WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les réécritures bibliques dans l'oeuvre de Pascal Quignard

( Télécharger le fichier original )
par Daphné Pulliat
Université Paris IV- Sorbonne - Master II littératures françaises 2008
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

3 . changement de forme; la quête d'une forme
originelle

Dans son traitement de la source biblique, dans ses réécritures, Pascal Quignard opère un changement de forme significatif. Changer de forme est toujours générateur de sens. Mais, à un degré supérieur, dans l'écriture de Pascal Quignard, ce changement de forme fait sens dans sa démarche générale de quête des origines.

du monument à la poussière

De l'éclatement de la Bible naissent des éclats de Bible, des éclats bibliques. Pascal Quignard fragmente son texte source, le découpe, le dépèce, le malmène, et recompose, recolle, réorganise les restes, les scories, les bribes qui ont survécu à son entreprise sauvage.

Lorsqu'il découpe la vie de Jésus en onze fragments qu'il éparpille aux quatre coins de son oeuvre, Pascal Quignard fait retour vers l'animalité première qui est la nôtre, vers notre sauvagerie initiale, vers notre férocité originelle. Comme nos ancêtres dans les forêts, Pascal Quignard erre dans la Bible à la recherche d'une proie. Comme nos ancêtres affamés il se jette sur la plus belle bête : Jésus, figure centrale du Nouveau Testament, Jonas, un des personnages les plus connus de la Bible, mais aussi Alexis, héros du livre ancêtre de la littérature

française et Eustache, personnage de La Légende dorée de Voragine, elle aussi à l'alpha de la littérature française. Et il déchire ses proies, s'en régale. D'Elisée qui laisse les ours dévorer les quarante-deux enfants du Carmel, Pascal Quignard dit qu'il Ç était un homme merveilleux210 È. Eloge de la cruauté, de la férocité, de la brutalité principielle.

Le changement de forme est une brutalité faite au texte source. Il est une transformation. Partant de la somme, de l'édiÞce qu'est le texte biblique, Pascal Quignard effectue un travail de réécriture majeur en tirant le texte biblique vers le conte, vers le fragment. Ce qui est grand et dense devient petit et épars. Cette démarche est, nous l'avons vu, idéologiquement désacralisante, la
·cisante. La Bible est une source littéraire, pas seulement un livre de foi. Littérairement, c'est un plaidoyer pour une forme, plaidoyer pour l'inÞme et le minuscule.

Les réécritures bibliques de Pascal Quignard sont l'essai d'une autre expérience du Livre. Les vies minuscules, les petits contes que nous propose l'écrivain vont dans le sens de la Ç redécouverte de la singularité du

210 Les Paradisiaques, op.cit., chapitre LI, Ç L'ombre d'Elisée È, Paris, Grasset, 2005, p. 175

petit contre la domination du monumental211 È. D'un monument Pascal Quignard fait de la poussière, cette matière dont nous sommes initialement issus. Retour à la poussière, retour à la matière initiale, originelle.

retour vers les origines

Ainsi, faisant l'éloge de la férocité, pratiquant l'esthétique du sordide, Pascal Quignard affectionne particulièrement tout ce qui touche à notre origine, tout ce qui est le signe de ce que nous fûmes et que nous rejetons, que nous refusons d'avoir été, que nous refusons d'être. Sauvages nous fûmes ; barbares nous sommes, semble nous dire Pascal Quignard lors qu'il établit ce lien entre notre origine chasseresse et nos comportements bellicistes modernes. Dans son écriture malmenante et brusque, l'écrivain assume cette part d'origine qui est en lui, qui est en nous.

Son écriture se tourne ainsi vers ses propres origines, et les origines de l'écriture sont multiples et complexes. L'origine de l'écriture, c'est la main qui trace : c'est la poussière de couleur qui frotte une paroi, c'est le stylet qui grave une tablette, c'est le pinceau qui effleure un

211 Dominique Viart, Ç Le moindre mot È, art. cité, Pascal Quignard, Revue des Sciences Humaines, n° 260, octobre-décembre 2000, p. 64

parchemin. Puis c'est la machine, qui impose la même écriture, la même forme aux lettres.

L'ancêtre de l'écriture, c'est la parole. Les histoires furent racontées avant d'être écrites. L'ancêtre de la lecture, c'est l'écoute, l'attention à la voix.

Le grand ancêtre du livre, c'est le Livre, c'est la Bible, c'est la première parole, la première écriture, la première impression. L'ancêtre de la littérature française, c'est la Vie de Saint Alexis, source la plus lointaine de la langue française, c'est La Légende dorée, livre le plus lu, le plus copié, le plus commenté avec la Bible au XIIIème siècle.

L'ancêtre du français, ce sont le grec et le latin. Pascal Quignard écrit même

Thèse :

Le Français n'est pas du latin qui a dérivé. (Syntaxe qui n'a rien à voir avec Rome. Lexique qui n'a rien à voir avec Athènes. Etc.)

Contre-argument :

C'est du latin tout court.

(Nationalisme :

Le latin, c'es du français de cuisine212.)

Pascal Quignard, dans l'ensemble de sa démarche, réalise un retour vers l'origine, un retour vers l'originel, vers la source, vers l'alpha, vers ce qu'il nomme l'objet petit a. L'écrivain nous propose une archéologie de notre être et de nos pratiques de langage, car l'homme se

212 Petits Traités, op. cit., IXème traité, Ç Les langues et la mort È, Paris, Gallimard, [1990], coll. Folio, 1997, p. 160

définit ainsi : Ç nous somme un peu de poussière et nous savons quelques chose des langues213. È

Choisissant le conte et le fragment, Pascal Quignard se tourne vers l'origine, car ils sont originaires, originels. La fragmentation est à la source de toute l'expérience humaine, de l'origine de l'individu à sa séparation finale d'avec le monde. Le conte est tourné vers l'enfance, vers le silence de l'enfant qui écoute, il est tourné vers le rêve, il est tourné vers ce monde de l'avant qui est le Perdu de Pascal Quignard.

Mais dans cette remontée vers l'originel, le conte appara»t comme une donnée paradoxale. Le retour vers le conte constitue en soi un retour vers l'oralité. Pascal Quignard développe dans l'ensemble de son oeuvre une haine de la parole. Il dit écrire car c'est Ç la seule façon de parler en se taisant214. È Une quête de silence. Une quête de nuit. Une haine de la parole qui s'étend en une haine du langage. Pascal Quignard est le Ç misologue È, le Ç logoclaste È, le Ç phonoclaste È.

Il y a dans l'écriture et dans la vie de Pascal Quignard un désir de quitter la langue, de s'arracher à cette fatalité, de s'en défaire. Mais le silence est tout aussi dangereux. Le mot sur le bout de la langue, l'autisme sont les

213 Petits Traités, op. cit., XLIIIème traité, Ç L'oreille de Marie È, Paris, Gallimard, [1990], coll. Folio, 1997, p. 370, cite Bérulle.

214 Le nom sur le bout de la langue, op. cit., Paris, P.O.L, 1993, p. 62

expériences de cette tragédie du silence. << Le langage est la seule résurrection pour ce qui a disparu215 È ; aussi défaillant soit-il, le langage est le seul à pouvoir exercer cette transmission216, cette tentative de retour du Perdu. Il est l'unique moyen de consulter, de sonder les origines du monde, de l'homme, de l'individu, de l'écriture, de la littérature.

A l'image des Þls de Noé qui recouvrent la nudité de leur père << à reculons (incedentes retrorsum)217 È, Pascal Quignard écrit à reculons, s'en retourne vers là d'où il vient, vers là d'où nous venons. Un saumon qui fraie pour aller mourir là où il vint au monde.

Se retournant sur son origine, se retournant sur son enfance, Pascal Quignard se retourne sur la Bible. Elle est à la source de son écriture. Nous avons vu les traitements qu'il lui inßige, le travail de découpage qu'il effectue pour intégrer ce matériau primaire, premier, principiel à sa démarche littéraire.

215 Sur le Jadis, op.cit., chapitre XI, Paris, Grasset, 2002, p. 28

216 Laurence Werner David, << La mémoire la plus lointaine È, Fabienne Durand-Bogaert, Yves Hersant (dir.), Pascal Quignard, Critique, tome LXIII, n °721-722, juin-juillet 2007, p. 509

217 Les Paradisiaques, op.cit., chapitre LIII, << Le bois sacré È, Paris, Grasset, 2005, p. 179-180

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo