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La communication participative communautaire au Sénégal

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par Sébastien Froger
Universite Stendhal Grenoble 3 - Institu de la communication et des médias - Master 2 communication scientifique et technique 2005
  

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II. Limites de la communication participative et pistes de réflexion pour adapter le concept à la sensibilisation au niveau communautaire

L'utilisation de la communication participative au niveau communautaire se heurte à de nombreuses difficultés et comporte même certaines limites, comme le montre cette expérience réalisée au sein du club JRD de Niakhar, mais aussi d'autres réalisées par diverses ONG comme Enda tiers-monde, ou des organismes comme la FAO.

Malgré tout, comparée aux autres modèles de communication utilisés pour le développement en Afrique et plus particulièrement en sensibilisation, elle présente de nombreux avantages. Tout dépend du contexte, des moyens, et des objectifs de la sensibilisation.

Dans le cas d'une information de sensibilisation à faire passer d'urgence auprès d'une population importante, la communication participative ne sera d'aucun secours, ou alors pour pérenniser une action de diffusion de masse déjà mise en place.

Mais si les conditions sont favorables, la communication participative se révèle être un outil puissant pour responsabiliser la population et la rendre actrice de son propre développement (que ce soit pour un projet de développement ou faire de la sensibilisation et même de la recherche participative).

Les autres modèles, en particulier ceux fondés sur le modèle diffusionniste, ne permettent pas cette appropriation de savoir, ou cette responsabilisation. Or, c'est le principal reproche qui est fait dans les projets de développement : le manque de pérennité de ces projets, ou d'impact des campagnes de sensibilisation. Et cet échec sur le long terme, de l'avis des spécialistes quasi unanimes sur la question : la non responsabilisation et la non implication des bénéficiaires en seraient la cause principale, puisque vecteur de changement des comportements.

Pour adopter un nouveau comportement, il faut accepter et intégrer l'innovation, et cette intégration peut passer par la responsabilisation des populations devant, soit bénéficier de l'innovation, soit éviter un comportement à risque.

Dans la pratique, tout n'est pas si clair, mais certaines des difficultés rencontrées peuvent sans doute être contournées, et la poursuite des recherches dans ce domaine pourraient permettre d'améliorer le concept.

II.1. Limites et difficultés : des solutions ?

Cette expérience menée au sein du club JRD de Niakhar révèle donc de nombreuses difficultés, confirmées par d'autres expériences menées dans des situations différentes, qui peuvent être imputées à la communication participative ou sa mauvaise application.

Nous pouvons désormais tenter d'apporter des pistes de réflexion pour résoudre ces difficultés ou les contourner.

a. Conditions préalables à la mise en place d'une communication participative

Les caractéristiques de la collectivité peuvent être déterminantes pour la réussite de l'utilisation de la communication participative communautaire.

En effet, l'efficacité du processus n'est possible que sous certaines conditions, notamment au niveau des ressources financières et matérielles, et de la situation politique du pays.

De plus, la communication participative s'inscrit souvent dans un continuum à long terme et ne sera pas toujours, voire rarement, adaptée à une situation d'urgence.

Au niveau des agences et ministères de développement, la durée de ces projets est parfois prohibitive, préférant des projets à court terme avec des retombées immédiates afin de justifier le bon emploi de fonds publics.

b. Risques de conflits

En donnant la parole aux plus démunis, en faisant participer les populations les plus touchées par la pauvreté, ou soumises à des problèmes de développement, on remet parfois en cause les rapports de pouvoir établis.

En effet, les plus touchés sont la plupart du temps justement ceux qui n'ont jamais de pouvoir décisionnel, car en bas de l'échelle sociale.

Cette adaptation des relations de pouvoir peut créer des conflits à deux niveaux.

Premièrement au niveau de la communauté. Pour rester dans le cadre de notre étude, au Sénégal, la légitimité du chef de village ne peut être remise en cause. Si un paysan va à l'encontre de ce qu'ordonne le chef de village ou qu'on lui ôte son pouvoir de parole, cela

peut aboutir à des conflits. On peut retrouver la même situation entre diverses familles ou encore entre classes sociales.

Ce genre de problèmes s'est présenté dans de nombreux projets. On peut citer à titre d'exemple le projet de développement agro-sylvo-pastoral de quatre villages pilotes et d'une zone d'élevage au Sénégal piloté par le PNUD et la FAO 33. Des difficultés ont été relevées par rapport à la hiérarchie très forte au sein de la communauté. Certaines catégories socioprofessionnelles ont peu ou pas accès aux ressources naturelles, les femmes, les jeunes et les migrants notamment. Dans le cas présent, l'intervention a renforcé le pouvoir des catégories dominantes en leur fournissant des moyens nouveaux pour asseoir leur autorité, puisque ces «dominants» étaient les interlocuteurs privilégiés des acteurs de développement.

Ensuite au niveau de la gouvernance. Dans les pays où le contrôle de l'État est très fort, ce qui est le cas dans beaucoup d'états d'Afrique de l'Ouest, les gens peuvent souhaiter la participation mais s'exposer par là même à des risques de représailles. Cette prise en charge de la communauté de son propre développement peut être considérée comme en défi envers le pouvoir établi.

Mais on peut noter aussi l'influence croissante des entreprises privées. Elles vont parfois employer certaines personnes de la communauté, et si les intérêts de la communauté vont à l'encontre de cette entreprise, il y a risque de conflits. C'est le cas notamment des industries d'exploitation forestière.

Dans les cas de conflit au sein de la communauté, la priorité est bien sûr à la négociation. Inutile d'essayer de renverser des rapports de pouvoir ancrés depuis des générations, le but de la communication participative n'est pas ici.

c. Risques de manipulation

Les formes dites de pseudo participations, qui ne sont que des formes de participation
partielles, où les gens concernés ne prennent pas toutes les décisions sont souvent dénoncées

33 BONNAL J., Participation et risques d'exclusion : réflexions à partir de quelques exemples sahéliens [en ligne], FAO, 1995 disponible sur : http://www.fao.org/documents/show_cdr.asp?url_file=/docrep/003/v5370f/v5370f00.htm (consulté le 03/08/2005)

par les adeptes de la communication participative «totale» comme une forme de manipulation. Le fait de laisser une partie seulement du pouvoir décisionnel ne donnerait que l'illusion de participation, les stratégies et objectifs étant déjà fixés.

Même dans la forme de communication participative que nous avons exposée, ce risque est bien présent. Il se peut que le communicateur entre dans un village en ayant une idée bien précise de sa réalité et de ses valeurs et qu'il espère que les gens perçoivent leurs problèmes de la manière dont il la voit. Il pourrait alors être tenter d'influer sur la communauté dans le sens de ses convictions, ce qui peut être considéré comme de la manipulation.

L'expérience d'un projet de lutte contre l'ensablement des terres de cultures dans les départements de Zinder et de Diffa (Niger/PNUD/FAO) 34 montre bien le genre de difficultés auxquelles peuvent être soumis ces agents de développements manquant d'expérience et/ou de formation. Ceux-ci se sont notamment trouvés confrontés à des difficultés pour identifier les situations initiales des projets. L'effet constaté est une gestion faite sans avoir réellement cerné la situation, ce qui a entraîné une certaine dérive dans l'orientation du projet (mauvaise gestion des outils d'évaluation, donc mauvaise évaluation et choix pris en conséquence mal adaptés).

Il n'y a pas vraiment de moyen de s'affranchir de ce risque de manipulation. Seule une formation adéquate de l'intervenant et une connaissance poussée du milieu où il doit intervenir peuvent atténuer ce risque sans l'annihiler.

d. Apporter des connaissances sans les imposer

Dans le cas de la sensibilisation en particulier, l'apport de certaines connaissances est indispensable à la compréhension des enjeux.

Or, la philosophie de la communication participative repose sur un principe d'échanges horizontaux, sans rapports hiérarchiques entre les partenaires, que ce soit entre les membres de la communauté participant au projet ou l'animateur, le scientifique, etc.

On se heurte dès lors à un problème majeur : comment ne pas imposer des savoirs, pour qu'ils soient acceptés comme des vérités établies, et à partir de là pouvoir continuer la démarche participative.

Soit il faut aussi faciliter les apprentissages, sans jouer au maître d'école ni avoir recours à une pédagogie directive (se référer à l'expérience de l'éducation des adultes). Il faut rechercher dans le milieu les personnes-ressources qui peuvent aider à faciliter ces apprentissages et acquisitions.

Soit il n'est pas nécessaire d'apporter ces connaissances, ce qui nous parait difficile dans le domaine de la sensibilisation et encore d'avantage dans le domaine de la prévention.

Par exemple, comment prévenir une épidémie de choléra sans informer un minimum sur les mécanismes de transmission de la maladie, les règles d'hygiène à respecter en conséquence et les symptômes à dépister ?

Mais nous pouvons retourner également le problème dans l'autre sens, une épidémie a lieu au moment où nous écrivons ces lignes, dans la région de Niakhar. La prévention faite par les autorités est de type diffusionniste : message de prévention dans les médias de masse, distribution de T-shirts « luttons ensembles contre le choléra ». Les retombées sont quasi nulles et l'épidémie, qui n'est pas très importante, dure depuis maintenant six mois.

Nous pouvons alors nous demander dans ce cas précis, si la communication participative communautaire, en complément de cet apport d'information sur l'épidémie et sa prévention, n'aurait pas permit de lutter plus efficacement contre l'épidémie en aidant à changer les comportements.

e. Démarche tributaire des praticiens

En plus des risques de manipulation, le rôle du facilitateur animateur est ambiguë et délicat. Les qualités requises pour faciliter la communication participative sont très pointues, et pourtant fondamentales. Il sera parfois le seul partenaire extérieur à la communauté en lien permanent avec celle-ci, et pourtant il sera chargé d'aider les participants à mettre en place la démarche du début jusqu'à la fin.

Il sera même parfois l'intermédiaire par qui arrivent les fonds et le matériel nécessaire à la mise en oeuvre du projet.

Il est difficile d'imaginer une démarche à 100% participative, au sens théorique. L'animateur aura forcément une influence sur les prises de décision, que ce soit de manière volontaire ou non, ne serait-ce qu'en orientant ses questions, en ajoutant des commentaires mêmes neutres ou, par exemple encore, en donnant plus facilement la parole à certains partenaires.

Ce qui peut nous faire croire qu'il est bien rare de trouver des démarches participatives «idéales», sans que l'influence de l'extérieur intervienne dans la gestion du projet ou de la sensibilisation. Ce serait utopiste de le croire, mais tout l'enjeu est de diminuer au maximum l'influence de ce ou ces «facilitateur(s)».

Pour cela, seul le choix pertinent de ces intervenants au rôle si important, accompagné d'une formation très solide, peut augmenter les chances d'obtenir une communication participative de qualité.

Reste à déterminer ces qualités requises, le profil du facilitateur en fonction du type de projet, et surtout la formation à dispenser à ces intervenants.

Par exemple, le rapport de la FAO sur la situation de la communication pour le développement au Burkina Faso 35 révèle que pour l'utilisation de médias de proximité les acteurs de développement n'avaient pas de formation suffisante. De même pour l'utilisation de médias traditionnels, la connaissance du milieu faisait souvent défaut. Donc même si ce rapport souligne la pertinence de l'utilisation de ces médias, des améliorations sont nécessaires pour profiter pleinement des avantages qu'ils peuvent représenter.

f. Coût pour les participants

Il ne faut pas perdre de vue que la participation peut être synonyme de coût pour prendre part au processus participatif. Même si à terme le participant devrait y trouver un bénéfice, le temps consacré à la participation est autant de temps qu'il perd à exercer son activité habituelle lui permettant de se faire rémunérer ou de se nourrir.

Le communicateur doit en tenir compte lorsqu'il se présente dans un village ou dans un quartier pauvre.

35 FAO, Situation de la communication pour le développement au Burkina Faso tome1, FAO, Rome, 2001 http://www.delgi.gov.bf/Tic/Plans%20de%20d%C3%A9veloppement/Burkina1.pdf (consulté le 04/08/2005)

g. Contrainte de temps, souplesse

La démarche participative demande le plus souvent beaucoup de temps. Dans la phase d'approche, dans la prise de décision, la mise en oeuvre... Et les retombées ne se voient pas forcément tout de suite, ce qui peut décourager rapidement une communauté.

En effet, en multipliant les interlocuteurs, en donnant la parole à tous ou presque, en prenant les décisions en commun, en essayant au maximum de parvenir au consensus, on rallonge d'autant la longueur pour mettre en oeuvre le projet et son déroulement.

Les contraintes - et l'inertie du projet avec - sont donc d'autant plus importantes qu'on voudra faire participer le plus de personnes possible.

De plus, le fait de laisser le pouvoir décisionnel rend le déroulement des activités plus aléatoires. Si on a une démarche planifiée d'avance, avec des professionnels, les calendriers seront plus ou moins respectés ainsi que le budget. Mais si on confie ces tâches à des gens inexpérimentés, il y a plus d'aléas, de tâtonnements.

Il est donc indispensable de garder une certaine souplesse dans la gestion des projet par les ONG ou autres «pilotes», afin de ne pas se retrouver dans une impasse faute de budget suffisant ou de temps.

h. Spécialisation des ONG

Les ONG dans le domaine du développement, de la sensibilisation ou autre sont de plus en plus spécialisées. Les organismes de recherche pour le développement comme l'IRD sont également spécialisés, de manière générale, tous les acteurs de développement le sont, en dehors des très grosses structures comme l'Etat ou des organismes internationaux tels l'UNESCO, le NEPAD ou le l'USAID.

Ce constat peut causer des difficultés dans le sens où la communication participative amène à soulever des problèmes complexes, multidisciplinaires, pouvant dépasser les domaines de compétence d'une structure spécialisée.

La solution envisageable pour le moment semble être l'établissement d'un réseau d'ONG pour mettre en commun les expériences de ces spécialistes pour répondre au mieux aux besoins soulevés par la communauté concernée.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote