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La négociation de la prise en charge dans une maison de repos et de soins bruxelloise

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par Anne- Claire ORBAN
Université libre de Bruxelles - Master en anthropologie 2012
  

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6.2 Les « patients » : le pôle hospitalier

Comme l'annonce la COCOM ci-dessus ainsi que le directeur67, la MRS semble avoir de nombreux points communs avec l'hôpital. La situation est pourtant plus subtile.

Espace de rassemblement

La matérialité

À ce niveau, il est vrai, les couloirs et les chambres (cf. photo des ailes médicalisées, voir infra) ont l'allure plus hospitalière68 : sol et murs lisses et épurés, longs couloirs droit, néons au plafond, mobilier fonctionnel (cf. Ci-à gauche), peu de décoration ni de personnalisation.

Un local de pause a été accordé par le directeur, à la demande du personnel : selon lui, un local interdit aux résidents et réservé au personnel, au milieu du lieu de travail, est une caractéristique du milieu hospitalier. Dans d'autres maisons de repos, dit-il, il existe un lieu de pause pour résidents et personnel. Néanmoins, les portes de ces locaux (au niveaux 1 et 2) restent toujours ouvertes. Michel Castra (2003) montre que l'ouverture de ces dernières se trouve être une caractéristique des locaux de personnel de soins ; cela permet au personnel de rester attentif aux événements extérieurs. Erving Goffman définit les moments de pause, donc retirés de la scène, comme des moments où les acteurs peuvent se relaxer, où ils peuvent oser parler de propos hors

66 Philosophie entendue ici comme une «Manière de voir, de comprendre, d'interpréter le monde, les choses de la vie, qui guide le comportement » (Larousse 2013).

67 En effet, me dit-il, les soins dispensés dans l'établissement sont de plus en plus techniques et complexes, réduisant ainsi les allers-retours vers l'institution hospitalière, fatigants pour les résidents.

68 Attention, j'ai annoncé qu'il s'agissant d' « idéaux-types », donc par définition, irréels et ne renvoyant pas à un lieu précis et unique.

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profession. Cependant l'auteur parle d' « extrême limite », c'est-à-dire que les acteurs peuvent s'éloigner de la scène, de leur profession, de leurs devoirs, mais à tout moment, ils doivent pouvoir revenir dans leur fonction. Ils ne peuvent pas dépasser la limite qui les empêcherait alors « lorsque l'alerte est donnée, [de] se ruer comme [des] fou[s] à [leur] place pour ne pas se faire prendre hors de la base » (1973a : 214). Il me semble que la fermeture des portes symboliserait le point de non-retour, le franchissement de la limite, empêchant alors les soignants d'être à l'écoute et de rapidement réagir.

Revenons aux fournitures « hospitalières » de l'établissement : au sol des ailes médicalisées, du vinyle. Cela facilite le nettoyage mais également la circulation des chariots ou des chaises roulantes ainsi que des personnes ayant des difficultés de marche (sol égalisé et lisse). Des plans inclinés remplacent également les anciens escaliers des ailes médicalisées. Au niveau des chambres, les résidents dorment tous, sans exception (MR et MRS), dans des lits médicalisés (c'est-à-dire avec possibilité de monter et descendre le matelas, de placer des barreaux et un perroquet) à côté de tables de nuit sur roues, munies d'une plaque rabattable permettant de manger couché. Une résidente, Mme Va., me fait remarquer que les lampes dans les chambres ne sont pas centrales comme dans la plupart des habitations, mais bien placées au dessus du lit, sous forme de néon, comme dans la plupart des chambres hospitalières. Elle n'apprécie pas cela. Les arguments avancés par le directeur pour expliquer ces intrusions de matériaux, d'objets hospitaliers sont les suivants : si l'état de la personne se détériore, elle pourra néanmoins rester dans sa chambre, le matériel étant déjà sur place. La logique suivie semble être de mettre du médical dans le domicile pour assurer justement ce maintien au domicile le plus longtemps possible, sans devoir déménager dans du médical... Vous me suivez ? Ces lits, tables de nuit, douches adaptées aux chaises roulantes, sont donc imposés à tous les résidents par mesure de prévention.

Le fonctionnement d'équipe

L'équipe nursing fonctionne comme le fait une équipe hospitalière, à la structure « pointue » : les fonctions y sont fortement hiérarchisées. Le directeur me rappelle : « elles se croient comme à l'hôpital ici, et c'est vrai, les équipes sont les mêmes au fond... », ou Julie, aide-soignante, « ici c'est les mêmes équipes qu'à l'hôpital hein, c'est la même chose... les mêmes fonctions ! ». Mathilde, aide-soignante, y voit pourtant une différence notoire :

« ça bouge plus ! là, y a du travail ! parfois, c'est une collègue qui disait : « hé, il est 15h30 !! » parce qu'on travaille tellement qu'on oubliait le temps ! ici c'est différent, c'est la routine... le

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temps passe pas, tous les jours c'est la même chose... à l'hôpital, les cas sont différents ! toutes les 2 ou 3 semaines y a du changement, c'est motivant ! on change de tâche tout le temps ! » (Math.).

Si à l'hôpital, il existe un haut « turn over » des personnes hospitalisées, dans une MRS, et ce n'est un secret pour personne, « ils sont là pour mourir », donc pour un temps indéterminé, parfois très long. Ceci donne en contre partie le temps au personnel de connaître les personnes de qui ils/elles s'occupent. Le travail se voit moins stressant, plus lent, ce qui est ici une caractéristique du fonctionnement des unités de soins palliatifs (Castra 2003).

Les soins

Si les fournitures, l'agencement des ailes médicalisées, l'organisation des équipes, la « technicisati on » des soins et l'augmentation du matériel médical tendent à rassembler autour du pôle hospitalier, au niveau du travail quotidien des soignants, cela est plus subtil. En effet, les membres du personnel soignant ayant travaillé en milieu hospitalier auparavant s'offusquent parfois de ne pas trouver le matériel adéquat ni les mêmes conditions de travail qu'à l'hôpital. Ainsi Mr Val. s'indigne devant les bidons de désinfectant. En maison de repos, sont livrés de gros bidons de liquide avec lesquels le personnel remplit de plus petits, transportables, qui serviront aux soins dans les chambres. À l'hôpital me dit-il, le désinfectant arrive directement dans de petits conditionnements, donc directement utilisables pour le soin et présentant un degré de stérilité plus élevé. Aïcha, aide-soignante, m'explique : « oh ici, on a de plus en plus de matériel hein, mais bon, toujours pas assez, donc on fait ce qu'on peut ! » et Paola, infirmière, de conclure : « ici moi je dis, on ne fait pas des soins stériles, mais on fait des soins propres », étant donné les conditions de travail « précaires » (Mr Val).

Qu'en disent les résidents ?

« le personnel à l'hôpital est épouvantable ! Ici, ils sont tous gentils... » (Mme Ve.) ; « oh ici, on ne se sent pas à l'hôpital ! un hôpital c'est tout à fait différent ! l'hôpital c'est un lieu de douleur hein ! », « à l'hôpital, c'est le silence ! Puis, c'est comme un grand magasin, tout se ressemble ! » (Mr Boe.) ; « Quel horreur là-bas ! Je préfère mourir ici, au calme ! » (Mme De.)

Les résidents interrogés ressentent une différence fondamentale avec l'hôpital. Ceci peut être expliqué en regard de leur « carrière » (Goffman 1968) personnelle. La « carrière » typique du résident serait, comme Mr Marc le note, un problème personnel, entraînant un séjour à l'hôpital, parfois une période de ré-éducation, et l'entrée en maison de repos et de soins. Le choc entre mode de vie hospitalier, dans lequel ils sont plongés brutalement, et leur

69 Attention toutefois, j'ai rencontré des personnes restant très critiques face à la maison de repos et de soins malgré un séjour à l'hôpital avant d'y entrer.

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vie au domicile est si fort, que le « retour » dans une MRS, parait une alternative viable. Le passage par l'hôpital semble adoucir l'entrée en maison de repos et de s oins69.

*

On le voit donc, d'un regard extérieur, comme celui du directeur ou le mien au départ de mes observations, éloigné des pratiques quotidiennes, l'établissement s'« hospitalise ». Mr Marc tente alors de modifier les objets, les fournitures, les couleurs bref, la facette « matérielle » de l'établissement pour se détacher de cette image. Il désire également accroître l'efficacité et la régularité des réunions interdisciplinaires, signe d'une autre approche de soin (cf. infra). Pourtant, malgré un fonctionnement d'équipe similaire et une certaine idée « santéiste », le personnel et les résidents, au quotidien, ne ressentent pas aussi fort cette « hospitalisation » et pointent des différences notables : peu de matériel, lieu plus calme, plus serein, plus lent, etc. Les résidents interrogés ne voient d'ailleurs pas la blancheur des uniformes du personnel comme une présence de l'hôpital dans la maison de repos, contrairement à l'idée de Mr Marc. De plus, ils ne semblent pas désirer investir les couloirs en s'appropriant les fauteuils installés pour eux (cf. supra), ces derniers restent très souvent vides.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon