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Ressources fourragères et représentations des éleveurs, évolution des pratiques pastorales en contexte d'aire protégée. Cas du terroir de Kotchari à  la périphérie de la Réserve de biosphère du W au Burkina Faso

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par Issa Sawadogo
Museum national d'histoire naturelle de Paris (ED 227) - Docteur du museum national d'histoire naturelle spécialité physiologie et biologie des organismes  2011
  

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6.3.2.3. Connaissance, représentations et usages : les catégories pastorales et les logiques de leur fréquentation par les éleveurs

6.3.2.3.1. Les paramètres considérés et leur importance au fil des saisons

Les éleveurs, qu'ils soient Gourmantchés ou Peuls, classifient les pâturages selon un certain nombre de paramètres dont l'importance varie d'une saison à l'autre. Il a été possible, par la matrice de classement pondéré, de mettre en évidence cette hiérarchie. Les paramètres pris en compte par les éleveurs sont : la disponibilité en eau et la possibilité d'y accéder, la quantité d'herbe offerte, la qualité de cette herbe, la praticabilité (en lien avec le risque d'embourbement) et la probabilité d'être exposé à un risque. Les causes de ce risque peuvent être la proximité des champs (risque de dégât et donc de conflit), ou des aires protégées (empiètement illégal), la présence de "lieux maudits"91 ou de tout autre risque sanitaire. Les deux derniers paramètres de risque (lieux maudits et risque sanitaire) semblent incertains en périphérie dans notre terroir et ont donc été retirés de la liste après avoir été retenus dans la liste. Tout comme la recherche de cures salées qui a été citée par les Peuls mais très vite retirée alors que leur existence dans le parc W n'est pas un secret (Kpoda, 2010). Cela semble s'apparenter à une manoeuvre maladroite des éleveurs pour cacher leur fréquentation des

91 "Lieux maudits" (ou "champs maudits") est un terme technique en zootechnie qui qualifie les lieux infestés par l'agent pathogène du charbon bactéridien ; l'herbe qui y pousse est également infestée et source de contamination pour le bétail.

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réserves voisines. Dans des travaux similaires dans l'ouest burkinabè (Vall & Diallo 2009) et au nord Cameroun (Vall et al. 2009), ces paramètres en été groupés en paramètres fonctionnels (disponibilité et accessibilité à l'eau ; disponibilité et qualité du fourrage) et en paramètres de risques (conflits potentiels).

Des coefficients ont été ensuite attribués à chacun des paramètres par saison selon l'importance que les éleveurs leur accordent.

Chez les Peuls (tableau VI-6) tout comme chez les Gourmantchés (tableau VI-7), la praticabilité, l'absence de risques divers notamment les possibilités de dégâts champêtres ainsi que, dans une moindre mesure, la qualité des fourrages sont les paramètres les plus importants en saison des pluies (Ndungu / Ku siagu) et en fin de campagne agricole au moment où les récoltes sont attendues ou ont commencé mais ne sont pas encore achevées (Yaamde / Ku fowagu).

Tableau VI-6. Paramètres de classification des unités paysagères pastorales : coefficients de pondération chez les Peuls

Paramètres

Ndungu
(juin - début oct.)

Yaamde (oct.
- début nov.)

Dabunde (mi -
nov. - févr.)

Ceedu (mars
- mai)

Kotoga/Korse
(fin mai- début
juin)

Eau

1

1

3

5

5

Fourrage de bonne qualité

3

5

4

1

2

Fourrage en grande quantité

1

2

4

5

4

Lieu praticable

5

3

1

---

---

Lieu sans risques

5

4

2

1

1

Les tirés signifient que le paramètre n'est pas pris en compte à la saison correspondante

Au sortir de la campagne agricole, la praticabilité (pour cause de dessèchement progressif des parcours), le facteur risque (pour cause de récolte de champs) sont peu ou pas considérés alors que la quantité du fourrage et la présence de l'eau prennent de plus en plus de l'importance aux yeux des éleveurs, la qualité du fourrage devenant secondaire. En saison sèche chaude (Ceedu et Kotoga ou Ku tontogu et A sakoana), c'est surtout la présence de l'eau qui confère à l'entité pâturée son intérêt pastoral.

Il est important de noter que le facteur de risque prend plus d'importance pour les Peuls que pour les Gourmantchés; il n'est d'ailleurs pas du tout pris en compte chez ces derniers dès le début de la saison sèche. Aux yeux des Gourmantchés, il n'existe pas de risque dès que les récoltes sont achevées, alors que chez les Peuls dont les troupeaux pâturent parfois au ras des réserves, le risque demeure même s'il n'est plus aussi important qu'auparavant. De même, en saison sèche la praticabilité des pâturages reste un paramètre crucial pendant encore un moment plus long pour les Peuls que pour les Gourmantchés, ceci probablement parce que les premiers vont exploiter l'herbe verte des zones inondées dès que c'est possible. Ils exercent sur ces unités très humides une surveillance particulièrement serrée en vue d'y accéder au plus vite.

Tableau VI-7. Paramètres de classification des unités paysagères pastorales : coefficients de pondération chez les Gourmantchés

Paramètres

Ku siagu
(juin - début oct.)

Ku fowagu
(oct. - février)

Ku tontogu
(mars - début mai)

A sakoana
(fin mai - début juin)

Eau

1

4

5

5

Fourrage de bonne qualité

4

5

1

1

Fourrage en grande quantité

2

3

4

4

Lieu praticable

5

---

---

---

Lieu sans risques

4

2

---

---

Les tirés signifient que le paramètre n'est pas pris en compte à la saison correspondante

6.3.2.3.2. La chaîne de pâturage saisonnière à dire d'acteurs: les représentations que les éleveurs ont de leurs pâturages

Le résultat validé par les éleveurs de la notation de chaque unité suivant tous les paramètres (échelle de un à vingt), puis de la pondération est donnée dans les figures VI-1 et VI-2.

Les collines (Waamde chez les Peuls ou Li guali chez les Gourmantchés) et les plateaux plus ou moins cuirassés ou gravillonnaires (Banouol chez les Peuls, Ku tankiangu et U gbanu chez les Gourmantchés), sont les lieux préférés pour la pâture de saison humide (Ndungu ou Ku siagu). Les hauts glacis ainsi que les plaines sèches aux sols sableux à sablolimoneux (respectivement Djolde et Li tinmuali) sont également fréquentés, mais à un degré moindre, surtout chez les Peuls. Trois paramètres, l'impraticabilité due à l'humidité, les risques divers (notamment conflits consécutifs aux empiètements de champs et maladies consécutives à l'humidité) et la qualité du fourrage, dans une moindre mesure, sont considérés comme déterminants dans ces choix de pâturage de saison humide. En effet, la quantité du fourrage et la disponibilité en eau d'abreuvement sont des préoccupations secondaires à cette période. Partout dans le terroir, le troupeau dispose alors de suffisamment de fourrage et d'eau pour subvenir à ses besoins. Une particularité des Gourmantchés est de fréquenter même les abords des plaines argileuses en cette saison, bien qu'elles fassent partie des zones les plus cultivées. Ceci semble possible grâce à la taille modérée de leurs troupeaux (en moyenne : cinq bovins ; treize ovins et treize caprins voir tableau V-8, chapitre V), qui leur permet de rester dans les broussailles des interstices inter-champs.

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Figure VI-1. Chaîne de pâturage annuelle dans la représentation des éleveurs peuls.

Ndungu : juin à début octobre

Yaamde : octobre à début novembre Dabunde : mi-novembre à février Ceedu : mars à mai

Kotoga : fin mai à début juin

Celol = UPP1 (unité de savane arborée sur sol profond hydromorphe à pseudogley de surface)

Loubal = UPP2 (unité de savane boisée claire sur plaine inondable et sol hydromorphe à pseudogley de surface) Loubare = UPP3 (unité de savane arbustive de moyen et bas glacis sur sols ferrugineux tropicaux à tâches et concrétions)

Djolde / Banouol = UPP4 (unité de savane arbustive claire de plateaux et hauts glacis sur sols ferrugineux tropicaux lessivés indurés)

Djolde / Banouol (champs) = UPP5 (UPP 4 cultivé ; unité de mosaïque agroforestière sur sols ferrugineux tropicaux lessivés indurés)

Waamde = UPP6 (unité de savane arbustive claire de buttes rocheuses et cuirassées).

Pendant le Yaamde (début Ko fowagu dans le calendrier gourmantché), saison de transition qui correspond à la période d'entame des récoltes, les conditions d'ensemble ont peu évolué mais l'herbe, arrivée à maturité depuis fin septembre, commence à perdre de sa qualité par endroits et ce paramètre commence à prévaloir dans la recherche des pâturages. Le début d'assèchement du Loubal (plaine inondable non cultivée), devenu praticable et où le retrait de l'eau libère de l'herbe fraîche et jeune par endroits, y attire les troupeaux. Les abords du Loubare et du Celol se sont également asséchés et peuvent être exploités par ces éleveurs en particulier les Peuls. Les troupeaux gourmantchés, exploitent alors pratiquement les mêmes milieux que pendant la période précédente mais sollicitent aussi fortement la partie asséchée des plaines inondables (Ku pugu). Ils sont par ailleurs moins fréquents sur les collines (Li guali). Plus généralement, les animaux continuent d'aller sur les hauteurs car les risques de dégâts champêtres sont encore importants en contrebas, mais ils commencent à en descendre car la végétation y devient répulsive : la paille y a déjà, beaucoup plus qu'ailleurs, entamé son jaunissement.

Figure VI-2. Chaîne de pâturage annuelle dans la représentation des agroéleveurs gourmantchés.

D_Ku fowagu (début Ku fowagu): mi-octobre à début-novembre P_Ku fowagu (plein Ku fowagu): novembre à février

Ku tontogu : mars à début mai

A sakoana : fin mai à début juin

Ku siagu : juin à début octobre

Ku bagu= UPP1 (unité de savane arborée sur sol profond hydromorphe à pseudogley de surface)

Ku pugu= UPP2 (unité de savane boisée claire sur plaine inondable et sol hydromorphe à pseudogley de surface) Li tinbuali = UPP3 (unité de savane arbustive de moyen et bas glacis sur sols ferrugineux tropicaux à tâches et concrétions)

U gbanu / Li tinmuali = UPP4 (unité de savane arbustive claire de plateaux et hauts glacis sur sols ferrugineux tropicaux lessivés indurés)

U gbanu / Li tinmuali (champs) = UPP5 (UPP 4 cultivé ; unité de mosaïque agroforestière sur sols ferrugineux tropicaux lessivés indurés)

Li guali / Ku tankiangu = UPP6 (unité de savane arbustive claire de buttes rocheuses et cuirassées).

Le Dabunde (plein Ku fowagu), saison sèche froide, est la période où les récoltes sont achevées et la baisse de la qualité ainsi que de la quantité du fourrage naturel est alors partiellement compensée par les résidus de culture (Gnagnical ou Nyale d'après Kagoné, 2000) dans les unités cultivées (Djolde, Banouol et Loubare chez les Peuls ; U gbanu, Li tinmuali et Li tinbuali chez les Gourmantchés) alors appelées Gese (respectivement I kuanu). À cette période, les troupeaux sont très présents sur ces unités où la vaine pâture92 est admise. C'est aussi vers la fin de cette période que les feux de brousse atteignent leur pic et les éleveurs, surtout les Peuls, retournent vers les plaines inondables (Loubal ou Ku pugu) qui ont été brûlées pour bénéficier des jeunes repousses appelées Woulande.

La saison de soudure qui correspond à la saison sèche chaude (Ceedu ou Ku tontogu) va être marquée par l'occupation tout azimut des bas-fonds (Celol ou Ku bagu) et de leurs environs. Ces unités, dont certaines ont encore des filets d'eau, offrent de l'herbe fraîche mais en très faible quantité ; elles permettent surtout d'abreuver les animaux grâce à des puisards

92 La vaine pâture se définit comme « un droit d'usage qui permet aux éleveurs de faire paître gratuitement leur bétail dans des champs ne leur appartenant pas, après les récoltes ou lors d'une jachère » (Inter-réseaux Développement rural, 2009)

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creusés manuellement. L'herbe offerte ne suffit plus à assurer les besoins d'entretien des animaux et, tout autre lieu, à distance raisonnable des points d'eau et où il est possible d'avoir de l'herbe - de la paille sans valeur appelée Gena ou, selon Thébaud (1999), Geene - est fréquenté. C'est la période des transhumances et de la complémentation des animaux. Certains éleveurs gardent leurs animaux le matin à proximité des habitations, généralement sur les unités de plateaux où ils bénéficient des résidus de culture en stock.

Les premières pluies annoncent l'hivernage (saison : Kotoga ou A sakoana) et font venir des repousses sur les plaines hydromorphes (Loubal ou Ku pugu) et les autres unités de bas de toposéquence, ce qui y attire les animaux. Quand les pluies deviennent importantes (période du Korse), les repousses le deviennent également sur tout le terroir notamment sur les plaines plus hautes et les plateaux et elles sont facilement exploitées avant les semis. À cette période, le terroir accueille ses derniers transhumants, les Korseje (Sawadogo, 2004), venus à la rencontre de cette herbe fraîche.

Il est manifeste que les éleveurs peuls et gourmantchés ont une bonne connaissance des pâturages, de leur dynamique et des périodes optimales de leur exploitation. Parmi les paramètres auxquels ils se réfèrent pour qualifier et choisir leurs pâturages, certains comme la praticabilité, l'exposition aux risques de conflits et, dans une moindre mesure, la qualité de la ressource pastorale (le fourrage en particulier) sont déterminants en saison pluvieuse et vont structurer l'occupation de l'espace. Les meilleurs pâturages sont alors ceux situés à distance des champs et ne présentant pas de risque d'embourbement. En saison sèche en revanche, la quantité de la ressource fourragère dans un premier temps, puis la disponibilité en eau vont être mises en avant dans le choix des pâturages à fréquenter, un pâturage sera d'autant plus fréquenté qu'il remplira les deux conditions. Les éleveurs qui font preuve d'un bon choix d'itinéraires permettant un bon rapport coût (énergie dépensée dans les déplacements) / avantage (aliments et eau de boisson rencontrés sur ces parcours), ont ainsi des animaux qui traversent cette saison sans grand dommage.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote