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Le parquet général de Rouen sous la monarchie de Juillet (1830-1848)

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par Julien Vinuesa
Université de Rouen - Maîtrise d'histoire 2004
  

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3-2-3 : Les petites affaires de la gazette de Normandie et autres délits politiques : la vigilance sous toutes ses formes.

A-Les acquittements de la gazette de Normandie : des entorses à la détermination du ministère public.

De nouveau, le 16 mars 1833, Théodore de Corneille, propriétaire-gérant de la gazette de Normandie, est amené devant la Cour d'assises pour une modeste affaire de fausse déclaration : la gazette de Normandie est accusée, par le premier avocat général Alfred Daviel, d'avoir inventé le récit de troubles parisiens, dans le numéro du 4 mars 1833, et d'avoir publié une fausse déclaration du préfet de police de Paris Gisquet. Mais déjà, le 22 décembre 1832, Alfred Daviel avait eu à traiter une affaire mettant en cause le gérant de la gazette de Normandie Walsh, prévenu d'avoir diffamé et injurié par la voie de la presse le même préfet de police : Walsh avait été acquitté305(*). Dans ce nouveau procès, Alfred Daviel considère que la gazette de Normandie a publié ces fausses informations simplement pour « troubler la paix publique »306(*). Une fois encore, la mise en cause du « puissant préfet de police Gisquet »307(*) excède le parquet et donne une occasion réitérée pour poursuivre la gazette. Mais le jury ne semble plus aller dans le sens du ministère public : comme Walsh précédemment, Théodore de Corneille est acquitté308(*).

Quelques mois plus tard, c'est l'almanach Le Bon Normand, qui est mis au banc des accusés. En réalité, Le Bon Normand est une publication de la gazette de Normandie et une version provinciale du Bon Français, publication parisienne de la Gazette de France309(*). Dans le réquisitoire prononcé à la chambre des mises en accusation, le 15 janvier 1833 , l'avocat général Félix Boucly reproche au Bon Normand de faire le plaidoyer de Charles X et de sa famille : l'almanach donne les titres d'Henri V au duc de Bordeaux, de Madame à la duchesse de Berry. La naissance du duc de Bordeaux y est célébrée comme une fête nationale : « Français, c'est aujourd'hui la fête de Henri votre roi légitime »310(*). Malgré tout, le plus condamnable est que Louis-Philippe, « le Roi des Français est présenté comme le plus odieux des usurpateurs, comme un perfide parent qui a commis une spoliation criminelle »311(*) : ainsi, le ministère public retient de ces propos le délit d'offenses contre la personne du Roi des Français. Toutefois, l'animosité contre le régime orléaniste ne s'arrête pas là et les attaques de l'almanach s'attachent également à décrédibiliser un symbole du régime, le drapeau tricolore : « Tous les crimes enfin de l'horrible convention ont imprimé à ce drapeau des souvenirs que des victoires étonnantes de la République et de l'Empire ne pourront effacer »312(*). La veille de la séance de la chambre des mises en accusation, le 14 janvier 1833, Maître Mengin qui assure la défense Marie-Auguste-Subtil Delanterie, propriétaire-gérant de la gazette de Normandie, présente un mémoire à la Cour qui ne cache pas son ambition : « Le Bon Français [paru dès 1831], à son apparition, fut, comme Le Bon Normand, en butte aux poursuites du ministère public ; mais le ministère public y perdit ses réquisitoires : espérons qu'il en sera de même dans l'affaire du Bon Normand »313(*). Tout en expliquant et en relativisant le contenu du Bon Normand, l'avocat Mengin insiste sur l'incohérence de la stratégie pénale du ministère public :

« Le Bon Normand ne contient en réalité, et sauf un petit nombre d'articles, que des choses déjà publiées dans la gazette de Normandie, la Gazette de France, le courrier de l'Europe, le Brid'oison et autres journaux ou feuilles périodiques. Hâtons-nous d'ajouter qu'aucun de ces articles n'avait été poursuivi lors de sa publication. Et certes, la susceptibilité du ministère public est grande lorsqu'il s'agit de publications faites dans les journaux : plus grande, et avec raison, nous devons l'avouer, que lorsqu'il s'agit de publications faites dans les livres [...]. Comment penser que ce qui a été innocent dans un journal, deviendrait coupable dans un almanach ? [...]. Etrange contradiction, Messieurs, et dont vous ferez justice »314(*).

La défense de Delanterie repose sur le fait que les rédacteurs de la gazette de Normandie sont étrangers à la parution du Bon Normand : par ailleurs, le plaidoyer innocente également Pierre Pointel, éditeur de l'almanach : « Poursuivre le compilateur [qui rapporte quelque fait de l'histoire de nos diverses révolutions] serait vouloir mettre sous le scellé l'histoire de nos quarante dernières années, et si telle est la prétention du ministère public, cette prétention ne peut être accueillie par la Cour »315(*). Le ministère public estime lui qu'il y a une correspondance notable entre Le Bon Normand et la gazette de Normandie : « Ces deux publications sont rédigées dans le même esprit ; elles sortent de chez le même imprimeur ; la gazette de Normandie a fait l'éloge du Bon Normand ; cet almanach est annoncé par elle comme devant être vendu dans ses bureaux »316(*). Le 15 mars 1833, Delanterie absent, Pierre Pointel est le seul à comparaître devant la Cour d'assises : il n'est pas présenté comme éditeur de l'almanach Le Bon Normand mais comme « employé au bureau du journal dit gazette de Normandie et ancien sous-officier dans le deuxième régiment de cuirassiers de l'ex-garde royale »317(*). Alfred Daviel fait condamner le journaliste Pointel à six mois de prison et 500 francs d'amende. Quant à Delanterie amené à la barre comme l'un des propriétaires-gérants de la gazette de Normandie, il est finalement jugé le 30 mai 1833 : le substitut du procureur général Narcisse Leroy fait répondre l'accusé des délits d'attaques contre les droits que le roi tient du voeu de la nation française, d'offenses contre la personne du roi des français et de provocation à la haine et au mépris du roi ; « en aidant et assistant avec connaissance, Pierre Pointel, éditeur de l'almanach [...], en mettant publiquement en vente et en distribuant des exemplaires du dit almanach quoi qu'il connût la nature et la criminalité de cet ouvrage »318(*). Condamné par défaut lors du procès du 15 mars à mille francs et à la même peine de prison que Pointel, Delanterie est déclaré non coupable par le jury du 30 mai. C'est un nouveau désaveu pour le parquet général. Le jury, « institution qui sent encore les bois dont elle est sortie, et qui respire fortement la nature et l'instinct »319(*), contrecarre les poursuites répressives du parquet général pour mettre au pas l'opposition légitimiste : ces décisions populaires décevantes et à l'inverse des perspectives politiques justifient d'autant plus le choix privilégié par le parquet de la correctionnalisation.

Si la presse constitue la face la plus menaçante et la plus surveillée du légitimisme, le ministère public se doit de poursuivre, sous tous ses traits, cette opinion adversaire au régime.

* 305 Affaire d'Edouard Walsh du 22 décembre 1832, 2U 1717.

* 306 Réquisitoire du premier avocat général Alfred Daviel pour le procureur général, du 5 mars 1833, 2U 1723.

* 307 Francis Démier, op. cit., p. 125.

* 308 Procès de Théodore de Corneille devant la Cour d'assises, le 16 mars 1833, 2U 1723.

* 309 Mémoire de l'avocat Mengin (avocat de Marie-Auguste-Subtil Delanterie, propriétaire-gérant de la gazette de Normandie) présenté le 14 janvier 1833, 2U 1721.

* 310 Réquisitoire de l'avocat général Félix Boucly, devant la chambre des mises en accusation, le 15 janvier 1833, 2U 1721.

* 311 Ibid.

* 312 Ibid.

* 313 Mémoire de l'avocat Mengin (avocat de Marie-Auguste-Subtil Delanterie, propriétaire-gérant de la gazette de Normandie) présenté le 14 janvier 1833, 2U 1721.

* 314 Ibid.

* 315 Ibid.

* 316 Ibid.

* 317 Procès de Pierre Pointel et Marie-Auguste-Subtil Delanterie, devant la Cour d'assises, le 15 mars 1833, 2U 1721.

* 318 Procès de Marie-Auguste-Subtil Delanterie, devant la Cour d'assises, le 30 mai 1833, 2U 1721.

* 319 Propos du conventionnel Adrien Duport sur les jurys d'assises. Cité par Christian Bruschi, op. cit., p. 118.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand