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Morale et politique chez Kant: le républicanisme comme fondement de la responsabilité morale en politique

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par Moussa Sahirou Tchida
Université de Ouagadougou - Maà®trise ès lettres et philosophie 1998
  

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Universi~l de Ouagadougou

Annee academique 1997 -- 1998

Faculte des Langues, des Lettres, des Arts, des Sciences Humaines et
Sociales

Departement de Philosophie -- Psychologie
Filiere : Philosophie

Theme :

MORALE ET POLITIQUE CHEZ KANT : LE
REPUBLICANISME COMME FONDEMENT DE LA
RESPONSABILITE MORALE EN POLITIQUE

Mémoire de Maitrise de Philosophie présenté par : SAHIROU TCHIDA MOUSSA

Sous la direction de :

M. TRAORE ETIENNE, Maitre-assistant de philosophie

Septembre 1998

TABLE DES MATIERES

DEDICACE............................................................................................................................... 4
REMERCIEMENTS................................................................................................................ 5
INTRODUCTION.................................................................................................................... 6

PREMIERE PARTIE :RAPPEL DES POINTS DES DEBATS PHILOSOPHIQUES SUR LA PROBLEMATIQUE DU RAPPORT ENTRE

MORALE ET POLITIQUE ................................................................................................

 

10

CHAPITRE I : RAPPORTS DE DISJONCTION ..............................................................

 

11

DU TOTALITARISME : L'ABSOLUTISME DE HOBBES .................................

 

12

DE LA LOGIQUE DE L'ETAT CHEZ MACHIAVEL .........................................

 

14

DE L'ASSUJETTISSEMENT A LA CITOYENNETE .............

.............................

1 8

De la source de l'exercice de la souverainete. ..............................................................

 

19

Du respect et de la garantie des libertes politiques .......................................................

 

20

Le choix des gouvernants .............................................................................................

 

20

CHAPITRE II : RAPPORT DE CONJONCTION .............................................................

 

22

DE LA DEMOCRATIE LIBERALE CHEZ ROUSSEAU.....................................

 

23

DE LA DEMOCRATIE LIBERALE CHEZ ROUSSEAU.....................................

 

23

LES PRINCIPES FONDATEURS DES INSTITUTIONS .....................................

 

25

De la souverainete du peuple ........................................................................................

 

25

Dusuffrage universel ....................................................................................................

 

26

De la separation des pouvoirs .......................................................................................

 

27

LES CONDITIONS MORALES DE LA DEMOCRATIE .....................................

 

2

Du respect d'autrui : l'esprit de tolerance.......................................

.............................28

Dela loyaute .................................................................................................................

 

29

La loyaute au niveau des citoyens comme gouvernes ..............................................

 

29

La loyaute au niveau des responsables d'institutions comme gouvernants ..............

30

DEUXIEME PARTIE : L'APPORT DE KANT POUR UNE AUTRE LECTURE DES RAPPORTS ENTRE LA MORALE ET LA POLITIQUE ................................ 31

CHAPITRE I : DU REPUBLICANISME COMME CONDITION D'UN ACCORD POSSIBLE ENTRE MMORALE ET POLITIQUE ........................................................... 32

RAPPORT ENTRE LI BERTE INTERNE ET LI BERTE EXTERNE OU L'AFFIRMATION DU CITOYEN COMME SUJET MORAL. ........................... 33

DE L'AUTORITE DE LA LOI MORALE A LA RIGUEUR DE LA LOI

JURIDIQUE................................................................................................................ 36

DE LA LI BERTE DE PRESSE COMME CONDITION D'EMERGENCE D'UNE OPINION PUBLIQUE MORALISATRICE .............................................. 40

CHAPITRE II : DE LA DOCTRINE DU DROIT COMME PROCESSUS DE MORALISATION DE L'AGIR HUMAIN .......................................................................... 44

DE L'INTERDEPENDANCE ENTRE LE PRIVE ET LE PUBLIC SOUS L'ANGLE D'UNE TOTALITE FONCTIONNELLE. 44

LE JUSTE ET LE BIEN, LA COMPLEMENTARITE DANS LA DIFFERENCE

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ 46

TROISIEME PARTIE :QUEL INTERET POUR LA PHILOSOPHIE DE KANT AUJOURD'HUI 50

CHAPITRE I : LA CONCEPTION KANTIENNE DES RELATIONS INTERNATIONALES 51

DU RESPECT DE LA SOUVERAINETE DES ETATS ET DES PEUPLES

SELONKANT. ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ 51

LA MEDIATION DE L'UNIVERSEL DANS LES RAPPORTS DES ETATS COMME CONDITION DE LA PAIX MONDIALE 54

DE LA PROMOTION DES RELATIONS ECONOMIQUES, UNE SOLUTION POUR LA PAIX ENTRE LES ETATS. 5

CHAPITRE II : L'ETAT DE DROIT ET LA RESPONSABILLITE MORALE EN POLITIQU 61

L'ETAT DE DROIT DANS LA PERSPECTIVE KANTIENNE : UNE APPROCHE ETHIQUE 61

EXIGENCE MORALE ET ACTION POLITIQUE CHEZ L'HOMME D'ETAT

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ 64

CONCLUSION 6

IBLIOGRAPHIE 72

DEDICACE

Nous dédions ce mémoire a tous ceux qui a travers le monde, luttent inlassablement pour la sauvegarde de la démocratie et pour le respect des droits fondamentaux et inaliénables de la personne humaine.

REMERCIEMENTS

Nous remercions et félicitons notre directeur de mémoire, Monsieur TRAORE Etienne pour sa constante disponibilité, sa clairvoyance et son esprit critique, qui nous ont permis de réaliser ce travail.

Nous remercions aussi notre pere Sahirou Tchida, notre regrettée mere Fatima Ibrahim et notre tante Hadjia Habsatou Ibrahim, qui ont guidé nos premiers pas vers l'école et pour nous avoir apporté le soutien matériel et moral nécessaire pour etre là oil nous sommes actuellement.

Nous ne saurions non plus oublier tous les autres parents, freres et sceurs, amis et connaissances qui, a un moment ou a un autre, nous ont appuyé dans notre parcours scolaire et universitaire.

Enfin, nos remerciements vont a l'endroit de tous les enseignants qui, du primaire a l'université en passant par le secondaire, nous ont transmis les connaissances nécessaires pour notre formation intellectuelle et morale.

INTRODUCTION

Au regard de la vie politique en Afrique, sans que cela ne soit generalise a toutes les nations, nous constatons que la politique est consideree comme un incessant travail de conquête et de gestion de pouvoir politique. Elle est a ce titre, le lieu des luttes sans merci, le lieu ou tous les coups sont permis, elle constitue un moyen d'enrichissement sur le dos des paisibles contribuables. Et dans certaines contrees, la gestion du pouvoir politique engendre la creation des foyers de tension, animes par des conflits fratricides, faisant d'innombrables victimes innocentes, des refugies et exiles ayant tout perdu a cause de la folie et de l'orgueil individuel des politiciens.

Par rapport donc a cette situation, qui est l'expression d'un veritable manquement au devoir, d'une inconsequence et d'une irresponsabilite de ceux qui ont en charge la destinee des peuples, un retour a la raison et aux valeurs morales s'impose. Cela permettra une certaine humanisation de l'exercice du pouvoir politique, un assainissement du clivage politique afin que la politique reste et demeure au service de l'homme pour la realisation de son epanouissement materiel et spirituel.

Telles sont donc les motivations qui nous ont conduit au choix de ce theme pour qu'enfin nous ayons une pratique politique a « visage humain ». Il sera donc question pour nous de jeter le pont entre la morale qui recherche le bien et la politique qui vise l'organisation de la cite en vue de l'epanouissement de tous. A cet effet, l'accent sera mis sur la notion de responsabilite du citoyen au sens large du terme a la lumiere des concepts de liberte et de devoir, chers a l'eminent philosophe de l'Aufklariing, Emmanuel Kant.

En se referant aux objets de la morale et de la politique definis precedemment, nous constatons que, de par leur finalite, elles ne sont pas veritablement antinomiques. Mais, la question de leurs interactions engendre des divergences quant a la nature du systeme politique compatible avec la morale.

Il se trouve aussi que ces divergences resultent de la conception que les uns et les autres ont de la nature humaine : si d'aucuns la considèrent mauvaise, d'autres la jugent bonne. En l'occurrence, nous pouvons nous referer respectivement ici a Hobbes et a Rousseau. Le premier fait de l'homme un être naturellement mechant, soumis a des instincts irresistibles et incompatibles avec l'idee de liberte. Par contre, pour Rousseau, l'homme est ne bon et est capable d'elevation d'esprit et de sagesse et sait concilier ses interêts personnels avec l'interêt general.

De ces positions antagoniques, decoulent le pacte de soumission de Hobbes et celui d'association de Rousseau qui sont respectivement les fondements originels du totalitarisme et de la democratie comme doctrines politiques. Le totalitarisme est la conception politique selon laquelle les hommes sont soumis a toute puissance des instances sociales et politiques qui exercent un controle autoritaire sur les personnes et les activites des individus au mepris de leurs droits individuels. Quant a la democratie, elle est la doctrine politique qui prone l'exercice de la souverainete par le peuple, c'est-A-dire l'ensemble des citoyens, au moyen principalement du suffrage universel. Elle exprime donc la volonte generale des citoyens qui sont a la fois auteurs et sujets des lois.

Mais la difference de fond qui existe entre ces deux doctrines reside dans le respect des libertes individuelles et collectives et des droits essentiels de la personne humaine. C'est a ce niveau que toute la problematique du rapport entre la morale et la politique prend son sens, car c'est en fonction de la nature du statut des individus dans une communaute politique donnee (citoyens ou sujets) et en fonction du mode de leur participation a la gestion de la chose publique que l'on peut voir en quoi un système politique peut faire des hommes des citoyens pleinement responsables.

En effet, le domaine du politique est celui de l'action publique dans le double sens de l'Etat vers les citoyens et des citoyens vers l'Etat ; de l'action publique des citoyens entre eux dans leur gestion de la chose publique. Ainsi pour HANS JONAS, la Respublica est "l'objet de la responsabilite qui, dans une Republique est potentiellement l'affaire de tous, mais qui n'est actuelle qu'à l'interieur des limites qu'impose l'observation des obligations generales du citoyen"1. En d'autres termes, la chose publique etant un bien commun a tous les citoyens, nous sommes tenus a ceuvrer pour sa sauvegarde, sans que cela nous soit impose par une force exterieure etant entendu que nous sommes conscients de notre devoir de l'entourer de toute notre affection.

La chose publique est ainsi le domaine de mediation entre gouvernants et gouvernes, elle est ce par quoi les droits et devoirs de chacun sont determines en vue d'une gestion juste et equitable. Or, une telle gestion ne saurait s'effectuer que dans un climat de paix et de serenite entre citoyens, dans un esprit de concorde et de cohesion sociale et dans un espace de libertes qui donne a chacun l'opportunite de participer pleinement a la bonne marche des affaires publiques.

Il apparait ainsi, au regard de ce qui precède, sans anticiper sur la conclusion generale que le totalitarisme, ne considerant pas l'homme dans la plenitude de son humanite, ne reconnaissant pas a l'homme la possibilite de

1

Hans Jonas. Le principe de Responsabilite. Ed CERF 1991, p.19

jouir consequemment de sa liberte et concevant la politique comme simple rapport de commandement a obeissance, ne saurait realiser la relation entre morale et politique. Autrement dit, il ne peut favoriser l'accord entre les principes pratiques d'une action bonne avec la gestion des affaires publiques.

Il decoule pour Hobbes et Machiavel, les principaux theoriciens du totalitarisme en general et de l'absolutisme en particulier, que les fins justifient les moyens en tant que ces fins ne sont rien d'autres que les interets particuliers du souverain en ce qui concerne la sauvegarde et la conservation de son pouvoir. Par contre la democratie, en reconnaissant l'individu comme capable d'elevation d'esprit et de sagesse, par la liberte qu'elle promeut, retablit celui-ci dans la plenitude de sa personne et lui donne l'opportunite de faire preuve d'objectivite et de responsabilite dans les actes qu'il pose.

La democratie, reposant sur cette approche republicaine de l'Etat, est avant tout "un consensus moral, voire un acte de foi"2 auquel on souscrit parce qu'on croit aux valeurs universelles de liberte, d'egalite et de justice qu'elle proclame. Il resulte de ce fait que la democratie, en reconnaissant au citoyen la pleine jouissance de ses droits et de sa liberte, realise toute proportion gardee, l'accord entre morale et politique.

Dans le cadre d'un Etat de droit, administre et gere par des citoyens responsables, conscients de leurs devoirs civiques, le pouvoir politique ne saurait s'affirmer comme oppresseur en ce sens que "le citoyen n'a d'abord de rapports qu'avec sa conscience et la morale, s'il oublie, il a ce rapport avec la loi ; s'il meprise la loi, il n'est plus citoyen : la commence son rapport avec le pouvoir"3.

Par consequent, le citoyen en tant qu'etre raisonnable ne peut s'epanouir que dans un regime democratique qui lui offre les possibilites de son affirmation, en tant qu'etre moral, agissant independamment de toute contrainte exterieure, agissant sous l'autorite de sa volonte autonome.

La liberte n'est pas la faculte de faire n'importe quoi, mais le pouvoir d'ordonner ses penchants en s'arrachant a la causalite mecanique des choses pour devenir des centres d'initiatives. Cela semble delicat quand on se situe dans le contexte d'un gouvernement totalitaire oil comme le souligne Hobbes "la puissance souveraine a raison même de sa generation, est puissance de centralisation et d'unification, si bien que dans l'espace et le temps, rien n'est laisse aux initiatives privees"4. Or, si chacun dans la sphere de ses competences

2 Hans Jonas, op. Cit. p.19

3 Saint Just, L'esprit de la revolution, ed 101 8, 1963, p 146.

4 Hobbes, Le citoyen, Flammarion 1963, p 42.

ne jouit d'une certaine liberte d'action, gage d'engagement responsable du citoyen vis-à-vis de ses obligations envers l'Etat, il ne peut y avoir eclosion d'initiatives.

Face a l'Etat, nul n'est plus que l'autre et chaque citoyen doit mettre tout son pouvoir en vue du bien general et du salut de la chose publique. Par un retour a Kant donc, nous estimons que l'imperatif categorique peut constituer de nos jours le fondement ethique ou moral du politique. Nous sommes en effet, tous tenus d'agir en tant que citoyens, en nous eloignant autant que faire se peut de toute idee d'interet egoiste pour ne considerer que l'interet general.

A cet egard, seul le respect strict de nos devoirs vis-à-vis de l'Etat et de nos concitoyens, determine veritablement le sens de responsabilite. Nous devons nous convaincre avec Hallowell que : "le citoyen est celui qui place ses actes sous l'autorite de sa conscience et n'obeit qu'a la loi non comme un ordre venant de l'exterieur, mais comme l'expression du meilleur de lui-meme, qui le pousse a agir en accord avec la loi dont sa raison a reconnu la necessite."5

Pour y parvenir, l'agir humain, dans le contexte politique devrait etre subsume a des maximes, comme celle que propose Hans Jonas en s'inspirant de Kant et qui s'enonce en ces termes : "agis de facon que les effets de tes actes soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre"6.

Ce travail que nous nous proposons de realiser s'articulera autour de trois axes essentiels : le premier traite d'un rappel des debats philosophiques sur le rapport entre politique et moral a la lumière du totalitarisme et de la democratie ; le second traitera de la pensee morale et politique de Kant, pour en degager son rapport specifique dans le debat ; enfin,, le troisième axe cernera l'actualite possible des idees kantiennes en faisant ressortir dans la pratique politique, la notion de responsabilite, comme expression du libre engagement de chacun a respecter ses devoirs et a ceuvrer en vue du salut de la chose publique dans une atmosphère de paix, de quietude social et de respect mutuel.

5 John Hallowell, Fondements de la democratie, ed Nouveaux Horizons 1970, p 105.

6 Hans Jonas, op cit, p.30

PREMIERE PARTIE :

RAPPEL DES POINTS DES DEBATS PHILOSOPHIQUES SUR LA
PROBLEMATIQUE DU RAPPORT ENTRE MORALE ET
POLITIQUE

CHAPITRE I : RAPPORTS DE DISJONCTION

Il fut un moment dans l'histoire de l'humanite ou l'exercice du pouvoir politique reposait sur l'idee que l'homme, dans son essence, n'etait que peche et la societe des hommes devenait ainsi une societe qu'il s'agissait de contraindre pour faire regner l'ordre, la paix et la securite. Le XVI5me siècle fut particulierement une epoque ou cette conviction etait largement partagee. En effet, soulignons que c'est au cours de ce siècle que s'elabore la doctrine de l'absolutisme qui se definit par l'affirmation d'une souverainete monarchique sans limite et sans controle, ne reconnaissant aux sujets que le droit d'obeir.

A cette periode lA, la politique restait ideologiquement sous la dependance de la religion chretienne ou "le roi est en ce monde sans loi et peut a son gre faire bien ou mal et ne rendra de compte qu'a Dieu seul"7. Les theoriciens et les defenseurs de ce systeme, parmi les quels on peut citer Machiavel et Luther, estimaient que c'est dans l'Etat le plus autoritaire que l'individu connaissait son plus fort developpement, car il y trouvait a la fois son interêt et son bonheur, son plaisir et son bien-être.

Cependant, dans les faits, la realisation de ces fins nobles pêche par l'usage des moyens, qui, au contraire, supposent la negation pure et simple des droits fondamentaux de la personne humaine et de ce qu'il y a d'essentiel en elle, la liberte. Elle est, pouvons nous dire, la fin de l'Etat et est inseparable du bonheur de l'homme. L'homme ne peut en effet, realiser son bonheur s'il n'a pas pleinement conscience de sa liberte et n'en jouit pas pleinement dans son existence. Or l'absolutisme qu'il soit theorique ou laic, en cultivant la crainte et la peur dans l'esprit des citoyens, ne se pose pas comme le garant de leurs libertes politiques et civiques.

A cet effet, en considerant que "la liberte politique dans un citoyen est cette transparence d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa siirete ; et pour qu'on ait cette liberte, il faut que le gouvernement soit tel qu'un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen" 8, il y a lieu de dire, au regard de la violence qui caracterise l'absolutisme et de l'interêt secondaire qu'il affiche pour la dignite de la personne humaine, que celui-ci depouille la politique de toute dimension morale.

Il s'agit d'une conviction que nous allons essayer de defendre en nous appuyant d'une part sur le totalitarisme en general et l'absolutisme de Hobbes en particulier, et d'autre part, sur la logique de l'Etat chez Machiavel. Enfin,

7 Extrait de Obedience of christian man de William Tryndale traducteur en anglais du nouveau testament

8 Montesquieu, Euvres completes, Seuil 1964, p 5 86.

comme consequence de tout cela, nous parlerons de l'assujettissement total du citoyen, auquel est deniee la qualite de personne, au sens noble du terme.

1. DU TOTALITARISME : L'A BSOLUTISME DE HOBBES

Nous entendons par totalitarisme, cette conception politique selon laquelle les hommes doivent etre soumis a la toute puissance des instances sociales et politiques qui exercent un controle total sur les personnes et leurs activites. En d'autres termes, il se base notamment sur l'existence d'un parti unique ou sur la fusion des pouvoirs executif, legislatif et judiciaire en vue de la constitution d'un pouvoir dit fort. Le totalitarisme se traduit pertinemment dans une serie de pratiques politiques que l'on qualifie couramment par differents termes : dictature, despotisme, cesarisme, theocratie, absolutisme, autocratie etc.

D'aucuns considerent le regime totalitaire comme le seul, a meme de garantir au citoyen le bien-etre et de le proteger contre l'insecurite et les abus de toutes sortes. L'argument qui milite en faveur d'un tel systeme politique est que l'homme laisse a lui-meme, c'est-à-dire en liberte, n'est pas apte a assurer l'ordre et la paix dans la societe. Il va falloir alors placer un gouvernement auquel tous les pouvoirs seront delegues et qui aura un droit de contrainte absolu sur l'ensemble des citoyens. C'est effectivement ce que pense Hobbes en proposant un absolutisme monarchique. Pour lui, en dehors d'un pouvoir fort, les hommes vivent en rivalite, defiants les uns vis-à-vis des autres dans un etat de suspicion, sinon de guerre.

La conviction de Hobbes vient du fait que, contemporain de la revolution anglaise du XVII5me siècle et des consequences desastreuses de la vacance des pouvoirs qui s'en sont suivis, il apparait a ses yeux qu'"aussi longtemps que les hommes vivent sous un pouvoir commun, qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qu'on nomme guerre et que cette guerre est guerre de chacun contre tous"9.

Pour Hobbes, comme pour d'autres penseurs ayant theorise sur l'origine de l'Etat, la premiere cause de l'existence d'une societe politique est le besoin naturel de securite. En effet, selon lui, "le motif et le but de celui qui renonce a son droit ou le transfere ne sont que la securite de sa propre personne dans sa vie et dans les moyens de la preserver"10. Cependant, au regard de l'etat de guerre permanente oil vivent les hommes, la solution pour Hobbes reside dans la creation d'un pouvoir fort, capable d'inspirer l'effroi et d'unifier les volontes dans leur soumission au souverain. Celui-ci donc, se substituant aux droits et pouvoirs individuels, sera le pouvoir absolu.

9 Hobbes, Le Leviathan, Flammarion, 19 80, Chap. XII p.152

10 Hobbes, Le Citoyen, Flammarion, Paris 19 82, p 173

Hobbes estime a cet effet que "les actions des hommes en vue de leur paix et de leur concorde repose sur le bon gouvernement de leurs opinions"11. Il developpe a ce niveau un certain pessimisme sur la nature humaine dont il pense que l'egoisme et les instincts irresistibles sont source de passion individuelle donnant lieu a des luttes incessantes et cruelles.

La pensee politique de Hobbes est un requisitoire contre l'idee aristotelicienne de la destination de l'homme a etre et a demeurer un etre social et politique. Elle constitue dans un certain sens une demystification de l'homme, car elle lui denie toute faculte de faire bon usage de sa liberte, en tombant presque dans l'animalite par l'usage incontrole de la violence a chaque fois que ses interets sont mis en cause. En considerant l'homme a l'Etat de nature comme un "loup pour homme", Hobbes annonce le primat des instincts gregaires sur la raison qui devait en principe constituer le signe distinct de l'humanite.

Le passage de l'etat de nature a l'etat social que propose Hobbes, devrait traduire d'une certaine facon, le processus d'humanisation du citoyen, en ce sens que le pacte social par lequel il aliene ses droits, ses pouvoirs et sa liberte au souverain, constitue pour lui une voie de socialisation et de rationalisation de ses desirs. Alors, s'instaure un systeme de gouvernement ou le souverain gouverne selon sa volonte, le citoyen n'ayant pas de voix deliberative, n'est reduit qu'a la simple soumission.

Pourtant, la liberte pour un citoyen est ce qui lui donne la possibilite de choix et d'initiative ; elle est ce par quoi sa responsabilite peut etre pleinement engagee. En deniant la liberte au citoyen, Hobbes fait de lui un etre degage de toute responsabilite car, tout ce qu'il fera, releve de la volonte du souverain. C'est dire ici qu'un homme sans liberte est un homme sans devoir, car le devoir suppose avant tout un engagement librement consenti et qu'on est tenu de respecter quelles que soient les circonstances.

Il va sans dire alors que les citoyens soumis a l'autorite du souverain, n'ayant pas l'initiative de l'action -- ce droit etant devolu au souverain uniquement -- sont exempts de toute obligation, comme le soulignait Hobbes luimeme en affirmant que "la personne etant otee de la nature des choses, il ne peut point naitre d'obligation qui la regarde"12.

En s'appuyant sur l'omnipotence de l'Etat incarne par le seul souverain, l'absolutisme monarchique de Hobbes et le totalitarisme de maniere generale, eloigne la politique de sa mission principale, celle de realiser les ideaux de

11 Hobbes, Le citoyen, Flammarion, Paris 19 82, p 94.

12 Hobbes, Le citoyen, Flammarion 1962, p 173.

justice, de liberte, d'egalite, d'equite parmi les hommes. Le cours de l'histoire a montre q'aucun regime totalitaire, tant au niveau des democraties populaires des pays communistes, que des dictatures africaines et asiatiques n'a eleve ces ideaux au rang des valeurs a appliquer et a respecter effectivement.

Dans les regimes totalitaires, la societe ne fonctionnant pas sur les principes du droit, le souverain est le maitre absolu regnant selon le droit de la force et non selon la force du droit. Le juste et l'injuste sont ainsi subordonnes au seul jugement du souverain. Celui-ci, suivant sa volonte et son temperament, peut ainsi decreter une chose permise ou defendue parce qu'il considere comme celui qui sait mieux que les citoyens ce qui est bon pour eux.

La majorite d'hommes d'Etat, parvenue au pouvoir par la revolution ou les coups de force, ont la conviction que la force du pouvoir central est le seul moyen efficace de niveler les conflits d'interêts et d'instaurer par consequent la paix civile, la justice sociale, de realiser l'unite nationale et de maintenir l'ordre et la securite. Dans cette perspective, le citoyen apparait comme irresponsable et inconscient, a qui on doit imposer du dehors des mesures qui feront son bonheur et sa fierte. Cela constitue un pretexte essentiel pour violer les libertes fondamentales et les droits de l'homme.

En somme, au regard de ce qui precede et en considerant la morale comme l'ensemble des regles pratiques en vue du bien et la politique comme une science de l'organisation de la cite en vue du bon gouvernement des hommes sur la base des ideaux de paix, de justice, de liberte, d'egalite et du respect des droits fondamentaux de la personne humaine, l'on est tente de dire que le totalitarisme en general et l'absolutisme monarchique de Hobbes en particulier constituent des exemples de la disjonction entre morale et politique. Cela apparait beaucoup plus clairement, lorsqu'on sait que beaucoup de dirigeants dans ces types de regime ont tres souvent cherche a appliquer Machiavel sans parfois l'avoir jamais lu. Ils se sont notamment inspires des methodes, des techniques qu'il conseillait au prince pour que celui-ci preserve, conserve et consolide son pouvoir exclusif, en maintenant le peuple principalement dans la peur et la crainte permanentes.

2. DE LA LOGIQUE DE L'ETAT CHEZ MACHIAVEL

Comme Hobbes en ecrivant le Leviathan, c'est aussi l'amertume et la desolation devant la degenerescence de son pays qui ont conduit Machiavel a rediger le Prince. A travers cette oeuvre, il s'agit pour lui de proposer une logique politique qui permette a l'Italie de surmonter le desordre ne des incessantes guerres intestines qui l'ont secouee. Il y a lieu de rappeler ici qu'à l'aube du capitalisme industriel, l'Italie imposait a ses voisins europeens sa

suprématie commerciale. Son rayonnement économique lui attirait de plus en plus la convoitise des pays comme la France, l'Espagne et la Suisse.

Au plan militaire, l'Italie était en proie a des guerres intestines et ne comptait qu'une multitude des petits Etats rivaux, toujours entrain de se faire et de se défaire. Cette situation fragilisera du coup la puissance militaire du pays, ce qui favorisera son invasion a plusieurs reprises par les trois pays précités. C'est d'ailleurs ce qui a fait dire a Machiavel que "l'Italie a été connue par Charles, pillée par Louis, violée par Ferdinand et déshonorée par les suisses"13. C'est donc excédé par la barbarie des hommes et surtout les exactions que subissait son pays, que Machiavel souhaita l'arrivée d'un prince, capable de débarrasser l'Italie du pillage et de l'anarchie, de la libérer de ses envahisseurs, afin d'en restaurer et maintenir l'ordre et l'unité.

La déconfiture de l'Italie amena Machiavel a préconiser l'instauration d'un régime fort en vue de discipliner les hommes. Ainsi, bien qu'il souligna que l'histoire est le lieu d'un mouvement qui porte les Etats vers la liberté et la démocratie, cela n'était pas encore possible dans le cas particulier de l'Italie qui vivait un grand désordre et oil, seule une main princière devrait préalablement ramener l'ordre et l'unité.

A partir de ce moment, Machiavel proposa une nouvelle vocation de l'Etat qui consiste non pas a restaurer l'ordre pour le salut exclusif des citoyens, mais pour le salut du prince en le renforcant dans l'exercice du pouvoir. Pour Machiavel, il n'y a de droit que celui qu'une force est capable d'imposer. C'est la force qui décide en politique alors que la morale demeure presque impuissante. La conduite des affaires politiques exige du prince un comportement contraire a la vertu.

Suivant la logique Machiavélique, dans la conduite des affaires de l'Etat, c'est la réussite de l'action politique qui compte et pour y parvenir tous les moyens sont bons et nécessaires. La réussite est donc le premier critere d'évaluation. La bonne politique est celle qui réussit a maintenir l'autorité de l'Etat quels que soient les moyens utilisés. Comme on le constate, c'est l'efficacité que Machiavel vise en politique et il n'y a de mauvais politicien ou de mauvais prince que celui qui ne peut pas faire aboutir ses actions.

Il apparait chez Machiavel que rien n'a plus d'importance que le salut du souverain. Le peuple est relégué au second plan comme s'il n'a pas droit a la protection. Et le paradoxe vient justement du fait que dans le commerce entre Etat et citoyens, ce n'est pas le souverain qui sécurise le peuple, mais plutôt

13 Machiavel, Euvres Completes, Gallimard et 952, ch. xvi p 322.

c'est lui qui se protege contre le peuple, comme si ce dernier est son ennemi. Le comble vient du fait que Machiavel n'hesite pas a prescrire l'usage de la violence pour maintenir le pouvoir du prince. Il soutient qu'avoir le pouvoir c'est contrôler une situation a son avantage et la force souvent est le moyen le mieux indique. Est bonne, une violence qui detruit l'adversaire une fois pour toutes ; est mauvaise la violence qui se repète, et devient alors une terreur continue.

Dans le langage politique de Machiavel, nous constatons que les notions de liberte, de justice, d'egalite sont quasi inexistantes alors qu'elles constituent les valeurs essentielles pour toute politique qui se donne une dimension morale. Machiavel fonde ainsi sa politique en la debarrassant des considerations morales. Ce refus total d'introduire la morale en politique traduit comme on l'a dejà dit ce realisme politique de Machiavel. Il preconise la pratique politique plutot conforme aux realites effectives qu'aux ideaux : "il m'a paru plus pertinent de nous conformer a la verite effective de la chose qu'aux imaginations qu'on s'en fait. En effet, il y a si loin de la façon dont on vit a celle dont on devrait vivre, que celui qui laisse ce qui se fait pour ce qui se devrait faire, apprend plutot a se detruire qu'a se preserver"14.

Une autre caracteristique de la pensee politique de Machiavel qui caresse aussi une certaine amoralite dans la conduite des affaires de l'Etat, c'est la duplicite dont peut faire preuve le prince en fonction des circonstances. En effet, Machiavel developpe une dialectique de l'etre et du paraitre par laquelle le prince doit revetir, selon le besoin, un comportement humain ou animal. Il demande ainsi a l'homme d'Etat d'être centaure (le cas echeant) c'est-A-dire cet animal mythique qui possede a la fois une partie humaine et une autre animale.

Il faut donc aussi savoir faire la bête pour maintenir son pouvoir, savoir ne pas tenir a ses promesses, savoir s'eloigner du bien et "entrer dans le mal". Il confere donc a l'apparence une grande importance, car elle joue beaucoup sur l'imagination des foules. Machiavel souligne que "l'universalite des hommes se repait de l'apparence comme de la realite, souvent l'apparence les frappe meme plus que la realite"15. Il ajoute aussi que la societe des hommes est une societe de spectacle "tout le monde voit bien ce que tu sembles, mais bien peu ont le sentiment de ce que tu es."16

La leçon essentielle a tirer de cette duplicite, c'est l'incitation qui est faite au prince de se servir souvent du mensonge. Il estime en effet, que le mensonge vaut plus souvent mieux que la fidelite a la parole donnee. Il fait remarquer a ce

14 Machiavel, Euvres Completes, Gallimard 1952, p 332.

15 Machiavel, op cit p 343.

16 Ibidem, p 34 8.

niveau que beaucoup de princes s'en étaient bien tirés non pas en faisant de la loyauté leur base de conduite, mais en faisant peu cas de cette fidélité et en s'imposant aux hommes par la ruse. A propos justement de la ruse, il estime que pour s'élever d'une condition médiocre a la grandeur, elle est plus nécessaire que la force, mais que ruse et force doivent par principe etre complémentaires. C'est en cela qu'il définissait la vertu comme la promptitude a savoir se servir de la force et de la ruse.

Machiavel préconise tous les moyens qui peuvent permettre au prince d'atteindre les fins qu'il vise. Il justifie cette approche par le fait que les princes ne peuvent pas etre scrutés devant un tribunal. Il préconise a cet effet, que "le prince songe uniquement a conserver sa vie et son Etat ; s'il y parvient tous les moyens qu'il aura pris seront jugés honorables et loués par tout le monde."17

C'est la recherche d'un Etat fort qui pousse Machiavel a investir son prince des responsabilités exceptionnelles, a le situer au dessus du commun des mortels et a l'autoriser a entrer dans la voie du mal si nécessaire. Convaincu que seule l'extreme rigueur du pouvoir politique peut écarter de l'Etat le spectre du désordre, Machiavel fait table rase de toutes les considérations morales. A ce égard, on est tenté encore de s'interroger, si on fait la politique pour le bien du peuple ou si seulement on fait la politique parce qu'on a soif du pouvoir, soif de gouverner, soif des privileges et des honneurs qui s'y rattachent1 8. Dans ce cas, rien d'autre alors n'a d'importance que la conquete, l'exercice et la préservation du pouvoir.

En définitive, au regard de ce qui précede et pour apprécier brievement la pensée politique de Machiavel, nous allons nous en tenir a la réflexion de Raymond Aron qui affirmait que : "Machiavel, penseur politique a dit et répété avec une absolue franchise, qu'il fallait voir la réalité telle qu'elle est, non telle que l'on voudrait qu'elle fQt. En ce sens élémentaire, il proclame ce que les uns appellent réalisme, les autres cynismes, les autres esprits scientifiques. A certaines époques et dans certaines circonstances, l'esprit scientifique, s'il se comporte ou érige l'emploi des moyens efficaces pour atteindre certains objectifs, aboutit a un certain cynisme. La rationalité dans le choix des moyens, déduites de l'observation sans préjugé des consécutions causales, ne garantit pas plus la moralité des moyens que celle des fins."19

17 Ibidem, P 34 8.

1 8 Spinoza "Machiavel n'a fait que montrer de quels moyens un prince omnipotent dirigé par son appétit de domination doit user pour se rétablir et maintenir son pouvoir" du Traité d'autorité politique, ch. v & 7 p 137, Flammarion 1977.

19 Raymond Aron Machiavel et Marx, in Revue "Centre joint" n°4 été 1971.

3. DE L'ASSUJETTISSEMENT A LA CITOYENNETE

L'analyse precedemment faite sur l'absolutisme monarchique de Hobbes laisse entrevoir que la doctrine du totalitarisme fait de l'homme en tant qu'"être politique" un sujet plutot qu'un citoyen. Nous entendons par citoyen, tout individu reconnu juridiquement comme membre d'une communaute politique donnee, jouissant de tous ses droits et auquel incombent aussi des devoirs dans les limites des charges qui sont les siennes. Il s'agit alors d'une personne etablie dans sa dignite et dans la plenitude de ses facultes a participer activement a la gestion des affaires publiques.

Le statut du citoyen se trouve donc lie a la constitution republicaine, comme regime fonde sur le droit en tant qu'expression de la volonte generale. Il s'agit donc d'un regime ou la souverainete appartient au peuple comme ensemble du corps politique constitue de tous les citoyens jouissant de la faculte deliberative sur toutes les questions relatives a la vie publique.

L'Etat republicain peut ainsi fonder un regime democratique qui repose sur la responsabilite des citoyens contrairement aux regimes totalitaires ou la responsabilite repose sur le seul monarque. C'est a ce niveau qu'on peut situer toute la difference conceptuelle qui existe entre citoyen et sujet. Le premier est un acteur sur la scène politique de sa communaute ou il joue son role en toute liberte et en toute responsabilite, tandis que le second est un passif, car soumis a la volonte du monarque a qui il doit obeissance et devouement sans aucune garantie de ses droits.

Historiquement, la conscience d'être citoyen est apparue pendant la revolution francaise et elle traduisait la volonte de sortir de l'ancien regime monarchique base sur l'assujettissement du peuple. Aussi, quand on parle de sujet, c'est souvent en reference a un monarque ou a un souverain detenant le pouvoir absolu et auquel tous les membres de la communaute sont statutairement soumis.

Hobbes definit les sujets en ces termes : "je nomme sujets de celui qui exerce la souverainete tous les citoyens d'une même ville et même les compagnies qui composent une personne civile sous ordonnee."20 En d'autres termes, Hobbes designe par sujet, toute personne statutairement appelee a rendre toute sorte d'obeissance a un monarque. Mais au dela, de cette definition du sujet par Hobbes, trois conditions particulières permettent de determiner le statut politique des personnes comme citoyens ou sujets dans un regime donne. Il

20 Hobbes, Le citoyen, G. Flammarion, 1992.

s'agit notamment de la source de l'exercice de souverainete, du respect et des garanties des libertes politiques et du mode de choix des gouvernements.

3.1 De la source de l'exercice de la souverainete.

La reconnaissance d'un regime politique comme totalitaire ou democratique repose en grande partie, mais non exclusivement sur les conditions d'exercice de la souverainete. En effet, le regime totalitaire ou despotique se caracterise par le fait que la souverainete est detenue et exercee par un individu en la personne du monarque. Entre ses mains sont concentres tous les pouvoirs et aucune autre volonte ne peut s'opposer a la sienne. Or, dans un regime democratique, la detention et l'exercice de la souverainete sont devolus au peuple dont la volonte est au dessus de toute autre volonte particuliere. Il s'en suit ainsi dans le premier cas, que le peuple est constitue de sujets comme personnes qui dependent de la volonte absolue du monarque. Dans le deuxieme cas, le peuple est constitue des citoyens comme personnes qui ne dependent que d'eux-memes a travers leur volonte exprimee. Dans le premier cas, la source de la souverainete reside dans le monarque, dans le cas, elle repose sur la volonte generale des citoyens.

La souverainete populaire reconnue comme "inalienable" par Rousseau fonde la legitimite du pouvoir politique. C'est donc le passage de la source de la souverainete du monarque au peuple qui marque la fin de l'assujettissement et le commencement de la citoyennete. Le peuple se liberant du joug et de la tyrannie d'un seul, se donne l'opportunite de participer librement a la prise en charge de son propre destin, s'investir resolument dans la vie publique. C'est dans le meme esprit de responsabilite qu'Alain Tourraine concoit la citoyennete : "c'est dans la participation a l'ceuvre commune du corps social que l'individu se forme, domine ses passions et ses interets, devient capable d'agir rationnellement". Or, une telle conception ne cadre nullement avec un systeme ou le peuple n'a aucune initiative.

En effet, dans ce système le peuple reste et demeure soumis aux initiatives unilaterales du monarque dont les actes politiques visent parfois a soigner plutôt son image et sa grandeur que le bien-être du peuple. Par contre, dans le regime democratique, les hommes sont plutôt responsabilises comme citoyens jouissant des droits de s'autogouverner. C'est donc la question de la libre participation des hommes a la conduite des affaires de la cite qui oppose fondamentalement les doctrines d'essence totalitaire et la democratie : le premier cas de non participation les reduits en sujets ; le deuxième de participation en fait des citoyens.

C'est le lieu donc d'insister sur le respect et la garantie des libertes politiques.

3.2 Du respect et de la garantie des libertes politiques

Depuis l'antiquite grecque, le citoyen se definissait comme une personne libre qui participait aux decisions politiques de la cite, a la legislation et a l'administration de la justice, bref aux fonctions publiques. Il s'opposait ainsi aux travailleurs et aux esclaves qui etaient consideres comme alienes, car dependants d'autres citoyens. Meme si nous assimilons le sujet d'un monarque a l'esclave, il apparait tout de meme qu'ils partagent un point commun, la privation de la liberte. Or, il n'y a de citoyen que celui qui constitue en luimeme un centre d'initiatives qui se definit comme une personne autonome, independante et souveraine, capable de decider librement de ses actions, dans le respect de la legalite.

En tout etat de cause, la liberte est une condition de l'exercice de la souverainete du peuple, car celle-ci ne peut s'affirmer veritablement que lorsque les citoyens jouissent de la plus grande liberte. Elle constitue le noyau central de la citoyennete et meme la qualite premiere de l'humaine nature. Comme le souligne Hegel : "la liberte pour tous est la condition constitutive de la nouvelle societe pour autant qu'elle a comme sujet les particuliers consideres dans l'egalite de leur nature affectee des besoins et liberes aussi de toutes les institutions qui les limitent politiquement ou juridiquement."21

Cependant, pour que les institutions ne limitent pas politiquement ou juridiquement les prerogatives des citoyens, il faudrait que ces derniers prennent une part active essentielle dans le choix des gouvernants.

3.3 Le choix des gouvernants

Le libre choix des gouvernants par les gouvernes eux-memes c'est-A-dire les citoyens, constitue donc la troisieme condition de la citoyennete. L'attribut fondamental du citoyen c'est d'être electeur et eligible, autrement dit, qu'il ait le droit de participer au choix des dirigeants comme il peut egalement se presenter comme candidat aux elections. Ce droit lui est expressement reconnu par toute la constitution republicaine s'inspirant de la declaration universelle des droits de l'homme et du citoyen de 17 89.

Le libre choix des gouvernants est une prerogative considerable dont jouit le citoyen en ce sens qu'elle exprime d'une part la manifestation de sa

21 Joachim Rittler, Hegel et la revolution f, ed Bauchesne, p 55.

souveraine volonte et d'autre part aussi, elle consacre sa responsabilite politique dans la conduite des affaires de la cite. C'est donc par le libre choix des gouvernants par les gouvernes a intervalles reguliers que se definit le mecanisme institutionnel de democratie. Ce mecanisme ouvre egalement la voie a un dialogue constructif entre les dirigeants et les diriges quant au partage des charges et de la responsabilite en ce qui concerne la gestion collegiale et concert~e de la chose publique.

Ainsi, par le libre choix des gouvernants, les citoyens échappent en principe a la tyrannie, puisqu'ils agissent ainsi par eux-mêmes et pour euxmêmes. C'est cela qui est principalement recherché dans les regimes de type démocratiques dont Rousseau fut l'un des grands défenseurs. L'auteur du contrat social faisait confiance aux vertus du regime démocratique, le plus favorable d'après lui a l'élévation morale des citoyens.

CHAPITRE II : RAPPORT DE CONJONCTION

Traditionnellement definie comme pouvoir du peuple, la democratie comme pratique et theorie politiques, a connu une lente evolution a travers les siecles. La premiere forme de la pratique democratique au sens de technique de la conduite des affaires de l'Etat par le peuple lui-meme fut rencontree dans la Grece antique. En effet, la Grece consideree comme "berceau de la liberte politique" avait pratique la democratie au sens du pouvoir du peuple par la mise en place d'une assemblee souveraine denommee ecclesia, qui presidait a la definition des orientations generales de la politique de la cite. Il s'agissait alors du type de democratie directe qui consistait a reunir a l'agora le peuple pour debattre de preoccupations de la cite, proceder a la designation des dirigeants et au vote des lois. Cependant, cette democratie athenienne fonctionnait sur une base elitiste, c'est-A-dire que les categories sociales les plus nombreuses, notamment les femmes, les meteques et les esclaves etant exclus du jeu politique : elles n'etaient ni electrices, ni eligibles.

Mais, la democratie comme doctrine politique s'etait progressivement affirmee avec des theories comme Spinoza, Locke, Montesquieu et Rousseau entre le XVII& et le XVIII& siecle2222. Leur pensee politique est une sorte de denonciation et de refus de la pratique de la politique absolutiste de l'ere medievale ou l'exercice du pouvoir politique appartenait conjointement a la noblesse et clerge chretien. Ces auteurs soutiennent alors que le meilleur regime, c'est la democratie. Elle concilie l'autorite politique et la liberte du citoyen par le biais de la separation des pouvoirs, des consultations regulieres de la volonte populaire, le respect des droits et libertes des individus, etc. Toutefois, la mise en pratique de ces differentes theories n'a veritablement commence a se concretiser qu'avec les revolutions americaines et francaises. Mais, c'est la revolution francaise qui a le plus eu d'echo a travers le monde, parce qu'elle a consacre le triomphe des ideaux republicains par le renversement violent et spectaculaire de la monarchie de l'epoque. Elle a eleve la liberte du citoyen au rang du droit fondamental et par lA, elle confera a l'homme le pouvoir de se realiser par lui-meme.

La revolution francaise offrira a l'humanite la declaration universelle des droits de l'homme et du citoyen dont les references essentielles sont, entre autres, la liberte, l'egalite, la justice, la souverainete populaire. Cette declaration, faut-il le souligner reprend en ses nombreux articles, quelques passages essentiels du contrat social de Rousseau sur la liberte, l'egalite et la souverainete des citoyens. Il en est ainsi, de l'article I qui stipule que "les hommes naissent et

22
· i

Je fats allusion ici aux wuvres ci-après : Traite de l'autorite politique (Spinoza), Traite sur le gvt civil (Locke) et L'esprit

des lois (Montesquieu).

demeurent libres et egaux en droits"23, de l'article II qui stipule que "le principe de toute souverainete reside essentiellement dans la nation"24, de l'article IV qui affirme que : "la loi est l'expression de la volonte generale"25, etc. Il apparait de ce fait que Jean Jacques Rousseau a eu une influence certaine sur les acteurs de la revolution française, notamment au niveau de la constituante. C'est en cela qu'il est considere comme un des pionniers de la democratie liberale, laquelle (depuis le XVIIIi5me siècle), faisant du bonheur commun la fin de l'action politique, concilie dans ses fondements la morale et la politique, etablit des fins ethiques a l'action politique.

1. DE LA DEMOCRATIE LLI BERALE CHEZ ROUSSEAU

Rousseau represente dans l'histoire de la pensee politique l'antithese de Hobbes sur la nature et la legitimite du pouvoir politique. Ils conviennent tous les deux, qu'avant la constitution de l'etat social, les hommes auraient vecus dans un etat de nature ou etat d'inorganisation a cet etat de nature.

Ainsi, pour Rousseau dans l'etat de nature, il y avait un equilibre entre les besoins des hommes et leur satisfaction, parce que dans cet etat, tout etait en abondance et il n'y avait pas de propriete privee. Dans cet etat, l'homme etait un etre physiquement fort, resistant, moralement innocent, car ignorant le mal. Il etait habite par le sentiment de pitie et pour toutes ces raisons, il etait "libre, bon et heureux". C'est ce que Rousseau qualifie comme une sorte d'enfance heureuse de l'humanite. Mais, cet etat de nature disparaitra au profit d'une premiere forme de socialisation qualifiee de "mauvaise socialisation".

Cet etat serait marque par l'apparition de la propriete privee, qui engendra d'ailleurs la mefiance et les conflits entre les hommes. Il s'instaura alors une situation non viable ou les interets egoistes se brisaient les uns contre les autres, malgre les multiples lois et reglements que les Etats adoptaient pour instaurer l'ordre. La situation allant en s'empirant, l'Etat a son tour devint mefiant vis-a-vis des citoyens qu'il tendait d'ailleurs a brider davantage. C'est en ce moment que la necessite de trouver une nouvelle forme de societe s'imposa. Il s'agissait d'une societe ou la nature raisonnable et libre de l'homme soit respectee tout en tenant compte du besoin historiquement incontournable de l'organisation sociale. Tel fut l'objet essentiel du contrat social de Rousseau.

C'est donc a partir de ce moment que Rousseau s'attela a chercher cette forme d'association par laquelle "chacun s'unissant a tous n'obeisse qu'a lui-

23 F.M Walkins, L'ere des ideologies :"les revolutions francaise et americaine offraient la liberte non pas a une seule nation mais a toute l'humanite" Nouveaux Horizons, p 89.

24

Rousseau Du Contrat social, ed sociales 19 80, p12.

25 Ibidem.

meme et reste aussi libre qu'auparavant"26. Il trouva la solution en ce que chacun aliene sa liberte, non pas au profit d'un seul (monarchie) ni de plusieurs (aristocratie) mais de tous (la democratie). Cette alienation de la liberte de chacun au profit de tous, s'effectue a travers un contrat social par lequel l'homme se reconcilie avec sa propre nature d'être libre et fonde l'etat social. L'Etat issu de ce contrat social devint l'incarnation de la volonte generale, "un corps collectif et moral". Avec cet etat, chaque citoyen accepte de faire un exercice civilise de sa liberte en echange d'une garantie de cette meme liberte.

Le contrat social reposera sur la soumission a la loi dictee par chaque citoyen au travers de la volonte generale definie comme lieu de rencontre des volontes individuelles, altruistes, celles orientees par la raison et visant le bien commun. Des lors, l'individu ne peut protester contre une decision prise par la collectivite a laquelle il a des l'origine fait remise de son independance individualiste. Il s'agit donc de l'Etat contractuel qui protege les libertes individuelles contre les abus d'autrui. Soulignons a ce niveau, que l'Etat ne tire sa legitimite que du respect de la volonte generale et pour etre efficace, il doit se donner les institutions necessaires pour recueillir cette volonte. A cet effet, Rousseau louait la democratie directe a l'image des ecclesias grecques ou des cantons suisses, oil les citoyens exprimaient directement a travers des debats publiques leur volonte. Il s'agit la pour Rousseau, de la meilleure forme de democratie au detriment de la democratie representative ou parlementaire.

L'important ici, c'est qu'au-delA du choix de forme, la democratie realise A l'oppose du totalitarisme, la reconciliation de l'Etat et du citoyen. Elle offre, en plus une vision plus optimiste de la nature humaine. Elle croit notamment en la capacite de l'homme a realiser le bien public. Par ailleurs, Rousseau croit en la faculte de l'homme a vivre en paix avec ses semblables selon les normes ethiques et rationnelles : "c'est l'homme agissant selon les règles morales consultant sa raison et non plus son instinct"27 qui est le citoyen en democratie. Le but de la democratie vise a une forme de gouvernement oil l'Etat exerce son autorite dans le respect des libertes des citoyens tout en garantissant a chacun les mêmes droits fondamentaux. La democratie tant a valoriser la tolerance, preconiser le respect de la liberte individuelle et prevenir toute politique arbitraire par la separation des pouvoirs et le recours aux consultations electorales.

L'investiture du pouvoir a laquelle procède le peuple est le fait d'un contrat : chacun dans ses rapports avec l'autre et avec le pouvoir, accepte la limitation de certains de ses droits propres et reconnait chez autrui et dans le pouvoir les droits correspondants. Si les citoyens ne se reconnaissent plus dans

26 26. J.J. ROUSSEAU, op cit, p.21

27 J.J. ROUSSEAU, op cit, p 21.

le pouvoir parce que celui-ci ne reflète plus leur volonte, ils seront tentes de suspendre leur confiance a ce pouvoir lui Ctant ainsi toute legitimite.

Le contrat suppose donc des engagements et des devoirs auxquels les uns et les autres ont souscrit et qui doivent etre respectes, meme si c'est a l'encontre de certains interets personnels.

La morale commence là oii l'autorite du devoir s'impose a tous et que chacun etant conscient de ce fait s'efforce de la respecter. En tout etat de cause, la democratie comme aboutissement d'un contrat originel ne saurait remplir toutes ses promesses de liberte, d'egalite et de justice, que lorsque des institutions idoines fonctionnent regulièrement.

2. LES PRINCIPES FONDATEURS DES INSTITUTIONS DEMOCRATIQUES

La democratie se caracterise par un certain nombre de principes fondateurs qui rendent harmonieux le fonctionnement des institutions et qui rapprochent au mieux les gouvernants des gouvernes. Parmi ces principes, nous retenons essentiellement trois. Il s'agit de la souverainete du peuple, du suffrage universel et de la separation des pouvoirs.

2.1 De la souverainete du peuple

La democratie selon Spinoza est "l'union de tous les hommes qui detiennent collegialement, comme un tout organise, un droit souverain sur tout ce qui est effectivement en leur pouvoir"2 8. Il apparait ainsi que la democratie trouve son essence dans la reconnaissance prealable de la souverainete comme pouvoir absolu du peuple et seule source de la legitimite du pouvoir. La souverainete est "invisible et inalienable" affirme Rousseau en tant qu'elle est l'exercice de la volonte generale et cette volonte generale est celle du peuple.

La souverainete ne demeure pas seulement un concept, car comme pouvoir absolu, le peuple l'exerce effectivement par le biais des consultations electorales et referendaires notamment. La democratie athenienne bien qu'elitiste et discriminatoire en ecartant les femmes, les metèques et les esclaves, n'en est pas moins une reference historique en ce qui concerne l'exercice reel de la souverainete par le peuple lui-meme. En effet, la souverainete dans la democratie athenienne fut devolue a une assemblee ou ecclesia qui comprenait tous les citoyens libres sans distinction de richesse, d'honneur et de profession.

2 8 Spinoza, Traite de l'autorite politique, Gallimard 197 8, p 36.

Les citoyens libres dans la Grece antique étaient ceux-la qui ne faisaient pas du travail manuel, qui ne dépendaient pas socialement et statutairement d'autres personnes. Cette assemblée souveraine lors de ses assises (au moins quarante fois par an) présidait a l'installation de tous les organes politiques, administratifs et juridiques nécessaires a la gestion de la cité.

Dans l'esprit des athéniens, la souveraineté comme pouvoir absolu ne saurait être confiée a un seul homme, ni a un groupe particulier d'individus, mais a une multitude de personnes avec une multitude de mains, une multitude de pieds, avec beaucoup d'organes et présentant de nombreuses qualités morales et intellectuelles.

A la différence de la démocratie athénienne, la démocratie moderne se présente comme une sorte d'exercice par procuration de la souveraineté, en ce sens que le peuple confere ses pouvoirs a un parlement. Celui-ci au nom du peuple qui l'a mandaté, légifere et controle l'action gouvernementale. Cependant, cette délégation de la souveraineté ne signifie ni l'aliénation de celle-ci, ni la subordination du peuple au pouvoir politique, car la souveraineté appartient au peuple.

A ce titre, tout doit partir de lui, et tout doit lui revenir, car les institutions et les hommes qui les animent sont des serviteurs. Tout régime politique est passager, mais le peuple dans sa puissance souveraine est perpétuel. Comme tel, il peut être considéré comme une autorité morale, car les gouvernants sont tenus de prendre en compte ses opinions, ses jugements, ses attentes au risque de subir sa sanction. Le peuple n'est pas cette masse anonyme d'individus, mais il est une conscience, celle contenant les buts et les intérêts de tous les citoyens. C'est donc, en tant que conscience unifiée de l'ensemble du corps social, que le peuple exerce sa souveraineté et exprime sa volonté par le biais du suffrage universel.

2.2 Du suffrage universel

Le suffrage universel est un droit de vote accordé a tous les citoyens remplissant les conditions légales. Il est, au demeurant, basé sur l'idée d'égalité fondamentale des hommes. Par le suffrage universel, les citoyens dans des conditions égales pour tous expriment donc leur souveraineté, par le choix des responsables politiques. Le suffrage universel constitue fondamentalement un moyen pour le peuple de sanctionner positivement ou négativement les hommes politiques ayant exercé un mandat électif ou exécutif. Le suffrage universel est indissociable de la logique démocratique, car il est la condition sine qua non de l'alternance et aucun régime ne peut prétendre être réellement démocratique

lorsque les citoyens ne peuvent exercer librement et dans la transparence leur droit de vote.

Par le suffrage universel, ce qui est recherche c'est l'expression de la volonte generale, car pour Rousseau "quand on propose une loi a l'assemblee du peuple, ce qu'on demande n'est pas precisement s'ils approuvent la proposition ou s'ils la rejettent, mais si elle est conforme ou non a la volonte generale, qui est la leur"29. Le suffrage universel est par consequent un mode d'expression, par le quel le peuple se prononce sur ce qui est conforme ou non a sa volonte.

Ainsi, c'est a partir de l'expression du suffrage universel que certaines institutions republicaines sont mises en place, notamment l'executif et le legislatif, objets d'une autre preoccupation dans la bonne marche du systeme democratique en ce qui concerne leur fonctionnement separe.

2.3 De la separation des pouvoirs

L'objectif de la separation des pouvoirs est d'eviter l'arbitraire du pouvoir par accumulation des fonctions politiques. C'est en prevision de cela que Montesquieu affirmait que : "lorsque dans la meme personne ou dans la meme magistrature, la puissance legislatrice reunie a la puissance executrice, il n'y a point de liberte ; parce qu'on peut craindre que le meme monarque ou le meme senat fasse des lois tyranniques pour les executer tyranniquement"30.

Le principe de la separation des pouvoirs est l'une des particularites du regime democratique, par rapport a d'autres regimes oii la totalite des pouvoirs est concentree entre les mains du seul pouvoir executif ou son equivalent. Mais la separation des pouvoirs n'implique en realite qu'une difference de fonction entre le legislatif, l'executif et le judiciaire ; chacun d'eux a des obligations et des droits qui lui sont propres. Ils ne fonctionnent pas en vase clos, ni de facon isolee, mais sont dans une interrelation constante qui prend la forme d'une interdependance dans la complementarite.

Ainsi, le rapport que le pouvoir executif doit avoir avec le pouvoir legislatif sous le regard vigilant du pouvoir judiciaire, c'est de veiller a ce que la liberte des citoyens soit preservee, de meme que leurs interêts materiels et moraux dans le cadre de la loi. Lorsqu'il y a separation et equilibre entre les differents pouvoirs, l'appareil d'Etat connait un meilleur fonctionnement et la gestion de la chose publique peut etre plus harmonieuse. Il se trouve ainsi que toutes les philosophies politiques democratiques assignent comme but final au pouvoir, la creation et l'elargissement des conditions de la liberte.

29 J.J. ROUSSEAU Du Contrat Social, ed sociales 19 80, p 172.

30 Montesquieu, De l'esprit des lois, Gallimard 1961, chap. vi.

Cependant, force est de constater que la démocratie en plus de sa réalité institutionnelle exige ce que Montesquieu appelle vertu, qui est l'effort de dépassement permanent pour réaliser l'intéret public, respecter les lois. Il s'en suit que la démocratie suppose aussi un certain nombre de valeurs morales telles que le respect d'autrui, la loyauté, le sens du devoir qui sont nécessaires aux citoyens. Nous allons a présent préciser leur contenu.

3. LES CONDITIONS MORALES DE LA DEMOCRATIE

La démocratie constitue un modèle politique universellement applicable, car chargé des valeurs universelles comme celles de liberté, d'égalité, de justice, d'équité, du respect de la dignité humaine etc. Elle est le regne de la raison. Etant toujours un processus inachevé, la démocratie a besoin des hommes vertueux, des hommes capables de transcender leurs égoismes, des hommes respectueux de la légalité, de leurs concitoyens et enfin des hommes animés de bonne volonté au sens kantien du terme.

En un sens chacun d'entre nous doit se conduire en homme de devoir, quelqu'un qui s'oblige envers lui-meme et envers les autres. Et le premier devoir que nous avons envers les autres, c'est d'abord de les respecter dans leur personne et dans leur dignité, c'est aussi nous conduire en citoyens loyaux, respectueux de la communauté et de ses lois et reglements :

1.1 Du respect d'autrui : l'esprit de tolérance

La démocratie pour reprendre les termes de Tourraine "n'est possible que si chacun reconnait a l'autre comme soi-meme, une combinaison d'universalisme et de particularisme"31. Autrement dit, la démocratie doit reconnaitre a chaque composante sociale les memes droits et les memes devoirs au-dela de toute autre considération liée a l'appartenance a une communauté politique, religieuse, ethnique, etc. : nul ne doit etre exclu du jeu politique.

L'esprit démocratique est, par ailleurs, incompatible avec la non reconnaissance et le non respect des différences spécifiques liées au sexe, au culte, a la culture, a la langue, etc. La démocratie tend a favoriser une sorte de synthese des particularités, pour créer une certaine unité dans la diversité. Cela passe par un esprit de tolérance entre les différentes communautés politiques, entre les différents groupes d'intérêts en vue du consensus nécessaire a la paix civile et a l'épanouissement de tous.

31 Alain Tourraine, Qu'est-ce la démocratie, Fayard 1994, p 9.

Le respect de l'autre commence necessairement par sa reconnaissance comme egal a soi en droits et en dignite. Cette reconnaissance mutuelle est une condition indispensable et meme prealable a une vie politique democratique.

En somme, la democratie constitue ainsi une maniere d'être et de savoir vivre ensemble, avec nos differences, afin d'edifier un monde de plus en plus ouvert a la plus grande diversite possible des citoyens.

1.2. De la loyaute

Synonyme de droiture, de fidelite, la loyaute est la vertu de celui qui, en toute circonstance, a l'egard de soi-meme comme a l'egard d'autrui, se conduit en homme honnete. Elle se traduit par le respect d'un contrat auquel on souscrit et elle est aussi source de confiance entre differentes volontes particulieres. La loyaute suppose aussi une resistance a ses inclinations egocentriques.

La loyaute concerne egalement l'action publique, l'action institutionnelle notamment. Elle est donc un principe moral qui doit nous guider dans notre vie aussi bien privee que publique. Nous aurons ainsi a analyser la portee de ce concept et au niveau des citoyens et au niveau des responsables d'institutions.

1.2.1 La loyaute au niveau des citoyens comme gouvernes

Dans un systeme democratique, la loyaute est avant tout une fidelite envers la legalite republicaine et a l'egard de l'Etat comme forme consciente de la vie en commun des hommes. La democratie n'etant pas un regime de force ou de terreur, il est celui qui fait confiance a la volonte raisonnable du citoyen et a son sens du devoir. Cette volonte peut etre identifiee au patriotisme qui grandit chez le citoyen le sens du devoir et du respect des institutions.

La loyaute chez le citoyen est un atout, elle englobe ses rapports avec l'Etat et avec ses concitoyens. Elle est ce par quoi, on peut reconnaitre un homme de bonne moralite. Un citoyen loyal est celui qui sait mettre l'inter:t general au dessus de ses inter:ts particuliers. A l'egard de ses concitoyens, "il les reconnaitra comme des êtres moraux et qui le reconnaitront comme tel, ceux envers lesquels il devra, pourra et voudra observer une loyaute, non d'obeissance forcee a des lois qu'il n'approuve pas, ne comprend pas, ne vit pas, mais une loyaute d'amitie et de confiance raisonnables"32.

32 Eric Weil, Philosophie politique, J Vrin, Paris 1974, p 251.

1.2.2 La loyaute au niveau des responsables d'institutions comme gouvernants

A ce niveau, la loyaute se traduit par le fait que les responsables d'institutions politiques (legislatifs, executif et judiciaire) et l'administration oeuvrent dans le sens de l'interêt public. Ces responsables loyaux doivent ainsi donner l'exemple de la droiture et de la fidelite dans la gestion des affaires publiques et dans le respect des engagements pris.

Le gouvernement est l'artisan de la vie politique, economique et culturelle. Lorsqu'il manque de loyaute, il ne peut remplir convenablement son role, et c'est tout l'edifice etatique qui peut s'ecrouler. Sa responsabilite etant enorme, sa loyaute est indispensable pour un meilleur epanouissement materiel et spirituel de tous les citoyens. En plus de l'executif, la bonne foi est une necessite qui s'impose a toute la classe politique, a tous ceux qui ont en charge la gestion de la chose publique.

A tous les niveaux, la democratie exige une culture de la loyaute qui permette a chaque acteur politique de jouer son role dans le respect strict de la volonte generale et de la loi fondamentale.

En definitive, on retiendra que la bonne foi des gouvernants dans la gestion transparente des affaires de l'Etat, la fidelite des juges au serment prête, l'honnêtete des parlementaires dans leur role legislatif et du contr8le de l'action gouvernementale et l'impartialite de la societe civile dans le jeu politique, sont quelques exigences fondamentales pour une vie politique et democratique saine. C'est pour ce type d'exigences que Kant voit en democratie (archetype de la constitution republicaine) le lieu de l'affirmation de l'homme comme fin. Cela nous améne a aborder la pensee politique Kantienne dans la perspective d'une mise en evidence possible des rapports specifiques du politique a l'ethique.

DEUXIEME PARTIE :

L'APPORT DE KANT POUR UNE AUTRE LECTURE DES
RAPPORTS ENTRE LA MORALE ET LA POLITIQUE

CHAPITRE I : DU REPU BLICANISME COMME CONDITION D'UN ACCORD POSSIBLE ENTRE MMORALE ET POLITIQUE

La pensee politique de Kant est manifestement l'une des plus exigeantes dans l'histoire des idees politiques en ce qui concerne la consideration accordee au respect des libertes et droits de l'homme, et aux valeurs morales d'une maniere generale. Sa preference pour une constitution republicaine s'explique par le fait qu'elle soit compatible avec la liberte, la soumission de tous a une legislation commune et enfin avec le droit d'egalite devolu a tous.

La constitution republicaine renferme en elle le droit public que Kant definit comme "un systeme des lois a l'usage d'un peuple, c'est-à-dire d'une multitude d'hommes ou d'une multitude de peuples qui, entretenant des rapports d'influence reciproque, ont besoin pour que leur echoit en partage, ce qui est droit, d'un Etat juridique obeissant a une volonte qui les unifie"33.

Cette volonte unificatrice qui est la constitution republicaine represente donc la reference juridique d'un peuple, lorsque celui-ci decide de vivre sous une republique, c'est-à-dire une communaute politique ou les rapports entre les membres sont fondes et regis par des lois. Il s'agit alors des lois emanant de la volonte des citoyens et devant donc être respectees par tous. C'est pourquoi la constitution republicaine garantit une bonne legislation pour un peuple.

La vie politique, faut-il le souligner, est faite essentiellement de relations humaines ; elle est un ensemble d'interactions entre differentes consciences dans leurs diversites et particularites.

L'espace politique se trouve être le lieu de formation et de codification des rapports entre citoyens, assignant a chacun d'eux des droits et des devoirs publics. Ces droits et devoirs publics sont fondes sur la recherche d'une meilleure existence assurant a tous la securite, la liberte et l'epanouissement. Or nous percevons comment chez Kant, la liberte, la raison et le devoir sont requis dans la vie morale.

A ce egard, la democratie comme forme agissante du republicanisme, cesse d'être alors seulement une manière de gerer la cite, pour être egalement plus une exigence morale en incluant les valeurs de la liberte, de la responsabilite, du respect d'autrui et de la recherche de la paix parmi les hommes et entre les nations. C'est en cela que Kant peut être considere comme une reference dans l'approche des rapports entre la morale et la politique : il nous indique pratiquement des prealables ethiques d'une politique digne des êtres humains.

33 Kant, Euvres philosophiques, Flammarion 19 86, p 575.

1. RAPPORT ENTRE LI BERTE INTERNE ET LI BERTE EXTERNE OU L'AFFIRMATION DU CITOYEN COMME SUJET MORAL.

Hannah Arendt affirmait que "les régimes totalitaires ne sont pas contentés de mettre un terme a la liberté d'exprimer ses opinions, mais ont fini par anéantir dans son principe la spontanéité de l'homme dans tous les domaines"34. En d'autres termes, le citoyen sous un régime totalitaire est un individu dépouillé de la faculté de penser et de décider par lui-même, du fait notamment de l'état de soumission dans lequel il se trouve. Il s'agit alors d'un homme dont la pensée et l'acte sont tributaires de la volonté d'un autre : c'est un etre aliéné.

L'homme ainsi soumis perd le droit de décider par lui-meme, perd tout sens d'initiative. L'autonomie dans l'action désigne l'accomplissement d'une action par l'homme lui-meme, sans contrainte extérieure. Elle est aussi cette faculté d'initier par soi meme une action, parce qu'on jouit de la liberté.

Il se trouve ainsi que l'autonomie dans l'action, comme liberté dans l'initiative de l'action, engendre souvent des conduites nouvelles qui doivent cependant respecter une éthique acceptable par les autres etres raisonnables. C'est en cela que la morale kantienne incluant les concepts d'autonomie et de liberté, exige pour nos actions des maximes qui puissent etre "érigées en lois universelles de la nature". En d'autres termes, elles doivent etre valables et acceptables par toute autre conscience raisonnable.

Il n'y a donc pas d'action raisonnable sans liberté et sans autonomie de la volonté, concepts fondateurs de la morale kantienne. Il existe deux niveaux de liberté qui se rapportent respectivement a la regle du droit et a la regle morale. Pour Kant, le rapport entre liberté externe et liberté interne, entre liberté politique et autonomie du sujet moral, entre droit politique et moral, est plutôt un rapport de complémentarité que d'exclusion. L'un ne peut en principe contredire l'autre, car il ne peut y avoir conflit entre le bien moral de l'homme et le bien moral de la communauté des hommes.

La pensée morale et politique de Kant, cherche donc a concilier la morale et le droit dans la perspective de conférer a l'agir humain un caractere éthique et sociable. Cette approche revêt tout son sens lorsqu'on se réfère a cette maxime : "agis extérieurement de telle sorte que le libre usage de ta volonté puisse coexister avec la liberté de chacun suivant une loi universelle"35.

34 Hannah Arendt, Qu'est-ce que la politique ? Seuil 1995, pp 61-66

Mais l'applicabilite d'une telle maxime suppose d'abord que les hommes se considerent comme egaux en dignite et egalement soumis aux exigences du devoir. Ainsi, chacun en fonction de son statut, s'oblige a accomplir ses devoirs sans cela ne lui soit ordonne ailleurs. Chacun doit faire son devoir dans le poste qui lui est assigne de telle sorte que nul n'ait uniquement l'obligation d'obeir et l'autre le droit de commander. Or, cela n'est possible que dans le contexte ou chaque citoyen est effectivement libre et qu'il est aussi conscient que cette liberte lui impose des devoirs, notamment ceux d'agir promptement, au nom de l'interet general.

En effet, le citoyen comme le souligne Kant est celui qui ne veut pas etre une simple partie de la chose publique, mais qui veut etre egalement membre, c'est-a-dire partie agissant de son propre chef en communaute avec les autres. Il est celui qui a le droit d'agir sur l'Etat, de participer a son organisation et de contribuer a sa legislation. Il resulte de cela que le citoyen ne doit obeir qu'a l'Etat et le gouvernement en tant "qu'autorite qui exerce le pouvoir politique doit le traiter suivant les lois de son independance personnelle, qui fait que chacun se possede lui-meme et ne depend point de la volonte absolue d'un autre, a cote ou au dessus de lui"36. Aussi, la citoyennete n'est pas une simple integration sociale d'un individu dans une communaute politique donnee, elle est la reconnaissance d'un individu comme etre libre, jouissant de tous ses droits fondamentaux et s'acquittant de ses devoirs.

La constitution republicaine instaure une forme de gouvernement qui responsabilise au mieux le citoyen, face a ses devoirs. A ce titre, le citoyen doit pouvoir s'elever au-dessus de ses interets egoistes, en faisant preuve de maitrise de soi, car comme le dit Durkheim "la maitrise de soi, voila la premiere condition de tout pouvoir vrai, toute liberte digne de ce nom"37.

On peut aussi dire que la constitution republicaine est un pari sur la liberte et si nulle autre entrave n'est apportee par le pouvoir a l'exercice des libertes individuelles, la condition humaine ne pourrait qu'etre amelioree. Le dynamisme d'une societe, sa capacite a se hisser au rang des nations qui prosperent sont tributaires de la liberte d'action des citoyens, de leur engagement personnel et de leur bonne volonte. Pour ce faire, les institutions politiques doivent creer les conditions d'un exercice effectif des volontes autonomes des citoyens.

De ce fait, tout Etat qui se veut rationnel, digne des hommes doit faire des citoyens, des hommes pleinement libres et par consequent responsables. La ou

36 Kant, Euvres philosophiques, T03, Gallimard, 1976, p 5 83.

37 He, Kheim, Textes, T2 Religion, morale, anomie ed. De minuit, Paris 1975, p 1 82.

les citoyens n'ont aucune initiative de l'action, oil toutes les actions se realisent dans la peur et la terreur, les chances d'un developpement durable sont hypothequees. En effet, on ne peut pretendre realiser le bonheur d'un peuple, en traitant les citoyens comme des "enfants mineurs qui ne peuvent distinguer ce qui est pour eux veritablement utile ou pernicieux, de se comporter de faMon simplement passive pour attendre uniquement du jugement du chef de l'Etat, la faMon dont ils doivent etre heureux"3 8.

Une telle faMon de conduire les affaires de la cite est celle comme le dit Kant, du gouvernement despotique qui denie toute liberte et tout droit aux citoyens. L'Etat ayant pour vocation premiere de veiller a la securite des citoyens, doit creer les conditions de leur epanouissement materiel et spirituel en amenageant les espaces de libertes necessaires.

La citoyennete, incompatible avec un Etat de contrainte et de privation des libertes, suppose une charge, une responsabilite pour tout citoyen au titre de membre actif, de co-gestionnaire de la cite et des interets de la communaute politique.

Ainsi, l'affirmation du citoyen comme sujet moral au regard de sa responsabilite dans la gestion de la cite, se trouve partagee entre sa liberte interne ou l'autonomie de sa volonte et sa liberte politique en ce sens que celleci lui cree les conditions empiriques d'exprimer et d'executer sa volonte. En d'autres termes, la liberte politique permet au citoyen de traduire dans les faits, les deliberations de sa volonte, dans le respect des droits et volontes des autres, dans la recherche de ce qui est bien et juste pour la societe.

Il y a manifestement ici, une volonte de synthese de Kant, qui tout en distinguant legalite et moralite, tente tout de meme de trouver une solution de continuite entre l'obligation juridico-politique d'accepter la loi et l'obligation morale d'agir par devoir. Ainsi, partant de la constitution comme loi fondamentale, il y a comme une sorte d'unification des volontes legislatrices des citoyens.

Par ailleurs, dans une republique oil chacun est electeur et eligible, l'egalite politique fait qu'il n y pas de domination, de soumission que par rapport a la loi qui fixe a chacun ses droits et ses devoirs. Aussi, si dans la societe chacun respecte la loi, occupe effectivement la place qui lui revient et joue le role qui lui est assigne, les chances sont grandes d'eloigner l'arbitraire et l'injustice.

Il se trouve ainsi que dans une republique, tout tient au respect de la loi et Kant ne manque pas de le dire lorsqu'il souligne qu'"il faut qu'il ait dans toute communaute, une obeissance au mecanisme de la constitution politique d'apres des lois de contrainte, mais en meme temps, un esprit de liberte etant donne que chacun exige, en ce qui touche au devoir universel des hommes, d'être convaincu par la raison que cette contrainte est conforme au droit, afin de ne pas se trouver en contradiction avec soi-meme"39.

Les citoyens sont donc tenus de se conformer a la loi communement acceptee et c'est en cela aussi qu'il y a une dimension morale de la vie politique. Il apparait ainsi que pour que le citoyen s'affirme comme sujet moral, il lui faut savoir concilier ses principes pratiques avec la loi de la communaute, qui est avant tout sienne aussi, et Eric Weil le dit ainsi : "la morale pour etre praticable exige de moi que j'agisse selon la loi de concrete de ma communaute"40

. L'essentiel ici est que cette loi (qualifiee de positive) ne soit pas en contradiction avec le principe de la morale qui se fonde sur le bien et le juste.

C'est d'ailleurs cette question que nous evoquerons en relevant qu'il existe une certaine similitude entre l'autorite de la loi morale et la rigueur de la loi juridique.

2. DE L'AUTORITE DE LA LOI MORALE A LA RIGUEUR DE LA LOI JURIDIQUE

La loi morale comme la loi juridique s'impose a l'individu en terme de contrainte avec cette difference essentielle que la premiere suppose une contrainte que le sujet s'impose a lui-meme et la seconde renvoie a une contrainte venue de l'exterieur. En d'autres termes, la loi morale decoule de la volonte particuliere et autonome du sujet, alors que la loi juridique (tirant son origine du droit positif) emane de la volonte du legislateur qui, dans la Republique, est le peuple a travers ses representants. Il y a lieu egalement de souligner que la loi morale et la loi juridique caracterisees par une universalite formelle, nous renvoient aux concepts de morale privee et de morale publique. Par cette derniere, nous entendons les principes et bonnes manieres admis par tous les citoyens dans leurs relations publiques.

Comme telle, il n'y a pas de difference, entre elles mais presentent une certaine complementarite, car le sujet moral ne vit pas en dehors de la societe. Il ne peut donc y avoir une mise entre parentheses de la realite sociale par celui-ci dans la mesure oil le monde qui fait irruption dans la solitude de son :tre "l'empêche de s'apaiser dans l'oubli de la realite commune, la realite de l'action

39 Kant, Euvres philosophiques, T03 Gallimard 196 8, p 2 83

40 Eric Weil, Philosophie politique, J Vrin 19 84.

et des conséquences"41. En effet, les maximes du sujet moral ne prennent forme qu'à l'occasion 'actions dans le monde des hommes. Autrement dit, même si pour le sujet moral les conséquences de ses actions ne déterminent pas ses maximes, il n'en demeure pas moins qu'il ne peut pas rester indifférent aux conséquences qu'engendreront ses actions, car elles sont aussi l'élément de mesure de validité même des maximes.

Il est donc de notre devoir de veiller a ce que les actions que nous initions soient seulement fondées sur des maximes pouvant être valables pour tout être raisonnable, et qu'elles soient aussi conformes a la loi juridique, au principe de "non nuisance" a la liberté et au bien d'autrui. Il s'agit donc du domaine du droit oil "les fins que se propose le sujet n'impliquent pas pour être réalisées que la liberté d'un sujet opprime celle d'un autre"42. Les lois juridiques ne sont pas de créations ex nihilo, elles peuvent être considérées comme la formalisation des principes du droit naturel. Elles constituent une sorte de consensus entre les hommes qui, en décidant de vivre ensemble, décident par le même motif d'établir des règles de conduite auxquelles chacun devrait se conformer pour l'harmonie et la cohésion de la communauté.

La loi juridique organise le role de chacun, fixe les conditions d'acquisition et de conservation du "mien et du tien", elle crée les conditions d'un agir humain a même de prendre en compte la dignité et la liberté des autres. La loi juridique n'est donc pas essentiellement coercitive, car elle suppose d'abord une référence, un repère pour des individus qui ont tendance a s'éloigner de la morale publique, en s'abandonnant a leurs inclinations subjectives. La loi juridique constitue donc une sorte de rappel et d'avertissement a chaque individu pour qu'il reste dans les limites de sa nature raisonnable et évite d'attenter a la morale publique. En un mot,, nous pouvons dire que la loi juridique a aussi un role préventif.

Par ailleurs, la place de l'homme dans la société est celle du particulier dans l'universel, deux concepts qui s'interprètent, s'inter définissent, et qui sont par conséquent inclusifs : l'un ne peut se définir sans l'autre. Ainsi, l'action de l'homme en vue de ses propres fins selon "la raison liberté" est aussi action sur le monde. Partant de cela, il apparait qu'il n'y a pas a proprement parler de morale exclusivement privée, car toute opinion morale appelle autrui pour sa reconnaissance en ce sens qu'autrui représente ici, toute la communauté des citoyens a travers la morale publique. De ce point de vue, les maximes que je me donne ne doivent pas être en principe tues et tenues au secret, mais portées a la connaissance des autres pour évaluer la pertinence. Rappelons que le maxime est le principe subjectif qu'un sujet moral se donne en vue d'une action. La question

41 . Eric Weil, op cit p 31.

42 Kant, Métaphysique des Moeurs, Doctrine du droit, Gallimard 19 86, p 15.

a ce niveau est de savoir si elle aura valeur objective pour etre raisonnable, c'esta-dire, si elle peut etre erigee en loi universelle. Or, on ne peut savoir si elle aura cette valeur objective, sans qu'elle ne soit au prealable confronte aux opinions des autres. D'ou le principe de "publicite" dont parle Kant et qui doit necessairement etre pris en compte dans la definition de nos maximes. Kant souligne ainsi, que "la maxime que je n'ose publier, sans agir contre mes propres fins, qui exige absolument le secret pour reussir, et que ne saurais avouer publiquement sans armer tous les autres, contre mon projet, une telle maxime ne peut devoir qu'a l'injustice dont elle menace cette opposition infaillible et universelle dont la raison prevoit la necessite absolue"43.

Cependant, le principe de publicite ne prend tout son sens que dans le cadre du droit public et celui du rapport entre gouvernants et gouvernes. En effet, les citoyens doivent etre tenus informes des lois et decisions prises en ce qui les concerne, pour qu'ils puissent au titre de l'opinion publique, donner leur appreciation. En ce qui concerne precisement les lois, elles doivent faire l'objet de publicite pour qu'elle recueille l'assentiment et l'adhesion libre de tous, afin qu'elles soient maintenues et renforcees dans leur cadre imperatif. Toute loi qui, dans une republique, ne recueille pas l'adhesion libre de tous, c'est-à-dire qui ne soit pas compatible avec la volonte generale [de tous] est tyrannique, autrement dit injuste.

Si dans la morale privee, c'est la volonte libre et autonome du sujet qui est legislatrice, il s'en suit qu'en ce qui concerne la morale publique, c'est la volonte unifiee de tous qui est legislatrice, car comme le souligne Kant, "il n'y a que la volonte concordante et unifiee de tous, pour autant que chacun pour tous et tous pour chacun decident la meme chose (...) qui puisse etre legislatrice"44. Dans le domaine de la loi, aucun mutisme n'est tolere, car ne dit on pas que dans une republique ou tout est regle par les principes du droit "nul n'est sense ignorer la loi ?". Or, peut-on effectivement connaitre et respecter la loi, si elle ne fait pas l'objet de publicite (condition de transparence dans le processus de decision) ?

C'est donc par la publicite qu'on peut connaitre et respecter la loi (loi juridique s'entend). La publicite participe ici au renforcement du caract&re universel de la loi, qui doit en principe s'imposer a tous. Mais, l'universalite n'est pas le seul point commun entre la loi morale et la loi juridique, il y a aussi le principe d'egalite. En effet, le caract&re universel de la loi morale et de la loi juridique dont on parle, ne peut avoir de sens que lorsqu'on consid&re effectivement que tous les hommes sont egaux en dignite et en droit et qu'ils soient tous capables de saisir la substance rationnelle de la loi. Le respect de la

43 Kant, Euvres philosophiques, T3 Gallimard 19 86, p 37 8.

44 Kant, Euvres philosophiques, Gallimard 19 86, pp 57 8-579

loi morale et de la loi juridique incombe donc a tout être raisonnable et a tout citoyen et personne ne doit se soustraire de cette logique, dans la mesure oil, de part notre nature, nous sommes tous libres et égaux et jouissons tous de la faculté de discerner le bien du mal.

Ainsi, chacun d'entre nous doit pouvoir s'élever au dessus de son individualité et exercer de manière autonome sa volonté en vue de conférer a ses actions une valeur morale. La maxime que je me donne comme règle pratique a ma volonté, devrait en tout lieu être celle que se donnera un autre en toute circonstance comme une loi universelle c'est-a-dire une règle de droit. Le droit est corollaire de la loi, ils entretiennent une sorte de relation dialectique en ce sens que le droit est exprimé par la loi et que la loi elle-même se détermine par le droit. La loi découle toujours de la nécessité de traduire expressément ce que les hommes ont le droit de faire ou de ne pas faire. La loi est donc toujours ce par quoi les droits des uns sont protégés contre les désirs et les tentations des autres a les violer.

L'obéissance a la loi n'est donc pas la soumission a une simple règle, mais c'est avant tout le respect de la dignité de la personne humaine. C'est en cela que le respect de la loi devient un impératif catégorique, un devoir auquel chacun d'entre nous doit se soumettre. Il se trouve ainsi que si nous pouvons distinguer une loi juridique d'une loi morale, force est de reconnaitre que l'obéissance que nous devons a l'une ou a l'autre émane de notre nature d'être libres. Kant dira a cet effet : "qu'il faut qu'il soit dans toute communauté une obéissance au mécanisme de la constitution politique d'après des lois de contrainte, mais en même temps un esprit de liberté étant donné que chacun exige en ce qui touche au devoir universel des hommes, d'être convaincu par la raison que cette contrainte est conforme au droit afin de ne pas se trouver en contradiction avec soi-même. L'obéissance sans l'esprit de liberté est la cause de la naissance de toutes les sociétés secrètes"45. Il se trouve ainsi qu'un système de lois qui s'adresse a des personnes raisonnables afin d'organiser leur conduite doit se préoccuper ce qu'elles peuvent faire ou ne pas faire en tenant compte de leur liberté.

L'obéissance aux lois constitue pour chacun un devoir qu'il s'impose a lui-même et que lui impose aussi la communauté, parce qu'il est une partie de ce tout et qu'a ce titre il est lui-même législateur. L'obéissance a la loi juridique ne se fonde pas a priori sur des considérations morales, mais elle contribue a promouvoir chez le citoyen la faculté de moraliser sa conduite, c'est a dire qu'elle l'amène a conformer sa conduite aux valeurs du juste et du bien. Par ailleurs, le non respect de la loi juridique et la non reconnaissance de sa

45

Kant, Euvres philosophiques, T3 Gallimard 19 86, p 342. Op cit, p 342

souverainete sont des delits qui peuvent concourir a la degenerescence de l'Etat en le precipitant dans l'anarchie. La loi est le ciment de la societe, son respect eleve la conscience individuelle, a l'universalite. Les juristes disent a cet effet que "la loi est generale, impersonnelle et universelle dans objet et sa portee. "

Une analyse plus approfondie des concepts de la loi juridique et de la loi morale nous revele dans une mesure que la rigueur de l'une peut se comprendre par l'autorite de l'autre. L'individu qui fait violence sur lui-meme pour respecter la loi morale en lui, se voit obliger d'observer la meme rigueur a l'egard de la loi qu'il a en partage avec les autres au nom du principe, "du dois, donc tu peux". Ce principe implique tout simplement que la maxime que je me donne librement ou la loi qu'on se donne tous ensemble et souverainement, n'a ete acceptee que parce que nous pensons honnetement pouvoir l'appliquer.

De la loi morale a la loi juridique, Kant lance un appel au sujet moral confondu en la personne du citoyen de faire "un bon usage, un usage public de sa raison". Nous retrouvons d'ailleurs l'echo d'un tel appel a travers la maxime fondamentale de la raison pure pratique :"Agis de telle sorte que la maxime de ta volonte puisse toujours valoir comme un principe de la legislation universelle"46.

En definitive, nous devons retenir que la loi juridique tout en etant une loi de contrainte, garantit tout de meme nos libertes, car en tant que principe de legalite, elle trouve son fondement "dans l'accord conclu par des personnes raisonnables en vue d'etablir pour elles-memes la plus grande liberte possible egale pour tous"47. Aussi, devons-nous convenir avec Hayek que "la difference entre les lois morales et juridiques n'est pas entre des regles qui se sont developpes spontanement, et ces regles qui ont ete faites deliberement, car la plupart des regles du droit n'ont pas ete faites deliberement a leur origine. C'est plutot une distinction entre des regles auxquelles la procedure d'officialisation par l'autorite contraignante legitime devrait s'appliquer, et celles auxquelles elle ne devrait pas s'appliquer"47.

Nous aborderons a present le role de l'opinion publique dans le processus de moralisation de la vie publique par le biais de la liberte de presse.

3. DE LA LIBERTE DE PRESSE COMME CONDITION D'EMERGENCE D'UNE OPINION PUBLIQUE MORALISATRICE

Dans les democraties representatives modernes, les decisions et lois que les organes executifs, ou legislatifs prennent ne sont pas forcement toujours celles conformes a la volonte generale du peuple. Dans ces conditions, le peuple

46 Kant, Critique de la raison pratique, PUF, 1966, p 53

47 John Rawls, Theorie de la justice, Seuil, 19 87, p 276

peut-il rester muet face a des decisions et des lois prises en son nom et qui vont A l'encontre de ses interets ?

La reponse est manifestement negative. Kant suppose a cet egard que la liberte de presse, qui est selon ses termes propres, "la liberte d'ecrire", est un puissant moyen pour le peuple ou pour ceux qui sont ses "porte-voix" de denoncer les actes injustes pris par les gouvernants. Ainsi, le peuple (qui, chez lui n'a pas le droit de desobeir ou de resister a l'autorite politique), peut donc legitimement exprimer son opinion ou denoncer les decisions gouvernementales qu'il juge injustes.

Les gouvernants soumis a l'obligation de conformer leurs missions aux aspirations du peuple, ne doivent en aucun cas "faire ce que le peuple ne fera pas pour lui-meme"48. Ils ont donc vocation a laisser le peuple s'exprimer librement. Ils y ont meme inter:t car l'opinion publique est comme un "miroir", qui reflete l'accueil fait par le peuple aux decisions des gouvernants. Elle constitue ainsi un thermometre social, une source de pression morale et un lieu d'approbation ou de refus des actes des gouvernants. La liberte d'expression est avant tout un droit inalienable reconnu aux citoyens par toutes les constitutions s'inspirant de la declaration universelle des droits de l'homme et du citoyen de 17 89. Cette declaration stipule en son article 11 que "la liberte de communication, des pensees et des opinions est un des droits les plus precieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, ecrire, imprimer librement, sauf a repondre de l'abus de cette liberte dans les cas determines par la loi"49.

La presse comme moyen d'expression de l'opinion publique est dans une certaine mesure un autre moyen de controle de l'action des gouvernants d'evaluer leurs decisions afin de les corriger le cas echeant. Sinon, par quelle voie, comme se le demande Kant, "le gouvernement peut-il obtenir les informations qui viennent en aide a son propre dessein, sinon en laissant s'exprimer l'esprit de liberte, si digne de respect dans son origine et dans ses effets"50. Par consequent, lorsque les gouvernants, sont convaincus qu'en tant qu'hommes leurs oeuvres ne sont jamais parfaites et persuades qu'ils agissent au nom du peuple, ils doivent se convaincre egalement que l'opinion publique leur est indispensable pour la realisation du destin national.

La liberte de presse qui permet une expression d'opinions plurielles est ce qu'il y a de mieux pour animer le debat politique dans une saine emulation republicaine. En effet, n'y avait-il pas pour reprendre les propos de Charles Ledre "d'interêt a ce que les idees, les initiatives, les projets des gouvernants

48 Friedrick, A Hayek, Droit, Legislation et Liberte, T2, PUF 1926, p 6 8.

49 Kant, Euvres philosophiques T3, Gallimard 19 86, pp 2 88-2 89.

50 Kant, Euvres completes, Gallimard 19 86, p 2 89-290.

fussent soumis a une discussion d'autant plus opportune qu'il se trouve moins de science et de ressources dans la tete, meme ministerielle, que dans toutes les tetes"51.

Il se trouve alors que la premiere tache d'un gouvernement republicain est de veiller a ce que la liberte de presse soit sauvegardee et cela dans l'interet general. Toutes les actions que le gouvernement initiera sont supposees etre destinees au peuple. A ce titre, il apparait logique que des citoyens mieux avertis, plus informes et plus instruits se fassent le devoir d'exprimer leur opinion. Il est meme un devoir pour le citoyen de se prononcer sur les actes du gouvernement s'il les jugent injustes. P.L. Cour disait si justement : "laissez dire, laissez-vous blamer, condamner, emprisonner, laissez-vous pendre, mais publiez votre pensee. Ce n'est pas un droit, c'est un devoir, etroite obligation de quiconque a une pensee de la produire et mettre au jour pour le bien commun. La verite est toute et a tous"52.

La presse au sens large du terme, c'est-A-dire celle qui informe, qui eduque le peuple, celle qui porte haut sa voix, est indispensable pour garantir une gestion rationnelle de la chose publique. A travers elle, nous publions et diffusons nos attentes, nos inquietudes, nos approbations et desapprobations sur la gestion de notre patrimoine national. Lorsqu'il y a absence ou etouffement de l'opinion publique dans un Etat quel qu'il soit, il y a un risque evident de derapage et d'abus de la part des gouvernants. A ce propos, les affirmations de Sylvain Marechal sont assez eloquentes quand il dit que "dans quelque Etat que se trouve la chose publique, n'en desesperer pas tant qu'elle aura pour sentinelle la liberte absolue de la presse. Mais n'attendez rien du salut de la patrie si vous vous laissez dessaisir de cette arme, avec laquelle vous serez invulnerable et sans laquelle vous deviendrez esclaves..."53.

Par ailleurs, si Kant privilegie la liberte de presse, c'est parce qu'il estime qu'elle est aussi un mode de pacification des rapports entre gouvernants et gouvernes. C'est donc par la communication et le dialogue que l'on peut parvenir a un accord sur la maniere de gerer les affaires de l'Etat. Et lorsqu'il arrive que le citoyen apprehende mal les actions gouvernementales en voyant en elles des formes d'injustice, il se doit de se donner les moyens appropries pour manifester ses inquietudes. Il ne s'agira pas pour lui de se soustraire et d'envisager une quelconque rebellion, a laquelle Kant s'oppose farouchement comme il a ete dejà dit. A cet egard donc, Kant suggere encore la publicite "comme tout homme possède cependant ses droits inalienables qu'il ne peut

51 Charles Ledre, Histoire de la presse, Fayard 195 8 p 93

52 P.L. Com, (Euvres completes, Fayard 1962, p 214.

53 Sylvain Marechal, homme politique francais de l'ere de la revolution, cite dans l'histoire de la presse, op cit p 115

jamais abandonner, quand bien meme il le voudrait, et au sujet desquels il est lui-meme autorisé a juger, mais que l'injustice dont il se considère la victime n'arrive, d'après ce qui vient d'être posé, que par erreur ou par ignorance de la par du pouvoir supreme de certaines conséquences des lois, il faut que le citoyen ait la possibilité, et ce encourager par le souverain lui-meme, de faire connaitre publiquement son avis sur ce qui, parmi les dispositions prises par le souverain lui semble constituer une injustice en vers la communauté"54.

En somme, en nous appuyant sur le cas de la liberté de presse dans les pays de grande tradition démocratique, l'on constate que l'opinion publique par ce biais, influe considérablement sur les décisions gouvernementales. Aussi, les sondages régulièrement effectués sur cette opinion publique par rapport a des questions précises d'intérêt national amènent les gouvernants a mieux réfléchir avant de poser tout acte tant dans leur vie publique que privée. Par la liberté de presse et la pleine jouissance qu'en effectue l'opinion publique nationale, il est constater plus de rigueur dans la gestion de la chose publique, plus de tenue pour les gouvernants et moins de dérapage et d'abus du pouvoir sur les citoyens. A travers la liberté de presse telle que prescrite et défendue par Kant, nous entrevoyons une réconciliation de la politique avec elle-même a travers cette forme d'humanisation et de moralisation des rapports entre gouvernants et gouvernés dans la logique d'une approche participative en vue de la gestion responsable de la chose publique. Un tel processus trouvera son prolongement dans l'analyse du rapport entre la doctrine du droit, objet de réflexion au chapitre suivant.

54 . Kant, Euvres philosophiques, T3, Gallimard 19 86, p 2 88.

CHAPITRE II : DE LA DOCTRINE DU DROIT COMME PROCESSUS DE MORALISATION DE L'AGIR HUMAIN

La relation entre la vie privee et la vie politique ou publique est envisagee chez Kant en termes de complementarite. La loi morale qui engage seulement la relation de l'individu avec lui-meme et le droit qui organise les relations entre les individus independamment de leurs intentions personnelles, sont comme on le constate distincts dans leurs objets.

Mais cette distinction ne veut nullement signifier le rejet de l'une par l'autre, car la legislation ethique qui est attentive au mobile de notre action est exige qu'il soit a la hauteur de la dignite de l'homme, joue un role preventif dans nos relations publiques. La legislation publique, en nous imposant de nous soumettre tous aux memes lois afin que chacun n'ait rien a craindre de l'autre, tente de remedier a la faillite de la premiere legislation.

La doctrine du droit public de maniere generale, vise a ecarter tout risque de violence entre les hommes en essayant de promouvoir la paix par la preservation des droits des gens, en les traitant equitablement et dans le respect de leur dignite. Cette preoccupation est expressement prise en compte par Kant, lorsqu'il affirmait : "l'institution universelle et perpetuelle de la paix n'est pas une simple partie, mais constitue la fin ultime tout entiere de la doctrine du droit dans les limites de la simple raison ; car l'etat de la paix n'est que l'etat du mien et du tien garanti par des lois au milieu d'une masse d'hommes voisins les uns des autres, donc reunis au sein d'une constitution"55.

Nous verrons aussi a travers ce chapitre et a la lumière de la doctrine du droit, jusqu'oil la morale (consideration de la vie individuelle) et la politique (consideration de la vie collective) sont complementaires.

1. DE L'INTERDEPENDANCE ENTRE LE PRIVE ET LE PUBLIC SOUS L'ANGLE D'UNE TOTALITE FONCTIONNELLE.

Dans cette relation du prive et du public, il s'agit pour l'individu de diriger sa conduite vers les ideaux de la societe, c'est-à-dire concourir au bonheur de tous. Kant fait en effet, du bonheur d'autrui, une fin et en même temps un devoir pour l'homme, qui doit etre bienfaisant. Il s'agit ici par un depassement de soi de parvenir a un stade oil la finalite de mes actions n'aura de valeur que lorsqu'elle coincidera avec les attentes des autres.

55

Kant, Euvres philosophiques, 19 86, p 575.

Par le dualisme de sa nature, l'homme se trouve soumis a la fois, aux imperatifs de la raison qui le fait tendre vers l'universel et aux exigences de ses inclinations dont la poursuite excessive est source d'"insociabilite". Or l'individu ne peut se realiser que s'il se met au service de l'universel, que s'il s'efforce d'accorder la satisfaction de ses desirs avec les exigences d'une vie en commun. Car, ne vivant pas en autarcie oil il n'obeirait qu'a lui seul, mais dependant des autres par son existence meme, il doit avoir le souci du strict respect des regles qui rendent possible la vie commune.

Les rapports entre les hommes n'existent que par l'engagement de chacun A ceuvrer pour une coexistence pacifique dans le respect de l'ordre etabli et surtout par la moderation dans la satisfaction de ses besoins. Dans la relation du prive et du public, l'element de mediation est l'action, car elle permet a l'homme d'aller vers autrui, pour se faire decouvrir et se decouvrir davantage aussi. L'action est donc fondamentalement mondaine, puisque a travers elle, l'homme s'insere dans le monde des relations publiques.

Mais chez Kant, comme nous le savons, en plus de l'action, est valorisee l'intention qui motive cette action, voir la maxime meme de l'action. Notre effort consistera a ce niveau, a faire en sorte que les maximes de nos actions se fondent sur le devoir de bienfaisance que Kant definit dans la doctrine de la vertu comme "une bienveillance active, pratique qui consiste a se proposer comme fin le bien et le salut d'autrui"56.

L'homme dans l'intimite de ses intentions est dans sa sphere privee. Mais A partir du moment oil il parle, agit, il s'exteriorise et en s'exteriorisant, il se met forcement en rapport avec l'autre. Cet autre constitue le public, celui qui observe, qui le sonde, qui l'interpelle, qui le juge, etc. Mais la presence du public sans :tre une contrainte reelle, amène quand meme l'homme malgre sa dimension "insociable" a aspirer a la grandeur humaine, en transcendant ses inclinations pour s'affirmer comme un homme responsable, un homme de devoir.

La responsabilite consiste ici en l'attitude d'un homme qui, au dela, des devoirs qu'il a envers lui-même, s'impose d'autres devoirs, ceux qu'il aura envers les autres. Il s'agit notamment des devoirs de bienfaisance, de reconnaissance et de sympathie, qui president d'une certaine faMon a l'harmonisation des rapports entre les hommes et a la preservation de la paix sociale.

56

Kant, Metaphysique des mceurs, doctrine de vertu, Vrin 19 85, p 129.

Le rapport entre le prive et le public implique une sorte de relation dialectique qui exige de l'un plus de rationalite dans ses actions et de l'autre plus de rigueur dans l'application des dispositions contractuelles qui ne sont rien d'autres que les clauses de la volonte generale. L'individu sait que son bonheur reside dans la societe, mais cette societe a des regles, des exigences qui prennent l'apparence d'une contrainte, sans constituer toutefois des obstacles a la realisation de ce bonheur. Le bonheur comme tel ne saurait etre atteint que si les activites de l'homme visent a realiser les ideaux de la societe. Ainsi, il ne saurait y avoir par principe des conflits ou de contradiction structurels entre l'exigence de bonheur du citoyen et l'epanouissement de la cite.

Mais lorsqu'on fait de la recherche du bonheur personnel une fin a poursuivre pour elle-meme, l'on devient l'otage de ses inclinations qui sont source d'egoisme, d'isolement et de conflit entre le particulier et l'universel. C'est en cela d'ailleurs que la recherche du bonheur personnel ne doit pas constituer selon Kant une fin en soi, un but a poursuivre. Il apparait toutefois que l'homme qui agit raisonnablement et rationnellement et de facon realiste, peut etre amene a trouver la richesse, la puissance et les honneurs dans la societe. Seulement cette richesse, cette puissance et ces honneurs ne doivent pas constituer des valeurs en soi, mais doivent etre consideres comme des signes dont on a besoin pour s'assurer de son succes et non comme buts, poursuivis pour eux-memes.

L'homme comme sujet moral n'est connu et reconnu tel qu'en tant qu'etre mondain, c'est-A-dire en agissant sur et dans le monde. Sa marche ne peut etre distincte de celle de la societe. A cet egard, la conduite individuelle et la conduite collective ne sont que deux expressions d'une conduite globale, car elles s'impliquent mutuellement et ne peuvent donc reellement etre comprises isolement. Il se trouve que cette complementarite entre la politique et la morale, au sens ou l'une nous indique la voie de realisation de notre bonheur et l'autre la voie a suivre pour etre digne de ce bonheur, (notamment par la voie du devoir) se retrouve aussi entre le concept du juste qui est du domaine politique et celui du bien qui releve du domaine moral.

2. LE JUSTE ET LE BIEN, LA COMPLEMENTARITE DANS LA DIFFERENCE

Le domaine de l'agir es celui de a liberte et de l'autonomie de la volonte du sujet suivant ses desseins. L'initiative de l'action ici, son accomplissement et sa finalite sont naturellement determines par l'intension et partant par le libre arbitre de l'individu. A priori, son entreprise ne concerne que lui seul. Seulement, etant entendu que cet individu ne vit pas hors de la communaute, il s'en suit que son action aura necessairement sur le monde exterieur.

A ce niveau donc, commence le proces de l'action, et c'est a ce niveau qu'on tente de juger de la valeur de l'action. Mais, en la matiere, le premier proces est d'abord celui que nous nous faisons, car "la moralite de nos actions est dans le jugement que nous en portons nous-memes. S'il est vrai que le bien soit bien, il doit etre au fond de nos cceurs, et le premier prix de la justice est de vouloir qu'on la pratique"57. Au fond, la decision d'agir moralement est une decision libre, du sujet qui consent a ceuvrer pour le bien et la justice.

Il y a lieu ici de lever toute equivoque quant au role de la societe et de ses institutions qui ne sont la que pour faire agir les hommes selon la morale, mais qui n'ont pas a s'occuper de la conscience morale de chacun. Il apparait ainsi que l'activite humaine qui prend sa source dans la liberte du sujet ou du citoyen doit etre dans sa forme et son contenu conforme a la regle du droit (qui definit ce qui est permis et possible de faire) d'une part et d'autre part aussi, etre d'un bienfait certain pour soi-meme et pour les autre.

L'action de l'homme etant action dans le monde, un monde regi par des regles fixant a chacun des limites de son droit (cette limitation etant la garantie de sa propre liberte), son action n'est alors juste que lorsqu'elle se situe dans les limites de ce qui est permis. L'action juste se trouve etre donc celle qui est conforme a la justice, a l'equite, elle est ce qui est conforme a la volonte d'ordre moral. Est juste selon Kant, "toute action qui peut ou dont la maxime peut laisser coexister la liberte de l'arbitre de chacun avec la liberte de tout le monde d'apres une loi universelle"5 8.

A cet egard, la justesse d'une action nous renvoie donc a la maxime de celle-ci, sans consideration de la fin qui est poursuivie. Elle pose a cet effet, la question du comment l'action peut-elle etre menee ?

C'est en cela que le juste se distingue du bien, car celui-ci est relatif a la finalite de l'action et repond a la question "en quoi cela est bon ou mauvais ?" Le bien dans la materialite de son concept est ce qui est agreable, avantageux et dans les sens de sa spiritualite, il se definit selon Kant comme etant l'objet de la volonte (c'est-A-dire de la faculte de desirer, determinee par la raison) ".

L'idee juste chez Kant du point de vue politique, sanctionne toute decision ou action politique qui recueille l'assentiment de la majorite, en prenant le soin de na pas "privilegier telle categorie de citoyens par rapport a telle autre". Aussi, Kant soulignait-il expressement que "s'il est seulement possible qu'un peuple y donne son assentiment, c'est alors un devoir de tenir la loi pour juste, a

57 Rousseau, Emile de l'education, G. Flammarion, 1966, p 373.

5 8

Kant, in Euvres philosophiques T03 ed Flammarion 19 85, p 479.

supposer meme que le peuple se trouve presentement dans une situation ou dans une position de sa faMon de penser telles que, si on le consultait la-dessus, il refuserait probablement son assentiment"59.

Dans l'action juste, ce qui est recherche, c'est l'accord possible entre ce que j'ai le droit de faire et le devoir de le faire en conformite avec les principes communement admis et acceptes par tous. L'action juste designe aussi chez Kant le "bien agir" qui ne "suppose pas une fin, mais la loi qui renferme la condition formelle de l'usage de la liberte"60. Autrement dit, le "le bien agir" suppose ethiquement une loi dont l'essence rend possible le juste usage de la liberte.

Le juste et le bien ne sauraient etre consideres comme des valeurs isolees l'une de l'autre dans une action, car "oil tout est bien, rien n'est injuste"61. En effet, ce qui est bien, c'est ce qui est juste et peut par consequent faire l'objet d'une regle de droit public. C'est en cela sans doute que les constitutions republicaines disposent generalement que "tout ce qui n'est pas defendu par la loi ne peut etre empeche et nul ne peut etre contraint a faire ce qu'elle n'ordonne

H62

pas . Par consequent, l'action de l'homme etant action dans le monde, il est appele a la circonscrire dans les limites des droits qui lui sont reconnus.

Le bien se rapporte aussi chez Kant a l'ordre de l'amour des autres et le juste se rapporte a l'amour de l'ordre. Il s'agit donc d'un devoir de l'homme d'aimer ses semblables et de veiller a ce que chacun n'outrepassant pas ses droits afin que l'ordre soit preserve. A cet egard, chacun doit se soumettre a la discipline de la raison en se pliant a ses devoirs et a ses obligations car c'est la que se trouve la vraie maxime morale qui doit diriger notre conduite.

Il est donc de notre devoir d'agi dans le sens du bien, de veiller a ce que nos actions ne nous nuisent pas et ne nuisent pas aux autres. L'obligation ou le devoir est une donnee inconditionnelle, en ce sens par exemple qu'il ne suffit pas seulement de "faire du bien aux hommes par amour pour eux et par bienveillante sympathie, ou d'être juste par amour de l'ordre"63, mais de le faire par devoir. En fondant son action sur une telle inclination, il y a de forte chance que cela ne soit possible la ou cette inclination fait defaut.

Par consequent, il y a lieu que l'homme fasse violence sur lui, se surpasse pour faire un saut qualitatif dans l'univers du rationnel, du droit et du devoir, du

59 Kant, Theorie et Pratique, Paris Vrin 1990, p 39.

60 Kant, (Euvres philosophiques (religion dans les limites de la simple raison) ed 19 85, p 17.

61 J.J ROUSSEAU, Emile ou l'education, Flammarion 1966 p 367.

62 Constitution du Burkina Faso, adoptee par referendum du 2 juin 1991, titre I (des droits et devoirs fondamentaux) art5, 1er paragraphe

63 Kant, (Euvres philosophiques ed Gallimard 19 85, p 70 8.

juste et du bien. Cette aventure dans la positivite, est le gage d'une vie en communaute sereine et saine, reduisant au mieux les conflits entre les hommes. Il est de notre inter:t de comprendre que "faire le bien par devoir alors que nous n'y sommes pousses par aucune inclination et qu'une repugnance naturelle et presque invincible s'y oppose, voila bien un amour pratique (...) qui reside dans la volonte"64.

Le domaine du public est celui de l'affirmation de soi dans la diversite des "moi" en interaction, chacun suivant ses desseins personnels, ses preoccupations propres. Mais cette affirmation de soi, pour autant qu'on veut qu'elle soit en meme temps integration dans le corps social, se doit d'être sous-tendue par des initiatives dont l'esprit et la lettre s'inspirent des valeurs du bien et du juste. L'examen de ces deux notions, en ce placant au centre du debat philosophique, fait resurgir le malaise qui s'empare de plus en plus de la societe moderne. Il s'agit en effet, d'une societe oii les valeurs se perdent et oii l'individu soumis aux urgences quotidiennes et aux charges existentielles de la modernite, semble oublier qu'a cote de ses droits, il a aussi des devoirs.

A ce titre donc, il doit sortir de sa subjectivite pour s'objectiver dans la realite de `univers qui l'entoure a travers l'observation d'une certaine ethique. L'individu est identifiable et reconnaissable que par et dans l'action sur le monde. Cette action doit se reveler juste et bonne afin qu'elle cesse d'être seulement une affaire privee pour devenir un bien "socialise".

La disposition de l'homme a la justice et a la bonte est un fait naturel, mais sa volonte d'ceuvrer en vue du juste et du bien en est une autre. Pour y parvenir, l'humilite, l'amour de l'autre et de l'ordre sont des prealables pour une conduite conforme a une disposition ethique. Celle-ci, meme si elle n'existait pas doit etre inventee, car "elle doit exister parce que les hommes agissent et elle est la pour ordonner et pour reguler le pouvoir d'agir"65.

Il apparait en definitive que le domaine politique comme lieu de realisation, de l'epanouissement et de la securite des citoyens, vise a instaurer un ordre social dans le quel chaque citoyen puisse vivre en harmonie avec les autres, se fonde sur la justice. Or, comme le dit Rousseau, "la justice est inseparable de la bonte"66, en d'autres termes, le lieu du politique est aussi celui de la realisation des valeurs.

64 Kant, Fondements de la metaphysique des mceurs, Hatier, 1963 p 22

65 Hans Jonas. Privilege responsabilite. Ed CEONF 1997, p.45

66 ROUSSEAU, Emile ou de l'education, ed Flammarion, 1966, p 373.

TROISIEME PARTIE : QUEL INTERET POUR LA

PHILOSOPHIE DE KANT AUJOURD'HUI ?

CHAPITRE I : LA CONCEPTION KANTIENNE DES RELATIONS INTERNATIONALES

De nos jours encore, l'actualité politique au plan international est marquée par des guerres, des génocides, des épurations ethniques suivis des déplacements en masse des populations apeurées. Il est aussi a déplorer la montée de l'extrême nationalisme sur le fond de xénophobie et l'expulsion des populations émigrées dans des conditions souvent inhumaines dans certaines parties du monde. Il également a observer des complicités internationales pour mettre en mal certains régimes, voire provoquer leurs chutes, en violation flagrante du droit international.

Au vue de cette actualité assez sombre, force est de reconnaitre qu'au-dela des aspects politiques des crises, c'est aussi a une crise morale que notre monde est confronté. A cet effet, en considérant l'aspiration des peuples a la paix, a la coexistence pacifique et a la solidarité, il est indéniable que la référence a certaines idées politiques de Kant pourrait etre salutaire pour l'humanité. En supposant déja les Etats comme des personnes morales, Kant entrevoit leurs relations sous le double aspect juridique et moral.

A ce propos, aux questions essentielles de relations internationales entre Etats ayant trait a la souveraineté, a la guerre et a la paix, aux échanges commerciaux, les réponses de Kant sont aujourd'hui encore d'une réelle pertinence.

1. DU RESPECT DE LA SOUVERAINETE DES ETATS ET DES PEUPLES SELON KANT.

La souveraineté des Etats dans la perspective kantienne peut se comprendre comme le fait "qu'aucun Etat parvenu a l'indépendance ne se soumettra a la décision d'autres Etats, sur la maniere dont il doit soutenir ses droits contre eux"67. La souveraineté exprime ainsi, la liberté qu'a tout Etat de faire ce qui est en son pouvoir et de disposer de lui-meme sans subir les ingérences d'autres Etats. Il s'agit la d'une position qui rejoint dans son esprit les différentes résolutions adoptées par la communauté internationale depuis la société des nations (SDN) dont Kant fut un des inspirateurs, jusqu'a l'actuelle organisation des nations unies (ONU).

La souveraineté se traduit donc, par la faculté d'un Etat a s'autodéterminer, a avoir des choix politique, économique et social autonomes. Cependant, la souveraineté a l'état actuel des relations internationales, n'est pas

67 Kant, Euvres philosophiques, T3 Gallimard, Paris 19 86, p 366.

seulement la maitrise des aspects interieurs de la politique, mais c'est la maitrise de ses aspects exterieurs. A cet egard, l'Etat souverain est celui qui, sur la base d'une egalite qu'il en partage avec les autres Etats, decide en toute independance de la faMon dont il doit gerer ses propres affaires. De ce point de vue, Spinoza n'etant pas eloigne de Kant, affirmait que : "l'Etat ne doit obeissance qu'a luimeme, il trouve en lui seul les sources de sa legitimite, mais aussi les principes et les criteres de sa conduite"6 8.

Toutefois, c'est le lieu de faire remarquer aujourd'hui que beaucoup de pays, par des engagements pris, notamment dans les domaines economique et financier, ont mis en peril leur souverainete, souvent peniblement acquise. En effet, avec des dettes colossales et une economie tres fragile, ces Etats se voient souvent dicter des conduites sur des questions relevant purement de leur souverainete. Il apparait aussi, sous la pression des creanciers, que ces Etats lancent des programmes d'ajustement oil les gouvernants "s'affairent a negocier la vente des biens de l'Etat dans l'oubli de ce qui avait ete la substance de la souverainete"69. Pourtant, les engagements doivent etre contractes de telle sorte que les entreprises et autres empires financiers qui investissent dans l'economie nationale, ne se constituent en force de pression et de domination des gouvernants.

Neanmoins, l'humanite a fait des progres substantiels dans les relations internationales. En effet, des decennies durant, voire des siecles, des Etats et des peuples ont ete spolies de leur souverainete et soumis a la dependance d'autres Etats qui en ont fait des serfs et es esclaves. L'Afrique fut l'un des exemples frappants de ce type d'alienation. Mais, apres tant d'annees d'injustice, de bafouement des droits de la personne humaine, la communaute internationale (encore dominee par les oppresseurs d'hier) se resolvait a assainir les relations entre les Etats en y etablissant un dispositif a la fois juridique et ethique.

Il est ainsi reconnu et accepte comme l'a definit Kant, que la souverainete d'un Etat est inalienable. Autant l'homme est irreductible a une chose, autant l'Etat l'est aussi, dans la mesure oil comme le souligne Kant, comparable a un tronc d'arbre et a ses racines, "l'incorporer a un autre comme simple greffe, c'est le reduire de personne morale qu'il etait a l'etat d'une chose"70. Aussi, l'Etat n'etant pas seulement un ensemble territorial, mais egalement une societe d'hommes, ne peut en aucun cas :tre prive de sa souverainete politique. C'est un danger reel, comme l'explique Kant lorsque des hegemonies economiques ou de

6 8 Spinoza, Traite de l'autorite politique, Gallimard, 197 8, p 23

69 Monique Chemillier, Humanite et souverainete, ed La decouverte, 1995, p 1 82.

70

Kant, Euvres philosophiques, T3, Paris 19 86, p 335.

conquete de type colonial amenent a traiter des Etats independants comme des simples biens alienables.

Aliener un Etat, c'est le priver de sa souverainete et partant, la souverainete du peuple qui le compose et aussi la liberte de tous les citoyens. Tous les peuples sont egaux en droit et en dignite, il n'y a donc pas de peuple specifique qui soit naturellement investi pour dominer un autre. Chaque peuple est appele a bâtir son histoire, a se donner une personnalite, car "ce qui est fondamental et en meme temps preuve de progres, c'est le pouvoir d'un peuple d'emerger de son passe et d'ouvrir a nouveau l'avenir"71.

La souverainete d'un Etat ne peut avoir de sens que si le peuple est libre de choisir ceux qui doivent le gouverner. Ainsi, les gouvernants ne constituent le pouvoir politique legitime que lorsque leur autorite est le resultat de la reconnaissance et de la volonte de tous et de chacun. C'est dire aussi, que lorsqu'un Etat arrive au pouvoir avec la complicite d'autres Etats, sans le consentement et l'investiture de ses concitoyens, force est de reconnaitre que la souverainete est bafouee et l'autonomie politique du peuple mise en peril.

La source de legitimite de l'autorite politique residant dans le consentement et la volonte commune des citoyens, tout gouvernement ne jouit en principe que d'une delegation de pouvoir. A ce sujet, l'appel de Kant pour l'instauration d'une constitution republicaine est encore source de lecons aujourd'hui. En effet, la forme republicaine de l'Etat est celle dans laquelle nulle volonte privee ne saurait parler en lieu et place de la volonte publique et l'inter:t public y est l'inter:t absolu. Sous la republique, la pratique gouvernementale peut-on dire, incite dejà a s'affranchir de toute tutelle, car l'enjeu ici est la realisation concrete de toutes les libertes fondamentales.

La souverainete de l'Etat est la garantie de l'autonomie politique du peuple, une autonomie qui trouve sa veritable expression a travers l'adoption d'une constitution republicaine. Celle-ci est la condition premiere d'une participation effective et responsable des citoyens a la vie politique. En legitimant le pouvoir politique, le peuple renforce en retour la souverainete de l'Etat qui, dans ses relations avec les autres Etats s'exprime avec assurance et en partenaire egal.

Cependant, le realisme recommande aujourd'hui d'envisager les relations internationales, au-delA des cadres restreints des Etats. La visee de nos jours, est de bâtir peu a peu, une communaute politique unifiee de fait et de droit, qui federe tous les Etats. Le mouvement de l'histoire tel qu'il se deroule, met en

71 Citation extraite de l'ceuvre de Kant de Alexis Philonenko, T2, J Vrin 19 88, p 252.

relief la volonte des Etats a se regrouper dans des grands ensembles politicoeconomiques (cas de l'Union Europeenne). Cette nouvelle perspective nous rapproche dans une certaine mesure, du rêve kantien en ce qui concerne notamment une federation universelle d'Etats.

En effet, nous assistons a un eclatement economique et militaire des cadres nationaux trop etroits. Il existe en plus, des institutions internationales qui sont a la fois la traduction de ce mouvement de l'histoire te l'expression d'un volonte deliberee d'unification. C'est le cas bien entendu de l'organisation des nations unies (ONU), qui ne peut pour le moment qu'être consideree comme une etape vers la realisation de ce federalisme d'Etats dont parlait Kant.

Le progrès a accomplir est aussi immense, car il retrace sur le plan collectif, le mouvement qui fait passer l'Etat de sa propre individualite a une alterite universelle, marquee par des relations internationales rationalisees et institutionnalisees. Mais pour que l'organisation de Nations Unies soit une veritable institution supranationale de promotion de la paix entre les Etats, elle doit être en droit et dans le fait celle qui veille au respect strict des règles du droit de la federation d'Etats, dans la perspective d'une paix perpetuelle.

2. LA MEDIATION DE L'UNIVERSEL DANS LES RAPPORTS DES ETATS COMME CONDITION DE LA PAIX MONDIALE

Dans un article intitule "les fondements philosophiques de la paix", Janine Chanteur affirmait que "l'histoire des hommes est l'histoire de leurs guerres beaucoup plus que l'histoire de la paix"72. Cette affirmation traduit a elle seule la frequence des conflits emaillant la vie des peuples et des nations. Le XXeme, comme nous pouvons le constater avec Janine fut de tous les siecles celui qui connut les dechainements les plus effrayants. A cet egard, il faut rappeler les deux guerres mondiales, le genocide ruandais, l'epuration ethnique et les crimes contre l'humanite dans l'ex Yougoslavie, la guerre de Biafra, la guerre afghane, les terrorismes quotidiens en Algerie et au Moyen-Orient, etc..

Pourtant toutes ces guerres ne constituaient pas en soi une fatalite, car elles pourraient être evitees si les belligerants avaient su ecouter la voix de la raison et non celle de la passion ou celle des interêts egoïstes. Par ailleurs, il se trouve aussi que certains conflits s'inspirent de quelques theories73 qui visent a

72 Janine Chanteur "les fondements philosophiques de la paix", p 23. Il est professeur emerite

a l'universite de Paris Sorbonne.

73 Hegel disait par exemple, que "la guerre n'est pas l'expression d'une haine d'individu a individu, mais mettant en jeu la vie du tout, elle est une condition de la sante ethique des peuples", Principes de la philosophie du droit, Gallimard 1940, p 16

demontrer que la guerre realise la selection des meilleurs, qu'elle dynamise l'histoire et progrès ou qu'elle manifeste le courage devant la mort. Au contraire, la guerre comme nous le savons ne fait en verite aucune selection des meilleurs, mais plutôt celle des plus forts et les plus forts ne sont pas necessairement les meilleurs.

La guerre resulte largement de l'irrationnel et de la passion. C'est convaincu que par l'arbitrage de la raison, les hommes sont capables d'eviter la guerre, que Kant a realise le projet de la paix perpetuelle. Il dit a l'adresse de ceux qui ne le croient pas que "la question n'est pas de savoir si la paix perpetuelle est quelque chose de reel et si nous ne nous trompons pas dans notre jugement quand nous admettons le premier cas, mais nous devons agir comme si la chose qui, peut-etre ne sera pas, devrait etre"74.

La mediation de l'universel dans les rapports entre les Etats, s'affirme comme chez le sujet moral, a travers le commandement de la raison pratique qui veut que la maxime de l'action "puisse toujours valoir comme principe d'une legislation universelle"75. Kant semble bien formuler a l'endroit des Etats, les memes exigences que celles imposees au sujet moral. En s'inspirant de cette reference morale, il espere etablir le mecanisme devant permettre de surmonter les conflits entre Etats. Il s'agit a ce niveau de deduire de l'universalite comme condition de la moralite et la moralite universelle comme condition de la paix perpetuelle et mondiale. Ainsi, l'Etat comme individu historique doit toujours s'interroger sur la portee universelle de ses principes, lesquels doivent prendre en compte la souverainete des autres Etats et les droits qui en decoulent.

Kant dont la philosophie politique est un effort constant dans la quete des voies pouvant permettre de conduire l'humanite vers une paix durable et totale, estime que la recherche de la paix plus qu'une question politique est aussi une question ethique au plan des relations internationales. Dans cette perspective kantienne, il ne s'agit pas comme l'a si bien dit Eric Weill "de realiser un monde dans lequel la morale historique puisse coexister avec la violence (...) il s'agit dorenavant de realiser un monde ou la morale puisse vivre avec la nonviolence"76.

La federation des Etats que Kant propose dejà, participe de cette volonte dont les Etats doivent faire montre, celle notamment de transcender leur particularisme et s'elever vers l'universel. En effet, la federation des Etats n'est possible que si chaque Etat fait preuve de bonne volonte en se consacrant resolument a la realisation de cet ideal commun qui est la paix perpetuelle. Pour

74 Alexis Philonenko, L'ceuvre de Kant, T2 J. Vrin 19 88, p 26 8.

75 Kant, Fondements de la Metaphysique des mceurs, Hatier 1963, p 50

76 Eric Weil, Philosophie politique, Vrin, Paris 19 84, p 226.

y parvenir, les Etats doivent se conduire comme des sujets moraux s'efforcant a
chaque fois d'elever leurs principes pour les faire coincider avec l'universel.
C'est a ce prix qu'on peut parvenir a un apaisement des relations internationales.

Au fond, la federation des Etats, est comparable a l'etat civil comme entite juridique a laquelle on adhere pour preserver sa vie et sa liberte. Selon Kant, il s'agit pour les Etats "de renoncer comme les particuliers a la liberte anarchique des sauvages, pour se soumettre a des lois coercitives et former ainsi un Etat des nations (...) qui embrasse insensiblement tous les peuples de la terre"77. En d'autres termes, Kant suggere a ce niveau une sorte de pacte juridique et moral liant les Etats autour des principes de liberte, d'egalite et de soumission de tous a des lois communes.

La formalisation d'un tel pacte renforcerait a la fois, la confiance reciproque entre les Etats et creerait pour chacun d'eux des obligations et des droits, toutes choses a même de garantir la paix, car "la federation d'Etats n'aura point d'objet que le maintien de la paix et non des conquêtes"7 8.

Cependant, cette federation d'Etats ne peut être incarnee par l'organisation des Nations Unies sous sa forme actuelle, puisque celle-ci ne federe pas en realite les Etats. Elle constitue seulement un cadre de developpement, de concertation et d'echanges entre les Etats sur des questions d'interêt general.

L'ONU joue un role important dans le maintien de la paix a travers le monde, mais n'a pas d'autorite politique et juridique contraignant la vie même des nations.

Il peut être dit que c'est sous un angle ethique que Kant entrevoit la creation d'une federation des Etats. Celle-ci incarnera la volonte unifiee de tous les Etats a tendre vers un ideal de paix mondiale. Elle seule peut aller au-dela des egoismes propres a chaque Etat, a l'image de l'Etat civil qui transcende les egoismes individuels. La mediation de l'universel dans les rapports entre les Etats, se traduira donc aussi par la reconciliation de leurs interêts particuliers avec ceux de la communaute internationale, de faMon a resoudre les contrarietes et differences entre Etats.

Mais n'etant pas encore dans un système federal, il peut être dit de nos Etats qu'ils ne sont pas dans un Etat de legislation comme celui qui incarnerait l'etat civil. Par consequent, a leur egard aussi comme dans le cas des hommes avant leur entree dans un etat civil, il peut être rappele que "pour être a l'abri de

77 Kant, Euvres philosophiques, T3 Gallimard 19 86, p 349 7 8 Ibidem, p 379

tout acte d'hostilite, il ne suffit pas qu'il ne s'en commette point, il faut qu'un voisin garantisse a l'autre sa silrete personnelle ; ce qui ne saurait avoir lieu que dans un Etat de legislation, sans quoi l'un est en droit de traiter l'autre en ennemi après lui avoir inutilement demande cette garantie"79.

L'Etat de legislation represente ici la republique au sens kantien du terme, c'est-A-dire un système representatif. La constitution republicaine constitue d'ailleurs, le premier article definitif en vue de la paix perpetuelle. Entre autres avantages, elle a celui de favoriser la promotion et la defense des droits de l'homme, de meme que la creation des conditions pour une participation responsable du citoyen au processus decisionnel concernant les grandes questions d'interet general, comme celle relative a la guerre. Participer a la guerre est l'ultime sacrifice qu'un citoyen puisse faire au nom de sa patrie et pour qu'une telle participation soit un acte responsable accompli par devoir, il faut absolument que le citoyen consulte sa raison et decide librement de son engagement. Dans les democraties modernes, conformes dans leurs principes a la constitution republicaine kantienne, c'est par le biais de l'Assemblee Nationale ou par referendum que le citoyen peut etre amene a convenir "par son assentiment a decider la question si l'on fera la guerre ou non" 80

.

Ainsi, la decision d'aller en guerre doit etre democratique, c'est-A-dire qu'elle ne doit pas etre laissee a la seule et unique discretion du chef de l'Etat qui peut la resoudre "comme une partie du plaisir, par les raisons les plus frivoles" 81. En consultant le peuple avant de l'engager dans un conflit, c'est avant tout lui reconnaitre sa dignite humaine et sa souverainete. Le peuple est une fin et non un moyen. Par consequent, tous les actes de l'Etat a ce sujet, doivent porter l'empreinte de la volonte du peuple.

Par ailleurs, etant donne que se sont generalement les interêts economiques qui sont a la base des conflits mondiaux dans la plupart des cas, il y a lieu de faire remarquer qu'à defaut d'une federation universelle d'Etats, les regroupements inter - etatiques sont une alternative pour la preservation de la paix mondiale. En effet, avec les grands ensembles economiques qui se forment un peu partout a travers la planète, force est de reconnaitre qu'on s'achemine vers une mise en commun des interêts differents dans un système dit de "globalisation" ou de "mondialisation". Il s'agit là d'une nouvelle chance qui s'offre a l'humanite a travers cet esprit de commerce qui semble guider dorenavant les relations internationales. C'est ce que nous verrons en profondeur au point qui suit.

79 Kant, Euvres philosophiques, T3 Gallimard p 9 86, p 340.

80 Kant, Euvres philosophiques, T3 Gallimard, 19 86, p 342.

81 Ibidem, p 343

3. DE LA PROMOTION DES RELATIONS ECONOMIQUES, UNE SOLUTION POUR LA PAIX ENTRE LES ETATS.

Le rapport entre la paix et le commerce n'est pas un constat nouveau dans les relations internationales. Kant, en son temps dejà, voyait dans le commerce une cause naturelle de la paix. En effet, il affirmait que "la nature (...) se sert de l'esprit de chaque peuple pour operer entre eux une union que l'idee du droit cosmopolitique n'aurait pas suffisamment garanti de la violence et des guerres. Je parle de l'esprit du commerce qui s'empare tot ou tard de chaque peuple et qui est incompatible avec la guerre. La puissance pecuniaire etant celle de toutes qui donne plus de ressort aux Etats, ils se voient obliges de travailler au noble ouvrage de la paix, quoique sans aucune morale ; et quelque peu que la guerre eclate, de chercher a l'instant meme a l'etouffer par des mediations" 82.

A cet egard, il est indeniable que la promotion des interets economiques qui caracterise le monde d'aujourd'hui, a dans une large mesure contribue au maintien et a la preservation de la paix. La guerre n'apportant que ruine, faillite, desolation, les Etats se sont tournes vers une nouvelle forme de guerre, "la guerre economique". Elle consiste a la conquete pacifique des marches selon la seule loi de l'offre et de la demande. La guerre est un obstacle majeur a tout investissement et a tout developpement economique.

Il apparait a cet effet, que la paix est un imperatif, c'est une condition sine qua non pour asseoir les bases veritables d'une economie prospere en favorisant les echanges entre les peuples. Le commerce, au-dela des interets materiels et financiers que les uns et les autres en tirent, permet aussi un rapprochement entre les peuples et favorise souvent une meilleure interpenetration des cultures. C'est dans ce sens d'ailleurs que Montesquieu affirmait que "le commerce a fait que la connaissance des mceurs de toutes les nations a penetre partout : on les a comparees entre elles et il en a resulte de grands bien" 83.

Rappelons qu'au-delA des grands discours politiques, les interets economiques furent veritablement a la base de la formation des grands ensembles sous regionaux, regionaux et continentaux a travers le monde. Les decideurs politiques ne manquent jamais l'opportunite pour souligner le caractere pacifique dont sont porteur ce type de regroupements pour les Etats membres. C'est ainsi qu'à la premiere conference pour la creation de "l'organisation des relations asiatiques", Nehru84 annonçait que "notre grand objectif est de promouvoir la paix et le progres partout dans le monde". De même, lors de la conference au sommet des chefs d'Etat des pays independants

2 Kant, Euvres philosophiques, op cit, p 362

3 Montesquieu, Esprit des lois, T2 Garnier Freres, 1967, p 8.

4 Nehru, homme politique indien, premier ministre de son pays de 1947 a 1964, il fut disciple de Gandhi

d'Afrique, Senghor affirmait que "le but de l'O.U.A. par et par-dela la croissance economique, par et par-dela le mieux etre de chaque africain (...) aura ete auparavant un facteur de la paix" 85.

C'est le lieu donc, dans le contexte actuel, d'encourager les processus d'integration economique deja engages ou qui sont en voie de l'etre, a travers le monde. L'integration economique permet une meilleure circulation des personnes et des biens, gage d'une paix durable entre les peuples. Avec la suppression des barrieres douanieres par exemple, il peut etre mis fin a toute rivalite pouvant conduire des Etats voisins a des conflits.

Dans cette relation entre paix et commerce, Montesquieu rejoint Kant, lorsqu'il disait que "l'effet naturel du commerce est de porter a la paix. Deux nations qui negocient ensemble se rendent reciproquement dependants. Si l'un a interet a acheter, l'autre a interet a vendre ; et toutes les unions sont fondees sur des besoins naturels" 86.

L'esprit du commerce comme nous le constatons, est donc a consolider, pour qu'enfin les hommes s'attellent a chercher les voies de leur epanouissement materiel et spirituel. Aucune oeuvre de construction nationale n'est possible, si au prealable les conditions d'une paix durable voire permanente ne sont pas reunies. L'humanite ne sera jamais en paix, si les Etats au lieu d'investir dans les secteurs civils et productifs continuent a entretenir des armees a des coats extremement eleves pour les besoins des guerres.

En tout etat de cause, l'armee de nos jours est un gouffre financier, car nous sommes dans un monde ou l'evolution technologique fait que les equipements militaires ne sont plus a la portee des pays en voie de developpement. En cette ere de mondialisation ou la bataille est principalement commerciale et c'est l'esprit du commerce qui gouverne le monde, il n'est pas utopique d'envisager comme l'a dit Kant, la disjonction totale des armees permanentes avec le temps. Rappelons que pour Kant, en encourageant les armees permanentes "a se surpasser par une quantite illimitee d'hommes armes, elles rendent pour finir, en raison des coats engages, la paix encore plus pesante qu'une courte guerre, et deviennent elles-memes la cause des guerres offensives faites pour se debarrasser de cette charge....." 87.

En definitive, le commerce ne pouvant pas aussi s'effectuer sans un minimum de liberte, faudrait-il d'abord s'investir a garantir aux citoyens leurs

5 Conference de l'OUA en 1963 a Addis Abeba (Ethiopie)

6 . Montesquieu, Esprit des lois, T2 Garnier Frère 1967 pp 8-9.

7

Kant, Vers la paix perpetuelle, Que signifie s'orienter ? Qu'est-ce que la lumière ? GF Flammarion 1991, p 7

droits et libertés essentiels. L'Etat de droit en est le cadre privilégié, car c'est le lieu oil la constitution permette "l'émergence des règles économiques qui limitent les inégalités ou les accepte que si elles concourent a l'amélioration des conditions des plus faibles et des plus défavorisés, la promotion d'un espace de créativité et de novation dans le sens du bien commun" 88.

88 Ka Mana, l'Afrique va-t-elle mourir ? (Essai d'éthique politique). Ka Mana est docteur en philosophie a l'université libre de Bruxelles et est docteur en théologie de l'université se Strasbourg

CHAPITRE II : L'ETAT DE DROIT ET LA RESPONSABILLITE MORALE EN POLITIQUE

L'Etat de droit est un ensemble d'institutions fondees sur une loi premiere communement acceptee, la constitution. Tout en se fondant sur le systeme democratique, il ne se reduit pas a celui-ci, car il est celui qui defend et garantit en pratique les droits et libertes essentiels du citoyen (la liberte d'expression, de penser, de travailler, de culte, de droit a la sante, a la securite, etc.). En plus, l'Etat de droit se caracterise par une vision commune de la chose publique et le respect en tout lieu et en toute circonstance des normes republicaines.

"Le republicanisme" tel que definit par Kant dans le sens de la promotion de la liberte, de l'egalite et de la soumission de tous a une loi commune, est caracteristique d'un Etat de droit. Il est la forme du gouvernement propre a rationaliser la conduite politique et sociale des citoyens et des gouvernants. L'Etat de droit se presentait au plan purement politique, comme une innovation A l'interieur des formes etatiques ayant eu cours jusqu'à la veille de la revolution française et de la declaration universelle qui s'en est suivie. Il a permis l'emergence d'une nouvelle societe politique etablie sur le droit et dans la quelle les litiges sont arbitre par la negociation juridique et oil le souverain ne disposait plus de droit de vie et de mort sur le citoyen -- sujet.

1. L'ETAT DE DROIT DANS LA PERSPECTIVE KANTIENNE : UNE APPROCHE ETHIQUE

L'approche kantienne de l'Etat de droit s'apparente a la theorie rousseauienne du contrat social oil chacun s'engage envers tous, renonce a la liberte individuelle naturelle au profit de la communaute qui lui assurera en retour la definition du citoyen, c'est-A-dire l'egalite juridique et la liberte civile. Il s'agit la d'un ensemble de principes du droit politique, qui tend a sauvegarder les droits des gens a ecarter toute forme d'arbitraire dans la conduite des affaires de l'Etat. A ce propos, Kant estime que "la condition de possibilite d'un droit des gens en general est l'existence prealable d'un Etat de droit. Sans celui-ci en effet, il n'y a pas de droit public, au contraire, tout droit qui peut se representer en dehors de lui n'est qu'un droit prive" 89.

L'Etat de droit est celui qui cadre bien avec les principes de la morale kantienne, car il est respectueux de l'autonomie de la volonte humaine, il est celui qui fait de l'homme la valeur supreme. Par consequent, la politique n'a de but ici, que de proteger cet homme tel qu'il est et de lui creer les conditions favorables a la realisation de ses fins particulières et collectives. A cet effet, le

9 Kant, Vers le projet de la paix perpetuelle..., Flammarion 1991, p 129

monde des realites politiques et sociales a l'instar du monde moral domine par le regne des fins, ne peut etre "regi que par un Etat de droit oii la politique doit etre dans une subordination absolue a l'egard de la morale dont le caractere est absolu et rigide"90.

Le principe interne de l'Etat de droit peut se traduire par la volonte commune a tous d'agir dans le respect strict de la liberte et du droit de l'autre. Mais, l'enjeu ici est la bonne gouvernance, qui requiert des gouvernants une aptitude a conduire les affaires de l'Etat dans la transparence et le respect des dispositions du droit. La conviction de Kant a ce sujet est que incontestablement "la maniere de gouverner importe plus au peuple que la forme de l'Etat"91. Car c'est par la maniere de gouverner qu'il peut etre veritablement etabli si un regime est despotique ou republicain. La forme de l'Etat est parfois trompeuse en ce sens qu'elle ne rend pas toujours compte de la realite politique effectivement vecue. Il s'agit la d'un constat qui trouve toute sa justification, quand on sait par exemple que "le terme de democratie est devenu au XX6 siècle, davantage un slogan q'une idee. Tous les regimes et les plus autoritaires, s'en reclament d'une meme voix, rendant la vocale inoperant"92.

En revenant a Kant, il apparait que les concepts d'Etat de droit et de Republique, sont une seule et meme chose, car tous deux visent au fond la creation d'un espace de libertes, propre a garantir a l'homme, securite et bienetre. La Republique selon Kant, suppose "une constitution ayant pour but la plus grande liberte humaine conforme aux lois qui permettraient a la liberte de chacun de pouvoir subsister de concert avec celle des autres"93. Elle n'est pas une vision chimerique de ce que devrait etre la forme de l'Etat, mais une pratique politique, une maniere d'être des institutions, une maniere de gouverner A meme de rendre effective la pleine jouissance pour le citoyen de ce qu'il a de plus precieux, la liberte au sens pluriel du terme.

L'approche ethique de l'Etat de droit chez Kant, semble essentiellement reposer sur le salut de la chose publique. Il s'agit notamment ici de l'effacement de la volonte privee devant la volonte publique qui reste et demeure la mesure de toute chose. Autrement dit, c'est le lieu oii toutes les actions librement initiees doivent en principe etre en accord avec ce qu'il y a de bien pour la communaute. En effet, il s'agit là d'un devoir qui incombe a chaque citoyen de penser et d'agir en communaute, c'est-A-dire qu'il ait toujours a l'esprit, ce qu'il pense, dit et fait, n'a de sens ni de valeur que s'il est benefique pour la communaute, que s'il participe du salut de la chose publique en general. Cela

90 Jean Touchard, Histoire des idees politiques, PUF, Paris, 195 8, p 4 89.

91 Kant, Vers le projet de paix perpetuelle op cit p 88.

92 Chantale Millan Del Sol, Les idees politiques au XXé siécle, PUF 1991, p 209.

93 Kant, Critique de la raison pure, dialectique transcendantale, Gallimard 19 80, p 334.

n'est nullement en contradiction avec la liberté du citoyen, car la république n'est rien d'autre que ce domaine politique oil la loi en anéantissant l'arbitraire et le caprice du privé, favorise l'émergence de l'intérêt public et établit ainsi le lien entre liberté et droit ou liberté et obéissance.

L'Etat de droit, comme son nom l'indique inclut donc une manière de gouverner qui repose principalement sur l'autorité du droit. Le droit constitue dans la perspective kantienne, l'instance supérieure qui garantit que les hommes peuvent développer leurs relations dans un cadre oil "ils se contraignent mutuellement eux-mêmes, a se soumettre a des lois de contrainte, et produisent ainsi l'état de paix oil les lois disposent d'une force"94. A cet égard, l'Etat de droit se présente comme le lieu du respect des différences, de la prise en compte de toutes les composantes de la société qui, malgré "l'antagonisme de leurs intentions hostiles" doivent chercher a vivre en harmonie.

L'instauration d'un véritable Etat de droit est tout a fait au pouvoir des hommes, pour peu qu'ils soient de bonne volonté, pour peu qu'ils s'engagent a batir un monde de paix, de fraternité, de liberté, d'égalité, de justice...La raison qui est en eux, est un puissant moyen pour parvenir a cette fin sublime, que tout le monde souhaite la réalisation. Mais, en tout état de cause, les hommes n'ont pas le choix, car ils ne peuvent pas continuer a vivre indéfiniment dans l'arbitraire et la violence, qui sont source d'anarchie, en raison du cycle infernal de vengeance qu'ils engendrent. La nature comme le dit Kant, "veut irrésistiblement que le droit obtienne pour finir le pouvoir suprême"95.

Par conséquent, il est impératif que les décideurs et les hommes politiques de tous les horizons et plus particulièrement ceux du continent africain, s'engagent a instaurer dans nos Etats, des régimes politiques aptes a respecter et A faire respecter le droit. L'Etat de droit est comme nous l'avons dit, une manière de gouverner et aussi un mode vie politique fondé sur la loyauté a l'égard des normes républicaines et du respect des droits de la personne humaine.

L'Etat de droit pouvons-nous schématiser, est une communauté politique oil "il s'agit de passer de la logique de la puissance et de la violence a une logique du dialogue et de la participation ; de sortir de l'imaginaire du totalitarisme et de l'autocratie pour entrer dans l'imaginaire de la communication et de la discussion, de quitter le champ des pouvoir oppressifs pour construire un espace de vie oil la liberté ne serait pas seulement la

94 Kant, Vers le proiet de la paix perpétuelle...., Flammarion 1991, p 105

95 . Kant, Vers le proiet la paix perpétuelle, Flammarion 1991, p 105.

puissance de se soustraire au pouvoir, mais aussi et surtout celle de se soumettre A personne"96, si ce n'est qu'a la loi communement acceptee.

Tout en etant l'affaire de tous et de chacun, l'Etat de droit reste et demeure en premier lieu lie a la maniere de gouverner et engage par consequent en plus de la responsabilite politique, la responsabilite morale de l'homme d'Etat. Comme premier magistrat et ayant en charge la destinee du peuple, il a le devoir de faire en sorte que "les conflits des interets et les antagonismes entre couches sociales soient regules par une idee superieure du bien pour laquelle la societe peut vivre et mourir, la plus haute idee d'elle-meme comme societe rationnelle et responsable du sens de l'humain en elle"97.

2. EXIGENCE MORALE ET ACTION POLITIQUE CHEZ L'HOMME

D'ETAT

L'exercice du pouvoir politique consiste a garantir et a defendre les interets legitimes du peuple, tant a l'interieur qu'a l'exterieur des frontieres nationales. Il consiste aussi a assurer une saine et transparente gestion des ressources de l'Etat, par des choix politique, economique, social et culturel consequents. A cet egard, en decidant d'exercer le pouvoir politique, l'homme d'Etat prend la lourde responsabilite de conduire le destin de tout un peuple, en veillant a ce que toute les decisions qu'il aura a prendre n'auront qu'un seul but, celui de garantir la securite et le bien-etre des citoyens.

Cependant, la securite et le bien-etre, ne saurait etre reellement assures si au prealable les gouvernants ne s'attellent pas a creer un cadre politique respectueux des droits et libertes fondamentaux des citoyens. La meilleure preuve d'amour et de respect qu'un homme d'Etat puisse avoir vis-à-vis de son peuple, c'est de faire en sorte que chaque citoyen puisse vivre pleinement sa citoyennete, c'est-A-dire qu'il soit libre d'agir selon ses interets dans le respect des lois republicaines et qu'il puisse satisfaire ses besoins vitaux.

Ainsi, la t_che politique primordiale et essentielle de l'homme d'Etat, est d'ceuvrer a consolider l'Etat de droit, en essayant a chaque fois que c'est necessaire, a parfaire la constitution, lorsque celle-ci presente des failles susceptibles de porter prejudice aux droits des citoyens. A ce propos, Kant estime que lorsqu'une constitution presente une faille quelconque, il appartient a l'homme d'Etat ou chef supreme d'apporter les amendements necessaires, même si cela va a l'encontre de ses interets.

96 Ka Mana, L'Afrique va-t-elle mourir ? Op cit, p 155.

97 Ibidem, p 157.

En effet, Kant pose comme principe que "si jamais dans la constitution (...) se presente un vice qu'on a pas pu prevenir, que ce soit un devoir et particulierement pour les chefs supremes de l'Etat, d'être attentifs a la maniere de le corriger le plutot possible suivant le droit naturel, comme l'idee de la raison nous en presente le modele sous les yeux, leur egoisme dut-il etre sacrifie"9 8.

Et comme nous le voyons aujourd'hui en Afrique, des voix se levent chaque jour pour rappeler les dirigeants a plus de democratie et a plus de respect des droits de la personne humaine. Notre continent est toujours indexe comme etant la partie du monde ou les droits de l'homme sont plus regulierement violes. Il est par consequent imperatif de rappeler avec Kant "qu'il faut tenir le droit des hommes pour sacre, quoi qu'il coilte des sacrifices au pouvoir dominant"99.

Comme nous pouvons le constater, entre l'homme d'Etat et son peuple, c'est avant tout une relation de respect et d'amour au sens kantien des termes. Il s'agit notamment du "respect comme maxime de ne ravaler aucun homme a etre simplement un moyen pour mes fins et l'amour qui consiste a faire miennes les fins d'autrui"100. Ainsi, les motivations du chef supreme doivent viser un ideal qu'Aristote nous traduit en ces termes : "l'Etat vint a exister afin qu'une vie humaine soit possible et il continue a exister afin qu'une vie bonne soit possible. Et ainsi, c'est cela qui est egalement le souci du veritable homme d'Etat"101.

Il apparait alors qu'on ne saurait attendre, ni exiger de la gloire, du prestige, d'honneurs et de richesse, de faire preuve d'amour et de respect vis-a-vis de son peuple. Un tel homme d'Etat ne peut aucunement se sentir moralement responsable du sort de son peuple du fait de sa gestion. C'est dire donc, que la responsabilite morale d'un homme d'Etat, suppose d'abord une fidelite a sa conscience, superieure a la soif du pouvoir ou l'appetit des honneurs. Il s'agit la d'une faculte morale qui doit etre "le produit de la pure raison pratique, en tant que celle-ci dans la conscience de sa superiorite (de par la liberte) conquiert sa souverainete par la force avec des penchants si puissants"102.

Aussi, en considerant, la relation de l'homme d'Etat avec son peuple, il peut etre deduit qu'il s'agit d'une relation entre un oblige et un obligateur. Autrement dit, la responsabilite morale suppose avant tout une obligation de

9 8 Kant, Projet de paix perpetuelle, Flammarion 1991, p 113.

99 Ibidem, p 123.

100 Kant, Metaphysique des mceurs, 2é partie, Vrin 19 85, p 127.

101 In Principe responsabilite, op cit p 145.

102

Kant, Metaphysique des mceurs, 26 partie, Vrin 19 85, p 155

l'homme d'Etat a l'egard du peuple. Or, l'obligation, n'a de sens que par l'attitude qu'adopte a l'egard de l'obligateur, un oblige qui se fait obligateur de soi.

Il resulte a cet effet, que l'homme d'Etat doit en tout lieu et en toute circonstance, dans des situations presentes ou a venir, mettre en avant la grandeur de son peuple et de sa patrie. C'est donc dire que "l'homme d'Etat n'a pas d'obligation a l'egard de ce qu'il a fait, mais a l'egard de ce qui l'a fait. Les ancetres qui ont permis a la communaute d'arriver a cette epoque presente, la communaute d'heritiers que forment les contemporains qui sont ses mandants et la continuation de l'heritage vers un avenir determine"103.

Cela nous amene a dire que l'exigence morale de l'action de l'homme d'Etat, c'est le respect des valeurs et promesses qui l'on fait elire. Tout homme d'Etat qui arrive au pouvoir (de maniere veritablement democratique s'entend) a sans doute ete prefere au detriment d'autres candidats. Cette preference portee sur lui, temoigne en principe de la confiance que le peuple place en lui, au regard notamment de ses valeurs intrinseques ou supposees et aussi en fonction de ce qu'il aurait promis aux electeurs. Par consequent, il est pour lui un devoir de ne point trahir la bonne opinion que le peuple a de lui en realisant ce qu'il avait promis.

Certes, "le candidat au pouvoir ne peut jamais prevoir les initiatives qu'il devra prendre quoi qu'il ne cesse de jurer le contraire"104, car il y a des situations imprevues. Mais, sachant que la politique se concoit pour demain et qu'elle suppose aussi un art de prevoir les evenements, les promesses devraient etre realistes et sinceres et non une grossiere demagogie. C'est le lieu de dire que le respect de la parole donnee de meme que la tenue de la promesse faite, sont une exigence morale, car la veracite dans les promesses s'appelle bonne foi.

La fausse promesse etant consideree comme un mensonge, peut etre tenue dans la perspective de Kant, pour un manque de respect a l'egard d'autrui, une violation de son droit a la verite et aussi une "negation de la dignite humaine"105. Selon Kant, "un homme qui ne croit pas a ce qu'il dit a un autre (...) a encore moins de valeur que s'il n'etait qu'une chose de reel et de donne, quelqu'un d'autre peut se servir de ce qu'il en constitue la propriete, en faire usage tandis que la communication de ses pensees a autrui, au moyen des mots qui contiennent (intentionnellement) le contraire de ce que pense le sujet qui parle,

103 Principe de responsabilite, op cit p 149

104 Pierre Yves Bourdil, Ressusciter la politique, Ellipses, Paris 1996, p 192.

105 Kant, Metaphysique des mceurs, 26 partie, Vrin 19 85, p 103.

est une fin directement opposee a la finalite naturelle de communiquer ses pensees, c'est-A-dire un renoncement a la personnalite"106.

En parlant de la responsabilite morale de l'homme d'Etat, il s'agit particulierement pour celui-ci de conferer a ses actions politiques une valeur morale. Autrement dit, il doit veiller a ce que les actes qu'il pose soient en accord avec ce qu'il y a de bien pour le peuple. Comme premier responsable de l'Etat, il est appele a traiter les citoyens avec respect et dignite. A lui, plus qu'a tout autre citoyen, s'impose cette formule de l'imperatif categorique : "Agis de telle sorte que tu traites l'humanite, aussi bien dans ta personne que dans la personne d'autrui, toujours en même temps comme fin et jamais simplement comme un moyen"107.

En definitive, l'homme d'Etat au nom de sa responsabilité morale, doit par introspection pouvoir accorder les maximes de sa volonté avec la dignité de l'humanité en sa personne. C'est un devoir de l'homme d'Etat envers lui-même d'être son propre juge, de faire le proces de ses actions. Il se fait l'obligation de se soumettre a un examen de conscience comme "principe subjectif d'un compte A rendre a Dieu de ses actions"10 8.

106 Ibidem, op cit p 104

107 Kant, Fondements de la métaphysique des mceurs, Hatier 1963, p 47. 10 8 Kant, Métaphysique des mceurs, 26 partie, Vrin 19 85, p 114.

CONCLUSION

Nous voici au terme de notre travail consacre a la reflexion sur les elements d'un rapprochement possible entre la morale et la politique chez Kant, A travers le republicanisme. L'enjeu de cette reflexion, faut-il le rappeler, est, au regard de la crise des valeurs qui secoue le monde politique actuel tant au plan national qu'international, a trouver une forme de gouvernement, a meme de creer les conditions d'une bonne pratique politique. Celle-ci doit favoriser une bonne expression de la citoyennete et un rapprochement entre les peuples et les nations, dans un monde de paix.

Notre demarche a consiste d'abord a faire un point d'histoire sur les doctrines politiques qui consacrent soit un rapport de disjonction, soit un rapport de conjonction entre la morale et la politique, en nous basant sur la philosophie politique de Hobbes et Rousseau principalement. C'est ainsi qu'en partant du pacte de soumission de Hobbes et celui d'association de Rousseau, nous sommes parvenus aux formulations du totalitarisme et de la democratie. L'analyse de ces deux systemes politiques nous a amene a dire que la democratie constitue la meilleure forme de gouvernement, en ce sens qu'elle garantit l'epanouissement materiel et spirituel de l'homme.

Il s'etait ensuite agi pour nous d'introduire Kant dans le debat, en essayant de montrer son apport pour une autre lecture des rapports entre la morale et la politique. C'est ainsi que nous avons expose le republicanisme kantien comme etant la condition d'un accord entre la morale et la politique et aussi la concordance des memes notions d'apres la doctrine du droit. Dans les deux cas, il a ete respectivement question de l'affirmation du citoyen comme sujet moral, de la moralite de l'action politique du citoyen par une analyse comparative entre l'autorite de la loi orale et la rigueur de la juridique, de la liberte de presse comme mode d'expression d'une opinion publique moralisatrice. L'interdependance entre le prive et le public comme totalite fonctionnelle, de meme que l'examen des concepts de juste et de bien dans une relation de complementarite mettant en relief l'accord entre la politique te la morale, furent egalement debattus.

Enfin, nous avons parle de l'actualite des idees kantiennes, au regard de la situation politique actuelle. A ce niveau, nous avons evoque la question de la souverainete des Etats dans cette ere de mondialisation et de la recherche de la paix. Nous avons aussi aborde la problematique de l'Etat de droit et de l'exigence morale de l'action de l'homme d'Etat. Cette partie nous a permis de saisir la pertinence de certaines idees kantiennes par rapport a nos preoccupations actuelles, ayant trait surtout au renforcement de l'Etat de droit et

du respect des droits et libertes essentiels des citoyens, de la paix mondiale, des relations economiques, etc.

Au regard de ce qui precede, nous pouvons affirmer que le republicanisme porte en lui les bases juridiques d'une vie politique favorisant la pleine et effective expression de la citoyennete. En effet, la constitution republicaine en garantissant les droits et libertes des citoyens, les amene a developper en euxmemes la vertu, consideree comme force de la volonte. Il s'agit lA, d'un processus de responsabilisation du citoyen, etant entendu qu'un citoyen libre et vertueux "developpera ses meilleures capacites (...) et sera pret a chaque fois que cela est necessaire de les mettre au service du bien de l'Etat"109.

Le republicanisme reste et demeure pour Kant, la forme du gouvernement qui favorise le rapprochement entre la politique et la morale. Il souligne qu'il est une obligation pour les hommes de tendre vers une telle forme de gouvernement, car "c'est un principe de la politique morale qu'un peuple doive se reunir en un Etat d'apres les seuls concepts de droit de liberte et d'egalite et ce principe n'est pas fonde sur la prudence, mais sur le devoir"110.

Il est courant d'entendre certaines personnes dire et soutenir qu'en politique, il n'y a pas de morale. Mais, de quelle politique s'agit-il ? Sommes nous tentes de nous demander. Est-ce celle qui promet a tous les hommes le bonheur, la satisfaction, l'obtention de leur place naturelle dans un monde parfaitement organise, ou celle qui se veut egoiste et qui ne vise que la conservation du pouvoir a tout prix pour la satisfaction des interets exclusifs des gouvernants. A cet egard, notre conviction est que toute politique qui n'humanise pas ses moyens, qui n'est pas respectueuse des droits, des libertes et de la dignite de citoyens est source des conflits, d'instabilite et d'insecurite.

Il ne s'agit pas ici de pr8ner une subordination totale de la politique a la morale, mais qu'on s'accorde que "l'exigence morale derniere est celle d'une realite politique telle que la vie des individus soit morale et que la morale visant l'accord de l'individu raisonnable avec lui-meme devient une force politique, c'est-A-dire un facteur historique avec lequel l'homme politique ait a compter quand bien lui-meme ne se voudrait pas moral"111.

Il est certes difficile de vouloir que les hommes agissent toujours dans le sens de conferer a leurs actions une valeur morale. Mais, ce n'est pas un vceu pieux, car l'homme etant perfectible, il peut faire preuve de depassement de soi, d'actes desinteresses. Kant affirmait a juste titre que "le principe moral ne

109 Principe de responsabilite, op cit, p 172.

110 Kant, Vers le projet de la paix perpetuelle, Flammarion 1991, p 120.

111 Philosophie politique, op cit, p 12.

s'eteint jamais dans l'homme. La raison capable pragmatiquement de mettre a execution l'idee du droit d'apres ce principe, se developpe constamment dans cette direction grace aux progres continuels de la civilisation"112.

Le domaine du politique doit cesser d'être considere comme lieu privilegie d'actions immorales, c'est-a-dire le lieu ou tous les coups sont permis, le lieu de toutes les intrigues, de tous les crimes, de tous les complots, un domaine ou pense-t-on n'operent que des hommes souvent sans scrupules, abusant de la raison d'Etat. Le domaine du politique doit retrouver ses lettres de noblesse structurelles comme activite publique en vue de l'epanouissement des citoyens.

Il est admis que la politique n'implique pas necessairement la morale, car on peut aisement comprendre les faits politiques sans reference a la morale. Cependant, il y a lieu de reconnaitre que "ni leur difference, ni non plus leur mutuelle autonomie ne suppriment leur unite radicale sur leur origine commune dans l'homme regarde et se regardant comme etre agissant"113.

Au commencement et a la fin de toute politique, nous retrouvons l'homme, car elle est exercee par lui et pour lui-meme. Par consequent, la politique ayant pour finalite l'epanouissement de l'homme, ne peut pas ne pas etre analysee d'un point de vue moral, au regard notamment de la nature des moyens et des fins qu'elle utilise et qu'elle vise. En tout point de vue, la politique comme art de conduire les affaires de l'Etat, ne peut pas omettre que "ce qui est premier c'est le rapport de l'homme envers l'homme"114. La vraie politique comme le dira Kant "ne peut faire un pas sans avoir rendu d'abord hommage a la morale"115.

Dans le contexte actuel de democratisation et de l'instauration d'un Etat de droit, il doit etre entendu que seule la juste application du droit et de la loi, est la condition necessaire pour la paix sociale et la stabilite politique dans nos Etats. Les hommes sont epris de justice, sont soucieux du respect de leurs droits fondamentaux, ils ne sauraient donc admettre d'être encore et toujours traites comme des sujets, par un pouvoir dont ils sont la source de legitimite. La saine lecture du droit et la juste application de la loi sont un signe evident de loyaute, de justice et d'honnetete. Or, comme le dit Kant, "admettre que l'honnetete est meilleure que toute politique est au dessus de toute objection, voire est la condition inevitable de la philosophie"116.

112 In, Critique et morale chez Kant, Gerard Kruger, ed Bauchesne, Paris 1961, p 120

113 Philosophie politique, op cit, p 12.

114 Ibidem, p 19.

115 Kant, Vers le projet de la paix perpetuelle, Flammarion, Paris 1991, p 123.

116 Kant, Projet de paix perpetuelle, Flammarion 1991, p 111

En considerant la politique comme "doctrine du droit pratique" et la morale comme "doctrine du droit theorique", Kant etabli dejà un lien etroit entre les deux. Il est en effet, inconcevable d'envisager une pratique independamment de toute theorie. La politique en tant qu'elle met en rapport d'un cote les citoyens entre eux et de l'autre les Etats entre eux, ne peut que se baser en tout premier lieu sur la regle du droit tant au plan national qu'international. Poser des actes politiques en violation des lois de la Republique ou du droit international releve de l'immoralite, car elle suppose en definitive non respect de la parole donnee, partant, un acte de trahison a l'egard de ses concitoyens.

L'instabilite sociopolitique observee dans nos jeunes democraties, de meme que les guerres, les genocides qui ont eu lieu ou qui sont en cours, sont dus non seulement au manque de culture democratique, mais aussi a la violation repetee du droit et a une non application du droit. Or, le degre de moralite d'un peuple se mesure aussi par la disposition de celui-ci a respecter les lois qu'il s'est donne. Le premier devoir des citoyens consiste a eriger une veritable education civique qui ne craigne pas de montrer le lien entre le sujet de droit et le sujet moral.

En somme, faut-il se convaincre que la paix n'est realisable que dans le respect de la liberte et de l'egalite qui assure la securite. Dans un monde dechire par le danger des integrismes, des egoismes de toutes sortes, des extremismes politiques, l'Etat de droit apparait comme le dernier espoir pour sauver les valeurs fondamentales pouvant faire progresser l'humanite dans le sens du bien. Mais acceptons-nous d'en assumer les conditions politiques et morales ?

BI BLIOGRAPHIE

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6. Mamadou ILBOUDO : L'automne de la volonté comme fondement de la morale chez Kant, et comme perspective d'émancipation en politique, mémoire de maitrise de philosophie, sous la direction de Mahamadé SAWADOGO, Agrégé, Docteur, Assistant de philosophie.






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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore