WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le conte et l'éducation chez les Lokpa du Bénin

( Télécharger le fichier original )
par Akéouli Nouhoum BAOUM
Université d'Abomey- Calavi (Bénin ) - Maà®trise en lettres modernes 2010
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2.2.5 Comment se déroule l'énonciation d'un conte ?

Les contes sont, de façon traditionnelle, racontés lors des séances qui sont la plupart du temps organisées dans la spontanéité. Le conte est un moyen de divertissement, de distraction, de partage des idées, autrement dit, un moyen de didactique, donc d'édification de la personne humaine. A ce titre, son énonciation intervient à chaque fois que le besoin de se distraire ou d'enseigner se fait sentir. Lorsque plus d'une personne se retrouvent en un lieu, (nous insistons là-dessus, car il peut s'agir de n'importe quel lieu et il est aussi important d'avoir plusieurs personnes), une séance de contes peut avoir lieu. Nous avions dit plus haut que ces séances de contes se tiennent le plus souvent la nuit chez les Lokpa et dans la plupart des sociétés africaines. Quelques exemples pour nous illustrer. Anssoumane CAMARA nous explique : « Tous ces contes sont dits la nuit après le repas du soir dans la grande cour devant le vestibule85i Il fait ainsi allusion aux Malinké de la Guinée où comme chez les Lokpa les contes sont dits la nuit. Une étude menée par Marguerite A. Kafoui GAGLOZOUN, au Sud-Bénin chez les Aja nous apprend que les contes sont également essentiellement dits la nuit. Elle nous l'exprime en ces mots : « La profération du conte en pays aja a généralement lieu la nuit86. » Remarquons avant de continuer que l'auteur fait ici preuve d'une prudence avérée en employant l'adverbe généralement car comme nous l'avons montré plus haut, il peut arriver que le conte soit dit n'importe où et surtout à n'importe quel moment. Ce qu'il faut retenir, c'est que le conte se dit traditionnellement « la nuit après le repas du soir » en famille, entre amis, entre couches sociales de mêmes âges ou hétéroclites, c'est-à-dire composées de jeunes, vieux, femmes, jeunes filles, jeunes garçons, bref de tout ce qui entre dans la composition d'une communauté. Le choix du soir pour raconter les contes paraît universel. En effet, Jean Du BERGER a rapporté dans son article le propos d'une Canadienne.

85 Anssoumane CAMARA, op. cit. p.65.

86 Marguerite A. Kafoui GAGLOZOUN, Le rôle social du conte dans l'aire culturelle aja, Mémoire de maîtrise, UAC, 2008-2009, p. 23.

Elle nous apprend que : « Chez-nous, ils se rassemblaient le soir. Ceux qui ne savaient pas de contes chantaient des chansons, et ceux qui ne savaient pas de chansons contaient des contes. C'étaient des réunions d'hiver. On se réunissait souvent87. » L'évidence est là. Le soir est le moment privilégié pour le conte. Mais il faut rester tout de même prudent pour ne pas dire que toutes les sociétés du monde ont en commun ce moment de la journée pour se raconter des contes. Comme il est dit, qui n'a pas fait de recherches n'a pas droit à des conclusions, surtout hâtives.

Cependant, chez les Lokpa, puisque c'est d'eux qu'il est question dans ce mémoire, la séance peut être spontanée : c'est-à-dire plusieurs personnes se retrouvent puis dans la causerie, les langues se délient et les contes fusent. Dans ce genre de séances spontanées, chacun essaie de prouver qu'il a la meilleure maîtrise de la parole ; les sujets se succèdent ; chacun devient conteur à tour de rôle ; on s'arrache la parole ; on interrompt le conteur pour faire de commentaire ou pour poser des questions, pour s'assurer qu'on a bien suivi ; on rit, chante et parfois, on danse.

Une séance familiale peut être sollicitée par un enfant ou une autre personne désireuse d'écouter des contes, ou proposée par le père, la mère ou un autre membre de la famille pour plusieurs raisons : distraire, enseigner ou rassembler les membres d'une famille.

L'enfant sollicite une séance de conte surtout pour le plaisir d'en écouter, de se distraire mais rarement pour en avoir un enseignement car l'enfant n'est pas conscient qu'en écoutant les contes, ceux-ci agissent sur lui. Ce dont il est conscient et ce pourquoi il aime à les écouter, c'est la drôlerie des histoires racontées, la beauté du langage ( par langage il faut entendre les gestes théâtralisés du conteur, les mots simples et le ton comique, les mimiques, les chants et parfois des esquisses de pas de danse du conteur) utilisé pour dire ces contes, et surtout cette liberté qu'il a de prendre aussi la parole et de dire un conte ou encore de faire un commentaire sur le conte, souvent en interrompant le conteur (son père, sa mère, son oncle, son frère ainé ou sa soeur ainée, son cousin, sa tante, ou encore son voisin). Toute chose qu'il n'a pas le droit de faire en temps normal, dans un entretien familial normal, duquel il est de toute façon généralement exclu. Une séance de contes accorde ainsi à l'enfant des libertés qu'il n'a pas d'habitude. Ce qui a pour conséquence l'engouement de l'enfant pour ces séances. Il y prend plaisir. Il s'édifie sans s'en rendre compte. Car la séance de contes libère l'enfant de ses complexes, l'intègre dans un groupe social, et lui donne la possibilité d'apprendre la prise de parole en public. Ceci fait du conte une arme didactique surtout que l'enfant et aussi les adultes ne sont pas conscients qu'ils apprennent, qu'ils s'édifient. Et pourtant, tout en

douceur, dans un climat détendu, le conteur inculque son idéologie, sa pensée, sa vision du monde. Tous sont unanimes, du moins les adultes, que le conte éduque, enseigne. Mais ce que la plupart ne savent pas c'est, comment le conte s'y prend pour enseigner. Ils se cramponnent au seul message du conte qu'ils pensent être édifiant. Mais au-delà de ce message, l'énonciation elle-même du conte est une occasion pour apprendre, pour apprendre à vivre, pour apprendre l'art de la parole, pour apprendre à transcender ses peurs, ses complexes, pour apprendre à parler devant un public, exercice que tout le monde n'est pas capable d'accomplir.

C'est pour cette raison que certains parents proposent des séances de contes. Ces séances présentent plusieurs atouts. Si les enfants prennent plaisir à entendre, à écouter les contes, les parents sont surtout heureux de faire porter certaines valeurs ancestrales et éthiques aux enfants sans forcer, en jouant avec les mots, la parole. Ceux qui savent ce qu'ils veulent, qui ont des idées, de l'idéologie qu'ils veulent transmettre en douceur, il n'y pas autre moyen que le conte. A travers donc le conte et ses personnages parfois allégoriques, le conteur met en scène la société des hommes traversée par plusieurs courants de pensées, et n'occulte pas de mettre en valeur ce qu'il pense être mieux pour l'humanité.

Une séance s'ouvre par des devinettes. C'est du moins de cette façon que s'ouvraient les veillées de contes selon la tradition. Les devinettes sont des tests du degré d'intelligences et aussi de mémoires de l'assemblée. Ce sont deux genres différents, mais qui, à cause de leurs critères d'énonciation, se retrouvent proches ou rapprochés. D'ailleurs le conte chez les Lokpa est Mi5tè et la devinette lsusuulè. Les formules qui introduisent aussi les deux genres diffèrent. Pour le conte on dit : Ta tíí et l'assemblée répond Ta yàà ; alors que pour poser une devinette on dit Tìntìntàà et l'assemblée répond Tàà. Nous ne pouvons ici vous donnez le sens exact de ces expressions. Car elles ressemblent plus à des onomatopées qu'à des expressions portant un sens précis. Les devinettes ouvrent donc les séances de contes chez les Lokpa comme dans la plupart des sociétés d'Afrique noire. Pour preuve, Christiane SEYDOU nous dit « il est instructif de voir qu'aux veillées enfantines, les séances de contes sont fréquemment précédées par des échanges de devinettes, comme si l'exercice imposé de découverte de l'objet réel dissimulé sous l'image proposée, était une sorte de gymnastique de l'esprit, d'entraînement pour la saisie du sens réel du conte, masqué sous le voile de la fiction. »88 Reconnaissant la justesse de ce propos, nous nous détachons tout de même de deux points :

les devinettes ne précèdent pas uniquement, chez les Lokpa, les veillées enfantines mais toutes sortes de veillées de contes. Aussi est-il clair que chez les Lokpa la devinette n'a pas toujours ou presque jamais un rapport direct avec le sens réel du conte. Elle se veut, il est vrai, un échauffement avant le début des hostilités. Elle peut aussi intervenir au beau milieu d'une veillée comme pour calmer les esprits et les préparer à la suite de la veillée. Si la veillée de contes était un match de football, la devinette serait alors à la fois l'échauffement d'avant le début de la rencontre, la pause de la mi-temps et celles précédent les prolongations qui sont, rappelons le, au nombre de deux, s'il n'y pas la règle particulière de « mort subite » qui met fin à la rencontre dès que l'une des deux équipes marque un but pendant la prolongation.

Ainsi la veillée chez les Lokpa, quelle que soit sa forme, est le lieu de partage de la parole. Il n'y pas de modérateur. La discipline d'une séance veut que chacun soit libre, mais en même temps laisse celui qui a la parole parler, conter jusqu'au bout. Il peut être naturellement interrompu par moment, mais il finit toujours son histoire avant de céder le tour.

Le conteur, quand il a la parole, demande toute l'attention de l'auditoire en lançant T? tíí et il attend, avant de poursuivre, la réaction de son auditoire. Celui-ci, pour montrer qu'il est prêt à recevoir le conte, répond T? yàà. Le conteur reprend la parole, il devient ainsi modérateur, chef de la séance, celui qui est écouté, celui qui explique, celui qui répond aux questions de l'assistance, celui qui reçoit et assume les âneries de son public, le point de mire de l'auditoire, mais cela ne dure que le temps de l'énonciation de son conte. Dès qu'il cède la parole, le nouveau conteur, c'est-à-dire celui à qui la parole est donnée devient comme le précédent le point de mire et ce quelque soit son âge, son sexe, sa taille, son statut social.

Le T? tíí et le T? yàà permettent d'établir le contact entre le conteur et son auditoire, le locuteur et l'interlocuteur. C'est ce que Roman Jakobson appelle la fonction phatique du langage : autrement le contact entre le conteur/destinateur et l'auditoire/destinataire ou récepteur. C'est un aspect très important dans l'énonciation d'un conte. Le conteur fait tout pour garder l'attention du public. Il l'interpelle aussi par moments pour s'assurer que le contact reste constant. Ainsi pose-t-il souvent des questions telles que : « Tu écoutes89 ? ». Dans ce cas le conteur s'adresse à une personne spécifique dans l'assistance, mais ce faisant, il interpelle toute l'assistance. Le conteur s'adresse ainsi à toute l'assistance « Alors que chacun prépare sa voix » pour leur demander de se préparer pour un chant ou encore il leur dit « Vous entendez ? Vous répondez, viens vite, viens »90 pour leur donner des instructions afin de bien l'accompagner dans le chant. Le chant lui-même est une occasion de complicité

89 Voir corpus de contes : conte n°8, syntagme n°8

90 Voir corpus de contes : conte n°8, respectivement syntagme n°57 et n°59

entre le conteur et son auditoire. Le conteur chante et l'assistance l'accompagne en choeur. Autrement pour les phases des chants, le conteur est le chanteur soliste et l'auditoire lui sert de choeur. Là aussi jusqu'à la fin du chant le contact entre conteur et auditoire reste constant. L'énonciation du conte est non seulement une situation de communication telle que décrite par Jakobson mais aussi beaucoup plus complexe. L'auditoire n'écoute pas juste, il prend aussi la parole par moment sous l'effet de l'histoire, ou du conte ou encore du message, ou si voulez du référent contextuel du conteur. L'interlocuteur, en prenant la parole pour poser une question ou pour faire un commentaire, agit également et sur le conteur qui devient pour un court temps lui-même auditeur, destinataire, et également sur les autres auditeurs qui assistent à la veillée. Dans le conte n°3 par exemple, un auditeur intervient pour corriger le conteur (ici un enfant de sept ans) qui a mal utilisé un mot. Il a dit l?yàs?91 au lieu de l??hs? (les perdrix). Le conteur reprend et répète ce que l'interlocuteur qui est ici sa mère lui dit. L'enfant/conteur, ce faisant, apprend et s'édifie. C'est également ce que nous avons expliqué à la même page avec la notice n°30. Les exemples se succèdent ainsi dans le corpus. Le conteur est entrecoupé par l'auditoire qui, soit, veut une explication, fait un commentaire, encore taquine le conteur ou essaie de le déconcentrer. Ce jeu participe de l'apprentissage de la prise de parole en public.

Pour établir un schéma de communication représentant la réalité de l'énonciation du conte, il faut considérer le conteur et son public à la fois dans les rôles de destinateur et de destinataire car le rôle change dès que l'un ou l'autre prend la parole. Si la fonction expressive de Roman Jakobson se rattache à l'émetteur, l'énonciation du conte donne lieu à des surprises. Des surprises en ce sens que le conteur (émetteur) est lui aussi influencé par son auditeur qui s'exprime et devient émetteur. Selon Jakobson, en effet cette fonction du langage

« lui permet d'exprimer son attitude, son émotion, son affectivité par rapport à ce dont iiparle.»92 Certains indices permettent de retrouver les traces de cette fonction dans une

situation de communication. « Jakobson propose de ranger sous cette catégorie, en plus des interjections (la forme linguistique la plus caractéristique) toutes les marques phoniques, accentuelles, grammaticales ou lexicales qui manifestent la couche « émotive » de la langue93 ». Nous nous permettons d'ajouter à cette liste de Jakobson les gestes, les soupirs, les expressions du visage du conteur et de son auditoire au cours d'une séance de contes. Ce sont malheureusement des aspects que nous ne pouvons transcrire dans notre corpus.

91 Voir conte n°3, la notice 29 pour plus d'éclairage.

92 Jean-Pierre Meunier, Daniel Péraya, Introduction aux théories de la communication, p.74.

93 Idem

Cependant, nous retrouvons des onomatopées (interjections et marques phoniques selon Jakobson) qui jalonnent notre corpus et transmettent les fibres émotives du conteur et de son public. Nous pouvons ainsi entendre (au lieu de lire car ces onomatopées n'ont de valeur réelle que quand on les entend), t?t? dont fait référence la notice n°33 est une onomatopée qui indique la réaction d'un auditeur satisfait par l'idée qu'a eue le personnage de poser un piège. Kpàyàtà kpàyàtà kpàyàtà kpàyàtà est une onomatopée utilisée dans le conte n°2 qui traduit la démarche irritée du personnage. Le conteur a choisi cette onomatopée à titre satirique. Pour se moquer du comportement du personnage. AÔÔÔ kpénè est aussi une onomatopée dite par un auditeur pour témoigner de sa pitié aussi dans le conte n°3.

A part ces onomatopées, conteur et auditeur font des commentaires. Signalons avant de continuer que les commentaires du conteur visent à appuyer son projet, le message qu'il veut délivrer. Alors que les auditeurs réagissent pour parfois mieux comprendre ou pour exprimer leur état d'âme face à ce qui est dit. Nous avons par exemple dans le conte n°6 le conteur qui qualifie le mouton de yöntÔ/poltron, puis il utilise assez d'adjectifs péjoratifs pour parler du mouton en montrant carrément son aversion pour un tel comportement. yúú94 wàtàlàkàs? (tout puissant) contenu dans le conte n°4 est ici un court panégyrique du conteur pour louer le personnage dont il trouve extraordinaires les exploits. C'est souvent une appréciation qui est laissée à l'auditeur. Cette auto appréciation montre que le conteur est ici influencé par son message au même titre que son auditoire ou même plus que ce dernier. Le conteur veut s'accentuer sur ce trait caractéristique du personnage en le vantant pour mieux attirer l'attention, l'intérêt de l'auditoire. Il est là dans une logique persuasive pour parler comme Jakobson qui verrait dans cette attitude du conteur la manifestation de la fonction conative. Il n'aurait, de toute façon, pas tort car le style du conteur Lokpa joue beaucoup sur cette fonction du langage. D'ailleurs il n'hésite pas à lancer à l'endroit de son public « Tu vois, c'est depuis ce jour que ce qu'on appelle avoir confiance en autrui. Ce qui a mis fin à la confiance entre deux personnes. Aujourd'hui, tu vas l'entendre95. » Il tente déjà de convaincre l'auditoire bien avant le début même du conte. Plus loin, il ajoute « Tu quittes Kokossika96 ou Bortoko ou encore ailleurs pour venir ici car tu veux qu'on partage de la viande. Jour et nuit tu viens. C'est fatiguant. » En associant l'auditeur à l'histoire en lui donnant le rôle d'un des personnages, il pousse ainsi l'auditoire à réagir. Il le fait parfois de façon plus directe en

94 C'est onomatopée qui exprime l'étonnement, le rufus de croire, l'isolite d'un fait. Elle peut être négative comme et peut être positive. Ceci dépend de la situation. Dans ce conte elle est positive, utilisée pour louer le héros

95 Conte n°8, syntagmes 4, 5 et 6

96 Kokossika(K?l??kpàkà) est mon village natal, situé à environ quatre kilomètres de Bortoko (Pàntókó, un autre village) et à une vingtaine de kilomètre de Foumbéa. Le conteur savait que j'étais originaire de ce village.

posant une question : « Alors n'est-ce pas qu'il a fait confiance à l'autre ? » Dans ce conte, l'auditeur visé répond. Nous pouvons lire « C'est vrai » (syntagmes 32 et 34). Le conteur peut aussi utiliser un proverbe ou une énigme pour avertir, mettre en garde l'auditeur, pour lui faire adopter une position. « P? tö? k? sösàà túkà ??úlé s? k?s? m?t? tàà k?s? y?l? » qui signifie en français « C'est pour cela que les anciens ont dit ce proverbe : « Relève le sorgo, ne relève pas l'homme. » que nous retrouvons à la fin du conte n°10 de notre corpus témoigne de la volonté du conteur de mettre en garde. Il utilise un proverbe des « anciens » pour s'éloigner du message et lui donner une valeur universelle et le faire mieux accepter par l'auditoire.

Le conteur s'assure ainsi au fur et à mesure qu'il conte que son message est compris et accepté. Bref que son message passe. L'énonciation du conte est le lieu par excellence où l'on voit ainsi se manifester la fonction conative.

Sans nous perdre dans des considérations savantes, rappelons, car nous l'avions dit plus haut, que le conteur, pour garder son auditoire, use d'élégance de la parole, un beau langage pour faire passer son message. Ce message peut être comique, poétique, pathétique, humoristique, grave, triste. Le ton du message dépend du style du conteur, de son projet et du message qu'il veut transmettre à travers son conte.

Le conteur peut aussi, lorsqu'il ne se sent pas compris, expliquer le mot, ou rappelle ce qu'il a dit plus haut pour s'assurer qu'il est bien suivi par son auditoire : « Alors je vous avais dit que son ami s'appelle Kànkànààmí. » (Conte n°8 syntagme n°55). Il fait ici un bref rappel qui a valeur de précision pour permettre à l'auditoire de le suivre. Il arrive que le conteur explique un mot lorsqu'il n'est pas sûr que son auditoire sait de quoi il parle. Ainsi dans le conte n°7, notre conteur fait une mise au point sur un mot qu'il croit n'être pas très accessible à tous. Alors il explique : « ? nàà w? p?n?? ?n? mpàà?à pà yà pàc?nt?/Tu vois ceux, ce sont eux qu'on appelle palmes ». Le mot gras en italique est celui que le conteur a jugé utile d'expliquer en montrant un palmier qui était non loin de l'endroit où se tenait la veillée. C'est une chose qui est souvent rare dans l'énonciation d'un conte car la plupart du temps, le code, comme le nomme Jakobson, est commun à l'assistance. Tous les membres, ou presque tous, partagent normalement le code. Ceci s'explique par le simple fait que le conte est dit en Lokpa, langue que partage toute l'assistance. Seuls parfois les enfants ont besoin de certaines précisions pour comprendre certains mots dont l'usage n'est pas usuel.

Il peut aussi arriver que le conteur fasse un emprunt dans une autre langue que celle que
l'auditoire a en commun. Pour cela, il doit aussi expliquer le mot ou l'expression empruntée.
« F?mp??à k? mp? töô c??à tom k? /Le nom Foumbéa vient du Yom. S? höt??? s?kpélú?u

(ft)?Jt) bíyàyà97)/ Cela signifie ?petite forêt ? (forêt//enfant) » a expliqué un conteur dans le conte n°6 (syntagme 12 et 13). Comme on peut le voir, ces précisions et explications ne sont pas gratuites.

Schématisons pour mieux comprendre :

Contexte (monde virtuel du conte, projet
du conteur : distraire, enseigner)
Fonction référentielle

 
 

Message (style comique, poé-
tique, pathétique ou humoris-
tique) Fonction poétique

 
 

Destinateur (Conteur)
Fonctions expressive et conative

 
 

Destinataire (Auditoire)
Fonctions conative et expressive

Contact (Parole, gestes du
conteur et de l'auditoire).
Fonction phatique

Code (Lokpa, autres langues,
gestes, mimiques, onomatopées)
Fonction métalinguistique

Figure1 : Schéma des fonctions du langage d'une énonciation de conte chez les Lokpa inspiré du schéma de Roman Jakobson

L'évidence saute ici à l'oeil. Le destinateur et le destinataire, c'est-à-dire, le conteur et l'auditoire, interagissent les uns sur les autres. Les fonctions expressives et conatives peuvent être rattachées à chacun d'eux. Ce qui montre que l'auditoire, au cours d'une énonciation de conte ne reste pas passif. Autrement dit il n'est pas juste auditeur-spectateur. En plus d'être celui à qui le conte est destiné, il a la possibilité de parler, d'agir directement sur le conteur, à qui il peut faire dire autrement certaines choses ou carrément changer d'argumentaire, ou à qui il donne des explications ou des mises au point utiles pour la poursuite du conte (voir Conte n°10, syntagme 15). Dans ce cas l'auditeur donne une précision, une explication qui aide ici le conteur à poursuivre. Nous avons, dans le premier conte du corpus les syntagmes n°73 et n°74 qui représente respectivement le commentaire d'un auditeur et la réponse du conteur. C'est cette complicité entre le conteur et son public qui rend l'énonciation d'un conte

97 f??? bíyà?à vient du Yom, une langue parlée dans la Donga et classée dans la catégorie des langues GUR au même titre que le Lokpa ou L?kpa (ou encore Dompago) selon la prononciation originale.

et la veillée agréable et riches en instructions et en divertissements. On retrouve, à travers notre corpus, des tas d'exemple illustrant cette complicité conteur-auditeur : Conte n°3, syntagmes n°2, 10, 21, 44, 45, 48, 52, 62 ; Conte n°4, syntagmes n°37, 185 ; Conte n°6, syntagmes n°7 et 129 ; Conte n°7, syntagme n°19 ; Conte n°8, syntagmes n°15, 32, 34, 37, 56, 61, 67, 91, 99, 105, 111, 114, 146 ; Conte n°9, syntagmes n°23, 73, 79, 81 ; Conte n°10, syntagmes n°21, 38, 63, 86, 101, 107, 118, 120, 146, 152, 170,180, 182, et 190. Ces interventions de l'auditoire sont justifiées par deux aspects de l'énonciation : les auditeurs interviennent parce que le conteur les interpelle ou ils interviennent car le message les touche directement et les pousse à réagir. Le premier aspect est rattaché au style du conteur et le deuxième au message. Les interventions sont une des unités de mesure de l'intérêt de l'auditoire pour le conte raconté.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984