Faire l?étude comparative entre Galtung et Bercovitch
revient pour nous à montrer les similitudes et les divergences qui
existent entre ces deux auteurs en nous appuyant sur des chefs de comparaison
précis à savoir essentiellement la perception du conflit et les
perspectives théoriques. Tout d?abord, intéressons nous aux
similitudes entre ces auteurs.
a-Similitudes
Pour ressortir les similitudes entre les auteurs, nous allons
nous servir des chefs de comparaison suivant : la perception du conflit,
l?introduction d?une tierce partie dans la gestion des conflits, la contenance
de l?approche de Bercovitch par celle de Galtung.
i-Perception du conflit
Galtung et Bercovitch conçoivent le conflit comme
inhérent à la nature humaine. Bercovitch s?exprime d?ailleurs en
ces termes: « Of all the social processes, conflict is perhaps the most
universal and potentially the most dangerous. A feature of every society and
every form of relationship, conflict can be found at all levels of human
interaction, from sibling rivalry to genocidal warfare. We all face conflicting
emotions and impulses as we respond daily to situations of conflict in our
personal relationship»71.
Galtung quant à lui, pense que la contradiction existe
dans toute chose y compris chez l?être humain. Il s?exprime d?ailleurs en
ces termes : la vie va de pair avec la contradiction. Pour l?auteur, la racine
du conflit est la contradiction, d?où la liaison du conflit à la
vie. C?est pour cela qu?il affirme que prévenir ou éviter qu?un
conflit n?éclate n?a pas de sens.72
Ces deux auteurs pensent qu?une relation conflictuelle se
caractérise par un ensemble spécifique des attitudes et des
comportements incompatibles. Ils ont presque la même perception des trois
composantes d?un conflit. Galtung parle de l?attitude, du comportement
68 Conflits où l?on a 01 acteur avec 02
objectifs ou, situation conflictuelle où l?on a 02 acteurs avec 01
objectif. Rappelons qu?ici, les objectifs renvoient aux problèmes
à résoudre.
69 Situation où l?on a plus d?1 acteur avec
plus d?1 objectif.
70 Ici, il n?ya ni acteur, ni objectif. C?est un
conflit dans la structure qui se manifeste sans que soit
directement
Perceptible la cause, non plus celui qui le commet. Seuls les
intérêts sont présents dans les conflits structurels.
71 Bercovitch op .cit, p3
72 Galtung op.cit, 2010. pp 13 -14
et de la contradiction73. Bercovitch quant
à lui parle de conflict situation, conflict attitude
et de conflict behaviour74. Tous deux voient dans le
conflit une certaine dynamique montrant que le conflit n?est pas statique et
passif.
ii- Introduction d'une tierce partie dans la gestion
des conflits
La médiation intervient lorsque les parties
impliquées dans une dispute internationale se retrouvent dans
l?incapacité de résoudre le problème par le moyen de la
négociation. On fait ainsi appel à un Etat tierce ou une
troisième personne qui servira de pont entre les Etats en conflit pour
résoudre le problème ou sortir de l?impasse et trouver des
compromis. Cette tierce personne ou Etat peut être choisie par les
parties en conflit en raison de sa renommée, de son importance ou de sa
position stratégique. Mais elle peut aussi être
déléguée par les organisations internationales notamment
l?ONU. Aussi cette troisième personne doit être neutre et
impartiale pour qu?aucun Etat ne se sente léser et que chacun y trouve
son compte. Elle a ainsi pour rôle d?encourager la reprise des
négociations, de proposer une voie additionnelle de communication avec
les parties en conflit ensemble ou séparément.
Galtung et Bercovitch reconnaissent que l?introduction d?une
tierce partie pour trouver une solution à un différend est
adéquate. Les deux reconnaissent que le médiateur doit être
flexible dans le comportement, avoir des solutions créatives et
faciliter le dialogue entre les parties en conflit. Bercovitch s?exprime en ces
termes: « It is often said that mediation is more like to
be successful in international politics because it retains the flexibility and
control over the conflict management process, while adding extra resources and
creativity. That is, mediation can break negotiation deadlocks, re-open
channels of communication, provide face-saving for concessions, propose
creatives solutions »75 .
Selon Galtung, la sphère intellectuelle,
compétitive, belliqueuse et fragmentée est composée
d'acteurs aspirant à une domination sur leurs comparses, tels des
gladiateurs au sein d'une arène. Dans un tel contexte, le dialogue
permet la stimulation de l'esprit tolérant et tend à flexibiliser
les paradigmes alors plus perméables. Cette malléabilité
s'accompagne d'une posture d'ouverture et non de rejet de paradigmes
perçus comme antagonistes.
73 Ibid ,p163
74 Bercovitch, op.cit.3
75 Id
iii- La typologie de Galtung contient celle de
Bercovitch
Certains types de conflit catégorisés par
Bercovitch à savoir les conflits civils internationalisés, les
conflits interétatiques peuvent être inclus dans la typologie de
Galtung. Les conflits interétatiques évoqués par
Bercovitch se retrouvent chez Galtung au niveau des macros conflits. L?une des
causes des conflits interétatiques évoqués par Bercovitch
est la dispute territoriale76.Galtung fait ressortir cette cause
dans le conflit entre l?Equateur et le Pérou, le conflit entre la
Norvège et le Danemark à propos de l?Est du
Groenland.77
Les conflits civils internationalisés se retrouvent
chez Galtung au niveau des méso conflits. L?une des causes de ces
conflits évoqués par Bercovitch est la lutte pour
l?indépendance, la décolonisation. Galtung illustre ce type de
conflit à travers le cas d?Hawaï78.
b-Les divergences
Nous traiterons ici de l?opposition des approches
typologiques des conflits entre Galtung et Bercovitch. Nous allons tour
à tour nous appesantir sur les écoles théoriques de ces
deux auteurs, sur les fondements des classifications qu?ils font des conflits
ainsi que sur leurs propositions dans l?optique de réaliser
l?idéal de paix.
i-Réaliste et pluraliste
En observant analytiquement la pensée de Bercovitch, nous
pouvons déduire qu?il est réaliste. En effet, Bercovitch
perçoit les Relations Internationales comme des rapports
essentiellement régulés par les Etats et/ou les
nations. Ces derniers ont cette principale prioritéqu?ils ne
se battent que pour préserver leurs intéréts par tous les
moyens possibles. La
politique internationale est donc un jeu à somme
gagnant où l?intimidation, la propagande et
bien d?autres moyens de
dissuasion sont utilisés en vue de se positionner afin de faire peser
la
balance de son côté. La déduction en est que les
conflits sont alors conçus comme une
opposition entre les Etats qui
veulent imposer leurs règles. A ce titre, l? auteur
souligne
« International conflict like peace is a process ... It's
behaviour consist of nation organise an
collective effort to influence
control or destroy the persons and property of another
nations
»79. Les Etats existent dans un contexte anarchique
où l?on note une absence de
normes devant réguler leurs
rapports. Il est vrai Bercovitch ne nie pas l?existence des conflits
76 Id p.7
77 Ibid pp 96-97
78 Ibid pp99-101
79 Bercovitch op .cit, p 4
dont les acteurs sont intra étatiques mais ils
minimisent leurs capacités à pouvoir produire des effets violents
d?autant plus que les autorités les régulent aussi savamment.
Ainsi la lutte des transporteurs publics par exemple « rarely produce
extensive violence or numerous causualities. More over, the parties themselves
or legal authorities can resolve such conflict. In oder word they are regulated
»80.
Notons alors que, cette position théorique influence
l?approche de la typologie des conflits de Bercovitch ne considérant un
conflit international que s?il y a au moins deux Etats en jeu. Le
cas du terrorisme peut être évoqué, mais quand bien
méme Bercovitch l?évoque il ne rentre aucunement dans sa
typologie ; à la seule condition qu?un Etat second ou tiers intervienne
pour soutenir la faction qualifiée de terroriste ou le gouvernement
investit contre lequel cette faction se bat.
Par contre, la perception ou l?approche de Galtung est
beaucoup plus pluraliste, constructiviste.
Dans son schème d?intelligibilité, Galtung
élargit son champ d?acception des relations internationales aux acteurs
non étatiques tels que : les individus, les groupes constitués,
les réseaux internationaux, les firmes nationales et multinationales
pour ne citer que ces cas. Ainsi, pour cet auteur les relations internationales
ne sont plus que l?apanage des Etats car quelques fois ceux-ci subissent
l?influence des acteurs non étatiques. De là, l?infrastructure ne
détermine plus la superstructure comme le croiraient les marxistes
fondamentalistes ou des néo réalistes. Galtung en fait n?est pas
pour l?opportunisme en politique, mais plutôt pour la recherche des
solutions durables et mutuellement acceptable par les parties en conflits.
L?objectif est donc pour lui d?agir par des moyens pacifiques pour arriver
à la paix comme le dévoile son ouvrage Peace by peaceful
means81 qui l?illustre bien. Notre auteur dans sa perspective
théorique, propose alors de transcender c?est-à dire aller au
delà du conflit pour en trouver non pas seulement un compromis, mais une
solution positive censée restaurer les valeurs humaines aux parties en
conflit. Ce qui s?oppose à la logique de Bercovitch qui, méme
s?il propose des moyens pacifiques de résolution des conflits,
évoque la force ou la violence comme moyens de restaurer la paix. Il
faut le dire les propositions de Galtung en termes de suivi des
sociétés relève de l?idéal. C?est le cas lorsqu?il
parle de la paix positive comprise comme la réalisation totale de
l?harmonie et de l?équité sociale, l?absence de tout
affrontement, la restauration de la justice sociale et
générationnelle.
80 Idem p 4
81 Galtung, Johan: Peace by peaceful means. Peace
and Conflict Development and Civilisation. Prio/Sage, Oslo/London, 1996
Bien plus, percevons la méthode de Galtung. Aussi bien
qu?il analyse les conflits, il recherche le sens, la signification de ces
conflits pour les parties en présence. En traitant par exemple de
l?infidélité dans son ouvrage transcendance et transformation
des conflits82, Galtung présente trois manières
de concevoir le mariage, conception inspirée des confessions
effectuées par les trois belligérants au médiateur. La
première partie pense que le mariage ne réussit que si
basé sur la fidélité. La seconde partie pense à une
réconciliation même après une situation
d?infidélité. Tandis que la troisième partie se morfond
d?avoir été l?objet d?un trouble dans le mariage de sa meilleure
amie83Le sens ici décrit permet alors au médiateur de
comprendre les positions des parties pour établir une bonne
classification des objectifs dans l?optique de les transcender. Par là,
notre auteur construit sa stratégie de paix.
De ce qui précède, il ressort que nos deux
auteurs Bercovitch et Galtung sont respectivement réaliste et pluraliste
; ce qui les oppose et les différenciera au niveau des typologies de
conflit qu?ils proposent, l?un ayant pour fondement l?Etat et l?autre ayant
pour unité d?analyse tout autre acteur des relations internationales
aussi bien que l?Etat.
ii-Causes et acteurs en présence
Dans sa classification des conflits Bercovitch insiste ou
alors prend pour critère la nature, la cause de ce qui
génère le conflit. Cette classification met en exergue l?objet du
différend entre les parties. Il peut s?agir des questions territoriales
(conflit Ethiopie Erythrée sur la région l?Ogaden), des luttes
idéologiques et positionnement (l?Inde et le Pakistan en 1948), des
ressources naturelles (la guerre du Biafra) ; des querelles diplomatiques pour
ne citer que ces cas. A bien des égards, le choix est porté sur
l?origine de la discorde entre les parties ; ce qui nous fait considérer
que cette catégorisation présente plus la situation séant
à l?émergence du conflit ou y dérivant. A ce titre
Bercovicth affirme « we divided them into four mains
types, which help to explain their causes and the form they take
» 84
En plus de la cause, Bercovitch classifie les conflits selon
la forme qu?ils prennent. Ainsi par exemple, une mésentente sur une
question de visa peut déboucher sur des injures diplomatique bref un
incident politique voir même un conflit militarisé et bien plus.
Aussi, un irrédentisme ou une crise politique peut déboucher sur
des considérations sécessionnistes avec pour parallèles
des affrontements indirects entre superpuissances. A titre illustratif, nous
82 Galtung : transcendance..., op cit
83 Galtung op.cit, 2010, p.43
84 Bercovitch op.cit, p 7
pouvons évoquer le soutien des américains
à l?UNITA de Jonas Savimbi et celle de l?exURSS au MPLA lors de la lutte
d?indépendance en Angola.
Par contre, la classification de Galtung est en quelque sorte
différente de celle de Bercovitch. En effet, il pose pour critère
de classification les acteurs en présence dans le conflit, la dimension,
l?ampleur et la taille du conflit. Des micros conflits jusqu?aux méga
conflits, on assiste à un ordonnancement en fonction des
échelles, du niveau auquel se situe le conflit. Ainsi, le conflit peut
soit se situer au niveau intra personnel, interpersonnel, au niveau des
groupes, des communautés, des Etats ou des réseaux
transnationaux. De là, l?intensité du conflit sera fonction des
acteurs qui y sont impliqués. Il est vrai, Galtung évoque les
causes des conflits mais, il n?en insiste pas pour effectuer sa typologie. Le
type d?acteur est donc ici l?unité de perception des
incompatibilités et contradictions. Cette dernière approche est
plus large en se sens qu?elle intègre tous les sujets de droit
international. Elle est globalisante et va plus loin que l?approche
classificatrice de Bercovitch en ce sens qu?elle l?intègre et la
dépasse. Par exemple, Bercovitch ne reconnaît pas ou alors ne
recense pas dans sa classification les conflits structurels. Pourtant, Galtung
les classe parmi les méga conflits et en explique bien les
mécanismes. Sans doute, les représentations théoriques et
réalistes de Bercovitch susmentionné l?en empêchent,
d?où la limite par rapport à la perspective de Galtung.
Ainsi, Bercovitch présente une typologie des conflits
se référant aux causes tandis que Galtung présente une
typologie se référant aux types d?acteurs impliqués dans
le conflit.
iii-Gestion et transformation/transcendance des
conflits
Ayant présenté les oppositions entre nos deux
auteurs au plan épistémologique, conceptuel et typologique,
essayons de déterminer leurs propositions en terme de construction de la
paix.
Primo, Bercovitch est d?avis que les conflits ne peuvent
être prévenus mais plutôt gérés
(managés) ou résolus. A ce titre il distingue trois principales
approches de gestion des conflits internationaux à savoir l?approche
diplomatique, légale et politique85L?approche diplomatique
est poursuivie par les Etats à travers la négociation
bilatérale. Ici, le processus de négociation est entretenu
uniquement par les Etats. Ceux-ci s?efforcent à résoudre leurs
différends tout d?abord par les canaux diplomatiques normatifs. S?il y a
échec ils vont à la négociation directe dans un
environnement neutre. Si une fois de plus l?échec se présente
alors les Etats font appel à une troisième partie pour assurer la
médiation, engager une
85 Id pp 14-15
conciliation ou effectuer une enquête. Les Etats sont
par là tenus d?utiliser une de ces méthodes ou toutes
complètement.
L?approche légale est basée sur l?establishment
du droit international pour régler les conflits internationaux. Ici, les
Etats décident par leur gré de soumettre leurs différends
à une instance judiciaire telle que la CIJ ou la CPI. Ils ont la
possibilité de le faire soit à travers l?arbitrage ou le
règlement judiciaire.
Quant à l?approche politique encore nommé
fonctionnaliste, elle est celle basée sur l?establishment des
organisations internationales. Ainsi, pour celles-ci, les conflits
internationaux doivent se résoudre par le truchement des institutions
telles l?ONU, l?UA pour ne citer que ces exemples.
Cette perception de la résolution des « conflits
» selon Bercovitch est fondée sur la justice, la force ou le
compromis, ce qui ne se situe pas dans le sillage de ce que propose Galtung.
Secundo, Galtung quand bien méme accepte l?idée
d?un médiateur pour gérer le conflit, met beaucoup plus l?accent
sur la façon donc il faut le faire. En proposant l?effort personnel dans
la recherche des solutions durables, la créativité, la compassion
et la passion. Cet auteur se situe beaucoup plus dans une perspective
transformatrice. Sa méthode
Transcend86 le souligne bien, il faut
transformer le conflit, le transcender pour permettre aux parties de vivre
ensemble malgré les contradictions. L?effort est donc celui
d?empêcher l?escalade des conflits via la prévention de la
violence.
Nous dirons alors que, Bercovitch et Galtung en quelque sorte
font renaître le débat académique entre minimalistes et
maximalistes de la consolidation de la paix.
Toutefois, dans le cadre de cette étude, nous avons
opté pour la typologie des conflits selon Galtung, c?est-à-dire
celle qui met en exergue le type d?acteur impliqué dans le conflit. Deux
raisons expliquent ce choix. Primo, la violence au Nord Kivu intègre
toutes les catégories de conflit proposées par l?auteur et,
secundo, la transformation des conflits intergroupes existant dans cette
région de RDC constitue notre objectif principal, ce qui sied avec
l?approche de construction de la paix selon Galtung.
86 Cette méthode suppose la construction d?un
monde pacifique par des moyens tels l?éducation et la recherche pour
transformer les conflits de façon non-violente. Ajouté à
cela, l?empathie et la créativité pour de résultats
meilleurs et durables. Pour une lecture approfondie sur la méthode
transcend Cf
www.transcend.org