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Du Bestiaire au Mythe: Analyse d'un aspect de l'imaginaire baudelairien dans Les Fleurs Du Mal

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par Amina Benelhadj
Université Mentouri de Constantine - Magister 2006
  

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Chapitre I :

Gilbert Durand et l'approche anthropologique

Introduction :

Le développement des sciences humaines a depuis toujours éclairé la critique littéraire en permettant une meilleure compréhension voire, explication de toute oeuvre littéraire. Le courant anthropologique est pour sa part d'un grand apport théorique explicatif, notamment concernant la notion de l'imaginaire.

Au XXe siècle, le professeur Gilbert Durand est le fondateur du courant universitaire de l'anthropologie symbolique. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles qui traitent du trajet anthropologique et des `structures anthropologiques de l'imaginaire'.

Avant de présenter l'approche anthropologique que propose Durand, un historique de l'apport du courant anthropologique dans la littérature s'impose pour situer, précisément, l'approche duranienne dans le courant.

1- Historique :

a- Le XXe siècle et les théories formatrices autour de l'image(1) :

Recueil d'articles sous la direction de Joël Thomas, Introduction aux méthodologies de l'imaginaire est un ouvrage qui retrace l'histoire de la notion de l'imaginaire. Réunis sous un chapitre portant le nom de « Le XXe siècle et les théories formatrices de l'image », quatre de ces articles présentent, dans un ordre chronologique, ces théories sur l'imaginaire.

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(1) Titre pris dans le livre Introduction aux méthodologies de l'imaginaire, Joël Thomas (ouvrage collectif), ellipses, Paris, 1998, p. 83.

Proposé par J. Thomas, le premier article du chapitre(1) présente l'oeuvre de Carle-Gustav Jung (1875-1961) qui est d'un grand apport pour toute recherche sur l'imaginaire. Elle traite essentiellement des notions d'imaginaire et de symbole.

Situer la pensée de C. G. Jung par rapport à celle de Freud paraît très utile, selon J. Thomas, pour rendre compte de la différence entre le père de la psychanalyse et son disciple qui peu à peu, se sépare de lui. Freud, selon les termes de J. Thomas, définit le symbole comme étant « ce qui signifie »(2). Il déprécie le régime diurne en faveur du régime nocturne, en considérant le rêve comme action de libération et d'extériorisation. Jung, quant à lui, considère le rêve comme un reflet de l'inconscient.

Par ailleurs, chacun du maître et de l'élève propose une dynamique différente de l'inconscient. Freud le définit comme un puzzle éparpillé de la psyché alors que pour Jung, il « se présente comme formé de différents noyaux cohérents qui tendent, chacun, à se poser en personnalité autonome. »(3). L'analyse jungienne consiste essentiellement à « regrouper ce qui est épars, et de trouver une cohérence fonctionnelle entre ces niveaux de la psyché »(4).

Pour Jung, poursuit J. Thomas, tout individu a tendance à croire que c'est sa personne même qui constitue l'ensemble de la psyché. Pour expliquer cette position, Jung propose l'exemple d'un ensemble de personnes vivant au centre d'une île et ignorant l'existence de l'eau tout autour. Selon ses termes, cité par J. Thomas, il s'agit d' « une sorte de materia prima nourricière, d'océan sur lequel flotte la psyché, la notion d'un inconscient collectif, énorme champs dans lequel notre imaginaire puise et se ressource constamment »(5). Pour lui, les

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(1) Ibid.

(2) Ibid.

(3) Ibid., p. 84.

(4) Ibid.

(5) Ibid.

ressources de l'inconscient collectif n'apparaissent qu'à travers une obligatoire relation de la psyché et de l'archétype qui n'apparaît à son tour qu'à travers les symboles.

De par sa psychanalyse, Jung exprime également, selon J. Thomas, une grande affinité vis-à-vis des fonctions religieuses et des fonctions du sacré. Il est persuadé de l'incontournable rôle que tient la fonction religieuse dans une perspective sur l'homme.(1)

Le second article(2), visant à retracer l'histoire des approches sur l'imaginaire, est proposé par J. J. Wünenburger. Il présente les théories de trois chercheurs sur l'imaginaire : Ernest Cassier, Hans Georg Gadamer et Raymond Ruyer.

Selon Wunenburger, une partie du travail d'E. Cassier, dont la pensée prolonge celle de Kant, porte sur la culture à travers le mythe, l'art et la religion. Cassier a également été influencé par la pensée hégélienne qui renvoit, selon les termes de Wünenburger, à « l'idée d'un développement progressif de l'esprit à travers le temps historique »(3)

La notion de forme symbolique se trouve valorisée chez Cassier pour qui elle désigne : « (...) toute énergie de l'esprit par laquelle un contenu de signification spirituelle est accolé à un signe sensible concret et intrinsèquement adapté à ce signe. »(5). Ce qui signifie, selon l'interprétation de Wünenburger , que la notion de forme symbolique englobe des représentations mythiques , religieuses et artistiques (5) . Ces mêmes représentations connaissent une évolution historique et confèrent à l'imagination, « une puissance de symbolisation liée à l'affectivité »(6).

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(1) Ibid. p. 87.

(2) Ibid., p 91.

(3) Ibid.

(4) Cassier, Trois essais sur la symbolique, Cerf, 1997, p. 13, in. Ibid., p. 92.

(5) Op. cit., J. Thomas.

(6) Ibid.

En s'appuyant sur le mythe et sur la religion, Cassier, sans pour autant résoudre la question de l'imaginaire, proposera donc une nouvelle théorie philosophique du sens, qui s'appuie à son tour sur la culture collective.

De son côté, Hans Georg Gadamer (1900) lie la compréhension du sens à une pré-compréhension qui est à son tour liée à des traditions, culturelles ou autres. L'interprétation de l'image repose par conséquent sur l'expérience personnelle ainsi que sur la vie spirituelle de l'homme.

Dans sa tentative d'interprétation de l'imaginaire, et par une approche s'appuyant essentiellement sur le caractère traditionnel dans tout imaginaire, Paul Ricoeur (1913- ) recourt à « la fonction mythique du discours, qui permet de (...) rendre compte de la conscience morale.(1). Il s'oppose par ailleurs à la psychanalyse freudienne et souligne, selon les mots de Wünenburger, que « l'inconscient (...) met en oeuvre »(2) non seulement « des processus organiques, pulsionnels, accessible à une science, mais aussi au champ symbolique ouvert à des interprétations existentielles qui excèdent les mécanismes objectifs »(3). Par conséquent, «  la construction langagière du récit, dont le mythe représente une forme primordiale témoigne donc des nécessaires médiations entre la conscience et les actes et illustrent la proximité entre histoire réelle et histoire inventée »(4).

Wünenburger poursuit son article avec Raymond Ruyer (1902-1987) pour qui « l'imagination n'est qu'un mode de production subjectif par lequel les essences de la Nature

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(1) Ibid., p. 94.

(2) Ibid.

(3) Ibid.

(4) Ibid.

vivante pénètrent dans le domaine spatio-temporel. »(1). Par ailleurs, et comme Cassier, Ruyer reconnaît le rôle que remplit la religion dans l'interprétation du sens des formes symboliques.

L'article suivant, écrit par J. Thomas, prend en charge l'oeuvre de Roger Caillois qui parle de l'existence d'une relation « dialogique »(2) entre la raison et l'imaginaire. Dans ce sens, l'imaginaire se voit constamment contrôlé par la raison en même temps que la mobilité des frontières de la raison sont sans cesse repoussées par la grande étendue de l'imaginaire(3). Tout comme ses contemporains, Caillois réfléchit sur la notion du sacré qui « est fondamentalement religio, lien, relation »(4)

Le dernier article qui sera cité dans ce survol des théories sur l'image est proposé par J. Thomas. Il prend en charge l'approche de Georg Gusdorf(5). Afin d'interpréter les différentes formes symboliques dans l'imaginaire humain, Gusdorf définit systématiquement, avant même la conscience intellectuelle, une conscience mythique(6), qui renvoit chez lui à une dimension où règnent la répétition et la création .

Par ailleurs, Gusdorf insiste sur l'importance de deux notions complémentaires malgré leur apparente contradiction. Il s'agit de la notion d'universalité, « avec le développement de l'astrologie (...) qui met en évidence la notion de la loi cosmique »,(7) et la notion d'individualité qui, avec « la découverte de la personnalité, correspondant à l'entrée de l'homme dans l'âge historique et en même temps de son souci de survie personnelle, (...) va être le grand moteur de la création artistique moderne. »(8).

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(1) Ibid., p. 95.

(2) Ibid., p. 97.

(3) Ibid.

(4) Ibid., p.99.

(5) Ibid., p. 101.

(6) Ibid.

(7) Ibid.

(8) Ibid.

b- Historique des théories proposées par Durand :

Dans l'introduction de Les structures anthropologiques de l'imaginaire(1), Durand situe historiquement sa propre approche de l'imaginaire.

En s'appuyant sur le point de vue sartrien, il commence par préciser ce que la notion d'imaginaire représente pour les « classiques »(2), chez qui elle est réduite à tout ce qui se situe au-delà de la sensation(3).

Les premiers « classique » évoqués par Durand sont Brunschvicg pour qui l'imaginaire est un « pêché contre l'esprit »(4), et Alain pour qui les mythes sont « des idées à l'étant naissant »(5). En effet, Alain pense que « notre mythologie est exactement copiée sur ces idées d'enfance »(6). « C'est sur cette conception d'un imaginaire dévalué que fleurit L'associationnisme »(7), terme utilisé pour la première fois par Taine(8) qui tente à son tour d'expliquer « les connexions imaginatives »(9) en réduisant l'image à « un puzzle statique et plat »(10) et en plaçant l'image « à mi-chemin entre la solidité de la sensation et la pureté de l'idée »(11).

De son côté, Bergson souligne qu'à l'origine de l'imagination se trouve en premier lieu la mémoire. Sartre quant à lui, distingue entre ce qu'il appelle le « compteur de l'existence »(12) et l'imagination, en soulignant la différence qui existe entre la pensée du poète et celle du chroniqueur.

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(1) Thèse d'état soutenue par Durand en 1960.

(2) Op. cit., G. Durand (1969) p.16.

(3) Ibid.

(4) Brunschvicg, Héritage de mots, héritage d'idées, p. 98.in. op. cit., Durand (1969), p. 15.

(5) Alain, Vingt leçons sur les beaux arts, 7e leçon, Préliminaires à la mythologie, p. 89-90.in. op. cit., Durand (1969), p. 16.

(6) Op. cit., Durand, 1969, p. 16.

(7) Ibid.

(8) Ibid.

(9) Ibid.

(10) Ibid.

(11) Ibid.

(12) Ibid.

Afin de ne pas « `chosifier' l'image, Sartre propose la méthode phénoménologique qui ne laisse `apparaître' du phénomène imaginaire que des intentions purifiées de toute illusion d'immanence. »(1). Cette méthode propose trois caractères de l'image. Le premier lui donne une nature transcendante en la qualifiant d'abord de conscience. Ce qui différencie l'image des autres consciences, selon Sartre, est l'objet imaginé qui est, dans le cas de l'image, immédiatement donné pour ce qu'il est, sachant que « le savoir perceptif se forme lentement par approximations et approches successives »(2) et constituant ainsi le deuxième caractère de l'image. Ceci donne naissance, note Durand, au troisième caractère de l'image que Sartre appelle « La conscience imageante »(3), qui est à l'origine d'une spontanéité de l'image. Sartre affirme ainsi que « L'image est une réalité psychique certaine »(4). Affirmation que Durand finit par critiquer. En effet, selon lui, « Sartre a manqué (...)l'image »(5) et n'a pas réussi « à saisir le rôle général de l'oeuvre d'art et de son supportimaginaire »(6). Durand pense que cela revient à la négligence vis-à-vis du « patrimoine imaginaire de l'humanité que constituent la poésie et la morphologie des religions »(7).

Pour Jung, poursuit Durand, « toute pensée repose sur des images générales »(8) et des « archétypes » (9) qui « façonnent inconsciemment la pensée » (10). De son côté, Piaget montre la « cohérence fonctionnelle »(11) de la « pensée symbolique et du sens conceptuel, affirmant par

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(1) Ibid., p. 17.

(2) Ibid.

(3) Ibid.

(4) J. P. Sartre, Imagination, p. 138.in. op. cit. Durand (1969), p. 19.

(5) Op. cit., Durand (1969)

(6) Ibid.

(7) Les archétypes sont définis par Jung comme « schémas ou potentialités fonctionnelles ». in. Ibid., p. 25.

(8) Jung, Types Psychologiques, p. 310.in. op. cit. Durand (1969)

(9) Piaget, La formation du Symbole. in. Op. cit., Durand (1969)

(10) Op. cit., Durand (1969), p.25.

(11) Ibid.

là l'unité de la solidarité de toutes les formes de la représentation »(1). Pour Piaget, l'image remplit la fonction de « signifiant différencié plus que l'indice, puisqu'il est détaché de l'objet perçu, mais moins que le signe puisqu'il demeure imitation de l'objet et donc signe motivé (par opposition au signe verbal ou arbitraire »(2).

Pour finir, Durand expose l'approche bachelarienne du symbolisme imaginaire qui repose sur « deux intuitions »(3) qu'il reprend pour sa propre approche. La première intuition transforme l'imagination en un dynamisme organisateur et la deuxième fait de ce même dynamisme un « facteur d'homogénéité dans la représentation »(4). Par ailleurs, Durand souligne que pour Bachelard, l'imagination est avant tout « une puissance dynamique qui « déforme » les copies pragmatiques fournies par la perception, et ce dynamisme réformateur des sensations devient le fondement de la vie psychique tout entière parce que « les lois de la représentation sont homogènes »(5) »(6).

En prenant pour point de départ ces deux intuitions bachelariennes, Durand tente une classification des symboles de l'imaginaire en faisant appel non seulement à Bachelard mais aussi à Krappe, Dumézil et Piganiole.

2- Les symboles de l'imaginaire et leurs classifications :

a- Présentation des différents principes de classification :

Dans l'introduction de Les structures anthropologiques de l'imaginaire, et avant de proposer sa propre « classification des grands symboles de l'imagination sous des catégories

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(1) Ibid.

(2) Ibid.

(3) Ibid., p. 26

(4) Bachelard, L'air et les songes. In. Ibid.

(5) Op. cit., Durand (1969), p. 26

(6) Ibid.

motivantes [et] distinctes. »(1), Durand propose en premier lieu un état des différentes tentatives de classification des symboles de l'imaginaire.

Selon lui, toute classification se fait « selon les grands centres d'intérêt d'une pensée »(2), que les motivations soient d'un symbolisme religieux ou d'une imagination littéraire.

Il souligne par ailleurs(3) que la norme de classification peut être, d'un côté, selon « un ordre de motivation cosmologique et astral »(4), où ce sont les saisons, les météores et les astres « qui servent d'inducteur à la fabulation »(5), ou, d'un autre côté, selon des « des données sociologiques du microgroupe ou des groupes étendus jusqu'aux confins du groupe linguistique. »(6).

Dans l'aperçu général des théories proposées dans l'introduction de Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Durand évoque en premier la classification proposée par Krappe, qui classe les mythes et les symboles en deux ensembles : les symboles célestes et les symboles terrestres(7). Dans son ouvrage intitulé Genèse des mythes , Krappe s'intéresse aux fonctions remplies par les hiérophanies, ainsi que par les rites et les cultes. Il médite essentiellement « sur le Grand Temps et les mythes de l'Eternel Retour »(8).

De son côté, Bachelard estime que c'est la sensibilité qui sert de lien entre l'imaginaire et le réel. Il propose, par ailleurs, la théorie des quatre éléments qui représentent pour lui, selon les termes de Durand, de véritables « hormones de l'imaginations »(9).

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(1) Ibid., p. 29.

(2) Ibid.

(3) Ibid.

(4) Ibid.

(5) Ibid.

(6) Ibid.

(7) Ibid., p.30.

(8) Ibid.

(9) Ibid., p. 31.

A côté de ces propositions de classement selon un ordre cosmique, Durand cite(1) l'exemple de Dumézil et de Piganiole qui s'intéressent davantage aux influences sociologiques. Durand souligne que pour Dumézil, les symboles de l'imaginaire sont d'origine sociale et se dégagent plus précisément des mythes et des rituels. Pour Piganiole, ils sont surtout d'origine historico-politiques.

La classification des symboles est donc établie selon cinq critères. Elle peut être selon des motivations cosmologiques (Krappe), selon les quatre éléments de la nature, (Bachelard), selon des critères sociologiques, (Dumézil et Piganiol), ou selon des critères psychanalytiques (approche freudienne et l'approche jungienne).

b- Classification proposée par Durand :

Dans Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Durand propose une approche globalisante qui, mêlant objectif et subjectif, s'inspire des précédentes perspectives. Il nous semble par ailleurs nécessaire, avant de présenter la classification proposée par Durand, de préciser le courant anthropologique dans lequel elle s'inscrit et pourquoi y avoir eu recours.

Fondateur du courant universitaire de l'anthropologie symbolique, Durand propose dans son approche une analyse de l'imaginaire anthropologique certes, mais inspirée de plusieurs autres approches. En effet, il fonde sa recherche sur la psychologie des profondeurs de Jung, la philosophie des images de Gaston Bachelard et la philosophie des formes symboliques de Ernest Cassier(2). Il est ainsi possible de retrouver dans la classification des symboles de l'imaginaire proposée par Durand quelques unes des classification proposée à la fois par Jung, Cassier, Gadamer, Ruyer, Caillois, Bergson Piaget, Bachelard ou Dumézil.

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(1) Ibid., p. 32.

(2) Cf. op. cit., J. Thomas, p. 140.

Durand soutient dans sa classification que les symboles de l'imaginaire trouvent leurs origines soit dans « des matrices sociales »(1), construites essentiellement à partir de la langue, soit par « des gênes radicaux »(2) qui « interviennent assez mystérieusement pour structurer les ensembles symboliques, distribuant et les mentalités imaginaires et les rituels religieux. »(3).Il part de la réflexologie afin de préciser l'importance des réflexes dans la composition de la nature de l'imaginaire humain. Il souligne, par ailleurs, l'existence d'une interaction de ces mêmes réflexes, qui sont héréditaires, et des données sociologiques qui sont tout aussi bien imprégnées dans l'imaginaire humain. C'est ce que Durand appelle le trajet anthropologique(4), qui correspond, dans un premier temps, à « deux schèmes : celui de la verticalisation ascendante et celui de la division tant visuelle que manuelle, au geste de l'avalage correspond le schème de la descente et celui du blotissement dans l'intimité »(5). A ce stade, les schèmes(6) n'ont pas encore atteint le dynamisme des images. Ils se « substentifient » en archétypes(7) et « c'est ainsi qu'aux schème de l'ascension correspondent immuablement les archétypes du sommet(...) »(8).

Durand propose, en se basant sur cette notion de trajet anthropologique, une classification qui se fait selon « deux Régimes du symbolisme, l'un diurne, l'autre nocturne. »(9). Le premier régime correspond « aux images déclenchées à partir de la dominante posturale et des

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(1) Op. cit., Durand (1969), p. 29.

(2) Ibid.

(3) Ibid.

(4) Cf. Définition de l'imaginaire, in. Définitions de quelques notions, Introduction, p. 8.

(5) Op. cit. Durand (1969), p. 61.

(6) Le schème est défini par Durand comme « une généralisation dynamique et affective de l'image(...). Le schème s'apparente à ce que Piaget, après Silberer, nomme « le symbole fonctionnel » à ce que Bachelard appelle « symbole moteur ». il fait la jonction (...) entre les gestes inconscients de la sensori-motricité (...). Ce sont les schèmes qui forment le squelette dynamique, le canevas fonctionnel de l'imagination. » in. Ibid. (Cette notion sera reprise et définie dans les quelques lignes qui vont suivre).

(7) Les archétypes sont pour Durand « les substentifications des schèmes » in. Op. cit., Durand (1969), p. 62.

(8) Ibid. p. 63.

(9) Ibid., p. 58-59.

(10) Ibid., p. 58-59.

schèmes »(1), le second correspond, quant à lui, à des images« déclenchées par la dominante de nutrition et ses schèmes »(2) ainsi que par les schèmes cycliques.

Dans l'approche duranienne, toute image possède son propre code sémantique. Les images sont qualifiées de symboliques et dépendent du trajet anthropologique qui fait leur stabilité. Durand leur confère le nom d'images archétypes et les considère comme des images originales à la source de toutes les autres images. Les archétypes(3) sont « le point de jonction entre l'imaginaire et les processus rationnelles »(4)

Après ce bref résumé de l'introduction de Les structures anthropologiques de l'imaginaire, et après les brèves précisions du vocabulaire proposé par Durand , il est capital de présenter les différentes classifications proposées par l'auteur à l'intérieur même de l'un des régimes proposés : le régime diurne.

Durand tente, dans la première partie de son livre réservée au régime diurne, une analyse de l'imaginaire à travers le recours à l'image animale. Il commence par montrer le rôle important que tient la représentation animale dans l'imaginaire humain en confirmant l'existence de « toute une mythologie fabuleuse des moeurs animales »(5), qui montre le bestiaire comme « solidement installé tant dans la langue, la mentalité collective que dans la rêverie individuelle »(6).

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(1) Op. cit., J. Thomas et al., p. 143.

(2) Ibid.

(3) Pour Jung, l'archétype est « synonyme d'image primordiale », d' « engramme », d' « image originelle », de « prototype ». Il écrit : « L'image primordiale doit incontestablement être en rapport avec certains processus perceptibles de la nature qui se produisent sans cesse et son toujours actifs, mais d'autres part il est également indubitable qu'elle se rapporte aussi à certaines conditions intérieures de la vie de l'esprit et de la vie en général...i » in. Les structures anthropologiques de l'imaginaire, p. 62.  Pour distinguer entre l'archétype et le symbole Durand propose un exemple :  « la roue, (...), est le grand archétype du schème cyclique, car on voit quelle autre signification imaginaire on pourrait lui donner, tandis que le serpent n'est que le symbole du cycle, symbole fort polyvalent. » in. Ibid. p.63 .

(4) Op. cit. Durand (1969), p. 144.

(5) Ibid., p. 72.

(6) Ibid., p. 73.

Durand souligne par ailleurs, que malgré la fonction que remplit son image archétypale, « l'animal peut être surdéterminé par des caractères particuliers en ne se rattachant pas

directement à l'animalité »(1) . Il retient entre autre l'image de l'oiseau qui, à côté de son image archétypale, symbolise également d'autres qualités telle que l'ascension. qualité qu'il partage, souligne Durand, avec la flèche.

Chez Baudelaire, à titre d'exemple, l'oiseau est non seulement symbole d'ascension, mais également de mort. De leur côté, le cheval et le chat symbolisent à la fois la mort et la sensualité.

Par ailleurs, Durand semble penser que l'une des plus importantes manifestations animales se fait à travers « le schème de l'animé »(2). Ce dernier, qui se fait par des mouvements brusques et indisciplinés, exprime essentiellement une profonde inquiétude. Ce schème de l'animé qui apparaît en général sous forme de fourmillement, est, selon Durand, l'une des « primitives manifestations de l'animalité »(3).

Etant toujours présent à travers l'image des insectes et des vermines qui sont qualifiés de larves par « la conscience commune »(4) le schème de l'animé se « cerne d'une aura péjorative »(5). Selon Bandoin cité par Durand, ces larves que l'on retrouve à travers l'image terrifiante du ver sont complémentaires d'une autre créature monstrueuse : l'araignée. Proche du ver, Durand évoque aussi l'image du serpent qui, de par son dynamisme, inspire « une `discursivité' répugnante »(6).

Dans Les Fleurs du Mal, il est possible de noter non seulement l'image du ver, mais aussi celle du serpent, de l'araignée, des larves et des insectes de manière générale. Cette répulsion

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(1) Ibid.

(2) Ibid., p. 71.

(3) Ibid., p. 76.

(4) Ibid.

(5) Ibid.

(6) Ibid., p. 77.

qu'inspire l'agitation fourmillante « se rationalise dans la variante du schème de l'animation que constitue l'archétype du chaos »(1). En effet, selon Durand, quand le schème de l'animé s'accélère, il ne fait « que compenser un changement brusque par un autre changement brusque »(2). Il exprime une grande peur face au changement, voire face à la mort. La mort que l'on retrouve aussi, note Durand, avec la chevauchée infernale du cheval chthonien « qui structure normalement la fuite et lui donne ce ton catastrophique que l'on retrouve chez Hugo, comme chez Byron ou chez Goethe »(3).

Le sens dynamique des images, proposé par G. Durand dans cet ouvrage, conduit l'imaginaire humain à utiliser ce même dynamisme pour se protéger de certaines images agressives telle que l'image de la mort. Il est souvent question en effet, dans l'imaginaire humain, d'une euphémisation de la mort. Par ailleurs, à travers plusieurs traditions et rites de différentes civilisations, la valeur de la mort s'inverse pour « devenir le doux réveil du mauvais rêve que serait la vie ici-bas. »(4). Nombreux sont, en effet, les exemples en littérature, et notamment en poésie, où on assiste à une « délectation morbide que l'on retrouve souvent dans la poésie »(5). L'euphémisation de la mort dans la poésie, Durand retient l'exemple de « la légère nécrophile baudelairienne »(6). Qui met en scène un poète aspirant au véritable sommeil, à la mort.

Dans la deuxième partie consacrée au régime diurne, Durand s'étale sur le schème de l'ascension à travers l'image animale. Il montre la manière dont se fait la désanimalisation de l'oiseau au profit de l'aile qui est l'attribut du vol. L'oiseau est non seulement présenté comme animal de libération mais aussi comme oiseau de malheur par sa symbolisation de la mort.

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(1) Ibid.

(2) Ibid.

(3) Ibid., p. 78.

(4) Ibid., p. 79.

(5) Ibid., p. 273.

(6) Ibid., p. 272.

De cette surdétermination de l'image animale, naît « une difficulté essentielle de l'archétypologie (...) qui provoque toujours une polyvalence sémantique au niveau de l'objet symbolique »(1). Cette conception du sens dynamique des images permet d'échanger et de mettre les images en mouvement les unes par rapport aux autres. Ces structures de l'imaginaire opèrent donc, selon Durand, par redoublement et par emboîtement, provoquant, entre autres, les inversions de valeurs des images intolérables.

Ainsi, la classification des symboles de l'imaginaire que propose Durand, s'appuie essentiellement sur deux régimes qui s'opposent par définition, l'un diurne et l'autre nocturne. A travers ces deux régimes, l'auteur tente de repérer des invariants de sens et de les interpréter pour arriver à constituer des constellations d'images convergeant autour d'un noyau stable.

A partir de ces images invariables, Durand s'applique à montrer le dynamisme qui existe entre les différents symboles de l'imaginaire qui puisent leurs significations dans des représentations qui appartiennent en premier lieu à l'environnement culturel et social d'une communauté, voire d'une civilisation fait à la fois, de croyance populaires et de mythes. Ces origines culturelles que Durand appelle le trajet anthropologique, seront employées dans l'analyse de l'image animale dans Les Fleurs du Mal, afin de tenter de déterminer l'origine (ou les origines) du bestiaire baudelairien.

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(1) Ibid., p. 73.

Conclusion :

Dans ce travail qui vise à analyser le bestiaire de Les Fleurs du Mal, l'approche anthropologique duranienne s'intéresse aux images animales, aux différents rapports qu'elles entretiennent les unes avec les autres ainsi qu'au rapports qui relient ces mêmes images aux thèmes dans lesquels elles s'inscrivent. Ceci confère à l'analyse une dimension dynamique qui trouve à son origine un `trajet anthropologique' reflétant, ainsi, les différents aspects de la culture du poète.

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