WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'idée d'univers de la science classique à  la cosmologie moderne.

( Télécharger le fichier original )
par Bernard Coly
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Diplôme d'études approfondies (DEA) 2006
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

    INTRODUCTION

    Pourquoi l'homme s'intéresse-t-il au ciel ? Pourquoi cherche-t-il à connaître la composition de Mars, le nombre d'étoiles qui forment notre galaxie, l'âge de l'univers ? Il est difficile de répondre à ces questions, et nombre d'entre nous renoncent devant ce qui apparaît comme une entreprise trop difficile, trop éloignée de notre vie quotidienne. Pourtant, le ciel étoilé attire irrésistiblement l'attention de tout être humain, aussi bien le plus réticent aux développements scientifiques, que le plus préoccupé des affaires terrestres. La tension est inévitable, elle est humaine et se trouve sous des formes différentes à travers toute l'histoire de l'humanité. On voit donc par là que la préoccupation astronomique rejoint celle de l'existence humaine ; au point que l'on peut dire que s'intéresser à l'astronomie est une autre façon de s'interroger sur le sens de la vie. D'où, c'est à travers la question du sens de la vie que l'on peut trouver un lien entre l'astronomie et la philosophie.

    Comme cela était de coutume chez Aristote, il est toujours bon, selon notre avis, d'aborder une science en partant de son histoire, et l'astronomie en particulier, ancienne science s'il en est. En effet, la meilleure façon de comprendre l'état actuel de cette discipline, est de suivre en quelque sorte le progrès de sa logique depuis ses premiers balbutiements, jusqu'aux idées les plus savamment élaborées de nos contemporains. En vérité, l'image du Monde, de ce que nous appelons aujourd'hui l'univers, s'est progressivement construite, entre dogmes, paradigmes et scepticisme, pas à pas, comme un édifice à l'architecture superbe, mais si complexe qu'elle risque d'être tout à fait incompréhensible à qui ne suit pas ses avatars successifs dans le temps.

    Mais avant toute réflexion sur l'univers, commençons par poser la distinction suivante entre l'univers et le monde. L'univers peut se définir comme l'ensemble, non pas de tout ce qui existe, mais de ce que nous voyons se dessiner en perspective dans le ciel. Quant au monde, il n'est qu'une unité dans l'ensemble de l'univers, c'est un système de corps unis par les liens d'une attraction mutuelle. Tel est le système solaire, notre monde, qui se compose d'une étoile centrale, le Soleil, et d'une foule de petits corps froids, les planètes et leurs satellites. Comme le note si bien Paul Clavier, « L'univers nous contient comme de simples objets : nous n'avons pas directement affaire à lui. Nous n'habitons pas immédiatement l'univers comme nous habitons le

    monde. Nous sommes au monde ; tandis que nous sommes dans l'univers. Comment dés lors donner à cette idée d'univers un contenu plus déterminé ? »1

    Si l'on regarde l'histoire de la pensée occidentale, on se rend compte que le développement des sciences aussi bien cosmologique qu'astronomique a connu trois grandes étapes, chacune marquée par une image particulière que l'homme se faisait de l'univers. La première grande étape, particulièrement marquée par la conception aristotélicienne, a connu son apogée avec les travaux astronomiques de Ptolémée. En effet selon la conception aristotélicienne, l'univers était clos, fini et hiérarchisé. Aristote considérait en fait une organisation qui était basée sur la Terre qui selon lui était fixe et immobile, d'où ce dernier plaçait celle-ci au centre de l'univers. A côté de ce fait caractéristique de la cosmologie d'Aristote, il faut aussi noter que ce dernier concédait une division de l'univers en deux mondes séparés l'un et l'autre par la position de la Lune. Ce qui fait, qu'au dessous de la Lune se trouve le monde sublunaire caractérisé par le changement et la corruption ; tandis qu'au dessus de la Lune était le monde supra lunaire limité par la sphère des étoiles fixes, et caractérisé par la stabilité et la perfection. C'est cette conception de l'univers qui va pendant prés de vingt siècles dominer la science astronomique jusqu'au 16ème siècle.

    Sans entrer dans les détails de l'univers d'Aristote, on peut souligner le fait que cette conception a influencé la pensée occidentale dans son aspect le plus profond. En effet, à la moitié du 16ème siècle, la crise politique qui sévissait en Europe va entraîner un bouleversement des valeurs intellectuelles et religieuses qui, par sa profondeur a conduit à la naissance de nouvelles conceptions aussi bien sur le plan intellectuel que sur celui de la religion. C'est à cette époque en effet, que vont naître les doctrines réformistes, telles que celle de Luther et de Calvin, mais aussi dans le domaine intellectuel, on assiste à la réhabilitation d'anciennes idées qui vont rivaliser avec l'aristotélisme : c'est l'époque de la Renaissance. L'étape de la renaissance n'a en fait épargné aucun domaine de connaissance. Dans le domaine de l'astronomie, c'est à cette époque, qu'on a assisté à l'émergence de nouvelles théories qui, par les conséquences qu'elles ont entraînées, sont restées sans précédentes. En effet, en 1543 va paraître dans le domaine de l'astronomie un ouvrage qui va bouleverser totalement la conception que l'on se faisait de l'univers.

    Imprimé à Nuremberg, le livre Des révolutions des orbes célestes de Copernic va marquer un des tournants essentiels de la pensée cosmologique moderne. Car avec lui s'ouvrent les temps

    1 Paul Clavier « L'idée d'univers », in Notions de philosophie I, sous la direction de Denis Kambouchner, Folio essais, 1995, p32

    modernes, non seulement pour l'astronomie, mais aussi pour la philosophie. Dans le dixième chapitre de l'ouvrage, Copernic présente l'ordre nouveau de l'univers qu'il propose. Au centre du système, centre aussi du monde, se tient le Soleil, astre fixe entouré des orbes solides lesquels emportent les planètes dans leur révolution. Copernic y montre que la Terre, mobile, tourne sur elle-même en vingt-quatre heures et, prenant rang parmi les planètes, elle parcourt en un an sa trajectoire autour de l'écliptique. Cependant, comme dans l'univers d'Aristote, le nouvel univers de Copernic est limité par la sphère des étoiles fixes, sphère qui selon Copernic est immobile.

    La nouvelle image de l'univers proposée par Copernic, va très tôt soulever des interrogations qui vont très vite dépasser les préoccupations cosmologiques. La plus fondamentale de ces questions est celle de la décentralisation de la Terre. En effet, en ôtant la Terre de la place centrale qui lui était assignée, la conception cosmologique de Copernic ouvrait un débat dont les conséquences tournaient non seulement autour de l'idée que l'homme se faisait de sa propre existence, mais aussi de la relation que ce dernier entretenait avec l'univers et Dieu.

    Car si l'homme n'est géographiquement plus au centre de l'univers, comment peut-on expliquer le fait que ce dernier se considère comme étant au centre de la création ? En plus, si la Terre est ontologiquement semblable aux autres planètes, ne serait-il pas légitime de croire à l'existence d'une multiplicité de mondes identiques au nôtre. Toutes ces questions qui transcendent la révolution amorcée par Copernic, vont au cours des siècles qui vont succéder à la révolution copernicienne, trouver plusieurs intérêts.

    Comme pour la première étape, nous n'allons pas ici souligner toutes les conséquences de la révolution copernicienne. C'est ainsi que nous allons sans outre mesure, passer à la troisième grande révolution de la cosmologie qui, a vu naître l'univers du big bang. En effet, parti des travaux de Lemaître et de Friedmann, l'univers du big bang tout en concédant une illimitation à l'univers, souligne que celui-ci est né d'une explosion initiale à partir de laquelle l'univers a évolué en engendrant sur son passage les différentes formes ; allant de la formation des étoiles et galaxies à celle des planètes, et de l'apparition de la vie à l'émergence de l'homme et de la conscience. Comme pour les deux révolutions qui ont été décrites ci-dessus, l'univers du big bang pose en lui-même des interrogations qui ne sont pas seulement propre à la cosmologie.

    Dans la dernière décennie du 20ème siècle, les développements de la recherche astronomique nous ont entraînés vers la découverte des exoplanètes. Depuis la première réalisée en 1992, on s'est rendu compte désormais que le phénomène de la formation des systèmes solaires n'est pas

    seulement propre à notre galaxie. Ce dernier constitue un fait universel, dans la mesure qu'il est inhérent à la nature elle-même : donc relevant des lois du cosmos. Or, tenons-nous bien, l'existence de ces exoplanètes, de nos jours indubitables, tout en ouvrant le débat jadis posé de l'hypothèse de la vie extraterrestre, bouscule dans une certaine mesure le statut privilégié de l'homme ; c'est-à-dire un être au centre de la biosphère.

    Même si avec les instruments disponibles de nos jours, il n'est pas possible de découvrir des planètes semblables à la Terre, rien ne nous dit que dans l'avenir la technologie d'observation ne nous permettra pas de découvrir des traces de vie dans un autre système solaire. C'est au regard de toutes ces interrogations philosophiques et métaphysiques que pourraient soulever les progrès ultérieurs de la science, que nous avons choisi cette esquisse de recherche.

    C'est ainsi que dans le souci d'une élucidation de notre propos, nous nous sommes proposé de traiter ce sujet en deux grands axes ? La première partie essentiellement consacrée à la science classique, va montrer comment à partir de la cosmologie d'Aristote, la révolution copernicienne va remodeler l'image que l'homme s'est fait de l'univers. Dans la deuxième partie axée sur l'univers du big bang, nous allons discuter des diverses questions que soulèvent les progrès scientifiques du 20ème siècle. De ces questions vont figurer par exemple l'interrogation sur l'origine de l'univers, ainsi que l'hypothèse des autres mondes.

    Premiere Partie

    LA SCIENCE CLASSIQUE : le déclin du cosmos

    Avant d'aborder cette première partie qui porte essentiellement sur la révolution copernicienne, nous allons, pour mieux décrypter les enjeux que comporte cet événement historique, faire un bref rappel de la conception de l'univers d'Aristote ; car c'est contre ce dernier que s'insurge le De revolutionibus orbium caelestium de Copernic. Selon Aristote en effet, tout l'univers est contenu à l'intérieur de la sphère des étoiles fixes, sphère qui selon lui limite l'univers. Aristote considérait l'univers comme un tout plein, en ce sens qu'en chaque point contenu à l'intérieur de la sphère, il y avait de la matière, d'où le vide n'existe pas dans l'univers. Par ailleurs, c'est parce que l'univers est limité par la sphère des étoiles fixes, qu'Aristote croyait que rien ne pouvait exister à l'extérieur de cette sphère, donc il n'y a ni matière, ni espace, en un mot rien du tout. Car pour Aristote, matière et espace vont de pair, ce sont les deux aspects d'une même réalité, d'où la notion même de vide est absurde. C'est en effet par ces principes de base, qu'Aristote supposait à la fois la finitude de l'univers ainsi que son unicité.

    Dés lors, il est donc absurde de l'avis d'Aristote de se demander, qu'est-ce qui limite les frontières qui, elles-mêmes closent l'univers ? De même, il est aussi insensé de se poser la question de savoir qu'est-ce qui existe à l'extérieur de la sphère des étoiles fixes ? La réponse qui reste la seule valable est celle qui consiste à dire, que rien n'existe en dehors de l'univers, parce que tout ce qui existe est contenu à l'intérieur de l'univers. C'est en rapport à toutes ces considérations qu'Aristote soutient dans son traité Du ciel : « ...Il est manifeste que nulle masse corporelle ne se trouve hors du ciel ni ne peut y naître. La totalité du monde est composée de toute la matière qui lui est propre...Il en découle qu'actuellement il n'existe pas de cieux multiples, qu'il n'y en a jamais eu et qu'il n'y en aura jamais ; notre ciel est, au contraire, un, unique et parfait. En même temps, il est clair qu'il n'y a ni lieu ni vide hors du ciel. Le vide est, d'après la définition vulgaire, l'endroit où il n'y a pas de corps, mais où il peut en exister un. »1 On voit ainsi, que l'univers des anciens est un ensemble clos, ordonné et bien hiérarchisé.

    Par ailleurs, il faut noter que le système cosmologique d'Aristote était centré autour de la Terre, qui était aussi le centre de l'univers. Dans ce système au caractère géocentrique, il faut dire qu'Aristote n'attribuait pas à la terre les caractéristiques propres aux planètes ; qui d'après la définition gréco latine sont des corps vagabonds. Or, la Terre du fait de son immobilité ne peut pas selon Aristote être définie comme une planète. C'est ainsi que selon le géocentrisme

    1 Aristote, cité par Thomas S Kuhn, in La révolution copernicienne, Paris, Fayard, 1973, p 90

    d'Aristote, le système de l'univers sera constitué comme suit : la Terre au centre après elle vient, la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne. Aristote considérait donc la Lune et le Soleil comme des planètes.

    Toutefois, même s'il est vrai que ce modèle d'univers était du reste cohérent dans ses principes, il n'en demeure pas moins que ce dernier comportait des imperfections au regard des faits de l'observation. C'est cette inadéquation entre les principes astronomiques et la réalité, qui va précisément entraîner la révolution copernicienne dont nous allons parler sans plus tarder.

    Section 1 / Copernic : de l'univers infini à l'héliocentrisme

    L'histoire de la pensée philosophique et scientifique des 16ème et 17ème siècles, était si étroitement liée qu'on ne peut pas, si l'on veut les comprendre, les séparer l'une de l'autre. En effet, la révolution conceptuelle dont la science classique est à la fois la racine et le fruit, résulte en réalité de la révolution spirituelle que l'esprit humain, ou tout au moins l'esprit européen a subie. Cette révolution qui nous a conduit des mondes géocentrique (des grecs) et anthropocentrique (du Moyen-Âge), au monde héliocentrique des modernes, ne résulte pas du fait de simples découvertes scientifiques. Ce renversement fait suite à une concomitance d'événements en vertu desquels, l'homme a perdu sa place dans le monde ou, plus exactement peut-être, a perdu le monde même qui formait le cadre de son existence et l'objet de son savoir, et a dû transformer et remplacer non seulement ses conceptions fondamentales, mais aussi les structures mêmes de sa pensée.

    En effet, l'établissement de la conception héliocentrique de l'univers, se pose dans une suite de révolutions parmi lesquelles l'affirmation de l'infinité de l'univers occupe une place particulière. Comme le sont plusieurs de nos conceptions scientifiques, l'origine de la conception de l'infinité de l'univers se trouve chez les grecs. Bien avant la révolution du 17ème siècle les grecs, plus particulièrement les atomistes, avaient développé des théories cosmogoniques qui posaient l'infinitisation de l'univers. Mais c'est avec Nicolas de Cues, que cette doctrine sera prise au sérieux. Cet homme d'Eglise, est en fait le dernier grand philosophe de la fin du Moyenâge à avoir rejeté la conception médiévale du cosmos fini, qui selon lui ne coïncidait pas avec l'idée d'un Dieu infini.

    La conception de l'univers établie par Nicolas de Cues, n'est pas contrairement à ce que l'on serait tenté de croire, fondée sur une critique des théories astronomiques ou cosmologiques de son temps ; d'où selon la visée de sa pensée cette conception ne mène pas à une révolution scientifique. En effet pour établir sa doctrine, Nicolas de Cues va fonder son argumentation métaphysique et épistémologique, autour de la notion de « coïncidence des opposés » dans l'absolu qui les absorbe et les dépasse. C'est de là qu'il déduit le concept corrélatif de la Docte Ignorance qui est en fait, l'acte intellectuel qui saisit le rapport qui transcende la pensée discursive et rationnelle. Dés lors, le Cusain développe suivant sa logique un paradigme basé sur les paradoxes mathématiques qui impliquent l'infinitisation à certains caractères valables pour des objets finis. Il utilisera pour illustrer son argumentation, des concepts tels que la droite et la courbe. Comme on le sait, rien n'est plus opposé que ces deux notions. Pourtant dans le cercle infiniment grand, la droite coïncide avec la circonférence, comme dans le cercle infiniment petit, le diamètre coïncide avec la circonférence. D'où les notions de « grand » et de « petit » sont des opposés qui n'ont de sens que dans le domaine de la quantité finie, celui de l'être relatif, où il n'y a pas d'objets réellement grands ou petits ; mais seulement des objets plus grands ou plus petits.

    L'autre exemple choisi par Nicolas de Cues, se trouve dans le domaine de la cinématique. Dans ce domaine aussi rien n'est plus opposé que le mouvement et le repos. Pourtant Nicolas de Cues montre que dans le mouvement à vitesse infinie le long d'une voie circulaire, un corps se trouve à la fois à son point de départ et partout ailleurs ; d'où la preuve que le mouvement est un concept relatif, qui embrasse les opposés du « rapide » et du « lent ». Il n'y a donc ni minimum absolu, ni maximum absolu, comme il n'y a de mouvement qui soit le plus rapide ou le plus lent. Ce qui veut dire que la vitesse absolue et la lenteur absolue coïncident. « Ce pourquoi, si nous considérons les divers mouvements des orbes [célestes], [nous voyons] qu'il est impossible que la machine du monde ait un centre fixe et immobile, que se soit cette terre sensible, ou l'air, ou le feu, ou n'importe quoi d'autre. Car, dans le mouvement, on n'arrive pas au minimum absolu, c'est-à-dire, à un centre fixe, vu que le minimum doit nécessairement coïncider avec le maximum. »1

    Dés lors, Nicolas de Cues va déduire de cette argumentation, que le centre du monde coïncide avec la circonférence ; il est la même chose que sa circonférence, c'est-à-dire commencement et fin, fondement et limite ; d'où ce centre n'est rien d'autre que l'être absolu ou Dieu. Par là, on

    1 Nicolas de Cues, cité par Alexandre Koyré, in Du monde clos à l'univers infini, Gallimard, 1973, p 23

    constate que le centre de l'univers reste purement métaphysique ; il n'est en aucune manière physique, il n'appartient donc pas au monde. De là, Nicolas de Cues va substituer à l'univers fini d'Aristote, un univers infini sans centre fixe. Dans cet univers, toutes les sphères y comprise celle des étoiles fixes, accomplissent leur révolution autour d'axes qui perpétuellement changent leurs positions. Ainsi, le Cusain affirmera que la Terre se meut, mais d'un mouvement plus lent que celui des autres astres. En résumé, nous pouvons affirmer que selon Nicolas de Cues, le monde physique, même s'il est limité par la sphère des étoiles fixes, n'est néanmoins pas fini étant donné que celui-ci coïncide avec Dieu. L'univers est donc infini, car il est absorbé par l'infinité divine qui l'a engendré.

    Même si Nicolas de Cues, n'a pas réellement ébranlé le géocentrisme ni même la finitude de l'univers aristotélicien, il a tout au moins pris part à la révolution copernicienne pour y avoir participé à tracer les voies directrices.

    Par ailleurs, la réhabilitation par la Renaissance du platonisme va, à travers l'Âme du monde dont parlait Platon dans le Timée, voir à travers le Soleil la source de tous les principes vitaux propres aux êtres de l'univers. De là, le Soleil va représenter pour les philosophes de la Renaissance, ce que les Mathématiques représentaient pour Platon : l'Archétype de tous les êtres. Pour les néoplatoniciens donc, la nature sensible a existé par le dédoublement de l'Âme du monde, qui par sa puissance a donné forme à toutes sortes d'existences. C'est ce même dédoublement des êtres qui, chez Platon, justifie le recours aux mathématiques pour connaître le monde réel dans la mesure où celui-ci est une copie imparfaite du monde intelligible. Car nous dit Platon, lorsque le Démiurge façonna le monde, il le fit les yeux fixés sur les structures mathématiques qui en sont les modèles. C'est par analogie à cela que l'époque de la Renaissance identifiait dans l'univers matériel, l'Âme du monde à l'image du Soleil dont les émanations procurent la lumière et la chaleur qui sont aussi importantes que nécessaires pour la fertilité des êtres. On retrouve cette identification symbolique de Dieu au Soleil, dans l'oeuvre de Marcile Ficin selon qui, rien ne révèle plus pleinement la nature du Bien qui est Dieu que la lumière du Soleil. Ce symbolisme va se traduire en un culte animiste voué au Soleil. Ce dernier sera si répandu qu'il hantera même les esprits de certains scientifiques.

    Copernic lui-même, lorsqu'il discuta de la nouvelle position que son système assigne au Soleil, va, dans l'allusion qu'il fit au caractère plus judicieux de sa cosmologie, s'exprimer en des termes similaires à ceux de Ficin. En effet le Chanoine écrit : « Et au milieu de tous repose le

    Soleil. En effet, dans ce temple splendide, qui donc poserait ce luminaire en un lieu autre et meilleur, que celui d'où il peut éclairer tout à la fois ? Or, en vérité, ce n'est pas improprement que certains l'ont appelé la prunelle du monde, d'autres Esprit du monde, d'autres enfin son recteur. Trismégiste l'appelle Dieu visible, l'Electra de Sophocle, l'Omnivoyant c'est ainsi, en effet, que le Soleil, comme reposant sur le trône royal, gouverne la famille des astres qui l'entourent. »1.

    Même si par son système héliocentrique Copernic se démarque du géocentrisme d'Aristote Ptolémée, il faut noter que son univers n'est pas trop différent de l'univers aristotélicien ; car à l'instar de l'univers d'Aristote, l'univers de Copernic est lui aussi limité par la sphère des étoiles fixes. La différence majeure que recouvre l'héliocentrisme de Copernic par rapport au géocentrisme d'Aristote, c'est que Copernic assigne au Soleil les fonctions jadis attribuées à la Terre : à savoir l'immobilité et la position centrale. La Terre sera reléguée au rang des planètes, et à l'image de celles-ci, elle tourne autour du Soleil. Copernic attribue à la Terre trois mouvements circulaires simultanés : une rotation journalière autour de son axe, une révolution annuelle autour du Soleil, et un mouvement conique annuel de son axe, responsable de la variation de saisons.

    Le nouveau système héliocentrique, même s'il reste imparfait, permet tout au moins aux astronomes de résoudre certaines difficultés liées à l'observation des mouvements rétrogrades de certaines planètes. Copernic va dés lors compter dans son système six planètes, desquelles il va exclure la lune qui en fait ne tourne pas autour du Soleil. On a donc pour la nouvelle structure de l'univers : le Soleil au centre après lequel vient, Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne et enfin les étoiles fixes.

    Après la publication de De revolutionibus en1543, beaucoup d'astronomes vont voir dans les travaux de Copernic la vérité susceptible de hisser l'astronomie à un niveau beaucoup plus cohérent et beaucoup plus proche de la réalité. En effet, les développements mathématiques que Copernic va y faire ont convaincu la communauté scientifique de l'époque de la nouvelle voie que Copernic voulut tracer à l'astronomie. Car même ceux qui n'étaient pas d'accord avec Copernic, que c'est la Terre qui est en mouvement plutôt que le soleil, reconnaissaient que la méthode de Copernic était plus apte à montrer l'harmonie et l'élégance des phénomènes. Bientôt

    1 Cité par Thomas S Kuhn, in La révolution copernicienne, Fayard, 1973, p 151

    la réfutation de l'oeuvre de Copernic, ne tournera plus autour des arguments scientifiques qui y sont développés, mais sur les dogmes philosophiques et religieux que celle-ci menaçait de mettre en branle. C'est dans cette logique que l'on retrouve les arguments défendus par Luther dans ses Tischreden. En effet Luther écrit : « Certains ont prêté attention à un astrologue parvenu qui s'efforce de montrer que c'est la Terre qui tourne et non le ciel ou le firmament, le soleil et la lune... Ce fou souhaite renverser toute la science de l'astronomie ; mais l'écriture sainte nous dit (Josué X, 13) que Josué commanda au soleil de s'arrêter et non à la Terre. »1

    Dix ans après les Tischreden, un autre luthérien du nom de Mélanchton va se joindre à la clameur montante des protestants contre Copernic. En effet dans son ouvrage intitulé Initia doctrinae physicae publié en 1549, Mélanchton soutient avec force, « Les yeux sont témoins de la révolution du ciel en l'espace de vingt-quatre heures. Mais certains, par amour de la nouveauté, ou pour faire montre d'ingéniosité en ont inféré que la terre se meut ; et ils soutiennent que ni la huitième sphère ni le soleil ne tourne... Dés lors, c'est un manque d'honnêteté et de décence que de soutenir publiquement de telles idées et l'exemple est pernicieux. Un esprit juste se doit d'admettre la vérité révélée par Dieu et de s'y soumettre. »2

    Nonobstant les menaces qui, la plus part, restent implicites, la montée du copernicianisme ne cessera de faire ses effets dans les cercles intellectuels ; de là les hommes d'Eglise vont pour contenir les idées de Copernic faire désormais recours à certains passages de l'Ancien testament. A cet effet, le même Mélanchton va prendre à témoin les célèbres versets de l'Ecclésiaste (I, 4-5) où il est noté que, « La Terre à perpétuité subsiste ; [...] Le Soleil s'est levé, le Soleil s'est couché et vers son lieu il halète ; il se lève là ». De là, Mélanchton suggère que des mesures sévères soient prises à l'encontre de ce qu'il considérait comme, une impiété débordante des coperniciens.

    Quelques années après les Luthériens, Calvin, l'autre réformiste protestant va dans son Commentaire de la Genèse, s'appuyer sur le premier verset du 93ème psaume et dire : « Le monde est stable, inébranlable ! ». Il continue son texte et se demande : « Qui se hasarderait à placer l'autorité de Copernic au-dessus de celle du Saint-Esprit ? ». C'est ainsi que de plus en plus, le recours aux textes bibliques devint une coutume dans l'argumentation contre Copernic. Ce qui conduit, dans les premières décennies du 17ème siècle, à traiter les coperniciens d'infidèles et d'athées ; d'où en 1610 l'Eglise catholique se joignit officiellement à la bataille contre le

    1 Cité par Thomas Kuhn in La révolution copernicienne, Fayard, 1973, p. 228.

    2 Ibid, pp 228-229.

    copernicianisme, en considérant cette doctrine comme une pure hérésie. Et en 1616 (année de la condamnation de Galilée), le De revolutionibus ainsi que tous les ouvrages qui affirment explicitement le mouvement de la Terre furent mis à l'index. Il fut ainsi interdit aux Catholiques d'enseigner et même de lire les théories coperniciennes, sauf dans les versions expurgées de toute référence à une Terre en mouvement et à un Soleil central.

    Voici donc, comment fut combattu le copernisme. Ce combat ne portait pas sur la vérification des hypothèses, mais plutôt sur la croyance aveugle à un dogme ancien et fort. Car, les détracteurs de Copernic avaient compris que la révolution copernicienne n'était pas seulement une mise en translation du centre de l'univers, mais aussi et surtout une négation en puissance de tout un système de pensée. Car, comme on le sait, la vie chrétienne et la morale qui la sous-tend, ne s'adaptent pas aisément à un univers où la Terre n'est qu'une simple planète parmi tant d'autres ; d'où l'on se rend compte que la cosmologie, la morale et la théologie avaient longtemps été liées à la pensée chrétienne traditionnelle. Tous formaient ensemble un système où, lorsqu'un élément change, il entraîne irrémédiablement l'inadaptation et l'ébranlement du Tout cohérent.

    Ce fait a été manifeste, lorsque quelques décennies plutard la théorie de Copernic fut prise au sérieux. Elle causa d'énormes problèmes aux chrétiens car se disait-on : « Si, par exemple, la Terre n'était que l'une des six planètes, qu'allait donc devenir l'histoire de la chute et du Salut, et son immense importance dans la vie chrétienne ? S'il y avait d'autres corps célestes semblables à la Terre, la bonté de Dieu voudrait sûrement qu'ils fussent eux aussi habités. Mais s'il existait des hommes sur d'autres planètes, comment pouvaient-ils descendre d'Adam et d'Eve et comment auraient-ils pu hériter du péché originel qui explique le travail, autrement incompréhensible, de l'homme sur une Terre faite pour lui par une divinité bonne et omnipotente ? Ou encore, si la Terre est une planète, et par conséquent un corps céleste situé hors du centre de l'univers, que devient la position intermédiaire, mais centrale, de l'homme entre les démons et les anges ? Si la Terre en tant que planète, participe de la nature des corps célestes, elle ne peut être un gouffre d'iniquité dont l'homme attend patiemment de s'évader pour rejoindre la divine pureté des cieux. Et les cieux ne peuvent non plus être un séjour convenable pour Dieu s'ils participent aux maux et aux imperfections si clairement visibles sur une Terre planétaire. Et, pire que tout, si l'univers est infini, comme beaucoup de coperniciens le pensaient, où donc le trône de Dieu peut-il être situé ? Comment dans un univers infini, l'homme et Dieu allaient-ils se retrouver ? »1

    1 Thomas. S. Kuhn, La révolution copernicienne, Fayard, 1973, p 230

    On voit donc que la théorie de Copernic a, tout en transformant la façon dont l'homme entretenait sa relation avec Dieu, bouleversé du même coup les bases de la morale chrétienne. Cependant, étant donné que Copernic malgré son innovation, s'était basé sur les observations disponibles à son temps, observations qui étaient quasiment identiques à celles utilisées par Ptolémée dans l'Almageste, la révolution ne pouvait se faire en un jour ; d'où la nécessité de nouvelles observations beaucoup plus concluantes, afin de rendre effectif le changement. C'est la tâche que vont se donner les successeurs de Copernic parmi lesquels on peut noter, Tycho Brahé, Kepler, Descartes, Galilée jusqu'à Newton qui, va parachever le système avec sa théorie mécaniste de la Gravitation universelle.

    Section 2/ Newton : l'univers mécanique.

    Avant de voir l'achèvement par Newton de la révolution copernicienne, il est important, comme dans toute étude historique, de montrer l'apport que les prédécesseurs de Newton ont apporté au grand événement qu'est la découverte de la théorie de la gravitation universelle. Parmi ces derniers il faut d'abord noter la prestation du Danois Tycho Brahé qui est en fait le successeur le plus proche de Copernic.

    Ayant vécu de 1546 à 1601, Tycho Brahé est reconnu comme l'autorité astronomique la plus éminente de la seconde moitié du 16ème siècle. En effet, malgré son génie et ses travaux révolutionnaires, Tycho Brahé est resté un esprit classique. Comme on le sait, Brahé n'est pas de ceux qui postulaient à la suite de Copernic, le mouvement de la Terre. Ce dernier réfuta l'idée du mouvement de la Terre, parce que selon lui la Terre est non seulement au centre de l'univers, mais en plus, celle-ci est immobile.

    Toutefois, malgré sa croyance à l'immobilité de la Terre, Tycho Brahé concevait un système d'univers qui, par sa structuration diffère aussi bien de celui de Ptolémée que de l'univers copernicien. En effet dans le système « tychonien », la Terre est de nouveau au centre d'une sphère stellaire en rotation, où la Lune et le Soleil sont en mouvement sur les mêmes orbites que ceux que leur assignait le système de Ptolémée (autour de la Terre). Toutefois les autres planètes sont fixées sur des épicycles dont le centre commun est le Soleil.

    A y regarder de prés, on voit que le système tychonien n'est pas trop différent du système copernicien. Car en ignorant les épicycles mineurs et les excentriques qui n'interviennent pas dans les harmonies du système de Copernic, on peut transformer le système tychonien en système copernicien en gardant simplement fixe le Soleil au lieu de la Terre ; et cela parce que dans les deux systèmes, les mouvements relatifs des planètes sont les mêmes. Seul le mouvement parallactique des étoiles marque la différence entre les deux systèmes, or celui-ci disparaît si on étend considérablement la sphère des étoiles.

    Mais dés ses débuts, le système de Brahé n'a pas convaincu beaucoup d'astronomes parce qu'il est très difficile d'imaginer le mécanisme physique par lequel pourraient se produire les mouvements préconisés par Brahé ; dés lors que le centre géométrique de l'univers n'est plus le centre de la plus part des mouvements célestes.

    Si ce système n'a pas convaincu les astronomes néoplatoniciens qui, comme Kepler, avaient été attirés par la grande symétrie que décrit le système de Copernic ; il a néanmoins reçu un accueil favorable chez beaucoup d'astronomes non coperniciens qui, tout en voulant conserver les avantages mathématiques du système de Copernic, trouvaient la nécessité de supprimer tous les inconvénients physiques, cosmologiques et surtout théologiques auxquels le système de Copernic pouvait occasionner. D'où l'on peut dire, que le système de Brahé permettait d'établir un compromis entre la tradition dépassée de Ptolémée et la modernité de Copernic très peut coopérante.

    Par ailleurs le nom de Tycho Brahé reste attaché à l'histoire de l'astronomie, pour les différentes observations que ce seigneur danois apporta dans ce domaine. En effet, si Copernic a jeté le discrédit dans le géocentrisme d'Aristote-Ptolémée, ce sera vraiment à Tycho Brahé de mettre de l'eau dans le moulin de la cosmologie aristotélicienne. En effet comme nous l'avons déjà souligné, la cosmologie d'Aristote a pendant longtemps fondé sa caractéristique sur la dichotomie établie au sein de l'univers. Cette dernière marque la distinction de deux mondes fondamentalement caractérisés par leur différence de nature, dans la mesure où l'un est changeant et corruptible tandis que l'autre reste inchangeant, éternel et toujours identique à lui-même. C'est Aristote lui-même qui notait dans son Traité du ciel que, « Dans toute l'étendu du passé, si l'on en croit les souvenirs que les hommes se sont transmis les uns aux autres, aucun changement n'a été constaté ni dans le dernier ciel considéré dans son ensemble, ni dans aucune des parties qui lui sont propres. »1 Cette absence de souvenirs d'aucun changement dans le monde céleste, amena Aristote à déduire

    1 Aristote, Traité du ciel, Paris, Les Belles Lettres, traduction Paul Moraux, 1965, livre I p 9

    l'éternité de ce dernier et son incorruptibilité. C'est ce qui justifie le fait que du temps d'Aristote, l'apparition des météorites et des comètes était située sous la Lune ; et ces derniers étaient considérés comme des messagères désastreuses, du latin « disastro », qui signifie né sous une mauvaise étoile. Ce qui amena Aristote à faire de la météorologie l'étude du temps qu'il fait.

    Mais en 1572 précisément le 11 novembre, Tycho Brahé observe dans l'espace céleste l'apparition d'une lumière brillante en un lieu où jamais on n'avait observé la présence d'une étoile. Il déduit de ce phénomène qu'une nouvelle étoile venait de naître. Or, si ce phénomène restait pour lui, la naissance effective d'une Stella nova, le postulat aristotélicien de l'immobilité des cieux devenait du coup caduc. D'où le monde céleste serait à l'image du monde terrestre soumis au changement. Tycho Brahé donne les preuves de la naissance de cette nouvelle étoile en soutenant : « Qu'elle ne soit ni dans l'orbite de Saturne [...] ni dans celle de Jupiter, ni dans celle de Mars, ni dans celle d'aucune autre planète, cela est donc évident, puisque, après un délai de plusieurs mois, son propre mouvement ne l'a pas fait progresser d'une minute de l'endroit où je l'ai vue la première fois, ce quelle aurait dû faire si elle se trouvait dans une orbite planétaire. [...] Cette nouvelle étoile n'est donc située ni [...] en dessous de la Lune, ni dans les orbites des sept astres errants, mais dans la huitième sphère, parmi d'autres astres fixes. »1

    Cette preuve va remettre de l'eau dans le navire de la cosmologie d'Aristote, qui désormais, va très mal, et sonner le glas du postulat de l'immuabilité céleste. Il se passe donc incontestablement quelque chose de neuf sous le Soleil, mais aussi au-dessus.

    Mais étant donné que changer d'habitudes n'a jamais été chose facile, beaucoup de ceux qui défendaient encore l'idée d'Aristote refusèrent de croire, en affirmant que ce nouveau corps observé est situé, non pas dans le monde supralunaire, mais plutôt dans celui qui est au-dessous de la Lune. Cependant cinq ans après l'apparition de la Stella nova, Tycho Brahé va apporter de nouvelles preuves des changements dans le monde supralunaire. Car à partir de 1577, il fera une succession d'observations de comètes qui traversent les fameuses sphères d'Aristote (1577, 1580, 1585, 1590, 1593 et 1596). Ces différentes découvertes vont permettre aux successeurs de Tycho Brahé, de rompre définitivement avec la tradition aristotélicienne. D'où il s'agira de construire un nouveau terrain intellectuel, où les différentes observations pourront trouver une explication cohérente.

    1 Cité par Timothy Ferris, Histoire du cosmos de l'antiquité au big bang, Hachette Littératures, 1992, p 72

    Après Tycho Brahé, son assistant du nom de Johanus Kepler (1571-1630) va pousser ou plus précisément, traduire en théories les observations de son maître, qui n'était en fait qu'un piètre théoricien.

    Comme on le sait l'univers héliocentrique de Copernic n'a pas tout au début résolu le problème du mouvement des planètes. En effet, malgré la transposition, faite par Copernic, du centre de l'univers de la Terre au Soleil, l'astronomie n'avait pas pu écarter totalement les idées de Ptolémée dans l'explication du mouvement des planètes. En rappel, nous devons retenir que face à ce problème, Copernic lui-même s'était servi des épicycles, des excentriques et des équants (concepts que l'on doit à Ptolémée) pour résoudre les apparences que l'on constate dans l'observation. Ce recours à ces concepts, était en fait ce qui indignait Kepler qui, on le sait, était convaincu que, la décentralisation de la Terre et la centralisation du Soleil étaient en mesure de résoudre définitivement le problème des planètes. C'est ainsi que dans son ouvrage intitulé L'Astronomie nouvelle (1609), Kepler, faisant recours aux seules méthodes mathématiques développées dans le De revolutionibus de Copernic, tente de résoudre le problème des planètes, et cette fois-ci en l'abordant sous un autre angle.

    En effet, Kepler remarque qu'en remplaçant les orbites des planètes par des figures géométriques en formes d'ovale, les désaccords avec l'observation variaient suivant un ordre mathématique. De là, il se mit à étudier la régularité des désaccords. Il découvrit que l'on pouvait réconcilier la théorie de l'héliocentrisme avec les observations du mouvement des planètes, si celles-ci se déplaçaient sur des orbites elliptiques avec une vitesse variable régie par une loi simple. C'est à partir de ce moment que l'astronome allemand établit deux lois qui constituaient la solution finale au problème des planètes. Ces lois stipulent pour la première que « les planètes se déplacent suivant des ellipses dont le Soleil occupe l'un des deux foyers ». La seconde loi quant à elle, complète la description contenue dans la première. En effet, cette dernière montre que « la vitesse orbitale de chaque planète varie de telle sorte qu'une droite qui relie la planète au soleil balaie, dans l'ellipse, des aires égales en des temps égaux ».

    A partir de ces deux lois, on constate dans l'observation que « Lorsqu'on substitue les ellipses aux orbites circulaires de base commune à l'astronomie de Ptolémée et à celle de Copernic, et la loi des aires à la loi du mouvement uniforme autour du centre ou d'un point situé prés du centre, on voit disparaître la nécessité des excentriques, des épicycles, des équants et des autres éléments ad hoc, autrefois introduit dans la théorie par les prédécesseurs de Kepler. Pour la première fois, une

    courbe géométrique simple et une loi de vitesse unique était suffisante pour prédire les positions des planètes ; pour la première fois, les prévisions étaient en accord précis avec les observations. »1 C'est ainsi que Kepler rendit l'astronomie héliocentrique viable, avec six ellipses qui révèlent tout à la fois l'économie et la richesse implicite de l'innovation introduite par Copernic.

    Kepler n'a abouti à cette découverte que parce qu'il a, contrairement à Copernic, traité la Terre comme une simple planète, d'où il faisait passer le plan de toutes les orbites par le centre du Soleil. En plus de ce fait, il faut dire que Kepler, en tant que néoplatonicien convaincu, croyait fermement que les lois mathématiques simples sont à la base de tous les phénomènes naturels et que le soleil est la cause physique de tous les mouvements célestes. En fait, à l'instar de bon nombre de néoplatoniciens de son temps, Kepler, était convaincu que le Soleil jouait un rôle important dans le mouvement des planètes ; d'où il décrivait celui-ci comme, le corps qui, seul, paraît propre, en vertu de sa dignité et de sa puissance à faire mouvoir les planètes sur leurs orbites, et digne de devenir le séjour de Dieu lui-même, pour ne pas dire du Premier moteur.

    Par ailleurs, Kepler croyait aussi que les planètes sont poussées sur leurs orbites par les rayons d'une force motrice, qu'il nomma l'anima motrix, qui elle-même émane du Soleil. Ces rayons dont il croyait limités au plan de l'écliptique dans lequel toutes les planètes se meuvent, devaient propulser les planètes en fonction de leur position par rapport au Soleil. Il en déduit donc que le nombre de rayons solaires qui touchaient, une planète et la force correspondante qui la propulsait autour du Soleil, diminuaient à mesure qu'augmentait la distance de la planète au Soleil. D'où il conclut que, lorsque la distance de la planète au Soleil doublait, il y aurait deux fois de rayons de l'anima motrix qui toucheraient la planète, et la vitesse orbitale diminuerait de moitié.

    On voit donc que Kepler avait presque au bout des doigts, la solution du mouvement des planètes. Mais comme il n'a pas su aller jusqu'au bout de ses idées, ce sera à un autre astronome, cette fois-ci un Anglais, que la Nature révélera ses secrets. Nous voulons ici parler de Newton. Mais avant d'arriver à Newton, arrêtons-nous un tout petit peu sur son prédécesseur Galilée, qui lui aussi a participé à l'effondrement du cosmos d'Aristote Ptolémée.

    Comme il a été pour Kepler, le nom de Galilée ne rentrera dans l'histoire de l'astronomie qu'après les différentes découvertes qu'il a faites dans ce domaine. Galilée fait partie de ceux qui

    1 Thomas Kuhn, La révolution copernicienne, Fayard, 1973, p 251

    ont subi le pouvoir réprimant de l'inquisition. Né le 15 février 1564 à Pise (Italie) vingt ans après la publication du De revolutionibus de Copernic, Galilée a hérité de son père Vincenzo Galilei, d'un esprit mordant, d'un penchant pour la controverse et d'une défiance spontanée vis-à-vis de toute autorité. Muni de lunettes astronomiques, l'astronome de Pise a pour la première fois, montré que la Lune, jadis considérée par les aristotéliciens comme lisse parce que composée d'éther, avait la même structure que la Terre. En effet, lorsque Galilée a pointé ses lunettes sur cet astre, il observa que celui-ci, « n'est pas entouré d'une surface lisse et polie, mais qu'elle est accidentée et inégale, et tout comme la surface de la Terre, recouverte des hautes élévations et de profondes cavités et anfractuosités. » 1

    Après la révélation du relief de la Lune, Galilée va pointer son instrument en direction de Jupiter. En observant cette planète, Galilée y décela quatre corps qui, comme notre Lune gravitent autour de cette planète géante. Il conclut de cette observation que Jupiter constitue un système solaire copernicien en miniature, ce qui prouve par ailleurs que l'existence de corps satellites autour d'une planète n'est pas propre à notre planète. De là, Galilée y voit « Un argument [comme il le dit lui-même] aussi beau qu'élégant à même d'apaiser les doutes de ceux qui, tout en acceptant d'un esprit tranquille la révolution des planètes autour du Soleil dans le système copernicien, sont profondément gênés par le fait que seul la lune tourne autour de la Terre. Certains ont cru pouvoir rejeter cette structure de l'univers comme impossible. Mais désormais nous n'avons pas uniquement une planète en rotation autour d'une autre, toutes deux parcourant une grande orbite autour du Soleil ; nos propres yeux nous montrent les quatre astres [plus exactement les satellites, terme forgé par Képler] qui encerclent Jupiter comme la Lune encercle la Terre, cet ensemble effectuant une grande révolution autour du Soleil en l'espace de douze ans. »2

    Après Jupiter, Galilée va examiner la blanche et brillante Vénus. Il constate que cette planète suit des phases semblables à celles de la Lune, et qu'elle semble beaucoup plus grande quand elle est en phase croissante que lorsqu'elle est presque pleine. L'explication qu'il donne de ce constat, est que la planète tourne en orbite autour du Soleil, et non autour de la Terre, car lorsqu'elle apparaît en croissant, elle se trouve plus prés de la Terre que du Soleil, tandis que lorsqu'elle est petite elle passe de l'autre côté du Soleil. Ces observations planétaires seront suivies d'autres concernant les étoiles invisibles à l'oeil nu. Ces dernières vont l'amener à

    1 Emile Namer, L'affaire Galilée, Paris, Gallimard-Julliard, 1975, p 56

    2 Timothy Ferris, Histoire du cosmos de l'antiquité au big bang, Hachette Littératures, 1992, pp 90-91

    affirmer contre Aristote que les étoiles ne sont pas accrochées à la surface de la sphère stellaire, mais plutôt distribuées loin dans l'espace cosmique.

    Après avoir montré contre les arguments anti-coperniciens, la preuve de la rotation de la Terre sur son axe, la tâche qui attend Galilée consiste à remonter les obstacles aristotéliciens brandis contre le mouvement de la Terre. Parmi les plus défendus, on retrouve les interrogations suivantes : si la terre tourne sur elle-même, pourquoi, une flèche lancée en l'air ne file pas vers l'ouest ? Pourquoi la terre qui bouge se conduit-elle comme si elle était immobile ?

    Pour répondre à ces questions, il faut avoir une compréhension très poussée des concepts de gravitation et d'inertie, d'où Galilée va sans tarder, se mettre à étudier ces concepts.

    Et comme il était de coutume au 16ème siècle que pour établir une nouvelle science, on avait besoin de passer par une critique de la science aristotélicienne, parce que ce dernier avait déjà pensé sur presque tous les domaines du savoir de l'époque ; Galilée va lui aussi, pour fonder sa physique, revisiter la physique d'Aristote. Or, concernant les lois du mouvement, Aristote affirmait que les objets lourds tombent plus vite que ceux qui pèsent le moins. Ce jugement de bon sens, Galilée l'avait, dés ses années préparatoires à Pise, soupçonné d'absurde. Car se disaitil, dans le vide où la résistance de l'air n'influe pas, une plume doit tomber aussi vite qu'un boulet de canon.

    Ne disposant d'instruments pour créer le vide, Galilée teste ses hypothèses en employant des plans inclinés pour lâcher des poids rouler le long de ces plans. Cette méthode, tout en ralentissant l'allure qu'adopteraient les poids en chute libre, permet d'observer plus commodément que ces derniers subissent tous une accélération à peu prés identique. C'est ainsi qu'il écrit dans son ouvrage intitulé, Discours et démonstration mathématique concernant deux nouvelles sciences touchant la mécanique et les mouvements locaux : « Si Aristote a raison d'affirmer qu'une grande pierre se meut, par exemple, avec huit degrés de vitesse et une petite avec quatre degrés, il s'ensuivra, si on les attache, que l'ensemble se mouvra avec une vitesse inférieure à huit degrés. Or, les deux pierres, réunies, forment une pierre plus grande que celle qui se mouvait avec huit degrés de vitesse, et la plus grande se meut par conséquent moins vite que la plus petite, ce qui va contre votre supposition. Vous voyez donc comment, si vous supposez

    qu'un mobile plus grave se meut plus vite qu'un mobile moins grave, j'en conclus, de mon côté, qu'un mobile plus grave se meut moins vite. »1

    Toutefois, Galilée ne réussira pas à élucider totalement la question du mouvement inertiel, ni même les lois de la gravitation. Ce sera à Newton que sera réservé ce privilège. Quant à Galilée son entêtement à faire accepter le copernisme par l'autorité de l'Eglise, va lui coûter en 1633 la condamnation par le tribunal de l'Inquisition, à finir sa vie sous résidence surveillée dans sa villa prés de Florence où il mourut en 1642 .

    Cependant la mort de Galilée ne mettra pas fin aux débats sur le copernisme, elle va plutôt ouvrir, si l'on peut le dire ainsi, la voie royale à la synthèse de tous les problèmes soulevés par la révolution copernicienne. En effet, dans l'année où mourut Galilée, va naître le Prince de la science moderne, Isaac Newton. Né le 25 décembre à Woolsthorpe en Angleterre, Newton est celui qui va définitivement seller, et la physique classique et la vision moderne du monde, en synthétisant les lois terrestres de Galilée et les lois célestes de Képler. Newton va contre l'argument aristotélicien, qui stipulait que le mouvement des corps dépendait de leur composition élémentale, montrer que tous les corps obéissent à une seule loi de mouvement ne dépendant pas de la composition élémentale de leur masse. Newton continue son argumentation en affirmant que la masse est dotée d'inertie, c'est-à-dire d'une tendance à résister au changement dans l'état de mouvement. Telle est en fait la première loi de Newton. Cette dernière postule que : « Tout corps persévère dans l'état de repos ou de mouvement uniforme en ligne droite (rectiligne) dans lequel il se trouve, à moins que quelque force [...] ne le contraigne à changer d'état. »

    A cette première loi, va succéder une deuxième qui elle, reste liée à l'impulsion de mouvement subie par un corps immobile, ou à la variation de vitesse de mouvement ou de direction. Dans de tels cas de mouvement, Newton explique que ces phénomènes sont dus à l'intervention d'une force dont il nous dit, qu'elle est égale à l'accélération de la masse au cours du temps. De cette loi, Newton va tirer une troisième qui assure que l'action d'une force sur un corps, doit nécessairement aboutir à une réaction de ce dit corps égale et contraire ; d'où il affirmera que : « À toute action est toujours opposée une réaction égale. »

    1 Galilée, Discours sur deux nouvelles sciences, Traduit par Maurice Clavelin, Armand Colin, 1970, p 54

    Trois siècles plus tard, en 1980, le pape Jean-Paul II ordonne que le procès de Galilée soit réexaminé. A la cérémonie organisée en l'honneur du centenaire de la naissance de Einstein, il déclare que Galilée a souffert entre les mains des hommes et des institutions de l'Eglise. Il ajoute à ces propos que toute recherche poursuivie de manière vraiment scientifique ne peut jamais s'opposer à la foi, car les réalités religieuses et profanes trouvent leur origine dans le même Dieu.

    Ces idées à la limite révolutionnaires vont susciter des débats et une controverse animés particulièrement par Leibniz et la cartésienne Académie royale des sciences française. En effet dans Les principes mathématiques de la philosophie naturelle publiés en 1687, Newton écrit que les particules matérielles s'attirent les une les autres par une attraction qui se propage dans le vide, en l'absence donc de support matériel.

    C'est précisément à cette notion « d'attraction à distance » que vont s'opposer les détracteurs de Newton. Pour les cartésiens, le principe d'attraction à distance suscite le retour aux discours irrationnels qui, pour eux devaient à jamais disparaître du domaine de la science ; d'où ces derniers accueillirent les idées de Newton avec suspicion. D'ailleurs Newton lui-même avait pris conscience du fait que sa théorie pouvait troubler certains esprits. Ce qu'il ne manquera pas de confesser à son ami Bentley dans leur correspondance du 25 février 1693. Dans un extrait de sa lettre, Newton avoue : « Qu'un corps puisse agir à distance sur un autre dans le vide, sans que rien n'explique par quel moyen cette force est transmise, est pour moi une absurdité si grande qu'à mon avis, quiconque possède une compétence en matière de philosophie ne pourra jamais y céder. » C'est ainsi que Newton, aussi inductionniste qu'il a pu être, ne concevait pas le mécanisme de l'attraction sans l'assistance permanente de Dieu dans les affaires planétaires. Autrement, attirés les uns par les autres, les corps célestes, des planètes aux étoiles, finiraient par s'agglutiner. Pour éviter une telle catastrophe cosmique, Newton suppose que Dieu doit contrebalancer la gravitation et maintenir les astres à leur place.

    Leibniz qui a plus d'un compte à régler avec Newton, exploite ce point faible de la théorie de la gravitation. Contre Newton donc, Leibniz va affirmer que Dieu avait créé le meilleur des mondes possibles, capables de se gouverner tout seul, et n'avait guère besoin de se mêler du fonctionnement de la nature. Dieu a tout prévu, dira-t-il, il a remédié à tout par avance. Il y a dans ses ouvrages une harmonie, une beauté préétablie. Dés lors, ce dernier va accuser Newton d'avoir osé imaginer un Dieu incompétent ; ce qu'il explique en ces termes :

    « Sir Isaac Newton et ses sectateurs, ont encore une fort plaisante opinion de l'ouvrage de Dieu. Selon eux, Dieu a besoin de remonter de temps en temps sa montre, autrement elle cesserait d'agir. Il n'a pas eu assez de vue pour en faire un mouvement perpétuel. Cette machine de Dieu est même si imparfaite selon eux qu'il est obligé de la décrasser de temps en temps par un

    concours extraordinaire, et même de la raccommoder comme un horloger son ouvrage, qui sera d'autant plus mauvais maître qu'il sera obligé plus souvent d'y retoucher et d'y corriger. »1

    Ne voulant pas polémiquer avec Leibniz, Newton laissa à son élève et ami Samuel Clarke la tâche de répondre à Leibniz. Dans une de ses lettres au philosophe Allemand Clarke réplique et dit : « L'idée de ceux qui soutiennent que le monde est une grande machine qui se meut sans que Dieu y intervienne, comme une horloge continue de se mouvoir sans le recours de l'horloger, cette idée, dis-je, introduit le matérialisme et la fatalité, et sous prétexte de faire de Dieu une Intelligence Supramundana, elle tend effectivement à bannir du monde la Providence et le gouvernement de Dieu (...). Un roi qui n'intervient pas dans son royaume, n'est pas digne d'être roi. »2 Ces allégations de Clarke ne peuvent laisser indifférent Leibniz qui rétorque : « Il vaut mieux dire comme moi que Dieu est Intelligentia Supramundana, que d'insinuer comme vous qu'il est Intelligentia Mundana, c'est-à-dire l'âme du monde, ce qui conduit droit au Panthéisme. »3 On voit ainsi comment un débat qui portait a priori sur des hypothèses scientifique, a tourné sur la conception de l'idée de Dieu. Par ailleurs, ces arguments, si étranges puissent-ils nous paraître aujourd'hui, étaient redoutables à l'époque. Car d'une part Leibniz avait, par ses critiques renforcé la barrière séparant Newton des cartésiens, tandis que d'autre part il a incité certains à réfuter la théorie de la Gravitation de Newton. Toutefois, cette querelle avec Leibniz n'est qu'un arbre qui cache une forêt dense. Car, il se profile à l'horizon une controverse autrement plus rude avec les cartésiens, querelle qui ne deviendra virulente qu'après la mort de Newton. En effet la cartésienne Académie royale des sciences française (et plus particulièrement Fontenelle qui était à l'époque son Secrétaire perpétuel), rejette l'attraction newtonienne sous prétexte qu'elle peut réveiller les vieux démons de l'irrationalité. En fait pour mieux combattre la théorie de Newton, ces derniers avaient établi un parallélisme entre Isaac Newton et William Gilbert, un Anglais qui postulait l'existence d'une âme dans la matière, âme qui se manifeste par l'attraction mutuelle entre deux aimants. Pour les cartésiens, l'attraction newtonienne de la matière par la matière relève de cette même logique. Même s'ils reconnaissent l'élégance de la mécanique céleste des Principia, les cartésiens refusèrent tout compromis avec les newtoniens ; d'où ils exigèrent des preuves expérimentales pour valider la physique newtonienne.

    1 Cité par Arkan Simaan, in L'image du monde de Newton à Einstein, Paris, Vuibert-Adapt, 2005, p11

    2 Ibid

    3 Ibid

    Les débats sur la physique de Newton vont perdurer jusqu'à la fin du 17ème siècle, date à laquelle Laplace va lever le voile de la gravitation universelle et clore le débat sur la mécanique newtonienne. En effet dans son Traité de mécanique céleste qui est en fait un monument d'analyses scientifiques, Laplace va faire le point sur les problèmes célestes de son temps ; de la théorie de la perturbation des planètes aux mouvements des marées, en passant par la rotation de la Terre et le mouvement de la Lune. Laplace va ainsi donc expliquer la stabilité du monde à l'aide des seuls principes de Newton. Ce qui donna la validité expérimentale de la mécanique de Newton. En un mot, Newton et Laplace ont parachevé la révolution astronomique amorcée par Copernic.

    Section 3/ Le système Kant-Laplace : la théorie des « Univers-îles ».

    Comme nous l'avons déjà noté dans les chapitres précédents, la révolution copernicienne a entraîné le déclin du cosmos des anciens en poussant les limites de l'univers à des dimensions indéfinies. L'univers fini d'Aristote sera donc substitué à un univers infini sans bornes. Cet espace infini qui, du reste stupéfiait Pascal, est aujourd'hui nommé l'espace interstellaire. L'espace interstellaire est comme son nom l'indique, l'espace qui se trouve entre les étoiles. Habité pour la plus part par les nébuleuses (du latin nebula qui signifie « brouillard »), l'espace interstellaire compose la grande partie de l'espace cosmique.

    En effet, composées de nuages très confus, les nébuleuses ne se laissent généralement distinguer qu'au télescope. Cependant, malgré leur ressemblance apparente, les astronomes les classent en trois catégories.

    La première catégorie regroupe les nébuleuses planétaires. Ces dernières sont improprement nommées « planétaires », à cause de leur forme sphérique qui leur donne une fugitive ressemblance avec les planètes. Ces nébuleuses sont des coquilles de gaz rejetés par des supernovae, c'est-à-dire des étoiles vieillies, instables. Ces nébuleuses mesurent en moyenne une année-lumière de diamètre, et leur masse avoisine le cinquième de celle du Soleil.

    La deuxième catégorie est composée des nébuleuses dites par réflexion et par émission. Ces dernières sont des nuages de gaz et de poussières éclairées par des étoiles proches ; dont la plupart sont elles-mêmes des étoiles nouvellement condensées à partir du nuage qui les

    environne. Ces nébuleuses mesurent jusqu'à cent années-lumière de diamètre, et peuvent contenir la masse d'un million de Soleils ou même plus. Enfin, on note la troisième catégorie qui compte, les nébuleuses dites elliptiques et spirales. Ces dernières sont en fait des galaxies à part entière, situées à des millions d'années-lumière. Leur diamètre peut atteindre pour les plus grandes, cent mille années-lumière et englober des centaines de millions d'étoiles. La découverte du monde des nébuleuses, a permis à l'homme d'étendre à des limites infinies, l'univers dans lequel il vit.

    En effet, de même qu'il a fallu d'abord pour l'homme, reconnaître le Soleil au rang des étoiles, pour constater qu'il n'est pas au centre de l'univers ; de même il lui a fallu connaître la nature des nébuleuses pour se rendre compte qu'il vit dans un univers extragalactique, dont les limites restent enfouies dans les abîmes insondables de l'espace cosmique. La voie de cette recherche de l'univers extragalactique, a été tracée par des théoriciens de chambre parmi lesquels on retrouve, le philosophe Emmanuel Kant et le mathématicien Jean Henri Lambert. Après ces derniers suivront les noms d'un astronome amateur William Herschel et du célèbre mathématicien français, Pierre-Simon Laplace.

    Connu du grand public pour ses travaux en philosophie, le succès des Critiques éclipse souvent la contribution de Kant à la cosmogonie. En effet, Kant arrive à la cosmologie par l'intermédiaire hasardeuse de Thomas Wright.. Cet auteur aborde dans son ouvrage un sujet à la mode en Outre-manche, visant à accorder la théologie et les avancées astronomiques. On se demandait en effet en Angleterre où peuvent bien se trouver l'Enfer et le Paradis si la Terre n'est plus au centre du monde. Des savants renommés se sont aventurés sur ce glissant terrain métaphysique. William Whiston (1667-1752) plaçait l'Enfer sur les comètes, obligeant ainsi les damnés à endurer alternativement une chaleur brûlante lorsque celles-ci s'approchent du Soleil et un froid glacial lorsqu'elles s'éloignent au-delà de Saturne.

    En effet, Thomas Wright contrairement à ces prédécesseurs pro coperniciens, va prêter à l'univers la forme d'une bulle dans laquelle le Soleil est encastré. Il avance que l'aspect sous lequel se présente la voie lactée, est fonction de la perspective selon laquelle nous considérons sa surface étoilée. Pour mieux comprendre la conception de Wright, notons la remarque que lui fait Timothy Ferris. Ce dernier affirme à propos de Wright que : « Son cosmos creux ressemble à une orange vidée de sa pulpe, avec le Soleil et les étoiles dessinés sur l'écorce. Wright signale que l'aspect de bandeau d'étoiles de la Voie lactée vient peut-être de l'angle de vue commandée par

    la place que nous occupons à l'intérieur de la coque étoilée : en regardant le long d'une ligne tangente à la sphère, nous percevons beaucoup d'étoiles -la Voie Lactée-, nous en distinguons moins si nous considérons plutôt le rayon de la sphère. »1

    Kant s'empare de cette argumentation dont il ignore les antécédents pour émettre l'hypothèse, que le Soleil appartient à un système stellaire aplati : une galaxie dirions-nous aujourd'hui. Armé de cette idée précaire, notre astronome de chambre va ajouter à ses hypothèses, les observations de l'astronome Français Pierre Louis Moreau de Maupertius faites sur différentes nébuleuses elliptiques dont la nébuleuse d'Andromède visible à l'oeil nu. De là Kant supposera que l'univers est composé de plusieurs agrégats d'étoiles en forme de disque, et il se pourrait que les nébuleuses elliptiques soient d'autres « galaxies » d'étoiles semblables à notre Voie lactée.

    C'est ainsi que le philosophe Allemand note dans un passage du Traité du Ciel : « Si un système d'étoiles fixes se rapportant dans leur position à un plan commun, ainsi que nous avons esquissé la Voie lactée, est si éloigné de nous que toute connaissance des étoiles particulières dont il se compose ne soit plus perceptible, plus même au télescope ; si son éloignement est à celui de la Voie lactée dans le même rapport que celle-ci à la distance du Soleil par rapport à nous ; en deux mots, si un tel monde d'étoiles fixes est contemplé à une distance aussi incommensurable par l'oeil de l'observateur qui se trouve en dehors de ce monde, ce monde-ci, considéré selon un angle étroit, apparaîtra sous un petit angle comme un espace éclairé d'une faible lumière et dont la figure sera circulaire si sa surface se présente directement à l'oeil, et elliptique s'il est vu de côté. La faiblesse de la lumière, la figure et la grandeur perceptible de son diamètre distinguerons un tel phénomène, lorsqu'il se présentera, des autres étoiles qui sont vues séparément. »2

    Par ses considérations sur les nébuleuses, on peut considérer Kant comme étant le père de l'univers extragalactique, car il est l'un des premiers à réaliser que les formes apparemment rondes, ovales ou linéaires que l'on observe chez les nébuleuses, sont tributaires de l'angle choisi pour les observer. Pour montrer comment l'univers a pu sortir de la matière primitive réduite à son état le plus simple, Kant remplit l'espace de particules matérielles primitives distribuées chaotiquement, bien avant l'existence du système solaire. Ces particules, différentes par la taille et la densité, abandonnent leur équilibre initial pour s'agglomérer autour des particules plus

    1 Timothy Ferris, Histoire du cosmos de l'antiquité au big bang, Paris, Hachette-Littératures, 1992, p 152

    2 Emmanuel Kant, Histoire générale de la nature et traité du ciel, Vrin, 1984, p 74, § 3

    massives, débutant ainsi la formation du Soleil. Pour éviter que la nébuleuse ne s'effondre complètement sur le centre, Kant introduit une force de répulsion, sans dire vraiment d'où elle sort. Il postule qu'elle agit uniquement à courte distance pour contrarier le mouvement initial d'agglutination, et imprimer une déviation latérale à certaines particules. Ces dernières, qui se mettent alors à circuler autour du Soleil, créent les planètes et donnent une forme aplatie au système solaire.

    L'ouvrage de Kant publié en 1755, n'ayant pas fait long feu à cause de la faillite de son éditeur, sera vendu pour rembourser les dettes ; cause pour laquelle le monde n'entend guère parler de cet ouvrage. Mais, étant donné que les grandes idées ne disparaissent jamais éternellement, l'idée de l'univers extragalactique va resurgir sous la plume de son compatriote Allemand, Jean Henri Lambert. Ce dernier, dans son recueil d'essais intitulé Les lettres cosmologiques, va reprendre le même thème en avançant que le Soleil se trouve sur l'un des bords d'un système stellaire en forme de disque, la Voie lactée, et qu'il existe d'innombrables voie- lactées. Lambert précise qu'il est arrivé à cette idée en contemplant longuement le ciel étoilé. C'est ainsi qu'il écrit dans un passage de ce livre : « Je m'asseyais devant la fenêtre, et alors que les objets de la Terre se dépouillaient de tout ce charme qui retient l'attention, le ciel étoilé, lieu digne de contemplation entre tous, demeurait encore là pour moi. [...] Prenant mon essor sur la lumière, je montais en flèche à travers l'espace des cieux. Je n'arrivais jamais assez loin et sans cesse grandissait le désir de poursuivre toujours au-delà. Plongé dans ces réflexions, je me représentais la Voie lactée. [...] Cette arche lumineuse, qui s'étire tout autour du firmament et décore le monde, tel un anneau constellé de pierres précieuses, suscitait en moi étonnement et émerveillement. »1 Ces rhapsodies cosmologiques de Kant et Lambert permirent à l'esprit humain de s'ouvrir les portes de la richesse et de la profondeur de l'univers. Cette idée née de Kant, passera dans l'histoire de la cosmologie sous le terme « d'Univers-îles ».

    Concernant la notion « d'Univers-îles », il est à noter que deux écoles de pensée sur la nature des nébuleuses elliptiques ont marqué le 19ème siècle de leur empreinte. La première, nommée la théorie des « Univers-îles » de Kant et Lambert (même si l'expression est de Kant), soutient que notre Soleil est une des innombrables étoiles d'une galaxie, la Voie lactée, et qu'il existe beaucoup d'autres galaxies, telles les nébuleuses spirales et elliptiques que nous apercevons par delà d'immenses gouffres d'espace.

    1 Cité par Timothy Ferris, Histoire du cosmos, Hachette-Littératures, 1992, p 156

    Quant à la seconde école de pensée, elle es connue sous le nom de « l'hypothèse cosmogonique ». Cette théorie affirme en effet, que les nébuleuses spirales et elliptiques, proches de nous et relativement petites, correspondent à des tourbillons de gaz qui se condensent pour former des étoiles. Cette hypothèse propre elle aussi à Kant, est attribuée au mathématicien français Pierre-Simon Laplace qui, détails à l'appui, suggère dans son Traité de mécanique céleste que le Soleil et son cortège de planètes s'étaient peut-être coagulés à partir d'une nébuleuse tourbillonnante. Chacune de ces deux idées est, à certains égards, correcte. Car, on le sait de nos jours, quelques nébuleuses sont, en effet, des nuages de gaz générateur d'étoiles, mais aussi que les nébuleuses elliptiques et spirales constituent bien des galaxies d'étoiles.

    La vraisemblance partielle de chacune de ces idées, va pousser les scientifiques, par une intuition justifiée, à croire qu'une unique théorie doit être en mesure d'expliquer tous les types de nébuleuses, ce qui mena à une confusion intense.

    Dés les débuts de cette entreprise de recherche, les observations vont sembler témoigner en faveur de l'hypothèse cosmogonique. La découverte due à William Parsons, révèle que certaines nébuleuses elliptiques affichent une structure spirale. En effet lorsque avec son télescope à réflexion de prés de deux mètres, il observe les galaxies spirales, les descriptions qu'il en fait vont immédiatement concourir à appuyer l'hypothèse cosmogonique, et donc l'idée que les étoiles se forment par condensation de tourbillons gazeux. Par ailleurs en 1880, Isaac Roberts prend en Angleterre des photographies qui, elles aussi vont renforcer cette supposition en montrant que la plupart des galaxies elliptiques sont en réalité spirales.

    Cependant, c'est surtout en 1890 lorsque James Keeler de l'observatoire de Lick en Californie, montre sur ses clichés qu'il existe énormément de galaxies spirales dans l'univers (lui-même les estime à cent mille dans le seul champ d'observation du télescope de Lick), qu'on s'est rendu compte, que vu la multitude de Soleils qui illuminent la Voie lactée, il paraît plausible d'estimer à plus de cent mille le nombre de systèmes solaires. D'où l'on voit à nouveau cette hypothèse cosmogonique créditée.

    Avec le développement de la Spectroscopie, l'astronomie va bénéficier d'un outil qui va très rapidement hausser cette branche du savoir au rang des sciences architectoniques. Mais concernant notre idée des « Univers-îles », il faut noter que les premiers résultats rapportés par les astronomes, ont pendant un temps renforcé l'hypothèse cosmogonique, réfutant ainsi la théorie des « Univers-îles ». Et cette attitude est principalement favorisée par l'astronome

    William Huggins qui, en 1864 note après une observation faite sur une nébuleuse pointée au hasard que : « [...] L'énigme des nébuleuses était résolue. La réponse, venue à nous dans la lumière même, disait : pas d'agrégats d'étoiles, mais un gaz lumineux. Des étoiles auraient donné un spectre différent, étant donné la séquence observée pour notre Soleil et des étoiles plus brillantes ; il est claire que la lumière de cette nébuleuse avait été émise par un gaz lumineux. »1 En effet, comme Huggins n'observa, au moyen de son télescope, aucune raie pouvant déduire la présence d'étoiles, il conclut, et cela de façon prématurée, que les nébuleuses ne comportent pas d'étoiles. Ce qui s'avère faux, si l'on sait aujourd'hui qu'il existe plusieurs sortes de nébuleuses.

    Toutefois l'idée de Huggins sera quelques années plus tard reprise derechef par Harlow Shapley. Ce dernier va lui aussi soutenir l'hypothèse cosmogonique au détriment de celle des « Univers-îles » dans son étude consacrée aux Céphéides. Les Céphéides sont en fait des étoiles massives à très grande brillance qui, pour l'astronomie permettent de mesurer les distances au sein de l'espace interstellaire ; voire intergalactique.

    En effet, Shapley va se servir de ces « phares cosmiques » pour montrer d'une part que le Soleil n'étant pas relativement proche des amas globulaires composés de céphéides, ne peut occuper le centre de notre galaxie ; dans la mesure où la Voie lactée renferme en son centre une multitude de ces amas globulaires qui, en fait sont responsables de la blancheur du centre de notre galaxie. D'autre part, cet astronome va en mesurant les distances de notre galaxie étendre celle-ci à des distances surestimées. Car il englobe dans la Voie lactée, les nuages de Magellan qu'il prenait pour les composantes de la voie lactée et beaucoup d'autres nébuleuses. D'où ce dernier donna à la voie lactée l'appellation de Big galaxy, c'est-à-dire La Grande galaxie. Dés lors, contre tous ceux qui soutiennent l'idée des « Univers-îles », Harlow Shapley répliquera, qu'il faudrait pour avoir quelque chance avec les « Univers-îles » qu'il rétrécisse considérablement son système galactique.

    La théorie des « Univers-îles » va ainsi sombrer partiellement dans le mépris scientifique. Ce sera en fait Edwin Hubble qui, après Herbert Curtis va en 1924 réhabiliter l'idée des « Universîles ». Ce dernier rétorque à Shapley qu'il a découvert dans la nébuleuse d'Andromède une Céphéide de brillance variable. Cette dernière se trouverait selon Hubble à environ un million d'années-lumière contrairement aux cinq cents mille années-lumière soutenue par Shapley. Or, si cette distance est avérée, cela voudrait dire qu'Andromède est suffisamment au-delà de la Big

    1 Cité par Timothy Ferris, in Histoire du cosmos, Hachette, 1992, pp 173-174

    galaxy de Shapley. Hubble va ensuite découvrir d'autres Céphéides dans d'autres galaxies, ainsi que des novae et des étoiles géantes. C'est le cas des galaxies Messier 31 et NGC 6822. Et après la mort de Edwin Hubble en 1953, les astronomes découvriront d'autres corps célestes tels que les Quasars (découverte que l'on doit à Sandage et Thomas Matthews), qui en fait correspondent aux noyaux de jeunes galaxies distantes au moins un milliard d'années-lumière.

    Ces découvertes ont donné le coup de grâce à la théorie des « Univers-îles ». et c'est ainsi que fût donnée, la preuve expérimentale d'une idée cosmogonique vieille de plus de deux siècles.

    Deuxième Partie

    La cosmologie Moderne : l'univers du Big bang et la

    théorie des cordes

    L'univers du 20ème siècle est celui du big bang. La majorité des cosmologistes pensent maintenant que l'univers a commencé son existence par une énorme explosion à partir d'un état extrêmement petit, chaud et dense, il y a une vingtaine de milliards d'années environ. L'émergence de cette nouvelle vision de l'univers a été fulgurante. En un demi-siècle, l'univers statique aux étoiles fixes et immobiles de Newton est devenu un univers dynamique, en expansion, rempli de mouvements et de violence. La rapidité avec laquelle le nouvel univers s'est imposé, est d'autant plus extraordinaire que l'étendue de notre galaxie était devenue au 20ème siècle complètement inconnue. Parler aujourd'hui d'autres mondes dans d'autres galaxies, ou de l'univers tout entier relève encore de la pure science-fiction, même si de nos jours, la cosmologie a vraiment acquis le statut d'une science exacte, c'est-à-dire d'une discipline fondée sur des observations précises et rigoureuses, et non sur de vagues spéculations philosophiques ou métaphysiques.

    Section 1/ Pensée sur l'origine de l'univers.

    L'interrogation sur l'origine de l'univers a de tout temps intéressé aussi bien les hommes de sciences que ceux qui s'attellent aux connaissances traditionnelles. Si l'on en croit Timothy, Ferris, « Spéculer sur l'origine de l'univers constitue une activité humaine aussi ancienne que tristement célèbre. Ancienne, car autant que je sache, il n'existe pas de certificat de naissance de l'espèce humaine : c'est tout seul qu'il nous a fallu partir à la recherche de nos origines, et, chemin faisant, nous avons découvert la nécessité de réfléchir aussi sur le cours du monde auquel nous appartenons. Tristement célèbre, car les spéculations cosmogoniques qu'elle a engendrées disent plus de choses sur nous-mêmes que sur l'univers qu'elles prétendent décrire à un degré ou à un autre, ces théories restent toujours des projections psychologiques, des modèles lancés vers le ciel par l'esprit, ombres dansantes à la lueur des feux follets. »1

    En effet, au regard des mythes préscientifiques de la création, on se rend compte que leur survivance tient moins à leur adéquation aux observations de l'époque (du reste peu nombreuses) qu'à la plus ou moins grande tranquillité d'esprits qu'ils ont pu procurer. Ces contes, d'autant plus chers à nos coeurs qu'ils sont nôtres, soulignent tel ou tel fait de particulière importance pour les sociétés qui les ont conservés. C'est ainsi que les Sumériens envisageaient la création comme

    1 Timothy Ferris, Histoire du cosmos, Paris, Hachette-Littérature, 1992, p381

    l'issue d'un combat entre les dieux, combat au bout duquel la Terre, formée à partir d'une motte d'argile violemment lancée, aurait existé.

    Pour les Mayas, le créateur se transformait en un ballon solaire à chaque fois que la planète Vénus disparaissait derrière le Soleil. Les Tahitiens eux par contre évoquaient un Dieu à leur image, un pêcheur à la ligne qui aurait arraché leurs îles au plancher océanique. C'est en fait dans cette même suite d'arguments que les Grecs, épris de logique, voyaient dans la création une affaire d'éléments : d'où Thalès crut que l'univers fut d'abord constitué d'Eau, alors que Anaximandre soutenait qu'il était d'Air, et Héraclite, de Feu.

    En fait, s'il faut accepter que l'avènement de la science et de la technologie ont permis de raffiner la sophistication de certaines thèses cosmogoniques antérieures, il est à retenir que jusqu'à nos jours, la science n'a pas encore réussi à dégager le problème de la création de la vétuste confusion des présupposés et des désirs humains. Dans le meilleur des cas, la question du commencement de l'univers est éludée, et nous avons beau la traquer avec nos théories des quarks, des leptons, des cordes et super cordes etc., notre audace n'est guère plus légitime que celle des peuples primitifs.

    Plusieurs scientifiques sont conscients de ce fait, aussi sont-ils nombreux à ne pas vouloir s'occuper de cosmogonie, c'est-à-dire l'étude de l'univers. D'autres laissent tout simplement ce domaine, parce qu'ils ne voient pas comment l'approcher pratiquement. Tandis que pour les partisans du déterminisme, ils exilent eux, la problématique d'une cause première dans des contrées hors de la science

    Toutefois, malgré les réserves faites à l'interrogation originelle, il est des scientifiques qui, tentent de mieux comprendre comment l'univers a émergé, tout en concédant que leurs efforts sont sans doute prématurés. En effet, si l'on jette un regard sur les travaux scientifiques portés sur l'univers du 20ème au 21ème siècle, on se rend compte que ces derniers répandent quelques lumières dans l'antichambre de la Genèse. Même si aucun scientifique n'escompte vraiment découvrir le familier aux sources jaillissantes de la Création, les résultats des travaux éclairent là des idées des plus étranges. En fait, les hypothèses, respectivement nommées Genèse du vide ou Genèse quantique, laissent entrevoir le futur proche où la connaissance humaine, peut-être, découvrira l'origine de l'univers. Par ces hypothèses en effet, « La cosmologie se heurte à une difficulté majeure : expliquer comment quelque chose est sorti de rien. « Quelque chose » désigne ici la totalité de la matière et de l'énergie, de l'espace et du temps - bref l'univers qui est le nôtre. Mais il est plus délicat de définir ce que recouvre le « rien ». Pour la science

    classique, ce « rien » correspondait à du vide, à l'espace vide intermédiaire entre les particules de matière. Or, comme en témoigne la longue enquête sur l'éther supposé remplir l'espace, cette conception a toujours posé problème et n'a d'ailleurs pas résisté à la physique quantique. »1

    En effet, comme nous le montre la physique quantique, ce qui est nommé « vide quantique » n'est vraiment pas vide, il regorge au contraire des particules « virtuelles ». On peut imaginer que ces dernières expriment, comme l'affirme le principe d'incertitude de Heisenberg, la possibilité offerte à une particule réelle de surgir à tel moment en tel endroit, d'où les particules virtuelles représentent non seulement ce qui est, mais ce qui pourrait être. La physique quantique explique ce fait en indiquant, que chaque particule « réelle » est entourée d'une couronne de particules et d'anti-particules virtuelles à grosses bouées du vide, interagissant les unes les autres, puis s'évanouissent après avoir vécu à crédit sur le temps de Heisenberg. Dés lors, le vide quantique s'assimile à un océan bouillonnant d'où émergent sans arrêt des particules virtuelles, dans lequel elles s'engloutissent sans fin.

    Cependant, qu'est-ce que l'hypothèse de la genèse du vide a à voir avec l'origine de l'univers ? Pas grand-chose peut-être, peut-être même rien. Ou peut-être tout, si l'on suit le raisonnement de cette théorie. En effet, cette hypothèse postule que l'univers tout entier est né d'une seule particule virtuelle extraordinairement massive, une particule qui a spontanément jailli du vide voilà des milliards d'années. Emise pour la première fois par le physicien Edward Tryon, cette idée va animer et continuer à guider les scientifiques dans leurs recherches de l'origine de l'univers. En fait Tryon raconte que c'est à un soir qu'il passait tranquillement chez lui, qu'il eut une révélation : « J'ai vu l'univers faire irruption à partir de rien, comme une variation quantique, et j'ai réalisé que la chose était possible, qu'elle pouvait expliquer la densité critique de l'univers. J'ai compris tout cela en un instant et j'ai été pris de frissons. »2

    En effet comme le note Timothy Ferris, toute l'énergie contenue dans l'univers pourrait bien être égale à zéro. Certes, si l'on additionne l'énergie libérée lors du big bang, celle émise par la lumière des étoiles et cette énergie figée que nous appelons matière, étroitement liée aux étoiles et aux planètes, on arrive à un énorme total positif. Seulement, il faut aussi compter avec la gravitation, force purement attractive qu'il convient donc de marquer du signe moins. Or, il apparaît, et c'est là que les choses deviennent intéressantes, que le potentiel gravitationnel de la

    1 Timothy Ferris, Histoire du cosmos, Hachette, 1992, pp 383-384

    2 Edward Tryon, Entretien avec l'auteur, Pasadena, 04 avril 1983

    Terre, ou de n'importe quel autre objet, est approximativement égal à sa teneur en énergie calculée au moyen de l'équation E=mc2. Si cette équivalence s'applique également à l'ensemble de l'univers, alors l'univers ne possède aucune énergie positive nette et il pourrait, en effet, être sorti du vide sans que ne soit brisée la loi de la conservation de l'énergie. Cependant est-il vrai que l'univers dispose d'une énergie égale à zéro ?

    La réponse à cette énigme est concise dans le taux de ralentissement de l'expansion cosmique. Car, si l'univers continue à se dilater sous l'impulsion déterminée par le big bang, son expansion se ralentit toutefois avec le temps à cause de l'attraction gravitationnelle que les galaxies exercent les une sur les autres. Si ce taux est égal ou inférieur à un, la densité de masse ne peut suffire à arrêter l'expansion, et l'univers continuera à se dilater infiniment. Géométriquement parlant, cet univers est qualifié « d'ouvert ». Si le taux est supérieur à un, l'expansion est destinée à prendre fin tôt ou tard, à la suite de quoi l'univers se comprimera vraisemblablement en une nouvelle boule de feu. Enfin si ce taux est strictement égal à un, l'expansion se poursuivra irrévocablement, toujours plus ralentie, mais jamais tout à fait interrompue. Or, pour que les suppositions de la genèse du vide se vérifient, il faudrait nous disent les spécialistes que le taux de ralentissement de l'expansion cosmique soit égal ou inférieur à un. Fait étrange, car il semble que ce taux soit strictement (ou presque) égal à un.

    Et si d'ailleurs les astronomes et cosmologistes, n'ont pu aboutir à des conclusions définitives sur la structure ouverte ou fermée, c'est précisément parce que l'univers s'équilibre autour d'une valeur égale à un. Ce qui veut dire que l'espace cosmique n'est pas spectaculairement ouvert ni fermé totalement, mais plutôt parfaitement, ou presque plat.

    Même s'il est vrai que le spectacle de la création ou plutôt celui de l'origine du tout premier commencement, reste et pourrait rester à jamais inconnu par la science, il semble aujourd'hui que la réponse se cache dans l'étude des singularités. Sur ce point, la théorie des cordes et des super cordes semble être aujourd'hui la meilleur sur le marché pour expliquer les événements se situant au-delà du mur de Planck. En effet depuis longtemps, l'astrophysique a souffert d'une sorte de « schizophrénie » conceptuelle : les deux grandes théories qui cadrent la réalité physique, la relativité générale et la mécanique quantique ne se raccordent pas naturellement l'une à l'autre. Certes, la relativité traite de la gravitation - c'est-à-dire de la structure géométrique de l'espacetemps - qui concerne a priori les grandes masses et structures, tandis que la mécanique quantique s'occupe a priori du comportement du monde subatomique des particules

    élémentaires. L'une vise le très « lourd », l'autre s'occupe de l'infiniment petit. La rencontre entre les deux est fort improbable, mais elle se fait.

    En effet la rencontre de ces théories a priori opposées, se fait au sein du trou noir et de sa singularité spatio-temporelle, capable de concentrer en un point sans dimension, plusieurs milliards de masses solaires. L'infiniment petit devient dés lors immensément lourd ; d'où pour rendre compte de la réalité, la relativité et la mécanique quantique, sont obligées de s'unir. De cette union contre-nature, est en train de naître une nouvelle théorie, dite des cordes. Cette théorie des cordes ne peut accomplir la fusion qu'au prix d'une multiplication du nombre des dimensions de l'espace. Pour l'étude des objets célestes, les modèles les plus simples ne permettent pas de descendre en deçà des quatre dimensions spatiales préconisées par la relativité générale.

    Aussi, les cosmologistes considèrent aujourd'hui que si la théorie des cordes est avérée, notre univers ne serait qu'une feuille insérée dans un « mille-feuilles » d'autres univers parallèles. Ces univers, se déployant le long de la quatrième dimension, ne communiqueraient entre eux que par le truchement de la gravité. Cette hypothèse, qui en réalité révèle une hardiesse intellectuelle, permettrait pourtant de répondre à l'énigme que pose le problème de la masse manquante de l'univers.

    Si ces suppositions de la théorie des cordes sont vraisemblables, cela voudrait donc dire que les 90% de la matière qui exercent leur influence gravitationnelle sur notre univers, mais qui sont invisibles, appartiendraient à des univers jumeaux. Le phénomène d'apparition de ces univers parallèles peut s'imaginer par l'idée que : un trou noir dans notre univers pourrait avoir la valeur d'un big bang, donnant naissance à un autre univers parallèle au nôtre. Mais pour l'heure, la théorie des cordes doit être achevée et confirmée.

    En définitive, on constate que la seule attitude digne de nous face à l'interrogation sur l'origine de l'univers, serait de se demander comme dans le Rig-Veda (le plus ancien des quatre livres sacrés hindous), « Qui sait vraiment ? » C'est ainsi que dans une lettre adressée à l'institut Science Physics Research, pour leur étude concernant « la singularité initiale », John Baez affirme, « La seule attitude responsable consiste à avouer que nous ne disposons pas du plus

    petit indice concernant ce qui s'est passé avant et, disons, juste une microseconde après le Big bang. »1

    Section 2/ La conquête des exoplanètes et l'hypothèse des autres mondes

    «Existe-t-il plusieurs mondes, ou n'y en a-t-il qu'un seul ?

    C'est là l'une des plus nobles et des plus exaltantes questions dans l'étude de la nature. »

    Albert le Grand (XIIIe siècle)

    Si la quête des exoplanètes fascine tant, c'est qu'elle recèle un espoir immense. Celui de trouver un jour peut-être une vie ailleurs, qui aura germé à la lumière d'un autre Soleil. Cette perspective donne le vertige. Apprendre que nous ne sommes pas seuls à vivre dans cet univers, quel bouleversement ce serait pour l'humanité !

    En cette aube du troisième millénaire, nous sommes habitués à évoquer l'immensité de l'univers. L'infini nous est presque familier. Les télescopes de la dernière génération nous livrent des images sur les joyaux les plus lointains de l'univers. L'exercice est ardu, mais possible, grâce notamment aux progrès de la théorie depuis le début du 20ème siècle, grâce au génie d'hommes comme Georges Lemaître, Alexandre Friedmann ou encore Edwin Hubble, qui ont montré que l'univers n'est pas statique, mais qu'il pousse, qu'il s'étend, qu'il gonfle comme un ballon. Les conséquences de cette découverte sont presque infinies que l'univers lui-même. Car si ce dernier grandit, c'est qu'il a été plus petit, plus jeune, qu'il a même dû naître, à partir d'une « singularité », disent les spécialistes.

    En effet l'hypothèse de la pluralité des mondes est beaucoup plus ancienne que nous le croirons, elle est aussi ancienne que la pensée sur l'univers. Au 16ème siècle déjà Giordano Bruno, avait soutenu l'existence d'une multitude de mondes. Dans son ouvrage, De l'infini, de l'univers et des mondes, Giordano Bruno se refuse à l'idée que Dieu puisse limiter sa puissance pour ne créer qu'une seule Terre. Convaincu que les étoiles du ciel sont autant de Soleils autour desquels dansent des planètes pleines de vie, ce théologien Dominicain affirme avec force qu'il est bien plus probable que Dieu eut engendré des milliers et des milliers de Terres et que chacune d'entre elles porte la vie.

    1 Cité par Igor et Grichka Bogdanov, in Avant le big bang : la création du monde, Grasset, Paris, 2004, p 70

    Ce qui l'amena à une telle conviction, c'est que Giordano Bruno, comme l'avait fait Nicolas de Cues, s'était interrogé sur la toute puissance divine. Il se disait en fait, si Dieu crée tout ce qu'il peut faire, l'univers ne saurait être fini. Et si l'Univers est infini, cela implique l'existence d'autres systèmes solaires. A partir de cette argumentation, Bruno déduit que, « C'est ainsi que l'excellence de Dieu se trouve magnifiée et se manifeste la grandeur de son empire. Il ne se glorifie pas dans un seul, mais dans d'innombrables Soleils, non pas en une seule Terre et un monde, mais en mille de mille, que dis-je ? Une infinité de mondes. »1

    De là Bruno ne doute pas que certains de ces mondes sont habités par des êtres « semblables ou meilleurs que les hommes ». Pour lui, la vie est partout, elle peuple les infinis. Mêmes les étoiles et les planètes ont des âmes. C'est en fait ce vitalisme, à la limite exagérée, qui contribua à lui coûter la vie. La mort de Bruno sur le bûcher rappelle que les dogmes sont prêts à vendre chèrement leur peau. Seulement la révolution est en marche, même si elle prend parfois un visage de douce réforme, poudré de tradition et de modernité.

    Après Giordano Bruno, l'idée des autres mondes va continuer à hanter les esprits des astronomes et philosophes. En 1686 le Secrétaire perpétuel de l'Académie royale des sciences française, Bernard Le Bouyer de Fontenelle va dans son livre intitulé Entretiens sur la pluralité des mondes réhabiliter les imaginations de Bruno. Fontenelle était lui aussi de ceux qui, comme Giordano Bruno, pensaient que la vie n'est pas le privilège de la Terre ; d'où il affirme qu'il existe d'autres mondes autour d'étoiles autres que le Soleil.

    Fontenelle affirmait même que les autres planètes de notre système solaire étaient habitées par des populations. C'est ainsi qu'il pensait qu'à côté des hommes habitant la Terre, il existait des « luniens », des « vénusiens », des « marsiens » etc. Sans faire un éventail de toute cette panoplie de défenseurs de l'hypothèse des autres mondes (Galilée, Kepler, John Wilkins, Cyrano de Bergerac, Pierre Borel, Fatouville, Christian Huygens etc.), nous pouvons dire que c'est de nos jours que ce débat devient plus que jamais à l'ordre du jour, car aujourd'hui l'astronomie a découvert plus d'une cinquantaine de systèmes planétaires autour d'autres étoiles.

    1 Cité par Michel Mayor et Pierre-yves Frei, in Les nouveaux mondes cosmos : à la découverte des exoplanètes, Seuil, Paris, 2001, p 46

    Même s'il est vrai que la simple découverte d'exoplanètes ne peut en aucune manière déduire l'existence d'une vie extraterrestre, le rythme avec lequel progresse la technologie met l'eau à la bouche de ceux qui nourrissent encore la conviction que nous ne sommes pas seuls dans l'univers.

    Trouvera-t-on de la vie ailleurs que sur Terre ? Une autre planète dans l'univers a-t-elle réussi à rassembler l'extraordinaire éventail de conditions que la vie semble exiger pour paraître ? C'est la question ultime, celle qui se tient en embuscade derrière la quête des exoplanètes. Mais pour peu qu'on appartienne au cercle de ceux qui sont convaincus que la vie n'est pas le privilège de la Terre et qu'elle s'est sans doute développée sur d'autres planètes, dans d'autres systèmes solaires, il reste à affronter une autre interrogation. Comment, par quels moyens techniques serait-il possible de prouver l'existence d'une vie extraterrestre ?

    Si un jour l'homme parvenait à trouver une telle preuve, il devra affronter le quatrième choc culturel de son histoire. Après avoir appris avec Copernic qu'il n'est pas au centre de l'univers, avec Darwin qu'il est le « descendant » d'un primate qui lui-même est le très lointain petit-fils d'une simple cellule, et avec Freud qu'il est soumis aux caprices de son inconscient, il lui faudra se faire à l'idée qu'il n'est pas le seul être vivant dans l'univers. A la lumière des développements scientifiques, il est de plus en plus difficile d'imaginer que la Terre soit le seul havre de vie du cosmos. Dans notre seule galaxie, plus de cent milliards d'étoiles se côtoient, et des galaxies, on en compte par milliards dans l'univers. Pourquoi la vie se serait-elle contentée d'apparaître sur une seule planète aussi belle et aussi bleue soit-elle ? Chaque étoile naît de la même façon, par la fragmentation d'un nuage interstellaire, et crée autour d'elle un disque d'accrétion. Même si seule une petite fraction de ces disques donne naissance à des planètes, cela suffit pour imaginer que ces dernières existent également par milliards et qu'une partie d'entre elles, aidée par le hasard, a réuni les conditions nécessaires à l'apparition de la vie.

    Evidemment, il reste à trouver cette supposée vie extraterrestre. D'après les astronomes, le plus simple dans cette investigation, serait de capter les signaux radio en provenance d'une autre civilisation, s'il en existe. Leur nature artificielle serait facilement identifiable et ne laisserait guère de doute sur leur origine. Or, jusqu'ici, les programmes (américains surtout) de recherche de signaux extraterrestres intelligents, communément notées SETI, n'ont rien fourni. La tâche est colossale, et ceux qui l'ont entreprise comptent sur les chercheurs d'exoplanètes pour les aider à cibler leurs recherches. Ils attendent notamment qu'on leur désigne les étoiles autour desquelles

    on aura détecté des planètes telluriques situées dans la zone habitable, une zone définie autour de chaque étoile, en fonction de sa luminosité propre, où l'eau peut exister à l'état liquide.

    Les aspects les plus naïfs de cette recherche sont certainement les tentatives de détection de signaux radio provenant d'éventuels êtres intelligents. La plus connue est le programme SETI (Search for Extra Terrestrial Intelligence) lancé aux Etats-Unis par Frank Drake en 1960. Ce programme mobilise depuis cette époque une partie du temps d'observation d'un certain nombre de radiotélescopes, ce qui a ainsi permis leur perfectionnement. Cette recherche postule donc que ces êtres connaissent, la technologie scientifique de communication par ondes inter changées. Jusqu'à présent aucun résultat n'a été obtenu, et il faut reconnaître que de notre côté nous n'avons fait que très peu d'efforts pour envoyer des signaux à destination d'autres étoiles. Parmi toutes ces tentatives, il semble que les essais de détection de traces de vie passées dans notre système solaire paraissent plus sérieux, et bénéficient sans doute de plus grandes chances de succès. Nous précisons « traces de vie passées », car les conditions actuelles sur les planètes et satellites en dehors de la Terre, paraissent aujourd'hui très peu propices à l'émergence de la vie.

    Les premiers essais réalisés par le programme VIKING sur Mars en 1975, étaient, d'après les spécialistes, trop rudimentaires pour que l'on ait pu en espérer sérieusement un résultat positif. Les diverses recherches de traces de vie dans les roches lunaires et les météorites, n'ont également fourni aucun résultat convaincant. Il nous faut, pour espérer quelque chose dans cette tentative, maintenant attendre l'analyse d'échantillons martiens.

    Mais d'abord, qu'est-ce que la vie ? Les spécialistes s'accordent à la définir par l'existence de cellule, qui peut se reproduire, évoluer et s'autoréguler face au milieu ambiant. Ces mêmes spécialistes estiment aussi qu'il ne peut y avoir d'autre chimie du vivant que celle du carbone ; d'ailleurs, les molécules peut-être pré-biotiques que l'on trouve dans le milieu interstellaire et les comètes sont des hydrocarbures et des molécules azotées, dotées de la même chimie organique que celle terrestre. Stanley Miller et Harold Urey en 1953, puis ultérieurement d'autres chercheurs, ont synthétisé des acides aminés, brique de base de l'ADN et des protéines qui sont des constituants essentiels de la cellule, en faisant agir différentes sources d'énergie sur un mélange de molécules simples avec de l'eau. Malgré l'expérience de Miller et Urey, l'apparition de la vie sur Terre continue de rester un mystère.

    Quoiqu'il en soit, les premières cellules sont apparues très tôt, moins d'un milliard d'années après la formation de la Terre il y a 4,6 milliards d'années. Un autre fait établi est que, c'est la vie qui a formé via l'assimilation chlorophyllienne, l'oxygène libre qui constitue prés de 20% de l'atmosphère terrestre, et indirectement de l'ozone qui n'est que de l'oxygène enrichie par réactions photochimiques.

    Dés lors, on peut chercher à détecter indirectement des traces de vie sur les planètes extrasolaires en y recherchant par la spectroscopie, les traces d'oxygène, d'ozone ou même de chlorophylle. Il existe des projets de ce genre (le programme DARWIN de l'ASE, Agence Spatiale Européenne, et le programme Terrestrial Path Finder, TPF, de la NASA, qui seront probablement amenés à se fusionner), qui envisagent de voir directement des planètes autour d'étoiles proches avec plusieurs télescopes satellisés, pour en faire la spectroscopie. Ces projets, même s'ils sont ambitieux, sont d'une grande difficulté, car une planète comme la Terre est, des millions de fois, moins lumineuse que l'étoile autour de laquelle elle gravite. Il s'agit pourtant de la meilleure, et peut-être de la seule façon de détecter la vie dans d'autres systèmes planétaires que le nôtre.

    Conclusion

    On trouve dans l'antiquité grecque, cinq siècles avant notre ère, une pensée rationnelle exigeante, s'exprimant notamment par la plume d'Aristote. Le philosophe savait que notre planète est ronde et professait un système géocentrique plaçant la Terre au centre du monde, faisant donc circuler les astres du ciel, y compris le Soleil, autour de nous. Un philosophe grec Aristarque de Samos, évoquera plus tard une explication héliocentrique où le Soleil trône au centre de l'univers. Mais il ne sera pas écouté. Au contraire, le géocentrisme sera conforté au deuxième siècle de notre ère par le grand astronome d'Alexandrie, Ptolémée, qui va élaborer un système ingénieux détaillant la manière dont les astres bougent en cercle autour de notre planète immobile.

    La christianisation de l'Empire romain entraîne un recul des connaissances : certains pères de l'Eglise prêchent même que la Terre est plate. D'ailleurs, ils ne négligent pas seulement la science grecque mais aussi la langue dans laquelle elle est écrite. Heureusement, les manuscrits grecs qui avaient trouvé refuge en Orient réapparaissent (traduits en arabe et commentés par des savants musulmans et juifs) dans le monde chrétien, au 12ème siècle par l'intermédiaire notamment de la civilisation musulmane d'Espagne. Les chrétiens recommencent donc à envisager la rotondité de la Terre, suscitant plus tard les grands voyages maritimes qui conduisent à la découverte des Amériques.

    Il aura fallu attendre Copernic au milieu du 16ème siècle pour voir apparaître un système héliocentrique délogeant la Terre du centre du monde. Mais peu de savants s'y intéressent dans une Europe embourbée dans des guerres religieuses depuis la rébellion de Luther. Vers la fin du 16ème siècle, l'Eglise prend conscience que le copernicianisme sape certains fondements de son enseignement. Un grand conflit surgit alors avec Giordano Bruno, brûlé vif à Rome en 1600 pour avoir proféré entre autres l'infinité de l'univers et la pluralité des mondes habités. En 1616, l'Eglise condamne formellement l'héliocentrisme comme doctrine hérétique et exige que Galilée cesse de l'enseigner ; en 1633, elle condamnera ce savant à finir ses jours en résidence surveillée après avoir exposé dans le Dialogue sur les deux plus grands systèmes du monde que la Terre tourne autour de l'univers et non pas l'inverse.

    On doit à Galilée plusieurs découvertes astronomiques révolutionnaires, ainsi que la formulation de la loi de la chute des corps. En outre, il est l'un des rares savants rationnels au début du 17ème siècle. La plupart des autres, y compris le génial Kepler qui nous a donné les lois régissant les déplacements planétaires, utilisent souvent des considérations irrationnelles pour interpréter les événements.

    A l'instar de Galilée, Descartes s'oppose également à l'antique mentalité et élabore un système où chaque phénomène s'explique par une cause mécanique. Pour lui, par exemple, le mouvement des planètes ne résulte pas d'une action à distance du Soleil. Au contraire, elles bougent parce que l'espace est plein d'une substance dénommée « étendue » qui tourbillonne. Les planètes sont emportées par ces tourbillons comme des bouchons sur le courant d'une rivière. Par leur détermination, les cartésiens parviennent non seulement à réduire l'irrationnel en France mais aussi à contrôler la prestigieuse Académie royale des sciences créée en 1666.

    Newton révolutionne en 1687 aussi bien la physique que la vision du monde à son époque en synthétisant les lois terrestres de Galilée et les lois célestes de Kepler. Malgré cette extraordinaire réussite, sa théorie de la gravitation est rejetée aussi bien par les cartésiens que par Leibniz car elle se fonde sur une force attractive à distance qui paraît bien peu rationnelle. Voici le premier sujet de controverse scientifique, qui se soldera au 18ème siècle par la victoire de Newton.

    Aujourd'hui, l'avancée de la science et de la technologie d'observation a permis à l'homme de s'interroger sur le sens véritable de l'univers dans lequel il vit. La découverte de la multitude de systèmes planétaires, a amené les scientifiques à se demander entre autres questions : sommes-nous seuls dans l'univers ? Avons-nous des voisins dans l'espace cosmique ?

    Pour répondre à ces interrogations, la science astronomique devrait au préalable statuer sur l'existence de la vie sur d'autres planètes. Pour certains scientifiques, ce n'est qu'une question de temps. Dans quinze, vingt ou trente ans, des observatoires spatiaux seront disposés en flottille autour de la Terre et leurs faisceaux de lumière se combineront pour obtenir la résolution d'un grand télescope virtuel. Leur objectif est unique : détecter la vie sur les exoplanètes. En théorie, tout est prêt. Les astronomes savent qu'il ne leur sera pas facile de repérer une exoterre noyée dans la lumière de son Soleil - une étoile émet un milliard de fois plus de lumière visible qu'une planète- ni même d'espérer analyser son rayonnement sans grande difficulté. Mais les défis technologiques peuvent être relevés, et même si la barre est haute, elle sera franchie.

    Nonobstant ces espoirs, il faut tout au moins savoir à quoi pourrait ressembler la vie sur une exoterre. Les biologistes, pour qui l'apparition de la vie sur d'autres planètes est beaucoup moins improbable qu'auparavant, s'avouent incapables d'aider les astronomes. Les mécanismes du vivant sont trop complexes et il n'y a pas de modèle capable de faire des prédictions sur ce que l'on pourrait trouver ailleurs. Cette conquête est comme qui dirait, une campagne de pêche dans un océan où l'on n'est pas sûr qu'il, y bougent des poissons.

    Bibliographie Générale

    Allègre, Claude : Un peu de science pour tout le monde, Fayard, Paris, 2003 Aristote : Traité du ciel, Paris, Les Belles Lettres, 1965

    Bogdanov, Igor & Grichka : Avant le Big bang : la création du monde, Grasset, Paris, 2004

    Clavelin, Maurice : La philosophie naturelle de Galilée, Albin Michel, 1996 Diop, Cheikh Anta : Civilisation ou barbarie, Présence Africaine, 1981

    Duhem, Pierre : L'aube du savoir : épitomé du système du monde, Hermann, Paris, 1997

    Ferris, Timothy : Histoire du cosmos de l'antiquité au big bang, HachetteLittérature, Paris, 1992

    Fontenelle, Bernard Le Bouyer : Entretiens sur la pluralité des mondes, GF Flammarion, Paris, 1998

    Galilée : Dialogues et lettres choisies, Hermann, Paris, 1966

    Discours sur deux nouvelles sciences, traduit par Maurice Clavelin, Armand

    colin, 1970

    Greene, Brian : L'univers élégant, Robert Laffont, Paris, 2000

    Kant, Emmanuel : Histoire générale de la nature et traité du ciel, Vrin, 1984 Kepler, Jean : Le secret du monde, Gallimard, Paris, 1993

    Koyré, Alexandre : Du monde clos à l'univers infini, Gallimard, Paris, 1973 Histoire de la pensée, Tomes I & II, Hermann, Paris, 1939

    Kuhn, Thomas. S : La révolution copernicienne, Fayard, Paris, 1973

    (Sous la direction de) Kambouchner, Denis : Notions de philosophie, I, Gallimard « folio essais », 1995

    La Sainte Bible, Traduction de Louis Segond, La Ligue Biblique, 2001

    Laërce, Diogène : Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, Tome II, Gallimard, Paris, 1965

    Lequeux, James : L'univers dévoilé, EDP Sciences, 2005 Platon : Timée et Critias, GF Flammarion, 2001

    Mayor, Michel et Frei, Pierre-yves : Les nouveaux mondes du cosmos : à la découverte des exoplanètes, Seuil, Paris, 2001

    Merleau-Ponty, Jacques : Les trois étapes de la cosmologie, Robert Laffont, Paris,

    1971

    Sur la science cosmologique, EDP Sciences, 2003

    Namer, Emile : L'affaire Galilée, Paris, Gallimard-Julliard, 1975

    Simaan, Arkan : L'image du monde de Newton à Einstein, Vuibert- ADAPT, 2005

    Verdet, Jean Pierre : Une histoire de l'astronomie, Seuil, Paris, 1990

    Magazines

    Ciel & Espace, Juin 2006, « Vie extraterrestre. Ce qu'il faut chercher »

    Ciel & Espace, Hors série 2005, « Astronomes et philosophes 3000 ans de luttes fécondes »






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand