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La place de l'affaire Eichmann dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah en France au début des années 1960

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par Patrick Gillard
Université libre de Bruxelles - Licencié en histoire 2009
  

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Contribution à l'histoire de la mémoire de la Shoah

LA PLACE DE L'AFFAIRE EICHMANN

DANS LE PROCESSUS DE CONSTRUCTION

DE LA MÉMOIRE DE LA SHOAH

EN FRANCE

AU DÉBUT DES ANNÉES 1960

Patrick Gillard, historien

Bruxelles, décembre 2009

à la mémoire de Jean Dugnoille

SOMMAIRE

INTRODUCTION 04

LA PLACE DE L'AFFAIRE EICHMANN DANS LE PROCESSUS DE CONSTRUCTION DE LA MÉMOIRE DE LA SHOAH : SURVOL HISTORIOGRAPHIQUE 09

Israël 11

États-Unis 12

République fédérale d'Allemagne 14

France 14

LE RETENTISSEMENT DE L'ANNONCE DE LA CAPTURE ET DU JUGEMENT D'EICHMANN 16

L'énorme médiatisation 18

La double polémique 19

LE RETENTISSEMENT DE L'AFFAIRE PENDANT LA PRÉPARATION DU PROCÈS 21

Les objectifs du procès 22

La mise en scène spectaculaire 25

L'intérêt en France 26

LE RETENTISSEMENT DU PROCÈS 28

Du procès à l'exécution 28

La recrudescence ou non d'actes à caractère antisémite 31

Trois études de cas 33

Le cas de la France 36

La couverture médiatique du procès 38

Israël 44

États-Unis 45

République fédérale d'Allemagne 46

France 47

CONCLUSION 50

La place de l'affaire Eichmann dans le processus

de construction de la mémoire de la Shoah

en France au début des années 1960

« L'oubli qui efface, la mémoire qui transforme (...) Derrière la mince lisière de l'incontestable (...), un espace infini s'étend, l'espace de l'approximatif, de l'inventé, du déformé, du simplifié, de l'exagéré, du mal compris, un espace infini de non-vérités qui copulent, se multiplient comme des rats, et s'immortalisent 1(*). »

Plusieurs moments historiques marqueraient les grandes étapes du processus de construction de la mémoire du génocide des Juifs d'Europe. Selon les pays et les interprétations, le procès Eichmann à Jérusalem en 1961, la guerre des Six Jours en 1967, la guerre du Kippour en 1973, l'arrivée du Likoud au pouvoir en Israël en 1977 et la large diffusion du feuilleton télévisé Holocaust en 1978 et en 1979 en constitueraient les premiers moments clés.

La propension de nombreux historiens à considérer le procès d'Adolf Eichmann comme le tournant de ce processus dans l'État hébreu n'entraîne pas pour autant qu'il ait eu la même incidence mémorielle partout dans le monde.

Or, certains historiens ont apparemment tendance à exagérer et à généraliser sa portée et ses effets. Ne devraient-ils pas plutôt relativiser et singulariser l'importance et l'influence qu'il a eues au début des années 1960 dans des pays diversement touchés par cette affaire -- comme en Israël, aux États-Unis, en République fédérale d'Allemagne (RFA) et en France ?

Objet de cette étude 2(*), la place que l'affaire Eichmann occupe dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah en France, au début des années 1960, dépend du retentissement qu'elle y a eu alors 3(*). Or, sa portée dans l'Hexagone n'a visiblement jamais fait l'objet d'un examen spécifique digne de ce nom -- ni dans les années 1960 ni par la suite.

Cette absence d'enquête en France -- que la présente étude entend précisément combler -- est d'autant plus regrettable que des instituts de recherches ont justement ausculté sa couverture de presse dans d'autres pays et que des chercheurs ont même étudié les effets qu'elle a produits sur des groupes sociaux tant aux États-Unis qu'en Israël 4(*).

Ainsi, trois chercheurs de l'université de Berkeley (Californie) publient The Apathetic Majority en 1966 5(*). Fondée sur quatre cent soixante-trois interviews réalisées pendant le procès auprès d'un échantillon représentatif de la population d'Oakland (Californie), leur enquête s'efforce notamment de répondre à la question inédite suivante -- valable pour les États-Unis : « Quelle a été l'influence du procès sur l'opinion publique 6(*) ? » [notre traduction]

La réponse nuancée des trois universitaires américains se fonde sur une analyse approfondie qui se veut objective 7(*). L'ampleur quantitative et qualitative de la couverture médiatique du procès aux États-Unis constitue à leurs yeux une de ses principales réussites 8(*). Mais seule la fraction la plus avertie de la population états-unienne s'intéresse, selon eux, au procès et à son message 9(*). Dans cette perspective, le procès n'atteindrait donc pas les ambitieux objectifs éducatifs poursuivis par les autorités israéliennes 10(*).

La réaction de l'immense majorité de la population états-unienne, qui calque passivement son attitude à l'égard du procès sur celle dans l'ensemble bienveillante des médias du pays, lui est quand même globalement favorable 11(*). C'est la raison pour laquelle les trois universitaires californiens retiennent finalement le concept de « majorité apathique ».

En l'absence d'étude similaire pour la France et à condition de les manipuler avec la plus grande prudence, les enseignements tirés des enquêtes et sondages réalisés à propos de cette affaire dans d'autres pays pourraient peut-être éclairer aussi le retentissement qu'elle a eu alors dans l'Hexagone.

Sa portée au début des années 1960 résulte essentiellement de la combinaison de deux facteurs. Son retentissement découle non seulement de l'ampleur de la couverture médiatique dont elle fait alors l'objet mais aussi du contexte réceptif ou non, propre à chaque pays, dans lequel elle s'inscrit au moment où elle éclate.

Qui dit couverture médiatique entend spontanément examen minutieux de la presse. Or, aucun dépouillement des journaux français de l'époque n'a été délibérément entrepris dans le cadre de cette recherche. La raison en est double. D'une part, cette consultation aurait représenté un travail considérable. De l'autre, nos recherches bibliographiques répondaient correctement à nos interrogations.

Ce parti pris ne compromettait-il pas quand même dès le départ toute évaluation sérieuse de la portée de cette affaire en France ? D'un côté, la publication de quelques fragments de sa couverture de presse hexagonale pallie l'absence de tout dépouillement systématique. De l'autre, les spécificités bien connues du contexte politique français dans lequel elle s'inscrit au début des années 1960 influencent, elles aussi, considérablement son retentissement.

De manière générale, les caractéristiques de l'environnement politique propre à chaque pays au moment où cette affaire éclate -- comme le poids de la communauté juive organisée, la proximité ou la divergence de vues avec Israël, la recrudescence ou l'absence d'actes à caractère antisémite -- pèsent sérieusement sur la façon dont les opinions publiques respectives la reçoivent.

Le contexte politique français au début des années 1960, fondamentalement marqué par les péripéties dramatiques liées à la fin de la guerre d'Algérie, entre par conséquent prioritairement en ligne de compte dans notre étude. De même, l'environnement historique des autres pays diversement touchés par cette affaire fera lui aussi l'objet de toute notre attention.

Sauf en Israël où les sessions du tribunal se succèdent pendant quatre mois au cours de l'année 1961, le procès Eichmann agit partout comme un facteur extérieur sur le processus mémoriel de la Shoah. En France comme dans les autres pays, cette donnée essentielle exige la prise en compte prioritaire de tous les éléments internes susceptibles d'influer dans un sens ou dans l'autre sur ce processus. Le cinéma français représente lui aussi un vecteur mémoriel essentiel au tournant des années 1960. Il fera donc l'objet d'une attention particulière.

Dans l'État hébreu, là où l'importance de sa portée ne fait pourtant aucun doute, l'affaire Eichmann ne déclenche pas à elle seule le processus mémoriel. Certes, comme le signale le journaliste Amos Elon dans le portrait de son peuple, le rapport en 1962 d'une enquête pour évaluer « l'impact du procès Eichmann sur les étudiants de l'université hébraïque de Jérusalem » arrive à la conclusion « que le procès a provoqué un cas presque unique «d'intérêt élevé» à propos d'un problème public » 12(*).

Mais, comme l'explique le journaliste israélien ensuite : « À l'époque où ils devinrent publics, les résultats de cette enquête furent reçus avec suspicion. (...) On estimait alors que cet intérêt diminuerait après la conclusion de ce procès sensationnel 13(*). » Or, comme le souligne toujours Amos Elon : « Cela n'a pas été le cas. Les effets de l'Holocauste nazi sur la psychologie nationale ont atteint un nouveau point culminant pendant les semaines précédant la guerre des Six Jours 14(*) » -- c'est-à-dire au cours des premiers mois de l'année 1967.

Dans cette perspective, l'affaire Eichmann inaugurerait plutôt une série de moments de l'histoire israélienne qui, étape après étape, alimenteraient le processus de construction de la mémoire de la Shoah. Est-ce également le cas en France ? Où en est l'élaboration de ce processus dans l'Hexagone lorsque cette affaire éclate au grand jour ?

La présente recherche entend donc avant tout -- c'est d'ailleurs son objectif premier -- déterminer la place que cette affaire occupe dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah en France, au début des années 1960. L'hypothèse selon laquelle une partie la communauté historique aurait tendance à donner trop de poids mémoriel à cette affaire fera également l'objet d'un examen minutieux.

La rencontre de notre objectif principal et la vérification de notre hypothèse exigent l'évaluation préalable de la portée que cette affaire a eue alors en France. À défaut de dépouillement de la presse française contemporaine, la lecture dans ce sens d'une partie de l'abondante littérature qui lui est consacrée palliera aussi l'absence d'étude spécifique sur son retentissement dans l'Hexagone. Le Mémorial de la Shoah à Paris ne conservant apparemment aucun dossier de presse sur le procès 15(*), le dépouillement systématique de plusieurs numéros spéciaux de la revue du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) -- Le Monde Juif -- comblera en partie cette lacune.

Tout au long de cette étude, il nous faudra également répondre à plusieurs questions concrètes. Combien de temps la philosophe Hannah Arendt couvre-t-elle les sessions du tribunal ? Quel est le rôle du CDJC dans cette affaire ? Combien de témoins représentent la France à ce procès ? Combien d'envoyés spéciaux le couvrent pour les médias hexagonaux ? Combien de ménages français possèdent un récepteur de télévision au début des années 1960 ? Quelles sont alors les principales préoccupations des Français ?

Nos recherches portent essentiellement sur deux années. Elles s'ouvrent le 23 mai 1960 avec l'annonce officielle de la capture d'Eichmann et de son jugement en Israël et se terminent deux ans plus tard avec l'exécution de l'ancien colonel SS -- le 31 mai 1962. La vive controverse que provoque la publication des écrits d'Hannah Arendt par la suite n'entre donc pas en ligne de compte ici 16(*).

Un bref rappel des faits à l'origine de cette interminable polémique s'avère toutefois nécessaire. Envoyée spéciale à sa propre demande par le magazine The New Yorker, Hannah Arendt couvre les premières semaines du procès qui s'ouvre à Jérusalem en avril 1961. Deux ans plus tard, elle publie son reportage dans une série de cinq articles du New Yorker qui seront très rapidement réunis dans un ouvrage intitulé : Eichmann in Jerusalem : A Report of the Banality of Evil 17(*).

Cette double publication déclenche sur-le-champ une polémique si vive dans la communauté juive des États-Unis que, comme le souligne Peter Novick dans son ouvrage de référence déjà cité : « Pendant un temps, la philosophe juive allemande émigrée allait devenir l'ennemi public numéro un des Juifs Américains 18(*). » Les accusations portées contre Hannah Arendt visaient surtout son traitement prétendument bienveillant d'Eichmann, sa critique du procès et sa façon de présenter le comportement des Juifs pendant le génocide 19(*).

Si cette controverse est tellement importante, pourquoi alors ne pas la prendre en considération dans notre recherche ? Deux raisons ont essentiellement motivé notre choix. La première est qu'elle a déjà fait couler beaucoup d'encre. Un nombre incalculable de publications lui sont d'ailleurs consacrées ou s'y réfèrent 20(*). La seconde réside dans le fait qu'elle ne touche globalement la France qu'assez tardivement -- en 1966 21(*). Même si les rédacteurs de la revue du CDJC s'efforçaient depuis un certain temps de la faire connaître dans le cercle restreint de leurs lecteurs, elle n'atteint véritablement l'Hexagone qu'à partir de la fin du mois d'octobre 1966 lorsque les éditions Gallimard sortent la première version française du livre controversé d'Hannah Arendt 22(*).

Avant de procéder à l'évaluation des effets que chaque phase de l'affaire Eichmann replacée dans son contexte a eus alors en France, comme dans les autres pays qu'elle a diversement touchés 23(*), une partie de l'impressionnante bibliographie qui lui est consacrée fera l'objet d'un examen destiné à déterminer la place que les historiens lui réservent en général dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah. Ce survol historiographique permettra également d'étayer l'hypothèse selon laquelle une partie de la communauté des historiens aurait tendance à exagérer et à généraliser le poids qu'elle a eu alors dans ce processus mémoriel.

La place de l'affaire Eichmann dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah : survol historiographique

Notre examen historiographique a mis en évidence une ordonnance géographique que le présent exposé respecte fidèlement. D'aucuns évaluent l'importance mémorielle de cette affaire de manière globale alors que d'autres le font sous l'angle national.

Des historiens de la première catégorie estiment que cette affaire a largement contribué à la prise en compte du génocide des Juifs dans la conscience universelle. À leurs yeux, elle représente souvent aussi un tournant décisif dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah -- en France comme dans d'autres pays 24(*).

Spécialiste reconnue de l'histoire de la mémoire de la Shoah en France, Annette Wieviorka fait figure de pionnière au sein de ce premier groupe. Dans un ouvrage de 1989 où elle étudie cette affaire, elle arrive à la conclusion que « dans la chaîne des phénomènes qui marquèrent la prise en considération du génocide des Juifs par la conscience universelle, le procès Eichmann constitua l'étape décisive » 25(*).

Dans L'ère du témoin -- l'ouvrage phare qu'elle publie une dizaine d'années plus tard --, l'historienne pousse son interprétation plus loin. Elle passe du rôle crucial que l'affaire aurait joué dans cette prise de conscience universelle à la place centrale que celle-ci occuperait, selon elle, aussi dans le processus d'élaboration de la mémoire de la Shoah de plusieurs pays. Ce faisant, ne tombe-t-elle pas dans le piège de la généralisation hâtive ?

N'y tombe-t-elle pas en particulier lorsqu'elle affirme : « Le procès Eichmann marque un véritable tournant dans l'émergence de la mémoire du génocide, en France, aux États-Unis comme en Israël » -- comme s'il avait eu une incidence comparable dans les trois pays 26(*) ? Son allégation est tellement caractéristique de la tendance historiographique à surmonter qu'elle nous servira de repoussoir tout au long de cette étude.

Cette propension ne fait cependant pas l'unanimité. Bien qu'elle soit tirée de son livre consacré à la place de la Shoah dans le discours et la politique d'Israël, une assertion de portée générale d'Idith Zertal mérite de figurer ici. Faisant preuve de la plus grande prudence, l'historienne israélienne estime que le procès de 1961 « a également contribué à la construction de la mémoire de la Shoah au sein de la culture occidentale » -- évitant ainsi deux écueils d'un coup 27(*). À ses yeux, le procès ne constitue qu'un des vecteurs mémoriels occidentaux à prendre en considération.

Auteure d'un récent ouvrage tiré de sa thèse de doctorat soutenue à l'université libre de Bruxelles en 2007 et consacré à la manière dont la France et la RFA télédiffusent la Shoah, l'historienne Julie Maeck relève aussi que « c'est d'une même voix que la communauté internationale des historiens affirme que le procès Eichmann est l'événement fondateur de l'entrée en scène de l'extermination des Juifs dans la conscience universelle 28(*). » Pourquoi reproduire ici une assertion qui recoupe parfaitement les propos susmentionnés d'une de ses consoeurs ? Parce que Julie Maeck semble consciente de la tendance historiographique à surmonter. Ainsi, ne désigne-t-elle pas implicitement le penchant de certains historiens à exagérer et à généraliser la portée du procès  lorsqu'elle explique que les « événements fondateurs » de 1961 -- le procès Eichmann en tête -- « dont on apprécie l'importance aujourd'hui, ne doivent pas masquer une réalité tout autre, celle d'un contexte peu propice à une réflexion d'ensemble sur le sujet » 29(*) ?

Les chercheurs de la seconde catégorie soulignent l'influence que cette affaire aurait immédiatement exercée sur le processus d'élaboration de la mémoire de la Shoah dans les pays qu'elle a diversement touchés -- à commencer par l'État hébreu, là où les sessions du tribunal se tiennent à partir du mois d'avril 1961.

Israël

Il y a unanimité dans la communauté historique pour dire que « le procès Eichmann constitua un tournant dans l'attitude des Israéliens à l'égard de la Shoah » -- comme vient de l'affirmer l'historienne israélienne Dalia Ofer dans sa contribution à un ouvrage collectif entièrement consacré à la mémoire du génocide dans le monde juif 30(*).

Chef de file de l'orthodoxie sioniste, l'historienne Anita Shapira renchérit quelque peu sur ce que l'immense majorité de ses collègues soutient. À ses yeux, comme elle le précise dans son histoire de l'imaginaire israélien : « certains voient dans le procès Eichmann » non seulement un tournant, mais encore « l'événement majeur qui a fait entrer la mémoire du génocide dans la conscience publique israélienne » 31(*).

Les chercheurs français Nicolas Weill et Annette Wieviorka arrivent sans surprise à la même conclusion que leurs homologues israéliens. Dans une étude où ils comparent les processus d'élaboration de la mémoire de la Shoah en France et dans l'État hébreu, ils mettent en évidence la particularité suivante : « En Israël surtout, la périodisation de l'histoire de la mémoire tourne autour d'un axe : le procès Eichmann 32(*). »

La dernière protagoniste à prendre en compte ici est à nouveau l'historienne Idith Zertal. Dans son ouvrage déjà évoqué, elle estime aussi que ce procès « constitue un tournant dans le processus de création et d'élaboration d'une mémoire et d'un discours politique spécifiquement israéliens à propos de la Shoah » 33(*). Pour quelle raison ajouter une affirmation qui ne rompt pas le consensus observé ?

Parce que l'historienne israélienne situe ce « véritable tournant dans le processus de mobilisation explicite et organisé de la Shoah au service de la politique et de la raison d'État israéliennes, en particulier dans le contexte du conflit israélo-arabe » -- ce qui singularise nettement son interprétation 34(*).

États-Unis

Le sociologue Nathan Glazer est à notre connaissance un des premiers universitaires américains à s'intéresser aux conséquences que l'affaire Eichmann entraîne dans son pays. Comme le titre de son ouvrage de référence l'indique clairement, le chercheur y évalue avant tout les effets produits sur la communauté juive américaine 35(*).

De fait, comme il le note dans la seconde édition de son livre publiée également en français : « À partir de 1960, les Juifs américains prirent mieux conscience, par des voies diverses, du caractère monstrueux du génocide nazi. L'enlèvement d'Eichmann par les Israéliens en 1961 [sic], son procès et son exécution avaient contribué à cette prise de conscience 36(*). »

Trois décennies plus tard, dans un ouvrage faisant désormais autorité en la matière, l'historien Peter Novick détermine la place de plus en plus centrale que l'holocauste occupe depuis 1945 dans la société états-unienne 37(*). Fait remarquable, l'auteur y réduit la portée mémorielle de l'affaire Eichmann au « plus important [...] catalyseur d'un accroissement durable du discours sur l'Holocauste » dans son pays, au début des années 1960 38(*).

Dans cette évaluation, l'historien américain refuse manifestement d'employer des expressions plus fortes -- comme « une étape importante » ou « un rôle décisif » --qu'il réserve, pour bien marquer la prépondérance de leur retentissement mémoriel aux États-Unis, à des événements ultérieurs, comme les guerres de juin 1967 et d'octobre 1973 39(*).

Comment, dans ces conditions, interpréter autrement que par un règlement de compte idéologique le fait que l'historienne Françoise Ouzan formule des critiques à son endroit ? Dans sa récente contribution à un ouvrage collectif déjà indiqué dont elle assure aussi la codirection, elle reproche à son homologue américain de « privilégier » pour des raisons idéologiques « l'impact du procès Eichmann et surtout de la Guerre des Six Jours » dans son interprétation du processus d'élaboration de la mémoire de l'holocauste aux États-Unis 40(*).

Lorsqu'elle appréhende elle-même cette construction mémorielle, Françoise Ouzan insiste d'abord sur « une existence précoce de ce processus d'édification et une évolution marquée par un passage de la sphère privée à la sphère publique dans laquelle le procès Eichmann télévisé opère un déclic » 41(*). Pour quelle raison transforme-t-elle par la suite ce simple déclic en « un élément essentiel dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah » aux États-Unis 42(*) ?

L'étude, que publie le professeur de littérature Alan Mintz dans le récent ouvrage collectif déjà mentionné, ouvre encore davantage l'éventail des opinions que l'on rencontre à propos de la portée de cette affaire dans la production historique. L'auteur y estime certes que « la capture et le procès d'Adolf Eichmann en 1961 constituèrent un événement décisif » dans le processus d'américanisation de l'holocauste, mais c'est surtout sa prise en considération des facteurs internes à la société américaine qui rend son argumentation pertinente à nos yeux 43(*).

République fédérale d'Allemagne

Faute d'une connaissance suffisante de l'allemand, notre survol historiographique se limitera ici à deux ouvrages parus directement en anglais.

Dans le premier livre déjà signalé, un quatuor d'universitaires calcule scrupuleusement l'ampleur des couvertures de presse allemande et israélienne de quatre grands procès liés à l'holocauste -- celui d'Eichmann compris -- organisés entre 1945 et 1986 dans ces deux pays 44(*). Dans le second livre, l'historien britannique Donald Bloxham entend avant tout déceler l'influence des procès de l'immédiat après-guerre -- ceux de Nuremberg en tête -- sur le processus global d'élaboration de la mémoire et de l'histoire de l'holocauste 45(*). Sans surprise, le procès de Jérusalem n'y apparaît que très accessoirement.

Même si l'affaire Eichmann fait l'objet d'une large couverture médiatique en RFA (dans l'ordre décroissant d'importance : la presse écrite, la télévision et la radio), la communauté scientifique s'accorde pour minimiser les effets qu'elle a eus sur la prise de conscience du génocide nazi par la population allemande 46(*). Pour le spécialiste des génocides Donald Bloxham, cette prise de conscience commence seulement à devenir une réalité en 1979 -- avec la diffusion à la télévision allemande du feuilleton américain Holocaust 47(*).

France

Notre examen historiographique s'ouvre ici par une contribution de David Weinberg -- un historien américain qui connaît bien l'attitude de la communauté juive de l'Hexagone envers la Shoah. Pour l'auteur de l'article « France » dans l'ouvrage monumental, unique en son genre, qui passe en revue la réaction d'une vingtaine de pays et celle des Nations Unies face à l'holocauste depuis 1945, « il n'y aucun doute que c'est le procès d'Adolf Eichmann en 1961 qui a surtout suscité le regain d'intérêt des Juifs de France pour l'Holocauste durant cette période » -- c'est-à-dire au début des années 1960 48(*). [notre traduction]

Dans la nation française à la même époque, « l'amorce d'une prise de conscience du sort réservé aux Juifs par les nazis est, avant tout, tributaire de l'impact du procès Eichmann » -- note de son côté l'historienne Julie Maeck dans son étude déjà citée 49(*).

Les diverses chronologies censées retracer les grandes étapes de l'histoire de la mémoire de la Shoah en France, dont l'historienne Annette Wieviorka est friande, constituent une source idéale pour terminer notre survol historiographique 50(*). Dans son tout premier tableau divisé en quatre séquences chronologiques, l'avant-dernière période qu'elle fait commencer à la fin des années 1950 serait, selon elle, « marquée par le moment décisif que représenta en 1961 le procès d'Adolf Eichmann » en France 51(*).

L'historienne semble toutefois relativiser quelque peu la portée mémorielle de ce procès par la suite. Comme lorsqu'elle note dans un article déjà évoqué qu'elle rédige avec le journaliste Nicolas Weill : « Chez les Juifs de France, la guerre des Six-Jours amène une rupture, probablement préparée par le procès Eichmann 52(*). »

Quoi qu'il en soit, l'historienne est intarissable sur l'histoire de la mémoire de la Shoah. La dernière étude qu'elle consacre à notre connaissance à son sujet de prédilection a fait l'objet d'une publication en 2008 dans un ouvrage collectif sur les guerres de mémoires dans l'Hexagone. Dans ce récent article, elle entend notamment démontrer que la mémoire du génocide des Juifs entre dans la sphère publique « avec le procès Eichmann, qui marque un véritable tournant en France, en Allemagne, aux États-Unis comme en Israël » 53(*) -- comme s'il avait eu alors les mêmes conséquences dans les quatre pays. Ne tombe-t-elle pas, ici aussi, dans le piège de la généralisation hâtive ?

Quel crédit accorder enfin à ses différentes affirmations cherchant à prouver l'importance mémorielle précoce de cette affaire en France, alors qu'elle soutient elle-même dans un texte consacré à son filmage, publié dans un récent recueil de conférences réalisé avec Sylvie Lindeperg, que « l'intérêt porté au procès est faible » dans l'Hexagone : en termes de retransmission sur le petit écran, par exemple, « la France rest[e] en retrait » : la télévision française « achète peu d'images » 54(*) ? La résolution de ce genre de contradiction constitue aussi un des objectifs de notre étude.

Ce survol historiographique accompli, la première question est de savoir si cette affaire marque bien, comme Annette Wieviorka le prétend depuis 1998, un tournant important comparable dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah des quatre pays étudiés dans ces pages ? Notre examen montre au contraire des situations très différentes d'un pays à l'autre. Ces éléments nouveaux étayent l'hypothèse selon laquelle une partie de la communauté historique, en particulier en France, aurait tendance à exagérer et à généraliser le poids que cette affaire a eu dans le processus mémoriel de la Shoah.

L'État hébreu est le seul pays pour lequel il y a unanimité au sein de la communauté des historiens pour dire que cette affaire constitue bien dès le départ un tournant majeur dans le processus mémoriel. Les innombrables conséquences qu'elle entraîne y dépasseront même les limites du domaine de la mémoire. S'il existe aussi une sorte de consensus dans la communauté historique pour affirmer que cette affaire représente un des fondements du processus mémoriel aux États-Unis, ses représentants ne s'entendent cependant pas sur le degré d'importance à lui donner. La communauté scientifique s'accorde enfin pour minimiser la portée qu'elle a eue en RFA. Somme toute, autant de situations que de pays !

Comment dans ces conditions ne pas s'attendre à une situation spécifique pour la France ? Comment accréditer l'idée que cette affaire y marque un tournant majeur dans le processus mémoriel alors que, à l'exception de l'État hébreu, cela ne semble pas le cas ailleurs -- ni aux États-Unis ni en RFA ? La thèse du tournant décisif précoce en France repose-t-elle dès lors sur des faits avérés ou résulte-t-elle au contraire -- c'est notre hypothèse -- d'une exagération et d'une généralisation tardives ? La réponse à ces différentes questions exige une évaluation préalable minutieuse des effets que chaque phase de cette affaire a eus en France comme dans les trois autres pays étudiés ici.

Le retentissement de l'annonce de la capture et du jugement d'Eichmann

Le 23 mai 1960, le Premier ministre israélien David Ben Gourion déclare devant les parlementaires de son pays, réunis à la Knesset, qu'Adolf Eichmann vient d'être arrêté et qu'il sera prochainement jugé en Israël 55(*). Cette annonce officielle porte aussitôt l'affaire Eichmann sur la scène internationale. Largement médiatisées, ces paroles connaissent sans tarder un énorme retentissement dont les échos se font entendre jusque dans l'Hexagone.

En France précisément, le quotidien Le Monde publie le texte de cette déclaration dans son édition du 25 mai 1960 56(*). Jusque-là, le plus grand secret avait entouré ce que le Premier ministre israélien regardait, si l'on en croit le plus autorisé de ses interprètes aux yeux d'Idith Zertal, comme son « affaire personnelle » 57(*). Un pan du mur de silence qui la protégeait encore s'écroule définitivement au début du mois de juin 1960 lorsque la revue Time révèle enfin le nom du pays -- l'Argentine -- où l'ancien colonel SS se cachait 58(*).

Les limites fixées à la présente étude nous dispensent du récit de l'interminable traque d'Eichmann et des circonstances dans lesquelles des agents israéliens l'ont finalement capturé le 11 mai 1960 à Buenos-Aires 59(*). Cette dispense ne nous soustrait à l'obligation d'insister ni sur le caractère tardif de cet enlèvement ni sur les conséquences que ce retard a eues dans l'émergence de la mémoire de la Shoah -- en particulier dans l'État hébreu.

Ainsi, comme le souligne l'historienne Idith Zertal dans son ouvrage déjà indiqué : « Israël s'était volontairement abstenu de la chasse aux nazis pendant les années 1950, et c'est seulement en 1957 que Ben Gourion avait donné le feu vert au Mossad pour se lancer aux trousses d'Eichmann » 60(*). Le Mossad et la CIA n'ont apparemment guère déployé beaucoup d'énergie pour le traquer par la suite, alors qu'en 1957, toujours selon Idith Zertal, il « était depuis un certain temps dans le collimateur des services israéliens » 61(*) et que d'autres sources indiquent qu'il avait été localisé en Argentine par l'agence américaine en 1958 62(*). Dans l'optique qui est la nôtre, la conséquence principale des reports successifs de son arrestation jusqu'au 11 mai 1960 est qu'ils diffèrent chaque fois le tournant plus précoce que l'affaire aurait pu provoquer dans le processus mémoriel de la Shoah, en particulier en Israël, si elle avait éclaté plus tôt.

L'énorme médiatisation

L'annonce par le Premier ministre israélien le 23 mai 1960 à la Knesset de l'arrestation et du jugement imminent d'Eichmann déclenche sur-le-champ « une tempête d'émotions » dans l'État hébreu 63(*) et une avalanche de réactions à travers le monde.

La médiatisation de l'affaire Eichmann atteint son apogée dès le lendemain de la déclaration de Ben Gourion. La presse écrite mondiale réagit avec une telle puissance que le ministère des Affaires étrangères israélien en profite sans attendre. Dès le mois de juillet 1960, sa division information -- entendez son service de propagande ! -- édite un petit recueil intitulé : Eichmann in the World Press 64(*). Cet opuscule reprend pour l'essentiel cent vingt-sept extraits d'articles publiés dans la presse de vingt-huit pays répartis dans le monde entier 65(*). Sans surprise, tous les journalistes et intellectuels dont les opinions y sont reproduites approuvent inconditionnellement l'initiative israélienne 66(*).

Malgré son manque criant d'impartialité, ce recueil d'articles constitue quand même un échantillon représentatif pour ses initiateurs. À leurs yeux, il représente « seulement une partie des milliers d'éditoriaux et autres commentaires de presse de la même veine parus ces dernières semaines » 67(*). [notre traduction] Une demi-douzaine de coupures de presse sur la totalité se rapporte à des articles publiés entre le 1er et le 11 juin 1960 dans des journaux français -- en l'occurrence des quotidiens parisiens 68(*). La quantité d'articles français sélectionnés ne soutient pas la comparaison avec celle des autres pays qui nous intéressent -- même si cette demi-douzaine de coupures ne représente sans doute qu'une infime partie de la couverture de presse des débuts de l'affaire en France.

La vive réaction des rédacteurs de la revue du Centre de documentation juive contemporaine, plutôt à droite sur l'échiquier politique, révèle-t-elle dans une certaine mesure la vigueur avec laquelle l'ensemble de la presse juive française de cette mouvance a réagi à la déclaration du 23 mai 1960 ? Bien que l'attitude exacte adoptée par l'immense majorité des journalistes juifs de cette obédience nous échappe, il n'est toutefois pas interdit de penser, sans faire de cette presse communautaire de droite un bloc monolithique pour autant, qu'elle était dans l'ensemble vivement favorable à l'initiative israélienne.

Quoi qu'il en soit exactement, les rédacteurs de la revue du CDJC apportent de leur propre aveu un soutien inconditionnel et multiforme aux projets israéliens qui s'inscrivent dans le cadre de cette affaire : « En même temps qu'il documentait [...] les personnes qui «font» l'opinion à travers le monde, «Le Monde Juif», revue du CDJC, consacrait un numéro spécial au dossier Eichmann » 69(*).

La double polémique

L'initiative israélienne ne fait pourtant pas l'unanimité. La déclaration de Ben Gourion déclenche également une double polémique à l'échelle planétaire dont le recueil du ministère des Affaires étrangères israélien ne rend qu'incidemment compte. Cette controverse porte à la fois sur la légitimité de la capture d'Eichmann par des agents israéliens en Argentine et sur celle de le traduire devant un tribunal israélien 70(*). Quel est le retentissement de cette double polémique dans l'Hexagone ?

L'historienne Annette Wieviorka prend-elle en considération les journaux français lorsqu'elle affirme dans son ouvrage déjà mentionné sur l'affaire Eichmann que « la polémique sur la légitimité de cet enlèvement s'étale dans la presse » 71(*) ? L'absence de précision nous empêche de trancher. Par contre, quelques coupures de journaux parisiens reproduites dans la plaquette de propagande israélienne se font bien l'écho -- certes partialement -- du débat médiatique que cette double controverse ne manque pas de déclencher en France.

Ainsi, l'auteur de l'article paru le 10 juin 1960 dans Libération s'étonne que certains juristes français puissent réclamer le rapatriement immédiat d'Eichmann en Argentine -- une méprise impardonnable à ses yeux 72(*). De même, Eugène Aroneanu signe un article dans l'édition du journal Le Monde du 11 juin 1960 dont le titre à lui seul -- « Israël a tout à fait le droit de juger Eichmann » [notre traduction] -- indique clairement que son auteur fait partie des défenseurs de l'initiative de l'État hébreu 73(*).

En l'absence d'un corpus d'articles plus représentatif 74(*), l'hypothèse selon laquelle cette double polémique aurait également fait l'objet d'une large couverture de presse en France ne peut être totalement écartée. Mais ainsi que nous le montrent les rares indices en notre possession, comme les indications (si elles sont dignes de foi) fournies par le recueil d'articles du ministère israélien, cette couverture française ne soutient pas la comparaison avec la médiatisation de l'affaire en Israël, aux États-Unis et en RFA.

La possibilité que même les adversaires de l'initiative israélienne aient pu dans une certaine mesure participer au débat médiatique en France, comme cela semble avoir été particulièrement le cas aux États-Unis, ne peut être totalement exclue non plus. De fait, comme le note l'historien américain Peter Novick dans son ouvrage de référence déjà signalé : « Dans les premières semaines qui suivirent le discours de Ben Gourion, plus des deux tiers des éditoriaux portèrent un jugement négatif à un titre ou à un autre 75(*). »

La presse écrite mondiale -- journaux français compris donc -- relaie également ce que l'historien israélien Tom Segev appelle la « querelle historiographique et politique » 76(*). Ce différend de nature juridique oppose les partisans -- Ben Gourion en tête -- d'un jugement d'Eichmann à Jérusalem, à d'éminentes personnalités de la diaspora juive -- le président du Congrès juif mondial Nahum Goldmann, le philosophe Martin Buber, le président honoraire du Congrès juif américain Joseph Proskauer de même que le grand ami d'Hannah Arendt, le philosophe allemand Karl Jaspers -- toutes davantage disposées à faire traduire le criminel nazi devant une cour internationale de justice 77(*).

Le retentissement de l'affaire pendant la préparation du procès

Une fois passé le choc émotionnel créé par l'annonce du 23 mai 1960 et l'avalanche médiatique consécutive, l'affaire Eichmann occupe encore le devant de la scène -- surtout en Israël. Comment expliquer cette occupation prolongée alors que les sessions du tribunal ne commenceront que le 11 avril 1961 ? Que se passe-t-il donc pendant cette courte année réservée à l'instruction de l'affaire 78(*) ?

D'une part, la double polémique de nature juridique déclenchée par l'annonce de Ben Gourion continue à faire régulièrement les gros titres de la presse israélienne et internationale 79(*). De l'autre, l'installation d'un débat public assez virulent au sein de la société israélienne maintient cette affaire sur le devant de la scène de ce pays jusqu'à l'ouverture du procès 80(*).

Quel est son retentissement en France pendant la préparation du procès ? Qui dans l'Hexagone hormis les partisans inconditionnels d'Israël -- le CDJC en tête -- s' y intéresse encore, alors que la procédure pénale suit son cours à Jérusalem et que cette affaire quitte sans doute assez vite le devant de la scène hexagonale, où l'avait peut-être portée l'engouement médiatique résultant de l'annonce du 23 mai 1960, chassée par des sujets d'une actualité plus brûlante comme les événements tragiques liés à la fin de la guerre d'Algérie 81(*) ?

Contrairement à ce que le lecteur pourrait imaginer, la comparution d'Eichmann devant un tribunal israélien ne constitue nullement une première judiciaire dans toute la force du terme. Au contraire, ainsi que le souligne Hannah Arendt dans son « rapport » sur la banalité du mal, elle clôt plutôt « une longue série de procès qui suivirent les procès de Nuremberg » 82(*). De même, comme le fait remarquer l'historienne israélienne Anita Shapira dans son livre déjà cité, les fondements juridiques de ce jugement ne sont pas neufs non plus : ils reposent sur « la loi «pour le châtiment des nazis et de leurs complices» » -- autrement dit, sur une loi israélienne qui remonte à 1950 83(*).

Aussi, la spécificité incontestable de la décision de déférer le criminel nazi devant la justice israélienne réside-t-elle avant tout dans les buts poursuivis par les deux principaux promoteurs du procès -- David Ben Gourion, le Premier ministre israélien, et Gidéon Hausner, le procureur général d'Israël 84(*) -- ainsi que dans les impressionnants moyens techniques et humains mis en oeuvre pour les atteindre -- en d'autres termes, dans sa spectaculaire mise en scène 85(*).

Les objectifs du procès

L'objectif principal de cette procédure pénale est-il « d'abord à visée internationale » -- comme le prétendent les historiennes Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka dans le texte d'une conférence déjà évoquée 86(*) ? Rien n'est moins sûr. Si ses instigateurs s'efforcent à l'évidence de lui assurer un retentissement international, rien ne les empêche de poursuivre en parallèle d'autres desseins à visées purement israéliennes ou juives. Aussi, comme l'avait d'ailleurs très bien fait observer Annette Wieviorka elle-même dans l'ouvrage déjà indiqué qu'elle consacre aux témoins, « le procès obéit-il pour Israël à des impératifs de politique intérieure et de politique extérieure » 87(*).

Les dirigeants israéliens qui souhaitent traduire Eichmann devant le tribunal de Jérusalem poursuivent en réalité plusieurs buts politiques, sociaux et éducatifs en même temps -- tous susceptibles d'avoir des retombées tant sur le plan intérieur qu'extérieur 88(*).

Aussi paradoxal que cela puisse paraître à nos yeux, les objectifs juridiques du procès alors en préparation semblent avoir été très limités -- voire quasi inexistants 89(*). L'historienne Idith Zertal attire notre attention sur ce paradoxe lorsqu'elle note dans son ouvrage déjà mentionné : « Quelques jours avant l'ouverture solennelle du procès, Ben Gourion en personne déclara que «le sort de l'individu Eichmann ne présente absolument aucun intérêt à mes yeux. Ce qui est important, c'est le spectacle» 90(*). »

Lorsque l'affaire éclate au grand jour, Ben Gourion était-il « au faîte de son pouvoir » -- comme le prétend l'historien Tom Segev dans son ouvrage déjà signalé 91(*) ? Le Premier ministre israélien, insiste l'auteur du Septième million, « n'avait nul besoin de ce procès pour affirmer sa position politique » 92(*). Son interprétation ne fait pourtant pas l'unanimité.

L'historienne Idith Zertal, aux yeux de laquelle cette affaire a au contraire « ravivé la grandeur politique de Ben Gourion », ne partage pas l'explication de son collègue 93(*). Son argumentation semble lui donner raison. En s'appropriant personnellement l'affaire, reconnaît d'ailleurs Tom Segev, le Premier ministre espérait aussi que son parti -- le Mapai -- puisse « reprendre le contrôle sur la mémoire du Génocide, qu'il avait abandonnée au Herout » de Menachem Begin « et aux partis de gauche » 94(*).

Quel que soit l'indice de popularité de Ben Gourion dans son pays au moment où la procédure pénale va bon train, « certains fossés » que le procès entend précisément réduire seraient alors « en train de se creuser dans la société israélienne » 95(*). Les chercheurs Nicolas Weill et Annette Wieviorka fondent leur assertion sur un commentaire quelque peu anachronique d'Abba Eban 96(*).

Le ministre de l'Éducation et de la Culture israélien de l'époque signale de fait le creusement de plusieurs fossés sociaux dans son pays vers le milieu des années 1960 97(*). À l'entendre, de multiples clivages susceptibles de dégénérer à tout moment en violences, que le procès veut justement réduire, divisent alors aussi bien l'État hébreu que le monde juif 98(*).

En réalité, ces clivages avaient pris forme pendant les années 1950. Dans sa Nouvelle histoire d'Israël parue en 1998 que Nicolas Weill et Annette Wieviorka n'ont forcément pas pu consulter, Ilan Greilsammer insiste sur deux d'entre eux : « C'est le cas notamment de l'intégration de l'immigration de masse, et de la question des rapports entre la religion et l'État 99(*). »

Sur la scène internationale, la comparution de l'ancien colonel SS devant un tribunal de Jérusalem devait avant tout, prévenait alors un député communiste israélien cité par Tom Segev, « rappeler au monde ce qui s'est passé pendant la Seconde Guerre mondiale, et qu'un grand nombre de personnes voudraient vouer à l'oubli » 100(*). Mais comme le souligne Hannah Arendt dans son reportage sur la banalité du mal, Ben Gourion exigeait en plus que les pays du monde entier « aient honte » de ce qu'ils avaient laissé faire 101(*). Bref à ce niveau, la priorité des promoteurs du procès était d'en faire un « Nuremberg du peuple juif » -- pour reprendre l'expression exacte employée par le Premier ministre israélien, lui-même, dans un entretien qu'il accorde au journal Le Monde 102(*).

Les partisans du procès alors en préparation poursuivent également des objectifs éducatifs. Deux enquêtes menées durant cette période insistent sur la méconnaissance de l'holocauste par la jeunesse israélienne et les nouveaux immigrants juifs en provenance des pays musulmans. La première réalisée dans des écoles israéliennes révèle que la moitié d'entre elles environ ne commémorent pas la Shoah -- laquelle n'est d'ailleurs pas encore inscrite au programme officiel de l'enseignement national. Effectuée radiophoniquement le jour même de la déclaration de Ben Gourion, la seconde prouve que beaucoup d'Israéliens ignorent jusqu'au nom même d'Adolf Eichmann 103(*).

Comme l'ont souligné les chercheurs Nicolas Weill et Annette Wieviorka dans leur article déjà cité, le procès a donc bien « pour fonction d'éduquer la jeunesse » 104(*). Qui plus est, les premiers historiens du génocide comptent eux aussi sur ces débats pour parfaire leur connaissance du processus d'extermination des Juifs européens 105(*).

La mise en scène spectaculaire

La rencontre de ces objectifs parfois contradictoires exige l'organisation d'un procès juridiquement irréprochable et médiatiquement spectaculaire. Comme le fait remarquer l'historienne Idith Zertal dans son ouvrage déjà évoqué, ses organisateurs sont obligés de respecter cette double condition. Elle attire d'abord notre attention sur le fait que « pendant toute la durée du procès, les magistrats israéliens s'efforcèrent de respecter la procédure légale », mais souligne ensuite que « c'était aussi le procès de Ben Gourion, conçu dès le départ comme un procès à grand spectacle » 106(*).

Aux yeux d'Hannah Arendt qui, comme l'immense majorité des envoyés spéciaux sur place, n'assiste qu'à une partie des débats à Jérusalem, la salle choisie pour organiser les sessions du tribunal « n'est pas un mauvais décor pour le spectacle que méditait David Ben Gourion » 107(*). De fait, il s'agit en l'occurrence de la salle de spectacle de la Beth Ha'am (Maison du Peuple) dont on accélère la construction alors en cours et que l'on aménage tout spécialement en vue du procès.

Mais quel que soit leur degré de perfection, les caractéristiques architectoniques et techniques de cette salle aménagée en tribunal ne garantissent pas, à elles seules, le retentissement mondial du procès-spectacle envisagé. Pour atteindre cet objectif, encore faut-il y convier nombre d'acteurs de qualité (les témoins) et quantité de reporters internationaux.

D'une capacité totale de sept cent cinquante places, l'auditorium de la Maison du Peuple reconverti en salle de justice peut encore accueillir des centaines de journalistes venus du monde entier 108(*). « Intégralement filmé en vidéo pour être diffusé de par le monde grâce à la popularisation d'un nouveau médium, la télévision », comme le font observer les historiennes Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka dans le texte d'une conférence déjà indiquée, le procès est de ce fait susceptible de recueillir une plus large audience dans les pays où, comme aux États-Unis à la différence de la France, beaucoup de ménages sont déjà équipés d'un récepteur de télévision 109(*).

Comme le signalent les chercheurs Nicolas Weill et Annette Wieviorka à partir du travail déjà mentionné de Tom Segev, les nombreux témoins appelés à la barre font quant à eux l'objet d'un casting soigneusement orchestré par Gidéon Hausner et sont issus « de toutes les parties de la nation » israélienne 110(*). Bref, les préparatifs vont bon train 111(*) ; le procès-spectacle est sur le point de commencer...

L'intérêt en France

Pendant cette phase préparatoire, le CDJC participe de différentes manières « à la constitution du dossier Eichmann » 112(*). Aux yeux des rédacteurs de sa revue manifestement satisfaits d'informer le grand public, le Centre apparaît comme « l'Institut qui pouvait et devait fournir à l'opinion mondiale une documentation d'une authenticité indiscutable sur le sinistre criminel, ses chefs et ses complices » 113(*). La contribution du CDJC ne s'arrête cependant pas en si bon chemin.

De l'aveu des rédacteurs eux-mêmes, le Centre documente également les autorités judiciaires israéliennes « directement chargées d'établir et de fonder l'accusation contre » l'ancien colonel SS 114(*). De même, après l'exécution de ce dernier, au début de l'année 1963, le CDJC et les éditions Calmann-Lévy publient Le procès de Jérusalem -- un livre que l'historien Léon Poliakov réalise, à entendre l'archiviste du Centre, à partir de « tout le matériel documentaire, les informations recueillies lors des audiences, et surtout le jugement » du procès 115(*).

La sortie de presse quelques mois après l'annonce de la capture d'Eichmann de la deuxième édition du Bréviaire de la haine de Léon Poliakov révèle-t-elle dans une certaine mesure le retentissement que l'affaire a alors en France ou bien plutôt le pari que certaines personnes financièrement intéressées font à ce sujet 116(*) ? En tout cas, les éditions Calmann-Levy entendent visiblement en profiter pour conquérir de nouveaux lecteurs.

Le texte de la quatrième de couverture ne laisse planer aucun doute à ce sujet : « Au moment où l'affaire Eichmann ramène au premier plan de l'actualité l'étude d'une des plus monstrueuses entreprises de «génocide», cette nouvelle édition, revue, et qui comporte plusieurs références à Eichmann, présente le plus vif intérêt 117(*)» Mais le succès de cette réédition n'est pas garanti pour autant 118(*).

L'historien américain Raul Hilberg dont l'ouvrage monumental La destruction des Juifs d'Europe fait désormais autorité en la matière n'a pas connu la chance de son homologue français 119(*). De l'aveu même de l'intéressé, la première version de son livre n'a finalement été publiée que pendant l'année 1961 par « une petite maison d'édition indépendante de Chicago nouvellement créée : Quadrangle Books » -- soit un peu trop tard pour « tirer parti de l'actualité » du procès 120(*).

Le retentissement du procès

Au tribunal de Jérusalem, cent et quelques audiences s'enchaînent les unes après les autres, presque tous les jours, pendant plus de quatre mois -- du 11 avril au 14 août 1961 121(*).

Du procès à l'exécution

Suivi assidûment à la radio par l'immense majorité de la population, le réquisitoire d'entrée du procureur général au cours duquel il se réfère, ainsi que le souligne deux ans plus tard John Machover, à « l'importante documentation sur l'affaire Eichmann mise à sa disposition par le Centre » de documentation juive contemporaine 122(*) provoque un tel choc qu'à partir de ce jour, si l'on en croit Tom Segev, le procès devient « l'événement central dans la vie de beaucoup d'Israéliens » 123(*).

L'ensemble de sa couverture médiatique et la retransmission en particulier d'images d'audiences en léger différé à la télévision -- une première mondiale ! -- lui assurent un retentissement d'autant plus considérable ailleurs que cette médiatisation s'inscrit, comme aux États-Unis, dans un contexte particulièrement favorable 124(*).

À la différence de ce qui s'est produit à Nuremberg où le ministère public fondait avant tout ses accusations sur des documents 125(*), l'instruction de Gidéon Hausner à Jérusalem repose largement, comme le met en lumière Annette Wieviorka dans l'ouvrage qu'elle leur consacre, sur « les dépositions des témoins » -- une méthode aux yeux du procureur général sans doute mieux à même de rencontrer des objectifs qui outrepassent le simple rassemblement des preuves de la culpabilité d'Eichmann 126(*). Minutieusement sélectionnés pendant la phase préparatoire du procès-spectacle, cent vingt et un témoins -- des Israéliens d'origines diverses pour l'immense majorité d'entre eux -- se succèdent ainsi à la barre pour raconter, parfois de façon très bouleversante, d'atroces épisodes de l'extermination des Juifs qu'ils ont pour la plupart vécus dans leur chair 127(*).

Comme un certain nombre de pays européens, la France n'a droit qu'à la présentation d'un seul témoin 128(*). Il s'agit en l'occurrence de Georges Wellers -- l'un des pères fondateurs de la revue du CDJC 129(*). Selon son propre récit, il dépose contre Eichmann pendant « plus de trois heures et demie » le 9 mai 1961 --apparemment devant une salle comble 130(*).

L'écho médiatique que sa déposition-fleuve recueille par la suite le déçoit. Wellers reproche avant tout aux journalistes de n'avoir pratiquement retenu de son témoignage que la « tragédie des quatre mille enfants [juifs] déportés sans parents en août et septembre 1942 de Drancy » 131(*). Aux nombreuses autres questions auxquelles il est invité à répondre, regrette l'unique témoin français appelé à la barre, « les journalistes ont prêté peu d'importance ou les ont résumées si succinctement que leur sens se trouvait souvent dénaturé » 132(*).

Wellers stigmatise enfin le manque de professionnalisme de l'immense majorité des journalistes présents à Jérusalem : « à l'exception d'un seul compte rendu, aucun journal n'a évité des erreurs considérables et des confusions surprenantes concernant les dates, les circonstances et les personnes » 133(*). Par contre, l'interview qu'il accorde à « la Radio-Télévision suisse [...] le soir même du 9 mai » lui donne apparemment satisfaction 134(*).

Mais dans la perspective qui est la nôtre, il faut reconnaître que la question cruciale du retentissement de sa déposition en France, au-delà de l'écho prévisible qu'elle a eu dans Le Monde Juif, reste en suspens.

Après quatre mois de délibérations, les sessions du tribunal reprennent pendant quelques jours au mois de décembre -- visiblement dans la plus grande indifférence 135(*). Le 11 décembre 1961, les magistrats réintègrent la salle de la Beth Ha'am pour juger Eichmann -- reconnu coupable de plusieurs crimes passibles de la peine de mort 136(*). Par la voix de leur président, le juge à la Cour Suprême Moshe Landau, ils ne tardent d'ailleurs pas à rendre leur verdict. Dès le 15 décembre 1961, la peine capitale requise par le procureur général est sans surprise prononcée à l'encontre de l'ancien colonel SS 137(*).

Le 29 mai 1962, comme l'explique l'historienne Annette Wieviorka dans le livre qu'elle consacre à cette affaire, les magistrats de la Cour Suprême d'Israël rejettent catégoriquement « l'appel interjeté par le condamné à mort » dont ils avaient préalablement examiné le bien-fondé « devant un public clairsemé » 138(*). Jouant son va-tout sur-le-champ, Eichmann sollicite la grâce présidentielle le jour même 139(*).

Comme le souligne Hannah Arendt dans son reportage sur la banalité du mal, la perspective de cette exécution capitale avait donné une nouvelle impulsion au « groupe de professeurs de l'Université hébraïque de Jérusalem, dirigé par Martin Buber, qui s'était opposé au procès dès le début, et qui maintenant tentait de persuader Ben Gourion d'obtenir la grâce d'Eichmann » 140(*).

Mais c'était peine perdue ! Le 31 mai 1962 -- c'est-à-dire seulement « deux jours après que la Cour suprême eut prononcé son jugement » comme le fait encore remarquer la philosophe juive dans son reportage --, le président israélien Itzhak Ben-Zvi rejette définitivement tous ces appels à la clémence 141(*). Adolf Eichmann est même pendu sans attendre, insiste Tom Segev, « dans la prison de Ramla [Tel Aviv] au soir du 31 mai 1962 » 142(*).

La recrudescence ou non d'actes à caractère antisémite

La question de la multiplication ou non d'incidents à caractère antisémite, au début des années 1960, exerce une influence non négligeable sur le retentissement que l'affaire Eichmann a eu un peu partout dans le monde et, en particulier, en France. Ce point fera donc l'objet d'un examen approfondi.

Les personnalités juives opposées au procès, puis à l'exécution d'Eichmann, invoquent souvent dans leur argumentation la crainte d'assister à une renaissance de l'antisémitisme dans le monde 143(*). Les autorités israéliennes partagent d'ailleurs les mêmes inquiétudes. Elles redoutent tellement que des actes antisémites entravent le bon déroulement du procès qu'elles prennent même des mesures préventives pour les circonscrire 144(*).

Pourtant, comme le note l'historien israélien Yosef Gorny lorsqu'il se réfère dans son ouvrage déjà mentionné aux résultats d'une étude internationale contemporaine sur le procès : « les craintes de voir une résurgence de l'antisémitisme liée à l'enlèvement et aux poursuites contre Eichmann se trouvent infirmées » 145(*). Ce démenti n'exclut toutefois pas une intensification des actes à caractère antisémite indépendants de l'affaire, au début des années 1960.

La série d'incidents antisémites perpétrés avant la capture d'Eichmann par des groupuscules néo-nazis ou des groupes apparentés, d'abord en RFA, puis un peu partout dans le monde sauf en France, atteint même un niveau inégalé depuis la Libération 146(*). En somme, l'affaire Eichmann s'inscrit dès le départ dans le contexte violemment antisémite du tournant des années 1960 147(*).

Si les craintes d'assister à une renaissance de l'antisémitisme liée à cette affaire ne sont pas attestées, la formule quasi inverse -- « plus il y a de procès, plus s'affaiblit la résurrection nazie » -- attribuée à Simon Wiesenthal se vérifie-t-elle davantage 148(*) ? Même si elle se confirmait pour la RFA et l'Autriche -- ce qui reste encore à prouver --, cette corrélation ne serait pas pour autant généralisable. A priori, rien ne prouve qu'il existe une interdépendance étroite, inversement proportionnelle, entre ces deux éléments.

Au fond, ni le procès ni l'exécution d'Eichmann ne justifient la recrudescence d'incidents à caractère antisémite du début des années 1960. De même, l'absence relative de procès avant celui de 1961 n'explique pas non plus la renaissance des mouvements néo-nazis antisémites. Quelles sont dès lors les causes profondes de la réémergence effective de ces deux phénomènes étroitement liés ?

Le nouveau succès que rencontrent alors les groupuscules de cette obédience résulterait d'abord de la situation politique, économique et sociale des pays où ils sévissent. Après tout, comme le suggérait d'ailleurs déjà, en 1962, le professeur Max Beloff de l'université d'Oxford dans sa réponse à l'enquête de la revue du CDJC sur le néo-nazisme antisémite : « les raisons de la recrudescence de l'activité nazie doivent être trouvées dans les circonstances de pays particuliers » 149(*). Par conséquent, la multiplication contemporaine d'actes antisémites découlerait, elle aussi, avant tout du contexte des pays où ces incidents se multiplient. La vérification de cette hypothèse se fera à partir de trois exemples séparés dans le temps comme dans l'espace.

Trois études de cas

Une fois n'est pas coutume, l'histoire contemporaine italienne documente notre première étude de cas. Comme le relèvent les historiens Pierre Milza et Serge Bernstein dans leur dictionnaire des fascismes et du nazisme : « À Rome, en juillet 1960, la tentative de mise à sac du quartier du ghetto fut accompagnée de manifestations en l'honneur d'Eichmann organisées par le mouvement Ordine nuovo qui exaltait l'Empire SS, le racisme et l'antisémitisme 150(*). »

Comment expliquer l'intensification d'actes à caractère antisémite dans la capitale italienne en juillet 1960 ? Par la capture d'Eichmann en Argentine deux mois plus tôt ? Par la politique du gouvernement italien de mars à juillet 1960 ? Ou bien par la combinaison de ces deux éléments d'explication à partir du 23 mai de la même année -- lorsque l'affaire Eichmann éclate dans l'espace médiatique international ? Pour tenter de répondre à ces questions, un bref détour par l'histoire contemporaine de la Péninsule s'impose.

À l'évidence, la vie en Italie au début des années 1960 n'est pas un long fleuve tranquille 151(*). Comme le rappelle l'historien Marc Lazar, lorsqu'il aborde cette période, dans sa récente monographie de l'Italie d'après-guerre : au mois de « mars 1960, le président de la République, le démocrate-chrétien Giovanni Gronchi, charge Fernando Tambroni, lui aussi membre de la D[émocratie] C[hrétienne], de former un nouveau gouvernement » 152(*).

Le futur président du Conseil reçoit non seulement, poursuit Marc Lazar, « la confiance des élus du MSI mais », en juin de la même année, « il autorise [aussi] un congrès de ce parti à Gênes, l'une des villes symboles de la Résistance, ce qui suscite des affrontements et une situation quasi insurrectionnelle, avec nombre de victimes, durant une dizaine de jours dans de nombreuses villes de la Péninsule » 153(*). En conséquence, ajoute le même historien, « Tambroni est contraint à la démission » dès le 6 juillet 1960 154(*).

Dans cette perspective, la tentative de saccage du quartier du ghetto romain et les manifestations néo-fascistes qui l'accompagnent s'inscriraient plutôt directement dans le contexte quasi insurrectionnel créé alors en Italie, non seulement par l'autorisation de la tenue d'un congrès national du MSI dans un haut lieu de la Résistance italienne, mais aussi par la répression sanglante du sursaut antifasciste que cette provocation néo-fasciste soutenue par le gouvernement déclenche. Les dirigeants néo-fascistes italiens ajoutent stratégiquement les manifestations pro-Eichmann à leur programme d'action par la suite -- dès que l'affaire déboule bruyamment sur la scène internationale.

L'examen de notre deuxième exemple nous transporte outre-Atlantique pendant l'année 1961. Dans une récente étude consacrée à la mémoire de la Shoah aux États-Unis, l'historienne Françoise Ouzan attire notre attention sur les rassemblements à caractère antisémite que George Lincoln Rockwell, le chef du parti nazi américain, organise dans plusieurs villes du pays l'année même où le procès Eichmann s'ouvre à Jérusalem 155(*). L'historienne insiste sur le fait que le « hate ride » [voyage de la haine] combiné par « Rockwell contre le film Exodus » se déroule précisément « au moment le plus dramatique du procès » -- lorsque les témoins de l'extermination des Juifs de Hongrie se succèdent à la barre 156(*).

Qu'est-ce qui motive fondamentalement cette vague de manifestations à caractère antisémite ? La retransmission quotidienne à la télévision américaine de larges extraits des audiences du procès ? La projection du film Exodus dans certaines salles de cinéma du pays ? Ou bien la combinaison de ces deux facteurs avec des éléments propres au contexte états-unien caractérisé au début des années 1960 par l'émergence du mouvement des droits civiques ? L'article de Françoise Ouzan répond en grande partie à nos interrogations.

Si les projections d'Exodus donnent bien lieu à des rassemblements à caractère antisémite -- comme lors du « voyage de la haine » en 1961 par exemple lorsque, ainsi que le souligne Françoise Ouzan, « Rockwell, le nazi américain, projette de se rendre à la Nouvelle Orléans pour organiser une manifestation devant le cinéma de Baronne Street » --, elles ne nous renseignent pas pour autant sur leurs causes profondes 157(*).

Celles-ci se décèlent bien plutôt dans le processus de déségrégation raciale qui s'amorce à la fin des années 1950 158(*). Les rassemblements à caractère antisémite de l'extrême droite américaine constituent avant tout une réaction violente au « nouveau climat de revendications ethniques » qui caractérise le pays au début des années 1960 -- soit comme le rappelle l'historienne française : « la lutte pour les droits civiques où Noirs et Juifs défilent côte à côte au nom d'une «alliance naturelle», entretenue par le «rêve» de Martin Luther King (1963), mais rompue plus tard à cause de volontés séparatistes » 159(*).

Dans cette façon de voir, les séquences filmées du procès Eichmann ne justifient pas les manifestations américaines à caractère antisémite de 1961 -- bien qu'elles puissent parfois les encourager. Qui plus est, « l'effet couplé de l'apparition d'Eichmann à la télévision et celle du néonazi Rockwell », que souligne Françoise Ouzan, a peut-être jeté une confusion durable dans les esprits 160(*).

L'Amérique latine en 1962 constitue le théâtre de notre troisième et dernière étude de cas. Plusieurs sources rapportent que l'exécution d'Eichmann en mai 1962 entraîne sur-le-champ un accroissement des actes à caractère antisémite en Argentine et dans plusieurs pays sud-américains 161(*).

La pendaison de l'ancien colonel SS n'explique sans doute pas à elle seule la multiplication soudaine de ces incidents. Ainsi, comme le notait dès 1962 le professeur Max Beloff dans sa réponse à l'enquête initiée par le CDJC sur le néo-nazisme antisémite : « les incidents en Argentine sont autant le produit d'une situation politique et sociale extrêmement critique et fluide dans ce pays, que de l'activité préméditée d'agitateurs néo-nazis d'origine allemande » 162(*).

Quels sont les principaux enseignements à tirer de nos trois études de cas ? La contemporanéité de l'affaire Eichmann et de ces actes à caractère antisémite ne doit pas nous induire en erreur : cette affaire ne suscite presque pas d'incidents de ce genre -- sauf peut-être en Amérique du Sud. Leurs causes profondes sont avant tout intérieures : politiques en Italie, ethniques et socio-économiques aux États-Unis, sociales et politiques en Argentine. Les groupes néo-fascistes ou néo-nazis qui affichaient ouvertement leur antisémitisme et n'hésitaient pas à passer à l'acte avant la capture d'Eichmann s'approprient profitablement l'affaire par la suite 163(*).

La propension des médias à braquer systématiquement leurs projecteurs sur tous les faits et gestes de ces groupuscules extrémistes a tendance à grossir le moindre incident à caractère antisémite dont ils se rendent responsables -- que l'affaire Eichmann lui ait été utilement associée ou non 164(*). La combinaison du gonflement médiatique et de l'instrumentalisation extrémiste entraîne une amplification du retentissement de cette affaire à chaque manifestation antisémite -- comme si cet agencement lui offrait une caisse de résonance supplémentaire.

Le cas de la France

La France ne résonne pas d'échos de ce genre car on n'y déplore, à notre connaissance, aucun incident antisémite majeur entre 1960 et 1962 165(*). Cette absence notable ne signifie cependant pas que toutes les formes d'antisémitisme y ont soudainement cessé d'exister.

Au contraire, comme l'a montré l'historienne Anne Grynberg dans l'étude qu'elle a spécialement consacrée à ce sujet, « l'antisémitisme n'a pas disparu dans la France de l'immédiat après-guerre » -- entendez entre 1945 et 1953 166(*). Les cinq dernières années de la guerre d'Algérie entre 1958 et 1962 représentent même, comme le souligne l'historien israélien Joseph Algazy dans sa monographie du néo-fascisme hexagonal, « le moment le plus opportun pour les néo-fascistes français » 167(*). Cette occasion inespérée n'entraîne cependant pas la multiplication d'actes à caractère antisémite dans la métropole 168(*).

Le contexte spécifique de la guerre d'Algérie pousse les néo-fascistes français, à la différence de leurs homologues néo-nazis exclusivement antisémites, à s'en prendre prioritairement à un nouveau bouc émissaire tout désigné par l'affaire algérienne : l'Arabe qui lutte pour l'indépendance de son pays 169(*). L'antisémitisme ne figure par exemple pas au programme de l'Organisation de l'armée secrète (OAS) -- une organisation terroriste proche du fascisme, ouverte aux « sympathisants «pieds-noirs» d'origine juive » et que les néo-fascistes français tentent de récupérer 170(*). Aussi, les attentats de l'OAS font-ils d'autres victimes 171(*). En somme dans ce contexte particulier, les néo-fascistes français adoptent plutôt une politique nationaliste, voire ultra-nationaliste -- mieux à même, à leurs yeux, de faire augmenter leurs effectifs et de les mener à la victoire politique 172(*).

De notre point de vue, c'est l'absence d'actes à caractère antisémite qui constitue l'aspect essentiel du contexte hexagonal au début des années 1960. Dans le climat de terreur de la fin de la guerre d'Algérie, les néo-fascistes et les médias français ont d'autres chats à fouetter que de s'occuper de l'affaire Eichmann. Non seulement le phénomène de l'amplification de son retentissement, constaté dans d'autres pays touchés par cette affaire, ne se produit pas en France, mais en plus le contexte français a même plutôt tendance à l'assourdir.

La couverture médiatique du procès

À l'évidence, l'énorme retentissement que le procès Eichmann a dans le monde au début des années 1960 ne se justifie pas seulement par le contexte globalement antisémite dans lequel il s'inscrit. Cette portée mondiale s'explique surtout par la large couverture médiatique dont il fait alors l'objet. En réalité, les effets de ces deux éléments d'explication se complètent et se renforcent mutuellement.

Comme l'explique l'historien et réalisateur Christian Delage dans son ouvrage consacré au rôle des images dans les prétoires : « Étant donné l'enjeu particulier du procès organisé par l'État d'Israël », il « devait donc être médiatisé de manière à pouvoir largement informer la société israélienne comme l'opinion internationale du contenu des débats » 173(*). Par conséquent, ainsi que le rappellent les historiennes Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka dans le texte d'une conférence déjà signalée : « Ce procès a été intégralement filmé en vidéo pour être diffusé de par le monde grâce à la popularisation d'un nouveau médium, la télévision 174(*). »

Outre l'aménagement d'une importante infrastructure d'accueil à Jérusalem, la couverture médiatique escomptée exige la présence massive et prolongée sur place de nombreux journalistes locaux et du monde entier, ainsi que l'utilisation d'équipements technologiques télévisuels performants -- tant en Israël pour le filmage que dans le monde pour les retransmissions.

Or, chaque nation y envoie un certain nombre de reporters pour un laps de temps relativement court. De même, le pourcentage de ménages déjà équipés d'un récepteur de télévision diffère alors beaucoup d'un pays à l'autre. Ces dissemblances territoriales ont d'inévitables répercussions sur l'ampleur de la couverture médiatique de chaque pays et pèsent lourdement sur le retentissement national du procès.

Celui-ci s'ouvre le 11 avril 1961 dans la salle de spectacle reconvertie en tribunal de la Beth Ha'am (Maison du Peuple) à Jérusalem. Il s'agit d'un immeuble de quatre étages tout spécialement aménagé et sécurisé en vue du procès 175(*). Comme le raconte par le menu Frédéric Pottecher, l'envoyé spécial de la Radiodiffusion-télévision française (RTF), dans un article du 1er mai 1961 : « Ce haut bâtiment élégant et massif, où Eichmann vit, d'où nous expédions nos câbles, nos émissions de radio, où nous rédigeons nos comptes rendus, comporte une charmante salle de réunions, avec une galerie et une scène 176(*)»

Pour bénéficier de la plus large couverture possible, les organisateurs réservent aux journalistes l'accès prioritaire à quatre cent soixante-quatorze places sur les quelque sept cent cinquante que compte au total la salle du tribunal -- celles qui restent étant presque toutes attribuées à des invités 177(*). La Beth Ha'am abrite également une grande salle de presse que le poète israélien Haïm Gouri qualifie de façon amusante dans son journal de « cave de la presse » parce qu'elle occupe le sous-sol de l'édifice 178(*).

C'est là -- dans cette « cave » -- que le poète-journaliste s'ébahit de voir « l'industrie de l'information fonctionner à une cadence insensée » 179(*). Chaque jour d'audience, la salle de conférence du couvent français voisin de Ratisbonne accueille elle aussi quelque six cents personnes, leur offrant ainsi la possibilité de suivre sur grand écran la retransmission télévisée en direct mais en circuit fermé des débats 180(*).

Quelle est l'affluence aux audiences ? Sans compter les téléspectateurs locaux qui les suivent depuis la salle « généralement pleine » 181(*) du couvent de Ratisbonne, Jacob Robinson, l'un des adjoints du procureur général Gidéon Hausner, estime que dans l'ensemble « 85 000 personnes accédèrent aux 121 sessions du tribunal » 182(*) -- ce qui donne en moyenne environ sept cents individus à la fois.

Un taux si élevé de fréquentation est-il vraisemblable ? Il n'y a aucune raison d'en douter. Aux moments clés du procès (séance d'ouverture, contre-interrogatoire de l'accusé, centième audience), l'affluence des gens est telle qu'une partie du public qui espère accéder à la salle de justice n'a sans doute pas la possibilité de le faire 183(*). Au contraire, lorsque la procédure juridique ennuie comme au cours des premières sessions, la salle du tribunal se vide alors « au deux tiers » -- rapporte Annette Wieviorka 184(*). Qui pis est, en raison d'une projection d'images d'archives, l'audience du 8 juin 1961 a même exceptionnellement lieu -- sécurité oblige, insiste Christian Delage -- « dans une salle vide de tout public » 185(*).

Mais en général, la salle du tribunal est plutôt bien remplie. Elle l'est d'autant plus facilement que, comme le souligne à deux reprises Haïm Gouri dans son journal déjà cité, « les places laissées vacantes par les journalistes étrangers » partis couvrir d'autres événements de par le monde sont systématiquement « occupées par nos compatriotes » 186(*). En somme, le public est presque toujours aussi nombreux même si sa composition s'est fondamentalement modifiée au fil des séances 187(*).

Il demeure par ailleurs impossible tant les estimations divergent de savoir combien de journalistes couvrent le procès à Jérusalem 188(*). À ce sujet, Joseph Kessel reste volontairement dans le vague. Lorsqu'il évoque le nombre de journalistes présents le 11 avril 1961 à l'ouverture, l'envoyé spécial de France-Soir note prudemment que « des centaines et des centaines de reporters étaient là, envoyés par les journaux du monde entier 189(*). »

Indépendamment de la question somme toute dérisoire du nombre exact de journalistes couvrant le procès sur place, il n'y a aucun doute qu'à l'exception de rares audiences clés, ces derniers aient été dans l'ensemble moins nombreux au fil des séances 190(*). D'ailleurs, comme le fait observer le réalisateur Christian Delage dans son livre déjà évoqué : « deux semaines après le début du procès, un grand nombre de correspondants de la presse internationale quittèrent Jérusalem, appelés par la couverture d'autres événements » 191(*).

En l'absence d'une télévision nationale dans l'État hébreu, le groupe de plus en plus réduit de journalistes présents sur place doit logiquement se composer en majorité de représentants de la presse écrite et radiophonique israélienne 192(*). Forte de « plus de cinquante journalistes », si le témoignage de Joseph Kessel est digne de foi, la délégation allemande forme sans conteste le plus gros groupe national d'envoyés spéciaux permanents à Jérusalem 193(*). En comparaison, les effectifs connus de la délégation journalistique française paraissent bien faibles.

Outre Joseph Kessel et Frédéric Pottecher, les envoyés spéciaux respectifs susmentionnés de France-Soir et de la RTF, combien de journalistes français couvrent le procès sur place 194(*) ? Dans la brève revue de presse qu'il publie à chaud dans le périodique du CDJC, le journaliste Albert Stara signale que Libération y délègue Madeleine Jacob et Sud-Ouest Jean Bernard-Derosne 195(*).

L'historienne Annette Wieviorka révèle l'identité de deux autres envoyés spéciaux français. France-Observateur y dépêche Roger Vailland, tandis que Le Monde qui dispose déjà des services d'un correspondant sur place en la personne d'André Scemama y expédie Jean-Marc Théolleyre 196(*). Selon ce décompte certes incomplet mais peut-être indicatif, au moins une demi-douzaine de journalistes français auraient donc été envoyés pendant un certain temps à Jérusalem.

Dans le cadre de cette étude, il ne nous appartient pas essentiellement pour deux raisons de revenir de façon détaillée sur la problématique du filmage du procès et de sa retransmission à la télévision. D'une part, plusieurs historiens ont déjà sérieusement examiné la question 197(*). De l'autre, cette problématique ne revêt pas en France l'importance considérable qu'elle a dans d'autres pays -- à commencer par les États-Unis. De l'aveu même des historiennes Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka qui ont étudié le sujet, la France « commence à s'équiper de téléviseurs » en 1961 et « la RTF, qui a le monopole d'État, achète peu d'images » du procès 198(*).

Au début des années 1960, les États-Unis mènent la course à l'audiovisuel avec une confortable avance sur tous leurs concurrents. Comme le précise l'historien Pierre Melandri dans l'importante monographie qu'il vient de consacrer à l'histoire contemporaine de ce pays : « dès le milieu des années 1950, quelque 500 stations, rattachées aux trois grands réseaux, ABC, NBC et CBS, desservent les récepteurs installés dans 40 millions de foyers » 199(*).

Les chiffres que l'historienne et sociologue des médias lsabelle Veyrat-Masson donne dans son histoire du petit écran français ne soutiennent pas la comparaison avec les statistiques américaines : même si « la vente des récepteurs décolle à partir de 1953 », cette année-là, seulement « 53 794 postes sont en service ; un an après, on en compte 125 000 200(*). »

Malgré de fortes disparités nationales, le procès qui s'ouvre le 11 avril 1961 à Jérusalem retrouve sans tarder l'apogée médiatique que l'affaire avait déjà atteint après le 23 mai 1960 -- lorsque le Premier ministre Ben Gourion annonce la capture d'Eichmann à la Knesset. Le filmage de l'ensemble des sessions du tribunal et la retransmission en léger différé d'une partie de ces images à la télévision de nombreux pays contribuent largement à ce nouvel apogée médiatique. Ici non plus, rien n'avait été laissé au hasard.

Dès le 8 novembre 1960, comme le fait remarquer le réalisateur Christian Delage dans son ouvrage déjà indiqué, le gouvernement israélien passe « un contrat d'exclusivité [...] avec la société américaine Capital Cities Broadcasting Corporation, basée à New York, pour filmer le procès Eichmann et le diffuser à la télévision et au cinéma » 201(*).

Comme le souligne encore Christian Delage : « Le contrat précisait ainsi l'enjeu de l'opération : «On peut prévoir que ledit procès Eichmann sera un événement d'intérêt public mondial et qu'une large diffusion des audiences du procès à travers tous les moyens de communication disponibles est un objectif social hautement souhaitable 202(*).» » Autant dire que le mécanisme de la prophétie auto-réalisatrice a plutôt bien fonctionné.

Si notre source d'informations était fiable, les répercussions de la diffusion des séquences filmées du procès seraient alors quantitativement très impressionnantes. Le professeur Jeffrey Shandler rapporte dans un ouvrage dont il sera question plus loin les propos de Milton Fruchtman, l'un des producteurs exécutifs de Capital Cities, selon lesquels trente-huit pays auraient commandé et utilisé ces séquences et environ quatre-vingts pour cent de l'ensemble des téléspectateurs de la planète en auraient vu au moins quelques images 203(*).

La vaste couverture médiatique dont le procès fait alors l'objet entre pourtant en concurrence directe avec de nombreux autres événements d'actualité -- toujours susceptibles de lui faire de l'ombre, voire de l'éclipser momentanément de la une des journaux 204(*). Quelques exemples contemporains des premières sessions du tribunal suffiront pour le démontrer.

Le 12 avril 1961 d'abord, un nom domine largement l'actualité internationale. Il ne s'agit pas comme on pourrait s'y attendre d'Adolf Eichmann mais bien plutôt de Youri Alexeievitch Gagarine -- un cosmonaute soviétique entré du jour au lendemain dans l'histoire universelle comme le premier homme envoyé dans l'espace 205(*). Du 17 au 20 avril 1961 ensuite, le débarquement dans la baie des Cochons de contre-révolutionnaires cubains soutenus par les États-Unis échoue. Cet épisode aux répercussions internationales incalculables fera encore les gros titres des nouvelles du monde longtemps après l'échec de cette tentative de renversement de Fidel Castro 206(*).

Du 21 au 25 avril 1961 enfin, le putsch d'Alger échoue lui aussi. Cette tentative de coup d'État militaire qui entendait maintenir l'Algérie française fait elle aussi longtemps la une des journaux -- en particulier en France 207(*). Comme le souligne l'historien Maurice Vaïsse dans l'ouvrage qu'il consacre spécialement à cet épisode de la guerre d'Algérie : « Le retentissement de l'événement est tel que l'annonce du putsch éclipse toutes les autres nouvelles, qui ne manquent cependant pas d'intérêt : le premier vol d'un homme dans l'espace, le Soviétique Youri Gagarine ; l'échec du débarquement d'exilés anticastristes à Cuba, la crise congolaise qui n'en finit pas, les audiences du procès Eichmann 208(*). »

Quelle est l'ampleur de la couverture médiatique du procès en France et dans les autres pays diversement touchés par cette affaire -- à commencer par l'État hébreu ?

Israël

Comme l'affirme le journaliste Amos Elon dans le « portrait » déjà mentionné : « L'intérêt du public pour le procès avait été constant 209(*)» Les médias israéliens en parlaient, il est vrai, de façon incessante. Dans l'étude spécifique qu'elle consacre à la couverture de presse de quatre procès liés à l'holocauste, une équipe internationale de quatre chercheurs démontre que la couverture du procès Eichmann atteint une ampleur inégalée en Israël 210(*). Trois décennies plus tôt, Amos Elon arrivait intuitivement à la même conclusion. Comme il le note dans l'ouvrage cité plus haut : « Pendant toute une année, les journaux en avaient empli des colonnes quasi quotidiennement. Une grande partie des débats avait été transmise en direct par la radio. » 211(*)

La couverture médiatique sans précédent dont il fait l'objet et l'intérêt régulier qu'il suscite auprès de la population expliquent pourquoi tant d'historiens regardent ce procès comme un tournant majeur dans la relation des Israéliens à la Shoah. Ses conséquences dans l'État hébreu sont d'ailleurs multiples et capitales. Personne à notre connaissance ne les a mieux mises en lumière que l'historienne Idith Zertal.

D'un côté, comme bon nombre de jeunes israéliens de sa génération, cette affaire l'a profondément marquée à titre personnel 212(*). De l'autre, comme c'est le cas pour beaucoup d'historiens de son pays, elle occupe une place centrale dans ses recherches. Lorsqu'elle s'exprime en tant qu'historienne, Idith Zertal prétend par exemple que « l'affaire Eichmann a complètement bouleversé le langage et les images d'Israël 213(*). » À ses yeux, comme elle le note dans son ouvrage déjà signalé : « Tout fut remis en discussion en relation avec le procès : la politique israélienne, la jeunesse israélienne, le judaïsme mondial, la journée de commémoration de la Shoah, les leçons du génocide, les Arabes et la sécurité d'Israël 214(*). » Bref, elle tient ce procès pour « un des événements constitutifs majeurs de l'État d'Israël » 215(*).

États-Unis

Aux États-Unis, les séquences filmées du procès exercent une grande influence sur l'opinion publique. Deux raisons expliquent cela. D'une part, la société Capital Cities qui filme le procès a son siège à New York. De l'autre, les images quotidiennes des audiences entrent facilement dans des foyers américains pour la plupart déjà équipés d'un récepteur de télévision.

Comme l'affirme le professeur Jeffrey Shandler dans l'ouvrage qu'il consacre à la manière dont les États-Unis télévisent l'holocauste : « Les diffuseurs américains ont assuré une couverture télévisée du procès Eichmann plus large que n'importe quelle autre nation ne l'a fait » 216(*). Quelles étaient la fréquence et la durée de ces émissions ? Redonnons la parole à Jeffrey Shandler : « Si des diffuseurs ont présenté au maximum une heure de séquences du procès par jour pendant le déroulement des audiences, la plupart ont fait beaucoup moins 217(*). » Ces émissions rencontraient-elles un grand succès ? Toujours selon Shandler, elles « attiraient de larges audiences et suscitaient beaucoup d'intérêt » 218(*).

La place particulière que la télévision occupe dans la couverture médiatique du procès aux États-Unis n'empêche cependant pas les autres médias de ce pays de couvrir eux aussi largement les sessions du tribunal 219(*).

Cette large couverture du procès aurait entraîné, comme le note l'historienne Françoise Ouzan dans son livre sur les Américains juifs, « de multiples conséquences aux États-Unis » 220(*). Dans son ouvrage déjà cité sur l'évaluation de la place du génocide dans la société américaine, l'historien Peter Novick arrive à la conclusion que « l'aspect le plus important du procès Eichmann est que, pour la première fois, ce que nous appelons désormais l'Holocauste ait été présenté à l'opinion américaine comme une entité à part entière, distincte de la barbarie nazie en général » 221(*).

République fédérale d'Allemagne

Le quatuor de chercheurs qui a quantitativement comparé la couverture de presse de quatre procès liés à l'holocauste se fonde sur un article de 1961 pour affirmer que, contrairement à ce que l'on pourrait penser, « après Israël, c'est en Allemagne de l'Ouest que l'on a accordé la plus grande attention au procès Eichmann » 222(*). [notre traduction] À leurs yeux, comme ils le notent dans cette étude déjà évoquée : « Le fait que les journaux allemands aient temporairement envoyé leurs propres correspondants à Jérusalem prouve qu'ils avaient perçu l'importance de ce procès 223(*). » [notre traduction]

En RFA, la couverture médiatique du procès ne se confond cependant pas avec celle de la presse écrite. Indépendamment du rôle joué par la radio, Jean-Paul Bier insiste sur l'importance de la couverture de la télévision. Comme le signale le germaniste belge dans l'ouvrage pionnier qu'il consacre à la place du génocide dans l'idéologie de ce pays : « Durant tout le procès, la TV allemande rendit compte de celui-ci à raison d'une demi-heure deux fois par semaine 224(*). » Ces nouvelles données semblent crédibiliser les allégations de Devin O. Pendas de l'université de Chicago selon lesquelles « 95 % d'Allemands [...] avaient suivi le procès Eichmann » 225(*).

Un tel retentissement entraîne d'inévitables conséquences. Comme le note Hannah Arendt dans son reportage sur la banalité du mal : « il n'y a aucun doute qu'en Allemagne plus qu'ailleurs le procès Eichmann eut des conséquences d'une grande portée » 226(*). Celles-ci se manifestent avant tout dans le domaine de la justice -- plus particulièrement en ce qui concerne l'arrestation et le jugement d'autres criminels nazis.

Comme le souligne de manière frappante Simon Wiesenthal dans son autobiographie : « au lendemain du procès d'Eichmann, l'Allemagne commença à se pencher sur les crimes nazis avec une conscience professionnelle aussi irréprochable que celle avec laquelle ils avaient été commis » 227(*). Mais ce procès a aussi des retombées dans d'autres domaines -- comme dans l'enseignement par exemple 228(*).

France

Aucune étude n'examine à notre connaissance la portée du procès Eichmann en France. Notre perception de sa couverture médiatique se résume jusqu'ici à la présence sur place d'au moins une demi-douzaine d'envoyés spéciaux et à l'achat de quelques séquences filmées par la télévision. Autant dire qu'elle ne soutient pas la comparaison avec celle des trois autres pays étudiés ici.

Trois sources soulèvent pourtant un coin du voile qui recouvre sa couverture médiatique dans l'Hexagone. La nouvelle publication du reportage de Joseph Kessel présente les onze articles que l'envoyé spécial de France-Soir signe du 12 avril au 16 juillet 1961 229(*). Le livre d'Annette Wieviorka sur le procès mentionne incidemment quelques articles parus à son sujet dans le journal Le Monde 230(*). Bien qu'elle fasse de l'aveu même de son auteur « simplement écho à quelques articles de la presse de langue française », la revue de presse que le journaliste Albert Stara publie sans tarder dans le périodique du CDJC éclaire quelque peu les premières semaines de cette couverture 231(*). Cette revue de presse mérite quelque attention.

Quelles sont les objectifs d'Albert Stara -- en son temps également secrétaire général des Amis de la République française en Israël ? Comme il l'explique lui-même dans son introduction, il entend avant tout « offrir au lecteur un tableau sommaire, mais quand même édifiant des réactions des divers secteurs de l'opinion qui, par-delà la multiplicité des tendances et des positions politiques ou philosophiques, a témoigné d'une égale sensibilité frémissante devant l'évocation de la carrière meurtrière d'Eichmann, des atrocités et des horreurs qui portent sa signature » 232(*).

Parvient-il à prouver l'existence d'une certaine unanimité au sein de la presse francophone ? Comme il le note en conclusion, même s'il est « parfaitement conscient des lacunes de [son] tour d'horizon », celui-ci suffira, espère-t-il, « à rendre sensible l'unanimité qui s'est faite en France sur le procès Eichmann par la voix des journaux qui témoignent des sentiments de leur public » 233(*).

Son argumentation suscite quelques commentaires. Annette Wieviorka a montré que L'Humanité -- le quotidien du Parti communiste français -- ne calquait pas ses prises de position sur celles des autres organes de presse. Le prétendu consensus des journaux français n'entraîne pas pour autant l'assentiment de leur lectorat. Somme toute, comme Albert Stara le reconnaît lui-même, son échantillon est beaucoup trop modeste pour être représentatif.

Quelle que soit la largeur du consensus médiatique en France, de nombreux obstacles empêchent le procès d'y avoir le retentissement maximum. Peu après l'ouverture du procès, comme le note l'historienne Annette Wieviorka dans l'ouvrage qu'elle lui a consacré, l'envoyé spécial Jean-Marc Théolleyre s'interroge à ce sujet dans les colonnes du journal Le Monde : « Faut-il croire que tout conspire à effacer ce procès de l'actualité ? Au moment où il s'ouvrait le général de Gaulle prononçait une conférence de presse, et les Russes envoyaient le premier homme dans la lune [sic]. Aujourd'hui, voilà que Cuba retient de nouveau l'attention de l'opinion, et qu'en Israël une sombre affaire d'espionnage préoccupe les esprits. » 234(*)

Quelles sont les conséquences de l'affaire Eichmann en France ? Elles se manifestent surtout dans le domaine culturel par la sortie de nouveaux films et par la publication de nouveaux livres 235(*).

L'ouvrage que l'historienne et réalisatrice Claudine Drame a récemment consacré aux représentations de la Shoah au cinéma français apportent d'intéressantes réponses à nos interrogations 236(*). À ses yeux, l'année 1961 politiquement marquée en France non seulement par le procès Eichmann mais aussi et surtout par la guerre d'Algérie se caractérise au cinéma français par « une résurgence d'une mémoire de Vichy, de la déportation et du génocide » 237(*).

Ce contexte politique explique pourquoi Le Temps du Ghetto, le premier long métrage de Frédéric Rossif, sort en salles à la fin de cette année-là. Le procès de Jérusalem influence aussi directement la réalisation de ce film. Comme le souligne Claudine Drame dans le même ouvrage en se référant tout particulièrement au virage mémoriel que constitue le procès : « On ne peut pas ne pas mettre ce tournant en relation avec l'initiative de Rossif d'introduire dans son film -- qui est exactement contemporain de cette actualité -- des témoignages de survivants 238(*). »

La résurgence mémorielle que Claudine Drame voit poindre dans les films en France au tournant des années 1960 se double d'une percée dans la littérature française. À l'entendre, celle-ci « est encore plus nette » 239(*). Selon différents décomptes, une vingtaine ou une trentaine de livres sur Eichmann paraissent alors aussi en France et un peu partout dans le monde 240(*). Dans un article qu'il publie dans la revue du CDJC, Léon Poliakov s'interroge à chaud sur les raisons de cette soudaine prolifération. Après en avoir cherché les explications dans le mécanisme de « la loi de l'offre et de la demande », l'avoir replacée dans le contexte des succès littéraires liés au génocide antérieurs à l'arrestation d'Eichmann, l'historien finit par se demander si « les esprits s'éveillent de leur illusoire quiétude, et commencent à s'interroger » sur la destruction des Juifs 241(*).

Conclusion

La place que l'affaire Eichmann occupe dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah en France au début des années 1960 dépend du retentissement qu'elle y a eu alors. Or, sa portée dans l'Hexagone n'a jamais fait l'objet d'un examen sérieux. La présente étude entend précisément combler ce vide. Son retentissement en France découle à la fois de l'ampleur de sa couverture médiatique et du contexte spécifique dans lequel elle s'inscrit quand elle éclate. En réalité, il résulte plutôt de l'interaction entre ces deux facteurs.

Quelle est l'ampleur de la couverture médiatique de l'affaire en France ? Hormis l'importance de celle dont les rédacteurs zélés de la revue du CDJC s'acquittent, elle nous échappe presque complètement. Comment justifier notre méconnaissance ? L'absence de dépouillement de la presse ne l'explique pas totalement. Une enquête contemporaine sur la portée du procès comme il en existe ailleurs fait cruellement défaut pour la France.

Cette méconnaissance n'empêche cependant pas tout commentaire. Le graphique de sa couverture médiatique en France doit présenter en réduction les mêmes pics que celui des autres pays diversement touchés par cette affaire. L'identification de ces apogées médiatiques ne pose aucune difficulté. L'annonce de la capture d'Eichmann le 23 mai 1960, l'ouverture du procès à Jérusalem le 11 avril 1961, le prononcé de la sentence le 15 décembre 1961 et l'exécution de celle-ci le 31 mai 1962 en constituent en France comme partout les sommets médiatiques.

Les six articles partiellement reproduits dans la brochure de propagande du ministère des Affaires étrangères israélien, la demi-douzaine au moins de journalistes dépêchés sur place pour couvrir le procès, la faible quantité de séquences filmées achetées par la télévision d'un pays où peu de ménages sont déjà équipés d'un récepteur : tout porte à croire que du point de vue quantitatif la couverture médiatique de l'affaire en France ne soutient pas la comparaison avec celle des trois autres pays étudiés ici.

L'environnement spécifique dans lequel cette affaire s'inscrit quand elle éclate accentue cette différence. Au tournant des années 1960, le contexte français est largement dominé par la guerre d'Algérie (1954-1962). D'une part, elle occupe la première page de l'« agenda politique ». De l'autre, elle provoque un sursaut précoce mais éphémère de la mémoire de la Shoah.

De même que l'annonce du putsch d'Alger en avril 1961 éclipse momentanément le procès Eichmann de la une des journaux en France, le retentissement des péripéties dramatiques liées à la fin de la guerre d'Algérie au début des années 1960 a tendance à y étouffer celui de l'affaire. Mais dans l'optique qui est la nôtre, la caractéristique essentielle de ce contexte réside dans l'absence d'actes antisémites perpétrés alors dans la métropole par des néo-fascistes français prioritairement mobilisés par l'Algérie française où ils ont trouvé un nouveau bouc émissaire. Cette absence distingue encore davantage la France des autres pays diversement touchés par cette affaire.

En RFA comme aux États-Unis où des incidents de ce type se produisent, les groupes néo-nazis antisémites ajoutent stratégiquement l'affaire Eichmann à des actions déjà préparées et exagérément médiatisées. Cette instrumentalisation de l'affaire sous les feux des projecteurs y entraîne une augmentation automatique de son retentissement. L'absence d'actes à caractère antisémite au début des années 1960 rend impossible une amplification de ce genre dans l'Hexagone.

La guerre d'Algérie et la pratique de la torture raniment le souvenir des atrocités nazies chez les Juifs et les anciens déportés de France avant que l'affaire Eichmann n'éclate au grand jour. Comme le souligne l'historien Enzo Traverso dans son ouvrage sur la mémoire du passé : « En France, la mémoire d'Auschwitz et de Buchenwald a été un levier puissant pour les mobilisations contre la guerre d'Algérie 242(*). » De même, le souvenir de massacres et autres cruautés SS incite ceux qui découvrent l'usage de la torture en 1957 à se mobiliser contre elle 243(*).

Ces réminiscences du génocide justifient la présence majoritaire de « radicaux juifs » dans les rangs de la « résistance française » à la guerre d'Algérie 244(*). Dans notre perspective, la conséquence principale de l'engagement de l'immense majorité d'entre eux jusqu'en 1962 est qu'il les rend indisponibles, voire relativement imperméables à l'affaire Eichmann.

Ce n'est pas le cas des combattants de la mémoire de la Shoah de la première heure 245(*). Les Juifs français plutôt à droite sur l'échiquier politique qui gravitent autour du CDJC sont au contraire très sensibles à cette affaire et aux objectifs du procès que leurs propres initiatives documentaires et éditoriales contribuent à atteindre.

Des traces des camps de concentration et d'extermination s'insinuent tellement dans certains films français qui sortent pendant la guerre d'Algérie que les historiens Henry Rousso et Claudine Drame y décèlent bien avant l'éclatement de l'affaire Eichmann -- le premier, une « percée » de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale de 1958 à 1962 246(*) ; la seconde, un « sursaut » mémoriel de « la question des camps et de l'extermination » de 1955 à 1961 247(*). Dans notre optique, la caractéristique essentielle de cette veine mémorielle de la Shoah survenue au cinéma français dans le contexte de la guerre d'Algérie est qu'elle touche précisément à sa fin lorsque l'affaire Eichmann éclate.

En somme, le retentissement de l'affaire Eichmann en France est d'autant plus faible que, dans le contexte de la fin de la guerre d'Algérie qui mobilise et oppose néo-fascistes et « radicaux juifs » français, aucun acte à caractère antisémite ne vient comme ailleurs l'amplifier. Si de pareils incidents lui servent de caisse de résonance supplémentaire aux États-Unis et en RFA, leur absence a plutôt tendance à l'insonoriser dans la France de la fin de la guerre d'Algérie.

Or, le grand retentissement que cette affaire a eu aux États-Unis et en RFA n'y entraîne pas pour autant un tournant décisif dans leur processus d'élaboration de la mémoire de l'holocauste. Comment le ferait-elle dès lors en France où sa portée est nettement moins importante ? La place que d'aucuns lui accordent aujourd'hui dans ce processus mémoriel en France résulte visiblement d'une exagération et d'une généralisation fondées sur les situations d'autres pays diversement touchés par cette affaire.

Patrick Gillard, historien

* 1 Milan KUNDERA, Le Rideau : essai en sept parties, Éditions Gallimard, Paris, Collection « folio » n° 4458, 2006, pp. 180-181.

* 2 Ce travail s'inscrit dans le cadre de recherches qui portent sur l'histoire de la mémoire de la Shoah dans quatre pays : Israël, les États-Unis, l'Allemagne et la France. Il doit beaucoup aux études d'autres chercheurs. Il a fait l'objet de plusieurs relectures. Emmanuel Wathelet et les autres lecteurs qui se sont pris au jeu trouveront ici le témoignage de notre gratitude.

* 3 Une remarque préliminaire s'impose. Elle concerne la portée sémantique exacte de l'expression «affaire Eichmann» dans notre étude. De même que Peter Novick prend en compte le « prélude angoissé et [l]es suites triomphales » des opérations militaires, lorsqu'il évalue dans son ouvrage de référence l'influence de la guerre des Six Jours sur le processus de construction de la mémoire de l'holocauste aux États-Unis, les événements antérieurs (la capture d'Eichmann, entre autres) et postérieurs (son exécution, par exemple), intimement liés au procès, entrent ici aussi en ligne de compte. (Peter NOVICK, L'Holocauste dans la vie américaine, Éditions Gallimard, Paris, 2001, p. 210) Aussi pour éviter toute confusion, l'expression «procès Eichmann» et le mot «procès» s'appliqueront-ils exclusivement aux audiences du tribunal de Jérusalem en 1961. Par contre, la formule «affaire Eichmann» et le vocable «affaire» recouvriront l'ensemble de la période qui s'étend, procès compris, de la capture du criminel nazi en mai 1960 jusqu'aux ultimes controverses au milieu des années 1960 --même si ces dernières ne sont pas traitées en tant que telles dans ces pages. Sur les limites chronologiques de notre recherche, voir infra.

* 4 L'examen le plus important de sa couverture de presse est celui qui a poussé, ainsi que le note l'historien israélien Yosef Gorny dans son ouvrage consacré à la relation complexe qui unit la Shoah à la création d'Israël, « l'American Jewish Committee [AJC] à suivre sur deux années (de l'enlèvement d'Eichmann en mai 1960 à son exécution en juin 1962) les articles publiés sur ce sujet dans la presse. Cette recherche portait sur 2 000 journaux et n'incluait pas la presse juive. » (Yosef GORNY, Entre Auschwitz et Jérusalem. Shoah, sionisme et identité juive, In Press éditions, Paris, 2003, p. 48) Pour quelques commentaires sur les résultats de cette recherche, voir ibid., pp. 49-52 ; Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, The Holocaust and the Press : Nazi War Crimes Trials in Germany and Israel, Hampton Press, Cresskill, 2002, p. 16. Sur l'AJC, une des plus anciennes organisations de défense des Juifs américains, voir Naomi W[iener] COHEN, Not Free to Desist, The American Jewish Committee 1906-1966, The Jewish Publication Society of America, Philadelphia, 1972, XIII et 652 p.

* 5 Charles Y. GLOCK, Gertrude J. SELZNICK et Joe L. SPAETH, The Apathetic Majority. A Study Based on Public Responses to the Eichmann Trial, Harper & Row, New York, 1966, XII et 222 p. « En 1962, une équipe de psychologues sociaux étudia l'impact du procès Eichmann sur les étudiants de l'université hébraïque de Jérusalem. » (Amos ELON, Les Israéliens. Portrait d'un peuple, Éditions Stock, Paris, 1972, p. 300) Sur les résultats de cette étude, voir infra.

* 6 Charles Y. GLOCK, Gertrude J. SELZNICK et Joe L. SPAETH, op. cit., p. 1.

* 7 Ibid., pp. 129-180. Pour des commentaires relativement critiques sur le travail de ces chercheurs, voir Jeffrey SHANDLER, While America Watches : televising the Holocaust, Oxford University Press, New York, 1999, pp. 127-128 ; Françoise S. OUZAN, « La mémoire de la Shoah dans le vécu des Juifs aux États-Unis jusqu'au procès Eichmann (1945-1961) », dans Françoise S. OUZAN et Dan MICHMAN (dir.), De la mémoire de la Shoah dans le monde juif, CNRS éditions, Paris, 2008, pp. 308-309.

* 8 Charles Y. GLOCK, Gertrude J. SELZNICK et Joe L. SPAETH, op. cit., p. 168. Voir aussi Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., p. 17.

* 9 Charles Y. GLOCK, Gertrude J. SELZNICK et Joe L. SPAETH, op. cit., p. 168. Pour une interprétation diamétralement opposée, voir Françoise S. OUZAN, loc. cit., pp. 308-309.

* 10 Charles Y. GLOCK, Gertrude J. SELZNICK et Joe L. SPAETH, op. cit., pp. 168-169. Voir aussi Judith E. DONESON, The Holocaust in American film, The Jewish Publication Society, Philadelphia, 1987, p. 183. Sur les objectifs du procès, voir infra.

* 11 Charles Y. GLOCK, Gertrude J. SELZNICK et Joe L. SPAETH, op. cit., pp. 170-171. En réalité, l'enquête menée par l'équipe de l'université de Berkeley cherche avant tout à mesurer les effets du procès dans le combat mené contre l'antisémitisme aux États-Unis. De ce point de vue, la conclusion des trois chercheurs est sans appel : « Que le procès Eichmann ait remporté une bataille est discutable ; qu'il n'ait pas gagné la guerre est certain. L'antisémitisme n'a pas encore disparu de la société occidentale. » (ibid., p. 167) [notre traduction]

* 12 Amos ELON, op. cit., p. 300.

* 13 Ibid., p. 301.

* 14 Ibid.

* 15 Courriel de Cécile LAUVERGEON, 18 mai 2009.

* 16 Ce n'est pas la seule polémique en relation avec la Shoah qui éclate au début des années 1960. Le thème du silence de Pie XII pendant le génocide, repris et développé à partir de 1964 dans la pièce Le Vicaire du dramaturge allemand Rolf Hochhuth, déclenche lui aussi une vive controverse dans plusieurs pays. Pour plus de détails sur cette polémique, voir Peter NOVICK, op. cit., pp. 202-205.

* 17 Cet ouvrage a fait l'objet d'une traduction en français par la suite : Hannah ARENDT, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Éditions Gallimard, Collection « folio histoire » n° 32, Paris, 1997, XXX et 485 p.

* 18 Peter NOVICK, op. cit., p. 190.

* 19 Sur la polémique provoquée par la publication de ses écrits, voir Hannah ARENDT, op. cit., pp. I-XI et 453-457 ; Elisabeth YOUNG-BRUEHL, Hannah Arendt. Biographie, Calmann-Lévy, Paris, 1999, pp. 441-496 ; Peter NOVICK, op. cit., pp. 190-202 ; Shoshana FELMAN, « Théâtres de justice : Hannah Arendt à Jérusalem. Le procès Eichmann et la redéfinition du sens de la loi dans le sillage de l'Holocauste », dans Les Temps Modernes, vol. 56, n° 615-616, septembre-novembre 2001, pp. 23-74. Voir aussi Yosef GORNY, op. cit., pp. 75-94.

* 20 Une biographe d'Arendt prétend même que « presque toutes les études portant sur l'holocauste publiées depuis 1963 se sont implicitement ou explicitement référées à cette controverse, et aux violentes passions qu'elle a déchaînées. (...) En 1969, un chercheur qui avait tenté de rassembler une bibliographie exhaustive sur le cas d'Eichmann ne parvint qu'à maîtriser une toute petite partie de la somme des publications américaines, israéliennes et européennes qui s'y rapportaient. » (Elisabeth YOUNG-BRUEHL, op. cit., p. 444)

* 21 En France, cette polémique s'inscrirait donc plutôt dans le calendrier de la guerre des Six Jours en 1967 que dans celui du procès à propos duquel elle éclate.

* 22 Adversaire déclaré des thèses défendues par Arendt, Le Monde Juif publie dès 1964 un texte de Jacob Robinson, un des adjoints du procureur général au procès Eichmann, intitulé : « Les vertus des criminels et les crimes des victimes. Réplique à Mme Hannah Arendt ». (Le Monde Juif, vol. 19, n° 1 (36), janvier-mars 1964, pp. 21-33) En 1965, la revue du CDJC fait paraître un compte rendu du nouveau livre de Robinson (And The Crooked Shall Be Made Straight. The Eichmann Trial, the Jewish Catastrophe, and Hannah Arendt's Narrative -- Et le tordu sera redressé. Le procès Eichmann, la catastrophe juive, et le récit de Hannah Arendt) qui est signé par Robert M. W. Kempner, ancien substitut du procureur général des États-Unis aux procès de Nuremberg. (Le Monde Juif, vol. 20, n° 6 (40), septembre-décembre 1965, pp. 33-35) Et à la fin de l'année 1966 -- soit au moment même où la version française de l'ouvrage controversé d'Arendt voit le jour --, Le Monde Juif signale à ses lecteurs que le CDJC se charge de la traduction en français du livre de Robinson dont la sortie est prévue au début de l'année 1967. (Le Monde Juif, vol. 21, n° 10 (44), octobre-décembre 1966, p. 9)

* 23 Trois phases chronologiques organisent notre travail et notre récit. La première phase se limite au moment de l'annonce officielle du 23 mai 1960, la deuxième couvre la petite année de préparation du procès (24 mai 1960 - 10 avril 1961), la troisième commence avec l'ouverture du procès à Jérusalem et se termine avec l'exécution d'Eichmann (11 avril 1961 - 31 mai 1962).

* 24 Leur analyse suscite deux remarques préliminaires. D'une part, ne faudrait-il pas plutôt parler de prise de conscience occidentale, voire à tendance universelle ? Quelle est en effet notre connaissance du processus de prise de conscience de la Shoah en Asie et en Afrique ? Hier comme aujourd'hui, le génocide des Juifs d'Europe a en outre toujours été nié par des individualités ou des groupes sociaux relativement importants. D'autre part, comme le souligne le sociologue Maurice Halbwachs dans son ouvrage de référence sur la mémoire collective : « L'histoire peut se représenter comme la mémoire universelle du genre humain. Mais il n'y a pas de mémoire universelle. Toute mémoire collective a pour support un groupe limité dans l'espace et dans le temps. » (Maurice HALBWACHS, La Mémoire collective, Albin Michel, Paris, 1997, p. 137)

* 25 Annette WIEVIORKA, Le Procès Eichmann, Éditions Complexe, Bruxelles, 1989, p. 152. Wieviorka insiste aussi sur le fait que de nombreux autres vecteurs jouent également un rôle important par la suite -- en particulier à partir de 1979. (ibid., pp. 151-152)

* 26 Annette WIEVIORKA, L'Ère du témoin, Plon, Paris, 1998, p. 81. Dans sa récente monographie sur les Juifs américains, Françoise Ouzan reprend presque mot pour mot l'affirmation de sa consoeur. (Françoise OUZAN, Histoire des Américains juifs. De la marge à l'influence, André Versaille éditeur, Bruxelles, 2008, pp. 144-145)

* 27 Idith ZERTAL, La Nation et la mort. La Shoah dans le discours et la politique d'Israël, Éditions La Découverte, Paris, 2004, p. 12. En 2005, Zertal occupe à son corps défendant le devant de la scène en France. À cette époque, Dieudonné M'Bala M'Bala lui attribuait à tort la paternité de l'expression controversée «pornographie mémorielle» que l'humoriste avait utilisée pour qualifier la commémoration de la Shoah. (Ariane CHEMIN, « L'historienne israélienne Idith Zertal dément avoir parlé de «pornographie mémorielle» pour la Shoah », dans Le Monde, 26 février 2005)

* 28 Julie MAECK, Montrer la Shoah à la télévision de 1960 à nos jours, Nouveau Monde éditions, Paris, 2009, p. 63.

* 29 Ibid., p. 25. En tout cas, Maeck minimise l'importance du tournant mémoriel que le procès aurait provoqué. Elle évoque quatre documentaires allemands et français qui « vont participer avec le procès Eichmann à l'amorce d'un réveil, encore timide et incertain, de la mémoire du sort des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ». (ibid., p. 81)

* 30 Dalia OFER, « Histoire, mémoire et identité : la Shoah en Israël », dans Françoise S. OUZAN et Dan MICHMAN (dir.), De la mémoire de la Shoah dans le monde juif, CNRS éditions, Paris, 2008, p. 163. À quelques nuances près, cette formulation est partagée par plusieurs autres chercheurs. Par le journaliste Tom Segev : « Le procès Eichmann marqua un tournant dramatique dans la relation des Israéliens au Génocide. » (Tom SEGEV, Le Septième million, Liana Levi, Paris, 1993, p. 423) Par le professeur de sciences politiques Ilan Greilsammer : « Le procès Eichmann a représenté une étape fondamentale dans la prise de conscience [de la Shoah] des Israéliens. C'est un tournant. » (Ilan GREILSAMMER, La Nouvelle histoire d'Israël. Essai sur une identité nationale, Éditions Gallimard, Paris, 1998, p. 278) Et enfin, par un collectif de quatre auteurs : « Beaucoup regardaient le procès comme un tournant dans leur relation à l'Holocauste ». (Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., p. 32) [notre traduction] Pour une vue d'ensemble sur les textes israéliens consacrés au procès Eichmann, voir Hannah YABLONKA, « L'historiographie du procès Eichmann », dans L'historiographie israélienne de la Shoah 1942-2007. Revue d'histoire de la Shoah, n° 188, janvier-juin 2008, pp. 339-362.

* 31 Anita SHAPIRA, L'Imaginaire d'Israël. Histoire d'une culture politique, Calmann-Lévy, Paris, 2005, p. 304.

* 32 Nicolas WEILL et Annette WIEVIORKA, « La Construction de la mémoire de la Shoah : les cas français et israélien », dans Les Cahiers de la Shoah. Conférences et séminaires sur l'histoire de la Shoah, Université de Paris I, 1993-1994, [n° 1], 1994, p. 165.

* 33 Idith ZERTAL, op. cit., p. 132.

* 34 Ibid., p. 142.

* 35 Nathan GLAZER, Les Juifs américains. Du XVIIe siècle à nos jours, Calmann-Lévy, Paris, 1972, 291 p. La première édition d'American Judaism est sortie en 1957 -- c'est-à-dire avant le procès.

* 36 Ibid., p. 243.

* 37 Peter NOVICK, op. cit., 435 p.

* 38 Ibid., p. 181. Certes, comme le note Novick dans la conclusion du chapitre qu'il consacre à cette affaire : « Le procès Eichmann, avec les controverses autour du livre de Hannah Arendt et la pièce de Rolf Hochhuth, mit bel et bien fin à quinze années de quasi-silence sur l'Holocauste dans le discours public américain. » (ibid., p. 205) Sur ces deux controverses, voir supra.

* 39 Ibid., pp. 209 et 214. Pour Novick, le printemps 1967 qui précède la guerre des Six Jours « marqua un tournant spectaculaire dans les relations des Juifs américains avec Israël. De façon moins spectaculaire, et moins dramatique, il marqua aussi une étape importante dans le changement de leurs relations avec l'Holocauste. » (ibid., p. 209) Mais, comme il le note toujours dans son ouvrage de référence : « Pour ce qui concerne l'Holocauste, et les relations établies par les Juifs Américains entre Israël et l'Holocauste, on a peine à repérer un seul moment décisif. Il nous faut examiner non plus simplement la guerre des Six Jours, mais aussi celle du Yom Kippour, en 1973, ainsi que les événements intérieurs [...] qui renforcèrent l'impact de ces événements. » (ibid., p. 211) Sur l'importance de la guerre de 1973 dans son argumentation, voir ibid., pp. 214-216.

* 40 Françoise S. OUZAN, loc. cit., p. 283, n. 2. Aux yeux d'Ouzan, Novick répondrait « à un parti pris idéologique le conduisant à accuser la communauté juive de faire «profil bas» par rapport à la commémoration de la Shoah dans l'après-guerre, de sombrer dans une prétendue «amnésie», puis de tirer avantage des revendications ethniques des années soixante pour faire valoir son statut de victime ». (ibid.) Cette querelle idéologique porte sur le quasi-silence des organisations juives américaines dans l'immédiat après-guerre. Comme elle sort du cadre de la présente étude, il ne nous appartient pas de tenter de la vider.

* 41 Françoise S. OUZAN, loc. cit., p. 284.

* 42 Ibid., p. 311. Ce faisant, n'assimile-t-elle pas déclencheur et cause ? Dans un ouvrage antérieur consacré aux Américains juifs, elle qualifiait le procès de « tournant historique ». (Françoise OUZAN, op. cit., p. 79)

* 43 Alan MINTZ, « Du silence à l'évidence : interprétation de la Shoah dans la culture américaine », dans Françoise S. OUZAN et Dan MICHMAN (dir.), De la mémoire de la Shoah dans le monde juif, CNRS éditions, Paris, 2008, p. 259. Mintz s'y interroge sur les circonstances du déclenchement de ce phénomène d'américanisation de l'holocauste : « Comment et quand la Shoah cessa-t-elle d'être un centre d'intérêt pour la communauté juive et mobilisa-t-elle l'attention de l'ensemble de la nation américaine ? Il s'agit d'un changement radical et les raisons en sont multiples. Certains événements clés ponctuèrent ce changement : le Journal d'Anne Frank en version filmée ou en pièce de théâtre, le procès Eichmann, la guerre des Six Jours, Holocaust, le mini-feuilleton télévisé de 1978 et la création du musée du mémorial de la Shoah des États-Unis. Il se produisit aussi de vastes changements en profondeur dans la conscience populaire et dans les forces sociales, ce qui permit à la Shoah de passer de la périphérie au centre de l'intérêt. » (ibid., pp. 257-258) Mintz constate enfin que « la façon dont la Shoah réussit à percer des strates d'isolationnisme américain n'est pas simple » ; à ses yeux, la clé de la question ne réside pas dans le procès Eichmann mais « dans la puissance du matériau culturel et sa diffusion sous forme de livres, pièces de théâtre, films et émissions de télévision ». (ibid., p. 263)

* 44 Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., VIII et 184 p. 

* 45 Donald BLOXHAM, Genocide on Trial. War Crimes Trials and the Formation of Holocaust History and Memory, Oxford University Press, Oxford, 2005, XIX et 273 p.

* 46 Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., pp. 26-27 ; Donald BLOXHAM, op. cit., pp. 134-135. Comme pour Israël, il y aurait donc ici aussi unanimité dans la communauté historique.

* 47 Donald BLOXHAM, op. cit., p. 135.

* 48 David WEINBERG, « France », dans David S. WYMAN et Charles H. ROSENZVEIG (dir.), The World Reacts to the Holocaust, The Johns Hopkins Univeristy Press, Baltimore, 1996, p. 22.

* 49 Julie MAECK, op. cit., p. 54.

* 50 Annette WIEVIORKA, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l'oubli, Hachette Littératures, Paris, Collection « Pluriel Histoire », 2003, pp. 19-22 -- première édition : Plon, Paris, 1992 ; Annette WIEVIORKA, « La construction de la mémoire du génocide en France », dans Des usages de la mémoire. Le Monde Juif. Revue d'histoire de la Shoah, vol. 49, n° 149, septembre-décembre 1993, pp. 23-38 ; Nicolas WEILL et Annette WIEVIORKA, loc. cit., pp. 163-191 ; Annette WIEVIORKA, « Shoah : les étapes de la mémoire en France », dans Pascal BLANCHARD et Isabelle VEYRAT-MASSON (dir.), Les Guerres de mémoires. La France et son histoire. Enjeux politiques, controverses historiques, stratégies médiatiques, Éditions La Découverte, Paris, 2008, pp. 107-116.

* 51 Annette WIEVIORKA, Déportation... op. cit., p. 19.

* 52 Nicolas WEILL et Annette WIEVIORKA, loc. cit., p. 182.

* 53 Annette WIEVIORKA, « Shoah... » loc. cit., p. 110.

* 54 Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, Univers concentrationnaire et génocide. Voir, savoir, comprendre, Mille et une nuits, Paris, 2008, p. 78.

* 55 Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 9. Pour une version légèrement différente du texte de cette déclaration, voir Tom SEGEV, op. cit., p. 386.

* 56 Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 9 et 153, n. 1.

* 57 Hugh TREVOR-ROPER, « Behind the Eichmann Trial », dans Sunday Times, Londres, 9 avril 1961 -- cité par Idith ZERTAL, op. cit., p. 150. C'est Ben Gourion « et lui seul qui a autorisé et supervisé le processus tout entier : le long, patient processus, l'audacieuse capture du criminel dans un pays lointain, son enlèvement et son transfert clandestins à travers la moitié de la planète. Cette initiative du Premier ministre était si personnelle et si privée que l'establishment israélien tout entier en fut saisi de surprise. » (ibid.)

* 58 Tom SEGEV, op. cit., p. 387.

* 59 Sur la capture d'Eichmann en Argentine, voir d'abord Isser HAREL, La Maison de la rue Garibaldi, Éditions Robert Laffont, Paris, 1976, 299 p. Voir aussi Hannah ARENDT, op. cit., pp. 380-394 ; Tom SEGEV, op. cit., pp. 383-386.

* 60 Idith ZERTAL, op. cit., p. 148. À cette époque, Ben Gourion avait d'autres chats à fouetter : « Les années 1950 étaient pour lui la décennie de l'édification et de la consolidation de l'infrastructure de l'État, en l'occurrence avec l'aide de l'argent allemand, de l'«incorporation des exilés», de la construction d'une armée et de la défense du statut d'Israël comme État légitime parmi les autres États. » (ibid.)

* 61 Ibid.

* 62 Alain SALLES, « La CIA savait dès 1958 où se cachait Eichmann mais ne l'avait pas dit aux Israéliens », dans Le Monde, 9 juin 2006. Pour plus de détails sur l'inaction des différents services de renseignement, voir Simon WIESENTHAL et Joseph WECHSBERG, Les Assassins sont parmi nous, Éditions Stock, Paris, 1967, pp. 137-139 ; Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 14-15 ; Tom SEGEV, op. cit., pp. 384-385 ; Fabrizio CALVI, Pacte avec le diable. Les États-Unis, la Shoah et les nazis, Éditions Albin Michel, Paris, 2005, pp. 206-207. En outre, les criminels nazis n'ont pas tous été arrêtés. À l'heure actuelle, « il y en aurait encore un millier en Europe ». (François CORNU, « Nazis, la dernière traque », dans Le Monde, 4 décembre 2005)

* 63 Idith ZERTAL, op. cit., p. 136. Voir aussi Tom SEGEV, op. cit., pp. 386-387. En 1961, le journaliste d'origine autrichienne Wolfgang von Weisl, cofondateur du sionisme révisionniste, exprime son opinion dans le numéro spécial que la revue du CDJC consacre au procès. Au moment de la déclaration de Ben Gourion, écrit-il, « un enthousiasme sans bornes régna en Israël. » (Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 68) Membre du Comité d'action sioniste mondial et de l'Exécutif mondial du Herout en Israël, acquis par conséquent lui aussi aux idées de la mouvance dite révisionniste, I. Benari donne également son opinion dans cette revue : « À la fin de mai 1960, la nation [israélienne] (ou plutôt sa section européenne) était électrisée par l'annonce dramatique faite par Ben Gourion de la capture d'Eichmann, de la décision de le faire comparaître devant un Tribunal israélien, et de le faire juger par des juges juifs, pour ses crimes commis contre le peuple juif. » (ibid., p. 72) Ouvrons une parenthèse ! La publication dans Le Monde Juif des contributions de ces deux adeptes du sionisme révisionniste prouve que l'équipe du CDJC « était [alors] assez proche de cette sensibilité politique » plutôt à droite sur l'échiquier. (Philippe BOUKARA, « Justin Godart et le sionisme. Autour de France-Palestine », dans Annette WIEVIORKA (dir.), Justin Godart. Un homme dans son siècle (1871-1956), CNRS Éditions, Paris, 2004, p. 206) S'il fallait une preuve supplémentaire de cette étroite proximité idéologique, le lecteur pourrait la trouver dans l'éloge de Zéev Jabotinsky, le chef historique du sionisme révisionniste, que Le Monde Juif publie au milieu des années 1960. (John M. MACHOVER, « Un héros juif : Zéev Jabotinsky », dans Le Monde Juif, vol. 20, n° 3-4 (38), septembre 1964 - mai 1965, pp. 73-91)

* 64 Eichmann in the World Press, Israel Ministry for Foreign Affairs, Division Information, Jérusalem, 1960, VIII + 80 p. L'enlèvement et le procès d'Eichmann, c'était une aubaine pour l'État hébreu. Comme le confia un jour le général Marshall aux rédacteurs de la revue du CDJC : « Ce procès est un bonheur pour Israël ». L'argumentation de cet historien américain qui avait son franc-parler mérite d'être citée dans sa totalité : « Si Eichmann avait été abattu en Argentine, ç'aurait été une sensation mondiale pour 24 heures. Et ensuite, ce serait fini. Si l'Argentine n'avait pas protesté contre la capture d'Eichmann, 30 ou 40 journalistes tout au plus seraient venus à ce procès. Mais à cause du tapage qui a été soulevé autour de cette capture, la plainte de l'Argentine au Conseil de Sécurité, de la rupture des relations diplomatiques, à cause de tous ces détails secondaires, l'opinion publique a été alertée. Et c'est une chance. » (Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 70) Pour des précisions sur la plainte de l'Argentine, voir Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 20-21.

* 65 Eichmann... op. cit., p. VII.

* 66 Des opinions divergentes -- voire franchement opposées -- y apparaissent incidemment lorsque certains journalistes les combattent dans leurs propres argumentations en faveur de l'initiative d'Israël.

* 67 Eichmann... op. cit., p. VII.

* 68 Ibid., pp. 11-14. Les journaux en question sont respectivement : Le Journal du Parlement, La Croix, Le Monde, Le Populaire de Paris et Libération. À titre de comparaison, 19 extraits concernent des articles parus dans la presse israélienne (ibid., pp. 22-37), 15 des articles parus dans la presse américaine (ibid., pp. 55-66) et 13 des articles parus dans la presse ouest-allemande (ibid., pp. 66-72).

* 69 Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 2. Sur « Le dossier Eichmann » publié par le CDJC, voir Le Monde Juif, vol. 15, n° 21-22, juin 1960, pp. 1-67. Ce dossier spécial aborde les points suivants : « Qui est Eichmann ? Eichmann et la «solution finale». Eichmann et son activité vus par ses collaborateurs. Eichmann et son activité vus par l'un de ses interlocuteurs juifs. Pièces relatives à l'activité d'Eichmann et de son réseau dans différents pays subjugués par le IIIe Reich. Eichmann et les camps de la mort. » (ibid.) La réaction du CDJC ne s'arrête cependant pas en si bon chemin. « Peu après, le matériel de ce numéro [spécial], complété par d'autres documents, était repris dans un volume de grande diffusion publié conjointement par le CDJC et les Éditions Buchet-Chastel (Corréa). » (Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 2)

* 70 Pour Gorny, l'affaire Eichmann en est alors encore à son niveau juridique. « Au cours des années 1960-1964, le débat sur cette affaire s'est déroulé en trois phases et à trois niveaux : 1) le niveau juridique où l'on a débattu de la légalité de l'enlèvement et de la compétence d'Israël à juger Eichmann au regard du droit international ; 2) le niveau moral portant sur le verdict et l'exécution de la sentence ; 3) le niveau national après la tempête soulevée par le livre de Hannah Arendt ». (Yosef GORNY, op. cit., p. 47) Ce dernier niveau n'entre pas en ligne de compte dans notre étude. Sur la justification de notre choix, voir supra.

* 71 Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 21. Pour plus détails sur « la polémique internationale et la résolution de l'ONU », voir ibid., pp. 19-21.

* 72 Eichmann... op. cit., p. 14.

* 73 Ibid., pp. 12-13. Le journaliste qui s'exprime dans l'édition du 9 juin 1960 du journal Le Populaire de Paris défend lui aussi cette position. (ibid., p. 14)

* 74 Seul un dépouillement systématique de la presse française contemporaine de l'affaire fournirait un corpus d'articles assez représentatif. Sur les raisons qui ont motivé notre choix de ne pas entreprendre ce genre de dépouillement, voir supra.

* 75 Peter NOVICK, op. cit., p. 181.

* 76 Tom SEGEV, op. cit., p. 390.

* 77 Ibid., pp. 389-394 ; Elisabeth YOUNG-BRUEHL, op. cit., p. 431. Voir aussi Yosef GORNY, op. cit., pp. 52-75. La plaquette éditée par le ministère des Affaires étrangères israélien reproduit exclusivement l'opinion de journalistes du monde entier qui réclament à la suite de Ben Gourion le jugement d'Eichmann à Jérusalem.

* 78 À ce stade de la procédure pénale, ne serait-il pas plus indiqué de parler de sa préparation plutôt que de son instruction ? En effet, comme le rappellent les historiennes Lindeperg et Wieviorka : « Le tout nouveau droit israélien est d'inspiration anglo-saxonne. À la différence du droit continental, le juge d'instruction n'existe pas. L'instruction se déroule très largement devant le tribunal. » (Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., pp. 84-85)

* 79 Dès l'ouverture du procès en avril 1961, « la polémique déclenchée par l'annonce de l'enlèvement et de la mise en jugement s'éteint ». (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 117)

* 80 L'enthousiasme qui domine en Israël au moment de l'annonce de Ben Gourion ne fait pas long feu. « Des considérations politiques et morales » expliquent les « grands changements » que l'on constate dans « l'attitude de l'opinion publique juive, d'une part, et de la presse israélienne, de l'autre ». (Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 69 et 68) Les « incertitudes et les interrogations », qu'elles font naître, provoquent bientôt « un certain raidissement de l'opinion publique israélienne », à tel point que c'est finalement un sentiment de colère qui règne en Israël lorsque le procès s'ouvre. (ibid., pp. 69 et 73) Pour plus de détails sur ces changements d'attitude, voir les contributions de W. von Weisl et I. Benari dans le numéro spécial que la revue du CDJC consacre en 1961 au procès Eichmann. (ibid., pp. 68-78)

* 81 Sur la guerre d'Algérie, voir Benjamin STORA, Histoire de la guerre d'Algérie 1954-1962, Éditions La Découverte, Paris, 2006, 122 p. Sur « les guerres dans la guerre (1960-1961) » et « la guerre et la société française (1955-1962) » en particulier, voir ibid., pp. 55-72.

* 82 Hannah ARENDT, op. cit., p. 425. Sur les différents procès organisés en France depuis la Libération, voir Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 140-141.

* 83 Anita SHAPIRA, op. cit., p. 308. En réalité, cette loi visait plus les collaborateurs juifs que les nazis eux-mêmes. « Avant la capture d'Eichmann, des dizaines de Juifs avaient été poursuivis en Israël dans le cadre de cette loi. » (Peter NOVICK, op. cit., p. 199)

* 84 Sur Gidéon Hausner, voir Tom SEGEV, op. cit., p. 397.

* 85 Wieviorka insiste sur le côté « puissamment novateur » du procès. À ses yeux, « toutes les «premières fois» s'y rassemblent. » (Annette WIEVIORKA, L'Ère... op. cit., p. 81) Sur le procès-spectacle lui-même, voir infra.

* 86 Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 78.

* 87 Annette WIEVIORKA, L'Ère... op. cit., p. 84. Segev estime que « Ben Gourion avait deux objectifs : Rappeler au monde qu'en raison du Génocide, il était contraint de soutenir le seul État juif existant. Imprégner le peuple juif, les jeunes surtout, des leçons du Génocide. » (Tom SEGEV, op. cit., p. 388)

* 88 Dalia OFER, « Israel », dans David S. WYMAN et Charles H. ROSENZVEIG (dir.), The World Reacts to the Holocaust, The Johns Hopkins Univeristy Press, Baltimore, 1996, p. 873.

* 89 Au-delà du jugement de l'inculpé, le procès Eichmann était toutefois « censé corriger les effets dévastateurs du [procès] précédent » -- c'est-à-dire celui de Rudolf Israel Kastner. (Idith ZERTAL, op. cit., p. 126) Sur l'affaire Kastner qui sort des limites de la présente étude, voir ibid., pp. 112-126 ; Tom SEGEV, op. cit., pp. 307-351.

* 90 Idith ZERTAL, op. cit., p. 153. Le sort du criminel nazi semble constituer un prétexte dès le départ. La priorité, c'est de faire du procès de Jérusalem celui du génocide. Dépassant le « rôle précis d'Eichmann », l'acte d'accusation de Gidéon Hausner s'étend d'ailleurs volontairement « à l'ensemble de la campagne d'extermination ». (Tom SEGEV, op. cit., p. 403)

* 91 Tom SEGEV, op. cit., p. 388.

* 92 Ibid.

* 93 Idith ZERTAL, op. cit., p. 139. « Deux semaines seulement avant son annonce à la Knesset, [Ben Gourion] était encore un dirigeant politique contesté, critiqué et sur la défensive ». (ibid.) Maintenant que l'étape de formation de l'État d'Israël « arrivait à son terme, que la société israélienne était plus diversifiée et divisée, que Ben Gourion lui-même arrivait à la conclusion de son mandat et que son régime était de plus en plus contesté, le temps était venu de lancer un grand projet de construction de la conscience nationale. » (ibid., p. 148) Est-il superflu de rappeler que Ben Gourion, rattrapé par les rebondissements de l'affaire Lavon qui mine la vie politique israélienne depuis le milieu des années 1950, quittera définitivement le pouvoir en 1963 ? Pour un aperçu de ce scandale politique, voir Ilan GREILSAMMER, op. cit., pp. 311-317.

* 94 Tom SEGEV, op. cit., p. 389. Sur « le contrôle de la mémoire », voir aussi Idith ZERTAL, op. cit., p. 138. Ainsi, après avoir accusé Ben Gourion « de vouloir effacer la mémoire du génocide » dans les années 1940 et 1950, lui reprochait-on désormais « de transformer le procès Eichmann en procès-spectacle destiné à nourrir le mythe fondateur de la Shoah ». (Anita SHAPIRA, op. cit., p. 315)

* 95 Nicolas WEILL et Annette WIEVIORKA, loc. cit., p. 179.

* 96 « Aux alentours de 1965, la cohésion nationale n'était plus ce qu'elle avait été pendant les premières années » de l'existence de l'État hébreu. (Abba EBAN, Mon pays : l'épopée d'Israël moderne, Éditions Buchet Chastel, Paris, 1975, p. 181)

* 97 « Fossé entre la nouvelle classe moyenne des villes et la vieille élite rurale, née du mouvement kibboutz. Fossé entre ces deux catégories et le Lumpenproletariat des taudis et des faubourgs. Fossé entre la population qui avait été élevée en Europe -- et leurs enfants sabras -- et les immigrants orientaux avec leurs préceptes de piété, leurs clans, leurs traditions familiales. Fossé des générations : les jeunes nés au soleil, sous le vaste ciel, étaient attirés par une conception plus simple de l'existence, moins tourmentée, mais aussi plus superficielle intellectuellement, que celle des premiers pionniers. Et enfin, le fossé entre les sabras, très réalistes, et les Juifs de la Diaspora, plus sentimentaux, plus compliqués, plus introvertis mais aussi plus créateurs» (ibid.) Pour une version légèrement écourtée de l'énumération d'Abba Eban, voir Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 16 ; Nicolas WEILL et Annette WIEVIORKA, loc. cit., p. 179.

* 98 « Au cours de l'été 1959, des émeutes éclatèrent à Wadi Salib, un quartier pauvre de Haïfa peuplé d'immigrants du Maroc ; puis elles se répandirent dans d'autres localités. Pour la première fois, depuis le début de l'immigration massive en provenance des pays arabes, la suprématie de la classe dirigeante ashkénaze, menée par le Mapai, était menacée. » (Tom SEGEV, op. cit., p. 389)

* 99 Ilan GREILSAMMER, op. cit., p. 251. Pour plus de détails sur ces clivages, voir ibid., pp. 251-276.

* 100 Tom SEGEV, op. cit., p. 393.

* 101 Hannah ARENDT, op. cit., p. 22. Voir aussi Idith ZERTAL, op. cit., p. 154.

* 102 L'expression est reprise dans le titre d'un article que Le Monde publie le 21 juin 1960. (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 29 et 154, n. 6) Ce procès avait effectivement pour but de réparer les manquements des procès de Nuremberg à l'encontre des Juifs. (Dalia OFER, « Israel... » loc. cit., p. 873)

* 103 Dalia OFER, « Israel... » loc. cit., pp. 873-874.

* 104 Nicolas WEILL et Annette WIEVIORKA, loc. cit., p. 179.

* 105 Comme l'historien Léon Poliakov, par exemple, qui pronostique en 1961 que « le procès Eichmann permettra de combler les lacunes qui subsistent encore dans nos connaissances sur le déroulement de la «solution finale» ». (Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 98)

* 106 Idith ZERTAL, op. cit., p. 152.

* 107 Hannah ARENDT, op. cit., pp. 13-14. À entendre les historiennes Lindeperg et Wieviorka, Arendt aurait quitté le procès dès le 7 mai 1961 -- soit moins d'un mois après son ouverture le 11 avril. (Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 86) L'envoyée spéciale du New Yorker semble pourtant de retour sur place en juin 1961, après une visite éclair à Bâle -- sans doute chez son ami Karl Jaspers. (Elisabeth YOUNG-BRUEHL, op. cit., p. 669, n. 7) Cet aller retour explique sans doute pourquoi Lawrence Douglas indique que la philosophe juive allemande couvre le procès pendant « dix semaines » et qu'elle le quitte « trois semaines » avant que le témoin Eichmann n'entre vraiment en lice. (Lawrence DOUGLAS, The Memory of Judgment. Making Law and History in the Trials of the Holocaust, Yale University Press, New Haven, 2001, p. 180) Au cours du même été 1961, Hannah Arendt et son second mari, Heinrich Blücher, en profitent, il est vrai, pour revoir l'Italie et la Sicile. (Elisabeth YOUNG-BRUEHL, op. cit., p. 436) En tout cas, son départ prématuré de Jérusalem n'est guère une surprise. Hormis les journalistes allemands qui « sont presque tous restés » jusqu'à la fin, note le poète Haïm Gouri à la date du 19 mai 1961 dans son journal, « la plupart des journalistes étrangers sont repartis ». (Haïm GOURI, La Cage de verre [Journal du Procès Eichmann], Éditions Albin Michel, Paris, 1964, p. 87) Par contre, le poète israélien suit le procès presque de bout en bout. À la date du 2 mai dans son journal, Gouri reconnaît toutefois qu'il a été « absent du Tribunal pendant quelques jours ». (ibid., p. 45)

* 108 Christian DELAGE, La Vérité par l'image. De Nuremberg au procès Milosevic, Éditions Denoël, Paris, 2006, p. 243 ; Lawrence DOUGLAS, op. cit., p. 98. Plusieurs estimations allant de 350 à 600 circulent sur le nombre de journalistes présents dans la salle du tribunal. Quoi qu'il en soit exactement, il semble y en avoir eu au moins plusieurs centaines pendant les moments forts du procès.

* 109 Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 77.

* 110 Nicolas WEILL et Annette WIEVIORKA, loc. cit., p. 180. De fait, Hausner « confie à Rachel Auerbach, historienne et survivante du ghetto de Varsovie [...] le soin de dresser une liste de témoins parmi lesquels il opère ses choix : «des enseignants, des maîtresses de maison, des artisans, des écrivains, des paysans, des commerçants, des ouvriers et des médecins, des fonctionnaires et des industriels ». (ibid.) Pour Segev, « Hausner avait privilégié les témoins célèbres dont on connaissait déjà l'histoire » . (Tom SEGEV, op. cit., p. 400) Sur le rôle d'Auerbach, voir ibid. pp. 399-400.

* 111 Pour plus de détails sur les préparatifs du procès, voir Tom SEGEV, op. cit., pp. 397-405 ; Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 23-33 ; Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., pp. 80-88.

* 112 Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 1-2. Sur les différentes publications que le CDJC consacre à l'affaire, voir supra.

* 113 Ibid., p. 2. « Aussi, des journalistes et correspondants de presse, des cinéastes, des écrivains, des reporters de radio et de télévision de nombreux pays se précipitèrent-ils aussitôt dans les bureaux du CDJC et demandèrent-ils des documents et photos concernant Eichmann. » (ibid.) Le Monde Juif publie aussi la liste des « principaux organes de la presse française » ainsi que les noms de certains journalistes de radio et de télévision et de cinéastes étrangers « qui eurent recours au CDJC ». (ibid.)

* 114 Ibid., p. 4. Dans l'historique qu'il dresse pour le vingtième anniversaire de la création du CDJC en 1963, Michel Mazor, alors directeur des archives du Centre, rappelle que « le CDJC, après avoir eu des conférences dans ses locaux avec le chef de la police judiciaire d'Israël, M. Selinger, a fourni, pour l'instruction du procès, de nombreux documents originaux, prouvant la responsabilité directe d'Eichmann dans la déportation des Juifs des pays de l'Ouest ». (Le Monde Juif, vol. 18, n° 34-35, juillet-décembre 1963, p. 51) Pour une note biographique sur Michel Mazor, voir Annette WIEVIORKA, Il y a 50 ans. Aux origines du mémorial de la Shoah, Mémorial de la Shoah, Paris, 2006, p. 13. Dans son réquisitoire inaugural, le procureur général Hausner soulignera la contribution documentaire du CDJC. Sur ce point, voir infra.

* 115 Le Monde Juif, vol. 18, n° 34-35, juillet-décembre 1963, p. 51.

* 116 Léon POLIAKOV, Bréviaire de la Haine. Le IIIe Reich et les Juifs, Calmann-Lévy, Paris, 1960, XVI et 399 p. Déjà préfacée par François Mauriac, la première édition de ce livre sort en 1951.

* 117 Ibid., quatrième de couverture. Dans la note introductive à la deuxième édition, Poliakov dit son espoir que le procès complétera la connaissance du processus d'extermination des Juifs d'Europe. (ibid., p. XVI)

* 118 Parue « en plein procès Eichmann », la version allemande de Si c'est un homme de Primo Levi intéresse apparemment un large public. (Philippe MESNARD et Yannis THANASSEKOS (dir.), Primo Levi à l'oeuvre. La réception de l'oeuvre de Primo Levi dans le monde. Actes du colloque international des 12, 13 et 14 octobre 2006, Bruxelles, Éditions Kimé, Paris, 2008, pp. 435 et 122) Ce n'est pas le cas du film Judgment at Nuremberg du cinéaste américain Stanley Kramer. La première mondiale de ce film réalisé à partir d'un scénario d'Abby Mann a pourtant lieu à Berlin le 14 décembre 1961 -- c'est-à-dire au moment-même où les juges d'Eichmann s'apprêtent à prononcer leur verdict. Alors qu'il était convaincu que le public allemand serait intéressé par son film, « Kramer reconnaît lui-même que l'accueil fut très froid. » (Christian DELAGE, op. cit., p. 227) Pour plus de détails sur ce film, voir ibid., pp. 225-232 ; Judith E. DONESON, op. cit., pp. 87-107 ; Abby MANN, Jugement à Nuremberg (Judgment at Nuremberg), Éditions Robert Laffont, Paris, 1962, 222 p.

* 119 Raul HILBERG, La Destruction des Juifs d'Europe, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1988, 1103 p.

* 120 Raul HILBERG, La Politique de la mémoire, Éditions Gallimard, Paris, 1996, pp. 111 et 110. Lors de négociations antérieures avec un autre éditeur, alors pressenti, Hilberg avait pourtant essayé en vain d'attirer « son attention sur les grands titres de la presse qui annonçaient la capture d'Adolf Eichmann par des agents israéliens en Argentine. Il y aurait un procès, insistai[t-il], et il serait dommage de ne pas tirer parti de l'actualité en publiant l'ouvrage à temps. » (ibid., p. 110)

* 121 Tom SEGEV, op. cit., p. 418 ; Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 35 et 97. Il existe une divergence, somme toute accessoire, quant au nombre exact de séances ou d'audiences du procès. Arendt dénombre soit cent vingt et une, soit cent quarante-quatre séances alors que Wieviorka ne comptabilise que cent quatorze audiences. (Hannah ARENDT, op. cit., pp. 362 et 394 ; Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 97) Ces différences résulteraient-elles du fait qu'il y avait deux audiences par jour ? (Amos ELON, op. cit., p. 301) Ou découleraient-elles plutôt de la prise en compte ou non de « la semaine de l'entracte » dont parle Joseph Kessel dans le reportage qu'il réalise pour France-Soir ? Placée entre l'accusation (les dépositions des témoins) et la défense d'Eichmann, cette « semaine de repos » a lieu du 13 au 19 juin 1961 inclus. (Joseph KESSEL, Jugements derniers. Le procès Pétain. Le procès de Nuremberg. Le procès Eichmann, Éditions Tallandier, Paris, 2007, pp. 168 et 165-166 ; Haïm GOURI, op. cit., pp. 154 et 159-160 ; Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 94 ; Hannah ARENDT, op. cit., p. 362)

* 122 John M. Machover rappelle cette référence faite à la documentation du Centre dans le texte qu'il rédige pour le vingtième anniversaire du CDJC. (Le Monde Juif, vol. 18, n° 34-35, juillet-décembre 1963, p. 72) Procédé illégal, Hausner soumet le projet de son texte à Ben Gourion qui demande « trois corrections, toutes destinées à protéger l'image de l'Allemagne de l'Ouest et à atténuer la culpabilité du peuple allemand ». (Tom SEGEV, op. cit., p. 408) C'est une constante dans les relations entre les deux pays pendant les années 1950 et 1960 de voir Israël ménager la RFA dont il attend beaucoup économiquement parlant. Pour plus de détails sur cet aspect, voir ibid. pp. 401-402.

* 123 Tom SEGEV, op. cit., p. 412. La profonde émotion ressentie n'empêche cependant pas, ainsi que le note Gouri dans son journal à la date du 24 avril 1961, la vie de continuer dans l'État hébreu. « Le pays continue à vivre, poursuit son mouvement, nuit et jour, mais il l'accompagne, ce procès. Aucun signe extérieur ne témoigne de son existence loin du «Beit Haam». Mais il semble être dans l'air et dans l'eau, avoir déposé comme une fine poussière sur les arbres et, alors qu'on le croit oublié derrière le dos des gens, il se présente brusquement à leur vue. C'est ainsi, et au lieu des foudres et du tonnerre, au lieu de cette apocalypse que l'on attendait, la vie continue comme un miracle permanent. » (Haïm GOURI, op. cit., p. 33) Parcourant Israël à l'époque du procès, Wiesenthal se souvient « avoir été choqué par l'indifférence apparente des gens ». (Simon WIESENTHAL et Joseph WECHSBERG, op. cit., p. 110)

* 124 Aux États-Unis, l'attitude de la presse avait fondamentalement évolué depuis l'annonce du 23 mai 1960. Selon les résultats d'une enquête portant sur plus de mille éditoriaux, ceux-ci étaient à 7 contre 3 opposés à Israël à l'époque de la capture d'Eichmann alors qu'un an plus tard, au moment de l'ouverture du procès à Jérusalem, ils étaient à 10 contre 3 en faveur de l'État hébreu. (Shlomo SHAFIR, Ambiguous Relations. The American Jewish Community and Germany since 1945, Wayne State University Press, Detroit, 1999, p. 226) Ces ratios confirment les informations signalées plus haut selon lesquelles les médias américains, au départ dans l'ensemble plutôt opposés à l'initiative israélienne, assurent finalement une couverture globalement bienveillante du procès. Comment expliquer leur retournement d'attitude ? Novick fournit un élément de réponse lorsqu'il reconnaît qu'« il est difficile de dire dans quelle mesure les efforts des organisations juives pour présenter le procès comme une mise en accusation du totalitarisme ont pu influencer la couverture médiatique. » (Peter NOVICK, op. cit., p. 189) Pour plus de détails sur ce point, voir ibid., pp. 181-190.

* 125 Tom SEGEV, op. cit., p. 398.

* 126 Annette WIEVIORKA, L'Ère... op. cit., p. 96. Soutenant rétrospectivement Arendt dans le différend qui l'opposait à Robinson, un des adjoints du procureur Hausner, Wieviorka pense aussi « que pour l'historien, la véritable richesse du procès ne réside pas en l'apport de documents nouveaux [...] mais dans l'interrogatoire de l'accusé, considéré d'abord, comme le veut le droit anglo-saxon, comme un témoin et dans les témoignages ». (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 29-30) Sur le différend lui-même, voir Elisabeth YOUNG-BRUEHL, op. cit., pp. 466-470.

* 127 Au terme du procès, « cent vingt et une personnes avaient comparu et plusieurs centaines de documents avaient été présentés. » (Tom SEGEV, op. cit., p. 416) « Presque tous les témoins étaient des Israéliens ». (Hannah ARENDT, op. cit., p. 362) « Quatre-vingt-dix d'entre eux étaient des survivants au sens propre du terme, c'est-à-dire qu'ils avaient vécu en captivité entre les mains des nazis. » (ibid.) Sur cet aspect, voir aussi Tom SEGEV, op. cit., p. 416. « Début mai 1961, [...] le ton des témoignages a changé. Ce ne sont plus simplement des récits de peur et d'humiliation. On plonge dans le meurtre, dans la mort massive aux multiples méthodes. «L'horreur s'est installée inévitablement», note Jean-Marc Théolleyre » dans un papier que Le Monde publie le 3 mai 1961. (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 55 et 156, n. 1)

* 128 C'est aussi le cas de l'Autriche, la Hollande, le Danemark, la Norvège, le Luxembourg, l'Italie, la Grèce et l'URSS. (Hannah ARENDT, op. cit., p. 364)

* 129 Pour une note autobiographique, voir Georges WELLERS, Un Juif sous Vichy, Éditions Tirésias Michel Reynaud, Paris, 1991, pp. VI à XIV -- il s'agit en réalité de la réédition de son ouvrage : L'Étoile jaune à l'heure de Vichy : de Drancy à Auschwitz, Fayard, Paris, 1973. Pour un regard extérieur sur la carrière du témoin, voir Serge KLARSFELD, « Spécialiste de l'histoire des camps de concentration Georges Wellers est mort », dans Le Monde, 9 mai 1991.

* 130 Le Monde juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 50 et 51. Les citations qui suivent sont toutes tirées du texte que Wellers livre à chaud à la revue du CDJC.

* 131 Ibid., p. 52. Sur les circonstances de ce drame et pour un extrait du bouleversant témoignage de Wellers, voir Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 68-69.

* 132 Le Monde juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 52.

* 133 Ibid., p. 50.

* 134 Ibid., p. 53.

* 135 « André Scemama, correspondant particulier du journal Le Monde à Jérusalem note que la reprise du procès se fait dans «une indifférence quasi totale» et que «tant la presse que le grand public s'y intéressent à peine». » (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 105)

* 136 Pour des précisions sur les différents chefs d'accusation, voir Hannah ARENDT, op. cit., pp. 394-397.

* 137 Ibid., p. 400. « Le Tribunal condamne Adolf Eichmann, reconnu coupable pour ses crimes commis contre le peuple juif, pour ses crimes commis contre l'humanité, pour ses crimes de guerre, à la peine de mort. » (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 109)

* 138 Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 109 ; Hannah ARENDT, op. cit., pp. 400-402.

* 139 Hannah ARENDT, op. cit., p. 402. Sans compter celles qui proviennent de la famille du condamné à mort, le président israélien reçoit « des centaines de lettres et de télégrammes du monde entier, réitérant l'appel d'Eichmann à la clémence ». (ibid.)

* 140 Ibid., p. 403. « La Conférence des rabbins américains réunis (qui représente le judaïsme réformé aux États-Unis) » réclamait aussi la grâce d'Eichmann. (ibid.) Pour plus de détails sur la composition et les actions de ce groupe d'enseignants de l'université hébraïque, voir Tom SEGEV, op. cit., pp. 423-427. Pour une critique de l'argumentation de Martin Buber, voir Hannah ARENDT, op. cit., pp. 405-407. En France également, des personnalités telles que Jean Pierre-Bloch, Henry Torrès, Daniel Mayer, Alain Bosquet, Joanna Ritt et Edmond Fleg s'opposent à l'exécution d'Eichmann. Les journaux France-Observateur en décembre 1961 de même que Le Monde et Combat en mars 1962 leur avaient ouvert leurs colonnes pour qu'ils puissent exposer publiquement les raisons de leur opposition. (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 112-114 et 159, n. 5 à 8) Pour Gorny, l'affaire Eichmann atteint désormais à son niveau moral. (Yosef GORNY, op. cit., p. 47)

* 141 Hannah ARENDT, op. cit., p. 403.

* 142 Tom SEGEV, op. cit., p. 428. Arendt explique de façon convaincante pourquoi « la sentence fut exécutée avec une rapidité vraiment extraordinaire ». (Hannah ARENDT, op. cit., pp. 403-404) Wieviorka insiste de son côté sur le fait qu'« Eichmann sera le premier et le seul condamné à mort et exécuté de l'histoire de l'État hébreu ». (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 25)

* 143 Comme le note I. Benari dans son article consacré aux changements survenus dans la société israélienne au lendemain de l'annonce du 23 mai 1960 : aux yeux de certains dirigeants juifs américains, « le procès pourrait être le signal de la résurrection d'un antisémitisme brutal, qui pourrait affecter le statut des communautés juives dans le monde entier ». (Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 72-73) Le philosophe Karl Jaspers s'interrogeait « aussi sur le risque qu'un procès israélien ne provoquât une nouvelle vague d'antisémitisme si les ennemis d'Israël réussissaient à faire d'Eichmann un martyr ». (Elisabeth YOUNG-BRUEHL, op. cit., p. 431) Membre du groupe d'enseignants de l'université hébraïque opposés à l'exécution de l'ancien colonel SS, Hugo Bergmann était lui aussi « persuadé que la sentence de mort accroîtra[it] la haine dans le monde -- contre nous [les Juifs] et contre d'autres ». (Tom SEGEV, op. cit., pp. 424-425)

* 144 Ainsi, le Premier ministre Ben Gourion était-il suffisamment inquiet pour « ordonner au Mossad de surveiller de près les incidents antisémites au cours du procès ». (Peter NOVICK, op. cit., p. 185)

* 145 Yosef GORNY, op. cit., p. 49, n. 3.

* 146 L'antisémitisme n'a pas disparu du jour au lendemain après la Libération. L'historienne Anne Grynberg a d'ailleurs consacré toute une étude aux manifestations de ce phénomène dans la France de l'immédiat après-guerre. (Anne GRYNBERG, « Des signes de résurgence de l'antisémitisme dans la France de l'après-guerre (1945-1953) ? », dans Survivre à la Shoah. Exemples français. Les Cahiers de la Shoah, n° 5, 2001, pp. 171-223) En 1960, « trente représentants d'organisations néo-nazies de France » se réunissent à Paris. Leur meeting s'ouvre par un discours franchement antisémite. (Le Monde Juif, vol. 17, n° 30-31, septembre-décembre 1962, p. 8) En 1957, des « agitateurs néo-nazis [allemands] s'efforcent de revivifier l'antisémitisme germanique en s'en prenant aux pierres mortuaires, dans les cimetières juifs ». (Le Monde Juif, vol. 11, n° 10 (77), mai 1957, p. 39) Les incidents à caractère antisémite n'ont donc pas cessé après 1945, mais leur ampleur n'avait jamais atteint un niveau comparable à celle de ceux qui éclatent en 1960. Partis de Cologne dans les tout derniers jours de l'année 1959, lorsque deux jeunes membres du plus grand parti néo-nazi antisémite de la RFA profanèrent la synagogue locale, des incidents à caractère antisémite « se reproduisirent dans d'autres villes allemandes ; on en rapporta quatre cents. Ce phénomène se propagea dans d'autres pays du monde. » (Tom SEGEV, op. cit., p. 376) Le 10 janvier 1960, un grand rassemblement de protestation contre les récentes manifestations antisémites (qui ont apparemment épargné la France) réunit quelque dix mille personnes à Paris. (Le Monde Juif, vol. 15, n° 20 (87), janvier-mars 1960, p. 33) Sur ce rassemblement, voir aussi Annette WIEVIORKA, « Un lieu de Mémoire et d'Histoire : Le Mémorial du Martyr juif inconnu », dans Les Juifs entre la mémoire et l'oubli. Revue de l'Université de Bruxelles, 1987, 1-2, p. 129. Sur l'absence d'actes antisémites perpétrés alors en France, voir infra.

* 147 Qui plus est, comme le souligne Harel dans son récit détaillé de la capture d'Eichmann dont il assurait le commandement : « la nouvelle vague du nazisme donnait le plus grand poids à notre opération. Capturer Eichmann et le juger en Israël, c'était opposer une puissante contre-attaque au monstre nazi qui encore une fois relevait la tête. » (Isser HAREL, op. cit., p. 51)

* 148 Simon WIESENTHAL et Joseph WECHSBERG, op. cit., p. 13. Wiesenthal prétendait en effet que « le procès d'Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961 fut le frein majeur à la croissance du néo-nazisme en Allemagne et en Autriche. » (ibid., p. 13) Quoi qu'il en soit, le procès relance à coup sûr la chasse aux criminels nazis impunis : « Le retentissement de ce procès dans le monde a encore éveillé dans la conscience des peuples l'exigence de la punition des criminels de la dernière guerre qui avaient échappé jusqu'ici au châtiment et a ainsi grandement contribué à la découverte et à la poursuite de plusieurs criminels nazis. » (Pierre A. PAPADATOS, Le Procès Eichmann, Librairie Droz, Genève, 1964, p. 104)

* 149 Le Monde Juif, vol. 17, n° 30-31, septembre-décembre 1962, p. 24.

* 150 Pierre MILZA et Serge BERSTEIN, Dictionnaire historique des fascismes et du nazisme, Éditions Complexe, Bruxelles, 1992, p. 235. En Italie, le Movimento sociale italiano (MSI) « exerce depuis l'immédiat après-guerre un quasi-monopole sur les tendances néo-fascistes ». Deux courants divisent toutefois le MSI -- Mouvement social italien. C'est de la « gauche » de ce parti que « va se détacher en 1956 une poignée d'intransigeants rassemblés autour de Pino Rauti et du mouvement Ordine nuovo d'orientation ouvertement néo-nazie ». (Pierre MILZA, Les Fascismes, Éditions du Seuil, Paris, Collection « Points Histoire » n° H147, 2001, pp. 479 et 482)

* 151 Milza attire notre attention sur « les grandes batailles de rues des années 1960 et 1961 » dans lesquelles les néo-fascistes, les antifascistes et les forces de l'ordre s'affrontent. (Pierre MILZA, op. cit., p. 482)

* 152 Marc LAZAR, L'Italie contemporaine de 1945 à nos jours, Éditions Fayard, Paris, 2009, p. 33.

* 153 Ibid.

* 154 Ibid.

* 155 Françoise S. OUZAN, loc. cit., pp. 300-305. Pour un survol historique du néo-fascisme américain, voir Pierre MILZA, op. cit., pp. 495-501.

* 156 Françoise S. OUZAN, loc. cit., pp. 304-305. Otto Preminger réalise le film Exodus en 1960 à partir du roman éponyme de Leon Uris. Pour une analyse de ce film, voir Sara R. HOROWITZ, « The Cinematic Triangulation of Jewish American Identity : Israel, America, and the Holocaust », dans Hilene FLANZBAUM (dir.), The Americanization of the Holocaust, The Johns Hopkins University Press, Baltimore, 1999, pp. 155-156.

* 157 Françoise S. OUZAN, loc. cit., p. 303. La police locale empêche finalement le déroulement de cette mini-manifestation. (ibid.) Le « voyage de la haine » de Rockwell entend avant tout répondre aux « freedom rides » [voyages de la liberté] organisés à partir du mois de mai 1961 par les militants du mouvement des droits civiques. Si ces derniers se déplacent démonstrativement en bus, les quelques partisans de Rockwell voyagent ostensiblement dans une Volkswagen bleue et blanche. Sur les « voyages de la liberté », voir Pierre MELANDRI, Histoire des États-Unis contemporains, André Versaille éditeur, Bruxelles, 2008, p. 424. Par la suite, la projection d'Exodus provoque des « émeutes antisémites » à Tegucigalpa -- la capitale du Honduras. (Le Monde Juif, vol. 17, n° 30-31, septembre-décembre 1962, p. 18)

* 158 Sur « le «rêve» de la déségrégation et la crise de Little Rock », voir Pierre MELANDRI, op. cit., pp. 406-410.

* 159 Françoise S. OUZAN, loc. cit., p. 299.

* 160 Ibid., p. 305.

* 161 Le dossier que la revue du CDJC consacre en 1962 au néo-nazisme antisémite indique que « l'exécution d'Eichmann a eu pour résultat en Argentine l'intensification des incidents antisémites ». (Le Monde Juif, vol. 17, n° 30-31, septembre-décembre 1962, p. 4) Dans sa somme sur les fascismes, Pierre Milza attire notre attention sur le fait que « des manifestations antisémites orchestrées par des néo-nazis ont eu lieu également au Brésil en 1958 et surtout, après l'exécution d'Eichmann en 1962, en Argentine et en Uruguay ». (Pierre MILZA, op. cit., p. 535)

* 162 Le Monde Juif, vol. 17, n° 30-31, septembre-décembre 1962, p. 24.

* 163 « Au cours de l'année 1961, le dirigeant du parti nazi américain, George Lincoln Rockwell a émis des critiques sur le «rôle» d'Israël, «l'équité» du procès et «l'éthique» du judaïsme tandis que le jugement de l'État juif occulte celui de l'inculpé, une tendance partagée par ceux qui ont critiqué le procès. » (Françoise S. OUZAN, loc. cit., p. 302)

* 164 Aux États-Unis, « les médias braquèrent [...] leurs projecteurs sur George Lincoln Rockwell, dont le minuscule American Nazi Party réussit à provoquer des affrontements largement couverts par la presse. » (Peter NOVICK, op. cit., p. 180)

* 165 Si le moindre incident à caractère antisémite s'était alors produit en France, les rédacteurs de la revue du CDJC se seraient empressés de le porter à la connaissance de leurs lecteurs. Or, ils n'en font rien. Même le dossier, assorti d'une enquête internationale, qu'ils consacrent spécialement dès 1962 au phénomène du néo-nazisme antisémite reste complètement muet à ce sujet. (Le Monde Juif, vol. 17, n° 30-31, septembre-décembre 1962, pp. 1-42) La vague antisémite qui déferle alors sur le monde entier semble épargner la France. Selon l'avis autorisé d'Henry Bulawko recueilli dans le cadre de la même enquête du CDJC, « bien que la France ait été peu touchée par le renouveau antisémite (l'extrême-droite activiste ayant trouvé un autre bouc émissaire), il n'est pas exclu que la confusion politique dont nous sommes témoins favorise à brève échéance un tel mouvement. » (ibid., p. 39) Depuis son retour des camps, Henry Bulawko n'a jamais cessé « de s'occuper de multiples façons des déportés ». Il a notamment animé et présidé une amicale d'anciens déportés juifs de France. (Annette WIEVIORKA, Déportation... op. cit., p. 171)

* 166 Anne GRYNBERG, loc. cit., p. 210. L'antisémitisme y reste apparemment assez stationnaire par la suite. Henry Rousso note effectivement que, si les recherches de Béatrice Philippe sont dignes de foi, « même le rapatriement progressif de près de 300 000 Juifs d'Afrique du Nord, entre 1956 et 1967, ne semble pas avoir ravivé l'antisémitisme populaire » en France. (Béatrice PHILIPPE, Être Juif dans la société française. Du Moyen-âge à nos jours, Montalba, Paris, Collection « Pluriel », 1981, pp. 389 et suiv. -- cité par Henry ROUSSO, Le Syndrome de Vichy (1944-198...), Éditions du Seuil, Paris, 1987, p. 149)

* 167 Joseph ALGAZY, La Tentation néo-fasciste en France de 1944 à 1965, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1984, p. 327. De fait, les succès des néo-fascistes français semblent étroitement liés au contexte de la guerre d'Algérie. « L'affaire algérienne prend, à partir de 1957, le relais du poujadisme comme terrain de culture du néo-fascisme français. » (Pierre MILZA, op. cit., p. 509) « La fin de la guerre d'Algérie marque le début du reflux de l'extrême droite française. » (ibid., p. 510)

* 168 Des actes à caractère antisémite sont toutefois à déplorer dans la colonie entre 1955 et 1961. Leurs auteurs sont musulmans. (Benjamin STORA, Les Trois exils. Juifs d'Algérie, Éditions Stock, Paris, 2006, pp. 135, 139-140, 148, 155-156 et 161) En 1961, des attentats de l'Organisation de l'armée secrète (OAS) frappent aussi les Juifs d'Algérie. (ibid., p. 162) Sur l'OAS, voir infra.

* 169 Lorsqu'il aborde la question de l'antisémitisme des néo-fascistes français, Algazy note que « la haine au présent à l'égard des Arabes supplantait momentanément leurs sentiments antijuifs qu'ils étaient obligés de refouler pour les besoins de la cause et de l'heure ». (Joseph ALGAZY, op. cit., p. 235) Les Français partisans de l'indépendance de l'Algérie étaient évidemment aussi dans le collimateur des néo-fascistes.

* 170 Ibid., pp. 235 et 138. Dans les documents de l'OAS, « les Juifs étaient absents comme objet d'aversion [et] d'incitation à la haine ». (ibid., p. 235) Sur l'Organisation de l'armée secrète, voir ibid., pp. 221-244. « En fait, l'O.A.S. apparut comme une conséquence logique de l'échec du putsch des généraux en Algérie, au mois d'avril 1961. » (ibid., p. 233) Sur cette tentative de putsch, voir infra. Sur la présence de Juifs dans les rangs de l'OAS, voir Benjamin STORA, Les Trois... op. cit., pp. 156-157 et 163-165.

* 171 « Les victimes du terrorisme O.A.S. en France furent des députés, des maires, des journalistes, des hommes politiques, des officiers et des intellectuels, tous anti-O.A.S. ou présumés anti-O.A.S. Le général de Gaulle fut lui-même la cible d'une série d'attentats qui échouèrent. » (Joseph ALGAZY, op. cit., p. 237) Est-ce l'absence d'actes antisémites alors en France qui pousse aussi l'intellectuel catholique Jacques Nantet à faire erronément le lien, dans sa réponse à l'enquête du CDJC sur le néo-nazisme antisémite, entre « les manifestations néo-hitlériennes en Europe Occidentale et les débordements de l'O.A.S. » dans l'Hexagone ? (Le Monde Juif, vol. 17, n° 30-31, septembre-décembre 1962, pp. 33-34)

* 172 Entre 1958 et 1968, « le fascisme français n'est plus que l'aile minoritaire d'une opposition nationale que dominent les courants réactionnaires classiques ; y compris en Algérie où, parmi les mouvements qui prospèrent entre 1958 et 1962, beaucoup conservent une idéologie traditionaliste proche de celle de la révolution nationale. » (Pierre MILZA, op. cit., p. 509) « Tablant sur la crise algérienne, sur les slogans de «l'Algérie française» et sur l'aide factieuse des «ultras» et de l'O.A.S., [les néo-fascistes français] ont cru que leur heure avait sonné, qu'ils allaient enfin pouvoir réaliser leurs desseins politiques. » (Joseph ALGAZY, op. cit., p. 327)

* 173 Christian DELAGE, op. cit., pp. 235-236.

* 174 Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 77.

* 175 Shandler en donne la description la plus complète dans son ouvrage consacré à la télédiffusion de l'holocauste aux États-Unis. (Jeffrey SHANDLER, op. cit., p. 90) Manifestement impressionnée par les mesures de sécurité prises par les autorités locales, Arendt note dans son reportage que, « pendant le procès, cette Beth Ha'am (Maison du Peuple) est entourée de hautes barrières et gardée, du toit jusqu'au sous-sol, par des policiers armés jusqu'aux dents. » (Hannah ARENDT, op. cit., p. 13) La sécurisation du bâtiment frappe tellement Kessel qu'il n'hésite pas à le comparer à un « blockhaus ». (Joseph KESSEL, op. cit., p. 141)

* 176 Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 57.

* 177 Christian DELAGE, op. cit., p. 243.

* 178 Haïm GOURI, op. cit., p. 15.

* 179 Ibid. « Au sous-sol est aménagée une salle de presse, avec téléscripteurs, téléphones, circuit de télévision intérieur, bar, restaurant. » (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 35) L'activité incessante et organisée qui règne dans cette grande salle de presse n'a pas échappé à Kessel. (Joseph KESSEL, op. cit., p. 203) Le procès étant entièrement filmé, la régie est logée dans un bâtiment extérieur. « En face du tribunal, dans les étages supérieurs d'une banque, avait été installé le studio où allait se trouver le réalisateur. » (Christian DELAGE, op. cit., p. 242)

* 180 Jeffrey SHANDLER, op. cit., pp. 90-91 ; Christian DELAGE, op. cit., p. 243. Sur l'absence de télévision nationale israélienne, voir infra.

* 181 Tom SEGEV, op. cit., p. 412.

* 182 Jacob ROBINSON, And The Crooked Shall Be Made. The Eichmann Trial, the Jewish Catastrophe, and Hannah Arendt's Narrative [Et le tordu sera redressé. Le procès Eichmann, la catastrophe juive, et le récit d'Hannah Arendt], The Macmillan Company, New York, 1965, p. 137 -- cité par Christian DELAGE, op. cit., p. 275, n. 2. Les gens assistaient-ils à une ou à plusieurs audiences ? « Une minorité d'entre [eux] vint sûrement plusieurs fois, mais l'on peut supposer que, dans l'ensemble, le public changeait tous les jours, venant non seulement de Jérusalem mais aussi de l'ensemble du pays et de l'étranger. » (ibid.)

* 183 Le 9 juillet 1961 -- le jour où commence le contre-interrogatoire d'Eichmann --, s'étonne Gouri dans son journal du procès, « la salle est bondée. (...) Atmosphère solennelle et effrayante, qui rappelle le premier matin de ce procès, vieux de déjà trois mois. » (Haïm GOURI, op. cit., p. 210) Pour une relation détaillée de ce contre-interrogatoire, voir Joseph KESSEL, op. cit., pp. 199-219. Dix jours plus tard -- le jour de la centième audience --, le poète israélien manifeste encore son ébahissement devant l'affluence du public : « La salle est pleine aujourd'hui jusqu'au dernier siège. Jamais encore je ne l'avais vue aussi bondée. Je sais que certains de ceux qui sont assis là ont fait la queue depuis deux heures du matin pour obtenir des cartes d'entrée. » (Haïm GOURI, op. cit., p. 232)

* 184 Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 40.

* 185 Christian DELAGE, op. cit., p. 290. « Pour des raisons de sécurité, en effet, seuls les journalistes et les invités purent assister à l'audience ce matin-là. » (ibid.) C'est au cours de cette séance qu'a lieu une projection du film Nuit et Brouillard d'Alain Resnais. Sur cette projection « singulière », voir Sylvie LINDEPERG, Nuit et Brouillard. Un film dans l'histoire, Odile Jacob, Paris, 2007, pp. 216-222.

* 186 Haïm GOURI, op. cit., pp. 67 et 88.

* 187 Pour le grand public, « il était devenu plus facile d'accéder au tribunal, ce qui modifia notablement l'ambiance du procès ». (Christian DELAGE, op. cit., p. 275) Le 19 mai 1961, « en contemplant le public qui remplit les travées de la salle et de la galerie, on a une coupe exacte de la population israélienne. » (Haïm GOURI, op. cit., p. 88)

* 188 Si elles portent bien sur les mêmes groupes socio-professionnels, les différentes estimations en notre possession vont presque du simple au double. L'historien Tom Segev, sur les chiffres duquel se fondent la plupart de ses homologues français, compte « six cents journalistes étrangers venus couvrir le procès ». (Tom SEGEV, op. cit., pp. 405 et 407) Par contre, l'avocat Pierre Papadatos ne dénombre que « 350 correspondants de la presse étrangère ». (Pierre A. PAPADATOS, op. cit., p. 8)

* 189 Joseph KESSEL, op. cit., p. 137. Ni Kessel ni Gouri ne tombent dans le piège. Pour souligner le grand nombre de journalistes présents à Jérusalem, ils utilisent tous les deux des comparaisons. Le premier qui avait déjà suivi les grands procès d'après-guerre en Allemagne note avec prudence qu'« il y en avait deux fois plus qu'à Nuremberg où, pourtant, l'on avait vu, au banc des criminels de guerre, Goering et Ribbentrop, le maréchal Keitel et Kaltenbrunner, chef de la Gestapo. » (ibid.) Le second rapporte les propos d'un ami officier de police qui lui aurait dit le 12 avril 1961 : « C'est la plus forte concentration de journalistes qu'on ait jamais vue. Il y a ici davantage de journalistes qu'aux Nations Unies le jour du discours de Khrouchtchev. » (Haïm GOURI, op. cit., p. 15)

* 190 Certains en Israël, comme un proche d'Hausner par exemple, pronostiquaient dès le départ la défection rapide de nombreux journalistes étrangers. « La plupart ne resteront qu'une semaine et n'assisteront même pas au début du procès proprement dit ». (Tom SEGEV, op. cit., p. 407)

* 191 Christian DELAGE, op. cit., p. 275.

* 192 Amos ELON, op. cit., p. 301 ; Tom SEGEV, op. cit., p. 412 ; Jeffrey SHANDLER, op. cit., p. 91. Pour bon nombre d'historiens, comme Delage par exemple, « c'est d'abord en écoutant la radio nationale, Kol Yisroel («La voix d'Israël») que l'on pouvait suivre les audiences en direct et en continuité ». (Christian DELAGE, op. cit., p. 243)

* 193 Joseph KESSEL, op. cit., p. 147. La RFA semble effectivement le pays qui dépêche le plus grand nombre de reporters à Jérusalem. (Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., p. 17) Alors que « la plupart des journalistes étrangers sont repartis », souligne Gouri à la date du 19 mai 1961 dans son journal, les journalistes « allemands sont presque tous restés ». (Haïm GOURI, op. cit., p. 87)

* 194 Résidant à Jérusalem au moins d'avril à juillet 1961, Kessel y couvre visiblement la plus grande partie du procès pour le compte de France-Soir. (Joseph KESSEL, op. cit., pp. 7 et 228) La durée du séjour en Israël des autres envoyés spéciaux français nous échappe.

* 195 Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 102 et 103. Bien qu'ils ne soient pas qualifiés d'envoyés spéciaux, Jacques Roisel et François de Montfort, apparemment présents sur place au début du procès, livrent aussi leurs impressions à des journaux de l'Hexagone -- le premier à La France Catholique, le second à l'Est Républicain. (ibid., pp. 100-101 et 104)

* 196 Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 35 et 105.

* 197 Jeffrey SHANDLER, op. cit., pp. 83-132 ; Christian DELAGE, op. cit., pp. 235-245, 273-280, 289-296 ; Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., pp. 77-108.

* 198 Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 78.

* 199 Pierre MELANDRI, op. cit., p. 373. « En 1965, le pourcentage des ménages disposant d'un récepteur atteint les 94 % et, chaque jour, les Américains passent en moyenne plus de 5 heures devant le petit écran. » (ibid., pp. 399-400)

* 200 Isabelle VEYRAT-MASSON, Quand la télévision explore le temps. L'histoire au petit écran 1953-2000, Librairie Arthème Fayard, Paris, 2000, p. 42. « Le nombre de récepteurs double tout de même d'année en année entre 1954 et 1967. Alors qu'en 1953 le taux d'équipement des foyers est de 1 %, il atteint 13 % en 1960 et 45 % en 1965. » (ibid., p. 44)

* 201 Christian DELAGE, op. cit., p. 236.

* 202 Ibid.

* 203 Jeffrey SHANDLER, op. cit., p. 91. Israël, où la télévision nationale fait seulement ses premiers pas en 1968, ne fait donc pas partie de ces trente-huit pays. (Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., p. 15)

* 204 Même le jour de l'ouverture du procès, le 11 avril 1961, le journal Le Monde ne lui consacre pas sa une. Ce jour-là, il « consacre son éditorial à la réélection de Ngo Dinh Diem à la présidence de la République du Vietnam (Sud), et le principal article de sa première page à une conférence de presse du général de Gaulle ». (Claude DELMAS, Cuba : de la Révolution à la Crise des fusées, Éditions Complexe, Bruxelles, 2006, p. 67) Sur la conférence en question, voir infra.

* 205 Sur le premier vol spatial habité autour de la Terre, voir par exemple Arthur CONTE, L'Aventure européenne. De Louis XVI à Gagarine, Librairie Plon, Paris, 1979, pp. 368-369.

* 206 Sur l'échec du débarquement dans la baie des Cochons, voir Claude DELMAS, op. cit., pp. 43-85.

* 207 Sur le putsch d'Alger, voir Maurice VAÏSSE, Alger, le Putsch, Éditions Complexe, Bruxelles, 1983, pp. 15-49.

* 208 Maurice VAÏSSE, op. cit., p. 99. Sur la crise congolaise, voir Ludo DE WITTE, L'Assassinat de Lumumba, Éditions Karthala, Paris, 2000, 415 p. Il serait intéressant de vérifier si cette crise fait obstacle au retentissement de l'affaire Eichmann en Belgique, comme la guerre d'Algérie le fait en France.

* 209 Amos ELON, op. cit., p. 301.

* 210 Ce groupe de chercheurs a étudié les couvertures de presse de quatre grands procès : Nuremberg (1945), Eichmann (1961), Auschwitz (Francfort, 1964) et Demjanjuk (Jérusalem, 1986). Le lecteur qui souhaite apprécier l'ampleur de la couverture de presse du procès Eichmann en Israël consultera donc avantageusement leur ouvrage. (Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., pp. 17, 102 et 138) Le moment de mettre un point final à cette étude coïncide avec l'ouverture, le 30 novembre 2009 à Munich, du nouveau procès Demjanjuk. Son procès de 1986 ne fut qu'une mascarade. Sur cette mise en scène fallacieuse, voir Tom SEGEV, op. cit., pp. 479-485.

* 211 Amos ELON, op. cit., p. 301. « Un sondage des personnes à l'écoute fut réalisé le premier jour du procès : 60 pour 100 de tous les Juifs israéliens de plus de quatorze ans avaient écouté au moins une des deux audiences ; 38 pour 100 avaient suivi les deux, la plupart d'entre eux pendant toute la durée de l'émission. » (ibid.)

* 212 « Lycéenne à l'époque », explique-t-elle, « je peux témoigner à titre personnel que le procès est un événement qui nous a fortement influencés, moi et mes camarades. Bien que mon père ait servi comme soldat en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, qu'il ait travaillé avec des survivants juifs après la guerre et qu'il ait publié un livre sur ses expériences de guerre, et bien que toute sa famille ait été exterminée dans la Shoah, il n'en parlait jamais à la maison. Le procès Eichmann fut donc ma première rencontre avec les horreurs rapportées par les témoins et retransmises en direct à la radio. » (Idith ZERTAL, op. cit., pp. 158-159, n. 69)

* 213 Ibid., pp. 155-156.

* 214 Ibid., p. 156.

* 215 Ibid., p. 12.

* 216 Jeffrey SHANDLER, op. cit., p. 95. Il s'agit comme pour les deux citations suivantes de notre propre traduction.

* 217 Ibid., p. 93. Les images présentées aux téléspectateurs américains résultaient en réalité de plusieurs sélections ou filtres. « Les téléspectateurs virent donc une sélection d'images filmées par [le réalisateur Leo] Hurwitz, filtrées une première fois à Jérusalem, une seconde fois par les «networks», qui en proposèrent une nouvelle mise en intrigue spécialement conçue pour une audience américaine. C'est à partir de ces différents filtres qu'ils purent se faire une idée d'Eichmann. » (Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 108) Sur cet aspect, voir aussi Christian DELAGE, op. cit., p. 240.

* 218 Jeffrey SHANDLER, op. cit., p. 94. Il n'est donc pas très étonnant que bon nombre de Juifs américains, comme Norman Finkelstein ou Stuart Eizenstat par exemple, fassent remonter leurs premiers souvenirs de l'holocauste à la retransmission télévisée des audiences de ce procès. « Mon souvenir le plus lointain de l'holocauste nazi est celui de ma mère, collée devant le poste de télévision pour regarder le procès Eichmann (1961) quand je revenais de l'école. » (Norman G. FINKELSTEIN, L'Industrie de l'Holocauste : réflexions sur l'exploitation de la souffrance des Juifs, La Fabrique éditions, Paris, 2001, p. 9) « L'image télévisée d'un Eichmann impénitent témoignant imperturbablement dans son box, derrière des parois de verre à l'épreuve des balles, constitua une des premières occasions pour les Américains ordinaires, et pour moi-même, de se confronter directement à la Shoah à travers le visage d'un de ses principaux acteurs. » (Stuart E. EIZENSTAT, Une justice tardive. Spoliations et travail forcé, un bilan final de la Seconde Guerre mondiale, Éditions du Seuil, Paris, 2004, p. 27)

* 219 Jeffrey SHANDLER, op. cit., pp. 96-97 et 127-128. Sur la couverture médiatique dans l'ensemble bienveillante aux États-Unis, voir supra.

* 220 Françoise OUZAN, op. cit., p. 79.

* 221 Peter NOVICK, op. cit., p. 188.

* 222 Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., p. 17.

* 223 Ibid., p. 139. Non seulement les journalistes de la délégation allemande sont les plus nombreux, mais ils restent aussi plus longtemps sur place que les autres correspondants étrangers. Sur ces points, voir supra.

* 224 Jean-Paul BIER, Auschwitz et les nouvelles littératures allemandes, Éditions de l'université de Bruxelles, Bruxelles, 1979, p. 97, n. 1. L'auteur insiste : « Les moyens de communication de masse, et en particulier la télévision, jouèrent un rôle essentiel dans la mise en valeur de deux événements qui rendirent à l'holocauste sa douloureuse actualité : le procès Eichmann de Jérusalem en 1961 et le procès d'Auschwitz à Francfort qui dura de décembre 1963 à août 1965. » (ibid., p. 21 ) En outre le 11 avril 1961, jour d'ouverture du procès, la télévision allemande diffuse le documentaire « Auf den Spuren des Henkers. Adolf Eichmann, réalisé par Peter Schier-Gribowsky ». (Julie MAECK, op. cit., p. 66)

* 225 Devin O. PENDAS, « «Auschwitz, je ne savais pas ce que c'était». Le procès d'Auschwitz à Francfort et l'opinion publique allemande », dans Florent BRAYARD (dir.), Le Génocide des Juifs entre procès et histoire 1943-2000, Éditions Complexe, Bruxelles, 2000, p. 81.

* 226 Hannah ARENDT, op. cit., pp. 32-33.

* 227 Simon WIESENTHAL, Justice n'est pas vengeance. Une autobiographie, Éditions Robert Laffont, Paris, 1989, p. 76. Pour plus de détails sur cet aspect, voir Hannah ARENDT, op. cit., pp. 28-32.

* 228 « Le procès Eichmann de 1961 et le procès d'Auschwitz à Francfort en 1964 provoquèrent la revendication des étudiants qui voulaient avoir des cours sur le nazisme, sur les relations de l'Université et du Troisième Reich et sur le comportement des enseignants durant cette époque. » (Jean Paul BIER, op. cit., p. 97)

* 229 Joseph KESSEL, op. cit., pp. 129-221.

* 230 Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., passim. L'historienne examine aussi la couverture du journal L'Humanité « constamment critique à l'égard du procès Eichmann ». (ibid., p. 120) Selon Wieviorka, « aucun article concernant le procès Eichmann ne sera publié de façon isolée. Tous seront assortis soit d'un commentaire, soit d'un autre article sur la complicité de Bonn avec les anciens criminels nazis, et sur la complicité sur ce point du gouvernement israélien. » (ibid.) Pour plus de détails sur la couverture de la presse communiste, voir ibid., pp. 120-126.

* 231 Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 100-105.

* 232 Ibid., p. 100.

* 233 Ibid., p. 105.

* 234 Le Monde, 19 avril 1961 -- cité par Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 117. Cette conférence de presse du 11 avril, au cours de laquelle le général de Gaule annonce la fin de la colonisation de l'Algérie, est à l'origine du putsch du 21 avril 1961. (Maurice VAÏSSE, op. cit., pp. 87-88 ; Benjamin STORA, Histoire... op. cit., p. 58) Sur le putsch d'Alger, le premier vol spatial habité et les événements de Cuba, voir supra. Pour le reste, il s'agit d'Israel Beer. En 1961, il est accusé d'espionnage au service des Soviétiques. Condamné à quinze ans de prison, il y meurt en 1966. (Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 76 ; The New Encyclopædia Britannica, Encyclopædia Britannica, Chicago, vol. 2, 2005, p. 45)

* 235 L'historienne Esther Benbassa n'a toutefois pas tort d'indiquer que « la réaction de la judaïcité française au procès Eichmann annonçait l'ampleur et la tonalité qu'allait prendre son identification à Israël » par la suite. (Esther BENBASSA, La Souffrance comme identité, Fayard, Paris, 2007, p. 199)

* 236 Claudine DRAME, Des films pour le dire. Reflets de la Shoah au cinéma 1945-1985, Éditions Metropolis, Genève, 2007, pp. 187-233.

* 237 Ibid., p. 214. Sur l'importance de la guerre d'Algérie dans ce contexte, voir ibid., pp. 169-170 et 213-215. Sur cette résurgence mémorielle, voir infra.

* 238 Ibid., p. 231. Pour plus de détails sur les liens entre le procès et le film, voir ibid., pp. 229-232. Trois autres films -- dont La Cage de verre de Philippe Arthuys et Jean-Louis Lévi-Alvarès -- qui sortent entre 1964 et 1967 « se situent très nettement dans le sillage du procès Eichmann » mais sont trop tardifs pour entrer en ligne de compte ici. (ibid., pp. 237-238 et 247-252)

* 239 Ibid., p. 214. Sur cette percée en littérature, voir infra.

* 240 Annette Wieviorka se fonde sur une publication israélienne pour faire remarquer qu'« entre l'annonce de l'enlèvement d'Eichmann et sa condamnation à mort, une vingtaine d'ouvrages sont publiés en Allemagne, Angleterre, aux États-Unis, en Israël, en France, en Italie, en Pologne ou en Hongrie. » (Arieh SEGAL, « Books around the Eichmann Trial », dans Yad Vashem Bulletin, n° 11, Jérusalem, avril-mai 1962, pp. 29-35 -- cité par Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 118 et 159) Léon Poliakov signale pourtant dès le début du procès qu'une trentaine d'« ouvrages consacrés à Eichmann [...] se trouvent dans la bibliothèque du CDJC ». (Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 98)

* 241 Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 94. Responsables de la percée mémorielle que Claudine Drame décèle dans la littérature, les succès littéraires en question sont respectivement : André SCHWARZ-BART, Le Dernier des Justes, Éditions du Seuil, Paris, 1959, 345 p. ; Édouard AXELRAD, L'Arche ensevelie, Éditions Julliard, Paris, 1959, 351 p. ; Anna LANGFUS, Le Sel et le soufre, Éditions Gallimard, Paris, 1960, 311 p. André Schwarz-Bart obtient le prix Goncourt 1959 pour son premier roman. Anna Langfus remporte le prix Charles Veillon ; elle remportera, elle aussi, le prix Goncourt par la suite.

* 242 Enzo TRAVERSO, Le Passé, mode d'emploi : histoire, mémoire, politique, La Fabrique éditions, Paris, 2005, p. 85. Traverso donne deux exemples : « Alain Resnais réalisait Nuit et Brouillard en 1955, comme un rappel de l'histoire. Témoignant en 1960 [dans un procès], Pierre Vidal-Naquet comparait les meurtres commis en Algérie par l'armée française aux chambres à gaz d'Auschwitz où étaient morts ses parents. » (ibid.) Pour une discussion sur la « dimension mémoriale » de la guerre d'Algérie, voir Henry ROUSSO, op. cit., pp. 87-94.

* 243 Sur le début de la mobilisation contre la pratique de la torture en Algérie, voir Benjamin STORA, Histoire... op. cit., p. 65. S'exprimant le 13 mars 1957, sous un pseudonyme, à propos d'un livre qui dénonce les méthodes de l'armée française en Algérie, Hubert Beuve-Méry, le fondateur du journal Le Monde, écrit : « Dès maintenant, les Français doivent savoir qu'ils n'ont plus tout à fait le droit de condamner dans les mêmes termes qu'il y a dix ans les destructeurs d'Ouradour, et les tortionnaires de la Gestapo. » (Benjamin STORA, La Gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie, Éditions La Découverte & Syros, Paris, 1998, p. 56) En Algérie, les bourreaux eux-mêmes se réfèrent au nazisme. (Henri ALLEG, La Question, Les Éditions de Minuit, Paris, 1958-1961, pp. 36 et 98)

* 244 Sur les faibles effectifs de cette « résistance française », voir Benjamin STORA, Histoire... op. cit., p. 66. Sur la forte présence des « radicaux juifs » dans ses rangs, voir Yaïr AURON, Les Juifs d'extrême gauche en mai 1968. Une génération révolutionnaire marquée par la Shoah, Éditions Albin Michel, Paris, pp. 60-64. « Un grand nombre de juifs faisait également partie de la «génération de la guerre d'Algérie». [...] L'une des protagonistes de l'action clandestine contre la guerre d'Algérie m'a dit un jour, note Auron : «Quatre-vingt dix pour cent de ceux qui faisaient partie des réseaux clandestins étaient juifs. Disons... Peut-être pas quatre-vingt dix pour cent mais quatre-vingt cinq pour cent.» Même si ces propos paraissent exagérés, il semble que la proportion de juifs dans ces groupes ait été très élevée ». (ibid., p. 64) L'auteur utilise volontairement l'expression « radicaux juifs » et non « juifs radicaux » parce que les premiers, à la différence des seconds, « faisaient abstraction de leur judéité ». (ibid., p. 25) Sur l'orientation politique franchement à gauche des opposants à la guerre d'Algérie, voir Benjamin STORA, La Gangrène... op. cit., p. 63.

* 245 Sur ces combattants de la première heure, voir notre étude (à paraître) : « La bataille entre Jérusalem et Paris dans les années 1950 autour de la construction du Tombeau du martyr juif inconnu dans la capitale française : un épisode oublié de la lutte pour l'exercice du monopole de la mémoire de la Shoah ».

* 246 Henry ROUSSO, op. cit., pp. 253-254 et 245-247.

* 247 Claudine DRAME, op. cit., pp. 316-317. À ses yeux, Nuit et Brouillard, réalisé par Alain Resnais sur un texte de l'ancien déporté Jean Cayrol, L'Enclos de l'ancien déporté Armand Gatti et Le Temps du Ghetto de Frédéric Rossif sont les films qui provoquent ce sursaut mémoriel. (Claudine DRAME, op. cit., p. 118) La guerre d'Algérie ne justifie pas à elle seule l'émergence de cette veine mémorielle au cinéma. D'autres facteurs entrent aussi en ligne de compte. L'assouplissement des règles pour devenir cinéaste y joue un rôle non négligeable. Sur ces aspects, voir Sylvie LINDEPERG, Les Écrans de l'ombre. La Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français (1944-1969), CNRS Éditions, Paris, 1997, pp. 404-407.






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