner un sens à l'existence, d'interroger l'humaine condition, de reconduire chacun au plus secret de lui-même... »

Plus loin, Maryse Condé affirme :

« J'aime à répéter que je n'écris ni en français, ni en créole, mais en Maryse Condé... »

La jeune martiniquaise Fabienne Kanor développe son argumentation en s'amusant avec les mots et les terminologies douteuses :

« Suis-je un auteur créolofrancophone qui s'ignore ? Une écrivaine négropolitanophone? Francopériphéricophone ? Négroparigophone ? Francophone ? Où ne suis-je pas plutôt un auteur tout court qui, à l'instar de Maryse Condé, rêve d'une littérature sans épithète mais avec toutes les bâtardises possibles. D'une langue sans origine, ni étiquette, qui ne serait que celle de l'auteur. Des langues originales pour dire les mondes... »  

Plus élogieux, l'écrivain tchadien Nimrod, s'épanche  sur la République des Lettres :

« Il est un territoire que j'aime particulièrement en France : il s'appelle la littérature ! Les français savent en faire commerce avec une générosité sans égale. Les salons du livre, les festivals, les prix littéraires les plus grandioses ou les plus farfelus font des belles lettres, un paysage à lui tout seul. C'est dans ce territoire là que je me sens le plus accueilli... »

Quant au marocain Tahar Ben Jelloun et prix Goncourt pour La Nuit Sacrée70(*), il porte un jugement sans appel :

« La France pense que sa langue est assez forte pour résister toute seule aux assauts de l'anglais ou de l'espagnol. Cette arrogance est de l'ignorance...  »

L'universitaire et romancier français Grégoire Polet, ajoute avec une certaine inspiration 

« L' art du roman est à l' aube d' une ambition nouvelle : donner le spectacle du monde entier, dans son perpétuel mouvement présent, un spectacle qui dépasse les capacités de toute science et qui les comprend toutes, qui les rend visibles et les met en rapport dans une fresque sans résumé, et dont le travail d'un romancier, ne saurait constituer qu' un détail, et dont les oeuvres de plusieurs romanciers, mises bout à bout et articulées par les lecteurs, commenceront de représenter l'ampleur et les profondeurs et l'innombrable émerveillement... »

Enfin, le congolais Wilfried Nsondé, rencontré à Paris et auteur de Le Coeur des Enfants léopards71(*), conclut : «  D'abord, en ce qui concerne la francophonie en tant qu'institution, c'est quelque chose que je connais très mal. Or la polémique entre la littérature Monde et la francophonie se base sur une critique de la francophonie en tant qu'institution, qui tiendrait à créer une différence dangereuse entre français et francophones. Pour ma part, j'ai signé le manifeste parce que mon profil correspond à toutes les catégories de littératures connues : française, africaine, francophone. Il n'y a que dans un concept plus global comme la littérature Monde en langue française que je pouvais me sentir pleinement à l'aise. »

Conclusion de la seconde partie 

Dans cette deuxième partie, nous avons analysé le manifeste et recueilli les diverses réactions qu'il a suscitées, aussi bien dans les médias qu'entre écrivains, intellectuels et critiques. Entre les lignes de ce texte dont le caractère révolutionnaire reste à prouver, nous avons dégagé plusieurs questions, à savoir celle de la reconnaissance des auteurs francophones et nous avons également tenté de définir les contours de la francophonie, qui reste un concept à lectures variables. Enfin, nous avons tenté de comprendre cette littérature qui se veut imprégnée du monde, même si toute la république des lettres n' y adhère pas ...

Conclusion Générale

Au début de cette enquête, nous étions partis du constat de Todorov sur la faiblesse du roman contemporain français pour retracer des phénomènes éditoriaux et leurs valeurs littéraires ou esthétiques. Or le cru 2006, aura été surprenant, avec plus de six cent romans publiés quant 2007, en annonce plus de sept cent. L'automne dernier, qui précéda l'attribution des cinq grands prix littéraires de France, en a surpris plus d'un, en récompensant des écrivains étrangers dont l'américain Jonathan Littel, double lauréat du Goncourt et du Grand Prix de l'Académie Française pour Les Bienveillantes. Forts de ce contexte inhabituel et propice, un nouveau concept, celui de Littérature Monde est apparu. Ensuite, une polémique est née, qui a passionné médias, critiques, intellectuels et même les politiques ! Le manifeste signé par quarante quatre écrivains, a été publié dans le but de crever l'abcès et dissiper un malaise longtemps entretenu : celui d'un enfermement des auteurs à travers un « centre » réducteur et qui aurait pour conséquence, l'appauvrissement de la langue française. Pourtant, Todorov se trompe, affirme Michel Le Bris, car la littérature française reprend vie. En fait, elle ne s'est jamais aussi bien portée qu'en ce troisième millénaire, en s'élançant dans les voies du monde, en disant le monde, en révélant des auteurs, des plumes neuves, des expressions urbaines et en mutant dans ses formes, tout en intégrant des sensibilités diverses. Le manifeste a donc pris le train en marche et tous ceux qui ont bien voulu y monter, se sont lancés dans cette exaltation de la littérature francophone, trop longtemps acculée à la «périphérie », tenue dans les marges mais si vous chassez le naturel, ne revient-il pas au galop ? Et la francophonie, en dépit des critiques, entend défendre cette langue française, dans sa pluralité et sa diversité, en la confrontant aux autres langues de son espace institutionnel... et à sa manière.

Reste la position des auteurs, car si aux uns, la francophonie pose problème et la littérature monde, une certaine indifférence, aux autres, incombe le défi de la reconnaissance de leur art. Celui de pouvoir émerger un jour en tant qu'auteur et rien que cela. Dira t-on encore, l'écrivain franco congolais Alain Mabanckou ou simplement l'écrivain camerounais Eugène Ebodé ? En quoi ce manifeste va-t-il changer la donne, concernant le classement des auteurs en librairies ou les habitudes du milieu littéraire français et d' ailleurs, n' y a-t-il pas des littératures mondes plutôt qu'une littérature monde ? Des littératures étrangères et des littératures d'expressions lusophones, arabophones ou maghrébines pour évoquer la dimension géographique ? Cet intitulé de littérature monde va-t-il mieux définir ses contours ou se laisser aller à interprétations multiples. Et d'ailleurs, peut-on être qualifié d'écrivain monde ? Cela a t-il plus de sens qu'un écrivain belge, italien ou russe qui écrit en français ? Si une lectrice rencontrée au détour d'une librairie à Genève, insistait sur la manie de catégoriser et d'inventer des terminologies qui enferment plus qu'elles ne libèrent, l'écrivain doit-il se laisser embarquer dans de telles considérations ou se concentrer sur son art ? « Le manifeste a voulu mettre plusieurs oeufs dans le même panier, et il n' y a rien à en dire », affirmait le camerounais Boniface Mongo Boussa, publié chez Continents Noirs,  « de plus, l'écrivain n' a pas forcément la légitimité pour se pencher sur ces revendications ». Quant à l'avenir de la francophonie, « l' amalgame doit cesser d'être fait entre l'institution et la littérature foisonnante », insistait Julien Kilanga Musinde de l'OIF, et chacun doit se demander pourquoi il écrit et au nom de quoi ? Faut-il mélanger identité, culture avec la langue ou se contenter d'utiliser celle-ci, bien qu'héritée de l'histoire, comme simple outil de travail ? L'écrivain est-il là pour polémiquer ou livrer son art, qui une fois publié, ne lui appartiendra plus, mais au lecteur qui se sera approprié son texte ?

Enfin, cette notion de littérature monde fait-elle réellement sens quand ses contours apparaissent trop vagues, pour ouvrir une critique véritable de la littérature française contemporaine ? On ne peut toutefois nier au manifeste son caractère médiatique, ce qui n'a pas été inefficace pour mettre en lumière quelques auteurs, dont certains, déjà encensés par le salon du livre 2006 et le festival Francofffonies. Et dans le cru de la rentrée littéraire 2007, Ananda Devi, lauréate du prix des cinq continents de la Francophonie, vient de publier Indian Tango dans la collection blanche de Gallimard cette fois, un roman que les critiques jugent prometteur... Le mérite en revient-il uniquement à son talent littéraire ?

Bibliographie :

- Un Monde sans Auteurs, Où va le Livre ? Antoine Compagnon, Paris, La Dispute, 2000

- La littérature en péril, Tzvetan Todorov, Flammarion 2006

- Dictionnaire Universel Francophone, Hachette, 1997

- La francophonie et le dialogue des cultures, Paris-Lausanne : l'Age d'homme, 2001.

- L'Atlas Mondial de la Francophonie. Paris, Gérard Sournia, Fabrice Le Goff,

- Post-Francophonie, Olivier Milhaud, Espaces Temps.net

- Le contrôle de la Parole, l'Edition sans éditeurs, André Schiffrin, La Fabrique.

- Introduction aux littératures francophones, Afrique, Caraïbes, Maghreb. Christiane Ndiaye.

- Qu'est-ce que la Francophonie ?, Tetu Michel, Paris, Hachette, Edicef, 1997.

- La Francophonie en péril, Georges Tougas, Montréal, Cercle du Livre de France, 1967.

- Pour une ambition francophone. Dominique Gallet, Le désir et l'indifférence, Paris, L'Harmattan, 1995.

- Quelle Francophonie pour le XXIe siècle?, Collectif, 2e Prix international de la Francophonie Charles-Hélou, Paris, Karthala, ACCT, 1997.

- Peaux Noires, Masques blancs, Frantz Fanon, Le Seuil, 1952

- Pour une littérature Monde en français, Collectif, Jean Rouaud, Michel Le Bris,

Gallimard, 2007

Romans, liste sélective

Rendez-vous, Christine Angot, Flammarion, 2006

Amkoullel l'enfant peul, Amadou Hampâté Bâ, Actes Sud, 1991

Personne ne sait mon nom, James Baldwin, Gallimard, 1954

Le ventre de l'atlantique, Fatou Diome, Anne Carrière, 2003.

Eve de ses décombres, Ananda Devi Gallimard, Continents Noirs, 2005.

Indian Tango, Ananda Devi, Gallimard, 2007

Doomi Golo, Boubacar Boris Diop, Papyrus Editions, 2003.

Kiffe, Kiffe demain, Faïza Guène, Robert Laffont, 2004

La Lézarde, Edouard Glissant, Le Seuil, 1958

Allah n'est pas obligé, Ahmadou Kourouma, Le Seuil, 2000

L'Enfant Noir, Camara Laye, Plon, 2007

Les Bienveillantes, Jonathan Littel, Gallimard, 2006.

Verre Cassé, Alain Mabanckou, Le Seuil, 2005

Contours du jour qui vient, Léonora Miano, Plon, 2006.

Batouala, René Maran, Albin Michel, 1921

L'hibiscus Pourpre, Chimamanda Ngozi Adichie, Anne Carrière, 2004.

Les bouts de bois de Dieu, Sembene Ousmane, Le livre contemporain, 1960

La France et ses colonies, Onésime Reclus, Ed Jacques Gandini

Harraga, Boualem Sansal, Gallimard, 2005

Nouvelle Anthologie de la Poésie nègre et malgache, Léopold Senghor, PUF, 1948

Banlieue Noire, Thomté Ryan, Présence Africaine, 2006.

Nedjma, Kateb Yacine, Le Seuil, 1956

Presse écrite et Web

- Livres Hebdos,

- Lire Magazine

- Quotidien La Croix, jeudi 11 janvier 2007-01-14

- Le Monde des Livres, semaine du 8 au 14 janvier 2007

- Le magazine littéraire.

- L'express hebdomadaire.

- La Croix littéraire.

- Fabula.org

- Linternaute.fr

- Le monde.fr

- www.evene.fr

- Radio France Internationale

- Entre les lignes, Catherine Fruchon-Toussaint

- La danse des mots, Yvan Amar...

- www.congopage.com/alainmabanckou.

Sites Institutionnels

www.francophonie.org

www.auf.org (Agence Universitaire de la Francophonie).

www.tv5.org

www.bief.org : Bureau International de l' Edition française

www.bnf.fr

Librairies

FNAC des Halles : Forum des Halles, Paris 1er

FNAC Montparnasse : Rue de Rennes Paris 6è.

Librairie Le Divan, 203 Rue de La Convention, 75015 Paris

Libraire L' Harmattan, 16 rue des Ecoles, 75005 Paris

Librairie Présence Africaine, 25 bis rue des écoles, 75005 Paris

Librairie Anibwe, 52 rue Greneta, 75002 Paris

Librairie, L'oeil écoute, 77 boulevard du Montparnasse, 75006 Paris

Annexe 1

1. Le manifeste pour une littérature Monde 

Plus tard, on dira peut-être que ce fut un moment historique : le Goncourt, le Grand Prix du roman de l'Académie française, le Renaudot, le Femina, le Goncourt des lycéens, décernés le même automne à des écrivains d'outre France.

Simple hasard d'une rentrée éditoriale concentrant par exception les talents venus de la "périphérie", simple détour vagabond avant que le fleuve revienne dans son lit ? Nous pensons, au contraire : révolution copernicienne. Copernicienne, parce qu'elle révèle ce que le milieu littéraire savait déjà sans l'admettre : le centre, ce point depuis lequel était supposée rayonner une littérature franco-française, n'est plus le centre. Le centre jusqu'ici, même si de moins en moins, avait eu cette capacité d'absorption qui contraignait les auteurs venus d'ailleurs à se dépouiller de leurs bagages avant de se fondre dans le creuset de la langue et de son histoire nationale : le centre, nous disent les prix d'automne, est désormais partout, aux quatre coins du monde. Fin de la francophonie. Et naissance d'une littérature monde en français.

Le monde revient. Et c'est la meilleure des nouvelles. N'aura-t-il pas été longtemps le grand absent de la littérature française ? Le monde, le sujet, le sens, l'histoire, le "référent" : pendant des décennies, ils auront été mis "entre parenthèses" par les maîtres-penseurs, inventeurs d'une littérature sans autre objet qu'elle-même, faisant, comme il se disait alors, "sa propre critique dans le mouvement même de son énonciation". Le roman était une affaire trop sérieuse pour être confiée aux seuls romanciers, coupables d'un "usage naïf de la langue", lesquels étaient priés doctement de se recycler en linguistique. Ces textes ne renvoyant plus dès lors qu'à d'autres textes dans un jeu de combinaisons sans fin, le temps pouvait venir où l'auteur lui-même se trouvait de fait, et avec lui l'idée même de création, évacué pour laisser toute la place aux commentateurs, aux exégètes. Plutôt que de se frotter au monde pour en capter le souffle, les énergies vitales, le roman, en somme, n'avait plus qu'à se regarder écrire.

Que les écrivains aient pu survivre dans pareille atmosphère intellectuelle est de nature à nous rendre optimistes sur les capacités de résistance du roman à tout ce qui prétend le nier ou l'asservir...

Ce désir nouveau de retrouver les voies du monde, ce retour aux puissances d'incandescence de la littérature, cette urgence ressentie d'une "littérature-monde", nous les pouvons dater : ils sont concomitants de l'effondrement des grandes idéologies sous les coups de boutoir, précisément... du sujet, du sens, de l'Histoire, faisant retour sur la scène du monde - entendez : de l'effervescence des mouvements antitotalitaires, à l'Ouest comme à l'Est, qui bientôt allaient effondrer le mur de Berlin.

Un retour, il faut le reconnaître, par des voies de traverse, des sentiers vagabonds - et c'est dire du même coup de quel poids était l'interdit ! Comme si, les chaînes tombées, il fallait à chacun réapprendre à marcher. Avec d'abord l'envie de goûter à la poussière des routes, au frisson du dehors, au regard croisé d'inconnus. Les récits de ces étonnants voyageurs, apparus au milieu des années 1970, auront été les somptueux portails d'entrée du monde dans la fiction. D'autres, soucieux de dire le monde où ils vivaient, comme jadis Raymond Chandler ou Dashiell Hammett avaient dit la ville américaine, se tournaient, à la suite de Jean-Patrick Manchette, vers le roman noir. D'autres encore recouraient au pastiche du roman populaire, du roman policier, du roman d'aventures, manière habile ou prudente de retrouver le récit tout en rusant avec "l'interdit du roman". D'autres encore, raconteurs d'histoires, investissaient la bande dessinée, en compagnie d'Hugo Pratt, de Moebius et de quelques autres. Et les regards se tournaient de nouveau vers les littératures "francophones", particulièrement caribéennes, comme si, loin des modèles français sclérosés, s'affirmait là-bas, héritière de Saint- John Perse et de Césaire, une effervescence romanesque et poétique dont le secret, ailleurs, semblait avoir été perdu. Et ce, malgré les oeillères d'un milieu littéraire qui affectait de n'en attendre que quelques piments nouveaux, mots anciens ou créoles, si pittoresques n'est-ce pas, propres à raviver un brouet devenu par trop fade. 1976-1977 : les voies détournées d'un retour à la fiction.

Dans le même temps, un vent nouveau se levait outre-Manche, qui imposait l'évidence d'une littérature nouvelle en langue anglaise, singulièrement accordée au monde en train de naître. Dans une Angleterre rendue à sa troisième génération de romans woolfiens - c'est dire si l'air qui y circulait se faisait impalpable -, de jeunes trublions se tournaient vers le vaste monde, pour y respirer un peu plus large. Bruce Chatwin partait pour la Patagonie, et son récit prenait des allures de manifeste pour une génération de travel writers ("J'applique au réel les techniques de narration du roman, pour restituer la dimension romanesque du réel"). Puis s'affirmaient, en un impressionnant tohu-bohu, des romans bruyants, colorés, métissés, qui disaient, avec une force rare et des mots nouveaux, la rumeur de ces métropoles exponentielles où se heurtaient, se brassaient, se mêlaient les cultures de tous les continents. Au coeur de cette effervescence, Kazuo Ishiguro, Ben Okri, Hanif Kureishi, Michael Ondaatje - et Salman Rushdie, qui explorait avec acuité le surgissement de ce qu'il appelait les "hommes traduits" : ceux-là, nés en Angleterre, ne vivaient plus dans la nostalgie d'un pays d'origine à jamais perdu, mais, s'éprouvant entre deux mondes, entre deux chaises, tentaient vaille que vaille de faire de ce télescopage l'ébauche d'un monde nouveau. Et c'était bien la première fois qu'une génération d'écrivains issus de l'émigration, au lieu de se couler dans sa culture d'adoption, entendait faire oeuvre à partir du constat de son identité plurielle, dans le territoire ambigu et mouvant de ce frottement. En cela, soulignait Carlos Fuentes, ils étaient moins les produits de la décolonisation que les annonciateurs du XXIe siècle.

Combien d'écrivains de langue française, pris eux aussi entre deux ou plusieurs cultures, se sont interrogés alors sur cette étrange disparité qui les reléguait sur les marges, eux "francophones", variante exotique tout juste tolérée, tandis que les enfants de l'ex-empire britannique prenaient, en toute légitimité, possession des lettres anglaises ? Fallait-il tenir pour acquis quelque dégénérescence congénitale des héritiers de l'empire colonial français, en comparaison de ceux de l'empire britannique ? Ou bien reconnaître que le problème tenait au milieu littéraire lui-même, à son étrange art poétique tournant comme un derviche tourneur sur lui-même, et à cette vision d'une francophonie sur laquelle une France mère des arts, des armes et des lois continuait de dispenser ses lumières, en bienfaitrice universelle, soucieuse d'apporter la civilisation aux peuples vivant dans les ténèbres ?

Les écrivains antillais, haïtiens, africains qui s'affirmaient alors n'avaient rien à envier à leurs homologues de langue anglaise. Le concept de "créolisation" qui alors les rassemblaient, à travers lequel ils affirmaient leur singularité, il fallait décidément être sourd et aveugle, ne chercher en autrui qu'un écho à soi-même, pour ne pas comprendre qu'il s'agissait déjà rien de moins que d'une autonomisation de la langue.

Soyons clairs : l'émergence d'une littérature-monde en langue française consciemment affirmée, ouverte sur le monde, transnationale, signe l'acte de décès de la francophonie. Personne ne parle le francophone, ni n'écrit en francophone. La francophonie est de la lumière d'étoile morte. Comment le monde pourrait-il se sentir concerné par la langue d'un pays virtuel ? Or c'est le monde qui s'est invité aux banquets des prix d'automne. A quoi nous comprenons que les temps sont prêts pour cette révolution.

Elle aurait pu venir plus tôt. Comment a-t-on pu ignorer pendant des décennies un Nicolas Bouvier et son si bien nommé Usage du monde ? Parce que le monde, alors, se trouvait interdit de séjour. Comment a-t-on pu ne pas reconnaître en Réjean Ducharme un des plus grands auteurs contemporains, dont L'Hiver de force, dès 1970, porté par un extraordinaire souffle poétique, enfonçait tout ce qui a pu s'écrire depuis sur la société de consommation et les niaiseries libertaires ? Parce qu'on regardait alors de très haut la "Belle Province", qu'on n'attendait d'elle que son accent savoureux, ses mots gardés aux parfums de vieille France. Et l'on pourrait égrener les écrivains africains, ou antillais, tenus pareillement dans les marges : comment s'en étonner, quand le concept de créolisation se trouve réduit en son contraire, confondu avec un slogan de United Colors of Benetton ? Comment s'en étonner si l'on s'obstine à postuler un lien charnel exclusif entre la nation et la langue qui en exprimerait le génie singulier - puisqu'en toute rigueur l'idée de "francophonie" se donne alors comme le dernier avatar du colonialisme ? Ce qu'entérinent ces prix d'automne est le constat inverse : que le pacte colonial se trouve brisé, que la langue délivrée devient l'affaire de tous, et que, si l'on s'y tient fermement, c'en sera fini des temps du mépris et de la suffisance. Fin de la "francophonie", et naissance d'une littérature-monde en français : tel est l'enjeu, pour peu que les écrivains s'en emparent.

Littérature-monde parce que, à l'évidence multiples, diverses, sont aujourd'hui les littératures de langue françaises de par le monde, formant un vaste ensemble dont les ramifications enlacent plusieurs continents. Mais littérature-monde, aussi, parce que partout celles-ci nous disent le monde qui devant nous émerge, et ce faisant retrouvent après des décennies d'"interdit de la fiction" ce qui depuis toujours a été le fait des artistes, des romanciers, des créateurs : la tâche de donner voix et visage à l'inconnu du monde - et à l'inconnu en nous.

Enfin, si nous percevons partout cette effervescence créatrice, c'est que quelque chose en France même s'est remis en mouvement où la jeune génération, débarrassée de l'ère du soupçon, s'empare sans complexe des ingrédients de la fiction pour ouvrir de nouvelles voies romanesques. En sorte que le temps nous paraît venu d'une renaissance, d'un dialogue dans un vaste ensemble polyphonique, sans souci d'on ne sait quel combat pour ou contre la prééminence de telle ou telle langue ou d'un quelconque "impérialisme culturel". Le centre relégué au milieu d'autres centres, c'est à la formation d'une constellation que nous assistons, où la langue libérée de son pacte exclusif avec la nation, libre désormais de tout pouvoir autre que ceux de la poésie et de l'imaginaire, n'aura pour frontières que celles de l'esprit.

Liste des 44 auteurs signataires de ce Manifeste :

Muriel BABERY, Tahar BEN JELLOUN, Alain BORER, Roland BRIVAL, Maryse CONDE, Didier DAENINCKX, Ananda DEVI, Alain DUGRAND, Edouard GLISSANT, Jacques GODBOUT, Nancy HUSTON, Koffi KWAHULE, Dany LAFERRIERE, Gilles LAPOUGE, Jean-Marie LACLAVETINE, Michel LAYAZ, Michel LE BRIS, JMG LE CLEZIO, Yvon LE MEN, Amin MAALOUF, Alain MABANCKOU, Anna MOI, Wajdi MOUAWAD, NIMROD, Wilfried N'SONDE, Esther ORNER, Erik ORSENNA, Benoit PEETERS, Patrick RAMBAUD, Gisèle PINEAU, Jean-Claude PIROTTE, Grégoire POLET, Patrick RAYNAL, RAHARIMANANA, Jean ROUAUD, Boualem SANSAL, Dai SITJE, Brina SVIT, Lyonnel TROUILLOT, Anne VALLAEYS, Jean VAUTRIN, André VELTER, Gary VICTOR, Abdourahman A. WABERI

* 1 La Croix, édition du 11 janvier 2007

* 2 Les Bienveillantes, Jonathan Littel, Roman, Gallimard, 2006

* 3 Supplément littéraire du journal Le Monde.

* 4 Wilfried Nsondé, Le coeur des enfants léopards, Actes Sud, 2006.

* 5 Ananda Devi, Eve de ses décombres, Gallimard, Continents Noirs, 2005

* 6 Romancier, dramaturge, poète, auteur de Zazie dans le Métro, 1959

OEuvres complètes, collection La Pléiade, Gallimard.

* 7 Editeur, romancier, lecteur chez Gallimard.

* 8 Le club des cinq, Enyd Blyton, Bibliothèque verte, Hachette Livres, 1955

* 9 Les rêveries du promeneur solitaire, Jean Jacques Rousseau, Gallimard.

* 10 Harry Potter, tome 1à 6, Gallimard

* 11 Magazine français d'arts et de culture.

* 12 Sujet Angot, Fayard, 1998.

* 13 Roman, Frédéric Beigbeder, Grasset 2003

* 14 Maison d'édition parisienne.

* 15 Les enfants de la liberté, Robert Laffont, 2006

* 16 Edition du 25 mai 2007

* 17 Edition du 13 octobre 2006

* 18 Chronque de Décembre 2006

* 19 Edition du 1er novembre 2006 

* 20 La cuisine des prix, tome 5, Fayard, Jacques Brenner, 2006

* 21 Edition du 19 novembre 2006

* 22 Roman de Gabriel Garcia Marquez, Le Seuil, 1968

* 23 Edition du 15 mars 2007

* 24 Auteur et géographe (1837-1916), voir bibliographie.

* 25 Organisation Internationale de la francophonie

* 26 Ecrivain d'origine congolais, ambassadeur du Congo-Brazaville en France

* 27 Edition du 19 Mars 2007

* 28 P16, introduction aux littératures francophones, Afrique, Caraïbes, Maghreb. Christiane Ndiaye.

* 29 Batouala, René Maran, Albin Michel, 2001

* 30 Introduction aux littératures francophones, sous la direction de Christiane Ndiaye, Presse de l' Université de Montréal, 2004.

* 31 Voir Bibliographie.

* 32 Soundjata ou l'épopée mandingue, Djibril Tamsir Niane, 1961

* 33 Cinéate, romancier, récemment décédé, auteur de nombreux films ( La noire de..., Moolade, Camp de Thiaroye...)

* 34 Le soleil des Indépendances, Ahmadou Kourouma, Le seuil,1968

* 35 Le temps de Tamango, Boubacar Boris Diop, LHarmattan, 1981

* 36 Mémoire d' une peau, William Sassine, Présence Africaine

* 37 Voir Bibliogaphie

* 38 Voir Bibliographie

* 39 www.africultures.com

* 40 Rêves d' albatros, Kangni Alem, Continents Noirs, Gallimard.

* 41 Blog : http://www.congopage.com/rubrique217.html

* 42 Directeur du festival itinérant Etonnants Voyageurs de St Malo.

* 43 Le Monde, 19 mars 2007.

* 44 Le Figaro, édition du jeudi 22 mars 2007,

* 45 Voir Introduction.

* 46 Télérama, éd du 16 juin 2007, Olivier Pascal Moussellard.

* 47 Marianne, 16 mars 2007.

* 48 La Tribune, 23-24 Mars 2007.

* 49 Jeune Afrique, 18-24 mars2007

* 50 Université de Californie, Los Angeles

* 51 New York Times, 31 mars 2007

* 52 Traduction du propos d' Alan Ridind.

* 53 Radio-canada.ca, 15 mars 2007

* 54 Faiza Guène est l'auteur de Kiffe-Kiffe Demain, Du Rêve pour les Oufs, Hachette Littérature.

* 55 L'élégance du Hérisson, Gallimard, 2006

* 56 Télérama, Olivier Pascal Moussellard, 16 juin 2007

* 57 Traité du Tout Monde, ed Gallimard, 1997.

* 58 Poétique de la relation, Gallimard, 1990

* 59 Contours du jour qui vient, Plon,2006.

* 60 Chaînes de magasins spécialisées dans la distribution de produits culturels.

* 61 Collection Afrique de Gallimard.

* 62 Editions Albin Michel, 2006.

* 63 Professeur à l'université de Dakar et chercheuse à l' IFAN, Institut fondamental d' Afrique Noire...

* 64 Frantz Fanon, Peaux Noires, Masques blancs, Le Seuil, 1952

* 65 Voir bibliographie

* 66 Lignes de Failles, Actes Sud, 2006

* 67 Editions du Seuil.

* 68 Auteur japonais, La fin des Temps, Le Seuil,1992.

* 69 Le cri que tu pousses ne réveillera personne, Continents Noirs, Gallimard,

* 70 Voir Bibliographie.

* 71 Roman,Actes Sud, 2006.






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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway