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La scatologie dans la trilogie beckettienne

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par Valentin Boragno
Université Paris III - Master 1 2006
  

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3. FAIRE CHIER

3.1 - Une anthropologie du chieur

- L'âme en pet

Socrate démontre l'immortalité de l'âme. Beckett la transforme en du vent et en flatulences. Il subvertit le motif du « pneuma anima », objet noble, en reprenant le vieux motif folklorique de "l'âme en pet", pour reprendre l'expression de Claude Gaignebet. Le souffle qui était symbole de la vivacité et de la légérèté devient celui de la lourdeur et de la folie. "L'âme en pet est une caractéristique des fous tels qu'ils sont représentés dans le folklore", écrit Gaignebet105(*). Le pet est pourtant le corrélaire de la tempête. Le trop plein éprouvé par le narrateur se manifeste sous la forme d'une tempête intra-cranienne. Mais celle-ci n'a rien de sublime. Malone, qui connaît soit en fiction soit en réalité plusieurs tempêtes, ressent du vent dans sa tête: "je n'ai jamais eu dans l'idée que du vent" 106(*). Le vent c'est bien sûr le manque de consistance mais c'est surtout la présence obstinée de la vie, l'inquiétude. La tempête sous le crâne n'est pas l'expression d'un dilemne hugolien ou d'une expérience extrème, c'est la vie acharnée et désorganisée : "Une sorte d'air y circule et quand tout se tait je l'entends qui se jette contre les cloisons qui le rejettent naturellement...vagues...assauts...bruits de grève aérienne...tempête.107(*) " Ce n'est pas une déploration d'un état physiologique à un instant donné, mais plutôt un constat ontologique. La vie, l'existence sont comme de l'air dans une conduite. Ainsi Molloy avoue-t-il "[Cette période de ma vie] me faisait penser à de l'air dans une conduite d'eau."108(*) Puis il compare son "existence" à des bulles sortant d'un pis :"Mais ce n'est pas la peine que je prolonge le récit de cette tranche de ma, mon, de mon existence, car elle n'a pas de signfication à mon sens. C'est un pis sur lequel j'ai beau tirer, il n'en sort que des bulles et des postillons."109(*) L'absence de signification de ces énoncés ne doit pas faire oublier la prégnance de la conception judéo-chrétienne de la vie dont elles sont chargées: "Souviens-toi que ma vie est un souffle." (Job, 7:7).

Cette tradition pour être réinvestie n'en est pas moins mise à mal. Le narrateur de L'Innommable subvertit la théorie du souffle vital, pneuma anima, en la transformant en pet. Le souffle divin n'entre ni ne sort plus par la bouche mais par l'anus. "Mahood, j'ai connu un médecin qui soutenait que le souffle suprême, au point de vue strictement scientifique, ne pouvait sortir que par le fondement, et que c'est à ce dernier orifice que la famille devrait présenter le miroir, avant d'ouvrir le testament."110(*) Expression étrange, le fondement désigne systématiquement l'anus, déjà dans Molloy, "Que voulez-vous, le gaz me sort du fondement à propos de tout et de rien, je suis donc obligé d'y faire allusion de temps en temps, malgré la répugnance que cela m'inspire."111(*) Ici encore, lié au pet, le fondement de l'être humain se confirme être l'anus, précisément par sa fonction de porte du souffle. Dans L'Innommable : " Naissez chers amis naissez, rentrez-moi dans le fondement, vous verrez s'il fait bon s'y tordre, ce ne sera pas long, j'ai la courante."112(*) Bref, le pet illustre la dérision de l'ontologie chez Beckett. Lui n'en crée pas de nouvelle. Il ne prétend pas que l'âme soit flatulence. Le pet n'a qu'une fonction dévastatrice. Il détruit sans rien poser à côté. C'est pourquoi l'on peut lire ces passages comme sincèrement comiques. Ils ne recèlent pas de nouvelles fondations métaphysiques qui légitimeraient d'atténuer le comique au profit d'une interprétation sérieuse. Le pet est omniprésent dans Molloy. Un des premiers personnages apparaît "Rêvant et pétant comme le font tant de citadins, quand il faisait beau".113(*) Molloy compte ses pets à la journée. Lisons ici davantage la preuve de son désoeuvrement que de l'ébauche d'une nouvelle oeuvre. Le passage est entièrement drôle parce qu'il nie sans rien poser: " Un jour je les comptai. Trois cent quinze pets en dix-neuf heures, soit une moyenne de plus de seize pets l'heure. Après tout ce n'est pas énorme. Quatre pets tous les quarts d'heure. Ce n'est rien. Pas même un pet toutes les quatre minutes. Ce n'est pas croyable. Allons, allons, je ne suis qu'un tout petit péteur, j'ai eu tort d'en parler. Extraordinaire comme les mathématiques vous aident à vous connaître." 114(*)

L'âme en pet chez Beckett n'est donc pas l'occasion d'une nouvelle ontologie, telle que l'histoire folklorique de cette croyance pourrait le faire penser. Selon Gaignebet en effet, la scatologie n'est pas purement réactive et provocatrice à l'encontre de la tradition biblique. Déjà les Pythagoriciens l'avaient développée, et donc : "La théorie de l'âme en pet est primitive et ne s'est pas développée en opposition à celle du souffle buccal, mais en quelque sorte parallèlement."115(*) Chez Beckett, il semble que si. C'est une moquerie, un sarcasme nihiliste.

- MOI ET L'AUTRE MERDE

Beckett n'est pas un tendre. Il déteste l'homme et n'entend pas lui faire de cadeau. Il ne veut pas lui faire des merdes qui "fleure[nt] l'Arabie116(*)". Il lui offre tout ce qu'il peut faire de pire. Ses personnages ont conscience de la bassesse de leur statut sur terre. Comme Job cité par Pascal, écrasé sur son tas de fumier ou de cendre, comme Job qui élève cette plainte:

"Quand je me laverais dans la neige,

Quand je purifierais mes mains avec du savon,

Tu me plongerais dans la fange

Et mes vêtements m'auraient en horreur." (Job, 9: 30, 31)

comme lui, ils sont des délégués de la misère de l'homme. Mahood se présente comme une fange: "...il n'y a jamais eu que moi ici, jamais, toujours, moi, personne, vieille fange à brasser éternellement, maintenant c'est de la fange, tout à l'heure c'était de la poussière, il a dû pleuvoir."117(*) Molloy se dit être une merde. Il n'évoque en effet avec affection son trou du cul uniquement pour sa "dignité dûe à ses allures de trait d'union entre moi et l'autre merde."118(*) D'ailleurs, ses papiers d'identité ne sont autre qu'un bout papier journal hygiénique. L'autre merde est l'Autre, moi est le Même : Autre et Même sont de la merde. Entre eux les personnages se traitent de « fumier » : "Laisse-moi réfléchir fumier."119(*) dit Lemuel, dans une insulte comique qui met en lien le fumier et la pensée. La plupart ne prend même pas le soin de chier sur son prochain. L'indifférence et l'oubli sont plus fort que cet affront. Ce sont les chiens qui par délégation viennent pisser sur la maison de Mahood : "Serait-ce par pudeur, par crainte de causer de la peine, qu'on affecte d'ignorer mon existence? Mais c'est là une délicatesse de sentiment qu'on peut difficilement attribuer aux chiens qui viennent pisser contre ma demeure, sans avoir l'air de se douter qu'il y a de la peau et des os là-dedans." 120(*)

Par quoi le même et l'autre pourraient-ils alors communiquer, si ce n'est par des merdes ? Entre Beckett et le lecteur, il n'est même pas besoin de dire merde à la manière d'un Diderot. Beckett ne nous "pardonnera jamais". Pourquoi aussi nous offrirait-il des fleurs?

* 105 C. Gaignebet, Le folklore obscène des enfants, Maisonneuve et Larose, Paris, 1980, p.156

* 106Malone meurt, p.72

* 107 Malone meurt, p.78

* 108 Molloy, p.71

* 109 Molloy, p.74

* 110 L'Innommable, p.93

* 111 Molloy, p.39

* 112 L'Innommable, p.155

* 113 Molloy, p.14

* 114 Molloy, p. 39

* 115 Gaignebet, p.156

* 116 Molloy, p.24

* 117 L'Innommable, p. 194

* 118 Molloy, p. 108

* 119 Malone meurt, p. 155

* 120 L'Innommable, p.91

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe