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L'indicible à porté du regard. Les nouvelles technologies: vers un au-delà de la scène ?

( Télécharger le fichier original )
par Yannick Bressan
Université Paris 3, Sorbonne nouvelle - DES 2003
  

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Université Paris III - Sorbonne Nouvelle

U.F.R. Théâtre et arts du spectacle
Année 2002-2003

Mémoire de D.E.A. de Yannick Bressan

L'indicible à portée du regard.

Les nouvelles technologies : vers un au-delà de la scène ?

à Elle(s).

Remerciements

Arrivé au terme de ce travail, je tiens tout particulièrement à remercier Mme Béatrice Picon-vallin pour sa confiance, son engagement sans faille, ses relectures attentives et ses conseils avisés sans lesquels ce travail n'aurait certainement pas pu atteindre son but.

Merci pour la rigueur dont elle a su, patiemment, me transmettre les clefs.

Enfin, et ce n'est pas un moindre cadeau, merci de m'avoir transmis le goût de la recherche et l'envie de poursuivre.

Je tiens, de plus, à remercier vivement Cécile Huet pour sa patience (ô combien patiente !) et ses conseils toujours précieux (ô combien précieux !). Chère alliée à l'édification régulière de mes rêves.

Merci à mes parents, Michelle, Lucien, ma soeur Leslie et ma grand mère Amélie pour être toujours près de moi, « si loin, si proche », et pour tout leur amour qui jamais ne me fit défaut. Tout est un peu de vous, pour vous.

Merci à Violetta Paz pour nos discussions et échanges (trop courts) dont les fruits sont encore à cueillir tant ils sont nombreux.

Enfin, merci, tendre merci, à Karine (Shana) Fuks, là, essentielle.

Sommaire

Remerciements p. 4

Sommaire p. 5

Avertissement p. 7

Introduction p. 10

Première partie p. 14

Différents repères historiques :

Quelques pistes de recherche des leviers employés sur la scène à des fins dramatiques

1. Les automates

p. 15

2. Le masque grec

p. 17

3. Les mansions

p. 18

4. Effigies et marionnettes

p. 20

5. Vidéo et projections vidéo

p. 27

Conclusion de la première partie

p. 32

Deuxième partie

p. 33

Exemples d'utilisations contemporaines de leviers

 

A. L'exemple du metteur en scène Robert Lepage p. 32

La technologie sur la scène au service de la poésie

1. Robert Lepage metteur en scène p. 35

2. « La face cachée de la lune » p. 42

B. L'exemple du groupe de recherche

et de création « e-toile »

L'éclatement spatio-temporel de la représentation p. 48

1. « Côté noir / Côté blanc » p. 49

a) Un récit initiatique :

la page web comme « espace partagé » p. 49

b) Questionnement sur un type d'interactivité p. 53

c) Entretien avec l'auteur / metteur en scène ;

Cécile Huet p. 55

2. « Bals » p. 58

a) Dispositif scénique / web. Entrecroisement de scènes.

Des planches au pixel : correspondances p. 59

b) Le mode d'interactivité choisi p. 63

c) Le « chat » : voir, proposer,

commenter, apprécier ? p. 68

3. Problématiques posées par l'utilisation

du levier « réseau informatique » à des fins

spectaculaires p. 69

a) Proposition de définition traditionnelle

d'un public de spectacle théâtral

ou chorégraphique et sa transformation

au spectacle présenté sur le réseau p. 69

b) Le « spectacle de théâtre » p. 72

c) Le metteur en scène p. 75

Conclusion de la deuxième partie

Vers une mise en abîme de « l'ailleurs » ? p. 77

Conclusion p. 79

Annexes p. 82

- Le masque grec, Mansion

- Effigies, marionnette

- Vidéo

- L'amant de la nuit (Installation vidéo), photos

- Choré-Carré 1, Photos, vues Internet, croquis
- Le Martyre, photos

- Côté noir ! Côté blanc,

Photos du spectacle et captures d'écrans de l'interface web

- Côté noir ! Côté blanc, texte de la pièce, équipe - Bals,

Equipe, photos interface web et du spectacle - Bals, extraits du « chat »

- Biographies Cécile Huet et Louis Ziegler

- CD rom, Côté noir ! Côté blanc

Lexique p. 83

Bibliographie sélective p. 84

Avertissement

Avant toute réflexion, il est important de définir trois termes employés ici.

Au-delà1 :

Locution adverbiale. Plus loin (que).

Au-delà de, locution prépositive. Ce qui est plus loin qu'un point de l'espace. Nom masculin. L'autre monde, après la mort.

Outre et d'après ces trois définitions nous souhaitons, pour notre travail, relever un univers qui apparaît lorsque l'on associe les définitions ci-dessus, « au-delà » dans une dimension religieuse. Ce « plus loin », « qui est plus loin qu'un point de l'espace » nous entraîne vers un « autre monde, après la mort ».

Ailleurs2 :

D'un autre côté, d'un autre point de vue.

Nous entendons « ailleurs » d'une façon assez proche de celle donnée ci-dessus, à savoir, dans le cas de la vision théâtrale, il s'agira pour nous d'un « autre côté de la vision », d'un autre point de vue qui nous entraînera vers une relecture du visible par le senti et l'invisible. Cet « ailleurs » là est un lieu accessible par l'intuition parfois quasi tangible d'un « ailleurs que le visible ».

Il est à noter que ces deux termes peuvent se croiser au point de parfois se confondre. Les frontières ne sont pas toujours définies ni définissables. Nous nous attacherons à être le plus précis possible lorsque nous emploierons l'un ou l'autre de ces termes dans notre travail.

Un autre terme, utilisé ici comme pilier de notre réflexion, est à définir : « levier ».

On pourrait aussi dire fenêtre, porte, clef. Tous ces termes nous semblent ici convenir pour désigner l'utilisation et les effets des nouvelles technologies sur la scène. Nous tenterons de les cerner tout au long de ce travail.

1 « Au delà », Encyclopédie Microsoft Encarta 97. 1996 Les Éditions Québec/Amérique inc.

2 « Ailleurs », Ibidem

Nous avons retenu plus particulièrement le terme « levier » car sa définition nous apparaît être la plus proche du sens que nous souhaitons développer dans notre étude. Nous nous fonderons sur sa définition courante adaptée à notre propos.

Levier :

Objet, ou lieu, qui par un effort (mise en scène) permet de « soulever » un état de plus ou moins grand poids (l'état réceptif du spectateur) situé à proximité de son axe (la scène) pour l'entraîner (déplacer) vers un autre état (une autre lecture du « réel spectaculaire », vers le réel fantastique à l' « inquiétante étrangeté », pour reprendre l'expression des surréalistes).

Il nous semble de plus préférable, avant d'entamer la lecture de ce travail, de prendre connaissance du lexique proposé en page 83 de ce mémoire.

Petite discussion fictive

Heiner Müller : « Le théâtre n'a encore emprunté que trop peu de choses aux nouvelles technologies ».

Claude Régy : « Je crois aux intersections ».

Albert Einstein : « Les corps se meuvent à travers un océan d'éther immobile ».

Stéphane Mallarmé : « Tous le rituel du théâtre est dans cette rencontre paradoxale de l'ici et de l'ailleurs, de la présence et de l'absence (...) »

National Géographic (accroche) : « Ici ne se conçoit pas sans ailleurs ».

Introduction

« Who's there? »

La question inaugurale d'Hamlet pose avec force une interrogation qui nous semble primordiale au théâtre : avec qui sommes-nous, qui est là et par extension, où sommes-nous ? Comme Monique Borie le note très justement à propos d'Hamlet, le théâtre est « [une] nuit offerte à la rencontre des puissances de l'ailleurs » 3. Outre la nuit shakespearienne, ne peut-on voir là une vision de la scène, un lieu offert à la rencontre des puissances de l'ailleurs ?

Mais quelles sont donc ces puissances en question ? Qu'est-ce qui, au théâtre, les rend d'une certaine façon accessibles, quasi-tangibles ? La simple intuition d'un au- delà du visible, une vue de l'esprit, une réalité tangible ou encore la présence de l'audelà de la scène décrite par Mallarmé4 comme un effacement. La réponse n'est pas aisée. Nous tâcherons dans ce travail d'en définir les contours. Tout d'abord, dans la première partie de ce travail par des exemples pris dans l'histoire, de la présence de « l'au-delà » sur la scène et du glissement de cet au-delà vers un « ailleurs » de la scène, non plus religieux mais métaphysique.

On note, en effet, nombre d'exemples, à travers l'histoire des représentations spectaculaires, de la présence des Dieux d'abord par l'utilisation de masques sur la scène antique. Nous passons à une vision de la scène beaucoup plus symbolique par la présence de lieux dédiés à des représentations de « l'ailleurs », tel le paradis ou l'enfer sur les scènes médiévales. Les exemples sont nombreux et, bien qu'il faille les nuancer, il nous semble important de nous y arrêter un instant avant de poser la question majeure de ce travail que nous développerons dans la seconde partie de ce mémoire à savoir : les nouvelles technologies sur la scène n'ouvrent-elles pas une porte vers un au-delà de la scène ?

La deuxième partie de ce travail proposera deux exemples contemporains de l'utilisation des technologies illustrant l'émergence d'un ailleurs de la scène sur la scène, rendu accessible au spectateur.

Notons, en préambule à cette étude, une constante dans les modalités de l'existence de cet autre monde appelé par la scène : elle nécessite l'utilisation d'objets spécifiques que nous nommerons des « leviers ».

3 Monique Borie, Le fantôme ou le théâtre qui doute, Editions Actes sud 1997, pp. 9-23.

4 Thierry Alcoloumbre, Mallarmé. La poétique du théâtre et l'écriture, Librairie Minard 1995, pp. 48-51.

Nous donnons à ce que nous nommons ici « levier »5 le sens d'un élément qui nous permettra de traverser notre état de spectateur pour entrer de l'autre côté du visible. Il agit dans ce cas comme une porte vers l' « au-delà ». Quel peut-être ce « levier », quelles formes peut-il prendre?

Il est un élément (masque, effigie ou écran vidéo) qui ouvre sur la scène des fenêtres (ou les ferment).

Quelle que soit la forme qu'il prenne, ce levier est toujours cet objet, là, sur la scène qui étire notre perception de l'espace et du temps du drame joué sous nos yeux de spectateur vers d'autres dimensions ?

Notons, néanmoins, que la présence de cet artificium, cette ruse subtile qui a pour but de tromper ou d'étendre nos sens, n'est pas une condition sine qua non au voyage du spectateur vers un au-delà de la scène, un au-delà du vivant. L'épure du théâtre Nô où de certaines mises en scène contemporaines (comme celles de Robert Wilson ou de Claude Régy, par exemple) sont une démonstration flagrante de la tension de la scène vers un espace métaphysique, un « étirement de la scène » vers l'au-delà de la scène par le vide.

Il n'en reste pas moins que le théâtre semble porter en lui ce déchirement spatio- temporel. Nous proposons, ici, à travers l'histoire et par deux exemples concrets de recherches artistiques (Robert Lepage, E-toile), d'approcher la façon dont l'imprononçable, aux côtés de l'invisible, est mis à portée de notre regard (compréhension, intuition) de spectateur grâce aux nouvelles technologies.

Je m'attacherai dans la première partie de ce travail, à montrer au travers d'un bref regard historique sur la scène occidentale, à travers des exemples non exhaustifs de l'Egypte ancienne au début du XXe siècle, combien les technologies et autres artifices ont tenu le rôle de catalyseur d'une énergie trouble et troublante. Nous verrons, également, combien ces mêmes techniques ont ouvert des portes menant vers cet autre côté de la scène afin que les spectateurs fassent un voyage des sens et de l'esprit, voire des sens vers l'esprit ?

Dans la seconde partie de ce travail, nous verrons au travers de l'exemple du travail
du metteur en scène Robert Lepage, avec combien de subtilité, de sensibilité et

5 Cf. supra, p. 8.

d'humour ce voyage des sens et de l'esprit peut se faire, impulsé par les technologies, telle la vidéo, utilisées sur une scène de théâtre.

Nous aborderons ensuite le point clef de notre réflexion au travers de l'analyse de deux créations du groupe de recherche et de création e-toile et de son utilisation des nouvelles technologies de l'Internet sur la scène mais aussi de créations conçues exclusivement pour ces mêmes nouvelles technologies.

Enfin nous conclurons en nous demandant s'il n'y a pas lieu de penser que la représentation théâtrale porte en elle une part d'au-delà dont une porte, ou en tout cas une fenêtre, serait l'utilisation sur la scène des leviers et si dans ce cas le temps en jeu au théâtre n'est pas démultiplié, mis en abîme. Le temps du spectateur bien sûr, le temps de la représentation et un autre temps encore, celui, créé par l'emploi sur la scène de ces différents leviers.

Première partie : différents repères historiques.

Cette liste de points de repères, bien que non exhaustive, nous donne quelques éléments précis d'utilisation de ce que nous nommons des leviers sur la scène occidentale à travers l'histoire.

J'entends, ici, tous ces éléments qui, sur la scène, nous mènent par le truchement de décalages spatio-temporels vers la conscience d'un « autre côté » de la scène. Il s'agit ici de pointer quelques-uns uns de ces éléments qui convoquent ces « images qui donnent la présence de l'absence » pour reprendre une expression de Jean- Pierre Vernant6.

1. Les automates.

La rétroaction, appelée également feed-back, est le principe fondamental permettant à une machine de s'autoréguler et de se contrôler. D'après Serge Perrine7, ce principe était utilisé dans les antiques clepsydres de l'époque Alexandrine. Il fut inventé par Ktesibios au IIème siècle avant Jésus-Christ. L'utilisation de cette technique est déjà la mise en place d'un pont entre deux réalités : la nôtre, humaine et celle des dieux. « Déjà, dans l'antiquité, les Egyptiens fabriquaient des statues animées dans un dessein religieux. Ils pensaient qu'une statue à l'effigie d'un dieu ou d'un mort possédait les mêmes pouvoirs que ceux qu'elle représentait, une fois l'âme divine insufflée par un prêtre » 8.

Les anciens Egyptiens employaient le terme d'automate pour désigner une machine représentant des humains ou des animaux munis d'un mécanisme interne leur donnant l'apparence de la vie grâce à une force motrice interne9.

Automate viens du grec « automatos » signifiant « qui se meut soi-même ».

Il est bon d'insister sur le fait que ces « créatures », dont la statue du commandeur est un avatar « mozartien », se sont développées en rapport étroit avec certaines religions anciennes et l'univers de magie qui entouraient ces croyances10.

6 Cf. Jean-Pierre Vernant, « Naissance d'images», in Religions, histoires, raisons, Maspero, Paris, 1979, pp. 105-1 37.

7 Serge Perrine, Histoire de l'automatique, conférence au Centre de culture scientifique et technique Jacques Brel, Thionville, 15 décembre 1989.

8 André-Michel Berthoux, Des automates et des hommes, www.faculte-anthropologie.fr

9 Serge Perrine, Histoire de l'automatique, conférence au Centre de culture scientifique et technique Jacques Brel, Thionville, 15 décembre 1989.

10 Ibidem

Nous ne sommes pas dans un objectif spectaculaire pur, mais avant tout dans une dimension cultuelle, le spectaculaire étant au service du religieux.

Ici, le guide pour le voyage vers l'au-delà est un envoyé de l'au-delà. Il a l'apparence de la vie mais n'en possède pas le souffle. Il est, comme le sera plus tard dans le vieux Prague du 17 ème siècle (1610), le Golem face auquel Rabi Loew n'a pas prononcé le mot de l'essentiel souffle de vie. « Alors Yahweh Dieu forma l'homme de la poussière du sol et insuffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant »11.

Dans le cadre de ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, les automates, il est important de bien comprendre qu'à l'époque des automates égyptiens, l'emploi de ces leviers entrait exclusivement dans le champ de cérémonies religieuses. Il n'était évidemment pas encore question de parler de scène ou même de jeu liturgique comme au Moyen-Âge.

Ces créatures qui, plus tard, feront leur apparition sur les scènes de théâtre, avaient ici une fonction spectaculaire au sens de « ce qui fait sensation », qui est prodigieux, mais la vocation première était, nous l'avons vu ci-dessus, cultuelle. L'utilisation des automates dans les cérémonies religieuses de l'Égypte ancienne, la présence de l'automate, guide de l'ailleurs pour aller vers un ailleurs, nous entraîne, de par sa nature particulière de non-vie au sein des vivants, vers un espace / temps virtuel qui s'oppose à celui actuel des vivants12.

Nous sommes, d'emblée, dans ce type de cérémonies antiques, confrontés à un autre espace / temps que celui de la « représentation ».

Ces premiers « spectacles liturgiques »13 dont nous venons de parler nous offrent déjà des clefs de compréhension du glissement d'état de notre statut de spectateur grâce à l'utilisation sur la « scène » (ici plus précisément des cérémonies religieuses) de leviers (ici l'automate).

Les Grecs ne donnaient-ils pas aux constructeurs d'automates de théâtre un nom révélateur de ce pouvoir de transcender le réel ? Ils les nommaient les thaumaturges, c'est à dire les « faiseurs de miracles »14.

11 La genèse, 2.

12 Cf. Gilles Deleuze, Claire Parnet, « L'actuel et le virtuel », in Dialogues, édition champs Flammarion 1996

13 Nous n'emploierons réellement cette expression sous sa forme correcte de « jeu liturgique » qu'à partir du haut Moyen- Âge.

14 Serge Perrine, Histoire de l'automatique, conférence au Centre de culture scientifique et technique Jacques Brel, Thionville, 15 décembre 1989.

2. Le masque grec.

Dans la Grèce ancienne, le théâtre s'inscrit dans une pratique religieuse15 clairement définie qui, comme pour les rituels égyptiens vus ci-dessus, reste un élément moteur de la représentation. Nous ne parlerons pas ici de la fonction de résolution de problèmes d'expressivité que permet le masque mais plutôt, de la figuration cultuelle des dieux.

Si « le masque sert à exprimer symboliquement des aspects autres du surnaturel »16 , il sert donc aux spectateurs de tremplin vers une vision de l'au-delà. Il ouvre clairement dans le spectacle une autre dimension spatio-temporelle, dans ce cas précis, le monde des Dieux.

Lorsque le masque est porté en scène, il nous offre une vision autre que notre vision de simple mortel. Il nous donne de cette façon accès à l'invisible, à l'inhabituel voire au surnaturel. On peut alors, semble-t-il, dégager un « (...) secteur du surnaturel défini par le masque(...) »17 . Ce « secteur du surnaturel » est cet accès tangible, palpable, aux mondes des Dieux.

De Gorgô à Dionysos (voir annexes 1 a, page I) en passant par Artémis, nous avons une vue imagée des trois Dieux qui, représentés par leur masque respectif, sont convoqués sur la scène.

Ces trois dieux au masque offrent « dans les trois cas des effets de tension entre termes contraires, terreur et grotesque, sauvagerie et culture, réalité et illusion »18. Au travers de ces trois Dieux, c'est l'illusion qui intervient ici. Illusion d'autant plus étrange et troublante si l'on s'attache aux racines du mot « théâtre » qui signifiait en grec : le lieu d'où l'on voit, lieu d'où l'on contemple.

Le lieu où l'on voit, certes, mais aussi le lieu où l'illusion se mêle au réel. Lieu où l'on a accès à l'illusion, lieu de perte du réel retrouvé symboliquement par le truchement de l'illusion ? Notre levier ici, sous la forme du masque, nous donne accès à une vision de l'au-delà. La présence des Dieux est essentielle à ce passage bien sûr, mais notre condition de mortel change considérablement de statut. Nous devenons

15 Cf. Françoise Frontisi-Ducroux et Jean-Pierre Vernant, Divinités au masque dans la Grèce ancienne in Le masque du rite au théâtre, CNRS éditions 2000, p. 19.

16 Ibidem p. 19.

17 Ibidem p. 26.

18 Ibidem p. 26.

les spectateurs des agissements des Dieux, héros et autres « êtres de condition supérieure ».

Comme les Dieux s'amusent de la vie des hommes, les hommes se divertissent de la vie des Dieux. Extraordinaire bouleversement de statut qui voit, par l'emploi du masque sous sa forme spectaculaire, l'incarnation, parmi nous d'un monde divin et dont les travers, amour, haines, sont fort semblables aux nôtres. Des Dieux plus humains en quelque sorte. Des Dieux plus humains, derrière des masques.

3. Les mansions.

Ces lieux du théâtre médiéval, dans lesquels se déroulaient les scènes, étaient dans le cas des mansions permanentes à usage unique : le paradis, le temple, le palais, les limbes et l'enfer19 (voir annexes 1 b, page I). Ces lieux étaient déterminés de manière symbolique par des éléments du quotidien tels par exemple des sièges, des tables ainsi que divers autres accessoires.

Les mansions donnaient un caractère dramatique fort et tangible à des idées religieuses parfois très abstraites, permettant ainsi de donner à un peuple majoritairement illettré une connaissance ou tout au moins une image des grands préceptes fondateurs de la religion.

C'est bien de cela dont il s'agissait, une forme à usage éducatif (tout comme les cathédrales).

« On passait d'un système évocatif à un système illustratif tel qu'on a pu comparer la scène médiévale à un grand livre d'images »20 . Alors soudain, sur la scène, apparaît un au-delà côtoyant très naturellement notre réalité de tous les jours. Et pour cause, dans l'esprit de l'homme de l'époque, ce surnaturel, Dieux, diables et autres démons côtoient effectivement la réalité humaine. Les plans d'existence se chevauchent et les mansions en sont le siège théâtral, le siège de la contemplation.

Dans le théâtre médiéval, comme dans le théâtre grec et dans les rites égyptiens, les liens que la représentation entretient avec l'histoire religieuse sont étroits. Ces rapports sont fondateurs de cette multiple présence sur la scène. Présence du réel et d'un au-delà par les automates, la figuration des Dieux comme nous l'avons vu plus

19 Daniel Couty et Alain Rey (Sous la direction de), Le théâtre, édition Larousse 2001, p. 20.

20 Ibidem p. 20.

haut ou encore, comme ce qui nous intéresse à présent, non plus par un objet en tant que levier mais un lieu physique.

La différence entre « levier objet » et « levier lieu physique » dans le cadre des mansions n'est pas fondamentale pour comprendre la réflexion entreprise. Cette différence est tout de même suffisamment importante pour s'y arrêter un court instant et tenter de la cerner un peu plus clairement.

Le « levier objet » permet, par le truchement d'un objet (masque, automate, élément de décors ou accessoire de scène par exemple) de laisser entrevoir au spectateur l'existence d'un espace (temps) invisible mitoyen à celui visible sur la scène.

Le « levier lieu physique » est, quant à lui, un lieu ancré dans le réel de la représentation, mais aussi un lieu porteur du sens (religieux dans le cas dont nous parlons, celui des mystères) de la représentation. Un lieu double donc.

Les mansions portent en elles cette dualité spatio-temporelle. Elles sont à la fois symbole d'espace liturgique, de jeu, et lieu du divin par la place qu'il leur est attribuée au sein d'une scène humaine.

Elles installent, de par leur présence double, une frontière trouble entre la réalité humaine, quotidienne et la « réalité transcendante » acceptée comme vraie.

Les pères de l'église assimilaient le monde à un vaste théâtre terrestre dont les spectateurs étaient les Dieux et « les hommes vertueux qui sont au ciel »21.

Là encore, notre statut de mortel (comme pour le théâtre grec) change. Nous passons de « regardés », par les Dieux, à « regardeurs » de l'univers divin.

Il est intéressant, pour mieux cerner encore ce double statut de la scène médiévale et appréhender au plus juste le rôle de pont entre « deux réalités » que nous attribuons aux mansions, de se rappeler la comparaison que le moine bavarois Honorius d'Autun (XIIe siècle) faisait entre la messe et une tragédie antique. Avec son public (les fidèles) et ses acteurs (les prêtres et les célébrants)22 cette comparaison brouille les frontières entre deux mondes et les mêle étroitement, les entremêle jusqu'au doute du réel (ou « non doute » de l'irréel).

« Un portrait [la figure] porte absence et présence (...) » écrivait Pascal23. Cette
union de la présence (l'humain, actuel) et de l'absent (monde des Dieux, virtuel) se
cristallise très précisément dans le théâtre médiéval en ces lieux symboliques que

21 Ibidem p.19.

22 Ibidem p.19.

23 Pascal, Pensées, éditions Classiques Garnier, Bordas, 1991, P. 275.

sont les mansions. Elles sont les leviers qui nous permettent d'accéder à un autre état de conscience mais plus simplement à une lecture du sens religieux plus immédiat. Tout ici est visuel et visualisé.

C'est la différence avec les exemples qui précèdent (Égypte, Grèce) où le lieu symbolique prend place dans la tête du spectateur par l'emploi de « leviers objets ». Ceux-ci projettent le spectateur vers un au-delà de la scène grâce à des « rencontres paradoxales de l'ici et de l'ailleurs, de la présence et de l'absence (...) » pour reprendre une phrase de Mallarmé24. Les mansions, littéralement demeures, situent d'emblée l'action dans un « hors-lieu réel ». Le levier n'est plus alors un objet présent sur scène comme une porte, une fenêtre, un messager de l'au-delà mais il est (le levier) la scène elle-même.

4- Effigies et marionnettes.

Nous aborderons, dans ce point, les effigies et marionnettes en action sur la scène, comme étant les témoins, mais aussi les liens vers un ailleurs de la scène, un au- delà du visible. Ce point étant, nous semble-t-il, un point « charnière » de notre étude nous nous y attarderons un peu plus que les autres points de ce premier chapitre.

Nous tâcherons d'aborder et de comprendre ce voyage de « l'au-delà vers l'ailleurs » par le truchement d'une « créature » à « dimension humaine » mais non humaine. Nous prendrons, dans un premier point, l'exemple du travail des metteurs en scène et artistes de la fin du XIXème siècle et du début du XXème (voir annexes 2 a, page II). Nous aborderons, dans un second temps de notre travail sur les effigies et marionnettes en tant que « leviers », par un regard rapide sur les expériences utilisant les nouvelles technologies pour concevoir des « êtres marionnettisés ». Soit par des « implants » comme Stelarc ou par une utilisation du réseau Internet comme le fil de la marionnette dans des expériences du groupe e-toile.

24 Cf. Alcoloumbre Thierry, Mallarmé la poétique du théâtre et l'écriture, librairie Minard 1995, pp. 47- 51.

Ce quatrième point de notre étude met en évidence un changement fondamental s'opérant au spectacle par l'emploi à des fins spectaculaires de leviers marionnettes et effigies à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

Bien avant cette période, nous avons recensé quelques-unes unes des utilisations de « leviers » dans un contexte de cérémonies ou de représentations religieuses tels que l'automate égyptien, le masque grec ou les mansions. Nous étudierons dans ce qui suit l'emploi des leviers sur la scène non plus à des fins religieuses, mais afin d'ouvrir des dimensions plus métaphysiques.

Nous commençons notre étude par le début du XX ème siècle. Les exemples à cette époque sont, avec l'avènement du théâtre symboliste, des plus probants. Ils nous semblent illustrer fort clairement ce passage d'un « au-delà religieux » vers un « ailleurs métaphysique ». Il est intéressant de se pencher, avant d'amorcer toute réflexion, un instant sur la définition de « métaphysique » pour poser clairement et en quelques lignes la problématique de l'emploi du levier effigie ou marionnette sur une scène.

« meta (ta) phusika, ou «au-delà de la Physique» »25.

C'est bien cela dont il s'agit en effet d'un « au-delà de la physique » mais aussi d'un au-delà de l'humain (de l'acteur pour Craig, par exemple avec le concept de sur-marionnette).

a) Le vivant et ses doubles. Début du XXe siècle.

Durant les vingt premières années du XXe siècle, d'étranges créatures arpentèrent les scènes, « ombres de l'homme » (voir annexes 2 b, page II) pour reprendre l'expression de Didier Plassard26. Ces effigies et marionnettes ne sont plus simplement utilisées, comme nous l'avons vu plus haut avec les automates et les masques, pour figurer les Dieux, mais bien pour produire une imitation de l'homme. Cette réflexion peut s'illustrer par l'exemple du Pinocchio de Carlo Collodi et sa recherche d'humanité, émanant d'une « sculpture » parfois plus humaine dans ses sentiments que les humains de chair et de sang rencontrés. C'est aussi la volonté du

25 "Métaphysique," in Encyclopédie Microsoft Encarta 97, 1996 Les Éditions Québec/Amérique inc.

26 Didier Plassard, L'acteur en effigie, Editions L'age d'homme,1992, p. 12.

créateur de donner vie à de la matière sans vie, à l'image de Pygmalion qui crée sa Galatée, femme idéale ou de Rabi Loew et son Golem.

Si l'on considère la définition qu'Aristote donne de l'action dramatique, à savoir « l'imitation d'une action », nous sommes projetés avec l'arrivée sur scène des marionnettes et effigies, dans une mise en abîme plus lointaine de l'action dramatique. En effet, il ne s'agit plus simplement « d'imiter une action » mais d'imiter un être (humanoïde ou pas) qui imite une action. « (...) Il introduit sur les planches l'imitation d'une imitation, une manière de simulacre au second degré »27 . Dans ce cas, l'effet de levier est introduit par la sensation de répétition, d'écho du vivant.

La proximité aux côtés du comédien d'un alter ego de bois et de métal plonge le spectateur dans un état de trouble, voire de terreur comme le souligne Tadeusz Kantor dans Le théâtre de la mort : « (...) Voici que s'avancent, sortant soudain des ténèbres, toujours plus nombreux, des sosies, des mannequins, des automates, des homoncules - créatures artificielles qui sont autant d'injures aux créations même de la nature et qui portent en elles tout le ravalement, tous les rêves de l'humanité, la mort, l'horreur et la terreur»28.

La prolifération des « images de l'homme mécanisé et « marionnettisé » du début du XXe siècle »29 renforce cette impression de double réalité ; la première humaine, la seconde émanant d'un ailleurs du visible qui nous est étranger, ressemblant parfois à la réalité visible, différent aussi, mais toujours troublante de part son double statut de proximité et de distance du réel. Cette distance avec le réel que nous qualifions ici de « troublante » s'articule et se cristallise par l'absence que la marionnette ou l'effigie incarne sur scène. En effet, la colère peut être représentée par une marionnette sans qu'il y ait effectivement de colère jouée sur le plateau. Pinocchio représente l'enfance mais il n'EST pas. C'est seulement après son passage, nécessaire changement d'état, de la vie à la mort qu'il devient humain.

Un déchirement spatio-temporel se met, ici, en place à des fins spectaculaires et métaphysiques et non plus cultuelles ou liturgiques comme nous l'avons vu précédemment.

27 Ibidem, p. 12.

28 Tadeusz Kantor, Le théâtre de la mort, textes réunis et présentés par Denis Bablet, Edition L'age d'homme, 1977, p. 222.

29 Cf. Didier Plassard, L'acteur en effigie, Edition L'age d'homme,1992, pp.1 1-19.

Il est important de noter, comme le souligne Didier Plassard30 que de «(...) l'Iliade, le Tripitaka, Ovide, la Gesta Romanorum, les romans arthuriens, les légendes hassidiques, les contes d'Hoffmann et de Poe, [sont] autant de récits qui pourraient donner à penser que, quel que soit l'état du développement technique, l'humanité rêve toujours d'automates et de créatures animées, de cuirasses enchantées et de poupées merveilleuses ». Le rapport de l'homme à la technique s'avère alors étroit. Bien entendu, les techniques évoluent avec l'homme et ses connaissances, leurs évolutions sont intrinsèquement liées. Il est donc clair que l'intervention de techniques sur la scène évolue de concert avec l'évolution de l'homme et de son niveau technologique et, ce, depuis l'avènement de représentations spectaculaires avec, par exemple, l'introduction d'une machinerie théâtrale, de lumières et autres avancées liées aux progrès de la science. Les enjeux de la technique sur la scène ne sont pas simplement d'ordre physique. C'est par la technique et avec elle que sur la scène les portes d'un ailleurs de la scène s'ouvrent et se ferment. Il nous semble évident au regard de nos recherches précédentes, présentes et, fort probablement, futures que « l'essence de la technique n'a rien de technique. Elle est métaphysique » 31.

Dans les années 20, l'emploi sur la scène du levier effigie ou marionnette constitue un éclatement scénique qui est d'ordre métaphysique plus que religieux. Nous verrons, dans la seconde partie de cette étude, comment cet éclatement devient géographique par l'utilisation de réseau électronique sur la scène.

Un regard plus métaphysique donc, Didier Plassard le relève très clairement en citant le point que met en lumière E. Capiau-Laureys32 dans des réflexions de Maeterlinck: « (...) l'effet étrange et en quelque sorte surnaturel obtenu par la mise en scène d'acteurs inanimés : automates, cires, marionnettes, androïdes, symboles (...) ». Cette étrange impression d'un « au-delà de la scène » que porte en lui ce levier est renforcé par un fait encore. Le déplacement de la voix. Celle-ci ne sort pas de l'organe habituel, prévu à cet effet par la nature, le « sur-naturel » marque plus encore son espace au sein de l'effigie ou de la marionnette. Cette voix censée émaner d'un pantin de bois s'adresse-t-elle à nos oreilles ? Rien n'est moins sûr. Il s'agit d'une voix qui part (vient) d'ailleurs (marionnettiste, haut-parleurs...) et qui va

30 Ibidem, p. 14.

31 Heidegger Martin, « La question de la technique » (1954), traduction française in Essais et conférences, éditions Gallimard 1958, pp. 9-48.

32 E Capiau-Laureys, in Didier Plassard, l'acteur en effigie, édition l'age d'homme,1992., p. 35.

ailleurs, plus de l'intellect à l'intellect que de la bouche à l'oreille. La marionnette n'a pas de bouche, pas de voix, pas d'autonomie et c'est de (depuis) ce manque dont (qu') elle nous parle. C'est bien une « bulle de vide » qui prend corps sur la scène à travers ce levier et qui entraîne notre regard et notre pensée de spectateur vers un ailleurs de la scène.

b) Marionnettes et effigies numériques.

L'exemple cybernétique de Stelarc :

Stelarc est un performer australien contemporain qui explore grâce à la médecine, la robotique ainsi que des systèmes de réalité virtuelle, le corps humain, ses limites et ses extensions. Il tend vers ce qu'il nomme le « post-humain »33

Stelarc nous donne une clef de compréhension de son travail et de ce qu'il appelle le « post-humain » lorsqu'il dit : « Alors que les humains opèrent de plus en plus à des distances éloignées avec des corps de substitution - avec de plus en plus d'images intelligentes et interactives - les images autonomes apportent des possibilités qui donnent une issue inattendue à la symbiose homme machine. Il se pourrait bien que le post-humain se révèle à travers la forme de vie intelligente que sont les images autonomes »34.

Stelarc insiste dans son travail de performer sur un effacement et, paradoxalement, , une amplification de plus en plus radicale de l'humain. Ces expériences vont de la mise en place de greffes technologiques ajoutées à son propre corps (comme dans The third hand.) jusqu'à ingérer des robots micro-miniaturisés pour agir sur notre « population biologique » et assister notre système immunologique. C'est aussi, toujours d'après Stelarc, un « système de surveillance interne ».

C'est dans les recherches de Norbert Wiener sur la cybernétique que l'on trouve probablement les racines de la pensée artistique de Stelarc. Il est à noter, tout de même, que Wiener n'envisageait, ni ne souhaitait, un effacement de l'homme au profit de la machine.

Stelarc travaille dans un processus inverse au souhait de Wiener. Ce dernier
souhaitait construire une machine autonome à l'image de l'homme, Stelarc construit
un homme mécanisé afin de palier à ce qu'il nomme le « corps obsolète». Il nous dit

33 Cf. Stelarc, « Vers le post-humain » in, Nouvelles de danse, danse et nouvelles technologies, n° 40, 41, édition Contredanse, 1999, pp. 80-98.

34 Ibidem p. 81.

encore : « Les stratégies qui conduisent au post-humain ont plus à voir avec l'effacement qu'avec l'affirmation »35. Cette remarque est intéressante à rapprocher de nos réflexions sur la marionnette et le manque que nous avons étudié plus haut. En effet, Stelarc, humain mécanisé, apôtre de la cybernétique inverse, parle de l'effacement. La marionnette parle du manque (voix propre, mouvement autonome). Il est clair que ces deux univers, chacun dans son champ lexical, pose la même question : où est l'homme, qui est là ? (Questionnement de Hamlet). Chacun ici, Stelarc ou la marionnette, parcellise l'homme, le scinde en x morceaux. Il n'est (ce corps) qu'images.

Stelarc synthétise sa pensée sur ces deux questions, elles sont aussi posées par l'emploi du levier marionnette : où est l'homme ? Le corps n'est-il qu'image ? Il nous dit alors : « Après qu'il ait été confronté à l'image de son obsolescence, le corps, traumatisé de se détacher du domaine de la subjectivité, envisage de réexaminer et peut-être de reconcevoir sa structure même »36 . Cette idée de la parcellisation (marionnette, corps, automates...) nous la retrouvons dans une autre expérience contemporaine, déclinée autrement.

L'exemple en réseau (le marionnettiste de l'ailleurs) d'e-toile :

Il ne s'agit plus d'une parcellisation physique du sujet (marionnette, prothèse) et du manipulateur : nous sommes ici, avec e-toile, dans une césure (au sens de coupure) topographique entre le « marionnettiste » et la « marionnette ». Au sujet d'e-toile, nous mettons « marionnettiste » et « marionnette » entre guillemets car ce n'est certes pas en ces termes que le groupe de recherche et de création e-toile qualifie et même envisage les danseurs et les comédiens avec lesquels il travaille. L'étude de la démarche d'e-toile viendra plus loin. Mais nous nous arrêtons un instant sur le travail du groupe et sur leur utilisation du réseau Internet (ou Intranet) dans leurs spectacles car il nous semble avoir une parenté avec le thème étudié dans ce point. e-toile utilise dans la plupart de ses créations le réseau pour adresser des directions au spectacle (Danse ou théâtre) qui se joue face à un public, uniquement sur Internet ou les deux à la fois (Cf. infra page 49 et 58 ). L'interactivité proposée à l'Internaute, dans les spectacles d'e-toile, est d'une certaine façon, à l'image du fil qui actionne un

35 Ibidem p. 80.

36 Ibidem p. 84.

élément scénique, lui impulse une énergie, une direction... Mais l'utilisation du réseau par e-toile ne peut se résumer aussi simplement. Comme pour Stelarc ou Pinocchio, il y a mise en morceaux du corps. Dans ce cas précis, on parlera plutôt de « pixellisation » de corps.

Pour être encore plus précis, nous pouvons déterminer dans nos trois sujets (Pinocchio, Stelarc, e-toile.) trois états de « marionnettisation ». Nous étions avec Pinocchio dans un rapport à la mimêsis, une volonté de s'approcher au plus juste du sujet humain. Avec Stelarc, nous avons vu une volonté de dépasser le sujet / support. Avec e-toile, nous sommes dans un autre rapport, un glissement du sujet représenté et de sa représentation. Le « glissement » dont nous parlons est de l'ordre de l'eidôlôpoiikê, de « l'activité fabricatrice d'image »37.

Il en est de même pour les deux précédents exemples mais, avec e-toile, un écart spatio-temporel est posé entre le « marionnettiste / Internaute » et la « marionnette acteur ou danseur ». En effet, pour synthétiser ces expériences, un artiste est dans une salle (face à un public ou pas) et répond aux injonctions, propositions, ordres... d'une (ou plusieurs) personne(s) située(s) ailleurs, reliée(s) à lui par un réseau Internet ou Intranet qui assiste aux réponses (ou refus) de l'artiste. A partir de ce dispositif se constituera un développement dramaturgique selon des règles fixées au préalable par les metteurs en scène d'e-toile (Cécile Huet, Yannick Bressan).

Chez Pinocchio, le changement d'état de conscience de la marionnette passe par un changement d'état physique (perte de conscience, mort symbolique). Dans les création d'e-toile, le dispositif mis en place propose, induit et oblige à un double changement d'état. Le « marionnettiste / Internaute » doit être à l'écoute et dans le temps de « la marionnette / l'artiste ». Celui-ci est à son tour à l'écoute de cet au-delà de la scène qui influe et va influer sur ses choix et prises de positions.

Nous avons là une sorte de « sur-marionnette numérique », ou pour être plus juste une « sur-marionnette relais entre deux mondes » : la scène et la page web, le réel et le virtuel.

Mais les similitudes ne s'arrêtent pas là avec ce qui nous intéresse ici à savoir, ces créatures qui ne possèdent pas le « souffle de la vie » et qui une fois sur scène nous entraînent par leur simple présence vers un au-delà de la scène.

37 Jean Pierre Vernant, Religions, Histoires, Raisons, éditions Maspéro 1979, p. 106.

Les refus de l'artiste de répondre aux ordres, propositions de l'Internaute ne sont- elles pas là un peu comme le Golem, Frankenstein ou Pinocchio échappant à son créateur ?

L'utilisation de « leviers » à des fins spectaculaires s'est donc clairement déplacée au début du XXe siècle ; d'une nécessité religieuse portée vers les Dieux, il se recentre sur « l'immensité intérieure » de l'homme. La dimension métaphysique, le rapport à la mort ou à l'absence est bien sûr toujours là, mais l'approche de cette question a changé. Elle est à présent (dans les années vingt) tournée vers l'homme, ou plus précisément encore, l'humanoïde, à savoir, un être ressemblant à l'homme.

4. Vidéo:

« (...) Les écrans peuvent ouvrir à la scène de nouveaux espaces pour l'imaginaire, modifier les modes de perceptions ordinaires du public (...) »38

Les fenêtres que sont les écrans ou les projections vidéo sur une scène de spectacle vivant, nous renvoient, à l'image des marionnettes de Kleist, vers une pureté originelle.

Ces images, vidées de toute conscience autre que celle du créateur / réalisateur (à l'image de la marionnette et du marionnettiste), ouvrent sur le plateau un autre temps. Un temps de la « potentialité » entre les humains présents sur scène ou dans l'univers, et les humains présents par l'emploi de l'image vidéo, un temps de tous les possibles (voir annexes 3 a, page III).

Deux temps et deux espaces se rencontrent. Le croisement de ces deux réalités (comme pour les autres leviers abordés précédemment) nous entraîne dans un au- delà de l'action dramatique. Quelle(s) relation(s) trouble(s) est (sont) envisageable(s) entre un « corps fait de lumière »39 et un corps de chair et de sang? Il semble évident que l'emploi de la vidéo sur la scène ne peut se limiter à un simple usage illustratif se substituant aux décors de peintures et de carton-pâte. Ici, aujourd'hui, plus que pour tout autre levier probablement, il y a nécessité de sens.

38 Béatrice Picon-Vallin (sous la direction de), Les écrans sur la scène, édition l'age d'homme 1998, p. 10.

39 Giorgio Barberio Corsetti, in Les écrans sur la scène, sous la direction de Béatrice Picon-Vallin, édition l'age d'homme 1998, p. 306.

L'image sur la scène (et ailleurs) n'est pas neutre, sa manipulation ne peut s'effectuer avec légèreté. « On ne saurait créditer l'image d'un taux de confiance excessif » nous dit le metteur en scène Peter Sellars. Comme Craig et sa sur- marionnette, ne faut-il pas alors chercher à créer un langage « sur-vidéo » ? Un langage où l'image serait la plus neutre possible et porterait un sens fort sans être affectée par le point de vue ou le sentiment personnel du réalisateur et de tous les « parasites » qui peuvent venir s'y greffer, une émotion « accidentelle » qui viendrait « charger » l'image et l'éloigner de son objectif premier : être le levier vers un ailleurs, nous emmener ailleurs, être un lieu de passage.

Là encore, c'est Peter Sellars qui nous permet d'avancer lorsqu'il nous parle de l'utilisation de la vidéo dans son spectacle Le marchand de Venise : « L'image est gain de visible, gain de conscience autant que perte du réel ».

On comprend bien, grâce à cette remarque, combien l'emploi du levier vidéo sur une scène est ambigu. Cette « déchirure de sens » nous plonge une fois de plus dans un sentiment trouble, un sentiment d'appartenance de l'image vidéo sur la scène à un monde quasi inaccessible. Il est à noter que ce sentiment est accentué par le décalage temporel de l'action vidéo filmée puis diffusée ou projetée.

Dans le cas du direct, la vidéo déclenche un sentiment d'écho qui nous projette dans un espace mental étrange, celui de la vision. Vision qui par ailleurs nous semble un terme tout à fait approprié de par sa double définition. La vision peut, dans un premier temps, être entendue comme la perception de l'organe de la vue40. Dans un second temps, la vision peut être définie comme la « perception imaginaire d'objet irréel » 41.

Le sentiment d'écho donc, que provoque la vidéo sur la scène, sollicite ces deux sens du mot « vision ». Pour être plus précis encore, on peut dire qu'il croise ces deux définitions pour en créer une troisième. L'oeil perçoit bien, rien d'imaginaire à cela mais l'objet perçu est irréel. Nous sommes donc entre la perception physique, réelle et la perception imaginaire, irréelle, virtuelle.

Rappelons-nous la phrase de Merleau Ponty : «Toute vision a lieu quelque part dans l'espace tactile»42. Aujourd'hui avec l'emploi de la vidéo ou de la projection vidéo, l'espace tactile peut ne plus exister, nos visions, fantômes d'un ailleurs sur la

40 « Vision », in Le nouveau petit Larousse grand format en couleur, Edition Larousse, Bordas, 1998.

41 Ibidem

42 Cité par Jean-François Peyret, « Texte, scène et vidéo » in Les écrans sur la scène, sous la direction de Béatrice Picon-Vallin, Edition l'age d'homme 1998, p. 278.

scène, ne sont plus nécessairement issues d'un espace tangible, voire même d'un espace réel.

En effet, l'outil vidéo ou l'emploi de réseaux tel Internet ou Intranet à des fins spectaculaires permet de « donner vie » sur une scène à des images réalisées dans un autre lieu, un autre temps voire même, dans certains cas d'images entièrement électroniques, n'ayant pas une existence réelle mais exclusivement virtuelle.

Il est important de préciser ici la différence entre l'outil analogique tel la vidéo analogique, l'outil numérique comme la vidéo numérique, l'ordinateur, et un troisième outil encore, atypique car il rassemble en une forme de synthèse les deux précédents pour en donner un troisième ; l'outil Internet.

L'outil numérique utilise un calculateur numérique qui fonctionne sur des nombres discontinus. L'outil analogique lui, par opposition, transforme les données en valeurs physiques continues (longueur, angles, intensité de courant etc.) avant de les traiter.43 Il en résulte deux esthétiques fort différentes. Ces esthétiques (analogiques et numériques) passées par le « filtre Internet » en donne une troisième, différente encore, et renforce leur pouvoir de (re)présenter des espaces et/ou figures éthérées. Ces « mises en scène de l'absence » sont très clairement présentes dans des spectacles comme Foirade/Fizzles 44 mis en scène par Michaël Rush ou encore L'homme qui 45 de Peter Brook, (voir annexes 3 b, page III).

Dans L'homme qui, par exemple, les images vidéo « fonctionnent comme un dispositif de miroir pour le personnage principal qui oublie chaque instant dès lors que celui-ci s'est écoulé » 46 . Dans Foirades/Fizzles Michael Rush adapte un texte de Beckett et en plaçant sur la scène des « images fixes et animées [il confère] des épaisseurs de temps et de mémoire aux voix des personnages de Beckett »47.

Le groupe « La Fura dels Baus » dans son F@ust version 3.0 48 a mis en scène cet espace de l'ailleurs vers lequel nous projette l'emploi des images ou de projections vidéo sur la scène par le trouble qu'elles induisent.

C'est aussi, entres autres interrogations que nous étudierons dans la seconde partie
de ce travail, avec cette présence/absence de l'humain et l'éclatement géographique

43 « Numérique », in Le nouveau petit Larousse grand format en couleur, ed Larousse, Bordas, 1998.

44 Foirades/Fizzles de Samuel Beckett, adapté et mis en scène par Michaël Rush, 1994.

45 L'homme qui d'Olivier Sacks, adapté et mis en scène par Peter Brook, 1992.

46 Rush Michael, Les nouveaux médias dans l'art, éditions. thames & Hudson, 2000, p. 72.

47 Ibidem, p. 75.

48 F@ust version 3.0, Opéra interactif, La Fura dels Baus, 1998.

et topographique de la scène que joue le groupe « e-toile » dans sa série de Bals49. Qu'ils emploient le levier vidéo ou le « levier réseau », c'est clairement dans un éclatement spatio-temporel de la scène que tout ces artistes et groupe de créateurs nous entraînent. Dans ces différents cas, « l'ici et maintenant » de la représentation est bousculée par l'incursion de « l'ailleurs et l'avant » porté par l'image vidéo. « L'avant » étant le temps de l'enregistrement de l'image vidéo ou de sa conception. Nous appelons le temps de la représentation (jeu du comédien) T. On note que le temps de l'action du comédien, enregistrée ou ayant été effectuée en « live » est en décalage par rapport au temps de sa réception par le public. Celui-ci reçoit l'information visuelle et / ou sonore en T+n (n étant le temps de la transmission pour chaque spectateur dans le théâtre) ou en T+x (x étant le temps de transmission pour chaque internaute connecté au spectacle). Le temps de transmission / réception par une interface technologique étant plus long que pour « l'interface corps » on en déduit que : x>n.

Lors de la lecture de l'image représentée sur scène cette image est en fait dans un autre temps que celui de la scène ; elle est en T+n ou en T+x. Sa présence n'est en fait que le reflet d'une absence. L'image donne ici par l'emploi du levier vidéo « corps » à l'absence. Un esprit virtuel semble s'incarner sur la scène ou tout au moins, prend part à l'action dramatique présente et présentée, et cela, sans être physiquement réellement là, sur le plateau.

Nos fantômes d'aujourd'hui n'ont plus besoin de corps pour exister. C'est ce vide et paradoxalement cette présence (virtuelle) que cristallise sur la scène l'outil vidéo. Ce paradoxe ouvre au spectateur un état de conscience particulier, état de réception de l'au-delà de la scène mais aussi état de projection mentale (grâce au support visuel) vers cet ailleurs. En effet, Il était jusqu'alors nécessaire d'incarner les fantômes et autres corps de l'au-delà pour les faire exister sur la scène. Dorénavant, nulle présence réelle n'est requise, aucune incarnation pour que soit « présent » sur scène des créatures de l'ailleurs, fantômes et autres chimères. Le levier vidéo et/ou réseau a cette aptitude fantastique à rendre, d'une certaine façon, présent l'absent.

« Ces images, multitudes d'ectoplasmes issues de la chimie, de la lumière, du nombre, de l'électronique, composées de pixels, semblent parler de la mort, alors que le corps parlerait de la vie... A moins que ce ne soit l'inverse, puisque l'image est

49 Bals , Chorégraphie interactive du groupe e-toile, direction artistique Cécile Huet, 2003.

aussi résurrection d'entre le monde des morts. Et l'on sait bien que c'est en faisant passer sur la scène le souffle de la mort que Meyerhold, avec la dramaturgie symboliste, et plus tard Kantor ont donné à voir le vivant de leur époque »50.

Les écrans vidéo et (ou) les projections vidéo sur la scène seraient comme un appel d'air de l'au-delà (voir annexes 4, page IV), au même titre que les automates, les masques, les mansions, les effigies ou les marionnettes ?

Et si, comme l'a justement remarqué Béatrice Picon-Vallin au sujet de Meyerhold et de Kantor, il s'agissait pour les leviers qu'ils utilisaient (effigies et marionnettes sur la scène) de simplement nous mettre face à notre temps, nous donner à voir le vivant de notre époque ? Ces leviers agiraient donc, en plus de leur pouvoir d'ouvrir les portes de la perception vers un ailleurs de la scène, comme révélateurs du présent.

50 Béatrice Picon-Vallin (sous la direction de), Les écrans sur la scène, Edition l'age d'homme 1998, p. 11.

Conclusion de la première partie :

Il nous semble à présent clair, au regard de la première partie de ce travail, que la scène porte en elle une part d'invisible, de « sur-visible » et qu'à travers l'histoire les hommes ont tentés, parfois réussi, à établir des liens avec cet autre côté de la scène. Ces liens s'établirent par l'utilisation sur la scène de leviers dont nous venons de donner quelques exemples. L'utilisation de techniques sur la scène est une des portes qu'il est possible de pousser pour ouvrir au spectateur des possibilités d'intuitions, de sensations, d'un au-delà de la scène sur la scène. Nous avons vu, de plus, comment le glissement de l'au-delà religieux vers l'ailleurs métaphysique s'est effectué.

Le rapide parcours historique que nous venons d'effectuer plante ainsi le décor de notre travail et le situe dans un rapport à des questions qui trouvent leurs résonances dans l'histoire et qui sont posées au et par le théâtre : qui est là, avec qui sommes- nous ?

Il ne s'est pas agi pour nous, dans la première partie de cette étude, de répondre à cette question mais d'en définir les contours. La seconde partie de ce travail ne répondra pas plus à cette question, qui par ailleurs, nous semble difficile à résoudre, mais elle nous permettra de voir, par deux exemples concrets, les frontières de ce « où sommes-nous ? » remises en questions par deux exemples contemporains de l'utilisation des nouvelles technologies sur la scène.

Au-delà ou ailleurs51, la scène porte en elle une part d'ombre que la technique, des prémisses spectaculaires à nos jours, a pu et peut mettre en exergue. Tachons de voir comment, aujourd'hui, cette quête par la lumière (électronique et numérique) nous révèle la face cachée de la scène.

51 Cf supra p. 7, avertissement.

Deuxième partie : exemples d'utilisation contemporaine de « leviers ».

Dans la seconde partie de ce travail nous tâcherons de définir, ou tout au moins, de cerner les enjeux et problématiques que pose l'utilisation du « levier vidéo » et du « levier nouvelles technologies » sur la scène au travers de deux exemples concrets. Notre premier exemple est le travail du metteur en scène québécois Robert Lepage, son approche de la scène et son utilisation des technologies. Nous analyserons, afin de mieux comprendre son travail, le spectacle La face cachée de la lune.

Notre second exemple est le groupe de recherche et de création e-toile.

Ce groupe français fondé en 1999 par Cécile Huet et Yannick Bressan interroge dans ses créations l'utilisation des réseaux internet et intranet sur la scène. Il conçoit aussi des spectacles interactifs exclusivement visibles sur Internet.

Nous comprendrons mieux leurs recherches en nous intéressant à deux de leur créations : Côté noir / Côté blanc et Bals.

Nous nous interrogerons, enfin, dans cette seconde partie sur la mise en abîme de la scène et, plus précisément, de « l'ailleurs de la scène » dans laquelle nous plonge l'utilisation du « levier réseau » et vidéo.

Avant de se pencher sur le travail de ces deux « décortiqueurs » et modeleurs d'images référons-nous à cette pensée de Régis Debray à relier à nos deux objets d'études :

« Penser l'image suppose en premier lieu qu'on ne confonde pas pensée et langage. Puisque l'image fait penser par d'autres moyens qu'une combinatoire de signes»52. L'image, telle que nous allons l'étudier dans nos deux exemples, s'enrichit de codes, d'émotions et d'ouvertures au-delà même du signe. Elle est un alphabet complexe et, semble-t-il, non finit, à la disposition des artistes. Les voix de la pensée ouverte sont très clairement au-delà du signe. Nous tacherons de montrer où elles se situent et vers où elles vont.

52 Debray Régis, Vie et mort de l'image, coll. Folio essais, Editions Gallimard, 1997, p. 64.

A . L'exemple de Robert Lepage.

La technologie sur la scène au service de la poésie.

1. Robert Lepage metteur en scène.

Examinons à présent, à la lumière du travail du « faiseur d'images » québécois Robert Lepage, l'utilisation du « levier vidéo / nouvelles technologies » sur la scène. Voyons, dans un premier temps, comment Lepage envisage son métier de « metteur en scène.

Il est important, en préambule, de noter que Robert Lepage n'est pas venu tout de suite à l'emploi de l'outil vidéo, dans son travail d'homme de théâtre. En effet : « L'intégration de la vidéo est venue un peu plus tard, parce qu'elle exigeait des moyens qui n'étaient pas nécessairement accessibles aux gens de théâtre »53

C'est l'influence du théâtre international et européen qui va amener Robert Lepage à un théâtre d'image (Bausch, Wilson).

Les points d'ancrages de cet homme complexe ne sont pas aisés à fixer dans des limites précises. Metteur en scène, auteur scénique, comédien, cinéaste, Lepage, homme de théâtre, échappe à toutes les tentatives de le cataloguer, de le cerner, de le restreindre. Néanmoins nous avons pu relever des constantes dans ce travail riche et atypique.

Il nous a semblé pouvoir dégager trois pistes constantes dans le travail de Lepage : le texte, la scène, la technologie. Il est évident que ces trois points s'interpénètrent mais les isoler en permet une lecture plus claire.

53 Cf. Robert Lepage « Du thêatre d'ombres aux technologies contemporaines » in Les écrans sur la scène, sous la direction de Béatrice Picon-Vallin, Editions L'age d'homme 1998, pp. 325-332.

Le texte :

C'est dans un premier temps son rôle et son regard d'acteur qui, dans ses créations, prime tant au niveau du choix du texte que des prises de parties artistiques :

« En tant qu'acteur, mon intérêt pour Hamlet est ancien, mais il ne s'agissait pas de proposer une interprétation de plus. Mon défi se situait plutôt au niveau de la narration, dans sa façon de donner le texte : je voulais « raconter » Hamlet et non le jouer »54. Pour Lepage, l'image scénique est un « composé d'images »55 multiple comme autant de portes à passer pour aller vers un sens subtil du texte. Cette compréhension du texte passe, d'après lui, par une lecture éclatée de la pièce notamment grâce à l'utilisation des techniques (nouvelles et autres) mais aussi par une recomposition, par le spectateur, d'un sens qui lui est propre.

Lepage va plus loin encore et souhaite faire « éclater la lecture du spectateur », lui donner à voir (lire) plus que ses yeux ne lui offre dans une première lecture, en d'autres termes, il souhaite faire entrer le spectateur dans le texte par des portes multiples, inattendues, surprenantes, inusitées.

Sans aller jusqu'à la vision de Claude Régy pour qui le spectacle est situé au delà des yeux du spectateur, il semble certain que Lepage désire, par le recours à l'imaginaire du spectateur, l'entraîner dans un monde intérieur d' « éblouissement, [de] plaisir, [de] beauté des images scéniques »56 qui ouvrira immanquablement le spectateur à un autre regard sur le texte présenté.

Cette exigence semble être un des « leitmotiv » de Lepage : donner à voir (comprendre) un texte autrement par une lecture entre les lignes, une relecture.

Ce « texte matière première » est composé d'une façon particulière qui dès sa genèse intègre le spectateur et son regard. Ainsi Lepage dit à propos de l'écriture de ses spectacles :

« Il faut inviter le spectateur sur scène. (...) Le spectateur participe parce que le
spectacle se développe à son contact. (...) c'est à la suite de la confrontation avec le

54 Robert Lepage, « Eloge de la technologie bancale » in Puck n°9, Editions Institut International de la Marionnette, 1996, p. 39.

55 Fouquet Ludovic, De la boîte à l'écran, le langage scénique de Robert Lepage. Thèse sous la direction de Mme Béatrice Picon-Vallin, Université de Nanterre, Paris X, Ecole Doctorale Lettres, Langues, Spectacles, 2002, p. 8.

56 Ibidem p. 9.

public qu'on écrit. On n'écrit pas pour lui faire plaisir mais on écoute ce qu'il a à nous renvoyer. (...) » 57

En utilisant ce processus de création Lepage se positionne à rebours d'un processus de création classique. L'écriture textuelle ne préexiste pas dans une forme aboutie, elle est à inventer jusqu'au dernier jour, la première du spectacle, et reste encore après cette première sujette à modifications, changements et autres développements.

« Pour moi, (...) la première, c'est le premier jour d'écriture, c'est là que ça commence, tout le reste n'est finalement qu'un travail préparatoire. »58

Nous venons de situer une des premières préoccupations de Lepage dans son engagement de metteur en scène à savoir la primauté du texte et un désir de le montrer autrement, mais pas le désir d'un texte pré-établi : la primauté va au texte en devenir. Lepage met alors en place une technique de travail qui tient beaucoup du « work in progress », de l'élaboration et de la construction du travail artistique durant la réalisation de l'oeuvre. Un « work in progress », écriture vivante, dynamique, c'est ce que semble privilégier Lepage. En effet, elle lui octroie la souplesse et la réactivité dont il a besoin dans l'écriture de ses spectacles.

« Il importe moins de produire un objet fini, une chose close, définitive, que de travailler à une oeuvre en train de s'organiser »59.

L'approche de Lepage comme metteur en scène est, par le texte et sa construction, une expérience perpétuelle, un processus de création sans cesse réactivé. Depuis quelques années il est arrivé à Lepage de partir de textes écrits pour, monter et construire ses spectacles. Il faut tout de même noter que, pour lui, de prime abord, le texte figé est trop souvent un compte rendu, le « fantôme d'un événement qui s `est passé »60 . Il est évident que cette vision du texte « pré-écrit » entre en opposition avec celle, plus proche de lui, où celui-ci se construit sans cesse. Lepage cherche à se débarrasser du préjugé de la « centralité » du texte61, il cherche à le rendre

57 Hivernat Pierre, Véronique Klein, « Histoires parallèles. Entretien avec Robert Lepage » in Les Inrockuptibles, n°77, 1996. pp. 30, 31.

58 Ibidem pp. 30, 31.

59 Hébert Chantal et Irène Perelli-Contos, La face cachée du théâtre de l'image, l'Harmattan, 2001, p. 57.

60 Ibidem p. 57.

61 Cf. ibidem p. 57.

mobile, mouvant en accord avec la création et le temps de création. L'un et l'autre, texte et création scénique, sont intimement liés dans un même processus.

La scène :

Ce sont les « multiples reflets de la scène »62 que souhaite convoquer Lepage sous les yeux du spectateur, faire éclater l'unité du plateau sans jamais oublier de laisser entendre le texte, point important de son activité de créateur nous l'avons vu.

La scène lepagienne est le lieu, majeur, où vont prendre forme les chemins multiples offerts à l'attention et à l'imagination du spectateur. Le désir du metteur en scène, dans son rapport à la scène et la lecture qui en est faite par le public, est très justement présenté par Ludovic Fouquet: « (...) la relation à la scène [mêle] acuité du regard et recours à l'imaginaire (...) »63.

La scène est donc, pour Lepage, le lieu de l'entre-deux où le virtuel et le réel s'entrechoquent. C'est au sein de cet espace qu'est convoqué la « réalité intermédiaire »64 . Un lieu où la « pensée du voyageur conserve sa puissance active, créatrice »65 . Si il est une constante, essentielle et forte, pour Robert Lepage, il s'agit de la pré-existence du plateau scénique. C'est sur et pour cet endroit, symbolique donc complexe que tout se pense d'abord. « Nous voudrions nous intéresser à la manière dont est pensé ce plateau scénique, comment il est porteur d'une mission essentielle, vecteur premier de la célébration qu'est le théâtre pour Lepage »66 . Le terme de « célébration » pour parler de la scène chez Lepage nous semble ici des plus justes. Il s'agit bien, sur la scène et par elle, de célébrer, d'exalter, de louer, avec éclat l'action de la scène et de la rendre le catalyseur, par la force de cette célébration, de visions intérieures fortes. Célébrer, c'est aussi accomplir

62 Fouquet Ludovic, De la boîte à l'écran, le langage scénique de Robert Lepage. Thèse sous la direction de Mme Béatrice Picon-Vallin, Université de Nanterre, Paris X, Ecole Doctorale Lettres, Langues, Spectacles, 2002, p. 8.

63 Ibidem p. 9.

64 Philippe Quéau, « Les frontières du virtuel et du réel » in Esthétique des Arts médiatiques, de Louise Poissant, t 1, Presses de l'Université du Québec, Montréal, 1995, p. 351.

65 Hébert Chantal et Irène Perelli-Contos, La face cachée du théâtre de l'image, l'Harmattan, 2001, p. 60.

66 Fouquet Ludovic, De la boîte à l'écran, le langage scénique de Robert Lepage. Thèse sous la direction de Mme Béatrice Picon-Vallin, Université de Nanterre, Paris X, Ecole Doctorale Lettres, Langues, Spectacles, 2002, p.1 1.

solennellement. L'acte scénique chez Lepage est empreint de solennité. Il est réfléchi et mûri. Il nécessite un engagement total des acteurs et des autres protagonistes de la scène. La scénographie est très importante dans son travail. Elle se doit d'être habile, étonnante. Le jeu de la surprise et ses constituantes est, sur la scène « lepagienne », sans cesse réinventés. C'est « (...) Une capacité à créer de la magie avec peu de chose et dans des contrepoints visuels étonnants »67 qui confère à cette scène une atmosphère si séduisante et parfois aussi étrange. C'est probablement l'une des clefs qui explique que l'on parle souvent de magie pour qualifier les créations de Lepage. L'emploi de leviers technologiques (vidéo) entre bien entendu sur la scène dans cette logique. La scène est transversale. Elle est un pont entre deux rives. Les artifices utilisés, quels qu'ils soient, technologiques ou autres (comme les marionnettes), ne se cachent pas, ils se transforment. Comme par magie.

Pour conclure ce point concernant la scène chez Lepage il nous semble important de rappeler et d'insister sur le fait qu'elle est le lieu où tout se fait, tout se crée, tout a lieu. Elle constitue « les viscères où a lieu le développement de l'embryon et du foetus »68 : la matrice.

La technologie :

Une des clefs qui semble être la démarche de Robert Lepage pour concevoir ses mises en scène et son rapport aux nouvelles technologies réside certainement dans le rapport qu'il entretient avec elles. Il importe de souligner que l'« impact poétique » véhiculé par les (nouvelles) technologies sur la scène permet à l'effet sensible, porté par la scène, d'être accessible immédiatement en donnant un corps (de lumière) aux rêveries et aux visions du metteur en scène. C'est l'immédiateté de « l'impact poétique » provoqué par la scène et son dispositif qui est un des éléments qui pousse Lepage, dans ses mises en scène, à utiliser les (nouvelles) technologies.

Ce sont l'ingéniosité technique et l'utilisation de points de vues originaux qui sont, ensemble, partagés avec (par) le public, pour aller vers une force scénique qui nous entraîne dans un dévoilement du texte inattendu.

67 Ibidem, p.10.

68 « Matrice », in Le nouveau petit Larousse grand format en couleur, ed Larousse, Bordas, 1998.

« Je voulais entrer dans la pièce par une porte différente, pour voir comment les nouvelles technologies -ainsi que les plus anciennes- nous amènent à une nouvelle lecture du texte »69 . Le « levier nouvelle technologie » est, chez Lepage, un exemple fort intéressant dans le cadre de notre recherche. En effet, ce levier utilisé parallèlement à une forte recherche textuelle propose au spectateur d'entrer dans une dimension extra-spectaculaire. Le levier est, dans le cas de Lepage, une vraie porte vers l'au-delà, une fenêtre qui offre la vision d'un ailleurs de la scène, un « au- delà du sens »70 . Il est frappant de constater avec quelle simplicité apparente la technologie prend place dans ses spectacles. Pourtant, pour lui, la technologie n'est pas d'un emploi aisé sur la scène et son utilisation est parfois un échec. Lepage nous dit à ce sujet : « Parfois la rencontre de la technologie et du texte est heureuse, parfois elle ne l'est pas (...) »71.

Comme nous l'avons noté, Lepage souhaite employer les nouvelles technologies pour nous présenter un envers du décors, ou plus précisément, un envers du visible. Toutes les portes ouvertes par la technologie sur la scène ont pour objectif avoué de donner accès au spectateur à une autre lecture de la pièce jouée sous ses yeux. Lepage exprime très clairement cette volonté lorsqu'il dit : « Le fait d'utiliser les nouvelles technologies nous fait découvrir que peut-être la pièce raconte des choses qu'on n'imaginait pas » 72 . Une fois de plus, Lepage parle de l'imagination comme le moteur d'actions ou/et de réalisations scéniques.

I-magi(e)-nation. Voici donc, pour l'implication de la technologie dans les créations de Lepage, un maître-mot.

Le levier technologique est donc cet outil qui permet à Lepage d'accéder et de faire accéder le spectateur à un nouvel éclairage sur le texte par un voyage intérieur.

Il reconnaît la difficulté et la nécessité expérimentale relative à l'emploi des nouvelles technologies sur la scène. Pour bien comprendre avec quelle rigueur et quelle précision Lepage entend l'utilisation du levier technologique, il est intéressant de constater que celui-ci compare cet emploi à celui d'un « nouvel instrument de

69 Robert Lepage, « Eloge de la technologie bancale », in Puck n°9, Editions Institut International de la Marionnette, 1996, p. 39.

70 Régy Claude, L'ordre des morts, édition Les solitaires intempestifs, 1999, p. 54.

71 Robert Lepage, « Eloge de la technologie bancale », in Puck n°9, Editions Institut International de la Marionnette, 1996, p. 39.

72 Ibidem, p. 39.

musique »73 qu'il est nécessaire d'explorer pour en définir les codes d'utilisations et les limites.

Un autre point important est à souligner. Lepage affirme : « [Les] moyens techniques (...) rendent le contact avec le public plus intime»74. Cela peut sembler à-priori paradoxal. En effet, comment l'image projetée d'un acteur peut rendre le contact de celui-ci avec le public plus intime que si le comédien était réellement là, en chair et en os ? Lepage, par l'utilisation d'écrans, de gros plans et d'autres techniques, judicieusement employées, utilise les codes et les systèmes de l'amplification cinématographique. C'est dans cette amplification, changement d'échelle et autres jeux de perceptions, qu'il met en place une façon de se rapprocher du spectateur. La technique, ainsi utilisée, lui permet de scruter l'intime du comédien (battement de cils, expression du regard, etc.) et place le spectateur dans un rapport inhabituel à la scène et à ces protagonistes. Les deux dimensions des écrans, leur élargissement, de même que l'impalpable de l'image renvoient à une nouvelle intimité de la scène et des spectateurs. Pour le spectateur, l'intimité avec le corps absent, le corps fantasmé, le corps représenté, n'en est que plus forte, plus troublante. Pour saisir un peu mieux ce trouble des sens, du désir et de la fascination de l'image sur la scène lepagienne, ainsi que chez d'autres metteurs en scène utilisant sensiblement les mêmes techniques, David Le Breton avance, à ce propos, des pistes des plus pertinentes lorsqu'il écrit : « La séduction ici est radicale en ce qu `elle élimine absolument la chair pour se donner comme une trame d'apparence (...) »75. C'est en brillant par son absence que le corps se fait désirable et étrangement proche, très proche, dans notre imagination. En nous donc. L'intime est certainement là, entre notre perception d'une image sur la scène et la traduction qu'en donnera notre esprit de spectateur ; entre nous et nous-même se niche l'intime que Lepage déclenche par le truchement du levier (nouvelle) technologie.

Nous venons d'examiner les trois points qui, dans l'activité de Lepage metteur en scène, nous semblent primordiaux : le texte, la scène et la technologie. De plus un autre élément apparaît en filigrane dans les trois autres. Ce quatrième élément est celui qui confère à la scène lepagienne ses caractéristiques et particularités. Il s'agit

73 Ibidem p. 39.

74 Ibidem p. 39.

75 Le Breton David, « La cybersexualité ou le corps en disquette », in L'Adieu au corps, Editions Métailié 1999, p.168.

d'une poésie immédiatement perceptible, pleine de tendresse et d'humour mais qui porte aussi, derrière le masque du sourire ou du rire, un regard extrêmement critique sur notre monde contemporain.

S'il est une évidence à retenir, pour conclure cette première partie de notre étude consacrée à Robert Lepage, c'est la complexité étonnante au centre de laquelle il se situe en tant que praticien de théâtre76. Texte, scène, technologie sont trois éléments rassemblés lors de la convocation théâtrale pour aller vers un seul but : passer « du chaos au cosmos, du désordre à l'ordre (...) »77. Apparente complexité fort étonnante, en effet, lorsque l'on assiste à une représentation d'un spectacle de Robert Lepage. Sur la scène, tout semble simple, limpide, couler de soi. La complexité, qu'elle soit technique ou, plus largement concerne la mise en scène, n'apparaît que très peu. C'est certainement un des éléments qui rend les mises en scène Lepagiennes aussi propices à « l'envol de l'esprit » du spectateur. Le levier technologique n'est qu'un pont offert à la rêverie et à l'imagination des spectateurs et non la (dé)monstration d'une lourde machinerie. «Théâtraliser la technologie et non l'inverse » (Ludovic Fouquet, p. 11, 2002.) semble nous dire en substance Lepage malgré son utilisation d'une machinerie parfois lourde sur la scène.

2. La face cachée de la lune.

L'étude que nous allons entreprendre à présent porte sur La face cachée de la lune, un spectacle de Robert Lepage conçut en 2000 et présentée par deux fois au Maillon, à Strasbourg en 2002 et en 2003. Nous nous fonderont, pour notre étude, sur les deux représentations Strasbourgeoises.

Dans La face cachée de la lune, Lepage joue avec un univers en trompe l'oeil mais aussi fantasmagorique pour reprendre un mot cher à Méliès.

Il est intéressant de noter que « fantasmagorie » vient du grec « phantasma » qui
signifie « apparition ». La première définition que nous donne le Larousse de
fantasmagorie est, au regard du travail de Lepage, encore plus éclairante : « Art de

76 Cf. Hébert Chantal et Irène Perelli-Contos, « Un praticien de la complexité : Robert Lepage. » in La face cachée du théâtre de l'image, l'Harmattan, 2001, pp. 17-26.

77 Ibidem, p. 32.

faire apparaître des fantômes dans une salle obscure avec l'aide d'illusions d'optique » 78.

De plus, comme le soulignent Chantal Hébert et Irène Perelli-Contos, le théâtre de l'image, bien que remontant bien avant les années quatre-vingt, a vu « (...) la consolidation d'un langage théâtral imagé à partir de cette décennie. Fondé sur une écriture scénique dont la forme ou la disposition signifie moins que les mouvements et les métamorphoses, ce langage consiste en des images multidimensionnelles qui, en suscitant des correspondances ou des associations visuelles illimitées, donne la « parole » au regard du spectateur »79 . C'est bien dans cette inquiétude que le travail de Lepage joue d'apparitions lors de ses spectacles dont celui qui nous concerne ici : La face cachée de la lune. Effectivement, de « flash-back » en mondes imaginaires, oniriques, de nombreux univers sont convoqués sur la scène lepagienne. Dans cette profusion de sensations ludiques, troublantes et envoûtantes, il s'agit bien de faire parler le regard du spectateur.

Le terme « fantasmagorique », nous l'avons vu précédemment, s'applique très justement au travail de Lepage homme de théâtre. N'oublions pas que celui-ci est également un cinéaste80. Ce terme est d'autant plus pertinent pour qualifier le travail de Lepage créateur qu'il semble être le pivot entre les deux « disciplines », théâtre et cinéma entre lesquelles Lepage navigue.

Son théâtre « par l'intégration d'autres univers tels que le cinéma, la vidéo (...) » redéfinit « (...) un nouveau spectateur, qui tiendrait à la fois du spectateur de théâtre traditionnel, du lecteur et du spectateur de cinéma (capacité à lire les didascalies, à sauter dans le temps, à superposer les informations) »81 . Pour reprendre une expression de Chantal Hébert et Irène Perelli-Contos, la scène chez Lepage est comme un « écran de visualisation »82.

78 « Fantasmagorique », in Le nouveau petit Larousse grand format en couleur, Larousse, Bordas, 1998.

79 Chantal Hébert et Irène Perelli-Contos, La face cachée du théâtre de l'image, L'harmattan 2001. p.11.

80 « Le confessionnal », 1995 ; « Le polygraphe », 1997.

81 Béatrice Picon-Vallin (sous la direction de), Katérina Flora, « Archaos et le piège des images », in Les écrans sur la scène, Editions L'age d'homme 1998, pp. 253-255.

82 Chantal Hébert et Irène Perelli-Contos, La face cachée du théâtre de l'image, L'harmattan 2001, pp. 179-195.

Plus précisément dans La face cachée de la lune, la scène est un univers où les surprises et étonnements se succèdent sous une forme quasi-filmique par le découpage des tableaux, les « cut » mais aussi parfois les sensations de fondues enchaînées par, entres autres, la lumière, l'emploie de la musique, des projections vidéo...

Sur la scène, l'action est portée par le comédien Yves Jacques qui, seul, campe l'ensemble des rôles.

Il est, tour à tour, Philippe et André, deux frères dont les univers de vie sont diamétralement opposés. Philippe est un universitaire idéaliste, sensible, sans argent, vivant de petits boulots médiocres. Il est surtout féru de conquête spatiale. André, lui, est une vedette de la météo à la télévision. Il est égocentrique, matérialiste et ne comprend pas l'attitude de son frère aîné et l'intérêt réel de ses recherches. L'écart entre deux mondes est posé et se creusera tout au long du spectacle malgré la tendresse réelle entre les deux frères qui apparaît fortement lorsque André annonce par téléphone à Philippe, retenu en Russie pour un colloque, que celui-ci à une fois de plus échoué à la soutenance de son doctorat.

La grande force de la mise en scène de Lepage est, ici, de nous présenter les situations les unes derrières les autres, dans un enchaînement quasi effréné de type « zapping », mais sans céder à la tentation de l'image reine.

La démarche qu'il emploie pour construire ses spectacles avec l'utilisation des nouvelles technologies mais aussi le rapport qu'il entretient avec elles est certainement l'une des clefs qui chez Lepage permet d'éviter le piège de l'image creuse, vide de sens, simple effet, jouer avec la technique et ses dangers :

« Il faut que le spectacle montre son côté un peu bancal, avec les machines qui parfois font du bruit, tombent, ou ne fonctionnent pas. Il faut montrer qu'il y a un danger et que ce danger est réel [...] »83.

Nous avons vu précédemment84 combien, pour Lepage, l'utilisation de la technologie n'est pas d'un emploi aisé sur la scène et peut même se révéler parfois être un échec. Celui-ci poursuit, néanmoins, ses recherches et expériences scéniques dans ce domaine et pose une réflexion sur l'emploie des nouvelles technologies au

83 Robert Lepage, « Eloge de la technologie bancale » in PUCK n° 9, Editions Institut International de la Marionnette 199, p. 42.

84 Cf. supra p. 37.

théâtre. Si Lepage utilise la technologie vidéo, il emploie aussi les marionnettes dans La face cachée de la lune, et donne à voir au spectateur plusieurs lieux qui coexistent en un même espace mais aussi plusieurs temps.

En fait, toute la perception du texte est bousculée par l'emploi de leviers qui de façon le plus souvent ludique entraînent le public vers un « ailleurs » de la scène, « ailleurs » du regard. Lorsqu'une marionnette « cosmonaute », par exemple, entre sur la scène, le « vivant » du comédien se trouve confronté à de multiples univers qui se côtoient, se croisent et dans lesquels il est plongé. L'univers de bois et de chiffons de la marionnette, l'univers technique de projections vidéo et d'atmosphères sonores, l'ensemble baigné par une lumière se faisant irréelle, proche de celle, sourde, des songes. Le spectateur entend à ce moment bien plus que le texte. Texte qui par ailleurs affiche une apparente légèreté. L'essentiel est ailleurs que ce qui est dit. L'importance est dans la façon de dire, de raconter l'histoire.

Ici, par l'utilisation de différents leviers dans ce spectacle, l'indicible est vraiment à la portée du regard. L'effet est saisissant. Le spectateur, par le truchement de son imagination, devient créateur. L'ensemble du spectacle, par l'utilisation de la vidéo, plonge le spectateur dans un univers de rêve éveillé qui lui donne l'impression d'être partie prenante dans la création qui se déroule face à lui, face à ses yeux, dans sa tête.

En effet, le spectateur assiste à tout un ensemble d'images, d'idées, qui se présentent à l'esprit non pas durant le sommeil comme le voudrait la définition du rêve85, mais bien à l'état d'éveil (du moins nous pouvons le souhaiter !).

René Guénon nous parle de « combinaisons d'idées revêtues de formes subtiles (...) »86 pour définir l'état de rêve, cette définition s'applique de manière troublante à la mise en scène de La face cachée de la lune.

Chacun des tableaux semble être comme la lettre d'un alphabet. Ces lettres, mises bout à bout, dans un ordre précis, donnent au spectateur l'étrange sensation de déchiffrer un ensemble mystérieux. L'utilisation que Lepage fait des technologies sur scène n'est certes pas pour rien dans le sentiment qu'un langage poétique, parfois mystérieux, dont le sens, comme pour le rêve, est revêtit de « formes subtiles », se développe face au spectateur :

85 « Rêve », in Le nouveau petit Larousse en couleur, Larousse, 1998.

86 René Guénon, Les états multiples de l'être, Guy Trédaniel éditeur 2000, p. 41.

« Je compare souvent l'utilisation de la vidéo à toutes les techniques d'ombres chinoises, qui existent depuis des millénaires. Cette « technologie » consiste en un flambeau, ou une lumière électrique, et un sujet qui vient interrompre la lumière pour créer une poésie visuelle ou un langage visuel »87.

L'image est, ici, au service d'un propos, d'une narration, d'un rêve, parfois aussi d'une magie étirant la scène vers d'autres espaces, au-delà de la scène.

Robert Lepage s'est posé le problème du passage d'une langue à l'autre à de multiples reprises. « La pluralité linguistique [fait] partie de ses options de mise en scène (...)»88.

Lepage ne se cantonne pas au simple écran et intègre à sa mise en scène des instants où l'image devient un « fait dramatique subtil ». C'est le cas, par exemple, lorsqu'une projection sur un mur de scène donne l'impression d'une porte d'ascenseur s'ouvrant ou qu'un hublot de machine à laver dans un « lavomatic » se transforme, lorsque le comédien y passe la tête pour déposer son linge, par un jeu de caméra et de projections en une capsule spatiale. Effets vidéo et son aidant, ainsi que toutes les images fortes ayant imprimées l'(in)conscient collectif, images de ces hommes en apesanteur dans leur capsule spatiale, le résultat projette le spectateur dans un univers dramatique hallucinant au sens propre du terme, celui d'une perception sans objet. L'image est donc parfois projetée sur toutes formes de supports et ouvre de ce fait l'espace de la scène sans que le regard du spectateur converge vers un point (lumineux) précis. Par cet emploi de l'image projetée, hors du cadre d'un téléviseur, Lepage résout un problème qu'il pose en ces termes : « L'écran pose le problème suivant ; on se sent toujours obligé de le remplir »89 . En effet, il n'y a aucun « remplissage » vidéo dans La face cachée de la lune. Il s'agit, ici, de s'emparer de l'espace au moyen de la lumière. Cette utilisation de la lumière, des projections vidéo sur la scène fait de Lepage non pas un faiseur d'images, mais plutôt, un faiseur potentiel de toutes les images.

Nous avons vu plus haut la « navette/machine à laver » ainsi que l'ascenseur projeté
sur le mur, mais il y a aussi le film réalisé pour les éventuels extraterrestres et qui est
sélectionné pour être envoyé dans l'espace. On ne voit pas ce film mais on assiste à

87 Robert Lepage « Du théâtre d'ombres aux technologies contemporaines » in Les écrans sur la scène, sous la direction de Béatrice Picon-Vallin, Editions L'age d'homme 1998 p. 326.

88 Cf. Sophie Grandjean, Isabelle schwartz-Gastine, « surtitrage : texte projeté, texte-image », in La scène et les images, sous la direction de Béatrice Picon-Vallin, CNRS éditions, 2001, pp. 231-255.

89 Ibidem

son tournage. Rien n'est montré, tout se situe dans l'imaginaire du spectateur. C'est là que le film à réellement lieu. C'est là, peut-être que sont les « extraterrestres vers lesquels le film doit être envoyé. L'utilisation de la vidéo faite ici, par Lepage, nous montre clairement combien le levier vidéo, utilisé avec poésie, ouvre sur la scène un espace/temps au-delà de la scène. Ce voyage vers l'ailleurs est très clairement présenté dans cette mise en scène par la déchirure forte entre les deux personnages principaux, tous deux issus de deux univers diamétralement opposés, mais aussi grâce au personnage de Philippe. Celui-ci veut constamment être ailleurs, par ses recherches universitaires qui vont à l'encontre de l'idée communément acceptée sur l'aventure spatiale, par la drogue, lorsqu'il était plus jeune en quête d'expérience, par le film de sa vie qu'il envoie dans l'espace, vers une hypothétique vie extraterrestre mais aussi dès le début de la pièce par la perte de sa mère. La mère meurt, le fils semble s'éveiller.

Il faut donc « cesser de faire l'enfant » semble dire le spectacle alors que, paradoxalement, il semble sans cesse pousser le spectateur vers l'étonnement d'un regard d'enfant. Dès cet instant, l'action bascule dans un univers tragique et cocasse à la fois, l'image vidéo ne se contente pas d'ouvrir des espaces sur la scène, mais par le jeu d'éclairages et de musique, le spectateur est directement pris à parti et entraîné dans le bouleversement de la vie de Philippe. Sa fragilité, sur scène et celle du spectateur se sont croisées, comme une rencontre intersidérale, une rencontre du « troisième type ». La cassette de la vie de Philippe a peut être atteint son but : rencontrer une vie « extra-scénique ».

Dans ce passage, tout particulièrement, le « levier vidéo » remplit son rôle avec une extrême justesse. L'aller-retour scène / spectateurs et la rencontre de plusieurs espaces / temps se mettent en place de manière troublante, tout au long de ce spectacle, au point de plonger le spectateur dans un état de quasi-apesanteur. Cette sensation qu'il peut être amené à ressentir est d'une certaine façon représentée à la fin du spectacle lorsque Philippe, par un jeu de miroirs judicieusement disposés au plafond, donne l'impression que le comédien flotte entre ciel et terre dans l'espace scénique. Il s'agit simplement de l'image reflétée de Philippe, mais l'utilisation de ce levier atteint, ici, précisément son but : entraîner le spectateur vers un ailleurs de la scène.

Lepage a réuni sur une même scène bon nombre de leviers qui ont fait glisser son « théâtre d'image » vers un « théâtre de la projection mentale », un « théâtre du voyage de l'esprit » non simplement à des fins de divertissement mais dans une volonté de découverte de landes inexplorées, au-delà du visible et pourtant tellement présentes. Son travail a concentré sur la scène un sentiment de présence / absence mise en exergue par les leviers avec une évidence et une efficacité qui, par de simples incursions de l'inhabituel dans le réel, nous amène à repenser notre réalité quotidienne.

Il nous semble, pour conclure, pouvoir synthétiser ce spectacle et plus largement l'implication comme metteur en scène de Robert Lepage, dans une phrase : « Enchantement, magie, trouvaille, habileté, il est sans cesse question d'émerveillement, de maîtrise et de surprise »90.

B. L'exemple du groupe de recherche et de création « e-toile »

L'éclatement spatio-temporel de la représentation.

« L'ici et maintenant » du spectacle, éclaté au profit d'un « au-delà » de la scène. Ce pourrait être le credo du groupe e-toile si l'on voulait tenter de résumer en une phrase son activité. Les choses ne sont, bien entendu, pas aussi simples.

La première expérience d'e-toile que nous étudierons, Côté noir / côté blanc , est une pièce de théâtre exclusivement écrite pour Internet. La seconde, Bals, est une expérience chorégraphique interactive présentée dans un même temps à un public dans un théâtre (Marché aux Grains, théâtre de Bouxwiller) et sur Internet.

Nous tâcherons avec ces deux exemples de cerner les questions posées mais aussi de proposer des amorces de réponses aux questions posées par l'utilisation de l'outil Internet et du « levier réseau informatique en général » sur une scène de spectacle.

90 Fouquet Ludovic, De la boîte à l'écran, le langage scénique de Robert Lepage. Thèse sous la direction de Mme Béatrice Picon-Vallin, Université de Nanterre, Paris X, Ecole Doctorale Lettres, Langues, Spectacles, 2002, p.1 1.

1. Côté noir / Côté blanc 91

a) Un récit initiatique : La page web comme « espace partagé ».

Cette expérience théâtrale fut présentée à la Cité des sciences de la Villette à Paris du 23 au 29 septembre 2002 dans le cadre de « Villette numérique ».

Elle fut créée et uniquement visible sur Internet en novembre 2001. Les « streaming », envois vidéo sur le web, étaient réalisés à heures fixes depuis La Filature, Scène nationale de Mulhouse (voir photos annexes 7 A, page IX). Chacune des expériences « envoyées » sur Internet était issue d'une captation vidéo réalisée trente minutes avant que l'expérience soit accessible au public d'internautes.

Sans retoucher en aucune façon la prise de vue sur le jeu de la comédienne, les techniciens d'e-toile ajustaient les actions de jeu du vivant de la comédienne avec les éléments intervenant sur la page web. Ainsi, par exemple, lorsque la comédienne intimait l'ordre aux internautes de « cliquez tous sur le bouton rouge ! »92, un point rouge apparaissait simultanément sur la page web. Ce point rouge ou divers autres éléments apparaissant offraient à l'internaute des possibilités d'interaction avec le spectacle. Nous étudierons ces systèmes et ce choix d'interaction dans le second point de ce travail. Cette opération ne fut pas réalisable, à ce moment là, en temps réel pour des raisons techniques de synchronisation entre l'envoi du flux vidéo filmé et les éléments de la page web. Chaque ordinateur d'internaute connecté au spectacle ayant ses caractéristiques de puissance personnelle, le risque était qu'il y ait un décalage entre le jeu de la comédienne et les éléments programmés de la page web.

Il est tout de même important de noter que ces contraintes techniques n'enlevèrent aucun intérêt aux questions posées et aux éléments de réponses dégagés puisque le direct n'était pas ici en question. Il s'agissait plutôt d'interroger l'espace de la page web en tant que lieu scénique ainsi que le récit interactif.

Le personnage principal de Côté noir / Côté blanc était joué par une comédienne.
Les autres personnages étaient des éléments de la page web93. Concrètement, à

91 Aussi appelé par e-toile : CN /CB

92 Voir annexes 7 B, page X, Côté noir / Côté Blanc

93 Voir annexes 7 C, page XI Côté noir / Côté Blanc

quoi assista l'internaute qui se connecta au jour et à l'heure de l'expérience Côté noir / Côté blanc ?

Un personnage de chair et de sang se retrouvait dans un univers double, clairement évoqué par le titre du spectacle, pris à parti par des éléments composant la page web (barre d'outil, de statut etc.) et des éléments de sa réalité physique tels des cadres de bois ou divers accessoires comme un nez rouge ou des dès94. L'esprit de l'Internaute se cristallisait dans ce personnage égaré joué pour la création du spectacle par la comédienne Catherine Tartarin (comédienne issue du Théâtre National de Strasbourg).

La page Internet, entièrement noire, mis à part le navigateur gris-clair, comportait une « ouverture » sur une fenêtre vidéo (Voir annexes 7 C, page XI). Cette fenêtre vidéo ne se contentait pas, bien entendu, de diffuser la comédienne et son jeu. La vidéo et son support, la page web, s'interpénétraient, se répondaient, se bousculaient. Lorsque, par exemple, la barre de tâche, dans le haut de la fenêtre Internet, interpellait le vivant, un haut-parleur descendait de la barre en question et une voix s'adressait à la comédienne (au vivant). Celle-ci répondait et s'en suivait alors une discussion étrange entre un être vivant et un espace virtuel qui l'entourait.

Dans la progression dramaturgique de la pièce, le personnage incarné par la comédienne allait rencontrer nombre d'autres « créatures étranges » qui allaient lui donner la réplique. L'Internaute serait amené à faire des choix et à répondre (ou pas) à des injonctions du personnage incarné sur la scène-web. Il est, dans un premier temps et pour commencer l'étude de cette création, intéressant de noter que le rôle principal se nomme « le fantôme ». C'est certainement là, dans ce personnage que se trouve une des clefs de cette création.

Le fantôme au théâtre est comme le révélateur « (...) de quelque parole secrète chargée d'un savoir que seul [il] nous livrerait (...) »95. Ce personnage troublant semble en quête de lui-même. Il est, de par son double statut réel / virtuel, l'étrange, la « non-incarnation » de nos angoisses face à l'écran qui ici fait office de scène. Il est là, sous nos yeux et pourtant, il figure l'absence de l'autre. En effet, l'internaute face à son écran est seul et c'est seul qu'il vit cette expérience. Son statut de spectateur actant n'est pas clair, les frontières s'effritent entre sa place de regardeur

94 Voir annexes 7 D, page XII, Côté noir / Côté Blanc

95 Monique Borie, Le fantôme ou le théâtre qui doute, Actes sud. Académie expérimentale des théâtres, 1997, page 9.

et les choix d'actes qui lui sont proposés par un être de chair et de sang « virtuellement présent ».

Le fantôme de Côté noir / Côté blanc est la « (...) figure par excellence de la présence de l'invisible »96 . Là, dans Côté noir / Côté blanc, nulle incarnation. Le mouvement de va et vient du théâtre, incarnation / désincarnation semble, dans cette création, résolument du côté de la désincarnation, du côté de l'autre monde, du côté de l'impalpable, de l'image dans une petite boîte (l'écran de l'ordinateur). Le « non actuel » apparaît comme le seul temps en vigueur.

Non actuel dans le temps de la réception du jeu (temps écoulé entre l'acte réalisé et l'acte représenté). Non actuel dans le temps de jeu et la situation du jeu (une page web). Le temps du jeu est en effet éclaté (Cf supra, partie 1, p. 28).

La représentation du vivant qu'offre la fenêtre vidéo sur la page Internet retransmettant l'expérience présente en action un être, « le fantôme », égaré dans un espace de double réalité : la scène, celle qui est jouée dans un espace réel avec la comédienne, entourée d'une machinerie théâtrale classique de cordes et de cadres de bois97 et les évènements extérieurs à l'espace réel (actions / réactions de l'univers de la page web) tels des zones « cliquables », liens hypertextes, etc.

Ces évènements extérieurs, virtuels car non présents dans le temps de jeu de l'actrice lors de l'enregistrement vidéo, étaient malgré tout déterminants. La comédienne se devait de tenir compte de leur absence et de jouer avec ces « créatures virtuelles » (Liens hypertextes, barre d'outil et barre de statut prenant la parole grâce à un porte voix...) qui lui donnaient la réplique... Plus tard, ailleurs.

Tous les éléments interactifs ou simplement de personnalisation de la page web n'étaient pas représentés sur scène durant le temps du jeu mais la comédienne avait des directions de temps et d'espace pour que, dès que la vidéo serait placée dans la page Internet, ses mouvements de têtes et autres agissements semblent répondre et suivre précisément les actions du monde virtuel98. La page web et sa « personnalité » étaient alors le creuset de l'émotion et des interrogations du vivant de la comédienne.

96 Ibidem

97 Voir annexes 7 E, page XIV, Côté noir / Côté Blanc

98 Voir annexes 7 C et 7 F, page XI et XV Côté noir / Côté Blanc

Ici, nous pouvions parfois avoir l'impression étrange que « (...) le corps s'insère dans le virtuel comme par effraction »99. C'est, en effet, un sentiment de déchirement entre deux espaces mis en présence que procure l'incursion du vivant (la comédienne) au sein d'un ailleurs (Internet). La page web, deviendrait donc, dans le cas de cette création, un « espace partagé », espace d'une rencontre, d'actions, d'interactions entre deux mondes ? Le lieu où le virtuel et le réel, deux univers diamétralement opposés100, s'associent et créent ensemble un « tiers-univers » avec ses codes de représentation particuliers.

Les ombres et les tensions entre matériel et immatériel, visible et invisible sous- tendent bon nombre d'interrogations au théâtre. Nous retrouvons dans ce travail, comme chez Lepage ainsi que chez de nombreux autres créateurs, la même inquiétude plus ou moins marquée, la même conscience que nous pouvons résumer par la phrase d'Eliphas Lévi cité par Régis Debray101 : « Il n'y a qu'un dogme en magie : le visible est la manifestation de l'invisible ». Bien entendu, dans notre travail, la magie est le théâtre. Dans Côté noir / Côté blanc l'invisible est au coeur même de la création. La comédienne doit, nous l'avons vu, avoir sans cesse conscience de cette part invisible de l'action. C'est avec cet invisible qu'elle joue. Il est son partenaire de travail. Lui donner du crédit dans son « tour de jeu », c'est le rendre plus présent lors de la réalisation finale (« montage » de la vidéo dans la page web). C'est bien de cela dont nous parle ce spectacle. Il nous raconte les limites, parfois floues, entre la présence et l'absence. L'outil Internet, ainsi utilisé, renforce ce propos et élargit cette question des lisières entre l'actuel et le virtuel, l'ici / maintenant du théâtre et l' « ailleurs / plus tard » possibles grâce à la technologie.

Il est encore un élément particulier à cette création : l'action dramatique est ici à l'intérieur même du levier. La scène finale est l'écran d'ordinateur. Le levier sur cette scène est le potentiel même du levier utilisé à savoir l'ordinateur et le réseau. Ce qui conduit le spectateur (internaute) vers un au-delà de la scène (l'écran d'ordinateur) c'est le propre langage scénique (graphique, technique) du levier. Une des caractéristiques majeures de ce langage, employé ici à des fins spectaculaires, est

99 Philippe Quéau. « Corps virtuels. Croire ou voir » in PUCK n° 9, Editions Institut international de la marionnette. 1996. p. 13.

100 Cf. Gilles Deleuze, Claire Parnet, « L'actuel et le virtuel » in Dialogues, Champs Flammarion 1996

101 Debray Régis, Vie et mort de l'image, coll. Folio essais, Gallimard, 1997, p. 43.

certainement l'interactivité proposée au spectateur. Dans chacune des expériences d'e-toile cette interactivité, utilisée dans le développement dramaturgique du spectacle, est différente, mûrement réfléchie et adaptée au projet.

b) Un questionnement sur un type d'interactivité.

Côté noir / Côté blanc est une expérience qui, dans son développement dramaturgique, propose au spectateur d'interagir avec la spectacle. Nous l'avons vu précédemment avec l'exemple du « point rouge » (Cf. supra, p. 46).

Avant d'analyser l'interactivité utilisée dans Côté noir / Côté blanc nous nous attacherons à proposer une définition générale de la notion « d'interactivité ».

Cette définition générale se subdivise elle-même en quatre sous-définitions102. Ces quatre modes fonctionnent par dichotomies :

· Interactivité simulée - réelle.

· Interactivité fonctionnelle - intentionnelle.

· Interactivité autonome - hétéronome.

· Interactivité exogène - endogène.

La définition générale de l'interactivité appliquée à l'outil informatique qui nous semble, tout en étant succincte, pertinente est : l'utilisation d'un programme informatique faisant appel à l'intervention d'un utilisateur humain. L'interactivité ne se satisfait donc pas d'une observation passive mais exige une « prise en main » de l'homme et donc un choix, une prise de position active.

Elle rentre donc directement en contradiction avec la notion traditionnelle du spectacle et la distance physique que celui-ci entretient entre la scène et le spectateur103. L'interactivité joue un rôle de partenaire à travers les supports numériques.

Pour revenir plus spécifiquement à l'interactivité de CN/CB, elle est, pour reprendre les modèles des quatre modes dichotomiques vu ci-dessus :

102 Morelli Pierre, Multimédia et création, contribution des artistes au développement d'une écriture multimédia, Thèse sous la direction de M. Noël Nel, Université de Metz, U.F.R. Sciences Humaines et Arts, 2000, pp. 84-87.

103 Cf. tableau infra p. 74.


· Simulée : Le spectateur-net interagit avec le programme de l'expérience. L'interactivité se situe dans un contexte déjà prévu à l'avance par les créateurs de CN/CB et s'inscrit dans la narration de type récit interactif.

· Fonctionnelle : Le spectateur-net a la liberté de manipuler l'oeuvre moyennant les fonctionnalités proposées (sélection de liens hyper-texte, de zones « cliquables ») afin de se diriger vers un document, une autre page web du spectacle. Ces multiples fonctions proposées ponctuellement par le spectacle sont autant de liens vers ces organes périphériques du récit.

· Endogène : l'interactivité est strictement interne au programme.

· Hétéronome : l'interaction de CN/CB et de l'internaute est confinée dans des lois qui sont définies une fois pour toutes. Les lois du changement restent fixes. C'est un récit initiatique dans lequel le spectateur-net choisit son chemin lorsqu'il en a la possibilité mais les chemins sont pré-écrits.

Cette interactivité était pour chacun unique et indépendante. Le spectateur-net qui choisissait de cliquer sur un élément du spectacle, lorsque cela lui était proposé, perdait le contact avec le « réel » de la comédienne visible dans la fenêtre vidéo et se retrouvait face à une autre page web périphérique au spectacle. Pendant ce temps, la comédienne continuait à livrer son texte et à vivre ses aventures prévues dans la trame première de la pièce. L'internaute ayant cliqué perdait cette continuité de l'action mais pouvait s'enrichir d'éléments annexes à l'expérience avant d'y revenir. Lors de l'entracte une question était posée au cyber-spectateur. Il pouvait y répondre en cliquant sur le dessin d'une enveloppe devenue rouge (Voir annexes 7 G, page XVI). Chaque Internaute connecté choisissait son chemin. Le clic de l'un ne déterminait pas ce que les autres verraient. Chacun était indépendant. Chacun donc se frayait son propre chemin et donc sa propre lecture de l'oeuvre.

c) Entretien avec l'auteur / metteur en scène, Cécile Huet (voir biographie

Cécile Huet, annexes 13, page XLVIII).

Entretien réalisé par Yannick Bressan le samedi 2 août 2003

1/ Comment envisagez-vous Internet dans votre travail de metteur en scène?

Avant de répondre à cette question, il me faut pointer ce qui m'intéresse dans le fait même d'Internet. Point de vue qui évolue sans cesse depuis les premières créations d'e-toi le.

Au départ, le fait même de l'existence d'Internet, la certitude que l'outil ne reculerait pas, que nous nous y intéressions ou non, et le sentiment qu'il changeait notre rapport au monde et aux autres me sont apparus comme les raisons principales.

Au moment de la création de CN / CB, mes questions se posaient, d'une part, sur la relation entre l'image vidéo (partie extraite du réel) et la page web, virtuelle, qui l'entoure. Par l'intermédiaire des différents média utilisés sur Internet, son, image, liens hypertexte, un monde virtuel communique avec la comédienne, Catherine Tartarin. Le personnage qu'elle joue ne les voit pas et n'en connaît pas l'origine. D'autre part, sur la question du surf et du « clic » frénétique qui conduit l'internaute de page web en page web sans jamais se poser réellement sur l'une d'entre-elles. Jusque là, les projets réalisés étaient conçus pour la diffusion web et les spectateurs étaient des internautes exclusivement.

Depuis, ces réflexions m'ont naturellement amenée à définir différemment la façon dont j'envisage Internet dans une création. D'une part, il nous est apparu nécessaire d'ouvrir nos créations à des spectateurs, c'est-à-dire de concevoir un développement propre à la scène et un développement propre à la page web simultanément. C'est alors sur le croisement entre deux scènes, l'une réelle, l'autre virtuelle que joue l'utilisation d'Internet dans nos créations aujourd'hui. Par le fait même de la communication à travers l'écran, due à la symétrie entre moyens d'émission et de réception, ces deux scènes s'articulent l'une par rapport à l'autre.

2/ Comment est né le projet CN / CB?

Le projet est né de l'observation de la page web en elle-même et de l'activité du surf. Ce sont les possibilités artistiques des points de vue de l'univers sonore, textuel, « hypertextuel », graphique et vidéo qui ont motivé la naissance du projet.

3/ Comment avez-vous imaginé, écrit puis créé le texte de CN / CB?

Le texte a été très clairement imaginé à partir de la construction de la page web et le jeu qu'un acteur dans une salle, tout seul, pourrait avoir avec elle. Il était important pour moi de rendre sensible l'existence des différentes pages web et évidentes les différentes voies de narration possibles. Pour cela notre ponctuation possède la parenthèse et notre langue les conjonctions de coordination « ou » et de subordination « si », elles m'ont été très utiles. C'est donc dans un permanent aller- retour entre ce qu'il pourrait y avoir en ligne dans la réalisation finale et la façon de le transcrire sur le papier que la rédaction a eu lieu.

Une autre dimension s'est greffée. Celle de la relation entre le personnage principal et son univers et celui de la page web et de ses personnages virtuels. Petit à petit de la nécessité de cette rencontre est née la relation entre le fantôme et les personnages de l'espace virtuel. De leur contact physique impossible l'histoire de Côté noir / Côté blanc (Cf. annexes 8 page XVII, texte de cn/cb) a progressivement pris forme.

4/ Comment avez-vous travaillé avec la comédienne?

Nous avons d'abord essayé des pistes très différentes de celles finalement retenues. Je voulais travailler sur l'alternance entre des images posées, calmes et des images saturées par le mouvement. Cette alternance nous permettait de jouer sur une perte de la précision d'image d'autant plus accentuée par les pertes de qualité de la vidéo streamée (Cf infra, lexique, p. 80). Les débuts étaient, alors, très physiques pour Catherine.

Puis, nous avons repéré deux types de travail liés à la construction de l'image : celui du cadre et celui du cône. Le premier correspondait au travail de premier plan avec des profils et des gestes nets qui entraient visuellement en contact avec les personnages de la page web. Le second correspondait à un travail dans l'ensemble de l'espace du champ de la caméra.

Finalement, nous avons construit un plan séquence de 20 min, dans le champ duquel Catherine jouait et dont le temps était découpé par les changements de décor, d'écrans qui montaient et descendaient.

5/ CN / CB oeuvre théâtrale multimédia, création artistique pour le web ou projet

technique utilisant le théâtre comme argument? Quelle est votre définition de ce type de création?

Des trois propositions, les deux premières me parlent. Maintenant, comment définir précisément ce qu'est ce projet ? C'est plutôt à vous que je devrais poser la question!

CN / CB se trouve à la rencontre de nombreuses disciplines. Il recouvre celles du théâtre, du montage de la scène au travail avec le corps de l'acteur lors des répétitions, jusqu'à l'enregistrement dans les conditions du direct. Celui-ci est alors assemblé avec les animations de la page web. Nous sommes alors dans le cadre d'une création pour le web. Pour chaque diffusion un enregistrement et un assemblage ont eu lieu, faisant appel aux compétences graphiques et techniques relatives au format de la page-web.

Si cela vaut pour une définition, alors la voici. Il n'en reste pas moins que d'oeuvre théâtrale multimédia à création artistique pour le web, ces considérations de vocabulaire sont noyées dans ma tentative à faire émerger la mécanique profonde qui unit l'espace réel à l'espace virtuel.

6/ Est-ce pour vous une oeuvre aboutie?

Dès qu'elle fût réalisée, la mise ne scène de CN / CB n'a pas été considérée comme une oeuvre aboutie. Elle a été l'élément déclencheur d'une nouvelle façon d'envisager nos créations. Notamment, elle nous a immédiatement amenés à la nécessité de penser nos créations pour des spectateurs et des internautes simultanément.

Concernant plus précisément CN / CB, la dimension de parcours à plusieurs entrées, induit par le mini-site web dans lequel l'internaute surfe pendant qu'il visionne la création, me semble une piste à développer plus avant. La réflexion reste donc ouverte.

7/ CN / CB aura-t-il une suite?

CN / CB a été créée en 2001. Les projets que j'ai initiés avec d'autres artistes n'en constituent pas une suite. J'ai très vite pensé à une évolution ultérieure qui se réalisera vraisemblablement sans en être une suite directe. Elle sera conçue pour une scène réelle et virtuelle simultanément et jouera sur la double vision du spectateur et de l'internaute et notamment sur l'amputation de la réalité par le filtre du cadrage vidéo, pour une autre vision de la réalité sur la page web.

2. L'éclatement spatio-temporel de la scène au

travers de l'exemple de la série des « BALS »

Cette expérience fut la suite d'une recherche débutée dès 1999 dans la première expérience d'e-toile, Choré-carré 1 (Voir annexes 5 A, page V). Elle fut réalisée au théâtre Le Maillon de Strasbourg. Cette première expérience était exclusivement présentée en direct sur Internet. Depuis la grande scène du Maillon, des danseurs répondaient à des propositions simples envoyées ponctuellement par des internautes choisis au hasard toutes les trois minutes. Un alphabet de dix lettres correspondant chacune à un développement chorégraphique précis était mis à la disposition des internautes. (Voir annexes 5 B, page VI )

Dans l'exemple des Bals, contrairement à Choré-carré 1 ou Côté noir / Côté blanc, un public était présent face à l'expérience, dans un dispositif frontal classique et dans un même temps des vues choisies de la captation du spectacle étaient proposées sur Internet. Les Internautes avaient donc, par une fenêtre vidéo dans la page web, accès à des éléments choisis par le réalisateur du direct de la scène et avaient ponctuellement la possibilité d'adresser des propositions chorégraphiques préétablies aux danseurs104.

104 Cf. supra, 2b) « Le type d'interactivité choisi », p. 53.

105 voir biographie Cécile Huet et Louis Ziegler, annexes 13, page XLIX.

Cette captation était issue de différents points de vues de caméra disposées sur, à côté ou au-dessus de la scène.

Un réalisateur effectuait en direct le mixage des images adressées aux internautes. Un système interactif permettait aux internautes d'agir / réagir sur la chorégraphie en train de se dérouler face au public dans le théâtre.

La première série des Bals comporte six spectacles. Bal 1 eu lieu le 15 novembre 2002 au théâtre du Marché aux Grains. Bal 2 se déroula le 13 décembre 2002 à Rheinmunster (Allemagne), Bal 3, 4 et 5 furent présentés les 29 décembre 2002, 17 janvier et 13 février 2003 au théâtre du Marché aux Grains. Bal 6 fut présenté face à un public et dans un même temps ce spectacle fut réalisé avec un dispositif intranet (et non Internet comme les cinq Bals précédents. Bal 6 fut présenté à l'Université Marc Bloch de Strasbourg 13 mars 2003 (Voir photos annexes 9, pages XXX jusqu'à XXXVII pour tout les Bals).

La direction artistique du projet fut assurée par Cécile Huet et la direction chorégraphique par Louis Ziegler105.

a) Dispositif scénique / web, entrecroisement de scènes. Des planches au pixel : correspondances.

Dans cette série de créations, e-toile se pose la question de l'utilisation de l'outil Internet dans la construction d'un spectacle présenté sur Internet et face à un public. Internet comme outil dramaturgique. C'est le levier réseau qui est mis en question ici. e-toile adapte le questionnement de la représentation à un nouvel outil, un nouvel espace de création. C'est bien là que se situe le point aveugle d'Internet, tel qu'etoile l'utilise. Il est à la fois question d'outil et d'espace de création. Expliquons-nous plus précisément : considérer Internet comme un outil, tel que le groupe de recherche et de création e-toile l'utilise dans ses créations, c'est lui donner une part importante dans la construction dramaturgique ou chorégraphique. Du point de vue de l'émission, de la transmission et de la réception, il fait appel aux spécificités du réseau web et de l'outil informatique. La page web permet l'utilisation d'images, de vidéo, de sons, de textes, de liens hypertextes à partir desquels la lecture de la création proposée se fait à plusieurs entrées. L'espace de création est cette page

web, accessible aux internautes, avec lesquels elle entretient une relation intime, de l'ordre de celle qui relie le lecteur à son livre. L'internaute est seul devant son écran, l'équipe de réalisation artistique est seule dans le studio de réalisation, dans le cas de spectacles conçus exclusivement pour le web. Dans le cas des Bals, l'équipe technique (régisseur lumière, son, streaming, réalisateur vidéo) était à vue, sur le plateau. Les spectateurs dans le théâtre avaient accès au dispositif technique.

Finalement, pour le spectateur-net, de quoi s'agit-il ? D'une scène sans en être une, avec des danseurs présents sans être là, avec des spectateurs ailleurs, les internautes. « Imaginons une scène à distance, qui (...) s'adresserait à nous depuis l'ailleurs, un ailleurs physique autant que symbolique »106 . Dans le cas présent, celui des Bals, le problème est plus complexe que pour l'expérience étudiée précédemment. En effet, les Bals étaient présentés sur une scène réelle, face à des spectateurs présents ici et maintenant en même temps que sur Internet. Que se passait-il concrètement ?

Sur la scène de multiples caméras captaient la chorégraphie en action. Certaines de ces caméras étaient fixes, d'autres étaient rendues mobiles par un cadreur, certaines étaient au plafond, d'autres encore dans le fond de scène filmaient le point de vue inverse de celui du spectateur dans le théâtre (voir annexes 9G, page XXXVII). Des écrans disposés sur la scène présentaient aux spectateurs présents les prises de vues des caméras. Un réalisateur vidéo faisait un choix parmi elles et envoyait son mixage sur la « scène-net ». Certains plans choisis par le réalisateur pouvaient être des gros plans, des vues prises du plafond (plongées), des parcelles de corps des danseurs, des fondus entre deux caméras etc... Les spectateurs in-situ et les spectateurs-net avaient donc deux visions très différentes d'un même spectacle. Il faut noter, de plus, que le spectateur-web pouvait avoir ponctuellement la possibilité d'adresser des propositions chorégraphiques qui étaient transmises aux danseurs. Ces propositions venaient orienter le développement de la chorégraphie. L'interface de la série Bals, bien qu `elle ait évolué d'un spectacle à l'autre, est restée sensiblement la même dans son fonctionnement. Le spectateur-net avait face à lui, sur son écran d'ordinateur, une page web dans laquelle une fenêtre vidéo d'environ huit centimètres sur dix retransmettait la réalisation de l'opérateur vidéo. Le cyberspectateur avait ainsi accès à une lecture de l'oeuvre qui par ailleurs était présentée

106 Cécile Huet, Faust I et II, quel théâtre, pour quel monde ?, Mémoire de DEA, sous la direction de Mme Marie-Madeleine Mervant-Roux et M. Jean-François Peyret, Université Paris III, p. 89.

face à un « public réel », dans le théâtre. L'Internaute n'avait, bien entendu, pas la possibilité de « toucher » cette réalité. Il avait en revanche une autre possibilité. Il était offert aux Internautes connectés pour le spectacle d'agir directement sur la chorégraphie qui se déroulait dans le théâtre. L'interface du spectacle, sur le web, proposait à un Internaute sélectionné aléatoirement toutes les x minutes parmi ceux connectés, de choisir un élément proposé par l'interface (Voir annexes 9 G, page XXXVII). Cet élément, le plus souvent un mot ou une expression comme « solo » ou « haïku », était transmis au danseur par des projections scénographiées (nous l'avons vu en préambule de ce point sur les Bals). Les danseurs avaient travaillés en amont du spectacle des développements chorégraphiques qui correspondaient aux mots ou groupes de mots. Ainsi donc, le web-spectacteur, à partir de la grammaire et de l'orthographe mise à sa disposition au travers de ces mots conversait, d'une certaine façon, avec les danseurs qui lui répondaient par leurs propres formes corporelles pré-déterminées, sorte d'alphabet corporel. Il s'agissait donc, de part et d'autre de l'écran de s'écouter et d'avancer ensemble dans la création. Ce qui intéresse e-toile, ici plus précisément, c'est le fait qu'un « ailleurs de la scène », par le truchement du levier réseau, ait des incidences physiques sur le spectacle, tant actuel que virtuel. Il est intéressant, de plus, de noter que ces propositions de l'ailleurs (levier) étaient la résultante d'une vue parcellaire du spectacle, et de plus, d'une vue filtrée par le regard du réalisateur. Le choix des Internautes n'était-il pas d'une certaine manière induit par tous les filtres par lesquels passait le spectacle avant de lui être offert ? Que penser alors de ces propositions aux danseurs ? Elles avaient des répercussions sur la scène réelle mais c'est depuis la scène virtuelle qu'elles étaient adressées. Sans cesse les scènes s'entrechoquaient, s'entremêlaient.

Les spectateurs dans le théâtre voyaient donc sous leurs yeux se développer un spectacle dont les choix de développement étaient effectués par des « habitants de l'ailleurs » non présents dans leur temps et leur lieu. Les spectateurs du théâtre étaient informés par des projections des mots ou termes choisis par le cyberspectateur. Ces projections de propositions étaient bien entendues scénographiées et intégrées au spectacle107 avant d'être récupérées par les danseurs pour être dansées. Pour Bal 6, les propositions et « chat » des internautes étaient

107 Voir annexes 9 D et 9 F, pages XXXIV et XXXVI

« poétisées » et lues par une comédienne présente sur le plateau108 au fur et à mesure que les propositions arrivaient sur l'ordinateur face à elle.

Le levier réseau joue dans ces créations un vrai et important rôle de pont entre deux réalités. La scène est, ici de façon évidente, un lieu de l'espace de communication. C'est du moins l'une des volontés d'e-toile dans ce type de création.

La (les) scène (s) telle (s) que l' (les) utilise e-toile dans les Bals comme espace de communication nous ouvre (ent) un territoire d'investigation large et c'est par les questions soulevées que nous conclurons ce point de notre travail en élargissant au levier technologique sur la scène d'e-toile.

La scène, au regard de l'expérience des Bals, est clairement l'espace de communication entre l'ailleurs et les spectateurs, la cité. Le théâtre est un média, comme Internet en est un. Si Internet sonne, avec évidence, à nos oreilles comme étant un média de communication, le théâtre en est un aussi. Penser à faire du théâtre pour Internet ou pour une scène, c'est penser à transmettre quelque chose, du sens, de l'émotion, etc. Ce peut être la même chose, mais la façon dont elle est dite est différente, elle est adaptée au média utilisé. Sur Internet, la réception est solitaire. L'internaute entretient une relation intime et active avec l'écran de son ordinateur, dans le sens où il peut directement agir sur l'écran (selon la création proposée). Cette page web est une scène à part entière. Elle est extraite de la scène réelle sur laquelle les danseurs se trouvent par captation vidéo. Celle-ci n'est pas une simple retransmission mais le résultat du choix d'un cadrage. Les danseurs jouent pour cette scène, qu'ils ne voient pas, ils jouent avec sa spécificité : l'ouverture d'une fenêtre vidéo dans la page web et sa mise en relation avec cette page. C'est-à-dire avec l'intimité créée par la « proximité » de l'internaute face à son écran, avec les animations de la page, son graphisme, la possibilité d'interactivité etc. Ils appartiennent à la dramaturgie et sont les acteurs d'une scène à l'autre.

b) Le mode d'interactivité choisi

108 Voir annexes 9 F, page XXXVI.

Dans la série des Bals, comme pour toutes leurs créations, e-toile conçoit avec attention l'interface et le rôle de l'interactivité dans le développement de son spectacle afin de rendre celle-ci la plus pertinente. Il est évident pour l'équipe d'etoile que « (...) l'interface ne peut être imaginée après-coup, elle constitue l'enjeu même de l'oeuvre, elle devient la clef de l'ensemble du dispositif dans lequel elle est impliquée »109 .

Pour l'exemple des Bals, si nous reprenons le schéma sur l'interactivité employé dans l'étude de Côté noir / Côté blanc,110 nous pouvons dire que l'interactivité est :

· Réelle, ou plus précisément semi-réelle : le dispositif se place entre deux personnes (généralement situées en deux points géographiquement éloignés, l'une de l'autre) qui interagissent l'une sur l'autre. Dans le cas des Bals, il est plus juste de parler de semi-réalité de l'interactivité car l'interactivité n'a lieu physiquement que dans le sens internaute / danseur. L'internaute n'agit pas simplement sur un programme, mais par le programme sur les danseurs. La réciprocité n'a, dans les Bals, pas lieu bien qu'il soit probable que le développement chorégraphique influence quelque peu dans ses choix l'internaute qui en reçoit la vidéo. e-toile a, par ailleurs, mené des expériences de ce type (Cf. le site d'e-toile : www.e-toiler.com).

· Fonctionnelles : L'internaute a la possibilité, en s'appuyant sur le système mis en place par l'équipe artistique, de manipuler l'oeuvre ou tout au moins de proposer à l'adresse du vivant (danseurs) de la scène des propositions de développement.

· Hétéronome : Les lois de l'interactivité du spectacle sont fixées précisément par l'équipe d'e-toile bien en amont du spectacle présenté face au public et aux internautes.

109 Duguet Anne-Marie, Déjouer l'image, créations électroniques et numériques, coll. Critiques d'art, Editions Jacqueline Chambon, 2002, p. 116.

110 Cf supra p. 54.


· Hexogène : L'interactivité est au centre d'un rapport étroit entre les spectateurs-net et les danseurs. D'une certaine façon le cyber-spectateur entre en interaction avec l'image et ses composantes en temps réel.

Dans ce point sur l'interactivité, outre le type d'interactivité en question dans cette série de spectacle, une question essentielle se dégage : quelle est la place de l'internaute ? Il est, chez lui, face à un écran d'ordinateur et assiste à un événement présenté physiquement ailleurs dans lequel il pourra être amené à intervenir. De plus, pour les derniers Bals, il aura la possibilité de commenter son intervention par un système de « chat ». Son statut n'est plus celui d'un spectateur au sens commun du terme, c'est à dire « une personne qui est [le] témoin oculaire d'un événement »111, mais plutôt d'un « spectacteur »112. Des choix multiples lui sont offerts, nous l'avons vu, et de ces choix que l'interface lui propose la communauté de « spectacteurs » va mettre en place, dans un système de cadavres exquis chorégraphiques, un spectacle dont le pilier dramaturgique est le levier réseau. Ce système d'interactivité a, dans la série des Bals, une répercussion scénique première. Il s'agit du travail même des danseurs. L'aléatoire des propositions adressées par les internautes détermine le mode chorégraphique. La danse d'improvisation est alors apparue à e-toile comme une réponse appropriée à ce mode d'(inter)actions. Le chorégraphe Louis Ziegler était alors tout indiqué pour prendre en charge la direction chorégraphique des Bals. Comment ce mode de travail chorégraphique a-t-il été mis en place pour répondre aux propositions des spectateurs-net ? L'interaction venait-elle bousculer l'espace artistique personnel du danseur ? Enfin, l'improvisation chorégraphique a-t-elle été une réponse satisfaisante à l'utilisation du levier réseau dans les Bals ?

Autant de questions auxquelles nous tâcherons de répondre pour conclure ce point sur l'interactivité dans les Bals. En effet, comme dans tous les projets d'e-toile la part technique et la part artistique sont, comme pour l'interface, nous l'avons vu, étroitement liées. Première question donc :

111 « Spectateur », in Le nouveau petit Larousse grand format en couleur, Larousse, Bordas, 1998.

112 Cf Weissberg Jean-Louis, Présences à distance, Edition l'Harmattan, 1999, pp 57-58.

Comment ce mode de travail chorégraphique a-t-il été mis en place pour répondre aux propositions des spectateurs-net ?

Les danseurs ont travaillé, en préparation du spectacle, sur les mots et expressions qui étaient proposés par l'interface aux internautes. Ils constituaient ainsi un « alphabet corporel » qui servit de base à l'élaboration des cadavres exquis chorégraphiques. A partir de ces éléments chorégraphiques repérés, ils développaient des formes artistiques souples qui leur permettaient d'avoir une réactivité importante aux propositions des spectateurs-net. Il était, par exemple, une forme appelée, « solo » qui voyait un danseur seul sur les scènes, réelle et virtuelle, présenter une forme chorégraphique. Pendant ce temps les autres danseurs, hors champ de la caméra et dans l'ombre de la scène, restaient en observation et en attente de la prochaine proposition d'internaute pour intervenir et venir prolonger, en la faisant évoluer, la chorégraphie déjà en cours. Après « solo » donc pouvait, par exemple, être proposé « répertoire » aux danseurs. Quelques danseurs entraient donc sur scène et face aux caméras et à partir du solo de l'un d'entre eux, ils entraînaient la chorégraphie, en développement, vers un élément de leur répertoire commun qu'ils avaient mis en place en amont.

La troupe du Grand Leu, de Louis Ziegler, travaille depuis des années sur le mode de l'improvisation utilisé dans les Bals. La nouveauté et la difficulté, pour elle, fut de réagir à des propositions émanant d'un ailleurs de la scène. La réponse à une absence, ainsi que la conscience des caméras fut une des importantes parties du travail des danseurs dans les Bals qui, selon le propre aveux du metteur en scène Cécile Huet et du chorégraphe, restent encore à creuser pour aller plus loin dans la conscience de l'image, de son potentiel et de ses limites. Louis Ziegler nous dit à propos de cette expérience dans un entretien de juillet 2003 réalisé par nos soins : « Cela ouvre des possibilités extraordinaires : on danse en fixant la caméra du haut ou en tournant le dos au public. Ce sont de nouveaux points de repère. On le ressent dans la salle mais aussi sur l'écran d'ordinateur. Car même si le spectacle perd son aspect tridimensionnel, l'internaute assiste à un dépaysement complet. Les danseurs jouent à entrer et sortir de son champ de vision »,

L'interaction venait-elle bousculer l'espace artistique personnel du danseur ?

Le danseur « pris » dans le développement d'une forme proposée a besoin de temps pour « entrer » dans la forme. Lorsque, toutes les x minutes (le temps était défini aléatoirement par l'ordinateur dans une duré comprise entre une à trois minutes), une autre proposition était faite, par l'internaute, le danseur se retrouvait dans le besoin de changer d'état mental et physique pour répondre à cette autre forme. Son espace mental (et physique) pouvait se voir bousculé, voire violé, par cette nouvelle proposition d'un spectateur absent, invisible, qui pouvait parfois lui sembler omnipotent, omniscient à l'image du Big Brother d'Orwell113. En effet, le danseur pouvait ne pas avoir envie d'interrompre son développement chorégraphique pour en intégrer un autre au moment choisi par le spectateur-net. Le « spectacteur » pouvait sembler alors, au danseur, être un censeur, ou lui donner l'impression d'avoir un contrôle trop grand de ses faits et gestes. e-toile insista beaucoup auprès des danseurs pour qu'ils trouvent leur liberté d'action dans leur for intérieur. La contrainte apparente de l'interactivité proposée aux internautes ne devait pas être un frein à l'expression des danseurs mais un tremplin à leurs imaginaires. C`est sur cette base que les artistes des Bals ont travaillés pour intégrer l'interaction du cyber-spectateur au développement artistique sans que la sensibilité du danseur soit violemment heurtée par la sensation d'être manipulé.

L'improvisation chorégraphique a-t-elle été une réponse satisfaisante à l'utilisation du levier réseau dans les Bals ?

L'improvisation n'a pas besoin d'une écriture linéaire. Cela en fait un type d'expression privilégiée lorsque l'interactivité entre dans la composition d'un spectacle. La souplesse de jeu, la réactivité permise par l'improvisation en font une réponse artistique adaptée à l'utilisation de l'interactivité. Sa faiblesse est peut-être, parfois, le manque de cohérence et d'unité artistique sur la longueur d'un spectacle. L'équipe d'e-toile semble rester vigilante à ce que le spectacle conserve une cohérence artistique qui propose aux spectateurs, in-situ et sur Internet, un voyage des sens. C'est surtout et logiquement à la fin de la série des Bals, prévue à cet effet,

113 George Orwell, 1984, Collection Folio, Gallimard, 2002

que l'artistique, la technique et le concept se rencontrèrent et formèrent un ensemble cohérent vivant / technologie, actuel / virtuel.

Il importe, enfin, de souligner l'importance pour le cyber-spectateur, dans les Bals, de l'interactivité. Pourquoi ce désir d'interaction dans un projet comme celui-ci ?

Ce désir d'interactivité avec l'oeuvre nous semble avoir une explication, qui pour le cas de l'utilisation de l'outil réseau est fort troublante. Nous conclurons ce point sur l'interactivité par cette réflexion :

Jean Dubuffet, artiste majeur d'après la seconde guerre mondiale a probablement pressenti l'évolution de notre société lorsqu'il a dit :

« Il n'y aura plus de regardeur dans ma cité, plus rien que des acteurs. » Ce à quoi il nous semble possible de répondre :

« L'art vivant ne s'offrirait plus à la seule contemplation passive du spectateur mais viserait à déclencher chez celui-ci une reconnaissance plus viscérale de l'esthétique propre au corps en mouvement. » 114

On pourrait penser à priori le contraire, que saturés d'images nous sommes dans une société de regardeurs, voire de voyeurs, mais passifs, cantonnés derrière un écran. Pourtant, si l'on y regarde de plus près, on se range très vite du côté de la phrase de Dubuffet. Il faut se sentir vivant : interagir est nécessaire. L'interaction serait l'action nécessaire qui nous démontre notre existence, le « prière de toucher » de Marcel Duchamp.« Prière de toucher » ; n'est-ce pas une réaction contre les prémisses de la société de fantasmes dans laquelle nous vivons aujourd'hui ? N'estce pas une réaction à cette carence de palpable, dans une société de l'intangible, de l'à-côté?

Nous avons abordé avec l'exemple d'e-toile deux types d'interactivité, celle qui conduit à une réaction de l'équipe artistique et une remise en question du déroulement de l'expérience qui n'est pas prévu à l'avance, d'une part (Bals), celle qui conduit à la réaction du dispositif technique lui-même, d'autre part (Côté noir / Côté blanc), et permet à l'internaute de faire son propre chemin dans la dramaturgie. Dans un cas comme dans l'autre, l'interactivité est outil qui transforme la relation de

114 Sally Jane Norman, « Nouvelles scénographies du regard ou scénographie du nouveau regard » in Debray Régis (coordonné par), Cahier de médiologie 1, La querelle du spectacle, Gallimard, 1996, p. 94

l'internaute à la barrière de l'écran. Il n'est plus passif, il est en attente de ce qui va arriver. Il est actif. Pour aller où ?

C) Le « chat » : voir, proposer, commenter, apprécier ?

« 1 > bonjour

217 > silencieux et troublé

3 > troublant certainement... »115

Les trois phrases ci-dessus sont les trois premières phrases du « chat » du spectacle Bal 5. Dans cet exemple trois spectateurs-net sont intervenus. Ces trois spectateurs ainsi que tous les autres connectés au spectacle avaient la possibilité d'envoyer ponctuellement des propositions aux danseurs, nous l'avons vu, mais aussi de commenter leur choix (voir annexes 10, 11, 12, pages XXXVII à XLVII). Ces commentaires étaient intégrés au développement de l'événement. Les danseurs s'en emparaient et jouaient avec. Le chat était là pour « colorer » les propositions faites par les spectateurs-web. L'internaute voyait donc dans la fenêtre vidéo de la page web comme dans une lorgnette pointée sur le spectacle. A partir de cette vision, il pouvait être amené à proposer des orientations chorégraphiques, ou de lumière ou encore de cadrage. Il devait ensuite, s'il le désirait commenter son choix, ses sensations, ses impressions, etc. Il était donc actif et fortement sollicité voire, peut- être, sur-sollicité. En effet, il semble difficile d'accomplir toutes les actions demandées en pleine conscience de cause et, de plus, apprécier un spectacle. Soit le spectateur-web tente de saisir le fond et les répercussions de son action et il nous paraît difficile qu'il puisse alors apprécier réellement l'intérêt plastique et artistique du spectacle. Il peut alors avoir la sensation de se retrouver face à un projet informatique expérimental parfois complexe et rébarbatif et rate donc les enjeux profonds du projet. Soit il délaisse la part conceptuelle pour se concentrer sur le jeu mis en place, la beauté des images et, dans ce cas, toutes les interrogations que pose e-toile sur l'utilisation du médium Internet au spectacle risquent de ne pas le toucher.

115 Extrait du chat de Bal 5, Cf. Annexes 12, page XLIV.

3. Problématiques posées par l'utilisation du levier

« réseau informatique » à des fins spectaculaires.

L'élargissement.

La rupture des limites traditionnelles en ce qui concerne les concepts de : « Public », « Spectacle », « Metteur en scène ».

a. Proposition de définition traditionnelle d'un public de spectacle théâtral ou chorégraphique et sa transformation au spectacle présenté sur le réseau :

Des gens assis ou disposés à l'intérieur d'une salle de théâtre ou d'un espace délimité :

- Soit par des conditions architectoniques (On prend ici en compte les spectacles développés dans d'autres espaces non théâtraux, tel que hangars, parking, etc...)

- Soit par les limites propres à la vision ainsi qu'à l'écoute du spectacle réalisé [sur scène ou l'espace dédié à la représentation de la fiction]. (Les spectacles de rue, ou /et en plein air, ont pour limites les possibilités physiques des spectateurs pour entendre et voir le spectacle).

Dans des spectacles et expériences en réseau, il est nécessaire d'élargir le concept de « public ». Appliqué aux spectacles utilisant le réseau Internet cette définition se transforme. Le public demeure l'ensemble des gens qui peuvent entendre et voir le spectacle. Cependant, cet ensemble n'a plus besoin, pour les spectacles présentés exclusivement sur le réseau116, d'être rassemblé au même endroit. Les données « temporelles » reste sensiblement les mêmes : le public doit entendre et voir le spectacle sur son écran d'ordinateur (dans le cas d'expériences sur le réseau Internet) pendant la durée « live » du spectacle. Si l'on y regarde de plus près, il apparaît que le coefficient temporel de vision et d'écoute du spectacle sur la « scène web » varie en fonction de la puissance des ordinateurs qui reçoivent la vidéo, mais aussi en fonction de l'encombrement du réseau. La possibilité d'être spectateur tout

116 Voir à ce sujet les expériences du groupe de recherche et de création e-toile sur www.e-toiler.com

en restant éloigné des réactions d'autres spectateurs souligne la solitude de l'individu et renforce son sentiment de perception individuelle face au spectacle.

La solitude des spectateurs devant un spectacle présenté exclusivement sur Internet élargit les possibilités de réaction des spectateurs. La « ceinture » de règles sociales largement acceptées à l'intérieur des salles de spectacles (XX-XXI ème siècles.) comme par exemple ne pas commenter à haute voix, ne pas boire, ne pas manger, ne pas exprimer de façon excessive et trop expressive le mécontentement, l'ennui, la fascination, la joie... bref, garder, dans son statut de spectateur, toutes les attitudes de respect d'autrui qui permettent d'assister à un spectacle dans les meilleures conditions.

Ces lois nous semblent exister seulement à l'intérieur d'une salle. (Dans la rue ou dans des spectacles en plein air les carcans de la conventions, bien que moins rigides, n'en restent pas moins présents).

Le public du Net compte avec son intimité et sa liberté d'expression. Toutes les lois énumérées ci-dessus semblent, dans le cadre d'un spectacle présenté et/ou vu exclusivement sur Internet, caduques.

Il est important de noter que les spectateurs sur Internet sont dans l'absolue ignorance de la réaction des autres spectateurs. L'absence de « retour »117 de l'ensemble des spectateurs-net, laisse les acteurs et les spectateurs dans un silence tant physique que sensible qui peut s'avérer être angoissant. L'interactivité peut parfois permettre, outre le sentiment d'échange avec la scène-web, de connaître les choix de certains spectateurs lorsqu'ils déterminent une action sur la page web à laquelle tous les autres Internautes peuvent assister. Cela n'est certainement pas suffisant pour ressentir l'impression physique et psychique du spectateur-net. Le groupe de recherche et de création e-toile a néanmoins, dans ce sens, proposé dans certaines de ses créations (nous l'avons vu avec la série des Bals) un système de « Chat » qui permettait à l'internaute de commenter le choix qu'il venait de faire et d'envoyer aux artistes. Ce commentaire était visible à tous les autres Internautes et aux spectateurs dans le théâtre118. Pour l'acteur : comment ressentir une « salleInternet » ? Pour le spectateur : quelle est la réaction des autres spectateurs ?

117 Ici « retour » est employé comme en musique. Les chanteurs et les musiciens ont en « live » des enceintes personnelle qui leur donne leur « retour ».

118 Cf. supra pages 61. 62.

Il semble difficile de sentir la réaction « collective » du public-net. Il faut néanmoins noter quelques expériences à cet égard fort intéressantes. L'une d'elles en particulier nous semble éloquente pour illustrer une esquisse de contre-exemple de l'idée que nous venons de développer plus haut.

e-toile présenta les 28, 29, 30 novembre 2000 Le Martyre119 . Il s'agissait de l'adaptation d'un mystère inédit du XV ème siècle. Sans s'attarder sur la mise en scène et l'histoire mise en jeu ici qui est celle du martyre de Saint Etienne, premier martyre chrétien, nous allons nous attacher plus particulièrement au système d'interactivité utilisé pour ce spectacle. Ce système, par une interface très simple, permit au comédien sur le plateau ainsi qu'aux internautes connectés durant le spectacle de connaître les humeurs du groupe d'Internautes- spectateurs.

Concrètement, sur la page Internet était disposée une « fenêtre » d'environ 10 cm sur 12 dans laquelle était diffusée la vidéo filmée en direct du spectacle (visible exclusivement pour Internet, construit et pensé pour ce support).

Sous cette « fenêtre », ouverte sur le spectacle, étaient placés trois boutons de couleurs différentes qui représentaient l'humeur et l'avis du spectateur-web en réaction au message (de tolérance) que St Etienne voulait faire passer. Trois boutons pour trois humeurs :

Le bleu pour l'accord avec les propos et le soutien d'Etienne.

Le vert pour la neutralité vis à vis de Etienne, ce qui lui arrive et ce qu'il dit.

Le rouge pour le désaccord et d'une certaine façon lui « jeter des pierres virtuelles ». Chaque Internaute parmi tous ceux connectés pouvaient donner son avis en cliquant sur l'un de ces boutons trois fois par acte. La pièce comprenant trois actes l'Internaute pouvait « voter » neuf fois au total. Le choix de restreindre le nombre de vote par Internaute marquait la volonté d'éviter le « clic frénétique » qui aurait faussé une grande partie de l'intérêt de l'interactivité proposée. En effet, ces votes apparaissaient dans le temps du spectacle sous forme de pourcentage (x % de bleu, y % de vert et z % de rouge) sur un écran informatique face au régisseur lumière120.

Celui-ci faisait varier l'intensité et la couleur de la lumière sur le plateau en fonction du vote des Internautes et donnait de ce fait des indications d'atmosphères au comédien.

119 Le Martyre , adapté et mis en scène par Yannick Bressan. « Streamé » en direct depuis « La Fabrique de théâtre » de Strasbourg. Production e-toile, 2000, Cf. annexes 6, page VII.

120 Voir annexes 6, page VII.

Il est à noter qu'en aucun cas les Internautes n'influaient sur ce qui était dit, mais sur l'atmosphère (lumineuse) autour d'Etienne et donc, le comédien connaissant les codes de couleurs, sur sa façon de jouer, de donner le texte.

Il est évident que si les propos d'Etienne remportaient une forte approbation (atmosphère plutôt vert), le comédien jouait différemment (le même texte) que si il avait « face à lui » une foule hostile (atmosphère à dominante rouge).

On voit bien, ici, combien l'attitude du spectateur derrière son écran pouvait avoir des répercussions fortes dans le spectacle pour le comédien ainsi que pour les autres spectateurs (Ce système est finalement une adaptation contemporaine assez proche de l'atmosphère participative du public des mystères médiévaux).

Cet exemple reste aujourd'hui encore un exemple relativement peu courant de théâtre interactif en direct sur Internet.

L'individualisme, la solitude, l'absence de lois sociales (hormis celles de la sphère privée) définissent l'attitude d'un spectateur-Internaute, de plus, l'ignorance des réactions des autres spectateurs nous semble définir (délimiter) un nouveau public. Ce public nouveau, plutôt éclaté, ne trouve plus dans sa présence au spectacle théâtral des expériences de collectivité, d'association, de rassemblement en un lieu et en un temps identique, de complicité, de synchronisation, d'empathie... L'éclatement géographique du spectacle (public/scène) par l'utilisation du réseau Internet délimite de nouveaux codes spectaculaires et nous donne une nouvelle définition du « spectateur de théâtre ».

b. Le « spectacle de théâtre ».

Nous ne prenons pas l'inextricable et délicate tâche de délimiter cette expression.. Nous souhaitons juste, ici, peindre une approche de ses caractéristiques.

Les spectacles de théâtre, sont construits principalement par les comédiens (en pensant à tous les autres rôles : metteur en scène, scénographe, costumier, régisseur lumière, régisseur son, régisseur vidéo, Ingénieurs informatiques, compositeurs, musiciens, etc.) qui restent peu visibles aux spectateurs sauf exceptions notables (Kantor, dispositif technique apparent dans certains spectacles utilisant les nouvelles technologies, mais aussi les musiciens dans les spectacles traditionnels...).

Les spectacles évoluent d'une représentation à l'autre par (entre autres raisons) l'influence que le public a sur les comédiens. Il nous apparaît, au regard des métiers du spectacle, que l'on peut généralement classer le public en lui attribuant certains qualificatifs tels, par exemple, chaleureux, froid, dur, difficile, bon...

Les rires, les larmes, les souffles retenus ou pas, les soupirs, les silences gênés, l'inquiétude, l'engagement, l'ennui, etc., toutes les expressions des émotions ressenties par les spectateurs façonnent une ambiance qui constitue le contexte direct (live) d'un spectacle. Etant donné la « disparition » du contexte de « prise directe » avec le réel dans le cas des spectacles sur Internet, les comédiens, tout comme les spectateurs sur Internet, sont dans une condition similaire à savoir :

- La solitude.

- L'ignorance de la réaction des (d'autres) spectateurs (de la moitié du public dans le cas de spectacles présentés dans un même temps sur le Web et sur une « scène classique »).

- Les regards absents de gens qui n'ont aucun moyen sensible pour construire une synchronisation ou une expérience collective physique ou encore, une empathie, avec les comédiens. Cependant, au moyen de certains dispositifs, il semble possible de reconstruire un type de synchronisation121 ou une « espèce de collectivité ».

Dans les spectacles sur la « scène web » où l'interactivité entre en jeu, le choix du « spectateur-net » souligne le caractère individuel du public / des composantes du public et laisse entre guillemets la donnée « collectivité » qui, dans ce cadre là, est virtuelle. Qu'est donc une collectivité dont les membres ne se connaissent pas (sensiblement, physiquement) et ne partage pas le même lieu physique d'existence en un temps donné ? Les termes « spectacle » et « public » sont interdépendants si l'on considère le spectacle comme un événement artistique présenté à un public et « public » est l'ensemble des gens qui arrive à un endroit précis, dans un temps précis, pour voir et entendre un spectacle.

Les changements de ce qui constitue l'essence même d'un spectacle (à savoir « l'ici et maintenant ») nous amènent forcément, par voie de conséquence, à transformer la définition du public mais aussi de ses rôles devant le spectacle. Il nous semble alors possible d'affirmer que : bien que les concepts de « spectacle » et de « public »

121 Voir supra exemple le Martyre page 71

soient, dans le cas défini ci-dessus, interdépendants, c'est la délimitation du spectacle qui change le rôle du public et non l'inverse.

Voyons par exemple un spectacle conçu pour être vu dans une salle et dans un même temps sur le net (comme pour les Bals122) .

La délimitation du public et ses caractéristiques changent en fonction du lieu de vision du spectacle :

Public salle

Public Internet

- Présent.

- Qui échange, exprime son (ses) émotion(s).

- Absent.

- Qui ne peut pas faire ressentir aux comédiens et aux autres spectateurs ses

réactions/émotions.

 

- Définit (un certain nombre d'hommes et de femmes avec âge, vêtements, visages définis).

- Qui respire, souffle, vit, mais qui à l'interdiction de « parler ».

- Qui a l'impossibilité, sauf exception notable, de communiquer avec la scène et les acteurs ou

- Inconnu / indéfini / défini selon un système pré-établit (Cf. Infra Bals, P. 56)

- Qui vit son expérience comme

bon lui semble et peut communiquer avec son entourage proche et personnel sans perturber le spectacle.

 
 

122 Voir supra, L'éclatement spatio-temporel de la scène au travers de l'exemple de la série des BALS, p. 59

danseurs (nous entendons ici interaction physique exclusivement. L'interaction sensible n'étant, au théâtre, plus à démontrer).

aléatoire ou définie par le metteur en scène, de communiquer avec les comédiens ou danseurs et d'influer sur le spectacle.

 

c. Le metteur en scène.

Donnons, dans un premier temps, ce qui nous semble être la définition traditionnelle du metteur en scène : Une personne qui est chargée de la conception intégrale du spectacle, garant de l'unité artistique. Cette définition mériterait, bien entendu, d'être complétée pour être exhaustive. Notre propos n'est pas là. Nous souhaitons, ici, donner les grandes lignes du travail du « metteur en scène classique » et les comparer au travail du metteur en scène utilisant le levier réseau sur sa scène. Néanmoins nous compléterons notre définition du metteur en scène par celle donnée par le nouveau petit Larousse grand format en couleur : « Personne qui, pendant les répétitions d'une pièce, règle les mouvements de chacun des acteurs, la disposition des décors, etc. »

Les moyens ou les disciplines qu'il a à sa disposition et avec lesquelles il travaille sont :

- La scène (espace vide, en attente).

- Les comédiens (leur corps, leur voix, leurs sensibilités, leurs capacités à être présent sur une scène et à exprimer idées et émotions).

- La scénographie.

- L'éclairage.

- La musique (bande son, musiciens présent en « live »).

Voyons à présent, au regard de l'utilisation de l'outil (du levier) réseau sur la scène l'élargissement de la définition du concept de « metteur en scène ».

Jusqu'à maintenant l'utilisation d'écrans restait la plus part du temps dans les limites propres de la scénographie. La substitution de caméras à l'oeil physique du public entraîne, forcément, la transformation de la définition du public ou de ses rôles devant le spectacle. Dans ce cas-là (spectacle en réseau), l'écran (l'ordinateur)

devient la scène pour les spectateurs (Internautes), mais pour les acteurs, c'est un changement plus complexe qui s'opère. Pour eux, la scène reste le plateau au départ et devient un écran à l'arrivée.

Mais où donc le metteur en scène, afin de penser sa mise en scène, peut il situer le public ?

- Dans un « ailleurs » de la salle de théâtre.

- Dans un « ailleurs » du face à face public / plateau réel.

Ces deux points restaient le caractère essentiel de la définition d'une réalisation d'un programme de télévision123.

Jusqu'à maintenant on comprenait que « réalisateur » et « metteur en scène » étaient deux métiers clairement différenciés notamment par l'absence / présence, mais aussi par la différence temps / espace. Hors, c'est justement une des composantes de l'utilisation du « levier réseau » sur une scène de spectacle : l'ailleurs, dans un autre temps (hors lieu, hors temps) mais aussi le visible / invisible. Les frontières « metteur en scène » / « réalisateur » s'effritent et donnent, par l'utilisation du réseau sur la scène ou par la conception de spectacles exclusivement conçus pour le réseau, naissance à une autre dimension du travail de metteur en scène : la conscience et le travail d'un à côté de la scène, d'un ailleurs de la scène,

existant conjointement à la réalité scénique.

123 Pour les émissions de télévision filmées en direct et en public il n'y a face à face public / plateau qu'avec une partie du public alors qu'au théâtre la totalité du public assiste à ce face à face.

Conclusion de la deuxième partie
Vers une mise en abîme de « l'ailleurs » ?

Pour Lepage ou e-toile, un désir majeur semble motiver la création : représenter l'irreprésentable, rendre visible l'invisible. Il est certain que pour chacun, avec ses outils et sa sensibilité, « représenter c'est rendre présent l'absent »124 et de rendre présent le présent autrement. Ce désir d'accéder à cet « autre côté de la scène », cet « ailleurs que le visible » passe chez eux par l'utilisation de technologies. Cette utilisation ne prime pas, nous l'avons vu, sur le sens et la poésie du spectacle. Dans le cas de l'utilisation du levier vidéo sur le plateau la présence de la « scène écran vidéo » ou projection vidéo vient s'imbriquer avec des caractéristiques spatio- temporelles (autre temps, autre lieu) dans le temps scénique de la représentation. Le levier technologique en action sur la scène vient bousculer l'espace temps scénique. Qu'il s'agisse de vidéo ou du levier réseau, bien plus qu'avec tout autre levier, « l'ailleurs » en présence (révélé) sur la scène change de statut. Weissberg parle de « présence à distance »125 . C'est là, peut-être, que se cristallise la force et l'intérêt du « théâtre d'image » aujourd'hui. Nous avons vu précédemment que nous parlons, dans le cadre de l'utilisation d'Internet, d'un acteur physiquement « ailleurs » que devant nos yeux de spectateur-net, d'une scène intangible et pourtant là, présente, à distance. Wiener, le cybernéticien, parlait dans son livre Cybernétique et société du « doublage informationnel d'un corps pour le télé-déplacer (... )». Une anecdote de Wiener est, à ce titre, éclairante, celle de la première expérience de réalité virtuelle qui a été réalisée par la N.A.S.A à la fin des années 70. Dans cette expérience, nous sommes plus précisément dans la télé-robotique spatiale. Les mouvements d'un opérateur au sol étaient exécutés par son exo-squelette dans l'espace. Dans ce projet, on note que la simulation interactive et le déplacement informationnel étaient déjà très liés l'un à l'autre, ils étaient interdépendants. La proposition de Wiener nous laisse encore dans une vision réaliste. Aujourd'hui, la « virtualisation » ne reproduit pas forcément à l'identique, mais invente de nouveaux mondes, pour lesquels les codes de la représentation sont redéfinis. L'emploi sur la scène de tels outils ouvre sur cette dernière des « pans de réalités » dont la force, le

124 Debray Régis, Vie et mort de l'image, coll. Folio essais, Gallimard, 1997, p.49.

125 Cf. Weissberg Jean-Louis, Présences à distance, Edition l'Harmattan, 1999.

trouble et la séduction se situent dans l'absence. « L'ailleurs » du levier vidéo ou réseau ouvre une béance de l'ici vers un ailleurs autre que celui du plateau.

Conclusion :

L'architecte Leon Battista Alberti, durant la Renaissance, dit une phrase fort éclairante pour ce qui concerne notre « ailleurs » que le réel :

« Il fait grand bien au fiévreux de voir des peintures représentant fontaines, rivières et cascades. Si quelqu'un, la nuit, ne peut trouver le sommeil, qu'il se mette à contempler des sources et le sommeil viendra »126 . Il est intéressant de rattacher cette phrase à notre propos. Il y a donc une virtualité (peinture, image vidéo...) qui agit sur notre réalité, qui a la faculté d'accéder à notre actualité.

Est-ce le virtuel qui accède à notre réel ou, comme nous l'avons vu dans les exemples étudiés plus haut, nous qui plongeons dans le virtuel et nous laissons entraîner vers un ailleurs dont la carte a été dessinée par un metteur en scène ? C'est bien par et avec les leviers qu'il a à sa disposition (utilise) que le metteur en scène ouvre un autre espace / temps dans celui du spectacle.

Nous assistons donc, fréquemment, à des « incursions » de l'ailleurs sur les scènes de spectacle.

Nous avons identifié trois espaces / temps du spectacle dont la superposition conduit à la mise en abîme de la scène. Cette mise en abîme peut se comprendre comme suit :

· L'espace / temps du spectateur : espace temps déjà différent à celui de l'homme en dehors du théâtre bien sûr, car dans une position d'attente / réaction à un spectacle qui se déroule sous ses yeux. Ce temps est le plus proche de la durée réelle du spectacle. L'espace, quant à lui, est celui du siège du spectateur ou du moins le lieu physique dans lequel il est. Cet espace et ce temps sont soumis à des variations subjectives comme l'appréciation du spectacle, la disponibilité psychique, intellectuelle et physique du spectateur.

· Le deuxième espace / temps est celui de l'action dramatique, le temps de la fiction : l'espace et le temps de la scène et de son action dramatique sont différents de ceux du spectateur. Ils sont soumis aux ellipses narratives et aux

126 Paul-Henri Michel, La pensée de L.B. Alberti, Paris, Les Belles Lettres, 1930, p. 493.

sauts de lieux et de temps qu'appelle le texte ou sujet représenté. Comme pour le cinéma, des étirements temporels peuvent être imaginés. Ces « sauts spatio-temporels » existent dans pratiquement toutes les pièces de théâtre. Ils SONT (font) la fiction représentée sur la scène.


· Ce temps de l'action dramatique se trouve lui-même bouleversé par la présence en son sein d'éléments leviers portant en eux un espace / temps personnel, intrinsèque.

Il y a donc, pour résumer ce que nous venons de voir ci-dessus, trois temps dans la mise en abîme du lieu théâtral porté par le lieu théâtral lui-même. Le premier, la présentation, celui du réel des spectateurs, sorte d'antichambre entre l'extérieur du théâtre, la vie « profane » et celui de la scène.

Le second espace / temps en jeu est celui de la scène, celui de la représentation. Ce temps est celui du jeu, celui du spectacle. Le troisième espace/temps est celui de la re-représentation. C'est dans celui-ci que se situent les leviers étudiés ici. Ces leviers sont placés dans le drame au sein de la scénographie, la mise en scène, les personnages etc. et font le lien entre plusieurs états de conscience, « l'invisible rendu visible »127.

L'interpénétration de ces trois temps, donne au spectacle un statut de lisière parfois, nous l'avons vu avec les exemples de Lepage et d'e-toile, fort troublants, déclenchant une impression de « temps hors du temps ».

Cette impression se conçoit et se démontre par la physique et c'est le prix Nobel de chimie Ilya Prigogine qui nous donne un élément de compréhension lorsqu'il nous dit que « Le tout est un peu plus que la somme des parties »128.

C'est en effet un ailleurs de la scène que souhaite pointer notre travail. Le spectacle est-il complet sans la conscience de cet au-delà ?

C'est la part manquante que les leviers pointent sur une scène de théâtre, l'existence sensible et troublante d'un au-delà de la scène sur la scène.

Il y a au théâtre une rencontre avec cet « ailleurs », cette autre dimension. Les
spectateurs attendent, consciemment ou inconsciemment, un échange avec cet

127 Peter Brook, L'espace vide, Le Seuil 2001.

128 Ilya Prigogine, Les lois du chaos, Champs, Flammarion, 1997, p. 8.

« ailleurs ». C'est probablement dans cette tension que réside une des grandes forces du spectacle vivant. Cette énergie, l'emploi de leviers sur la scène la met fortement en présence en plaçant le spectateur dans un temps « Au-delà de l'espace et du temps »129. C'est précisément dans la physique dite « nouvelle » que se trouve, certainement, une des propositions de définition les plus pertinentes de ce temps hors du temps dans un lieu « hors-lieux ».

ANNEXES 1

129 Marc Lachièze-Rey, Au-delà de l'espace et du temps, La nouvelle physique, Editions Le Pommier, 2003

a) Masque de Dionysos en marbre, fin du 5e siècle.

b) La Passion et la Résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ. Jouée à Valenciennes en l'an 1547.

ANNEXES 2

a) Le turc, la Danseuse en fil de fer et l'Abstrait du Ballet triadique d'Oskar Schlemmer, 1925.

b) V. Huszar, « Mécano-danseurs », 1926.

ANNEXES 3

a) La Fura dels Baus, F@ust Version 3.0, 1998.

b) Peter Brook, L'homme qui, 1992. ANNEXES 4

Yannick Bressan, L'amant de la nuit, Installation vidéo, Ecole Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg, 1998.

ANNEXES 5

Choré-Carré 1

Coordination générale: Yannick Bressan, Coordination artistique: Cécile Huet - 20, 21, 22, 23, septembre 2000. Théâtre « la Maillon », Strasbourg.

A.

Répétition Sur Internet

Sur le plateau Sur le plateau

Sur Internet Sur Internet

.

Exemples de croquis de développements chorégraphiques proposés aux Internautes.

Croquis réalisés par Cécile Huet

ANNEXES 6

Le Martyre, Adaptation et mise en scène Yannick Bressan , E-toile, La fabrique de théâtre, Strasbourg, novembre 2000.

Dispositif technique du régisseur lumière (Xavier Martayan).

Sur scène, Yannick Bressan.

Sur scène, Yannick Bressan.

Sur scène (vue de derrière le dispositif technique)

ANNEXES 7

Côté noir / Côté blanc

Côté noir / Côté blanc, texte et mise en scène Cécile Huet, E-toile, La Filature, scène Nationale de Mulhouse, novembre 2001.

A .

(Cécile Huet, Catherine Tartarin) Répétition, vue depuis la régie.

Catherine Tartarin, répétition, vue depuis le plateau.

B.

Capture d'écran du spectacle.

Le fantôme : cliquez tous sur le point rouge !

Le porte-voix rentre dans la barre d'outils.

Dans le même temps, un point rouge apparaît à droite de la fenêtre vidéo.

(Page web 4 :

Si le spectateur clique dessus, il tombe sur Dialogue de la mode et de la mort de Giacomo Leopardi.

Ecrit : Lisez ce beau dialogue, vous perdrez le fil de l'histoire.

La Mode : Madame la Mort, Madame la Mort !

La Mort : Attends que ce soit l'heure ; je viendrai sans que tu m'appelles. ...)

C.

Capture d'écran du spectacle.

Capture d'écran du spectacle.

D.

Sur scène durant le spectacle

Sur scène durant le spectacle

Sur scène durant le spectacle

Capture d'écran du spectacle.

E.

Vue du dispositif scénique.

Vue du dispositif scénique. (répétition).

F.

Capture d'écran du spectacle.

Capture d'écran du spectacle.

G.

Capture d'écran du spectacle (durant l'entracte).

Catherine Tartarin, répétition, vue depuis le plateau.

ANNEXES 8

Côté noir / Côté blanc (texte et équipe)

Une expérience théâtrale sur Internet
Ecriture et mise en scène de Cécile Huet

Les personnages :

Le fantôme, voix en direct

Voix off (d'en haut), la barre d'outils, voix off d'homme Voix off (d'en bas), la barre de statut, voix off de femme Voix en direct

Ecrit

Lien hypertexte

Voix off

Ecrit, Lien hypertexte, Le fantôme, Voix off, Voix en direct.

Page web 1 :

Ecrit : Un espace se dédouble, Un devient deux.

Lien hypertexte : Entrez

Page web 2 :

Le fantôme : Où suis-je ?

Ecrit : Là
Ecrit : Là

Ecrit et voix off : Plutôt là

Le fantôme : Ici.

Une silhouette se dessine en ombre chinoise. Un écran de mire la suit.

Voix en direct : Un espace carré. Plutôt rectangle.

Enfin, à angles droits, c'est sûr.

I

Le fantôme, Ecrit, Voix off (d'en-haut), Voix off (d'en-bas), Voix off, Voix en direct.

Le fantôme : Par où puis-je sortir ?

Ecrit : Il n'y a pas de sortie.

Le fantôme : Je veux sortir !

Tentative de fuite, ponctuée par un métronome

Sortir
Sortir

Sortir

Sortir Sortir Sortir Sortir Sortir Sortir

Sortir

Je ne peux sortir ?

Ecrit : Ni par là, ni par là. (Ils s'écrivent simultanément de part et d'autre de la fenêtre vidéo, sur la page web.)

Le regard du fantôme suit la direction de chaque « ni par là ».

Le fantôme : Suis-je enfermé ?

Il regarde autour de lui, sur les côtés, en dessous, au-dessus.

Le fantôme : Qu'est-ce que c'est que toutes ces lumières grises ? En dessous, au- dessus...

Qu'y a-t-il d'écrit ?

Ecrit : Précédent. (Descend depuis la barre d'outils, à gauche de la fenêtre vidéo ; il s'arrête en haut de celle-ci, clignote deux fois et disparaît.)

Le fantôme : Précédent quoi ?

Un porte-voix sort de la barre d'outils, à l'angle gauche de l'écran.

Voix off (d'en haut) : Clique sur moi, tu verras... Ha, haaaa !

Le porte-voix rentre dans la barre d'outils.

Le fantôme : Cliquer, mais c'est quoi ? Ca sert à quoi ? Et qui es-tu ?

(S'adressant aux spectateurs) Vous savez-vous ? Alors faites-le ça... cliquez, aller sur PRE-CE-DENT... c'est son nom, non ?

(Page web 3 :

Si le spectateur clique sur précédent, il tombe sur une page sur laquelle il trouve :

Ecrit : espace à facettes.

Voix off : Cliquez sur suivant.

Si le spectateur clique sur suivant, il retombe dans la salle, lorsque celle-ci est chargée :

Voix off : Téléchargement terminé.

S'il ne clique pas sur suivant, il a trois solutions : rester sur la page, retrouver le chemin de la salle ou sortir)

Le fantôme : De toutes façons, moi, je ne peux pas faire ça. Je ne suis pas là, chacun chez soit.

Et chez moi, je n'y suis même pas.

L'espace est vide.

Une main noire entre tout prêt de nous. De son index blanc, elle clique sur une souris imaginaire. Ils passent.

Notre fantôme entre au loin, de dos. Il est face à un cadre carré blanc de travers. Il s'en détourne et part à la découverte de l'espace dans lequel il se trouve. Il en inspecte la rectitude et les angles.

Il ne parvient pas à en franchir les limites. A chaque fois qu'il tente de sortir, elles le repoussent à l'intérieur.

L'espace refuse de se vider à nouveau.

Epuisé par sa tentative de fuite, il s'écroule au centre de la scène et boude face à la caméra, avant de fuir en lui-même, sous la forme d'une boule.

Voix off (d'en-haut) : Il est complètement perdu.

Voix off (d'en-bas) : On pourrait l'aider un peu.

Deux porte-voix sortent simultanément de la barre d'outils et de la barre de statut.

Les deux en choeur : Regarde en face de toi !

Le fantôme sort subitement de son recroquevillement et fixe l'objectif. Les porte-voix rentrent dans leur barre respective.

Ecrit : Cyber (glisse depuis les lumières grises du haut vers celles du bas.)

Le fantôme : cyber... mais oui !

Le fantôme se lève comme s'il avait reçu une révélation. Il se dirige vers la caméra et en referme l'objectif.

Voix en direct : Web, net, toile, réseau, e-économie, non e-business, e-cole, ça , heu... c'est ...e-learning pour les cyberjeunes électroniques : cybermecs et cyberfilles du troisième millénaire !

Cybercafé, cyberculture, cyberthéâtre, cyberceci, cybercela, cybertruc et machin truc ; cybermonde, oui, c'est ça, cyberespace : cybervie, bien sûr.

Ecrit : Et vous, où êtes-vous ?

II

Voix off (d'en-haut), Voix off (d'en-bas), Le fantôme, Ecrit, Lien hypertexte, Voix off, Voix en direct.

Des petites pièces de bois qui tombent dans un plateau en métal se font entendre. Plan sur des dés à six faces noirs et blancs, jetés sur le plateau. Ils sont ramassés et rejetés plusieurs fois de suite.

Une balle rouge tombe après un jet de dés. Les dés ne seront plus jetés ensuite.

Un porte-voix sort de la barre d'outils.

Voix off (d'en haut) : N'ai pas peur, ramasse-le, ça ne tombe pas du ciel !

Le porte-voix rentre dans la barre d'outils.

Une autre balle rouge descend au milieu du champ, face à la caméra, elle reste suspendue en l'air.

Le fantôme rentre dans le champ et s'en saisi délicatement.

Le porte-voix sort de la barre d'outils.

Voix off (d'en haut) : Mais prend-la !

Il la prend.

Le porte-voix rentre dans la barre d'outils. Un porte-voix sort de la barre de statut.

Voix off (d'en bas) : Met-la !

Le porte-voix rentre dans la barre de statut.

Le fantôme interloqué met la balle sur son nez, il se redresse d'un coup, s'affaisse puis se tient droit comme un soldat au garde-à-vous devant son supérieur.

Ses mains en écouteur, il écoute quelques chuchotements venus d'en haut. Un porte-voix sort de la barre d'outils, juste au-dessus de la fenêtre vidéo.

Voix off (d'en-haut) : bzzzz...

Le fantôme : cliquez tous sur le point rouge !

Le porte-voix rentre dans la barre d'outils.

Dans le même temps, un point rouge apparaît à droite de la fenêtre vidéo.

(Page web 4 :

Si le spectateur clique dessus, il tombe sur Dialogue de la mode et de la mort de Giacomo Léopardi.

Ecrit : Lisez ce beau dialogue, vous perdrez le fil de l'histoire.

La Mode : Madame la Mort, Madame la Mort !

La Mort : Attends que ce soit l'heure ; je viendrai sans que tu m'appelles.

...)

Le fantôme : cliquez sur le point jaune !

(Si le spectateur clique, le point jaune tourne sur lui-même et s'évapore)

Le fantôme, gainé de plus belle, lance des ordres d'une façon de plus en plus déterminée.

Le fantôme : Cliquez sur le point blanc !

(Page web 5 :

Si le spectateur clique sur le point blanc, il tombe sur une page toute blanche, un mot est écrit en noir au centre :

Lien hypertexte : là-bas

(6

Si le spectateur clique sur « Là-bas », il tombe sur une nouvelle page toute

blanche, un mot est écrit en noir au centre : Lien hypertexte : Là

S'il ne clique pas sur « Là-bas », il a trois solutions : rester sur la page, retrouver le chemin de la salle ou sortir.

(7

Si le spectateur clique sur « Là », il tombe sur une nouvelle page toute blanche, un mot est écrit en noir au centre :

Lien hypertexte : Ici.

S'il ne clique pas sur « Là », il a trois solutions : rester sur la page, retrouver le chemin de la salle ou sortir.

(Si le spectateur clique sur « Ici », il revient à la salle de spectacle.

S'il ne clique pas sur « Ici », il a trois solutions : rester sur la page, retrouver le chemin de la salle ou sortir.))))

Le fantôme : Cliquez sur le point rose !

(Si le spectateur clique sur le point rose, le point se transforme en rose, puis disparaît.)

Le fantôme entre dans une furie qu'il ne peut plus contenir. Le fantôme : Cliquez sur le point vert !

(8

Si le spectateur clique sur le point vert, il tombe sur une page au centre de laquelle attend une souris verte, quelques secondes après...

Voix off : une souris verte, qui courrait dans l'herbe, je ...

A la fin de la chanson, la page revient automatiquement à la salle de spectacle.)

(Si le spectateur n'a cliqué sur aucun point, ils sont tous intacts sur l'écran de l'ordinateur.)

Au sommet de sa rage, d'un mouvement brusque, le fantôme fait tomber la balle rouge de son nez.

Les points affichés sur l'écran disparaissent un par un.

Le fantôme, loin de pouvoir répondre au garde-à-vous de fin de mission, est complètement décontenancé. Il s'écroule par terre.

Le bruit des dés retenti à nouveau.

Ecran de mire.

Le porte-voix de la barre d'outils sort.

Voix off (d'en haut) : On ne l'a pas avancé.

Celui de la barre de statut sort aussi.

Voix off (d'en bas) : On l'a complètement perdu.

Les deux porte-voix rentrent dans leur barre respective.

Voix en direct : Le carré et ses angles droits ne sont pas moins ouverts que le cercle.

Ecrit : Et vous, êtes-vous là ?

III

Voix en direct, Le fantôme, Voix off (d'en-haut), Voix off (d'en-bas), Ecrit.

Voix en direct : Moi, je suis ici.

La mire se lève, une balle en ombre chinoise se balance de gauche à droite. Notre fantôme de personnage entre sur scène, dos à nous. Il traverse l'espace, au loin, en même temps qu'il décrit un mouvement circulaire de tout son bras. Après un aller-retour, il sort.

Le fantôme entre à nouveau.

Le fantôme: Qui est là ? Y a-t-il quelqu'un ?

Il regarde loin autour de lui, il scrute l'horizon, sa main en pare-soleil au- dessus des sourcils.

Le fantôme: hou, ou..., hou, ou... ! Il y a quelqu'un ? Hou, ou... ! lance-t-il au hasard dans toutes les directions, sans autre réponse que l'échos de sa propre voix.

Il appelle par delà les limites de l'espace dans lequel il se trouve en se rapprochant de plus en plus de nous, jusqu'à arriver tout prêt. Il appelle dans l'objectif de la caméra, puis frappe sur le verre, comme si c'était une porte.

Aucune réponse.

Les deux porte-voix sortent simultanément de la barre d'outils et de la barre de statut.

Voix off (d'en haut)/(d'en bas) en choeur : Nous, nous sommes là.

Le fantôme: Où là ? s'écrit-il en même temps qu'il regarde autour de lui. Voix off (d'en haut)/(d'en bas) en choeur : Ici.

Le fantôme: Ici ou là ?

Voix off (d'en haut) et voix off (d'en bas) ensemble et respectivement : - Au-dessus de toi !

- En dessous de toi !

Le fantôme éberlué scrute le sol et le plafond. Il tente même de sonder l'espace vide qui l'entoure.

Sans succès.

Voix off (d'en haut) : Nous sommes les lumières grises, juste là. Voix off (d'en bas) : A côté.

Le fantôme: Vous êtes loin. Là-bas.

Il regarde successivement au-delà du ciel et de la surface de la terre. Voix off (d'en haut)/(d'en bas) en choeur : Non, juste là. Presqu'ici.

Le fantôme: Alors , je suis où moi ?

Voix off (d'en haut) : Tu es ailleurs.

Le fantôme: Ailleurs où ?

Voix off (d'en haut) : Avec toi.

Voix off (d'en bas) : Entre nous.

Le fantôme: Depuis quand suis-je ici ?

Voix off (d'en haut) : Pas encore une heure.

Le fantôme: Et vous ?

Voix off (d'en haut)/(d'en bas) en choeur : Oh ! Bien avant toi ! Le fantôme: Ah...

Les porte-voix rentrent dans leur barre respective.

Le fantôme déconfit reste seul.

Après un bref parcours dans l'espace, il se place derrière l'écran blanc. Sa silhouette apparaît en ombre chinoise.

Il disparaît dans la pénombre.

Ecrit : Avec qui êtes-vous, là ?

FIN

Equipe de réalisation

Ecriture, scénographie et mise en scène Cécile Huet

Le Fantôme, voix en direct Catherine Tartarin

Voix off (d'en bas), voix off, page web Anne Vauclair

Voix off (d'en haut),voix off, page web 8 Reinette Kelly

Voix off (d'en haut),voix off, page web Grégory Marongio

Directeur technique Joanny Krafft

Consultants techniques Cédric Kuntz

Marc Rohfritsch

Régie plateau Anne Laure Mossière

Assistant régie Mathias Steinlen

Musique, mixage en direct Alexandre Pax

Son Fabio Solare, Cécile Huet

Lumières Xavier Martayan

Marc Laperrouze

Aide à la mise en scène, création électronique Yannick Bressan

Coproduction

La Filature, scène Nationale de Mulhouse e-toile

Le CICV Pierre Schaeffer

Partenaires

Avec le concours du Ministère de la culture et de la communication, La Région Alsace, Le Conseil Général 67, La Ville de Strasbourg, Comutations.

Sur Internet (Caméra 1) Sur Internet (Caméra 2)

Sur Scène Sur Internet (Caméra 1)

Sur Scène Sur Internet (Caméra 2)

ANNEXES 9

La série des BALS :

Bal 1, 15 novembre 2002 au théâtre du Marché aux Grains.

Bal 2 , 13 décembre 2002 à Rheinmunster (Allemagne).

Bal 3, 4 et 5 les 29 décembre 2002, 17 janvier et 13 février 2003 au théâtre du Marché aux Grains. Bal 6, 13 mars 2003 à l'Université Marc Bloch de Strasbourg.

Direction artistique : Cécile Huet Direction chorégraphique : Louis Ziegler

Création électronique, scénographie : Yannick Bressan (excepté Bal 3 et Bal 6)

Danseurs : Marjorie Burger-Chassignet - Yvan Favier - Cyriaque Kempf - Brigitte Morel - Claude Sorin - Bert Van Gorp -

Musique : Alexandre Pax (excepté Bal 6) - Joe Krencker (uniquement Bal 6) Voix : Marie Frering (uniquement Bal 6)

Programmation informatique : Yves Merlicco - Joanny Krafft

Régie lumière et plateau : Xavier Martayan (excepté Bal 3) Jean von Cramer (uniquement Bal 3)

Régie son : Joanny Krafft

Réalisation vidéo : Louis S. (excepté Bals 1 et 6) - Yannick Bressan (uniquement Bal 1) - Cécile Huet (uniquement Bal 6)

Cadrage : Philippe Hutt (excepté Bal 6) - Laurent Brunner (uniquement Bal 6) Streaming video : Comutations (excepté Bal 6) - e-toile (uniquement Bal 6) Animation : Yanneck Heintz.

Coproduction : e-toile, Le Grand Jeu, Cité des sciences et de l'industrie de la Villette (Paris).

Partenaires

Drac Alsace, Conseil Régional d'Alsace, Conseil Général du Bas-Rhin, Ville de Strasbourg, Action Culturelle Université Marc Bloch

A. Bals 1

Sur le plateau Sur le plateau

Mixage caméra 1 et 2 (Internet) Vue Internet (caméra 2)

Vue Internet (caméra 1) Sur le plateau

B. Bals 2

C. Bals 3

Vue Internet (Mixage caméra 1 et 2) Vue Internet (caméra 2)

Vue Internet (Mixage caméra 1 et 2)

Vue Internet (Mixage caméra 1 et 2)

D. Bals 4

Sur scène (vue de derrière la régie vidéo) Sur scène ( vue public)
Régie vidéo (Réalisateur, Louis S.) Sur scène (vue de derrière la régie vidéo)
Sur scène (équipe technique : vidéo, lumière, streaming, son)

E. Bals 5

Vue Internet (caméra 1) Vue Internet (caméra 2, mobile)

Vue Internet (Mixage caméra 1 et 2) Vue Internet (caméra 2, mobile)

Vue de la scène Vue Internet (caméra 1)

F. Bals 6

Sur scène (Louis Ziegler Sur scène la comédienne (assise)

et le musicien Joe Krencker ) Marie Frering et C. Sorin (danseuse)

Sur scène (vue de derrière la régie vidéo) Sur scène (vue de derrière la régie

Informatique, streaming)

Sur scène Public sur Intranet

ANNEXES 9 G.

Mise en place scénique

Dispositif (à titre d'exemple)

Page-web, « Cyberscène »

Exemples de croquis de disposition scénique et capture d'écran de l'interface
Internet pour les Bals.

Interface web (scène-web) de bal 5 durant le spectacle.

ANNEXES 10

Extraits du chat du spectacle BAL 4 15h30

...

53csi7 > c'est trop court pour choisr....

54csi6 > je ne sais pas ce qu'est un solo....

55csi10 > j'ai choisi un détail....

56csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 57csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 58csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 59csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 60csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 61csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 62csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 63csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 64csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 65csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 66csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 67csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 68csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 69csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 70csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 71csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 72csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 73csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 74csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 75csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 76csi7 > j'avaisnpas bien vu "le détail" je recommence donc 77csi7 > on repart

78csi7 > on repart

79csi7 > on repart

80csi7 > on repart

81csi7 > on repart

82csi7 > on repart

83csi7 > super ca tourne bien...

84csi7 > on en redemande

85csi7 > tip top la musique

86csi7 > un gros plan après SVP

87bouxwiller > bravo a tout le monde cà tourne très bien 88bouxwiller > merci

89csi10 > le silence est d'or

90csi10 > après l'entracte on redémarre en douceur... 91csi13 > un p'tit détail sur la danseuse...

92lehmannmar > tabula rasa

93csi2 > la nbande passante faibli, plus que 8 postes 94csi2 > la nbande passante faibli, plus que 8 postes 95csi2 > la nbande passante faibli, plus que 8 postes 96csi2 > la nbande passante faibli, plus que 8 postes 97csi2 > la nbande passante faibli, plus que 8 postes 98csi2 > le chat radotte!!!!

99csi2 > c'est de mieux en mieux. ..bravo pour l'équilibre chorégraphie /muisque

...

102csi2 > ca marche du tonnerre, hein?

1 03lehmannmar > Beau spectacle

1 04csi2 > hola de l'est , comment ca se passe chez vous, côté scène? 1 05csi2 > ca devient vraiment rythmé et dynamique maintenant?

106csi9 > enfin à moi

1 07csi2 > bon l'image est encore un peu limite parfois mais le son est super... 1 08csi9 > c'est super !

109csi2 > tu es ou lehmannmar?

11 0csi2 > tu nous dis quoi pascaline, pas d'inspiration?

11 1csi13 > une petite traverser pour mieux voyager

112csi2 > choisis bien christian

11 3csi1 > solo demande

1 14csi2 > tous les internautes enn ligne peuvent-ils envoyer un chat?

11 5bouxwiller > la tete

1 16csi2 > lehmanar et schmittar vous êtes où? et que pensez-vous de ce que vous voyez

117csi15 > Youpi

11 8csi9 > solo mio enencore des solos

11 9csi9 > c'est reparti crescendo

1 20csi9 > 2 fois la main sur le même poste je suis trop gâté

121 csi9 > et puis je m'éclate avec le chat

122bouxwiller > pour une fille

123bouxwiller > pas de garcon

124csi12 > j'adore les solos

...

128csi9 > détail encore des détails

129csi9 > je suis de plus en plus sous le charme 1 30cyber-base > cb tomblaine bj

131cyber-base > tres beau et agréable

1 32lehmannmar > le premier chat dans l'espace lol 1 33bouxwiller > sur les genoux et vite

1 34bouxwiller > bonjour a boux

135csi12 > c'est la course au premier sur le poste 1 36cyber-base > csi= cité des sciences????

1 37bouxwiller > le torse et le dos

1 38bouxwiller > fille garcon bravo

...

ANNEXES 11

Extraits du chat du spectacle BAL4 20h30

1 bouxwiller > pour essayer... à deux. 2abatecleme > duo

...

4bouxwiller > tous au centre si possible

5bouxwiller > ensemble 6abatecleme > unisson 7abatecleme > traverser 8abatecleme > j'reflechis 9Yann > traversée chaotique... 10Yann > anarchique...

1 1Yann > le desordre regne.. 12bouxwiller > un herisson, comme un

1 3bouxwiller > herrisson 14bouxwiller > solo

15abatecleme > duo

16Yann > minutieux..

1 7bouxwiller > avec les mains en douceur

1 8bouxwiller > exprime le gros...

19bouxwiller > plan,

20bouxwiller > planification 21 bouxwiller > planifié 22bouxwiller > plante 23bouxwiller > planète 24bouxwiller > planisphère

25bouxwiller > chhuuutttttttttttttt

26bouxwiller > chutttt, encore, et encore chhhuuuuurttttt 27Yann > on repart a zero...

28Yann > tout le monde dehors... 29Yann > puis rentrent a nouveau.. 30bouxwiller > passionné et passionnant 31 bouxwiller > vas y seul

32bouxwiller > seul

33bouxwiller > seul

34bouxwiller > du ballet

35bouxwiller > plus souple, plusde souffle 36schneiderm > pareil et différent

...

40schneiderm > je voudrais etre à boux 41 bouxwiller > inspirez, d

42bouxwiller > l'eau 43bouxwiller > douceur 44bouxwiller > encore 45bouxwiller > encore 46bouxwiller > encore 47bouxwiller > du nerf 48bouxwiller > lachez vous

49schneiderm > violent et ruptures 50bouxwiller > et que ça saute

51 bouxwiller > plus vite 52bouxwiller > encore plus vite

53Yann > mouvements saccadés

54Yann > par accoups.. 55bouxwiller > oàrage 56bouxwiller > orage

57bouxwiller > traverser du desert 58bouxwiller > fevrier 59bouxwiller > accroitre 60bouxwiller > la bas

61 bouxwiller > la bas

62bouxwiller > initial 63bouxwiller > lenteur 64bouxwiller > lentement 65bouxwiller > origine

66merliccoca > traverser une junghle 67merliccoca > comme ds sof2 68bouxwiller > deplier

69bouxwiller > déplier 70schneiderm > contacts 71schneiderm > porter 72merliccoca > solo

ANNEXES 12

Extraits du chat du spectacle BAL 5

1 > bonjour

217 > silencieux et troublé

3 > troublant certainement...

4yves > chuttt, repos, calme, douceur

5Kugel > je deux vilains 6 > si beaux pourtant 7christian > amoureux

8Kugel > le chaos précède l'ordre

9 > retour au chaos? 10pierremore > gros plan

11 > autre planète, une autre planète, dites avec vos voix, vos mots...

1 2pierremore > je n'ai pas trouvé les mots

13 > ils s'ordonnent, se dérobent, se construisent... ensemble...

14jeremieber > choc bruit. Enfermement et liberté. Magnétisme. Vivacité. Survie

1 5yves > magnétisme, autour du centre

16yves > plus de bruit, s'envoller, vivacité

17 > instant entre...

18Deborah > douceur

19 > la douce déborah

20 > grace...

21 > calme

22 > voluptée

23jeremieber > Détails, macro, organique, biologique, entropie

24bouxwiller > lentement

25bouxwiller > avec douceur, et calme

26bouxwiller > mais encore 27christian > sensualité 28christian > violence

2917 > angoisse, stress, frayeur, peur, 3017 > angoisse, stress, frayeur, peur, 31 > et tout cela électronique, bravo le challenge

3217 > Appui au sol et sur les corps, corps à coprs... 33yves > un temps, ensemble?

34yves > au delà du virtuel, actuellement. 35bouxwiller > szia szivem tudod ???? 36 > ugfaezjhgfa bqsdb tudod !!

37bouxwiller > ou sur le bord !!!!! 38bouxwiller > mais egalement a demi 39 > un mot encore...

40charlotte > sexualitee primitive 4117 > ensemble, liée et déliée

4217 > ombres chinoises

4317 > Main dans la main, paix

4417 > main dans le platre, cassée 45géraldinec > jouer et rire

46 > tant d'impressions

47 > l'une sur l'autre, sur l'une, sur l'autre sur...

48 > un instant entre l'instant...

49 > encore un peu...

50 > champs libre danseurs

51 > un instant à travers l'espace...

52 > du dedans.

53 > l'ombre d'un instant...

54 > encore

55odile > fraicheur, douceur

56Deborah > dynamisme

57 > encore un mot...

58charlotte > desequilibre

5917 > une ronde de danseurs autour d'un centre invisible 6017 > un grand collier d'air?

6117 > A fleur de peau

62 > rendre visible l'invisible?

63Deborah > en couple 64 > ensemble?

65gaelbialko > ciel, espace, univers

66pierremore > sautiller se frôler s'enlacer

67 > et enfin exister... 6817 > caresses

6917 > Prends-moi dans tes bras

70pierremore > c'est la Saint Valentin profitez en !!!!!!

71 > arret de l'aléatoire...

72 > un instant tunel...

73 > retour...

74géraldinec > envelopper un mot

75géraldinec > caresser une idée

76 > soupir d'une ombre...

77 > soupir du silence...

78 > noir

...

1 12camillebou > L'absurdité des enfants courant dans la rue...

113 - modo' - opale > droite, gauche

114 - modo' - opale > devant, derrière

115 - modo' - opale > ... 116celine&ani > rond, carré

11 7MaisonImag > tous ensemble au centre ! merci

118 - modo' - opale > parlez, mais parlez moi...

119 - modo' - opale > parlons nous...

120yves > chuttt...

121yves > plus de mots

122yves > un regard juste, une impression

123yves > fugace, belle... 124celinedele > Duo et entrelacements

125 - modo' - opale > dessus dessous quoi?

1 26MaisonImag > amour thérapeutique

127MaisonImag > frénésicosmique

128 - modo' - opale > tunel... 129schneiderm > et porter

130 - modo' - opale > tunel...

131 - modo' - opale > un instant dans l'instant... 132celine&ani > immobilité

133yves > le sol

134yves > l'aiaussi

1 35celine&ani > modernité 136celine&ani > schizophrénie

137 - modo' - opale > tunel à nouveau...

138 - modo' - opale > un autre monde

139 - modo' - opale > 10 minutes encore tunel...

140 - modo' - opale > le regard seulement...

141 - modo' - opale > l'écoute

142 - modo' - opale > retour... 143celine&ani > deconnection 144celine&ani > vide

145 - modo' - opale > une planète...

146yves > un autre univers s'ouvre à nous 147regiskenne > présence

...

158 - modo' - opale > bonheur ensemble... 1 59MaisonImag > dexterite meritee 160MaisonImag > athletisme

161 Maison Imag > violence dosee 162MaisonImag > decollage immediat 163MaisonImag > envol malicieux 164MaisonImag > zenith zenith

165celine&ani > apesanteur

166celine&ani > tourbillon de pensées

ANNEXES 13

Biographies.

Cécile Huet.

Elle née le 1er juin 1976 à Maisons-Laffitte (78), Cécile Huet passe son enfance dans la région parisienne, avant de découvrir le sud-ouest de la France, lors du départ de sa famille à Toulouse.

Après avoir commencé un cycle d'études supérieures aux Beaux-Arts de Toulouse (1995-1 997), Cécile Huet intègre l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg (1997-2000).

Le choix de cet établissement et de cette destination a été déterminé par sa situation géographique. Au cours des trois années passées au sein de cette école, elle part neuf mois à Berlin à l'école de mise en scène et de scénographie (1998-1 999). Ces neufs mois lui permirent de s'immerger dans le pays si particulier qu'est l'Allemagne, ils furent également un moment de transition dans sa recherche personnelle. D'une pratique exclusivement plastique et sculpturale, elle s'orienta réellement dans la direction du théâtre, jusque-là abordée de façon parallèle uniquement. C'est avec la réalisation d'une mise en scène, Les paradis naturels, qu'elle achevait ses études aux Arts Décoratifs et obtenu le Diplôme National Supérieur d'Expression Plastique (2000).

Elle poursuivi ensuite son engagement pour le théâtre dans deux directions.

La première, théorique, l'a amenée à prolonger ses études dans un contexte universitaire, à l'Institut d'Etudes Théâtrales de Paris III, où elle a mené une réflexion et rédigé un mémoire sur le Faust I et II de Goethe (DEA obtenu en octobre 2002, avec la mention Très bien«).

La seconde répond à une nécessité de création, ancrée au point de rencontre du spectacle vivant et des nouvelles technologies de l'image et plus particulièrement Internet. Elle se concrétise dans l'activité du groupe de recherche e-toile, dont elle occupe la direction depuis mai 2000, simultanément avec Yannick Bressan, avec lequel elle a fondé le projet. Le questionnement critique qu'elle soutient au sein d'etoile l'a amenée à réaliser différents projets de la direction artistique à la mise en scène. Des créations chorégraphiques d'une part ; elles sont fondées sur le mode de création interactive entre artistes et publics, récemment développé dans les BALS.

Ce projet vise l'identification des modes de communication à travers l'écran de l'ordinateur et le réseau Internet. D'autre part, elle s'est dédiée à la question de l'écriture sur le web dans la création de Côté noir / Côté blanc mais aussi l'écriture dramatique pour la scène.

Aujourd'hui, son travail s'oriente toujours dans ces directions. Les réalisations à venir, dans la lignée des BALS, s'engagent sur le terrain de l'interactivité et l'esthétique déployées par ce mode de création. L'écriture adaptée pour le web reste une préoccupation permanente, dont la concrétisation naîtra dans des créations ultérieures.

Louis Ziegler.

Louis Ziegler, a été formé au C.N.D.C. par Alwyn Nikolaïs. Il conduit une recherche théorique et pratique sur le "chorégraphier" aujourd'hui.

Après une maîtrise de lettres modernes / spécialisation Etudes Théâtrales à Université de Strasbourg qu'il obtenu en 1972 il étudie la Danse classique avec Jean GARCIA (1974 - 1978) puis il entre au Centre National de Danse Contemporaine d'Angers, (1978 - 1981) direction Alwin NIKOLAÏS.

De 1969 à 1974 il présente au Théâtre du Quai - direction Bernard Marie Koltès - quatre spectacles.

En 1975 il Fonde le Théâtre du Marché aux Grains de Bouxwiller avec Christiane Stroe et Pierre Diependaele (créations collectives / tournées en région Alsace).

De plus de 1975 à 1978 il travaille avec l'Opéra National du Rhin (Danse - Chorégraphie).Suite à ces expériences il poursuit un parcours riche et varié. Louis Ziegler est un infatigable touche à tout. Curieux et talentueux il enchaîne de 1982 à 2002 plus d'une vingtaine de créations. De Brise-Lames, (chorégraphie - mise en scène) en 1982, Tonnerres (1984), chorégraphie, Prix spécial Tanz Theater - Concours International de Chorégraphie de Cologne à une première expérience avec e-toile en 2000, Choré-carré II qu'il chorégraphie. Son parcours est riche et atypique. Danse, chorégraphie, vidéo, photo, direction artistique, enseignement, rien ne semble émousser son appétit de recherche et sa soif de découverte. En 2002-2003 il chorégraphie la série des bals présentée par e-toile. Le champ d'exploration proposé par les créations scène / Internet d'e-toile semblent convenir au mieux à son désir de recherches et d'actions sur le territoire de la danse contemporaine.

Lexique (établit par nos soins excepté la définition d'Internet qui à été inspirée du Glossary of Internet Terms de Matisse Enzer, http://www.matisse.net/files/glossary.html) :

Chat : Discussion en direct sur le réseau (inter ou intra net) entre au moins deux personnes par le moyen de textes et / ou pictogrammes (appelés aussi Smiley, Emoticones...) échangés en direct.

Internet :

Il s'agit de la vaste collection de réseaux reliés ensemble en utilisant les protocoles de TCP/IP et qui ont évolué depuis l'Arpanet de l' US Department of Defense des années 60 et du début des années 70.

L'Internet relie des dizaines de milliers de réseaux indépendants dans un vaste Internet global et est probablement le plus grand réseau informatique étendu dans le monde.

Intranet :

Réseau privé à l'intérieur d'une compagnie ou d'une organisation qui emploie les mêmes genres de logiciel que sur l'Internet public, mais celui-ci est seulement pour l'usage interne.

Salle-net, cyber-scène, scène web :

Page Web mise en réseau accueillant la vidéo ou tout autre élément artistique (comme le son, ou les écrits...) ayant un lien avec une action artistique se déroulant (ou s'étant déroulée) sur un plateau réel et dont le prolongement dramaturgique est la page Internet. C'est sur cette scène web qu'est proposée, si il y a lieu, l'interactivité.

Spectateur-net, cyber-spectateur, web-spectateur: Spectateur qui assiste à la représentation sur une scène web.

Streaming : Envoie d'un flux de son et / ou de vidéo sur le web. Les données sont encodées par un serveur qui les redistribue ensuite aux internautes dans un format choisi (real, quick time, mp3 etc.).

Bibliographie sélective:

Alcoloumbre Thierry, Mallarmé la poétique du théâtre et l'écriture, Librairie Minard, 1995.

Artaud Antonin, Le théâtre et son double, Folio essais, 2001.

Aslan Odette et Denis Bablet (sous la direction de), Le masque du rite au théâtre, CNRS éditions, 2000.

Borie Monique, Le fantôme ou le théâtre qui doute, Actes sud / Académie expérimentale des théâtres, 1997.

Brecht Bertolt, « Théorie de la radio, 1927-1932 », in Sur le cinéma, précédé des extraits des carnets sur l'art ancien et l'art nouveau, sur la critique, la théorie de la radio, Ed. L'Arche, Paris, 1976

Breton Philippe, Le culte de l'Internet, Editions La découverte, 2000.

Brook Peter, L'espace vide, Le Seuil, 2001.

Buci-Glucksmann Chistine, La folie du voir. Une esthétique du virtuel, Edition Galilée, 2002.

Bureaud Annick et Magnan Nathalie, Connexions, art, réseaux, media, Edition Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2002.

Cauquelin Anne, Le site et le paysage, édition puf Quadrige, 2002.

Couty Daniel et Alain Rey (sous la direction de), Le théâtre, Larousse, 2001.

Craig Edward Gordon, De l'art du théâtre, coll. Penser le théâtre, Circé, 1999.

Debray Régis, Vie et mort de l'image, coll. Folio essais, Gallimard, 1997.

Debray Régis (coordonné par), Cahier de médiologie 1, La querelle du spectacle, Gallimard, 1996.

Deleuze Gilles, Claire Parnet, « L'actuel et le virtuel » in Dialogues, Flammarion, 1999.

Duguet Anne-Marie, Déjouer l'image, créations électroniques et numériques, coll. Critiques d'art, éditions Jacqueline Chambon, 2002.

Durant Ben et Clerbois Michel (sous la direction de), Prométhée et le Golem, éditions La lettre volée, cellule des activités culturelles de l'ULB, 2000.

Eruli Brunella (coordonné par), Puck n° 9, images virtuelles, Editions Institut International de la Marionnette, 1996.

Finkielkraut Alain, Soriano Paul, Internet l'inquiétante extase, Edition Mille et une nuits, 2001.

Fouquet Ludovic, De la boîte à l'écran, le langage scénique de Robert Lepage. Thèse sous la direction de Mme Béatrice Picon-Vallin,

Université de Nanterre, Paris X, Ecole Doctorale Lettres, Langues, Spectacles, 2002.

Guénon René, Les états multiples de l'être, Guy Trédaniel éditeur 2000.

Hamilton Edith, La mythologie. Ses dieux, ses héros, ses légendes, Marabout 1997.

Hébert Chantal et Irène Perelli-Contos, La face cachée du théâtre de l'image, l'Harmattan, 2001.

Heidegger Martin, « La question de la technique » (1954), in Essais et conférences, Gallimard 1958.

Hivernat Pierre, Véronique Klein, « Histoires parallèles. Entretien avec Robert Lepage » in Les Inrockuptibles n77, 1996.

Jomaron (de) Jacqueline, (sous la direction de) Le théâtre en France, Armand Colin éditeur, 1992.

Kandinsky Vassili, Du spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier. édition folio essais, 1994.

Kantor Tadeusz, Le théâtre de la mort, textes réunis et présentés par Denis Bablet, Editions L'age d'homme, 1977.

Lachièze-Rey Marc, Au-delà de l'espace et du temps, La nouvelle physique, Editions Le Pommier, 2003.

Le Breton David, L'Adieu au corps, Editions Métailié 1999.

Lecourt Dominique, Prométhée, Faust, Frankenstein. Fondement imaginaire de l'éthique, biblio essais, Le livre de poche, 1998.

Mc Luhan Marshall, Pour comprendre les médias, Edition Points / Essais, 1977.

Mallarmé Stéphane, « crayonné au théâtre » in Igitur, Divagations, Un coup de dés, Collection poésie, Gallimard, 2001.

Mazouer Charles, Le théâtre Français du moyen âge, Sedes, 1998.

Mèredieu (De) Florence, Arts et nouvelles technologies, Art vidéo, Art numérique, Larousse, 2003.

Merleau-Ponty Maurice, Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945.

Michel Paul-Henri, La pensée de L.B. Alberti, Paris, Les Belles Lettres, 1930.

Morelli Pierre, Multimédia et création, contribution des artistes au développement d'une écriture multimédia, Thèse sous la direction de M. Noël Nel, Université de Metz, U.F.R. Sciences Humaines et Arts, 2000.

Nouvelles de danse, danse et nouvelles technologies, n 40, 41, édition Contredanse, 1999.

Orwell George, 1984, Collection Folio, Gallimard, 2002

Pascal, Pensées, éditions Classiques Garnier, Bordas, 1991

Picon-Vallin Béatrice (sous la direction de), Les écrans sur la scène, Editions L'age d'homme, 1998.

Picon-Vallin Béatrice (sous la direction de), La scène et les images, CNRS édition, 2001.

Plassard Didier, L'acteur en effigie, Editions L'age d'homme, 1992.

Poissant Louise, Esthétique des Arts médiatiques, Montréal, Presses de l'Université du Québec, t.1, 1995.

Prigogine Ilya, Les lois du chaos, Champs, Flammarion, 1997.

Régy Claude, Espaces perdus, Editions Les solitaires intempestifs, 1999.

Régy Claude, L'ordre des morts, Editions Les solitaires intempestifs, 1999.

Régy Claude, L'état d'incertitude, Editions Les solitaires intempestifs, 2002.

Rosset Clément, Le réel et son double, Editions folio essais, 1999.

Rosset Clément, Le réel, l'imaginaire et l'illusoire, Edition Distance, 2000.

Rush Michael, Les nouveaux médias dans l'art, éditions Thames & Hudson, 2000

Schmitt Jean-Claude, Le corps des images, Gallimard, 2002.

Turing Alan, La machine de Turing, collection Points sciences, Editions du Seuil, 1999.

Vernant Jean-Pierre, « La catégorie psychologique du double » in Mythe et pensée chez les Grecs II, Maspero, Paris, 1965.

Vernant Jean-Pierre, « Naissance d'images» in, Religions, histoires, raisons, Maspero, Paris, 1979

Weissberg Jean-Louis, Présences à distance, Edition l'Harmattan, 1999.

Wiener Norbert, God & Golem inc. Sur quelques points de collision entre cybernétique et religion, Editions de L'éclat, 2000.

Wiener Norbert, Cybernétique et société, Edition synoptique, collection 10/18, 1971.

Wolton Dominique, Internet et après ?, Edition Champs Flammarion, 2000.






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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams