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La scatologie dans la trilogie beckettienne

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par Valentin Boragno
Université Paris III - Master 1 2006
  

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2. CHIER: DE LA COURANTE A L'UREMIE

2.1 La fuite

- DEBORDEMENTS

Moran est guetté par deux maladies opposée : l'urémie et la dysenterie. D'une part l'évacuation est impossible. De l'autre, le maintien normal des aliments dans le corps est impossible. La dysenterie qui frappe Moran lors de ses "affections intestinales" est "sanguinolente" : "Plié en deux, de ma main libre me comprimant le ventre, j'avançais, en poussant de temps en temps un rugissement de détresse et de triomphe. Certaines mousses que je mangeais devait y être pour quelque chose. Moi, si je me mettais dans le crâne de me présenter ponctuellement au lieu du supplice, la dysenterie sanguinolente ne m'en empêcherait pas, j'avançais à quatre pattes en chiant tripes et boyaux et en entonnant des malédictions. Je vous l'ai dit, ce sont mes frères qui m'auront eu."54(*) Comme dans l'urémie, le sang se mélange alors à l'excrément, mais cette fois à l'extérieur du corps. Le pénitent a déjà entamé son supplice avant d'arriver au "lieu de supplice". Le lieu du supplice serait-il justement la "Madone de Shit" tel que l'affirmera plus tard Moran au fermier rubicond55(*) ? La merde serait en même temps la torture du personnage mais aussi son Salut, s'il en est un. Certes Moran se moque du fermier et de ses sentiments "d'éleveur de vache". Mais arrivant en "marmelade", il pourrait faire croire qu'effectivement il est un pélerin dévoué à la merde.

La mère de Molloy fait sous elle, comme le feu chien de Lousse: "Car Teddy était vieux, aveugle, sourd, perclus de rhumatismes, et faisait sous lui à chaque instant, jour et nuit, aussi bien dans la maison que dans le jardin."56(*) Le fils de Moran a aussi des colliques57(*). Mahood enfin a la "courante": "Naissez chers amis naissez, rentrez-moi dans le fondement, vous verrez s'il fait bon s'y tordre, ce ne sera pas long, j'ai la courante."58(*) Malone incapable de pisser, est en même temps incapable de se retenir "Je le revois, calmé enfin, s'essuyer les yeux et la bouche, et moi, les yeux baissés, m'attrister sur une petite marre que l'urine, ayant traversé mon pantalon de part en part, avait formé à mes pieds."59(*) Par tous ses orifices, le corps beckettien se liquéfie, y compris par les pores de la peau, et par ses intestins. L'impossible expulsion relève donc du même problème que les courantes ou les fuites urinaires. Le corps se liquéfie, à l'intérieur et à l'extérieur. La peau n'est plus une frontière.

Ce sont les vêtements qui sont censés remplir cette fonction. Les "débordements" viennent salir les caleçons censées les retenir: "Et j'oubliais alors que mon fils serait à mes côtés, s'agitant, se plaignant, réclamant à manger, à dormir, salissant son caleçon."60(*) Quant à ceux du père, ils viennent "pourrir" les caleçons : "Je dus également me séparer de mes caleçons (deux). Ils avaient pourri, au contact de mes débordements."61(*) Malone, lui, ne fait pas mention de ses habits, mais s'apprête, à une échelle plus grande, à salir son lit. Lorsque son vase est hors de sa portée: "Je vais sans doute être obligé de faire dans le lit, comme lorsque j'étais bébé."62(*) Il y a en effet une sorte de régression à un stade infantile où le corps de l'enfant n'a pas encore bien consience de ses propres imites. Comme le dit Cyrille Harpet, chez l'enfant "le travail organique interne se déploie vers l'extérieur: le corps n'est point enclos, il est comme perméable et poreux, livre ses productions."63(*) La sortie de ce stade est capitale pour la constitution d'une identité propre. Ce n'est qu'en apprenant à se retenir, que l'enfant acquiert une notion du temps, et de son emploi. "La demande de retenir fonde un désir d'expulser, dont l'enjeu est la satisfaction à heure fixe d'une attente de l'autre, dans une discipline du besoin."64(*) Molloy précisément se laisse aller à « certaines façons de faire relevant de la seule commodité du corps, tels le doigt dans le nez, la main sous les couilles, le mouchage sans mouchoir et la pissade ambulante »65(*). Il ne devient jamais un adulte capable de se retenir."La castration anale vise à déprendre des collages à la matière et à la destruction pour faire quelque chose de culturellement vivant où se développent les aptitudes, l'intelligence, et l'initiative de l'enfant, de son esprit et de ses mains... C'est la castration anale qui permet l'obtention d'une maîtrise adéquate et humanisante de la motricité."66(*) Or c'est précisément la motricité, l'initiative, la vie que Beckett cherche à abandonner. Fasciné par l'abolition du temps, il emprunte le chemin inverse de l'éducation infantile, et retourne au stade anal, où dedans et dehors, avant et après ne font qu'un.

- Une fuite du sens ?

Métaphoriquement, ces coulées de la matière peuvent faire allusion à une fuite du sens - à supposer que l'image du sens la plus adéquate soit quelque chose de dure. Cette thèse ferait alors de la scatologie l'un des moteurs essentiels de l'absurde. Ainsi la formule M. Bernard s'appuyant sur d'autres textes de Beckett: "La remontée de l'illimité des profondeurs produit "un croulement languide, un effondrement général"67(*), un bouleversement de la représentation qui prend l'aspect d'une coulée physique coexistente à la fuite du sens, un "quaqua de toutes parts."68(*) La coulée métaphorise l'abandon de l'espoir ou de Dieu, ou comme le dit Borréli "un sentiment de déréliction". "La déréliction désigne avec plus de pertinence le sentiment latent, lancinant, confus de solitude et de délaissement, dont souffrent tous les héros de Beckett." 69(*)

Fuite du sens, fuite de Dieu, la fuite excrémentielle pourrait plus simplement faire écho à la parole sans fin. La coulée est aussi et surtout verbale. C'est la parole qui sort sans pouvoir s'arrêter, comme le texte de L'Innommable qui de la vingtième page à la fin, tel un liquide, coule en un et un seul paragraphe. Mais ce sont aussi les paroles des autres qui viennent polluer et inonder le narrateur : « D'une seule coulée la vérité enfin sur moi me ravagera, sous la réserve toujours qu'ils ne se remettent pas à bafouiller."70(*) La diarrhée verbale de l'un ne fait que répondre à celle de l'autre. C'est pourquoi, le silence tant désiré est celui des noyés: "En fin de compte, c'est la fin, la fin du compte, c'est le silence, le vrai, pas celui où je macère, jusqu'à la bouche, jusqu'à l'oreille, qui me recouvre, qui me découvre, qui respire avec moi, comme un chat avec une souris, le vrai, celui des noyés..." 71(*) Immergé sous la matière infâme gît le silence.

* 54 Molloy, p.226

* 55 Molloy, p.235

* 56 Molloy, p.42

* 57 Molloy, p.162

* 58 L'Innommable, p.155

* 59 Malone meurt, p.72

* 60 Molloy, p.170

* 61 Molloy, p.231

* 62 Malone meurt, p.135

* 63 Harpet, p.140

* 64 J. Clerget, La pulsion et ses tours, Presse Universitaire de Lyon, 2000, p.122

* 65 Molloy, p.32

* 66 Françoise Dolto, citée par Clerget, p.124

* 67 Mal vu mal dit, pp.70-71, cité par M. Bernard, in Samuel Beckett et son sujet : une apparition évanescente, L'Harmattan, 1996, p.5

* 68 Comment c'est, 74, cité par Bernard, p.5

* 69 G. Borréli, "Beckett et le sentiment de déréliction", in Le théâre moderne depuis la Deuxième Guerre Mondiale, Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, 1967, p.45

* 70 L'Innommable, p.104

* 71 L'Innommable, p.202

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