INTRODUCTION
Pourquoi l'homme s'intéresse-t-il au ciel ? Pourquoi
cherche-t-il à connaître la composition de Mars, le nombre
d'étoiles qui forment notre galaxie, l'âge de l'univers ? Il est
difficile de répondre à ces questions, et nombre d'entre nous
renoncent devant ce qui apparaît comme une entreprise trop difficile,
trop éloignée de notre vie quotidienne. Pourtant, le ciel
étoilé attire irrésistiblement l'attention de tout
être humain, aussi bien le plus réticent aux développements
scientifiques, que le plus préoccupé des affaires terrestres. La
tension est inévitable, elle est humaine et se trouve sous des formes
différentes à travers toute l'histoire de l'humanité. On
voit donc par là que la préoccupation astronomique rejoint celle
de l'existence humaine ; au point que l'on peut dire que s'intéresser
à l'astronomie est une autre façon de s'interroger sur le sens de
la vie. D'où, c'est à travers la question du sens de la vie que
l'on peut trouver un lien entre l'astronomie et la philosophie.
Comme cela était de coutume chez Aristote, il est
toujours bon, selon notre avis, d'aborder une science en partant de son
histoire, et l'astronomie en particulier, ancienne science s'il en est. En
effet, la meilleure façon de comprendre l'état actuel de cette
discipline, est de suivre en quelque sorte le progrès de sa logique
depuis ses premiers balbutiements, jusqu'aux idées les plus savamment
élaborées de nos contemporains. En vérité, l'image
du Monde, de ce que nous appelons aujourd'hui l'univers, s'est progressivement
construite, entre dogmes, paradigmes et scepticisme, pas à pas, comme un
édifice à l'architecture superbe, mais si complexe qu'elle risque
d'être tout à fait incompréhensible à qui ne suit
pas ses avatars successifs dans le temps.
Mais avant toute réflexion sur l'univers,
commençons par poser la distinction suivante entre l'univers et le
monde. L'univers peut se définir comme l'ensemble, non pas de tout ce
qui existe, mais de ce que nous voyons se dessiner en perspective dans le ciel.
Quant au monde, il n'est qu'une unité dans l'ensemble de l'univers,
c'est un système de corps unis par les liens d'une attraction mutuelle.
Tel est le système solaire, notre monde, qui se compose d'une
étoile centrale, le Soleil, et d'une foule de petits corps froids, les
planètes et leurs satellites. Comme le note si bien Paul Clavier, «
L'univers nous contient comme de simples objets : nous n'avons pas
directement affaire à lui. Nous n'habitons pas immédiatement
l'univers comme nous habitons le
monde. Nous sommes au monde ; tandis que nous sommes dans
l'univers. Comment dés lors donner à cette idée d'univers
un contenu plus déterminé ? »1
Si l'on regarde l'histoire de la pensée occidentale, on
se rend compte que le développement des sciences aussi bien cosmologique
qu'astronomique a connu trois grandes étapes, chacune marquée par
une image particulière que l'homme se faisait de l'univers. La
première grande étape, particulièrement marquée par
la conception aristotélicienne, a connu son apogée avec les
travaux astronomiques de Ptolémée. En effet selon la conception
aristotélicienne, l'univers était clos, fini et
hiérarchisé. Aristote considérait en fait une organisation
qui était basée sur la Terre qui selon lui était fixe et
immobile, d'où ce dernier plaçait celle-ci au centre de
l'univers. A côté de ce fait caractéristique de la
cosmologie d'Aristote, il faut aussi noter que ce dernier concédait une
division de l'univers en deux mondes séparés l'un et l'autre par
la position de la Lune. Ce qui fait, qu'au dessous de la Lune se trouve le
monde sublunaire caractérisé par le changement et la corruption ;
tandis qu'au dessus de la Lune était le monde supra lunaire
limité par la sphère des étoiles fixes, et
caractérisé par la stabilité et la perfection. C'est cette
conception de l'univers qui va pendant prés de vingt siècles
dominer la science astronomique jusqu'au 16ème
siècle.
Sans entrer dans les détails de l'univers d'Aristote,
on peut souligner le fait que cette conception a influencé la
pensée occidentale dans son aspect le plus profond. En effet, à
la moitié du 16ème siècle, la crise politique
qui sévissait en Europe va entraîner un bouleversement des valeurs
intellectuelles et religieuses qui, par sa profondeur a conduit à la
naissance de nouvelles conceptions aussi bien sur le plan intellectuel que sur
celui de la religion. C'est à cette époque en effet, que vont
naître les doctrines réformistes, telles que celle de Luther et de
Calvin, mais aussi dans le domaine intellectuel, on assiste à la
réhabilitation d'anciennes idées qui vont rivaliser avec
l'aristotélisme : c'est l'époque de la Renaissance.
L'étape de la renaissance n'a en fait épargné aucun
domaine de connaissance. Dans le domaine de l'astronomie, c'est à cette
époque, qu'on a assisté à l'émergence de nouvelles
théories qui, par les conséquences qu'elles ont
entraînées, sont restées sans précédentes. En
effet, en 1543 va paraître dans le domaine de l'astronomie un ouvrage qui
va bouleverser totalement la conception que l'on se faisait de l'univers.
Imprimé à Nuremberg, le livre Des
révolutions des orbes célestes de Copernic va marquer un des
tournants essentiels de la pensée cosmologique moderne. Car avec lui
s'ouvrent les temps
1 Paul Clavier « L'idée d'univers
», in Notions de philosophie I, sous la
direction de Denis Kambouchner, Folio essais, 1995, p32
modernes, non seulement pour l'astronomie, mais aussi pour la
philosophie. Dans le dixième chapitre de l'ouvrage, Copernic
présente l'ordre nouveau de l'univers qu'il propose. Au centre du
système, centre aussi du monde, se tient le Soleil, astre fixe
entouré des orbes solides lesquels emportent les planètes dans
leur révolution. Copernic y montre que la Terre, mobile, tourne sur
elle-même en vingt-quatre heures et, prenant rang parmi les
planètes, elle parcourt en un an sa trajectoire autour de
l'écliptique. Cependant, comme dans l'univers d'Aristote, le nouvel
univers de Copernic est limité par la sphère des étoiles
fixes, sphère qui selon Copernic est immobile.
La nouvelle image de l'univers proposée par Copernic,
va très tôt soulever des interrogations qui vont très vite
dépasser les préoccupations cosmologiques. La plus fondamentale
de ces questions est celle de la décentralisation de la Terre. En effet,
en ôtant la Terre de la place centrale qui lui était
assignée, la conception cosmologique de Copernic ouvrait un débat
dont les conséquences tournaient non seulement autour de l'idée
que l'homme se faisait de sa propre existence, mais aussi de la relation que ce
dernier entretenait avec l'univers et Dieu.
Car si l'homme n'est géographiquement plus au centre de
l'univers, comment peut-on expliquer le fait que ce dernier se considère
comme étant au centre de la création ? En plus, si la Terre est
ontologiquement semblable aux autres planètes, ne serait-il pas
légitime de croire à l'existence d'une multiplicité de
mondes identiques au nôtre. Toutes ces questions qui transcendent la
révolution amorcée par Copernic, vont au cours des siècles
qui vont succéder à la révolution copernicienne, trouver
plusieurs intérêts.
Comme pour la première étape, nous n'allons pas
ici souligner toutes les conséquences de la révolution
copernicienne. C'est ainsi que nous allons sans outre mesure, passer à
la troisième grande révolution de la cosmologie qui, a vu
naître l'univers du big bang. En effet, parti des travaux de
Lemaître et de Friedmann, l'univers du big bang tout en concédant
une illimitation à l'univers, souligne que celui-ci est né d'une
explosion initiale à partir de laquelle l'univers a évolué
en engendrant sur son passage les différentes formes ; allant de la
formation des étoiles et galaxies à celle des planètes, et
de l'apparition de la vie à l'émergence de l'homme et de la
conscience. Comme pour les deux révolutions qui ont été
décrites ci-dessus, l'univers du big bang pose en lui-même des
interrogations qui ne sont pas seulement propre à la cosmologie.
Dans la dernière décennie du
20ème siècle, les développements de la
recherche astronomique nous ont entraînés vers la
découverte des exoplanètes. Depuis la première
réalisée en 1992, on s'est rendu compte désormais que le
phénomène de la formation des systèmes solaires n'est
pas
seulement propre à notre galaxie. Ce dernier constitue
un fait universel, dans la mesure qu'il est inhérent à la nature
elle-même : donc relevant des lois du cosmos. Or, tenons-nous bien,
l'existence de ces exoplanètes, de nos jours indubitables, tout en
ouvrant le débat jadis posé de l'hypothèse de la vie
extraterrestre, bouscule dans une certaine mesure le statut
privilégié de l'homme ; c'est-à-dire un être au
centre de la biosphère.
Même si avec les instruments disponibles de nos jours,
il n'est pas possible de découvrir des planètes semblables
à la Terre, rien ne nous dit que dans l'avenir la technologie
d'observation ne nous permettra pas de découvrir des traces de vie dans
un autre système solaire. C'est au regard de toutes ces interrogations
philosophiques et métaphysiques que pourraient soulever les
progrès ultérieurs de la science, que nous avons choisi cette
esquisse de recherche.
C'est ainsi que dans le souci d'une élucidation de
notre propos, nous nous sommes proposé de traiter ce sujet en deux
grands axes ? La première partie essentiellement consacrée
à la science classique, va montrer comment à partir de la
cosmologie d'Aristote, la révolution copernicienne va remodeler l'image
que l'homme s'est fait de l'univers. Dans la deuxième partie axée
sur l'univers du big bang, nous allons discuter des diverses questions que
soulèvent les progrès scientifiques du 20ème
siècle. De ces questions vont figurer par exemple l'interrogation sur
l'origine de l'univers, ainsi que l'hypothèse des autres mondes.
Premiere Partie

LA SCIENCE CLASSIQUE : le déclin du cosmos
Avant d'aborder cette première partie qui porte
essentiellement sur la révolution copernicienne, nous allons, pour mieux
décrypter les enjeux que comporte cet événement
historique, faire un bref rappel de la conception de l'univers d'Aristote ; car
c'est contre ce dernier que s'insurge le De revolutionibus orbium
caelestium de Copernic. Selon Aristote en effet, tout l'univers est
contenu à l'intérieur de la sphère des étoiles
fixes, sphère qui selon lui limite l'univers. Aristote
considérait l'univers comme un tout plein, en ce sens qu'en chaque point
contenu à l'intérieur de la sphère, il y avait de la
matière, d'où le vide n'existe pas dans l'univers. Par ailleurs,
c'est parce que l'univers est limité par la sphère des
étoiles fixes, qu'Aristote croyait que rien ne pouvait exister à
l'extérieur de cette sphère, donc il n'y a ni matière, ni
espace, en un mot rien du tout. Car pour Aristote, matière et espace
vont de pair, ce sont les deux aspects d'une même réalité,
d'où la notion même de vide est absurde. C'est en effet par ces
principes de base, qu'Aristote supposait à la fois la finitude de
l'univers ainsi que son unicité.
Dés lors, il est donc absurde de l'avis d'Aristote de
se demander, qu'est-ce qui limite les frontières qui, elles-mêmes
closent l'univers ? De même, il est aussi insensé de se poser la
question de savoir qu'est-ce qui existe à l'extérieur de la
sphère des étoiles fixes ? La réponse qui reste la seule
valable est celle qui consiste à dire, que rien n'existe en dehors de
l'univers, parce que tout ce qui existe est contenu à l'intérieur
de l'univers. C'est en rapport à toutes ces considérations
qu'Aristote soutient dans son traité Du ciel : « ...Il est
manifeste que nulle masse corporelle ne se trouve hors du ciel ni ne peut y
naître. La totalité du monde est composée de toute la
matière qui lui est propre...Il en découle qu'actuellement il
n'existe pas de cieux multiples, qu'il n'y en a jamais eu et qu'il n'y en aura
jamais ; notre ciel est, au contraire, un, unique et parfait. En même
temps, il est clair qu'il n'y a ni lieu ni vide hors du ciel. Le vide est,
d'après la définition vulgaire, l'endroit où il n'y a pas
de corps, mais où il peut en exister un. »1 On voit ainsi, que
l'univers des anciens est un ensemble clos, ordonné et bien
hiérarchisé.
Par ailleurs, il faut noter que le système cosmologique
d'Aristote était centré autour de la Terre, qui était
aussi le centre de l'univers. Dans ce système au caractère
géocentrique, il faut dire qu'Aristote n'attribuait pas à la
terre les caractéristiques propres aux planètes ; qui
d'après la définition gréco latine sont des corps
vagabonds. Or, la Terre du fait de son immobilité ne peut pas selon
Aristote être définie comme une planète. C'est ainsi que
selon le géocentrisme
1 Aristote, cité par Thomas S Kuhn, in La
révolution copernicienne, Paris, Fayard, 1973, p 90
d'Aristote, le système de l'univers sera
constitué comme suit : la Terre au centre après elle vient, la
Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne. Aristote
considérait donc la Lune et le Soleil comme des planètes.
Toutefois, même s'il est vrai que ce modèle
d'univers était du reste cohérent dans ses principes, il n'en
demeure pas moins que ce dernier comportait des imperfections au regard des
faits de l'observation. C'est cette inadéquation entre les principes
astronomiques et la réalité, qui va précisément
entraîner la révolution copernicienne dont nous allons parler sans
plus tarder.
Section 1 / Copernic : de l'univers infini à
l'héliocentrisme
L'histoire de la pensée philosophique et scientifique
des 16ème et 17ème siècles,
était si étroitement liée qu'on ne peut pas, si l'on veut
les comprendre, les séparer l'une de l'autre. En effet, la
révolution conceptuelle dont la science classique est à la fois
la racine et le fruit, résulte en réalité de la
révolution spirituelle que l'esprit humain, ou tout au moins l'esprit
européen a subie. Cette révolution qui nous a conduit des mondes
géocentrique (des grecs) et anthropocentrique (du Moyen-Âge), au
monde héliocentrique des modernes, ne résulte pas du fait de
simples découvertes scientifiques. Ce renversement fait suite à
une concomitance d'événements en vertu desquels, l'homme a perdu
sa place dans le monde ou, plus exactement peut-être, a perdu le monde
même qui formait le cadre de son existence et l'objet de son savoir, et a
dû transformer et remplacer non seulement ses conceptions fondamentales,
mais aussi les structures mêmes de sa pensée.
En effet, l'établissement de la conception
héliocentrique de l'univers, se pose dans une suite de
révolutions parmi lesquelles l'affirmation de l'infinité de
l'univers occupe une place particulière. Comme le sont plusieurs de nos
conceptions scientifiques, l'origine de la conception de l'infinité de
l'univers se trouve chez les grecs. Bien avant la révolution du
17ème siècle les grecs, plus particulièrement
les atomistes, avaient développé des théories
cosmogoniques qui posaient l'infinitisation de l'univers. Mais c'est avec
Nicolas de Cues, que cette doctrine sera prise au sérieux. Cet homme
d'Eglise, est en fait le dernier grand philosophe de la fin du Moyenâge
à avoir rejeté la conception médiévale du cosmos
fini, qui selon lui ne coïncidait pas avec l'idée d'un Dieu
infini.
La conception de l'univers établie par Nicolas de Cues,
n'est pas contrairement à ce que l'on serait tenté de croire,
fondée sur une critique des théories astronomiques ou
cosmologiques de son temps ; d'où selon la visée de sa
pensée cette conception ne mène pas à une
révolution scientifique. En effet pour établir sa doctrine,
Nicolas de Cues va fonder son argumentation métaphysique et
épistémologique, autour de la notion de « coïncidence
des opposés » dans l'absolu qui les absorbe et les dépasse.
C'est de là qu'il déduit le concept corrélatif de la
Docte Ignorance qui est en fait, l'acte intellectuel qui saisit le
rapport qui transcende la pensée discursive et rationnelle. Dés
lors, le Cusain développe suivant sa logique un paradigme basé
sur les paradoxes mathématiques qui impliquent l'infinitisation à
certains caractères valables pour des objets finis. Il utilisera pour
illustrer son argumentation, des concepts tels que la droite et la courbe.
Comme on le sait, rien n'est plus opposé que ces deux notions. Pourtant
dans le cercle infiniment grand, la droite coïncide avec la
circonférence, comme dans le cercle infiniment petit, le diamètre
coïncide avec la circonférence. D'où les notions de «
grand » et de « petit » sont des opposés qui n'ont de
sens que dans le domaine de la quantité finie, celui de l'être
relatif, où il n'y a pas d'objets réellement grands ou petits ;
mais seulement des objets plus grands ou plus petits.
L'autre exemple choisi par Nicolas de Cues, se trouve dans le
domaine de la cinématique. Dans ce domaine aussi rien n'est plus
opposé que le mouvement et le repos. Pourtant Nicolas de Cues montre que
dans le mouvement à vitesse infinie le long d'une voie circulaire, un
corps se trouve à la fois à son point de départ et partout
ailleurs ; d'où la preuve que le mouvement est un concept relatif, qui
embrasse les opposés du « rapide » et du « lent ».
Il n'y a donc ni minimum absolu, ni maximum absolu, comme il n'y a de mouvement
qui soit le plus rapide ou le plus lent. Ce qui veut dire que la vitesse
absolue et la lenteur absolue coïncident. « Ce pourquoi, si nous
considérons les divers mouvements des orbes [célestes], [nous
voyons] qu'il est impossible que la machine du monde ait un centre fixe et
immobile, que se soit cette terre sensible, ou l'air, ou le feu, ou n'importe
quoi d'autre. Car, dans le mouvement, on n'arrive pas au minimum absolu,
c'est-à-dire, à un centre fixe, vu que le minimum doit
nécessairement coïncider avec le maximum. »1
Dés lors, Nicolas de Cues va déduire de cette
argumentation, que le centre du monde coïncide avec la
circonférence ; il est la même chose que sa circonférence,
c'est-à-dire commencement et fin, fondement et limite ; d'où ce
centre n'est rien d'autre que l'être absolu ou Dieu. Par là, on
1 Nicolas de Cues, cité par Alexandre
Koyré, in Du monde clos à l'univers infini, Gallimard,
1973, p 23
constate que le centre de l'univers reste purement
métaphysique ; il n'est en aucune manière physique, il
n'appartient donc pas au monde. De là, Nicolas de Cues va substituer
à l'univers fini d'Aristote, un univers infini sans centre fixe. Dans
cet univers, toutes les sphères y comprise celle des étoiles
fixes, accomplissent leur révolution autour d'axes qui
perpétuellement changent leurs positions. Ainsi, le Cusain affirmera que
la Terre se meut, mais d'un mouvement plus lent que celui des autres astres. En
résumé, nous pouvons affirmer que selon Nicolas de Cues, le monde
physique, même s'il est limité par la sphère des
étoiles fixes, n'est néanmoins pas fini étant donné
que celui-ci coïncide avec Dieu. L'univers est donc infini, car il est
absorbé par l'infinité divine qui l'a engendré.
Même si Nicolas de Cues, n'a pas réellement
ébranlé le géocentrisme ni même la finitude de
l'univers aristotélicien, il a tout au moins pris part à la
révolution copernicienne pour y avoir participé à tracer
les voies directrices.
Par ailleurs, la réhabilitation par la Renaissance du
platonisme va, à travers l'Âme du monde dont parlait Platon dans
le Timée, voir à travers le Soleil la source de tous les
principes vitaux propres aux êtres de l'univers. De là, le Soleil
va représenter pour les philosophes de la Renaissance, ce que les
Mathématiques représentaient pour Platon : l'Archétype de
tous les êtres. Pour les néoplatoniciens donc, la nature sensible
a existé par le dédoublement de l'Âme du monde, qui par sa
puissance a donné forme à toutes sortes d'existences. C'est ce
même dédoublement des êtres qui, chez Platon, justifie le
recours aux mathématiques pour connaître le monde réel dans
la mesure où celui-ci est une copie imparfaite du monde intelligible.
Car nous dit Platon, lorsque le Démiurge façonna le monde, il le
fit les yeux fixés sur les structures mathématiques qui en sont
les modèles. C'est par analogie à cela que l'époque de la
Renaissance identifiait dans l'univers matériel, l'Âme du monde
à l'image du Soleil dont les émanations procurent la
lumière et la chaleur qui sont aussi importantes que nécessaires
pour la fertilité des êtres. On retrouve cette identification
symbolique de Dieu au Soleil, dans l'oeuvre de Marcile Ficin selon qui, rien ne
révèle plus pleinement la nature du Bien qui est Dieu que la
lumière du Soleil. Ce symbolisme va se traduire en un culte animiste
voué au Soleil. Ce dernier sera si répandu qu'il hantera
même les esprits de certains scientifiques.
Copernic lui-même, lorsqu'il discuta de la nouvelle
position que son système assigne au Soleil, va, dans l'allusion qu'il
fit au caractère plus judicieux de sa cosmologie, s'exprimer en des
termes similaires à ceux de Ficin. En effet le Chanoine écrit :
« Et au milieu de tous repose le
Soleil. En effet, dans ce temple splendide, qui donc
poserait ce luminaire en un lieu autre et meilleur, que celui d'où il
peut éclairer tout à la fois ? Or, en vérité, ce
n'est pas improprement que certains l'ont appelé la prunelle du monde,
d'autres Esprit du monde, d'autres enfin son recteur. Trismégiste
l'appelle Dieu visible, l'Electra de Sophocle, l'Omnivoyant c'est ainsi, en
effet, que le Soleil, comme reposant sur le trône royal, gouverne la
famille des astres qui l'entourent. »1.
Même si par son système héliocentrique
Copernic se démarque du géocentrisme d'Aristote
Ptolémée, il faut noter que son univers n'est pas trop
différent de l'univers aristotélicien ; car à l'instar de
l'univers d'Aristote, l'univers de Copernic est lui aussi limité par la
sphère des étoiles fixes. La différence majeure que
recouvre l'héliocentrisme de Copernic par rapport au géocentrisme
d'Aristote, c'est que Copernic assigne au Soleil les fonctions jadis
attribuées à la Terre : à savoir l'immobilité et la
position centrale. La Terre sera reléguée au rang des
planètes, et à l'image de celles-ci, elle tourne autour du
Soleil. Copernic attribue à la Terre trois mouvements circulaires
simultanés : une rotation journalière autour de son axe, une
révolution annuelle autour du Soleil, et un mouvement conique annuel de
son axe, responsable de la variation de saisons.
Le nouveau système héliocentrique, même
s'il reste imparfait, permet tout au moins aux astronomes de résoudre
certaines difficultés liées à l'observation des mouvements
rétrogrades de certaines planètes. Copernic va dés lors
compter dans son système six planètes, desquelles il va exclure
la lune qui en fait ne tourne pas autour du Soleil. On a donc pour la nouvelle
structure de l'univers : le Soleil au centre après lequel vient,
Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne et enfin les
étoiles fixes.
Après la publication de De revolutionibus
en1543, beaucoup d'astronomes vont voir dans les travaux de Copernic la
vérité susceptible de hisser l'astronomie à un niveau
beaucoup plus cohérent et beaucoup plus proche de la
réalité. En effet, les développements mathématiques
que Copernic va y faire ont convaincu la communauté scientifique de
l'époque de la nouvelle voie que Copernic voulut tracer à
l'astronomie. Car même ceux qui n'étaient pas d'accord avec
Copernic, que c'est la Terre qui est en mouvement plutôt que le soleil,
reconnaissaient que la méthode de Copernic était plus apte
à montrer l'harmonie et l'élégance des
phénomènes. Bientôt
1 Cité par Thomas S Kuhn, in La
révolution copernicienne, Fayard, 1973, p 151
la réfutation de l'oeuvre de Copernic, ne tournera plus
autour des arguments scientifiques qui y sont développés, mais
sur les dogmes philosophiques et religieux que celle-ci menaçait de
mettre en branle. C'est dans cette logique que l'on retrouve les arguments
défendus par Luther dans ses Tischreden. En effet Luther
écrit : « Certains ont prêté attention à un
astrologue parvenu qui s'efforce de montrer que c'est la Terre qui tourne et
non le ciel ou le firmament, le soleil et la lune... Ce fou souhaite renverser
toute la science de l'astronomie ; mais l'écriture sainte nous dit
(Josué X, 13) que Josué commanda au soleil de s'arrêter et
non à la Terre. »1
Dix ans après les Tischreden, un autre
luthérien du nom de Mélanchton va se joindre à la clameur
montante des protestants contre Copernic. En effet dans son ouvrage
intitulé Initia doctrinae physicae publié en 1549,
Mélanchton soutient avec force, « Les yeux sont témoins
de la révolution du ciel en l'espace de vingt-quatre heures. Mais
certains, par amour de la nouveauté, ou pour faire montre
d'ingéniosité en ont inféré que la terre se meut ;
et ils soutiennent que ni la huitième sphère ni le soleil ne
tourne... Dés lors, c'est un manque d'honnêteté et de
décence que de soutenir publiquement de telles idées et l'exemple
est pernicieux. Un esprit juste se doit d'admettre la vérité
révélée par Dieu et de s'y soumettre. »2
Nonobstant les menaces qui, la plus part, restent implicites,
la montée du copernicianisme ne cessera de faire ses effets dans les
cercles intellectuels ; de là les hommes d'Eglise vont pour contenir les
idées de Copernic faire désormais recours à certains
passages de l'Ancien testament. A cet effet, le même Mélanchton va
prendre à témoin les célèbres versets de
l'Ecclésiaste (I, 4-5) où il est noté que,
« La Terre à perpétuité subsiste ; [...] Le
Soleil s'est levé, le Soleil s'est couché et vers son lieu il
halète ; il se lève là ». De là,
Mélanchton suggère que des mesures sévères soient
prises à l'encontre de ce qu'il considérait comme, une
impiété débordante des coperniciens.
Quelques années après les Luthériens,
Calvin, l'autre réformiste protestant va dans son Commentaire de la
Genèse, s'appuyer sur le premier verset du 93ème
psaume et dire : « Le monde est stable, inébranlable !
». Il continue son texte et se demande : « Qui se
hasarderait à placer l'autorité de Copernic au-dessus de celle du
Saint-Esprit ? ». C'est ainsi que de plus en plus, le recours aux
textes bibliques devint une coutume dans l'argumentation contre Copernic. Ce
qui conduit, dans les premières décennies du
17ème siècle, à traiter les coperniciens
d'infidèles et d'athées ; d'où en 1610 l'Eglise catholique
se joignit officiellement à la bataille contre le
1 Cité par Thomas Kuhn in La
révolution copernicienne, Fayard, 1973, p. 228.
2 Ibid, pp 228-229.
copernicianisme, en considérant cette doctrine comme
une pure hérésie. Et en 1616 (année de la condamnation de
Galilée), le De revolutionibus ainsi que tous les ouvrages qui
affirment explicitement le mouvement de la Terre furent mis à l'index.
Il fut ainsi interdit aux Catholiques d'enseigner et même de lire les
théories coperniciennes, sauf dans les versions expurgées de
toute référence à une Terre en mouvement et à un
Soleil central.
Voici donc, comment fut combattu le copernisme. Ce combat ne
portait pas sur la vérification des hypothèses, mais plutôt
sur la croyance aveugle à un dogme ancien et fort. Car, les
détracteurs de Copernic avaient compris que la révolution
copernicienne n'était pas seulement une mise en translation du centre de
l'univers, mais aussi et surtout une négation en puissance de tout un
système de pensée. Car, comme on le sait, la vie
chrétienne et la morale qui la sous-tend, ne s'adaptent pas
aisément à un univers où la Terre n'est qu'une simple
planète parmi tant d'autres ; d'où l'on se rend compte que la
cosmologie, la morale et la théologie avaient longtemps
été liées à la pensée chrétienne
traditionnelle. Tous formaient ensemble un système où, lorsqu'un
élément change, il entraîne irrémédiablement
l'inadaptation et l'ébranlement du Tout cohérent.
Ce fait a été manifeste, lorsque quelques
décennies plutard la théorie de Copernic fut prise au
sérieux. Elle causa d'énormes problèmes aux
chrétiens car se disait-on : « Si, par exemple, la Terre
n'était que l'une des six planètes, qu'allait donc devenir
l'histoire de la chute et du Salut, et son immense importance dans la vie
chrétienne ? S'il y avait d'autres corps célestes semblables
à la Terre, la bonté de Dieu voudrait sûrement qu'ils
fussent eux aussi habités. Mais s'il existait des hommes sur d'autres
planètes, comment pouvaient-ils descendre d'Adam et d'Eve et comment
auraient-ils pu hériter du péché originel qui explique le
travail, autrement incompréhensible, de l'homme sur une Terre faite pour
lui par une divinité bonne et omnipotente ? Ou encore, si la Terre est
une planète, et par conséquent un corps céleste
situé hors du centre de l'univers, que devient la position
intermédiaire, mais centrale, de l'homme entre les démons et les
anges ? Si la Terre en tant que planète, participe de la nature des
corps célestes, elle ne peut être un gouffre d'iniquité
dont l'homme attend patiemment de s'évader pour rejoindre la divine
pureté des cieux. Et les cieux ne peuvent non plus être un
séjour convenable pour Dieu s'ils participent aux maux et aux
imperfections si clairement visibles sur une Terre planétaire. Et, pire
que tout, si l'univers est infini, comme beaucoup de coperniciens le pensaient,
où donc le trône de Dieu peut-il être situé ? Comment
dans un univers infini, l'homme et Dieu allaient-ils se retrouver ?
»1
1 Thomas. S. Kuhn, La révolution copernicienne,
Fayard, 1973, p 230
On voit donc que la théorie de Copernic a, tout en
transformant la façon dont l'homme entretenait sa relation avec Dieu,
bouleversé du même coup les bases de la morale chrétienne.
Cependant, étant donné que Copernic malgré son innovation,
s'était basé sur les observations disponibles à son temps,
observations qui étaient quasiment identiques à celles
utilisées par Ptolémée dans l'Almageste, la
révolution ne pouvait se faire en un jour ; d'où la
nécessité de nouvelles observations beaucoup plus concluantes,
afin de rendre effectif le changement. C'est la tâche que vont se donner
les successeurs de Copernic parmi lesquels on peut noter, Tycho Brahé,
Kepler, Descartes, Galilée jusqu'à Newton qui, va parachever le
système avec sa théorie mécaniste de la Gravitation
universelle.
Section 2/ Newton : l'univers mécanique.
Avant de voir l'achèvement par Newton de la
révolution copernicienne, il est important, comme dans toute
étude historique, de montrer l'apport que les
prédécesseurs de Newton ont apporté au grand
événement qu'est la découverte de la théorie de la
gravitation universelle. Parmi ces derniers il faut d'abord noter la prestation
du Danois Tycho Brahé qui est en fait le successeur le plus proche de
Copernic.
Ayant vécu de 1546 à 1601, Tycho Brahé
est reconnu comme l'autorité astronomique la plus éminente de la
seconde moitié du 16ème siècle. En effet,
malgré son génie et ses travaux révolutionnaires, Tycho
Brahé est resté un esprit classique. Comme on le sait,
Brahé n'est pas de ceux qui postulaient à la suite de Copernic,
le mouvement de la Terre. Ce dernier réfuta l'idée du mouvement
de la Terre, parce que selon lui la Terre est non seulement au centre de
l'univers, mais en plus, celle-ci est immobile.
Toutefois, malgré sa croyance à
l'immobilité de la Terre, Tycho Brahé concevait un système
d'univers qui, par sa structuration diffère aussi bien de celui de
Ptolémée que de l'univers copernicien. En effet dans le
système « tychonien », la Terre est de nouveau au centre d'une
sphère stellaire en rotation, où la Lune et le Soleil sont en
mouvement sur les mêmes orbites que ceux que leur assignait le
système de Ptolémée (autour de la Terre). Toutefois les
autres planètes sont fixées sur des épicycles dont le
centre commun est le Soleil.
A y regarder de prés, on voit que le système
tychonien n'est pas trop différent du système copernicien. Car en
ignorant les épicycles mineurs et les excentriques qui n'interviennent
pas dans les harmonies du système de Copernic, on peut transformer le
système tychonien en système copernicien en gardant simplement
fixe le Soleil au lieu de la Terre ; et cela parce que dans les deux
systèmes, les mouvements relatifs des planètes sont les
mêmes. Seul le mouvement parallactique des étoiles marque la
différence entre les deux systèmes, or celui-ci disparaît
si on étend considérablement la sphère des
étoiles.
Mais dés ses débuts, le système de
Brahé n'a pas convaincu beaucoup d'astronomes parce qu'il est
très difficile d'imaginer le mécanisme physique par lequel
pourraient se produire les mouvements préconisés par Brahé
; dés lors que le centre géométrique de l'univers n'est
plus le centre de la plus part des mouvements célestes.
Si ce système n'a pas convaincu les astronomes
néoplatoniciens qui, comme Kepler, avaient été
attirés par la grande symétrie que décrit le
système de Copernic ; il a néanmoins reçu un accueil
favorable chez beaucoup d'astronomes non coperniciens qui, tout en voulant
conserver les avantages mathématiques du système de Copernic,
trouvaient la nécessité de supprimer tous les
inconvénients physiques, cosmologiques et surtout théologiques
auxquels le système de Copernic pouvait occasionner. D'où l'on
peut dire, que le système de Brahé permettait d'établir un
compromis entre la tradition dépassée de Ptolémée
et la modernité de Copernic très peut coopérante.
Par ailleurs le nom de Tycho Brahé reste attaché
à l'histoire de l'astronomie, pour les différentes observations
que ce seigneur danois apporta dans ce domaine. En effet, si Copernic a
jeté le discrédit dans le géocentrisme
d'Aristote-Ptolémée, ce sera vraiment à Tycho Brahé
de mettre de l'eau dans le moulin de la cosmologie aristotélicienne. En
effet comme nous l'avons déjà souligné, la cosmologie
d'Aristote a pendant longtemps fondé sa caractéristique sur la
dichotomie établie au sein de l'univers. Cette dernière marque la
distinction de deux mondes fondamentalement caractérisés par leur
différence de nature, dans la mesure où l'un est changeant et
corruptible tandis que l'autre reste inchangeant, éternel et toujours
identique à lui-même. C'est Aristote lui-même qui notait
dans son Traité du ciel que, « Dans toute
l'étendu du passé, si l'on en croit les souvenirs que les hommes
se sont transmis les uns aux autres, aucun changement n'a été
constaté ni dans le dernier ciel considéré dans son
ensemble, ni dans aucune des parties qui lui sont propres.
»1 Cette absence de souvenirs d'aucun changement dans le
monde céleste, amena Aristote à déduire
1 Aristote, Traité du ciel, Paris, Les
Belles Lettres, traduction Paul Moraux, 1965, livre I p 9
l'éternité de ce dernier et son
incorruptibilité. C'est ce qui justifie le fait que du temps d'Aristote,
l'apparition des météorites et des comètes était
située sous la Lune ; et ces derniers étaient
considérés comme des messagères désastreuses, du
latin « disastro », qui signifie né sous une mauvaise
étoile. Ce qui amena Aristote à faire de la
météorologie l'étude du temps qu'il fait.
Mais en 1572 précisément le 11 novembre, Tycho
Brahé observe dans l'espace céleste l'apparition d'une
lumière brillante en un lieu où jamais on n'avait observé
la présence d'une étoile. Il déduit de ce
phénomène qu'une nouvelle étoile venait de naître.
Or, si ce phénomène restait pour lui, la naissance effective
d'une Stella nova, le postulat aristotélicien de
l'immobilité des cieux devenait du coup caduc. D'où le monde
céleste serait à l'image du monde terrestre soumis au changement.
Tycho Brahé donne les preuves de la naissance de cette nouvelle
étoile en soutenant : « Qu'elle ne soit ni dans l'orbite de
Saturne [...] ni dans celle de Jupiter, ni dans celle de Mars, ni dans celle
d'aucune autre planète, cela est donc évident, puisque,
après un délai de plusieurs mois, son propre mouvement ne l'a pas
fait progresser d'une minute de l'endroit où je l'ai vue la
première fois, ce quelle aurait dû faire si elle se trouvait dans
une orbite planétaire. [...] Cette nouvelle étoile n'est donc
située ni [...] en dessous de la Lune, ni dans les orbites des sept
astres errants, mais dans la huitième sphère, parmi d'autres
astres fixes. »1
Cette preuve va remettre de l'eau dans le navire de la
cosmologie d'Aristote, qui désormais, va très mal, et sonner le
glas du postulat de l'immuabilité céleste. Il se passe donc
incontestablement quelque chose de neuf sous le Soleil, mais aussi
au-dessus.
Mais étant donné que changer d'habitudes n'a
jamais été chose facile, beaucoup de ceux qui défendaient
encore l'idée d'Aristote refusèrent de croire, en affirmant que
ce nouveau corps observé est situé, non pas dans le monde
supralunaire, mais plutôt dans celui qui est au-dessous de la Lune.
Cependant cinq ans après l'apparition de la Stella nova, Tycho
Brahé va apporter de nouvelles preuves des changements dans le monde
supralunaire. Car à partir de 1577, il fera une succession
d'observations de comètes qui traversent les fameuses sphères
d'Aristote (1577, 1580, 1585, 1590, 1593 et 1596). Ces différentes
découvertes vont permettre aux successeurs de Tycho Brahé, de
rompre définitivement avec la tradition aristotélicienne.
D'où il s'agira de construire un nouveau terrain intellectuel, où
les différentes observations pourront trouver une explication
cohérente.
1 Cité par Timothy Ferris, Histoire du
cosmos de l'antiquité au big bang, Hachette Littératures,
1992, p 72
Après Tycho Brahé, son assistant du nom de
Johanus Kepler (1571-1630) va pousser ou plus précisément,
traduire en théories les observations de son maître, qui
n'était en fait qu'un piètre théoricien.
Comme on le sait l'univers héliocentrique de Copernic
n'a pas tout au début résolu le problème du mouvement des
planètes. En effet, malgré la transposition, faite par Copernic,
du centre de l'univers de la Terre au Soleil, l'astronomie n'avait pas pu
écarter totalement les idées de Ptolémée dans
l'explication du mouvement des planètes. En rappel, nous devons retenir
que face à ce problème, Copernic lui-même s'était
servi des épicycles, des excentriques et des équants (concepts
que l'on doit à Ptolémée) pour résoudre les
apparences que l'on constate dans l'observation. Ce recours à ces
concepts, était en fait ce qui indignait Kepler qui, on le sait,
était convaincu que, la décentralisation de la Terre et la
centralisation du Soleil étaient en mesure de résoudre
définitivement le problème des planètes. C'est ainsi que
dans son ouvrage intitulé L'Astronomie nouvelle
(1609), Kepler, faisant recours aux seules méthodes mathématiques
développées dans le De revolutionibus de Copernic, tente
de résoudre le problème des planètes, et cette fois-ci en
l'abordant sous un autre angle.
En effet, Kepler remarque qu'en remplaçant les orbites
des planètes par des figures géométriques en formes
d'ovale, les désaccords avec l'observation variaient suivant un ordre
mathématique. De là, il se mit à étudier la
régularité des désaccords. Il découvrit que l'on
pouvait réconcilier la théorie de l'héliocentrisme avec
les observations du mouvement des planètes, si celles-ci se
déplaçaient sur des orbites elliptiques avec une vitesse variable
régie par une loi simple. C'est à partir de ce moment que
l'astronome allemand établit deux lois qui constituaient la solution
finale au problème des planètes. Ces lois stipulent pour la
première que « les planètes se déplacent suivant
des ellipses dont le Soleil occupe l'un des deux foyers ». La seconde
loi quant à elle, complète la description contenue dans la
première. En effet, cette dernière montre que « la
vitesse orbitale de chaque planète varie de telle sorte qu'une droite
qui relie la planète au soleil balaie, dans l'ellipse, des aires
égales en des temps égaux ».
A partir de ces deux lois, on constate dans l'observation que
« Lorsqu'on substitue les ellipses aux orbites circulaires de base
commune à l'astronomie de Ptolémée et à celle de
Copernic, et la loi des aires à la loi du mouvement uniforme autour du
centre ou d'un point situé prés du centre, on voit
disparaître la nécessité des excentriques, des
épicycles, des équants et des autres éléments ad
hoc, autrefois introduit dans la théorie par les
prédécesseurs de Kepler. Pour la première fois,
une
courbe géométrique simple et une loi de vitesse
unique était suffisante pour prédire les positions des
planètes ; pour la première fois, les prévisions
étaient en accord précis avec les observations. »1
C'est ainsi que Kepler rendit l'astronomie héliocentrique viable,
avec six ellipses qui révèlent tout à la fois
l'économie et la richesse implicite de l'innovation introduite par
Copernic.
Kepler n'a abouti à cette découverte que parce
qu'il a, contrairement à Copernic, traité la Terre comme une
simple planète, d'où il faisait passer le plan de toutes les
orbites par le centre du Soleil. En plus de ce fait, il faut dire que Kepler,
en tant que néoplatonicien convaincu, croyait fermement que les lois
mathématiques simples sont à la base de tous les
phénomènes naturels et que le soleil est la cause physique de
tous les mouvements célestes. En fait, à l'instar de bon nombre
de néoplatoniciens de son temps, Kepler, était convaincu que le
Soleil jouait un rôle important dans le mouvement des planètes ;
d'où il décrivait celui-ci comme, le corps qui, seul,
paraît propre, en vertu de sa dignité et de sa puissance à
faire mouvoir les planètes sur leurs orbites, et digne de devenir le
séjour de Dieu lui-même, pour ne pas dire du Premier moteur.
Par ailleurs, Kepler croyait aussi que les planètes
sont poussées sur leurs orbites par les rayons d'une force motrice,
qu'il nomma l'anima motrix, qui elle-même émane du
Soleil. Ces rayons dont il croyait limités au plan de
l'écliptique dans lequel toutes les planètes se meuvent, devaient
propulser les planètes en fonction de leur position par rapport au
Soleil. Il en déduit donc que le nombre de rayons solaires qui
touchaient, une planète et la force correspondante qui la propulsait
autour du Soleil, diminuaient à mesure qu'augmentait la distance de la
planète au Soleil. D'où il conclut que, lorsque la distance de la
planète au Soleil doublait, il y aurait deux fois de rayons de
l'anima motrix qui toucheraient la planète, et la vitesse
orbitale diminuerait de moitié.
On voit donc que Kepler avait presque au bout des doigts, la
solution du mouvement des planètes. Mais comme il n'a pas su aller
jusqu'au bout de ses idées, ce sera à un autre astronome, cette
fois-ci un Anglais, que la Nature révélera ses secrets. Nous
voulons ici parler de Newton. Mais avant d'arriver à Newton,
arrêtons-nous un tout petit peu sur son prédécesseur
Galilée, qui lui aussi a participé à l'effondrement du
cosmos d'Aristote Ptolémée.
Comme il a été pour Kepler, le nom de
Galilée ne rentrera dans l'histoire de l'astronomie qu'après les
différentes découvertes qu'il a faites dans ce domaine.
Galilée fait partie de ceux qui
1 Thomas Kuhn, La révolution copernicienne,
Fayard, 1973, p 251
ont subi le pouvoir réprimant de l'inquisition.
Né le 15 février 1564 à Pise (Italie) vingt ans
après la publication du De revolutionibus de Copernic,
Galilée a hérité de son père Vincenzo Galilei, d'un
esprit mordant, d'un penchant pour la controverse et d'une défiance
spontanée vis-à-vis de toute autorité. Muni de lunettes
astronomiques, l'astronome de Pise a pour la première fois,
montré que la Lune, jadis considérée par les
aristotéliciens comme lisse parce que composée d'éther,
avait la même structure que la Terre. En effet, lorsque Galilée a
pointé ses lunettes sur cet astre, il observa que celui-ci, «
n'est pas entouré d'une surface lisse et polie, mais qu'elle est
accidentée et inégale, et tout comme la surface de la Terre,
recouverte des hautes élévations et de profondes cavités
et anfractuosités. » 1
Après la révélation du relief de la Lune,
Galilée va pointer son instrument en direction de Jupiter. En observant
cette planète, Galilée y décela quatre corps qui, comme
notre Lune gravitent autour de cette planète géante. Il conclut
de cette observation que Jupiter constitue un système solaire
copernicien en miniature, ce qui prouve par ailleurs que l'existence de corps
satellites autour d'une planète n'est pas propre à notre
planète. De là, Galilée y voit « Un argument
[comme il le dit lui-même] aussi beau qu'élégant à
même d'apaiser les doutes de ceux qui, tout en acceptant d'un esprit
tranquille la révolution des planètes autour du Soleil dans le
système copernicien, sont profondément gênés par le
fait que seul la lune tourne autour de la Terre. Certains ont cru pouvoir
rejeter cette structure de l'univers comme impossible. Mais désormais
nous n'avons pas uniquement une planète en rotation autour d'une autre,
toutes deux parcourant une grande orbite autour du Soleil ; nos propres yeux
nous montrent les quatre astres [plus exactement les satellites, terme
forgé par Képler] qui encerclent Jupiter comme la Lune encercle
la Terre, cet ensemble effectuant une grande révolution autour du Soleil
en l'espace de douze ans. »2
Après Jupiter, Galilée va examiner la blanche et
brillante Vénus. Il constate que cette planète suit des phases
semblables à celles de la Lune, et qu'elle semble beaucoup plus grande
quand elle est en phase croissante que lorsqu'elle est presque pleine.
L'explication qu'il donne de ce constat, est que la planète tourne en
orbite autour du Soleil, et non autour de la Terre, car lorsqu'elle
apparaît en croissant, elle se trouve plus prés de la Terre que du
Soleil, tandis que lorsqu'elle est petite elle passe de l'autre
côté du Soleil. Ces observations planétaires seront suivies
d'autres concernant les étoiles invisibles à l'oeil nu. Ces
dernières vont l'amener à
1 Emile Namer, L'affaire Galilée,
Paris, Gallimard-Julliard, 1975, p 56
2 Timothy Ferris, Histoire du cosmos de
l'antiquité au big bang, Hachette Littératures, 1992, pp
90-91
affirmer contre Aristote que les étoiles ne sont pas
accrochées à la surface de la sphère stellaire, mais
plutôt distribuées loin dans l'espace cosmique.
Après avoir montré contre les arguments
anti-coperniciens, la preuve de la rotation de la Terre sur son axe, la
tâche qui attend Galilée consiste à remonter les obstacles
aristotéliciens brandis contre le mouvement de la Terre. Parmi les plus
défendus, on retrouve les interrogations suivantes : si la terre tourne
sur elle-même, pourquoi, une flèche lancée en l'air ne file
pas vers l'ouest ? Pourquoi la terre qui bouge se conduit-elle comme si elle
était immobile ?
Pour répondre à ces questions, il faut avoir une
compréhension très poussée des concepts de gravitation et
d'inertie, d'où Galilée va sans tarder, se mettre à
étudier ces concepts.
Et comme il était de coutume au 16ème
siècle que pour établir une nouvelle science, on avait besoin de
passer par une critique de la science aristotélicienne, parce que ce
dernier avait déjà pensé sur presque tous les domaines du
savoir de l'époque ; Galilée va lui aussi, pour fonder sa
physique, revisiter la physique d'Aristote. Or, concernant les lois du
mouvement, Aristote affirmait que les objets lourds tombent plus vite que ceux
qui pèsent le moins. Ce jugement de bon sens, Galilée l'avait,
dés ses années préparatoires à Pise,
soupçonné d'absurde. Car se disaitil, dans le vide où la
résistance de l'air n'influe pas, une plume doit tomber aussi vite qu'un
boulet de canon.
Ne disposant d'instruments pour créer le vide,
Galilée teste ses hypothèses en employant des plans
inclinés pour lâcher des poids rouler le long de ces plans. Cette
méthode, tout en ralentissant l'allure qu'adopteraient les poids en
chute libre, permet d'observer plus commodément que ces derniers
subissent tous une accélération à peu prés
identique. C'est ainsi qu'il écrit dans son ouvrage intitulé,
Discours et démonstration mathématique concernant deux
nouvelles sciences touchant la mécanique et les mouvements
locaux : « Si Aristote a raison d'affirmer qu'une grande pierre se
meut, par exemple, avec huit degrés de vitesse et une petite avec quatre
degrés, il s'ensuivra, si on les attache, que l'ensemble se mouvra avec
une vitesse inférieure à huit degrés. Or, les deux
pierres, réunies, forment une pierre plus grande que celle qui se
mouvait avec huit degrés de vitesse, et la plus grande se meut par
conséquent moins vite que la plus petite, ce qui va contre votre
supposition. Vous voyez donc comment, si vous supposez
qu'un mobile plus grave se meut plus vite qu'un mobile moins
grave, j'en conclus, de mon côté, qu'un mobile plus grave se meut
moins vite. »1
Toutefois, Galilée ne réussira pas à
élucider totalement la question du mouvement inertiel, ni même les
lois de la gravitation. Ce sera à Newton que sera réservé
ce privilège. Quant à Galilée son entêtement
à faire accepter le copernisme par l'autorité de l'Eglise, va lui
coûter en 1633 la condamnation par le tribunal de l'Inquisition, à
finir sa vie sous résidence surveillée dans sa villa prés
de Florence où il mourut en 1642 .
Cependant la mort de Galilée ne mettra pas fin aux
débats sur le copernisme, elle va plutôt ouvrir, si l'on peut le
dire ainsi, la voie royale à la synthèse de tous les
problèmes soulevés par la révolution copernicienne. En
effet, dans l'année où mourut Galilée, va naître le
Prince de la science moderne, Isaac Newton. Né le 25 décembre
à Woolsthorpe en Angleterre, Newton est celui qui va
définitivement seller, et la physique classique et la vision moderne du
monde, en synthétisant les lois terrestres de Galilée et les lois
célestes de Képler. Newton va contre l'argument
aristotélicien, qui stipulait que le mouvement des corps
dépendait de leur composition élémentale, montrer que tous
les corps obéissent à une seule loi de mouvement ne
dépendant pas de la composition élémentale de leur masse.
Newton continue son argumentation en affirmant que la masse est dotée
d'inertie, c'est-à-dire d'une tendance à résister au
changement dans l'état de mouvement. Telle est en fait la
première loi de Newton. Cette dernière postule que : «
Tout corps persévère dans l'état de repos ou de
mouvement uniforme en ligne droite (rectiligne) dans lequel il se trouve,
à moins que quelque force [...] ne le contraigne à changer
d'état. »
A cette première loi, va succéder une
deuxième qui elle, reste liée à l'impulsion de mouvement
subie par un corps immobile, ou à la variation de vitesse de mouvement
ou de direction. Dans de tels cas de mouvement, Newton explique que ces
phénomènes sont dus à l'intervention d'une force dont il
nous dit, qu'elle est égale à l'accélération de la
masse au cours du temps. De cette loi, Newton va tirer une troisième qui
assure que l'action d'une force sur un corps, doit nécessairement
aboutir à une réaction de ce dit corps égale et contraire
; d'où il affirmera que : « À toute action est toujours
opposée une réaction égale. »
1 Galilée, Discours sur deux nouvelles
sciences, Traduit par Maurice Clavelin, Armand Colin, 1970, p 54
Trois siècles plus tard, en 1980, le pape Jean-Paul II
ordonne que le procès de Galilée soit réexaminé. A
la cérémonie organisée en l'honneur du centenaire de la
naissance de Einstein, il déclare que Galilée a souffert entre
les mains des hommes et des institutions de l'Eglise. Il ajoute à ces
propos que toute recherche poursuivie de manière vraiment scientifique
ne peut jamais s'opposer à la foi, car les réalités
religieuses et profanes trouvent leur origine dans le même Dieu.
Ces idées à la limite révolutionnaires
vont susciter des débats et une controverse animés
particulièrement par Leibniz et la cartésienne Académie
royale des sciences française. En effet dans Les principes
mathématiques de la philosophie naturelle publiés en 1687,
Newton écrit que les particules matérielles s'attirent les une
les autres par une attraction qui se propage dans le vide, en l'absence donc de
support matériel.
C'est précisément à cette notion «
d'attraction à distance » que vont s'opposer les
détracteurs de Newton. Pour les cartésiens, le principe
d'attraction à distance suscite le retour aux discours irrationnels qui,
pour eux devaient à jamais disparaître du domaine de la science ;
d'où ces derniers accueillirent les idées de Newton avec
suspicion. D'ailleurs Newton lui-même avait pris conscience du fait que
sa théorie pouvait troubler certains esprits. Ce qu'il ne manquera pas
de confesser à son ami Bentley dans leur correspondance du 25
février 1693. Dans un extrait de sa lettre, Newton avoue : «
Qu'un corps puisse agir à distance sur un autre dans le vide, sans que
rien n'explique par quel moyen cette force est transmise, est pour moi une
absurdité si grande qu'à mon avis, quiconque possède une
compétence en matière de philosophie ne pourra jamais y
céder. » C'est ainsi que Newton, aussi inductionniste qu'il a
pu être, ne concevait pas le mécanisme de l'attraction sans
l'assistance permanente de Dieu dans les affaires planétaires.
Autrement, attirés les uns par les autres, les corps célestes,
des planètes aux étoiles, finiraient par s'agglutiner. Pour
éviter une telle catastrophe cosmique, Newton suppose que Dieu doit
contrebalancer la gravitation et maintenir les astres à leur place.
Leibniz qui a plus d'un compte à régler avec
Newton, exploite ce point faible de la théorie de la gravitation. Contre
Newton donc, Leibniz va affirmer que Dieu avait créé le meilleur
des mondes possibles, capables de se gouverner tout seul, et n'avait
guère besoin de se mêler du fonctionnement de la nature. Dieu a
tout prévu, dira-t-il, il a remédié à tout par
avance. Il y a dans ses ouvrages une harmonie, une beauté
préétablie. Dés lors, ce dernier va accuser Newton d'avoir
osé imaginer un Dieu incompétent ; ce qu'il explique en ces
termes :
« Sir Isaac Newton et ses sectateurs, ont encore une
fort plaisante opinion de l'ouvrage de Dieu. Selon eux, Dieu a besoin de
remonter de temps en temps sa montre, autrement elle cesserait d'agir. Il n'a
pas eu assez de vue pour en faire un mouvement perpétuel. Cette machine
de Dieu est même si imparfaite selon eux qu'il est obligé de la
décrasser de temps en temps par un
concours extraordinaire, et même de la raccommoder
comme un horloger son ouvrage, qui sera d'autant plus mauvais maître
qu'il sera obligé plus souvent d'y retoucher et d'y corriger.
»1
Ne voulant pas polémiquer avec Leibniz, Newton laissa
à son élève et ami Samuel Clarke la tâche de
répondre à Leibniz. Dans une de ses lettres au philosophe
Allemand Clarke réplique et dit : « L'idée de ceux qui
soutiennent que le monde est une grande machine qui se meut sans que Dieu y
intervienne, comme une horloge continue de se mouvoir sans le recours de
l'horloger, cette idée, dis-je, introduit le matérialisme et la
fatalité, et sous prétexte de faire de Dieu une Intelligence
Supramundana, elle tend effectivement à bannir du monde la Providence et
le gouvernement de Dieu (...). Un roi qui n'intervient pas dans son royaume,
n'est pas digne d'être roi. »2 Ces
allégations de Clarke ne peuvent laisser indifférent Leibniz qui
rétorque : « Il vaut mieux dire comme moi que Dieu est
Intelligentia Supramundana, que d'insinuer comme vous qu'il est Intelligentia
Mundana, c'est-à-dire l'âme du monde, ce qui conduit droit au
Panthéisme. »3 On voit ainsi comment un
débat qui portait a priori sur des hypothèses
scientifique, a tourné sur la conception de l'idée de Dieu. Par
ailleurs, ces arguments, si étranges puissent-ils nous paraître
aujourd'hui, étaient redoutables à l'époque. Car d'une
part Leibniz avait, par ses critiques renforcé la barrière
séparant Newton des cartésiens, tandis que d'autre part il a
incité certains à réfuter la théorie de la
Gravitation de Newton. Toutefois, cette querelle avec Leibniz n'est qu'un arbre
qui cache une forêt dense. Car, il se profile à l'horizon une
controverse autrement plus rude avec les cartésiens, querelle qui ne
deviendra virulente qu'après la mort de Newton. En effet la
cartésienne Académie royale des sciences française (et
plus particulièrement Fontenelle qui était à
l'époque son Secrétaire perpétuel), rejette l'attraction
newtonienne sous prétexte qu'elle peut réveiller les vieux
démons de l'irrationalité. En fait pour mieux combattre la
théorie de Newton, ces derniers avaient établi un
parallélisme entre Isaac Newton et William Gilbert, un Anglais qui
postulait l'existence d'une âme dans la matière, âme qui se
manifeste par l'attraction mutuelle entre deux aimants. Pour les
cartésiens, l'attraction newtonienne de la matière par la
matière relève de cette même logique. Même s'ils
reconnaissent l'élégance de la mécanique céleste
des Principia, les cartésiens refusèrent tout compromis
avec les newtoniens ; d'où ils exigèrent des preuves
expérimentales pour valider la physique newtonienne.
1 Cité par Arkan Simaan, in L'image du
monde de Newton à Einstein, Paris, Vuibert-Adapt, 2005, p11
2 Ibid
3 Ibid
Les débats sur la physique de Newton vont perdurer
jusqu'à la fin du 17ème siècle, date à
laquelle Laplace va lever le voile de la gravitation universelle et clore le
débat sur la mécanique newtonienne. En effet dans son
Traité de mécanique céleste qui est en fait un
monument d'analyses scientifiques, Laplace va faire le point sur les
problèmes célestes de son temps ; de la théorie de la
perturbation des planètes aux mouvements des marées, en passant
par la rotation de la Terre et le mouvement de la Lune. Laplace va ainsi donc
expliquer la stabilité du monde à l'aide des seuls principes de
Newton. Ce qui donna la validité expérimentale de la
mécanique de Newton. En un mot, Newton et Laplace ont parachevé
la révolution astronomique amorcée par Copernic.
Section 3/ Le système Kant-Laplace : la
théorie des « Univers-îles ».
Comme nous l'avons déjà noté dans les
chapitres précédents, la révolution copernicienne a
entraîné le déclin du cosmos des anciens en poussant les
limites de l'univers à des dimensions indéfinies. L'univers fini
d'Aristote sera donc substitué à un univers infini sans bornes.
Cet espace infini qui, du reste stupéfiait Pascal, est aujourd'hui
nommé l'espace interstellaire. L'espace interstellaire est comme son nom
l'indique, l'espace qui se trouve entre les étoiles. Habité pour
la plus part par les nébuleuses (du latin nebula qui signifie «
brouillard »), l'espace interstellaire compose la grande partie de
l'espace cosmique.
En effet, composées de nuages très confus, les
nébuleuses ne se laissent généralement distinguer qu'au
télescope. Cependant, malgré leur ressemblance apparente, les
astronomes les classent en trois catégories.
La première catégorie regroupe les
nébuleuses planétaires. Ces dernières sont improprement
nommées « planétaires », à cause de leur forme
sphérique qui leur donne une fugitive ressemblance avec les
planètes. Ces nébuleuses sont des coquilles de gaz rejetés
par des supernovae, c'est-à-dire des étoiles vieillies,
instables. Ces nébuleuses mesurent en moyenne une
année-lumière de diamètre, et leur masse avoisine le
cinquième de celle du Soleil.
La deuxième catégorie est composée des
nébuleuses dites par réflexion et par émission. Ces
dernières sont des nuages de gaz et de poussières
éclairées par des étoiles proches ; dont la plupart sont
elles-mêmes des étoiles nouvellement condensées à
partir du nuage qui les
environne. Ces nébuleuses mesurent jusqu'à cent
années-lumière de diamètre, et peuvent contenir la masse
d'un million de Soleils ou même plus. Enfin, on note la troisième
catégorie qui compte, les nébuleuses dites elliptiques et
spirales. Ces dernières sont en fait des galaxies à part
entière, situées à des millions
d'années-lumière. Leur diamètre peut atteindre pour les
plus grandes, cent mille années-lumière et englober des centaines
de millions d'étoiles. La découverte du monde des
nébuleuses, a permis à l'homme d'étendre à des
limites infinies, l'univers dans lequel il vit.
En effet, de même qu'il a fallu d'abord pour l'homme,
reconnaître le Soleil au rang des étoiles, pour constater qu'il
n'est pas au centre de l'univers ; de même il lui a fallu connaître
la nature des nébuleuses pour se rendre compte qu'il vit dans un univers
extragalactique, dont les limites restent enfouies dans les abîmes
insondables de l'espace cosmique. La voie de cette recherche de l'univers
extragalactique, a été tracée par des théoriciens
de chambre parmi lesquels on retrouve, le philosophe Emmanuel Kant et le
mathématicien Jean Henri Lambert. Après ces derniers suivront les
noms d'un astronome amateur William Herschel et du célèbre
mathématicien français, Pierre-Simon Laplace.
Connu du grand public pour ses travaux en philosophie, le
succès des Critiques éclipse souvent la contribution de
Kant à la cosmogonie. En effet, Kant arrive à la cosmologie par
l'intermédiaire hasardeuse de Thomas Wright.. Cet auteur aborde dans son
ouvrage un sujet à la mode en Outre-manche, visant à accorder la
théologie et les avancées astronomiques. On se demandait en effet
en Angleterre où peuvent bien se trouver l'Enfer et le Paradis si la
Terre n'est plus au centre du monde. Des savants renommés se sont
aventurés sur ce glissant terrain métaphysique. William Whiston
(1667-1752) plaçait l'Enfer sur les comètes, obligeant ainsi les
damnés à endurer alternativement une chaleur brûlante
lorsque celles-ci s'approchent du Soleil et un froid glacial lorsqu'elles
s'éloignent au-delà de Saturne.
En effet, Thomas Wright contrairement à ces
prédécesseurs pro coperniciens, va prêter à
l'univers la forme d'une bulle dans laquelle le Soleil est encastré. Il
avance que l'aspect sous lequel se présente la voie lactée, est
fonction de la perspective selon laquelle nous considérons sa surface
étoilée. Pour mieux comprendre la conception de Wright, notons la
remarque que lui fait Timothy Ferris. Ce dernier affirme à propos de
Wright que : « Son cosmos creux ressemble à une orange
vidée de sa pulpe, avec le Soleil et les étoiles dessinés
sur l'écorce. Wright signale que l'aspect de bandeau d'étoiles de
la Voie lactée vient peut-être de l'angle de vue commandée
par
la place que nous occupons à l'intérieur de
la coque étoilée : en regardant le long d'une ligne tangente
à la sphère, nous percevons beaucoup d'étoiles -la Voie
Lactée-, nous en distinguons moins si nous considérons
plutôt le rayon de la sphère. »1
Kant s'empare de cette argumentation dont il ignore les
antécédents pour émettre l'hypothèse, que le Soleil
appartient à un système stellaire aplati : une galaxie
dirions-nous aujourd'hui. Armé de cette idée précaire,
notre astronome de chambre va ajouter à ses hypothèses, les
observations de l'astronome Français Pierre Louis Moreau de Maupertius
faites sur différentes nébuleuses elliptiques dont la
nébuleuse d'Andromède visible à l'oeil nu. De là
Kant supposera que l'univers est composé de plusieurs agrégats
d'étoiles en forme de disque, et il se pourrait que les
nébuleuses elliptiques soient d'autres « galaxies »
d'étoiles semblables à notre Voie lactée.
C'est ainsi que le philosophe Allemand note dans un passage du
Traité du Ciel : « Si un système
d'étoiles fixes se rapportant dans leur position à un plan
commun, ainsi que nous avons esquissé la Voie lactée, est si
éloigné de nous que toute connaissance des étoiles
particulières dont il se compose ne soit plus perceptible, plus
même au télescope ; si son éloignement est à celui
de la Voie lactée dans le même rapport que celle-ci à la
distance du Soleil par rapport à nous ; en deux mots, si un tel monde
d'étoiles fixes est contemplé à une distance aussi
incommensurable par l'oeil de l'observateur qui se trouve en dehors de ce
monde, ce monde-ci, considéré selon un angle étroit,
apparaîtra sous un petit angle comme un espace éclairé
d'une faible lumière et dont la figure sera circulaire si sa surface se
présente directement à l'oeil, et elliptique s'il est vu de
côté. La faiblesse de la lumière, la figure et la grandeur
perceptible de son diamètre distinguerons un tel
phénomène, lorsqu'il se présentera, des autres
étoiles qui sont vues séparément. »2
Par ses considérations sur les nébuleuses, on
peut considérer Kant comme étant le père de l'univers
extragalactique, car il est l'un des premiers à réaliser que les
formes apparemment rondes, ovales ou linéaires que l'on observe chez les
nébuleuses, sont tributaires de l'angle choisi pour les observer. Pour
montrer comment l'univers a pu sortir de la matière primitive
réduite à son état le plus simple, Kant remplit
l'espace de particules matérielles primitives distribuées
chaotiquement, bien avant l'existence du système solaire. Ces
particules, différentes par la taille et la densité, abandonnent
leur équilibre initial pour s'agglomérer autour des particules
plus
1 Timothy Ferris, Histoire du cosmos de
l'antiquité au big bang, Paris, Hachette-Littératures, 1992, p
152
2 Emmanuel Kant, Histoire générale
de la nature et traité du ciel, Vrin, 1984, p 74, § 3
massives, débutant ainsi la formation du Soleil. Pour
éviter que la nébuleuse ne s'effondre complètement sur le
centre, Kant introduit une force de répulsion, sans dire vraiment
d'où elle sort. Il postule qu'elle agit uniquement à courte
distance pour contrarier le mouvement initial d'agglutination, et imprimer une
déviation latérale à certaines particules. Ces
dernières, qui se mettent alors à circuler autour du Soleil,
créent les planètes et donnent une forme aplatie au
système solaire.
L'ouvrage de Kant publié en 1755, n'ayant pas fait long
feu à cause de la faillite de son éditeur, sera vendu pour
rembourser les dettes ; cause pour laquelle le monde n'entend guère
parler de cet ouvrage. Mais, étant donné que les grandes
idées ne disparaissent jamais éternellement, l'idée de
l'univers extragalactique va resurgir sous la plume de son compatriote
Allemand, Jean Henri Lambert. Ce dernier, dans son recueil d'essais
intitulé Les lettres cosmologiques, va reprendre le même
thème en avançant que le Soleil se trouve sur l'un des bords d'un
système stellaire en forme de disque, la Voie lactée, et qu'il
existe d'innombrables voie- lactées. Lambert précise qu'il est
arrivé à cette idée en contemplant longuement le ciel
étoilé. C'est ainsi qu'il écrit dans un passage de ce
livre : « Je m'asseyais devant la fenêtre, et alors que les
objets de la Terre se dépouillaient de tout ce charme qui retient
l'attention, le ciel étoilé, lieu digne de contemplation entre
tous, demeurait encore là pour moi. [...] Prenant mon essor sur la
lumière, je montais en flèche à travers l'espace des
cieux. Je n'arrivais jamais assez loin et sans cesse grandissait le
désir de poursuivre toujours au-delà. Plongé dans ces
réflexions, je me représentais la Voie lactée. [...] Cette
arche lumineuse, qui s'étire tout autour du firmament et décore
le monde, tel un anneau constellé de pierres précieuses,
suscitait en moi étonnement et émerveillement.
»1 Ces rhapsodies cosmologiques de Kant et Lambert
permirent à l'esprit humain de s'ouvrir les portes de la richesse et de
la profondeur de l'univers. Cette idée née de Kant, passera dans
l'histoire de la cosmologie sous le terme « d'Univers-îles
».
Concernant la notion « d'Univers-îles
», il est à noter que deux écoles de pensée sur
la nature des nébuleuses elliptiques ont marqué le
19ème siècle de leur empreinte. La première,
nommée la théorie des « Univers-îles »
de Kant et Lambert (même si l'expression est de Kant), soutient que
notre Soleil est une des innombrables étoiles d'une galaxie, la Voie
lactée, et qu'il existe beaucoup d'autres galaxies, telles les
nébuleuses spirales et elliptiques que nous apercevons par delà
d'immenses gouffres d'espace.
1 Cité par Timothy Ferris, Histoire du
cosmos, Hachette-Littératures, 1992, p 156
Quant à la seconde école de pensée, elle
es connue sous le nom de « l'hypothèse cosmogonique
». Cette théorie affirme en effet, que les nébuleuses
spirales et elliptiques, proches de nous et relativement petites, correspondent
à des tourbillons de gaz qui se condensent pour former des
étoiles. Cette hypothèse propre elle aussi à Kant, est
attribuée au mathématicien français Pierre-Simon Laplace
qui, détails à l'appui, suggère dans son Traité
de mécanique céleste que le Soleil et son cortège de
planètes s'étaient peut-être coagulés à
partir d'une nébuleuse tourbillonnante. Chacune de ces deux idées
est, à certains égards, correcte. Car, on le sait de nos jours,
quelques nébuleuses sont, en effet, des nuages de gaz
générateur d'étoiles, mais aussi que les nébuleuses
elliptiques et spirales constituent bien des galaxies d'étoiles.
La vraisemblance partielle de chacune de ces idées, va
pousser les scientifiques, par une intuition justifiée, à croire
qu'une unique théorie doit être en mesure d'expliquer tous les
types de nébuleuses, ce qui mena à une confusion intense.
Dés les débuts de cette entreprise de recherche,
les observations vont sembler témoigner en faveur de
l'hypothèse cosmogonique. La découverte due à
William Parsons, révèle que certaines nébuleuses
elliptiques affichent une structure spirale. En effet lorsque avec son
télescope à réflexion de prés de deux
mètres, il observe les galaxies spirales, les descriptions qu'il en fait
vont immédiatement concourir à appuyer l'hypothèse
cosmogonique, et donc l'idée que les étoiles se forment par
condensation de tourbillons gazeux. Par ailleurs en 1880, Isaac Roberts prend
en Angleterre des photographies qui, elles aussi vont renforcer cette
supposition en montrant que la plupart des galaxies elliptiques sont en
réalité spirales.
Cependant, c'est surtout en 1890 lorsque James Keeler de
l'observatoire de Lick en Californie, montre sur ses clichés qu'il
existe énormément de galaxies spirales dans l'univers
(lui-même les estime à cent mille dans le seul champ d'observation
du télescope de Lick), qu'on s'est rendu compte, que vu la multitude de
Soleils qui illuminent la Voie lactée, il paraît plausible
d'estimer à plus de cent mille le nombre de systèmes solaires.
D'où l'on voit à nouveau cette hypothèse
cosmogonique créditée.
Avec le développement de la Spectroscopie, l'astronomie
va bénéficier d'un outil qui va très rapidement hausser
cette branche du savoir au rang des sciences architectoniques. Mais concernant
notre idée des « Univers-îles », il faut noter
que les premiers résultats rapportés par les astronomes, ont
pendant un temps renforcé l'hypothèse cosmogonique,
réfutant ainsi la théorie des « Univers-îles
». Et cette attitude est principalement favorisée par
l'astronome
William Huggins qui, en 1864 note après une observation
faite sur une nébuleuse pointée au hasard que : « [...]
L'énigme des nébuleuses était résolue. La
réponse, venue à nous dans la lumière même, disait :
pas d'agrégats d'étoiles, mais un gaz lumineux. Des
étoiles auraient donné un spectre différent, étant
donné la séquence observée pour notre Soleil et des
étoiles plus brillantes ; il est claire que la lumière de cette
nébuleuse avait été émise par un gaz lumineux.
»1 En effet, comme Huggins n'observa, au moyen de son
télescope, aucune raie pouvant déduire la présence
d'étoiles, il conclut, et cela de façon prématurée,
que les nébuleuses ne comportent pas d'étoiles. Ce qui
s'avère faux, si l'on sait aujourd'hui qu'il existe plusieurs sortes de
nébuleuses.
Toutefois l'idée de Huggins sera quelques années
plus tard reprise derechef par Harlow Shapley. Ce dernier va lui aussi soutenir
l'hypothèse cosmogonique au détriment de celle des
« Univers-îles » dans son étude
consacrée aux Céphéides. Les
Céphéides sont en fait des étoiles massives à
très grande brillance qui, pour l'astronomie permettent de mesurer les
distances au sein de l'espace interstellaire ; voire intergalactique.
En effet, Shapley va se servir de ces « phares cosmiques
» pour montrer d'une part que le Soleil n'étant pas relativement
proche des amas globulaires composés de céphéides, ne peut
occuper le centre de notre galaxie ; dans la mesure où la Voie
lactée renferme en son centre une multitude de ces amas globulaires qui,
en fait sont responsables de la blancheur du centre de notre galaxie. D'autre
part, cet astronome va en mesurant les distances de notre galaxie
étendre celle-ci à des distances surestimées. Car il
englobe dans la Voie lactée, les nuages de Magellan qu'il prenait pour
les composantes de la voie lactée et beaucoup d'autres
nébuleuses. D'où ce dernier donna à la voie lactée
l'appellation de Big galaxy, c'est-à-dire La Grande
galaxie. Dés lors, contre tous ceux qui soutiennent l'idée
des « Univers-îles », Harlow Shapley
répliquera, qu'il faudrait pour avoir quelque chance avec les «
Univers-îles » qu'il rétrécisse
considérablement son système galactique.
La théorie des « Univers-îles »
va ainsi sombrer partiellement dans le mépris scientifique. Ce sera
en fait Edwin Hubble qui, après Herbert Curtis va en 1924
réhabiliter l'idée des « Universîles ».
Ce dernier rétorque à Shapley qu'il a découvert dans
la nébuleuse d'Andromède une Céphéide de brillance
variable. Cette dernière se trouverait selon Hubble à environ un
million d'années-lumière contrairement aux cinq cents mille
années-lumière soutenue par Shapley. Or, si cette distance est
avérée, cela voudrait dire qu'Andromède est suffisamment
au-delà de la Big
1 Cité par Timothy Ferris, in Histoire du
cosmos, Hachette, 1992, pp 173-174
galaxy de Shapley. Hubble va ensuite découvrir
d'autres Céphéides dans d'autres galaxies, ainsi que des novae et
des étoiles géantes. C'est le cas des galaxies Messier 31 et NGC
6822. Et après la mort de Edwin Hubble en 1953, les astronomes
découvriront d'autres corps célestes tels que les
Quasars (découverte que l'on doit à Sandage et Thomas
Matthews), qui en fait correspondent aux noyaux de jeunes galaxies distantes au
moins un milliard d'années-lumière.
Ces découvertes ont donné le coup de grâce
à la théorie des « Univers-îles ». et
c'est ainsi que fût donnée, la preuve expérimentale d'une
idée cosmogonique vieille de plus de deux siècles.
Deuxième Partie

La cosmologie Moderne : l'univers du Big bang et la
théorie des cordes
L'univers du 20ème siècle est celui
du big bang. La majorité des cosmologistes pensent maintenant que
l'univers a commencé son existence par une énorme explosion
à partir d'un état extrêmement petit, chaud et dense, il y
a une vingtaine de milliards d'années environ. L'émergence de
cette nouvelle vision de l'univers a été fulgurante. En un
demi-siècle, l'univers statique aux étoiles fixes et immobiles de
Newton est devenu un univers dynamique, en expansion, rempli de mouvements et
de violence. La rapidité avec laquelle le nouvel univers s'est
imposé, est d'autant plus extraordinaire que l'étendue de notre
galaxie était devenue au 20ème siècle
complètement inconnue. Parler aujourd'hui d'autres mondes dans d'autres
galaxies, ou de l'univers tout entier relève encore de la pure
science-fiction, même si de nos jours, la cosmologie a vraiment acquis le
statut d'une science exacte, c'est-à-dire d'une discipline fondée
sur des observations précises et rigoureuses, et non sur de vagues
spéculations philosophiques ou métaphysiques.
Section 1/ Pensée sur l'origine de l'univers.
L'interrogation sur l'origine de l'univers a de tout temps
intéressé aussi bien les hommes de sciences que ceux qui
s'attellent aux connaissances traditionnelles. Si l'on en croit Timothy,
Ferris, « Spéculer sur l'origine de l'univers constitue une
activité humaine aussi ancienne que tristement célèbre.
Ancienne, car autant que je sache, il n'existe pas de certificat de naissance
de l'espèce humaine : c'est tout seul qu'il nous a fallu partir à
la recherche de nos origines, et, chemin faisant, nous avons découvert
la nécessité de réfléchir aussi sur le cours du
monde auquel nous appartenons. Tristement célèbre, car les
spéculations cosmogoniques qu'elle a engendrées disent plus de
choses sur nous-mêmes que sur l'univers qu'elles prétendent
décrire à un degré ou à un autre, ces
théories restent toujours des projections psychologiques, des
modèles lancés vers le ciel par l'esprit, ombres dansantes
à la lueur des feux follets. »1
En effet, au regard des mythes préscientifiques de la
création, on se rend compte que leur survivance tient moins à
leur adéquation aux observations de l'époque (du reste peu
nombreuses) qu'à la plus ou moins grande tranquillité d'esprits
qu'ils ont pu procurer. Ces contes, d'autant plus chers à nos coeurs
qu'ils sont nôtres, soulignent tel ou tel fait de particulière
importance pour les sociétés qui les ont conservés. C'est
ainsi que les Sumériens envisageaient la création comme
1 Timothy Ferris, Histoire du cosmos, Paris,
Hachette-Littérature, 1992, p381
l'issue d'un combat entre les dieux, combat au bout duquel la
Terre, formée à partir d'une motte d'argile violemment
lancée, aurait existé.
Pour les Mayas, le créateur se transformait en un
ballon solaire à chaque fois que la planète Vénus
disparaissait derrière le Soleil. Les Tahitiens eux par contre
évoquaient un Dieu à leur image, un pêcheur à la
ligne qui aurait arraché leurs îles au plancher océanique.
C'est en fait dans cette même suite d'arguments que les Grecs,
épris de logique, voyaient dans la création une affaire
d'éléments : d'où Thalès crut que l'univers fut
d'abord constitué d'Eau, alors que Anaximandre soutenait qu'il
était d'Air, et Héraclite, de Feu.
En fait, s'il faut accepter que l'avènement de la
science et de la technologie ont permis de raffiner la sophistication de
certaines thèses cosmogoniques antérieures, il est à
retenir que jusqu'à nos jours, la science n'a pas encore réussi
à dégager le problème de la création de la
vétuste confusion des présupposés et des désirs
humains. Dans le meilleur des cas, la question du commencement de l'univers est
éludée, et nous avons beau la traquer avec nos théories
des quarks, des leptons, des cordes et super cordes etc., notre audace n'est
guère plus légitime que celle des peuples primitifs.
Plusieurs scientifiques sont conscients de ce fait, aussi
sont-ils nombreux à ne pas vouloir s'occuper de cosmogonie,
c'est-à-dire l'étude de l'univers. D'autres laissent tout
simplement ce domaine, parce qu'ils ne voient pas comment l'approcher
pratiquement. Tandis que pour les partisans du déterminisme, ils exilent
eux, la problématique d'une cause première dans des
contrées hors de la science
Toutefois, malgré les réserves faites à
l'interrogation originelle, il est des scientifiques qui, tentent de mieux
comprendre comment l'univers a émergé, tout en concédant
que leurs efforts sont sans doute prématurés. En effet, si l'on
jette un regard sur les travaux scientifiques portés sur l'univers du
20ème au 21ème siècle, on se rend
compte que ces derniers répandent quelques lumières dans
l'antichambre de la Genèse. Même si aucun scientifique n'escompte
vraiment découvrir le familier aux sources jaillissantes de la
Création, les résultats des travaux éclairent là
des idées des plus étranges. En fait, les hypothèses,
respectivement nommées Genèse du vide ou
Genèse quantique, laissent entrevoir le futur proche où la
connaissance humaine, peut-être, découvrira l'origine de
l'univers. Par ces hypothèses en effet, « La cosmologie se
heurte à une difficulté majeure : expliquer comment quelque chose
est sorti de rien. « Quelque chose » désigne ici la
totalité de la matière et de l'énergie, de l'espace et du
temps - bref l'univers qui est le nôtre. Mais il est plus délicat
de définir ce que recouvre le « rien ». Pour la
science
classique, ce « rien » correspondait à du
vide, à l'espace vide intermédiaire entre les particules de
matière. Or, comme en témoigne la longue enquête sur
l'éther supposé remplir l'espace, cette conception a toujours
posé problème et n'a d'ailleurs pas résisté
à la physique quantique. »1
En effet, comme nous le montre la physique quantique, ce qui
est nommé « vide quantique » n'est vraiment pas vide,
il regorge au contraire des particules « virtuelles ». On peut
imaginer que ces dernières expriment, comme l'affirme le principe
d'incertitude de Heisenberg, la possibilité offerte à une
particule réelle de surgir à tel moment en tel endroit,
d'où les particules virtuelles représentent non seulement ce qui
est, mais ce qui pourrait être. La physique quantique explique ce fait en
indiquant, que chaque particule « réelle » est entourée
d'une couronne de particules et d'anti-particules virtuelles à grosses
bouées du vide, interagissant les unes les autres, puis
s'évanouissent après avoir vécu à crédit sur
le temps de Heisenberg. Dés lors, le vide quantique s'assimile à
un océan bouillonnant d'où émergent sans arrêt des
particules virtuelles, dans lequel elles s'engloutissent sans fin.
Cependant, qu'est-ce que l'hypothèse de la
genèse du vide a à voir avec l'origine de l'univers ? Pas
grand-chose peut-être, peut-être même rien. Ou
peut-être tout, si l'on suit le raisonnement de cette théorie. En
effet, cette hypothèse postule que l'univers tout entier est né
d'une seule particule virtuelle extraordinairement massive, une particule qui a
spontanément jailli du vide voilà des milliards d'années.
Emise pour la première fois par le physicien Edward Tryon, cette
idée va animer et continuer à guider les scientifiques dans leurs
recherches de l'origine de l'univers. En fait Tryon raconte que c'est à
un soir qu'il passait tranquillement chez lui, qu'il eut une
révélation : « J'ai vu l'univers faire irruption
à partir de rien, comme une variation quantique, et j'ai
réalisé que la chose était possible, qu'elle pouvait
expliquer la densité critique de l'univers. J'ai compris tout cela en un
instant et j'ai été pris de frissons. »2
En effet comme le note Timothy Ferris, toute l'énergie
contenue dans l'univers pourrait bien être égale à
zéro. Certes, si l'on additionne l'énergie libérée
lors du big bang, celle émise par la lumière des étoiles
et cette énergie figée que nous appelons matière,
étroitement liée aux étoiles et aux planètes, on
arrive à un énorme total positif. Seulement, il faut aussi
compter avec la gravitation, force purement attractive qu'il convient donc de
marquer du signe moins. Or, il apparaît, et c'est là que les
choses deviennent intéressantes, que le potentiel gravitationnel de
la
1 Timothy Ferris, Histoire du cosmos,
Hachette, 1992, pp 383-384
2 Edward Tryon, Entretien avec l'auteur,
Pasadena, 04 avril 1983
Terre, ou de n'importe quel autre objet, est approximativement
égal à sa teneur en énergie calculée au moyen de
l'équation E=mc2. Si cette équivalence s'applique
également à l'ensemble de l'univers, alors l'univers ne
possède aucune énergie positive nette et il pourrait, en effet,
être sorti du vide sans que ne soit brisée la loi de la
conservation de l'énergie. Cependant est-il vrai que l'univers dispose
d'une énergie égale à zéro ?
La réponse à cette énigme est concise
dans le taux de ralentissement de l'expansion cosmique. Car, si l'univers
continue à se dilater sous l'impulsion déterminée par le
big bang, son expansion se ralentit toutefois avec le temps à cause de
l'attraction gravitationnelle que les galaxies exercent les une sur les autres.
Si ce taux est égal ou inférieur à un, la densité
de masse ne peut suffire à arrêter l'expansion, et l'univers
continuera à se dilater infiniment. Géométriquement
parlant, cet univers est qualifié « d'ouvert ». Si le taux est
supérieur à un, l'expansion est destinée à prendre
fin tôt ou tard, à la suite de quoi l'univers se comprimera
vraisemblablement en une nouvelle boule de feu. Enfin si ce taux est
strictement égal à un, l'expansion se poursuivra
irrévocablement, toujours plus ralentie, mais jamais tout à fait
interrompue. Or, pour que les suppositions de la genèse du vide se
vérifient, il faudrait nous disent les spécialistes que le taux
de ralentissement de l'expansion cosmique soit égal ou inférieur
à un. Fait étrange, car il semble que ce taux soit strictement
(ou presque) égal à un.
Et si d'ailleurs les astronomes et cosmologistes, n'ont pu
aboutir à des conclusions définitives sur la structure ouverte ou
fermée, c'est précisément parce que l'univers
s'équilibre autour d'une valeur égale à un. Ce qui veut
dire que l'espace cosmique n'est pas spectaculairement ouvert ni fermé
totalement, mais plutôt parfaitement, ou presque plat.
Même s'il est vrai que le spectacle de la
création ou plutôt celui de l'origine du tout premier
commencement, reste et pourrait rester à jamais inconnu par la science,
il semble aujourd'hui que la réponse se cache dans l'étude des
singularités. Sur ce point, la théorie des cordes et des super
cordes semble être aujourd'hui la meilleur sur le marché pour
expliquer les événements se situant au-delà du mur de
Planck. En effet depuis longtemps, l'astrophysique a souffert d'une sorte de
« schizophrénie » conceptuelle : les deux grandes
théories qui cadrent la réalité physique, la
relativité générale et la mécanique quantique ne se
raccordent pas naturellement l'une à l'autre. Certes, la
relativité traite de la gravitation - c'est-à-dire de la
structure géométrique de l'espacetemps - qui concerne a
priori les grandes masses et structures, tandis que la mécanique
quantique s'occupe a priori du comportement du monde subatomique des
particules
élémentaires. L'une vise le très «
lourd », l'autre s'occupe de l'infiniment petit. La rencontre entre les
deux est fort improbable, mais elle se fait.
En effet la rencontre de ces théories a priori
opposées, se fait au sein du trou noir et de sa
singularité spatio-temporelle, capable de concentrer en un point sans
dimension, plusieurs milliards de masses solaires. L'infiniment petit devient
dés lors immensément lourd ; d'où pour rendre compte de la
réalité, la relativité et la mécanique quantique,
sont obligées de s'unir. De cette union contre-nature, est en train de
naître une nouvelle théorie, dite des cordes. Cette théorie
des cordes ne peut accomplir la fusion qu'au prix d'une multiplication du
nombre des dimensions de l'espace. Pour l'étude des objets
célestes, les modèles les plus simples ne permettent pas de
descendre en deçà des quatre dimensions spatiales
préconisées par la relativité générale.
Aussi, les cosmologistes considèrent aujourd'hui que si
la théorie des cordes est avérée, notre univers ne serait
qu'une feuille insérée dans un « mille-feuilles »
d'autres univers parallèles. Ces univers, se déployant le long de
la quatrième dimension, ne communiqueraient entre eux que par le
truchement de la gravité. Cette hypothèse, qui en
réalité révèle une hardiesse intellectuelle,
permettrait pourtant de répondre à l'énigme que pose le
problème de la masse manquante de l'univers.
Si ces suppositions de la théorie des cordes sont
vraisemblables, cela voudrait donc dire que les 90% de la matière qui
exercent leur influence gravitationnelle sur notre univers, mais qui sont
invisibles, appartiendraient à des univers jumeaux. Le
phénomène d'apparition de ces univers parallèles peut
s'imaginer par l'idée que : un trou noir dans notre univers pourrait
avoir la valeur d'un big bang, donnant naissance à un autre univers
parallèle au nôtre. Mais pour l'heure, la théorie des
cordes doit être achevée et confirmée.
En définitive, on constate que la seule attitude digne
de nous face à l'interrogation sur l'origine de l'univers, serait de se
demander comme dans le Rig-Veda (le plus ancien des quatre livres sacrés
hindous), « Qui sait vraiment ? » C'est ainsi que dans une
lettre adressée à l'institut Science Physics Research, pour leur
étude concernant « la singularité initiale »,
John Baez affirme, « La seule attitude responsable consiste à
avouer que nous ne disposons pas du plus
petit indice concernant ce qui s'est passé avant et,
disons, juste une microseconde après le Big bang. »1
Section 2/ La conquête des exoplanètes et
l'hypothèse des autres mondes
«Existe-t-il plusieurs mondes, ou n'y en a-t-il qu'un
seul ?
C'est là l'une des plus nobles et des plus exaltantes
questions dans l'étude de la nature. »
Albert le Grand (XIIIe siècle)
Si la quête des exoplanètes fascine tant, c'est
qu'elle recèle un espoir immense. Celui de trouver un jour
peut-être une vie ailleurs, qui aura germé à la
lumière d'un autre Soleil. Cette perspective donne le vertige. Apprendre
que nous ne sommes pas seuls à vivre dans cet univers, quel
bouleversement ce serait pour l'humanité !
En cette aube du troisième millénaire, nous
sommes habitués à évoquer l'immensité de l'univers.
L'infini nous est presque familier. Les télescopes de la dernière
génération nous livrent des images sur les joyaux les plus
lointains de l'univers. L'exercice est ardu, mais possible, grâce
notamment aux progrès de la théorie depuis le début du
20ème siècle, grâce au génie d'hommes
comme Georges Lemaître, Alexandre Friedmann ou encore Edwin Hubble, qui
ont montré que l'univers n'est pas statique, mais qu'il pousse, qu'il
s'étend, qu'il gonfle comme un ballon. Les conséquences de cette
découverte sont presque infinies que l'univers lui-même. Car si ce
dernier grandit, c'est qu'il a été plus petit, plus jeune, qu'il
a même dû naître, à partir d'une «
singularité », disent les spécialistes.
En effet l'hypothèse de la pluralité des mondes
est beaucoup plus ancienne que nous le croirons, elle est aussi ancienne que la
pensée sur l'univers. Au 16ème siècle déjà
Giordano Bruno, avait soutenu l'existence d'une multitude de mondes. Dans son
ouvrage, De l'infini, de l'univers et des mondes, Giordano Bruno se
refuse à l'idée que Dieu puisse limiter sa puissance pour ne
créer qu'une seule Terre. Convaincu que les étoiles du ciel sont
autant de Soleils autour desquels dansent des planètes pleines de vie,
ce théologien Dominicain affirme avec force qu'il est bien plus probable
que Dieu eut engendré des milliers et des milliers de Terres et que
chacune d'entre elles porte la vie.
1 Cité par Igor et Grichka Bogdanov, in
Avant le big bang : la création du monde, Grasset, Paris, 2004,
p 70
Ce qui l'amena à une telle conviction, c'est que
Giordano Bruno, comme l'avait fait Nicolas de Cues, s'était
interrogé sur la toute puissance divine. Il se disait en fait, si Dieu
crée tout ce qu'il peut faire, l'univers ne saurait être fini. Et
si l'Univers est infini, cela implique l'existence d'autres systèmes
solaires. A partir de cette argumentation, Bruno déduit que, «
C'est ainsi que l'excellence de Dieu se trouve magnifiée et se
manifeste la grandeur de son empire. Il ne se glorifie pas dans un seul, mais
dans d'innombrables Soleils, non pas en une seule Terre et un monde, mais en
mille de mille, que dis-je ? Une infinité de mondes. »1
De là Bruno ne doute pas que certains de ces mondes
sont habités par des êtres « semblables ou meilleurs que les
hommes ». Pour lui, la vie est partout, elle peuple les infinis.
Mêmes les étoiles et les planètes ont des âmes. C'est
en fait ce vitalisme, à la limite exagérée, qui contribua
à lui coûter la vie. La mort de Bruno sur le bûcher rappelle
que les dogmes sont prêts à vendre chèrement leur peau.
Seulement la révolution est en marche, même si elle prend parfois
un visage de douce réforme, poudré de tradition et de
modernité.
Après Giordano Bruno, l'idée des autres mondes
va continuer à hanter les esprits des astronomes et philosophes. En 1686
le Secrétaire perpétuel de l'Académie royale des sciences
française, Bernard Le Bouyer de Fontenelle va dans son livre
intitulé Entretiens sur la pluralité des mondes
réhabiliter les imaginations de Bruno. Fontenelle était lui aussi
de ceux qui, comme Giordano Bruno, pensaient que la vie n'est pas le
privilège de la Terre ; d'où il affirme qu'il existe d'autres
mondes autour d'étoiles autres que le Soleil.
Fontenelle affirmait même que les autres planètes
de notre système solaire étaient habitées par des
populations. C'est ainsi qu'il pensait qu'à côté des hommes
habitant la Terre, il existait des « luniens », des «
vénusiens », des « marsiens » etc. Sans faire un
éventail de toute cette panoplie de défenseurs de
l'hypothèse des autres mondes (Galilée, Kepler, John Wilkins,
Cyrano de Bergerac, Pierre Borel, Fatouville, Christian Huygens etc.), nous
pouvons dire que c'est de nos jours que ce débat devient plus que jamais
à l'ordre du jour, car aujourd'hui l'astronomie a découvert plus
d'une cinquantaine de systèmes planétaires autour d'autres
étoiles.
1 Cité par Michel Mayor et Pierre-yves Frei, in
Les nouveaux mondes cosmos : à la découverte des
exoplanètes, Seuil, Paris, 2001, p 46
Même s'il est vrai que la simple découverte
d'exoplanètes ne peut en aucune manière déduire
l'existence d'une vie extraterrestre, le rythme avec lequel progresse la
technologie met l'eau à la bouche de ceux qui nourrissent encore la
conviction que nous ne sommes pas seuls dans l'univers.
Trouvera-t-on de la vie ailleurs que sur Terre ? Une autre
planète dans l'univers a-t-elle réussi à rassembler
l'extraordinaire éventail de conditions que la vie semble exiger pour
paraître ? C'est la question ultime, celle qui se tient en embuscade
derrière la quête des exoplanètes. Mais pour peu qu'on
appartienne au cercle de ceux qui sont convaincus que la vie n'est pas le
privilège de la Terre et qu'elle s'est sans doute
développée sur d'autres planètes, dans d'autres
systèmes solaires, il reste à affronter une autre interrogation.
Comment, par quels moyens techniques serait-il possible de prouver l'existence
d'une vie extraterrestre ?
Si un jour l'homme parvenait à trouver une telle
preuve, il devra affronter le quatrième choc culturel de son histoire.
Après avoir appris avec Copernic qu'il n'est pas au centre de l'univers,
avec Darwin qu'il est le « descendant » d'un primate qui
lui-même est le très lointain petit-fils d'une simple cellule, et
avec Freud qu'il est soumis aux caprices de son inconscient, il lui faudra se
faire à l'idée qu'il n'est pas le seul être vivant dans
l'univers. A la lumière des développements scientifiques, il est
de plus en plus difficile d'imaginer que la Terre soit le seul havre de vie du
cosmos. Dans notre seule galaxie, plus de cent milliards d'étoiles se
côtoient, et des galaxies, on en compte par milliards dans l'univers.
Pourquoi la vie se serait-elle contentée d'apparaître sur une
seule planète aussi belle et aussi bleue soit-elle ? Chaque
étoile naît de la même façon, par la fragmentation
d'un nuage interstellaire, et crée autour d'elle un disque
d'accrétion. Même si seule une petite fraction de ces disques
donne naissance à des planètes, cela suffit pour imaginer que ces
dernières existent également par milliards et qu'une partie
d'entre elles, aidée par le hasard, a réuni les conditions
nécessaires à l'apparition de la vie.
Evidemment, il reste à trouver cette supposée
vie extraterrestre. D'après les astronomes, le plus simple dans cette
investigation, serait de capter les signaux radio en provenance d'une autre
civilisation, s'il en existe. Leur nature artificielle serait facilement
identifiable et ne laisserait guère de doute sur leur origine. Or,
jusqu'ici, les programmes (américains surtout) de recherche de signaux
extraterrestres intelligents, communément notées SETI, n'ont rien
fourni. La tâche est colossale, et ceux qui l'ont entreprise comptent sur
les chercheurs d'exoplanètes pour les aider à cibler leurs
recherches. Ils attendent notamment qu'on leur désigne les
étoiles autour desquelles
on aura détecté des planètes telluriques
situées dans la zone habitable, une zone définie autour de chaque
étoile, en fonction de sa luminosité propre, où l'eau peut
exister à l'état liquide.
Les aspects les plus naïfs de cette recherche sont
certainement les tentatives de détection de signaux radio provenant
d'éventuels êtres intelligents. La plus connue est le programme
SETI (Search for Extra Terrestrial Intelligence) lancé aux Etats-Unis
par Frank Drake en 1960. Ce programme mobilise depuis cette époque une
partie du temps d'observation d'un certain nombre de radiotélescopes, ce
qui a ainsi permis leur perfectionnement. Cette recherche postule donc que ces
êtres connaissent, la technologie scientifique de communication par ondes
inter changées. Jusqu'à présent aucun résultat n'a
été obtenu, et il faut reconnaître que de notre
côté nous n'avons fait que très peu d'efforts pour envoyer
des signaux à destination d'autres étoiles. Parmi toutes ces
tentatives, il semble que les essais de détection de traces de vie
passées dans notre système solaire paraissent plus
sérieux, et bénéficient sans doute de plus grandes chances
de succès. Nous précisons « traces de vie passées
», car les conditions actuelles sur les planètes et satellites en
dehors de la Terre, paraissent aujourd'hui très peu propices à
l'émergence de la vie.
Les premiers essais réalisés par le programme
VIKING sur Mars en 1975, étaient, d'après les
spécialistes, trop rudimentaires pour que l'on ait pu en espérer
sérieusement un résultat positif. Les diverses recherches de
traces de vie dans les roches lunaires et les météorites, n'ont
également fourni aucun résultat convaincant. Il nous faut, pour
espérer quelque chose dans cette tentative, maintenant attendre
l'analyse d'échantillons martiens.
Mais d'abord, qu'est-ce que la vie ? Les spécialistes
s'accordent à la définir par l'existence de cellule, qui peut se
reproduire, évoluer et s'autoréguler face au milieu ambiant. Ces
mêmes spécialistes estiment aussi qu'il ne peut y avoir d'autre
chimie du vivant que celle du carbone ; d'ailleurs, les molécules
peut-être pré-biotiques que l'on trouve dans le milieu
interstellaire et les comètes sont des hydrocarbures et des
molécules azotées, dotées de la même chimie
organique que celle terrestre. Stanley Miller et Harold Urey en 1953, puis
ultérieurement d'autres chercheurs, ont synthétisé des
acides aminés, brique de base de l'ADN et des protéines qui sont
des constituants essentiels de la cellule, en faisant agir différentes
sources d'énergie sur un mélange de molécules simples avec
de l'eau. Malgré l'expérience de Miller et Urey, l'apparition de
la vie sur Terre continue de rester un mystère.
Quoiqu'il en soit, les premières cellules sont apparues
très tôt, moins d'un milliard d'années après la
formation de la Terre il y a 4,6 milliards d'années. Un autre fait
établi est que, c'est la vie qui a formé via l'assimilation
chlorophyllienne, l'oxygène libre qui constitue prés de 20% de
l'atmosphère terrestre, et indirectement de l'ozone qui n'est que de
l'oxygène enrichie par réactions photochimiques.
Dés lors, on peut chercher à détecter
indirectement des traces de vie sur les planètes extrasolaires en y
recherchant par la spectroscopie, les traces d'oxygène, d'ozone ou
même de chlorophylle. Il existe des projets de ce genre (le programme
DARWIN de l'ASE, Agence Spatiale Européenne, et le programme Terrestrial
Path Finder, TPF, de la NASA, qui seront probablement amenés à se
fusionner), qui envisagent de voir directement des planètes autour
d'étoiles proches avec plusieurs télescopes satellisés,
pour en faire la spectroscopie. Ces projets, même s'ils sont ambitieux,
sont d'une grande difficulté, car une planète comme la Terre est,
des millions de fois, moins lumineuse que l'étoile autour de laquelle
elle gravite. Il s'agit pourtant de la meilleure, et peut-être de la
seule façon de détecter la vie dans d'autres systèmes
planétaires que le nôtre.
Conclusion
On trouve dans l'antiquité grecque, cinq siècles
avant notre ère, une pensée rationnelle exigeante, s'exprimant
notamment par la plume d'Aristote. Le philosophe savait que notre
planète est ronde et professait un système géocentrique
plaçant la Terre au centre du monde, faisant donc circuler les astres du
ciel, y compris le Soleil, autour de nous. Un philosophe grec Aristarque de
Samos, évoquera plus tard une explication héliocentrique
où le Soleil trône au centre de l'univers. Mais il ne sera pas
écouté. Au contraire, le géocentrisme sera conforté
au deuxième siècle de notre ère par le grand astronome
d'Alexandrie, Ptolémée, qui va élaborer un système
ingénieux détaillant la manière dont les astres bougent en
cercle autour de notre planète immobile.
La christianisation de l'Empire romain entraîne un recul
des connaissances : certains pères de l'Eglise prêchent même
que la Terre est plate. D'ailleurs, ils ne négligent pas seulement la
science grecque mais aussi la langue dans laquelle elle est écrite.
Heureusement, les manuscrits grecs qui avaient trouvé refuge en Orient
réapparaissent (traduits en arabe et commentés par des savants
musulmans et juifs) dans le monde chrétien, au 12ème
siècle par l'intermédiaire notamment de la civilisation musulmane
d'Espagne. Les chrétiens recommencent donc à envisager la
rotondité de la Terre, suscitant plus tard les grands voyages maritimes
qui conduisent à la découverte des Amériques.
Il aura fallu attendre Copernic au milieu du
16ème siècle pour voir apparaître un
système héliocentrique délogeant la Terre du centre du
monde. Mais peu de savants s'y intéressent dans une Europe
embourbée dans des guerres religieuses depuis la rébellion de
Luther. Vers la fin du 16ème siècle, l'Eglise prend
conscience que le copernicianisme sape certains fondements de son enseignement.
Un grand conflit surgit alors avec Giordano Bruno, brûlé vif
à Rome en 1600 pour avoir proféré entre autres
l'infinité de l'univers et la pluralité des mondes
habités. En 1616, l'Eglise condamne formellement l'héliocentrisme
comme doctrine hérétique et exige que Galilée cesse de
l'enseigner ; en 1633, elle condamnera ce savant à finir ses jours en
résidence surveillée après avoir exposé dans le
Dialogue sur les deux plus grands systèmes du monde que la
Terre tourne autour de l'univers et non pas l'inverse.
On doit à Galilée plusieurs découvertes
astronomiques révolutionnaires, ainsi que la formulation de la loi de la
chute des corps. En outre, il est l'un des rares savants rationnels au
début du 17ème siècle. La plupart des autres, y
compris le génial Kepler qui nous a donné les lois
régissant les déplacements planétaires, utilisent souvent
des considérations irrationnelles pour interpréter les
événements.
A l'instar de Galilée, Descartes s'oppose
également à l'antique mentalité et élabore un
système où chaque phénomène s'explique par une
cause mécanique. Pour lui, par exemple, le mouvement des planètes
ne résulte pas d'une action à distance du Soleil. Au contraire,
elles bougent parce que l'espace est plein d'une substance
dénommée « étendue » qui tourbillonne. Les
planètes sont emportées par ces tourbillons comme des bouchons
sur le courant d'une rivière. Par leur détermination, les
cartésiens parviennent non seulement à réduire
l'irrationnel en France mais aussi à contrôler la prestigieuse
Académie royale des sciences créée en 1666.
Newton révolutionne en 1687 aussi bien la physique que
la vision du monde à son époque en synthétisant les lois
terrestres de Galilée et les lois célestes de Kepler.
Malgré cette extraordinaire réussite, sa théorie de la
gravitation est rejetée aussi bien par les cartésiens que par
Leibniz car elle se fonde sur une force attractive à distance qui
paraît bien peu rationnelle. Voici le premier sujet de controverse
scientifique, qui se soldera au 18ème siècle par la
victoire de Newton.
Aujourd'hui, l'avancée de la science et de la
technologie d'observation a permis à l'homme de s'interroger sur le sens
véritable de l'univers dans lequel il vit. La découverte de la
multitude de systèmes planétaires, a amené les
scientifiques à se demander entre autres questions : sommes-nous seuls
dans l'univers ? Avons-nous des voisins dans l'espace cosmique ?
Pour répondre à ces interrogations, la science
astronomique devrait au préalable statuer sur l'existence de la vie sur
d'autres planètes. Pour certains scientifiques, ce n'est qu'une question
de temps. Dans quinze, vingt ou trente ans, des observatoires spatiaux seront
disposés en flottille autour de la Terre et leurs faisceaux de
lumière se combineront pour obtenir la résolution d'un grand
télescope virtuel. Leur objectif est unique : détecter la vie sur
les exoplanètes. En théorie, tout est prêt. Les astronomes
savent qu'il ne leur sera pas facile de repérer une exoterre
noyée dans la lumière de son Soleil - une étoile
émet un milliard de fois plus de lumière visible qu'une
planète- ni même d'espérer analyser son rayonnement sans
grande difficulté. Mais les défis technologiques peuvent
être relevés, et même si la barre est haute, elle sera
franchie.
Nonobstant ces espoirs, il faut tout au moins savoir à
quoi pourrait ressembler la vie sur une exoterre. Les biologistes, pour qui
l'apparition de la vie sur d'autres planètes est beaucoup moins
improbable qu'auparavant, s'avouent incapables d'aider les astronomes. Les
mécanismes du vivant sont trop complexes et il n'y a pas de
modèle capable de faire des prédictions sur ce que l'on pourrait
trouver ailleurs. Cette conquête est comme qui dirait, une campagne de
pêche dans un océan où l'on n'est pas sûr qu'il, y
bougent des poissons.
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Verdet, Jean Pierre : Une histoire de l'astronomie, Seuil,
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Magazines
Ciel & Espace, Juin 2006, « Vie extraterrestre.
Ce qu'il faut chercher »
Ciel & Espace, Hors série 2005, «
Astronomes et philosophes 3000 ans de luttes fécondes »