Varela nous propose dans « le présent
spécieux » une explication naturalisée de
l'expérience du moment présent doublement fondée sur
l'analyse phénoménologique et la neuroscience cognitive.
L'expérience de la temporalité questionne le
fait que nous existons dans un réseau temporel transparent (cf. Les
confessions de St Augustin et le paradoxe du présent contenant du
passé ou la psychologie pragmatique de W. James et le présent
spécieux). Il va se baser surtout sur les travaux d'E. Husserl posant
comme principe fondamental que si toutes les formes d'activité mentale
dépendent de la temporalité, cette dernière ne
dépend d'aucune d'elles formulant de façon réelle les
structures fondamentales du temps intime afin de poser un lien entre
enquête phénoménologique et résultats en
neurodynamique sur les assemblées neuronales, soit la
neurophénoménologie.
De fait, explorer le temps suppose de réduire et
déterminer des invariants descriptifs.
La physique classique évoque le temps comme une
flèche (« courant constant fondé sur des
séquences d'éléments finis ou
infinitésimaux » pouvant être réversibles et
identique à la théorie moderne du calcul (machine de Turing).
Mais le temps de l'expérience se différencie de
celui mesuré avec une horloge, se présentant sous forme
linéaire mais aussi avec une texture complexe avec un centre, un moment
présent avec un contenu intentionnel focalisé limité par
un horizon passé et se projetant sur le moment suivant qu'il vise :
c'est la « structure tripartite de la temporalité »
Husserlienne.
Plus encore, la conscience ne contient pas le temps comme une
catégorie psychologique constituée mais c'est la conscience
temporelle constitue par elle-même le substrat ultime de la conscience
irréductible, « médium universel d'accès
à ce qui existe » (Gurwitsch, 1966, p. XIX) rejoignant le
paradoxe apparent de l'expérience temporelle humaine Jamesien (chap. 9
des principes) où le présent est considéré comme un
agrégat dans la conscience sachant que ce moment est un flux. De fait,
Varela distingue trois niveaux de la temporalité : le premier
propre aux évènements et aux objets temporels dans le monde,
utilisé en physique et dans le calcul ; le second dérivable
du premier par réduction est celui des actes de conscience constitutifs
des objets-évènements ou niveau « immanent »
fondé sur le « temps interne » des actes de
conscience (cf. Les leçons pour une phénoménologie de la
conscience intime du temps Husserliennes) ; le dernier est la base de
constitution des deux premiers, ne permettant pas de distinction entre
l'interne et l'externe (le « temps absolu constituant le flux de la
conscience » Husserlien).
Varela va nous expliciter cela suivant six axes
principaux :
1. La durée des
objets-évènements ou le fait que le corrélat ou foyer
intentionnel de la conscience temporelle est l'objet-évènement
temporel duquel le temps ne se détache jamais : les actes de
conscience portent sur le premier caractérisé pour Husserl par un
double aspect de durée (actuelle, renvoyant à l'objet
localisé dans le temps, corrélative de la direction
intentionnelle) et d'unité (corrélative de l'individualité
de l'objets-évènement, temporel ou acte complet couvrant un
intervalle de temps T mais aussi un processus continu où s'articulent
les moments présents sous forme de succession). D'où le
problème de Varela de caractériser les structures des actes de
conscience dont dérive la conscience de la succession. Or, il manque
pour ce faire une phénoménologie de la conscience du temps
interne développant la réduction et la texture de base de
l'expérience nécessitant de la reconsidérer selon un mode
d'accès à l'expérience concis servant la réduction
(d'où le recours à des tâches spécifiques de
perception visuelle multistable qui diffèrent des
objets-évènements physiquement passifs sachant que la perception
repose sur une interdépendance active entre sensation et mouvement
enracinant la temporalité dans le vivant même).
Plus encore, « la neurodynamique de
l'apparaître temporel » partira des agents incarnés et
situés (« énaction ») nécessitant que
le couplage sensori-moteur module l'activité endogène continue et
la configure en éléments significatifs du monde dans un flux
incessant faisant que tout acte mental est caractérisé par la
participation simultanée de nombreuses régions du cerveau
fonctionnellement distinctes et topographiquement distribuées et par
leur incarnation sensorimotrice dont l'alliage est la base de la
temporalité nécessitant un cadre de simultanéité
correspondant à la durée du présent vécu. Varela va
introduire trois échelles temporelles unifiées
(« l'intervalle de fusion » des systèmes sensoriels,
l'intégration à large échelle et le liage entre les
horizons dynamiques endogènes et la formation d'un horizon temporel plus
vaste) prenant sens en relation avec les objets-évènements posant
la question de savoir comment un évènement temporellement
étendu peut se manifester comme présent et comme
déployé dans un horizon temporel et permettant de poser trois
hypothèses -pour chaque acte cognitif, il existe une assemblée de
neurone unique, spécifique, sous-tendant son émergence et sa
réalisation, chaque A.C. est sélectionnée grâce au
verrouillage de phase rapide et transitoire de neurones activés
appartenant à des A.C. sous-liminaires en compétition, les
processus d'intégration-relaxation d'échelle
« 1 » sont les corrélats stricts de la conscience du
temps présent--dont la dernière est au centre de l'analyse
Husserlienne du temps intime.
2. Le juste passé n'est pas la
mémoire : un objet temporel nous apparaît tel quel en raison
des actes de conscience qui lui sont corrélés dont les modes
spécifiques d'apparition constituent la problématique de la
temporalité immédiate privilégiant le
« présent spécieux », emplacement temporel et
qualité vécue mais aussi source des autres modes de
temporalité qu'husserl décrira et représentera
géométriquement, champ visuel en centre et
périphérie (« frange temporelle, PIZ, 35) posant la
question du contraste entre mode d'apparition du présent et du
juste-passé (cf. Brentano) et du comment de sa structuration perceptive,
de l'analyse de la dynamique intrinsèque de ce glissement de
l'apparition et de sa forme : remémoration ou mémoire
d'évocation (conscience représentationnelle) et imagerie mentale
ou imagination (conscience impressionnelle ou présentationnelle).
3. La dynamique de la rétention :
Husserl va alors introduire les notions de rétention et protension comme
désignation de la dynamique d'impression. Si la rétention est ce
qui dans un acte mental retient des phases du même acte perceptuel sur un
mode différent de l'expérience du présent et dont la
caractéristique est sa relation avec des impressions antérieures
faisant que la perception contient des aspects se présentant comme
temporellement étendus et que, sous réduction, la durée
spécieuse engendre un espace creux permettant le déploiement de
la temporalité des actes mentaux, la protension est le fait qu'un acte
mental possède des liens en direction du futur constituant donc une
structure tripartite transformant un contenu intentionnel en une extension
temporelle dont Husserl donnera une représentation
géométrique (cf. M. Merleau-Ponty, 1945, 477 ou « le
temps n'est pas une ligne mais un réseau
d'intentionnalités » et le schéma de Varela, p. 63). La
rétention est également un acte intentionnel visant l'objet en
glissement et le constituant en juste-passé, cette notion
devant-être développée permettant de synthétiser
l'espace temporel où se déploient les évènements
cognitifs notamment par appel aux connaissances sur la dynamique des
phénomènes non linéaires appliquée aux
évènements cognitifs (trajectoire dynamique, dynamique de la
multistabilité) démontrant que protension et rétention
sont asymétriques et que la première n'est pas contrainte par
l'espace des phases.
4. La dynamique du flux : La dynamique
rétentionnelle, acte intentionnel, appartient donc toujours à la
catégorie de l'analyse constitutionnelle dite
« statique », parce qu'intentionnellement dirigée
vers les objets-évènements et vers un processus externe ou
élément possédant une durée immanente. En sus de
ces niveaux de la temporalité (apparition des
objets-évènements et actes de conscience les constituant), il est
« un flux de la conscience constituant le temps absolu »,
introduisant deux problèmes : l'analyse génétique
constitutionnelle du temps et la dimension affective ou protension. La
temporalité immanente est coexistence de permanence et de changement. La
conscience est donc un arrière plan constant sur lequel des actes
temporels et des évènements distincts apparaissent, soit une
rétention de la rétention ou double-intentionnalité
Husserlienne (renvoyant aux notions d'intentionnalité transversale et
longitudinale) constitutifs du flux unitaire de la conscience. Elle ne peut
exister sans les actes qu'elle vise ou expérience mais s'en distingue.
Ces deux intentionnalités indisociables mettent en exergue le lien entre
auto-mouvement (immanence) et trajectoires (apparition) demandant plus
d'investigations aux disciplines d'intéressant à la conscience
humaine sachant que l'apparition de cet automouvement peut s'étudier du
point de vue de l'affection.
5. La protension, i.e. la transparence et la
tonalité émotionnelle : L'expérience se
caractérise par une transition soudaine accompagnée d'un
changement sur le plan émotionnel au moment de la perception visuelle.
De fait, la trajectoire rétentionnelle est présence du
passé avec une tonalité émotionnelle. Quel est le
rôle de l'émotion/affect dans l'auto-mouvement du flux ? Dans
la protension/anticipation de l'avenir ? Si Husserl semble avoir
considéré protension et rétention sont symétriques
en partie (« constitution vide »), à la base de la
vision tripartite du temps, Varela considère que la protension est
préfiguration, elle n'est ni attente ni anticipation au sens où
elle contiendrait une représentation du futur et propose son
enrichissement par une double hypothèse invalidant la symétrie
entre protension et rétention : le nouveau est
imprégné d'une tonalité émotionnelle accompagnant
le flux faisant que la protension est attente ; si la
rétention est continuum, la protension ne s'étend que sur un
domaine limité, par incapacité de prévoyance de ce qui est
à venir. Par conséquent, la rétention prépare la
protension, mais la seconde ne peut modifier rétroactivement la
première (cf. Gallagher, 1979)
6. Le présent : nouvelles figures
du temps.
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