WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Répercussions qualitatives et quantitatives des mutations agricoles récentes sur les systèmes d'irrigation traditionnels dans le bassin versant de la Vaigai- Periyar, Inde du sud

( Télécharger le fichier original )
par François Mialhe
Université Paris 7 Diderot - Master 2 environnement, milieux, techniques, sociétés 2006
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Master 2 EMTS

Environnement, Milieux, Techniques et Sociétés

Co-habilitation Muséum National d'Histoire Naturelle, Institut National
Agronomique Paris-Grignon et Université Denis Diderot Paris 7

Répercussions qualitatives et quantitatives

des mutations agricoles récentes sur les

systèmes d'irrigation traditionnels dans le

bassin versant de la Vaigai-Periyar, Inde

du Sud

Approche synoptique, multi-temporelle et
multi-scalaire s'appuyant sur la télédétection

Année universitaire 2005/2006

Sous la direction de

Yanni Gunnell Catherine Mering

Présenté par

François Mialhe

2

3

Remerciements

Avant tout, je tiens à remercier tous ceux qui m'ont apporté leur soutien tout au long de la réalisation de ce travail et qui m'ont permis de le mener à son terme. Je pense tout particulièrement à

Monsieur Yanni Gunnell, Maître de conférence à l'Université Denis Diderot Paris 7, qui m'a proposé ce sujet ô combien intéressant et passionnant, et qui m'a fourni de précieuses informations à propos de ces terres indiennes qu'il connaît bien. Son expérience et son écoute m'auront été indispensables pour la réalisation de ce mémoire.

Madame Catherine Mering, Professeur à l'Université Denis Diderot Paris 7, qui m'a initié à la télédétection et qui m'a prodigué d'importants conseils. Son suivi et ses connaissances m'ont été d'une grande aide durant toutes les étapes du travail.

Au Pôle Image de l'Université Denis Diderot Paris 7, Les Olympiades, et à ses responsables pour m'avoir ouvert leurs locaux et pour m'avoir permis de travailler dans les meilleures conditions.

Aux enseignants de l'Université Denis Diderot, du Muséum National d'Histoire Naturelle et de l'Institut National Agronomique Paris-Grignon, ainsi qu'à tous les intervenants du Master EMTS, pour leurs enseignements riches d'instructions et pour leur approche des problématiques environnementales qui m'a permit une ouverture intellectuelle.

4

Sommaire

Introduction 6

Méthodologie 8

1. Les facettes sociales et physiques du monde rural indien 9

1.1 L'irrigation comme réponse sociale face à la contrainte climatique 9

1.1.1 Les caractéristiques climatiques du Tamil Nadu 9

1.1.2 La nécessité d'augmenter la disponibilité de l'eau par le biais des tanks 12

1.1.3 L'inscription spatiale et sociale des tanks 14

1.2 La société rurale indienne: structure et organisation 18

1.2.1 L'organisation sociale par caste 18

1.2.2 Les modes de gestion institutionnels des tanks 20

1.2.3 L'organisation du système agricole 22

1.3 Les problématiques émergentes 25

1.3.1 La diminution des stocks d'eau souterraines liée aux conditions d'exploitation 25

1.3.2 La dégradation des tanks 26

1.3.3 Les impacts sociaux liés aux changements récents des systèmes agricoles 27

2. Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des

tanks 29

2.1 L'inscription des tanks à l'intérieur du bassin versant 29

2.1.1 Les données géographiques du cadre d'analyse 29

2.1.2 La distribution des systèmes d'irrigation et des principales cultures agricoles 31

2.1.3 Les tanks du bassin versant 33

2.2 La gestion sociale et institutionnelle des tanks : entre tradition et modernité 36

2.2.1 Les caractéristiques structurelles et fonctionnelles 36

2.2.2 Les gestionnaires de l'eau 39

2.2.3 L'implication des acteurs dans la gestion des tanks 42

2.2.4 Les raisons politiques de la dégradation 43

2.3 Les changements d'états de surfaces des lits des tanks 44

2.3.1 La partie aval du bassin versant 44

2.3.2 La section médiane et le paléo-delta de la Vaigai 49

2.3.3 Le secteur aval et la marge littorale du bassin versant 52

3. Des facteurs locaux, explicatifs de disparités territoriales 56

3.1 La modernisation agricole de la vallée du Cumbum 56

3.1.1 L'étude des dynamiques de surface par la télédétection 56

3.1.2 L'évolution des systèmes agraires 59

3.1.3 La dynamique sociale depuis la Révolution verte 62

3.2 Le sous-bassin de Sarugani 65

3.2.1 La zone mankalanatu 65

3.2.2 La zone karicalkatu 70

3.2.3 Comparaison des modes de gestion de la ressource entre la zone mankalanatu et

karicalkatu 73

3.3 La multiplication des puits, et ses conséquences sociales et environnementales 74

3.3.1 Evolutions entre 1973 et 2001 74

3.3.2 L'organisation de la gestion des ressources 75

3.3.3 Les conséquences de la multiplication des puits 76

4. Discussion 78

4.1 Résultats 78

4.1.1 Comment expliquer les différences observées dans l`agencement et la gestion des

tanks au sein du bassin versant de la Vaigai ' 78

5

4.1.2 Quelles ont été les évolutions du paysage rural? 80

4.1.3 Quelles sont les dynamiques qui tendent à se développer dans le bassin versant de

la Vaigai-Periyar 7 81

4.2 Les perspectives d'une gestion intégrée de l'eau et d'une agriculture durable 82

4.2.1 Le maintien des actions collectives 82

4.2.2 Une gestion qui intègre les différences territoriales et qui limite les conflits d'usage

83

4.2.3 La valorisation des produits du tank 83

4.2.4 Les possibilités d'optimiser les systèmes culturaux 84

4.3 Avantages et limites de la méthodologie employée 84

Conclusion 87

Annexes 89

6

Introduction

La contrainte majeure pour les populations d'agriculteurs qui vivent sous un régime climatique semi-aride est liée à l'irrégularité interannuelle des précipitations, à laquelle se surimposent parfois des cycles plus progressifs, sur plusieurs décennies, de péjoration pluviométrique. Les populations de l'Inde du Sud, majoritairement rurales, ont dû s'adapter au climat tropical, caractérisé dans cette région par le régime des moussons, en concevant des systèmes de récolte et de stockage des eaux de surface, qui permettent une restitution de ces eaux dans le temps, afin de satisfaire aux besoins des cultures et aux besoins domestiques. Historiquement, l'apparition des « tanks », ou étangs (« tangue » en portugais), a permis de répondre à ces exigences. Ces systèmes d'irrigation ont été mis au point de manière empirique par les populations autochtones qui se devaient alors d'optimiser l'utilisation des ressources environnementales dans un objectif de subsistance. Plusieurs facteurs contribuent toutefois à maintenir un niveau de performance élevé des tanks. Ces facteurs, d'ordre économique, social, culturel, environnemental influencent les modes de gestion des tanks, qui deviennent alors évolutifs et qui se différencient d'un territoire à l'autre. En raison de ses caractéristiques intrinsèques, la place du tank dans le paysage rural est donc directement dépendante de ces modes de gestion sociale.

De nombreux travaux tendent à prouver que ces tanks connaissent un déclin, depuis maintenant plusieurs décennies, à travers l'affaiblissement de leur fonction première, c'est-à-dire l'irrigation. Les causes semblent être nombreuses et de natures diverses, mais s'expriment généralement par une dégradation structurelle et un désintérêt croissant des populations vis-à-vis de ce mode d'irrigation. Cela se matérialise concrètement par une nette diminution de la part des terres irriguées par tank dans plusieurs états indiens méridionaux, dont le Tamil Nadu. Ces territoires sont entrés dans une phase où les structures des tanks se dégradent progressivement. Dans le même temps, leurs performances et la dépendance des populations à leurs encontre se réduisent. Il faut, pour comprendre leur enchaînement chronologique et causal, replacer ces événements dans les contextes politique, économique et culturel propre à chaque situation. Le tank est un système d'irrigation indigène traditionnel qui s'est plus ou moins bien adapté aux vicissitudes politico-historiques et a été, dans le même temps, approprié par les castes villageoises dominantes comme objet d'affirmation de leur autorité à l'échelle locale. La colonisation britannique, et l'organisation sociale qu'elle a promu, a provoqué des heurts dans la gestion traditionnelle des tanks. L'émergence d'autres sources d'irrigation, relayée par le pouvoir politique indien post-colonial, a ensuite révélé de manière patente les carences du tank en matière de sécurisation des cultures. Depuis cette époque, la place centrale du tank dans le paysage rural a été fortement remise en cause.

On peut toutefois penser que cette phase de décadence pourra trouver une fin dans une prise de conscience collective des bienfaits sociaux, économiques et écologiques que promet une intégration des tanks dans leur environnement. Néanmoins, il est aujourd'hui indéniable de constater un déclin général, de ce mode d'irrigation, qu'il convient d'étudier à une échelle d'analyse adaptée. Les évolutions récentes qui ont affecté l'Inde ont provoqué des changements profonds dans la structuration du monde agricole et des sociétés rurales. La matérialisation de ces changements se manifeste, dans le temps et dans l'espace, à travers des réponses différenciées. L'appréciation de ces transformations permet, par un recoupement d'informations, de cerner les dynamiques agraires récentes à l'échelle régionale. L'approche proposée dans le présent travail envisage, comme l'ont fait d'autres travaux réalisés à l'échelle locale, de comprendre quels peuvent être les facteurs qui influencent localement les choix et les actions des acteurs concernés par l'irrigation par tank et quelles sont les dynamiques qui se singularisent et qui peuvent être un signe précurseur des évolutions futures. L'approche synoptique, autorisée par l'analyse multi-temporelle d'images satellites,

7

constitue en cela un apport original dans la mesure où les précédentes études de terrain, essentiellement à caractère économique, sociologique ou anthropologique, n'ont pas exploité la cartographie comme outil de connaissance, de comparaison et de quantification. C'est donc une sorte d'étiologie régionale du système des tanks de l'Inde du Sud que l'on propose ici, avec l'utilisation de la télédétection comme méthode d'investigation rapide et objective de l'agriculture et du développement durable.

8

Méthodologie

Tout travail scientifique doit s'appuyer sur l'élaboration d'une méthodologie adaptée. Celle-ci s'est construite sur le principe des emboîtements d'échelles, qui a permis d'articuler l'étude à travers différents niveaux d'analyse géographique. Cette méthodologie, en appréhendant les phénomènes à plusieurs échelles, permet de faire intervenir des concepts interdisciplinaires selon le niveau adéquat. La complexité des problématiques environnementales s'exprime de plusieurs manières. Compte tenu de la variété des interactions et des interdépendances entre des éléments, aussi hétérogènes que nombreux, il a été nécessaire d'aborder cette complexité par une approche systémique. Ceci est d'autant plus vrai dans le cadre d'une étude sur l'Inde qui, parmi les grandes civilisations, est l'une des plus complexes et des plus éloignées, en terme de valeurs, de la civilisation occidentale. Afin de démêler cette complexité, il est donc apparu nécessaire de présenter, dans une première partie, les éléments principaux qui composent le monde rural indien et le système auquel il appartient. Le niveau d'analyse correspondant ici est l'échelle macro-régionale. S'en est suivie l'analyse plus détaillée du bassin versant de la Vaigai, subdivisée en deux parties, correspondant pour chacune d'entre elles à une échelle spécifique, adaptée à l'étude d'un phénomène en particulier. Dans le même temps, de nombreuses passerelles ont été identifiées entre les différentes sous-parties afin de d'établir des liens de causalité entre les éléments. Cette approche, que l'on peut qualifier de systémique, est fondamentale pour appréhender, au mieux, des systèmes complexes faisant intervenir des concepts propres aux sciences humaines et aux sciences naturelles, et qui se caractérisent aussi par des degrés de corrélation très variés et parfois subtils.

L'ensemble de la réflexion s'est appuyé sur des travaux de télédétection originaux, réalisés spécifiquement dans le cadre de ce travail. Ceci a tout d'abord été permis par la disponibilité d'images de territoires identiques à des dates différentes. Selon les thèmes traités, des méthodologies spécifiques ont été utilisées. Ainsi, afin de savoir quelles évolutions connaissent les lits de tanks, des masques, réalisés à partir des tanks en eau à une certaine date, ont permis de suivre à trois dates différentes les changements des états de surface. L'interprétation des résultats s'est ensuite opérée en croisant les informations obtenues à partir des cartes réalisées et des données sociales et environnementales obtenues grâce à divers travaux antérieurs. Une démarche similaire a permis d'interpréter les autres cartes réalisées.

Au total, la méthodologie employée s'est appuyée sur une démarche qui se veut avant tout systémique. L'approche multiscalaire a constitué le cadre de référence, dans lequel, au fur et à mesure de l'avancée de la réflexion, sont venus se greffer des éléments et des concepts issus d'autres champs scientifiques. Cette démarche est, semble-t-il, adaptée aux problématiques sociales et environnementales du cas étudié.

9

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

1. Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

En raison du climat semi-aride, l'irrigation constitue l'originalité principale de l'agriculture au Tamil Nadu. Le système agricole n'est cependant ni homogène ni statique ; il a évolué et s'est adapté à l'environnement physique, social et économique. Cette partie est donc consacrée à la présentation et à la description du monde rural : les éléments physiques et sociaux qui le structurent, son fonctionnement institutionnel et traditionnel, ainsi que les nouveaux problèmes auquel il est confronté.

1.1 L'irrigation comme réponse sociale face à la contrainte climatique

Les tanks sont omniprésents dans le paysage agricole au Tamil Nadu et plus largement dans le sud de la péninsule indienne. Certains sont très anciens (plus de 1000 ans) et furent avant tout le résultat d'une adaptation technique de la société aux conditions environnementales et principalement climatiques. C'est en effet la disponibilité réduite des ressources qui a forcé les populations à concevoir des systèmes en adéquation avec les conditions du milieu et qui a débouché sur une organisation collective particulière dans le contexte culturel indien.

1.1.1 Les caractéristiques climatiques du Tamil Nadu

La position géographique du Tamil Nadu lui confère un régime climatique particulier, différent du reste de l'Inde. Ce régime est, entre autres, caractérisé par une importante variabilité interannuelle et intra-annuelle des précipitations limitant naturellement la disponibilité en eau « utile » et rendant nécessaire la pratique de l'irrigation.

Figure 1- Carte de localisation du Tamil Nadu (Source : Sipis & US CIA)

Le régime de mousson

Le Tamil Nadu est soumis à un climat tropical modifié par le régime des moussons. En effet, deux moussons affectent annuellement l'ensemble du sous-continent indien.

La mousson d'été est celle qui engendre l'essentiel des précipitations pour la majorité du pays durant les mois de juin à septembre. La barrière montagneuse des Ghâts occidentaux, dans l'état occidental méridional du Kerala, perpendiculaire au flux de mousson (flux de sud-ouest), provoque d'importantes pluies orographiques sur tout le massif et assèche par effet de foehn les flux d'air de cette mousson, limitant ainsi les précipitations dans la partie orientale du sud de la péninsule. La mousson d'été contribue à environ un tiers des totaux pluviométriques du Tamil Nadu. Celui-ci est par contre affecté par d'importantes

10

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

précipitations plus tard dans l'année, durant les mois d'octobre à décembre par ce qu'il est convenu d'appeler la mousson du nord-est, dite « retardée ». Cette mousson est générée par des centres de très basses pressions qui se créent au-dessus du golfe du Bengale et se déplaçant d'est en ouest. Ces dépressions peuvent aussi prendre un caractère cyclonique et déverser des trombes d'eau sur les côtes orientales du Tamil Nadu. La mousson d'hiver1 et les précipitations qui lui sont associées, représentant environ 50% des totaux pluviométriques régionaux, sont les phénomènes climatiques fondamentaux sur lesquels reposent les activités agricoles.

La variabilité interannuelle des précipitations

Le Tamil Nadu reçoit, en dehors des zones montagneuses plus arrosées, entre 700 et 1000 mm de précipitations en moyenne sur l'année. Les cyclones tropicaux qui balaient la région durant les mois de mousson du NE provoquent localement des augmentations très marquées des précipitations, généralement concentrées sur un mois (Palayan, 2003). Les totaux annuels dans le district de Ramanathapuram*2, sur une série de 69 ans, vont de 402 mm à 1285 mm, soit du simple au triple, même si il convient de considérer ces valeurs comme extrêmes et donc de fréquence moyenne (cf. figure 2). Sur la série, 35 années sur les 69 sont inférieures à la moyenne annuelle de 735,84 mm, ce qui donne une répartition générale globalement homogène. Néanmoins, une analyse plus fine de la moyenne mobile fait apparaître des cycles pluviométriques différentiels. Une succession d'années déficitaires est apparue du début des années 1950 jusqu'au milieu des années 1960. Un second cycle déficitaire a occupé une partie de la décennie des années 1970 (de 1969 à 1976) et enfin, un dernier, plus court, de 1986 à 1991. Deux éléments peuvent être tirés de cette analyse. Le premier est que les cycles déficitaires sont plus marqués et généralement plus longs que les cycles bénéficiaires durant la période considérée, ce qui est le témoin de l'occurrence importante d'années très déficitaires marquées par des sécheresses. Le second élément tient au raccourcissement des cycles depuis 25 ans et à une stabilisation de la moyenne mobile dans des valeurs moyennes. Cette extrême variabilité de l'aléa provoque une augmentation substantielle du risque global encouru par le monde agricole, très dépendant des conditions climatiques.

La variabilité climatique intra annuelle

La répartition annuelle de la pluviométrie est calquée sur le régime des moussons qui est le principal pourvoyeur des précipitations. Ce régime, irrégulièrement réparti sur l'année, provoque des totaux mensuels disparates. Du fait des températures relativement homogènes sur l'ensemble de l'année, la définition des saisons climatiques s'établit principalement d'après les retombées pluviométriques. C'est donc davantage l'irrégularité des précipitations que leur quantité qui définit le climat du Tamil Nadu. D'après les données du district de Ramanathapuram (district littoral), la période de la mousson du NE, d'octobre à décembre, apporte 57% des précipitations totales annuelles (736 mm), ce qui permet de la définir comme saison des pluies.

1 Afin de refléter l'importance de cette mousson dans la vie quotidienne des paysans, on peut noter que certains témoignages utilisent la mousson comme unité temporelle de référence : « cela fait maintenant depuis deux moussons que..., je me souviens il y trois moussons en arrière..., etc. » (Racine, 1995).

2 Le symbole * indique des villes, taluks, ou district localisés sur la carte en annexe 1.

11

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

Figure 2 - Données pluviométriques du district de Ramanathapuram de 1936 à 2004 (Source : Ramanathapuram website, http://www.ramnad.tn.nic.in/)

12

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

D'après le même ratio, la période de janvier à mars apporte 10% des précipitations, la période d'avril à juin 14% et la période de juillet à septembre 19% (cf. figure 3)1. Il faut aussi noter une distribution annuelle des jours pluvieux très irrégulière ; il y a en effet une cinquantaine

Figure 3 - Diagramme pluviométrique des moyennes mensuelles du district de Ramanathapuram de 1936 à 2004 (Source : Ramanathapuram Website)

de jours humides dans l'année dont une dizaine par mois durant la mousson du NE, inférant des retombées brutales (Adiceam, 1966). Ces précipitations intenses et concentrées ne sont pas naturellement favorables à l'agriculture et peuvent en revanche engendrer des crues. Initialement, la disponibilité naturelle de l'eau est donc ici un facteur limitant pour les activités anthropiques. Comme on l'a dit plus haut, il y a de faibles amplitudes thermiques annuelles pour des valeurs absolues fortes, caractéristiques des climats tropicaux. La différence entre les mois les plus chauds et les mois les plus frais oscille entre 4 °C et 6 °C (5.6 °C pour Madurai* à l'intérieur des terres et 4.1 °C pour Pamban* sur le littoral). Les moyennes annuelles se situent généralement entre 25 et 30 degrés (27.5 °C à Madurai) avec des valeurs maximales atteintes en mai et juin. Malgré cette homogénéité générale, deux saisons thermiques se distinguent : une saison fraîche et une saison chaude. La première occupe les trois premiers mois de l'année et la seconde le reste de l'année. L'impact principal de ces fortes températures réside dans l'évapotranspiration élevée, qui, couplée aux précipitations irrégulières, constitue un facteur limitant les potentialités des réserves hydriques.

1.1.2 La nécessité d'augmenter la disponibilité de l'eau par le biais des tanks

Dans de telles conditions climatiques, les hommes ont dû imaginer et concevoir des techniques permettant d'augmenter la disponibilité de l'eau pour répondre non seulement aux besoins de l'agriculture mais aussi à leurs propres besoins élémentaires.

1 La distribution annuelle des précipitations à l'intérieur des terres se démarque quelque peu par une mousson d'été plus arrosée, en particulier durant les mois d'août et septembre.

13

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

La disponibilité de l'eau

Répartie temporellement de manière inégale, l'eau se caractérise aussi par une distribution spatiale dépendante de facteurs physiques tel que le sol, la géologie ou encore la topographie. La définition du régime semi-aride est basée sur le nombre de mois à pluviosité déficitaire et non sur le total pluviométrique (Bourgeon, 1988). Sont considérées comme semi-arides les zones où l`ETP1 n'est satisfaite par la pluviosité qu'entre deux et sept mois par an. En utilisant la méthode de Gaussen2, qui permet une extrapolation approximative de l'évapotranspiration à partir des données thermiques, on compte quatre mois humides, de septembre à décembre, qui correspondent à la fin de la mousson d'été et à la totalité de la mousson retardée du NE. C'est durant cette période que le bilan hydrologique3 s'équilibre et devient positif, permettant théoriquement non seulement l'écoulement de surface mais aussi la constitution des réserves hydriques dans la tranche superficielle du sol et des réserves hydrologiques plus profondes. Les sols, par leur capacité de rétention différentielle, sont capables d'influencer localement la disponibilité. Malgré celà, l'intensité et la soudaineté des précipitations sur l'ensemble de la région provoquent une dégradation de la surface du sol ainsi qu'une saturation relativement rapide de la tranche superficielle. Ceci favorise le déclenchement du ruissellement de surface au détriment de la constitution des réserves hydriques et surtout hydrologiques qui permettent pourtant d'allonger la disponibilité de l'eau (Cosandey et al., 2000). La présence, le volume et l'accessibilité des nappes captives dépendent en grande partie de la géologie. La partie basse du bassin versant de la Vaigai-Periyar est composée essentiellement de zones d'alluvions entrecoupées de buttes latéritiques tandis que la partie médiane et haute du bassin repose sur un socle métamorphique. Les nappes de socle sont en règle générale plus difficiles d'accès et ont des volumes et débits plus incertains que les nappes alluviales. De manière générale, les techniques d'accès aux réserves hydrologiques sont plus avancées que celles du stockage des eaux de ruissellement et leur ont donc souvent succédé dans l'histoire des populations. En dépit de totaux pluviométriques annuels non négligeables, la quantité d'eau utile est donc restreinte par des processus de transferts brutaux caractéristiques des zones semi-arides.

Les besoins en eau

Selon les variétés, une récolte de paddy4 demande au Tamil Nadu de 1150 à 1650mm d'eau par an (Gourou, 2000) ; or durant la saison des pluies, Madurai reçoit en moyenne aux alentours de 400 mm et Ramanathapuram 420 mm. Le déficit est donc très grand, même en saison des pluies et à plus forte raison encore durant la saison sèche, ce qui ne permet pas de soutenir une récolte. Certaines phases cruciales du cycle cultural, comme la floraison, doivent par exemple, sous peine de chutes importantes du rendement, se dérouler pendant la période humide, c'est à dire lorsque la pluviométrie est supérieure à l'ETP (Racine, 1994). De la même manière, une quantité massive d'eau est nécessaire pour la préparation du terrain avant le repiquage. Cette période doit donc, sur un laps de temps très court, recevoir d'importants apports d'eau. Jusqu'à la floraison de la plante, la rizière doit rester inondée et il est donc nécessaire d'alimenter régulièrement les parcelles. Durant son cycle de croissance, l'eau requise par la plante ne doit donc pas lui être distribuée uniformément (Adiceam, 1966). Si le

1 Evapotranspiration : c'est la combinaison de l'évaporation physique et de la transpiration biologique.

2 Méthode qui consiste à porter sur un graphique la courbe des moyennes mensuelles des températures exprimées en degrés celsius et la courbe des moyennes mensuelles des précipitations exprimées en millimètres, l'échelle des degrés centigrades étant le double de celle des millimètres. Selon la position des courbes, dites ombro-thermiques, le mois est considéré sec ou humide.

3 Bilan hydrique (échelle stationnelle) ou hydrologique (échelle du bassin versant) : P=Q+ETR+?R(u+h), avec Q :débit ; ?Ru : recharge des réserves en eau du sol et ?Rh : recharge des réserves du sous-sol

4 Riz recouvert de sa balle

14

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

riz est la principale culture en pays Tamoul, d'autres céréales sont cultivées, comme le ragi1 ou le cholam (sorgho), qui sont moins demandeuses en eau, mais qui sont également moins appréciées par les populations, et donc diffusées moins largement. Ces millets constituent le socle traditionnel de l'agriculture pluviale des régions semi-arides de l'Inde péninsulaire, mais ont subi un déclin relatif en raison de la concurrence et de l'attractivité du riz irrigué. En année sèche, les récoltes de céréales pluviales de ce genre peut dépasser les récoltes, mauvaises, de riz, et permet d'éviter les disettes. Les besoins en eau concernent aussi les usages domestiques et l'alimentation du bétail.

Dans un but de subsistance, il a donc fallu que les sociétés intègrent les connaissances qu'elles avaient du milieu, basées sur des observations empiriques, afin d'élaborer des techniques susceptibles de répondre de manière satisfaisante à leurs besoins en eau.

Le stockage de l'eau par tanks

On estime que l'existence des tanks remonte au minimum à l'époque médiévale. Les tanks de Satyamangalam, à PudukkottaiK, portent des inscriptions qui laissent présumer leur existence dès le 13ème siècle (Roussary, 2003). Si ils ne sont pas, à l'échelle du monde, les plus anciens systèmes de récolte des eaux, ils constituent toutefois une forme d'emprise spatiale relativement unique. L'objectif d'un tank réside dans le stockage de l'eau atmosphérique et sa restitution progressive dans le temps afin d'allonger en particulier la saison culturale. Le principe de base repose donc sur le captage et le stockage des eaux de ruissellement et des précipitations in situ. A la faveur de la topographie locale, le premier type de tank consiste simplement à profiter des dépressions naturelles captant les écoulements de versants alentours, et ne nécessite que quelques travaux élémentaires d'aménagement afin de distribuer les eaux stockées vers les ayacuts2. Le deuxième mode s'appuie sur la construction d'une digue (terre ou brique) perpendiculaire au sens de l'écoulement, en forme de U allongée latéralement, afin de bloquer et de diriger de manière centripète et selon le sens de la pente, les eaux de ruissellement. Ces ouvrages sont en général de plus grande dimension. L'excavation, enfin, est la troisième technique de construction d'un tank. L'origine structurelle des tanks est cependant souvent hybride et il n'y a pas de cloisonnement net entre les techniques précédemment décrites.

Nous verrons aussi que les facteurs édaphiques et topographiques, ainsi que la présence d'un réseau hydrographique pérenne, influencent de manière significative la forme, la taille et la capacité de restitution, qui à leur tour déterminent la performance potentielle des tanks. La maximisation de ce potentiel dépend également de l'organisation et des choix de la société et des communautés.

1.1.3 L'inscription spatiale et sociale des tanks

On a vu de quelle manière le tank répondait à des besoins sociaux ; il est dorénavant important de décrire la distribution et l'agencement particulier des tanks par rapport aux différentes sources d'approvisionnements en eau. Nous tenterons ensuite de déterminer les avantages ou bénéfices et les inconvénients, de ce système d'irrigation.

1 Eleusine coracana de la famille des millets originaire d'Afrique et introduit en Inde il y a environ 4000 ans. Les graines sont plus petites que celles de la plupart des autres espèces de mil. En Inde du Sud, la farine de ragi sert à la préparation du traditionnel ragi mudde (littéralement pâte de ragi) accompagné la plupart du temps de sambar, soupe de légumineux et de légumes.

2 Surface dépendant d'un système d'irrigation

15

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

Figure 4 - Organisation schématique et réelle des tanks : A- Rainfed tank ; B-System tanks ; C- Cascade tanks (source - Landsat MSS du 21/01/1973-canaux 4-2-1)

16

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

Une distribution spatiale organisée

Comme nous l'avons dit plus haut, c'est sans doute de manière empirique que les tanks ont d'abord été imaginés. Les plus anciens tanks correspondent en effet à des dépressions naturelles dans lesquelles les eaux se concentraient saisonnièrement. On en a pour preuve des inscriptions sur des mégalithes de la fin du Néolithique, disposés près du lit des tanks (Palayan, 2003). Ce serait ensuite par l'adoption d'une approche possibiliste1 du milieu que les populations ont tenté de concevoir une organisation de ces tanks. Succédant à de probables ajustements historiques, trois catégories de tanks occupent désormais l'espace et participent au « maillage » du territoire : (i) ceux qui dépendent des précipitations in situ et du ruissellement sur l'aire contributive associée et qui ne sont pas reliés aux tanks amonts et avals du même versant par quelque canal ou chenal que ce soit ; ce sont des tanks isolés dit rainfed tanks2 ; (ii) ceux faisant partie d'une chaîne de tanks reliés par des chenaux qui drainent les surplus d'eau de l'amont vers l'aval ; on les appelle cascades tanks ; et (iii) les tanks alimentés par des canaux de dérivation connectés directement à des cours d'eau ou à des réservoirs artificiels, les system tanks (Vaidyanathan, 2001). Depuis l'occupation britannique qui a tenté de formaliser un certain nombre d'éléments de la culture indienne, deux qualificatifs, toujours usités, font la distinction entre les system tanks et les non-system tanks. Les system tanks englobent la troisième catégorie tandis que les non-system tanks font référence aux deux premières catégories. Les system tanks s'établissent donc dans les bas-fonds alors que les non-system tanks complètent le maillage de l'espace en profitant des systèmes de pentes des versants (cf. figure 4). L'espace consacré à un tank3 est schématiquement divisé en trois parties. L'aire contributive, qui est la surface de ruissellement et de récolte des précipitations, chargée donc de drainer les écoulements vers le lit du tank, mais qui comprend aussi les canaux et chenaux d'approvisionnement, hormis pour les rainfed tanks ; le tank à proprement parler, composé du lit régulièrement inondé, d'une digue4 dont la partie centrale est perpendiculaire au sens des écoulement, des vannes qui permettent l'alimentation des champs et ainsi que d'autres éléments structurels que nous verrons plus en détail ; et enfin l'ayacut, c'est à dire l'espace irrigué5, en contrebas du tank et morcelé par une multitude de parcelles et de casiers rizicoles.

Les avantages/bénéfices

Le bénéfice premier du tank tient naturellement à l'eau qu'il fournit aux terres cultivées en contrebas, et ceci de manière continue dans des endroits où les précipitations sont discontinues (Durand-Dastès, 1968). En allongeant la saison agricole et en augmentant la production dans des zones en proie à des sécheresses, il permet de réduire la vulnérabilité face aux aléas climatiques. De manière générale, plus un tank est grand, plus sa fiabilité de fourniture en eau est élevée. Cela tient bien entendu au fait qu'un tank de grande dimension possède une aire contributive plus étendue. Cette affirmation doit cependant être fortement

1 Concept de Paul Vidal de la Blache (géographe, 1845-1918) qui repose sur le précepte : « La nature propose, l'homme dispose » par opposition au déterminisme de la nature.

2 Ils sont principalement logés dans les dépressions formées par les mouvements de terrain ou dans les creux façonnés par l'érosion au pied des montagnes, des collines granitiques ou des buttes latéritiques.

3 Eri en Tamoul qui signifie élevé en rapport à sa position par rapport aux zones irriguées plus basses.

4 Il est fréquent que la digue soit végétalisée par de nombreuses espèces (en particulier par le Ficus Benghalensis L., qui se rencontre fréquemment dans les bois sacrés, fournissant latex, fruits et racines mais qui est aussi une plante aux vertus médicinales). Cette végétalisation renforce la digue mais elle peut être aussi le signe d'un désintérêt croissant caractérisé par des opérations de maintenance limitées.

5 Dans le cadre de l'irrigation par tank, on nomme aussi ces terres irriguées Nanjai, en Tamoul, par opposition aux terres Punjai, non irriguées.

17

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

nuancée par le niveau de performance des tanks qui tend à diminuer avec la taille du tank, du fait de l'accroissement des opérations de maintenance régulièrement nécessaires. La durée de restitution des eaux stockées est variable, mais lors des bonnes années1, on peut l'estimer comprise dans une fourchette de trois à cinq mois après la fin de la saison des pluies. Le tank permet donc non seulement d'assurer la première récolte mais aussi d'envisager, toujours les bonnes années, une seconde récolte de cultures irriguées. Ceci ne se vérifie pas dans le cas des rainfed tanks, qui même lors des bonnes années ne peuvent assurer qu'une récolte (Balasubramanian et al., 2003).

Intégré dans son milieu physique, le tank permet certaines régulations qui contrebalancent les aléas naturels qui constituent des menaces pour les populations rurales. Dispersés sur l'ensemble des versants, ils réduisent la vitesse des écoulements et diminuent donc leur capacité, limitant de ce fait leur pouvoir érosif. Ils jouent aussi un double rôle, celui de bassin de rétention en régulant les crues, et celui de bassin de percolation en permettant la recharge des nappes phréatiques sous-jacentes, améliorant ainsi la performance des puits situés en contrebas. Il faut noter que l'accroissement de l'infiltration par percolation peut avoir pour effet la potabilité d'eaux souterraines autrement saumâtres (Prinz, 1996). L'espace tank autorise aussi une diversité d'activités dont profitent les populations alentours. Ainsi, la ponction des colluvions et des sédiments fluviaux fins argileux et limoneux du lit permet la fertilisation des champs cultivés. Elle permet aussi l'émergence d'une activité locale de briquetage. La colonisation temporaire et cyclique du lit par des pelouses constitue un pâturage appréciable pour le bétail. La végétation spontanée, l'agroforesterie et la foresterie sociale2 fournissent, quant à elles, du fourrage, du bois de chauffe et du charbon de bois. L'eau stockée permet, enfin, une pisciculture souvent rudimentaire ainsi que l'élevage de canards. Nous verrons que des règles traditionnelles d'allocation et de redistribution encadrent l'utilisation de ces activités et produits dérivés. Enfin, à titre de zone humide, le tank est un élément du milieu qui constitue un écosystème riche en biodiversité, se démarquant nettement de l'espace environnant semi-aride par la création de discontinuités, favorables par exemple à l'hivernage de nombreuses espèces d'oiseaux migrateurs (Gunnell, communication personnelle).

Les inconvénients

Le principal inconvénient de ce système est à rattacher au climat. La variabilité des précipitations engendre mécaniquement une variabilité du stockage et donc de la fourniture en eau diminuant, toutes choses égales par ailleurs, son intérêt premier. Si le maillage du territoire peut s'interpréter comme un facteur qui maximise la récolte des eaux atmosphériques, il peut aussi s'entrevoir comme soustrayant à l'agriculture des surfaces cultivables non négligeables, surtout dans un contexte de forte densité démographique. Gourou estime qu'au Tamil Nadu, la surface récoltée en saison des pluies est de 30000 km2 alors que la surface noyée est de 7000km2 (Gourou, 2000). Du fait des températures élevées, l'évaporation potentielle est intense, a fortiori durant la saison sèche. En raison de la faible profondeur des tanks, de quelques mètres au plus, le régime saisonnier des températures de l'eau n'est pas très différent de celui des températures de l'air et l'évaporation maximale intervient donc en saison chaude (Cosandey et al., 2000). En règle général, plus la surface exposée est grande, plus l'évaporation à prendre en compte est faible. L'humidité de l'air

1 Une étude portant sur 45 années de données pluviométriques dans le district de Ramanathapuram montre que sur une période de 10 ans, en moyenne, les tanks sont totalement remplis quatre ans, relativement bien remplis deux ans, insuffisamment remplis deux autres années et de manière très inadéquate par rapport à la demande deux ans aussi (Balasubramanian et al., 2003)

2 Principalement Prosopis juliflora

18

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

ambiant est par ailleurs un paramètre fondamental. Plus l'air est humide, moins la surface exposée sera un facteur limitant de l'évaporation ; à l'inverse, un air sec engendrera une évaporation proportionnellement plus intense sur une surface de faible étendue. Les taux d'évaporation sont donc en priorité fonction de la saison, puis de la taille et dans une moindre mesure de la profondeur. Un autre type d'inconvénient n'est pas directement lié au tank même mais à sa gestion, qui, si elle est défaillante, peut entraîner une baisse de la performance générale (pertes par brèches, diminution de la capacité potentielle par comblement du lit et des chenaux d'approvisionnements, etc.). Nous aborderons plus précisément ces aspects dans la prochaine partie. Nous pouvons néanmoins d'ores et déjà affirmer que le tank présente des caractéristiques intéressantes dans un contexte de climat semi-aride, mais que son fonctionnement général ainsi que sa viabilité agronomique et écologique sur le long terme résultent non seulement des actions que la société met en oeuvre afin de maintenir le système dans un bon état mais aussi de l'environnement technique et technologique.

1.2 La société rurale indienne: structure et organisation

1.2.1 L'organisation sociale par caste

De nos jours, le système de castes structure autant qu'il hiérarchise la société indienne. C'est le résultat de la modernisation qui a rendu les castes moins dépendantes les unes des autres. Mais il faut avant tout préciser ce qu'on appelle caste dans l'Inde d'aujourd'hui.

Les castes en Inde aujourd'hui

L'affirmation que la société indienne est divisée en quatre castes est problématique et certains ethnologues vont même jusqu'à affirmer qu'elle est à l'origine d'une incompréhension totale de la société. Ce sont ce que les indiens appellent les jâtis (sati en tamil) qui constituent les castes véritables et non les quatre varnas auxquels les indiens ne se réfèrent guère, à l'exception des Brahmanes)1. Un jâti est un groupe localisé, héréditaire et endogame, associé à un métier et occupant une position particulière dans la hiérarchie (Deliège, 2004). Ces jâtis sont exclusifs et fermés car on ne peut jamais appartenir qu'à un et un seul jâti. Historiquement donc, la caractéristique essentielle de la société indienne n'est pas sa structure quadripartie mais bien son morcellement en une myriade de groupes endogames et hiérarchisés. Seuls les Brahmanes et les intouchables2 sont communs aux deux systèmes. Et ce n'est pas l'abolition officielle de l'intouchabilité dans la première Constitution en 1950 qui a fondamentalement changé les règles de ce système qui « s'adapte » aux vicissitudes de l'histoire. Il faut enfin noter que la caste doit pallier le fait qu'elle se pense comme différente alors qu'elle ne dispose que de très peu d'éléments pour soutenir cette différence. Certaines règles, comme la commensalité ou l'endogamie, permettent néanmoins de la maintenir.

Les critères de différenciation

Les jatis sont toujours nommés, et ce nom est souvent celui de la profession à laquelle ils sont associés ; ainsi, au Tamil Nadu, les Kallars (voleurs en tamil), les Paraiyars (joueurs de

1 Le contact avec les Européens a peut-être contribué à donner quelque crédit à la théorie des varnas. Cette classification permettait aux Britanniques de comprendre la société indienne à travers des catégories familières comme celles de l'aristocratie, du clergé, de la bourgeoisie et de la canaille.

2 Plusieurs appellations sont connues : Harijans ou « enfants de dieu » (surnom donné par Gandhi mais rejeté par une grande partie de cette population), et Dalits, « les oppressés », qui est associée aux mouvements politiques en faveur de droits élargis.

19

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

tambour1), les Vaniyans (presseurs d'huile) etc. (Racine, 1995). Il existe des sous-castes endogames à ces groupes, ce qui augmente encore le nombre total de castes. A chaque jâti est affecté un niveau différent de pureté rituelle qui sert à attribuer des statuts différents. On dénombre au Tamil Nadu 76 Scheduled Castes (intouchables) et 122 Backward Classes (les classes arriérées, qui appartiennent le plus souvent à la basse caste des Shudras).

La dichotomie pureté/impureté est le concept fondamental qui a caractérisé le statut et les relations entre les castes, aujourd'hui concurrencé par le pouvoir politique et économique. Seuls les hommes qui sont en état de pureté rituelle peuvent approcher les dieux et pour que soit maintenue la communication avec ceux-ci, il est nécessaire qu'une classe de la population soit exempte des taches rituellement impures. Les castes qui assistent les Brahmanes doivent également maintenir un certain état de pureté et se préserver de toute promiscuité avec le reste de la société. La pollution rituelle se transmettant à travers les liens de parenté, l'endogamie reste un moyen efficace d'éviter la pollution.

Il y a, pour les hautes castes, trois états de pureté : la neutralité (mailige), la pureté supérieure (madi) et l'impureté (polé). L'état de pureté supérieure est volatil, ce qui explique les précautions incessantes, en particulier des Brahmanes, à éviter tout contact avec des choses ou des personnes très polluantes (un intouchable, une femme réglée, des déchets organiques par exemple), hautement contagieuses2. Il existe pour chaque type de pollution des rites spécifiques à exécuter afin de retrouver son état de pureté antérieur3. La source de pollution la plus forte est la mort, ce qui explique que les castes les plus basses y soient associées, c'ets le cas des Pallars (« fossoyeurs ») ou des Paraiyars (« joueurs de tambour dans des conditions funestes ») du Tamil Nadu. Les autres sources de pollution sont, comme on l'a dit, rattachées essentiellement aux déchets organiques : cheveux, ongles, urine, salive, etc. L'idéologie liée à cette pollution rituelle rend cohérentes de nombreuses pratiques quotidiennes.

Pendant longtemps, cette catégorisation des individus qui s'appuyait sur des spécialisations héréditaires4 attribuait à chacun un rôle particulier dans la société qui rendait les castes dépendantes les unes des autres. La modernisation de la société indienne a engendré une diversité d'emplois qui ne correspondent plus aux catégories traditionnelles ; le phénomène d'urbanisation associé est, lui aussi, peu compatible avec l'exercice des règles strictes de pureté rituelle. De nos jours, les castes constituent davantage des blocs rivaux qui ont localement des pouvoirs différenciés. Ainsi, la supériorité des Brahmanes tient autant sur leur capacité à mobiliser des ressources politiques et économiques qu'à leur statut rituel (Deliège, 2004).

Les conséquences de ces divisions sociales

Un des traits les plus caractéristiques de la division de la société tient dans la ségrégation spatiale qui s'opère au niveau des villages. Les villages du Tamil Nadu sont séparés en trois espaces distincts : l'agraharam est le quartier brahmane où seul ces derniers sont supposés résider, l'ûr qui comprend les castes de paysans et d'artisans et le céri, quartier réservé aux intouchables. L'accès aux puits collectifs est par exemple proscrit pour les intouchables qui risqueraient de souiller l'eau. Les intouchables ne peuvent se rendre dans les autres quartiers que s'ils ont quelque chose à y faire ; l'accès au temple leur est par contre totalement proscrit,

1 Le tambour est considéré comme impur du fait qu'il soit fabriqué avec des peaux d'animaux.

2 Contrairement à la pureté, l'impureté est hautement contagieuse.

3 Des bains (jusqu'à 1001 bains dans le cas de fortes pollutions), le récit de mantras (formules rituelles), etc.

4 Malgré ça, tous les individus d'une caste de blanchisseur ou de menuisier n'étaient pas tous blanchisseurs ou menuisiers et une majorité d'individus à l'intérieur des castes ont été et sont toujours agriculteurs. Cependant, il y a de fortes chances pour qu'un blanchisseur ou un menuisier appartiennent à une caste de blanchisseur ou de menuisier.

20

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

mais chaque caste possède son propre lieu de culte. L'accès à l'éducation et la qualité de l'instruction, eux aussi inégaux, engendrent une reproduction des inégalités.

En règle générale, dans de nombreux villages, l'essentiel des terres se trouve aux mains des membres d'une caste qui est démographiquement plus nombreuse que les autres, et qui de ce fait jouit aussi de pouvoir politique. Cette caste, dite caste dominante, est souvent rituellement peu élevée ; tel est le cas pour les districts de Madurai* et de Ramanathapuram* (caste des Maravars). Les castes Shudras sont ainsi fréquemment les castes villageoises dominantes mais aussi les principaux oppresseurs des intouchables. La faible présence des Brahmanes dans les campagnes s'explique par leurs migrations importantes dans les villes afin d'occuper des postes élevés.

De manière générale, l'honneur tient une place très importante dans la culture hindoue. Les coutumes traditionnelles rattachées à des moments importants de la vie des individus et des familles comme le mariage, la puberté, le dépucelage ou encore l'enfantement sont associées à des rites séculiers auxquels participe un nombre élevé de villageois. L'exercice de ces rites est souvent conditionné par la présence d'un membre d'une caste précise qu'il faut ensuite rétribuer, le plus souvent en nature1 (en mesures ou sacs de paddy). La solidarité intra-caste, sous forme de prêts financiers ou en nature, permet de réaliser les pratiques traditionnelles. Mais il faut dans certains cas où la participation est importante2, faire appel à un créancier membre d'une caste supérieure pour des prêts à intérêts. Le non remboursement de ces prêts ou alors des dots peu importantes affecte l'honneur des individus et par extension celui de la famille, débouchant sur un nombre relativement élevé de suicides3. Cette société, complexe et culturellement très marquée, est donc sujette à l'établissement de fortes inégalités.

1.2.2 Les modes de gestion institutionnels des tanks

Afin d'exploiter l'ensemble du système d'irrigation par tanks, la société indienne a mis en oeuvre au fil du temps, et selon les contextes politiques qui ont jalonné les derniers siècles, des modes originaux de gestion des ressources naturelles.

Les anciens régimes agraires

Le système de gestion le plus ancien est alors connu sous l'appellation de mirasi, qui impliquait la participation des villageois à la maintenance des tanks et leur rétribution réservée sur une partie des bénéfices du village (Vaidyanathan, 2001). Il y avait alors des règles bien définies sur l'allocation des eaux stockées et sur les réparations à effectuer sous le contrôle du mirasidar auquel était affecté l'autorité suprême. Des fonctionnaires étaient nommés et avaient la charge de régler les éventuels conflits. Dans ce système le droit héréditaire sur le sol (kaniyachi) s'appliquait (Dupuis, 1960). On peut penser, même si les informations disponibles sont peu nombreuses, que ce mode de gestion traditionnel était durable et équitable en terme d'allocation, sans l'être totalement au niveau de l'accès à la ressource. L'avènement de la colonisation britannique a modifié les règles d'usage. Les colons ont institutionnalisé deux systèmes : ryotwari et zamindari. Le système ryotwari imposait un impôt agraire régulier, basé sur les informations cadastrales, dans lesquelles était notée la valeur des sols. L'état traitait directement avec le raiyat (fermier), auquel est attribué

1 Par exemple le blanchisseur qui intervient lors d'une puberté et qui, en plus de sa rétribution, a le droit de garder les vêtements souillés

2 Par exemple la dot de mariage

3 Tel est le cas pour de nombreux paysans fortement endettés, ou bien des jeunes femmes dont la dot de mariage jugée faible implique un déshonneur familial et une stigmatisation, par la famille du conjoint, trop forte à supporter (ce dernier cas est particulièrement vrai pour les hautes castes)

21

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

un titre de propriété (patta, feuille d'arbre en tamil) lui conférant une sécurité et les droits qui caractérisent la propriété : vente, métayage, hypothèque, legs, etc. (Dupuis, 1960). Le système zamindari est une inféodation du sol, dans lequel le zamindar est chargé de verser le pashkash (cadeau, en hindi) à l'Etat, c'est-à-dire une somme forfaitaire exigée par le fisc et récoltée auprès des paysans. Ce système exigeait moins d'efforts de l'Etat mais était moins rentable du fait que les zamindars abusaient de leur pouvoir au niveau local. Beaucoup estiment que cette centralisation des impôts agraires est une cause importante de la dégradation des tanks, qui sont une forme décentralisée de gestion, en abandonnant la responsabilité de leur gestion du local au national. Conscient de l'importance des tanks et de son rôle direct dans le paiement de l'impôt, l'administration britannique a par la suite tenté de contrecarrer la dérive des performances des tanks en introduisant une législation qui renforce les obligations communautaires pour la maintenance et les réparations des tanks. L'échec de ces réformes a forcé l'administration à intervenir directement, en partie par la construction de nouveaux system tanks le long de la Vaigai, avec l'objectif permanent d'augmenter ses revenus sous forme d'impôts (Vaidyanathan, 2001). Ces systèmes et ces lois n'existent officiellement plus, même si l'on parle encore des terres « ex-zamindars ».

Les systèmes contemporains chargés de la gestion des tanks

Au moment de l'indépendance (1947), l'état s'est engagé dans des programmes de grands travaux (barrages, canaux) et de promotion des systèmes d'irrigation modernes (puits). Les systèmes mineurs d'irrigation, dont font partie les tanks, étaient très représentés au Tamil Nadu (65%) mais jugés insuffisants en terme d'efficacité, ce qui a motivé des politiques volontaristes en matière de source d'irrigation alternatives. Même si l'on a alors relégué les tanks à un rôle secondaire, on a établi des modes de gestion différents suivant la taille des ayacuts de chaque tank. Le panchayat1 est responsable de la gestion des tanks ayant un ayacut inférieur à 40 ha, alors que le Public Works Department (PWD)2 est responsable de la maintenance et des réparations des canaux et des tanks qui irriguent des ayacuts supérieurs à 40 ha. La taille moyenne des ayacuts dans le Tamil Nadu est de 26 ha alors que 77% des tanks ont un ayacut inférieur à 40 ha, 22% entre 40 et 200 ha et seulement 1% plus de 200 ha (ces derniers irriguent toutefois 25% de la surface irriguée totale sous le commandement des tanks). On peut préciser que le rapport entre la surface inondée et la surface irriguée d'un tank est rarement supérieur à un, ce qui pose le problème déjà cité de l'emprise spatiale des tanks et de leur rentabilité. Concernant les system tanks, ils représentent 10% de l'ensemble des tanks. Un faible nombre d'entre eux ont des ayacuts inférieurs à 40 ha. Ils ont donc une emprise spatiale élevée et une fourniture en eau sensiblement moins élevée que les non system tanks (Vaidyanathan, 2001).

Organisation locale de gestion

Les droits octroyés aux panchayats et aux PWD leur confèrent des obligations à propos de la gestion locale des tanks. Les tâches principales des PWD sont la maintenance et la réhabilitation. Les conflits qui font suite à des mécontentements de certains agriculteurs sont eux gérés localement. Il y a toutefois de fortes disparités d'un tank à l'autre sur l'efficacité et la réalisation des opérations qui dépendent pour partie de la présence ou de l'absence de personnages clefs responsables précisément de certaines de ces opérations. Ces acteurs peuvent être des fonctionnaires employés par l'état ou des personnes de certaines castes

1 Conseil traditionnel assurant le fonctionnement de la collectivité villageoise.

2 Département des Travaux Publics chargé de la construction, de l'aménagement du territoire et de la maintenance des infrastructures publiques.

22

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

spécialisées comme les neerkatties de la caste des Pallars (intouchables) qui ont la charge de distribuer les eaux stockées aux parcelles de l'ayacut, de curer les chenaux d'approvisionnement et d'autres tâches encore selon les villages. Les bénéfices tirés des activités liées aux tanks sont gérés par le panchayat. Ce dernier est souvent aux mains de la caste dominante, et l'un des phénomènes les plus courants est d'utiliser les bénéfices dans un but d'augmenter l'honneur de ses membres en réinjectant l'argent dans la réhabilitation des temples, par exemple, aux dépens de la réhabilitation des tanks. Cela est préjudiciable pour les castes rituellement peu élevées, qui sont les plus dépendantes des eaux du tank.

1.2.3 L'organisation du système agricole Calendrier cultural et types de cultures

Le contexte climatique étant le principal facteur limitant de l'agriculture, les paysans doivent, malgré les systèmes d'irrigation, accorder leurs activités à la variabilité des précipitations. On sait que si la pluviométrie de la période considérée est supérieure à la demi-ETP, on est en régime hydrique favorable pour le démarrage ou l'achèvement du cycle cultural d'une plante (Racine, 1995). La figure 5 nous indique que de telles périodes correspondent, selon les localités, à la fin de la mousson d'été et à la mousson d'hiver dans son ensemble. Dès lors, il n'est pas étonnant de constater que la principale saison culturale, appelée samba ou thaladi, s'étale des mois d'août-septembre (repiquage) à janvier-février (moisson). Ces différentes appellations sont le reflet du type de culture portée par la parcelle la saison précédente, appelée kuruvai/sornavari et s'étalant de mai à septembre. Si la culture pratiquée est du paddy, alors la saison suivante est appelée thaladi, si ce n'est pas le cas, on la nomme samba (Komoguchi, 1986). Durant la saison samba, certains agriculteurs emploient encore des variétés traditionnelles à cycle long de six ou sept mois, de meilleure qualité gustative et qui ont sur le marché un prix plus élevé. Les cultures en saison kuruvai sont très majoritairement des cultures pluviales (ragi, cholam, légumineuses) et succèdent à la saison navarai/kodai, de janvier-février à avril-mai, qui observe, par l'introduction des variétés hybrides à haut rendements et à cycle cultural court lors de la Révolution Verte, une augmentation des cultures rizicoles irriguées. La riziculture est, en effet, la principale culture irriguée, suivie par la canne à sucre. Tandis que la première permet deux, voire trois récoltes par an, la culture de la canne à sucre, plus rentable, s'étale sur une année. Contrairement à la situation en cultures pluviales, il n'y pas, sur les parcelles irriguées, de « cultures associées » (Racine, 1995). On est donc en présence d'un système de monoculture irriguée. Les cultures sous irrigation par tanks sont dominées par le riz, suivi de la canne à sucre, des légumes et du coton selon la disponibilité de sources alternatives d'eau et selon les sols (Balasubramanian et al., 2003). On peut enfin noter que les parcelles où la densité de puits est plus forte ont un plus fort degré de diversité de cultures ainsi qu'une plus grande intensité culturale. Cette diversification profite particulièrement aux cultures de rente (canne à sucre, cocotier, coton, banane) aux dépends des cultures vivrières. Les puits permettent donc à priori de réduire la vulnérabilité des agriculteurs face aux variations climatiques et aux aléas du marché.

23

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

Figure 5 - Diagrammes annuels des précipitations, de l'ETP et de l'ETP/2 à Madurai et Pamban (source : National Bureau of Soil Survey and Land Use Planning)

24

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

Les régimes fonciers

La taille moyenne des parcelles par agriculteur dans le Tamil Nadu est passé de 1.01 ha en 1986 à 0.93 ha en 1991. La raison de cette diminution peut s'expliquer par la subdivision des parcelles en réponse à la croissance démographique, aux héritages de patrimoine ainsi qu'à la redistribution de parcelles aux sans-terres dans le cadre de la loi dite « Land Ceiling Act »1 (Thangaraj, 2003). Cette loi avait pour objectif de lutter contre l'absentéisme des propriétaires et contre l'exploitation des tenanciers en plafonnant la surface exploitable par individus. Ce plafond fixé à 30 acres en 1961 a été abaissé à 15 acres par individu ou famille de moins de 5 membres en 1970 au Tamil Nadu. De nombreux contournements ont été possibles du fait d'un manque de rigueur de la part de l'administration, ce qui a eu pour effet d'avantager les gros propriétaires au détriment des sans-terre et des petits paysans.

Les temples et les villages possèdent une partie du finage villageois (maniyam ou poramboke) mais ces terres, de piètre qualité, ne sont pas très prisées, même de la part des intouchables, en raison des contrats de métayage peu favorables (Racine, 1995). Elles peuvent toutefois être une forme de rétribution (partielle) à ceux qui exercent la fonction de thotti, c'est-à-dire de manoeuvre au service de la collectivité, et en particulier pour certaines opérations de maintenance des tanks. Enfin, on peut noter qu'il existe une certaine corrélation entre la caste et le statut ; les gros propriétaires des classes dominantes sont souvent, dans le cas du bassin versant de la Vaigai, membres des basses castes Shudras.

L'importance du riz

Le riz est de loin, dans cette région, la céréale la plus cultivée et la plus appréciée. Son importance se reflète donc aussi bien dans les rites qui accompagnent le début de chaque culture que dans les surfaces irriguées qui lui sont octroyées. Les castes élevées demandent conseil auprès des Brahmanes alors que les intouchables font appel à l'Iyer du céri (prêtre Harijan, soit un Pandaram sivaïte soit un Valluvar vishnuite), qui se réfère en général aux almanachs (Racine, 1995). Des rituels, comme la puja2, accompagnent les premières étapes culturales.

Le riz compose l'essentiel du régime alimentaire de la plupart des castes intouchables. Bien qu'ils ne soient pas végétariens comme de nombreux Brahmanes, les occasions de manger de la viande ou du poisson sont rares ; ce n'est donc pas tant la sous-nutrition que la malnutrition qui affecte cette frange de la population, et en particulier les enfants (Deliège, 1997).

Les variétés hybrides introduites (JR 8-20-50, ADT 31, etc.) ont des cycles moins longs (120130 jours), mais nécessitent en contrepartie une fourniture en eau régulière et sont associés à un plus grands nombres d'intrants, en particulier chimiques (engrais azotés, fongicides, insecticides). Les paysans les utilisent en saison samba lorsque les prévisions climatiques sont mauvaises car elles présentent moins de risques que les variétés à long cycle. Les rendements restent néanmoins très modestes. A Ramanathapuram, où les paysans disposent d'une dizaine de variétés, avec des cycles de 105 à 130 jours, le rendement moyen sur les 10 dernières années est de 2552 kg/ha (Ramanathapuram District Website). Certains tabous culturels comme l'utilisation de la charrue peuvent en partie expliquer ces chiffres médiocres.

1 Loi édictée en 1961

2 Acte d'offrande et de prière à la divinité, marqué par un rituel plus ou moins élaboré : consiste en l'occurrence dans le façonnement de Pillaiyars avec de la bouse (ou Ganesh, fils de Siva et de Parvati, à tête d'éléphant, au ventre proéminent et auspicieux, c'est celui qu'on invoque avant de commencer une entreprise, un travail, une oeuvre) et enduits de pâte de curcuma, arrangés d'un potteu (point auspicieux porté au front), de fleurs et de chiendent, auxquels on offre des semences. Après avoir brûlé du camphre et s'être prosterné, l'ensemencement à l'aide d'un van peut alors commencer.

25

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

1.3 Les problématiques émergentes

1.3.1 La diminution des stocks d'eau souterraines liée aux conditions d'exploitation La multiplication des puits

Historiquement, les puits ouverts sont les premiers à avoir fait leur apparition dans le paysage. De profondeur moyenne (quelques mètres), ils permettent l'accès aux aquifères proches de la surface du sol, dont la recharge est dépendante des quantités infiltrées durant les quelques années précédentes. Leur efficacité est surtout reconnue dans les zones où les sols sont développés sur des altérites épaisses. Certains d'entre eux sont collectifs, mais ils sont minoritaires. Les systèmes d'exhaure associés à ces puits ont longtemps été rudimentaires, actionnés par une ou deux paires de boeufs (erukavalei). La Révolution verte indienne, entamée dans les années 1960, avait pour objectif de répondre aux situations récurrentes de famine. Au Tamil Nadu, elle s'est en particulier exprimée par la gratuité de l'électricité, des prêts à faibles taux d'intérêts et des subventions accordées pour le développement de l'irrigation par eaux souterraines. C'est à partir de cette période que se sont diffusés les puits tubés, d'une dizaine de centimètres de diamètre et de plusieurs dizaines de mètres de profondeur, associés à des systèmes d'exhaure motorisés par des pompes au diesel dans un premier temps, puis électriques ensuite. Ces puits tubés permettent l'accès aux nappes phréatiques plus profondes, telles que les nappes captives en zone de socle. Leur émergence est aussi une conséquence des nouvelles variétés hybrides de riz introduites, qui ont des besoins en quantité d'eau élevés et nécessitent une fourniture régulière (Balasubramanian et al., 2003).

Les conditions d'extraction

Cette politique volontariste a été une opportunité pour une partie seulement de la population.

Tous n'ont pu au départ profiter de l'introduction de ces techniques. Malgré les subventions et les crédits accordés, seuls les paysans ayant un capital d'investissement suffisant ont pu entreprendre le creusement de puits ouverts et surtout des puits tubés. Seuls les petits paysans prêts à prendre un risque et à s'endetter en possèdent. Il n'y pas de réglementation précise légiférant l'accès aux eaux souterraines. Selon les lois de l'administration britannique, le propriétaire d'une terre s'octroie généralement le droit d'exploiter les

 

réserves sous-jacentes (Janakarajan, Figure 6 - Schéma résumant les différentes contraintes 2002). Les puits tubés ont permis une exercées sur la ressource

fourniture en eau régulière et ont

coïncidé avec la diversification des cultures, les doubles cultures irriguées et le développement des cultures de rente. Il existe toutefois une forte relation inverse entre la

26

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

densité de puits et la surface irriguée : plus la densité est forte, plus les rendements par puits sont faibles (Vaidyanathan, 2003), ce qui en soi constitue une preuve de l'existence d'un seuil ne pouvant être dépassé et d'une baisse des nappes par surexploitation.

La compétition des approfondissements

Une véritable compétition pour accéder aux ressources souterraines s'est développé depuis plusieurs années. La raréfaction de ces dernières pousse les agriculteurs à creuser toujours plus profondément afin de capter les stocks qui ne se renouvellent pas aussi vite qu'ils sont exploités. Il n'est ainsi pas rare d'observer un étagement de puits à l'intérieur d'un même puits. Les premières techniques consistaient à approfondir simplement les puits ouverts traditionnels de quelques mètres. Une fois la technique disponible et largement diffusée, l'approfondissement des puits ouverts originaux s'effectua par puits tubés avec une pompe motorisée. La diffusion des « bore-wells » tend, elle aussi, à s'accroître ; ce sont des puits à drains horizontaux permettant d'augmenter le rayon d'action du drainage et la productivité de l'ouvrage. Cette course aux approfondissements marginalise une partie de la population, qui ne dispose pas des moyens financiers adéquats pour s'y joindre et accroît la pression sur la ressource. L'aboutissement de ce processus est fréquemment une improductivité totale des puits les moins profonds. On estime que cette improductivité totale affecte 20% des puits du Tamil Nadu (Janakarajan, 2002).

1.3.2 La dégradation des tanks Un désintérêt croissant

Les puits affectent de manière directe la performance des tanks à travers la réduction de la dépendance des propriétaires de puits vis-à-vis des tanks et leur volonté d'augmenter leurs revenus par la vente d'eau de puits. Ils apportent un complément à la performance des tanks en réduisant l'incertitude sur les quantités d'eau fournies par les tanks Le pourcentage d'irrigation par tank au Tamil Nadu est passé de 40% en 1955 à 25% en 2000. Ce désintérêt se matérialise par un manque de maintenance et de réparation des édifices. La centralisation de la gestion des tanks, opérée sous administration britannique, est stigmatisée par de nombreux fermiers comme étant une cause essentielle du manque d'entretien. Lors d'une enquête réalisée en 2002, 80% des fermiers affirment que c'est à l'Etat que revient la charge des opérations de réhabilitation et de maintenance des tanks (Balasubramanian et al., 2003). La déprise actuelle s'explique également parce que la lutte contre les empiétements dans l'espace du tank et contre les comblements progressifs du lit, des chenaux et des canaux suppose des actions socialement, économiquement et politiquement coûteuses.

Relation tank/puits

Il existe tout d'abord un lien hydrologique entre puits et tanks. Bien que les puits bénéficient aussi de la percolation des eaux stagnantes des rizières, les infiltrations des eaux du tank en direction des aquifères est une source importante de recharge des nappes et donc de performance des puits. En ce sens, les investissements en direction du tank pourraient de manière indirecte, déboucher sur une privatisation des eaux du tank, ce qui pose la question de l'utilisation de ces eaux et de l'objectif des tanks. Il existe déjà certains tanks dont l'objectif principal est la percolation des eaux stockées dans le but d'améliorer les rendements des puits. Il est possible que ce principe tende à se généraliser à l'avenir.

27

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

Des études montrent une très forte liaison en « U » entre le nombre de puits et la dégradation des tanks : il y a un impact positif des puits sur la performance des tanks jusqu'à un certain seuil à partir duquel la tendance s'inverse (Balasubramanian et al., 2003).

Certains propriétaires de puits sont favorables au maintien des tanks, car en cas d'assèchement de leur puits, ils peuvent représenter une source d'irrigation essentielle. La plupart d'entre eux ne participent pas financièrement aux opérations de maintenance alors qu'on leur permet d'utiliser les eaux stockées. Cette situation est acceptée en raison du fait que les paysans sans puits sont dépendants des propriétaires de puits qui leur vendent de l'eau.

Le rôle des institutions

La présence de certains acteurs locaux semble permettre le maintien des systèmes d'irrigation traditionnels. Cependant, on ne peut pas observer, sur cet aspect, de dynamique générale. En effet, chaque village prend des décisions qui lui sont propres. Ainsi dans certains d'entre eux, des réunions annuelles visent à déterminer les actions à entreprendre et désignent des volontaires chargés de mener à bien les opérations. Ils sont rémunérés à partir des fonds villageois ou en nature par les agriculteurs qui profitent des actions.

En termes d'actions collectives, la taille du groupe joue un rôle important (Ostrom, 2000). C'est donc indirectement la taille du tank qui peut influencer positivement ou négativement les actions entreprises pour son maintien en bon état, étant entendu qu'un groupe numériquement important aura tendance à moins coopérer.

Les institutions ont aussi un rôle dans l'utilisation des fonds tirés des activités dépendantes des tanks, telles que la foresterie sociale et la pêche. Ces fonds, réinjectés pour les opérations de maintenance des tanks, pourraient permettre une performance acceptable pour tous.

1.3.3 Les impacts sociaux liés aux changements récents des systèmes agricoles

La privatisation de la ressource

La diminution des stocks d'eau et la mainmise d'une minorité de propriétaires sur les stocks disponibles ont provoqué l'émergence d'un marché de l'eau. Bien que l'activité reste informelle et qu'il n'y ait pas de données précises disponibles, le volume des transactions semble très important et devient comparable aux volumes d'autres marchés agricoles (Janakarajan, 2002). La plupart des transactions s'effectuent entre paysans d'un même ayacut afin de faciliter le transport de la ressource. Les modes de paiement varient selon les propriétaires de puits, soit en argent, soit en reversant une partie de la production. Les règles des marchés officiels s'appliquent ici selon l'offre et la demande : les prix fluctuent dans une fourchette qui peut varier selon la saison, le moment dans le cycle cultural, et la source d'approvisionnement énergétique des pompes utilisées. Des prix trop élevés décourageront les acheteurs alors que des prix trop bas ne seront pas intéressants pour le vendeur. Cette privatisation pose des questions éthiques sur le devenir de cette ressource considérée comme un bien public. Elle est aussi significative d'un changement de valeur ; c'est, en effet, l'accès à l'eau qui est aujourd'hui synonyme de prospérité, alors que pendant très longtemps, l'accès à la terre était central. La terre reste cependant le support nécessaire à la pratique de l'agriculture mais rare dans une région fortement peuplée ; elle a un prix en tant que facteur de production (Landy, 1994).

28

Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

Les opportunités de travail

Les ouvriers agricoles sont des employés saisonniers, et l'adoption des cultures de rente comme la canne à sucre a limité les opportunités de travail. Une des conséquences est l'augmentation des migrations en ville pour des emplois mieux rémunérés ou vers les industries sucrières qui tendent à se développer. Ces migrations concernent principalement les hommes durant les périodes d'inactivité agricole. Les ouvriers agricoles sont donc en situation de sous-emploi chronique et d'insécurité (Ramachandran, 2001). Le rôle des femmes tend aussi à se marginaliser. La mécanisation de certaines opérations agricoles, comme le décorticage des fruits de tamarinier, leur enlève des travaux qui leur étaient réservées dans le partage des tâches. Les cultures dans les thottam (zones irriguées par puits) créent aussi moins d'emplois que les cultures précédentes tel que le coton ou les légumes. Enfin, beaucoup n'ont de travail qu'environ six mois de l'année, ce qui engendre des situations d'angoisse et de conflits au sein même des familles.

Le maintien des inégalités

Les inégalités sociales liées au système de castes sont maintenues dans ce processus de modernisation agricole. Malgré une meilleure représentativité politique, le désavantage financier de départ s'est accru et n'a pas permis de rattraper le retard accumulé. La financiarisation de l'agriculture n'a pas été accompagnée d'une augmentation des salaires journaliers, ce qui tend à creuser l'écart de salaires entre la ville et la campagne. Les migrations résultantes de ces différences de salaire engendrent dans certains cas le départ des hommes, qui laissent leurs femmes seules au village avec les enfants. La conséquence directe de ces départs est une dégradation de la santé des femmes restées au village, qui font passer les besoins de leurs enfants avant les leurs. Il existe de manière générale des inégalités entre les castes, entre les sexes, entre les individus, entre les villages, suivant la disponibilité de ressources souterraines, et entre les villes et les villages qui sont en voie de paupérisation.

On peut ainsi s'apercevoir que les bouleversements récents du monde agricole indien n'ont pas eu d'effets bénéfiques sur l'ensemble de la population. Le développement des puits a été rendu nécessaire pour faire face à la croissance démographique et à l'insécurité de la fourniture en eau des tanks. Cependant, l'exploitation sans limite des nappes phréatiques déséquilibre le système que maintenait tant bien que mal le tank. Il semble qu'aujourd'hui, un abandon généralisé des tanks n'est pas souhaitable; mais se pose néanmoins la question de la stratégie à adopter pour le maintien de ce système d'irrigation. Il convient dès lors, à l'échelle d'un bassin versant d'abord, de comprendre comment s'organise l'irrigation par tanks, si des dynamiques générales se dégagent ou si au contraire une certaine hétérogénéité caractérise le système.

29

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

2. Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

L'approche systémique utilisée s'organise autour de la possibilité d'articuler à plusieurs échelles les éléments et les informations tirées de l'analyse. Il convient donc d'abord de s'attarder sur l'unité fondamentale des systèmes hydrologiques continentaux, le bassin versant. Les réponses sociales, par le biais des pratiques ou de l'organisation communautaire, se sont dans un premier temps astreintes aux conditions environnementales avant que la technique n'ait pu, dans un second temps, les en détacher partiellement et inégalement. Nous entendons par là, la distinction qui existe entre les system tanks et les non-system tanks qui fait que les premiers sont moins dépendants des conditions in situ. L'apparition des puits est un autre exemple probant d'une technique dont l'efficacité et la durabilité sont fonctions des pratiques sociales. Les conditions climatiques qui règnent dans le bassin versant ont nécessité la mise en oeuvre de systèmes d'irrigation. Parmi ceux-ci, les tanks sont les plus représentés. Ils ne sont cependant pas répartis de manière homogène; ce sont ces disparités qu'il conviendra d'abord d'analyser. Cette phase précédera l'étude respective des system tanks et des non-system tanks ; selon la qualité de leurs structures et selon la gestion organisée par les strates de la société. Nous verrons enfin l'évolution du lit des tanks, et les différents états de surface, sur une période d'environ 30 ans grâce aux images satellites, qui laissent entrevoir les dynamiques principales ainsi que les usages multiples, qui leur sont liés.

2.1 L'inscription des tanks à l'intérieur du bassin versant

2.1.1 Les données géographiques du cadre d'analyse

Figure 7- Profil longitudinal de la Vaigai-Periyar dans la zone étudiée (extrait à partir des SRTM)

Le bassin versant Vaigai-Periyar draine une aire de 7393 km2 à travers 13 taluks1. Les deux cours d'eau qui le constituent, le Periyar et la Vaigai, confluent à l'amont du lac de retenue créé par le barrage Vaigai, pour s'écouler ensuite en direction de l'est et se jeter dans le golfe du Bengale au niveau de la ville de Ramanathapuram.

Le profil longitudinal de la Vaigai-Periyar, dans la zone étudiée, se divise en trois sections de pente différenciées (cf. figure 7). Le premier tronçon de 50 km présente la pente la plus forte, 0.32%. C'est la portion du talweg occupée

par le Periyar jusqu'à sa jonction avec la Vaigai avant le lac de retenue du même nom. Elle correspond à la partie du bassin versant dans laquelle l'irrigation par tank est minoritaire,

voire marginale, comparée à l'irrigation par puits et par canaux. Les puits sont en effet nombreux dans cette partie en raison de la présence de sols limoneux et argileux très épais et bien drainés, d'une topographie avantageuse (zone de piémont des Southern Ghats) ainsi que d'une pluviométrie mieux répartie dans l'année que dans le reste du bassin. Le deuxième

1 Unité administrative indienne

30

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

tronçon, du 50ème au 150ème kilomètre accuse une pente de 0.18%. Il s'étire de la confluence des deux cours d'eau jusqu'à 15 kilomètres après Madurai, et comprend le lac de retenue du barrage de la Vaigai. C'est dans cette portion que l'on trouve la majorité des canaux connectés à la Vaigai et drainant ses eaux en direction des system tanks. La pente encore importante permet des débits probablement élevés et une fourniture en eau régulière du fait de la proximité du barrage. Ces facteurs sont donc propices à l'alimentation des canaux. La dernière portion, de pente plus modeste, 0.1%, s'étire jusqu'à l'embouchure bordant le golfe du Bengale. Les 30 derniers kilomètres accusent toutefois une pente quasiment nulle et correspond au paléo-delta de la Vaigai. C'est dans ce tronçon final que les non-system tanks sont les plus nombreux. Ceci peut s'expliquer par le débit sans doute plus faible du cours d'eau en raison de l'utilisation de ses eaux en amont, et donc d'une fourniture plus incertaine. Au niveau climatique, le bassin versant bénéficie des deux moussons : celle du NE contribue à environ 45% du total annuel tandis que la mousson d'été y participe à hauteur de 30% par des averses qui alimentent l'amont montagneux. La tête de bassin reçoit en moyenne une plus grande quantité de précipitations que le reste, en raison de la période des mango showers plus arrosée, et d'une mousson d'été plus active.

Les conditions climatiques de son bassin sont toutefois loin d'être favorables à la formation d'un cours d'eau pérenne. Ainsi, avant la diversion du flot du Periyar, la Vaigai avait pendant une ou deux semaines de très fortes crues qui étaient vite évacuées, et se réduisait à un misérable filet d'eau le reste de l'année (Adiceam, 1966). Depuis la contribution du Periyar, elle a un débit plus considérable et plus soutenu.

Figure 8- Carte des densités, et des populations, des 13 taluks du bassin versant de la Vaigai-Periyar en 1991 (source - Sipis)

En prenant en compte les limites administratives des taluks, et non pas les limites physiques du bassin versant, la population totale est de 2 523 477 personnes pour une densité moyenne de 307 habitants au km2 (cf. figure 8). Cette densité de population n'est pas homogène le long du bassin versant : on remarque une opposition entre la partie haute du bassin, densément peuplée, et la partie basse moins dense, exception faite du taluk littoral de Ramanathapuram. L'attrait particulier de ce taluk peut être associé à des facteurs historiques de peuplement ainsi qu'à des opportunités spécifiques aux espaces littoraux ; ces facteurs n'étant pas indépendants l'un de l'autre. La forte densité de population dans la partie centrale doit être associée à la présence de Madurai, qui est la ville principale du bassin versant, et de l'attraction qu'elle exerce sur les campagnes environnantes. L'attrait de la partie supérieur est à relier aux opportunités agricoles en raison des conditions environnementales particulièrement favorables

31

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

qui y règnent. Malgré ces fortes densités, la population active est majoritairement rurale et agricole (environ 50%). L'attachement de la population à la terre est fort et implique une maîtrise de l'eau pour répondre aux besoins de l'agriculture.

2.1.2 La distribution des systèmes d'irrigation et des principales cultures agricoles (cf. figure 9)

Environ 40 % des terres cultivables du bassin versant sont irriguées. Parmi elles, les tanks en irriguent 50% (dont un quart par les system tanks), les puits 30%, et les canaux 20%. La proportion des surfaces cultivables irriguées par quelque source que ce soit est plus faible dans la section supérieure que dans la partie médiane, mais plus élevée que dans la partie inférieure du bassin (cf. figure 9). Toutefois, il n'apparaît pas de corrélation évidente entre un quelconque système d'irrigation et une forte proportion de terres irriguées. Certains facteurs endogènes et locaux jouent donc un rôle dans ces différenciations territoriales. Un examen, plus détaillé, révèle néanmoins que le secteur aval dans lequel l'irrigation est effectuée uniquement sous le commandement d'un tank, est généralement associé à des taux d'irrigation plus faibles.

Quant à la disponibilité des sources d'irrigation, le bassin observe une division tripartite. Les eaux souterraines sont la principale source dans la section supérieure, alors que l'irrigation par tank y est négligeable. Les principaux systèmes d'irrigation sont présents dans la section médiane avec toutefois une omniprésence marquée des canaux et des puits alors que l'irrigation dans la partie aval se fait entièrement par tanks.

Les cartes combinant les systèmes d'irrigation, et les types de cultures, font apparaître que les taluks dans lesquels l'irrigation par tanks est prépondérante, sont ceux où la riziculture est majoritaire. Cette association détermine une rupture, assez nette, de la domination de la riziculture, entre le tiers supérieur, et le reste du bassin versant.

A contrario, l'irrigation par puits n'est pas corrélée de manière significative aux cultures de rente (canne à sucre, cocotiers, coton, arbres fruitiers, etc.), en dehors de la section supérieure qui confirme la règle ; les puits sont ici très majoritaires et la proportion des cultures de rente est de l'ordre des 20%. Notons que le district de Ramanathapuram se dégage des autres du fait d'un taux important de cultures de rente, alors que l'irrigation des terres cultivables est faible et que les tanks sont la principale source d'irrigation. Nous verrons que les facteurs édaphiques liés à une forte capacité de rétention favorisent la diversification des cultures et en particulier la présence de certaines cultures de rente. Ceci laisse à penser que les stratégies paysannes se soient ici adaptées aux potentialités physiques, et plus récemment, au marché. Les zones de tanks sont globalement associées à la monoculture de paddy irrigué. De fait, les zones irriguées par d'autres systèmes que les tanks, ou par plusieurs systèmes à la fois, présentent une diversification des cultures plus grande. Là où cela ne se vérifie pas, c'est que d'autres facteurs, comme les sols ou les stratégies individuelles par exemple, permettent cette diversification. Tel est le cas pour les taluks de Manamadurai et de Ramanathapuram qui présentent des taux important de culture de rentes et des taux d'irrigation par tanks parmi les plus forts.

En conclusion, la présence d'une culture est liée à la disponibilité de l'eau, disponibilité naturelle ou organisée, qui est elle-même dépendante non seulement des capacités du milieu mais aussi des choix de société, des capacités et possibilités individuelles (capital financier, culturel) et de l'altruisme communautaire (actions collectives).

32

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

Figure 9 - Cartes des systèmes d'irrigation, et des cultures irriguées, dans le bassin versant de la Vaigai-Periyar

33

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

2.1.3 Les tanks du bassin versant

Figure 10 - Profil spectral de l'eau (source : Landsat Thematic Mapper)

Afin de travailler sur des données spatialisées à l'échelle du bassin versant, l'utilisation de la télédétection s'est avérée fondamentale. Les atouts principaux de cet outil sont, premièrement, qu'il permet une approche synoptique de l'espace et, deuxièmement, qu'il permet de réaliser des analyses diachroniques des éléments spatialisés.

L'objectif premier du travail a été la détection des tanks en eau. Ceci est rendu possible par

le fait que l'eau est un élément présentant une

réponse spectrale spécifique (cf. figure 10). Sa courbe de réflectance présente en effet la

particularité d'être régulièrement décroissante depuis le visible jusqu'au proche infrarouge, bande dans laquelle la valeur de la réflectance devient très faible et s'annule (Girard, 1989).

La variabilité temporelle des stocks d'eau dans les tanks est dans notre cas le facteur primordial à prendre en compte avant toute interprétation. C'est la raison pour laquelle une attention particulière a été portée sur la date d'acquisition des images1. La date du début de l'utilisation des eaux du tank peut varier d'un tank à l'autre. Toutefois, les paysans commencent généralement à utiliser l'eau du tank après les opérations de labour et de repiquage qui sont, elles, généralement effectuées lors des premières pluies. Le tank ensuite se remplit progressivement selon un rythme qui dépend des ponctions par les ayacutdars et de la mousson en cours. On peut considérer que la fin de la saison des pluies marque la période de remplissage maximum.

Afin de couvrir un pas de temps le plus large possible, nous nous sommes appuyés sur les images de la région les plus anciennes, soit celles du satellite Landsat équipé du capteur MSS (Multi Spectral Scanner). Trois images de ce satellite concernent notre zone, dont deux d'entre elles ont été acquises en 1973 et une en 1979. Les jours d'acquisition se situent durant les deux premiers mois de l'année, ce qui est favorable à la présence simultanée de tanks bien remplis sur l'ensemble du bassin versant. Par une méthodologie appropriée2, il a donc été possible de détecter les tanks en eau dans les années 1970 (cf. figure 12).

Avant toute interprétation, il faut caractériser et évaluer l'intensité de la saison des pluies de l'année précédente par rapport à la moyenne observée. Pour ce faire, nous disposons de séries des totaux pluviométriques annuels de 1941 à 2000 pour 34 stations du Tamil Nadu. Le calcul des écarts-types pour chaque année et pour chaque station a été précédemment réalisé (Gunnell et al, soumis). Nous avons ensuite intégré dans un même graphique tous les écarts-types de chaque station pour les années considérées, ce qui permet de caractériser les totaux pluviométriques de ces années par rapport aux moyennes de la série.

Les graphiques réalisés (cf. figure 11) permettent de caractériser l'année 1972 comme une année relativement bien arrosée avec des excédents d'eau par rapport à la moyenne sur 60 ans dans presque toutes les stations. L'année 1978 est plus contrastée, même si les écarts-types positifs sont sensiblement plus nombreux. On peut donc affirmer que la carte des tanks créée reflète une situation de conditions climatiques favorables à leur remplissage.

Une première observation, qui a son importance, concerne la présence d'une couverture nuageuse dans le secteur médian du bassin versant. C'est une variable aléatoire et récurrente qui est techniquement insurmontable. Certains résultats sont donc susceptibles de ne pas

1 Toutes les images ont été téléchargées à partir du site internet de l'université du Maryland ( http://glcfapp.umiacs.umd.edu:8080/esdi/index.jsp)

2 Se référer à l'annexe 2 pour la méthodologie employée

34

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

Figure 11 - Diagrammes des écarts-types à la moyenne pour 34 stations du Tamil Nadu (source : Gunnell et al, soumis)

représenter de manière parfaite la réalité ; c'est pour cette raison que nous le préciserons à chaque fois que cela sera nécessaire. On peut aussi préciser que l'ajout de la marge littorale, extérieure aux strictes frontières du bassin versant de la Vaigai, se justifie par l'intérêt d'adopter une méthode comparative entre plusieurs sous-régions adjacentes, concernées par l'irrigation au moyen des tanks.

En termes de chiffres bruts, nous avons pu détecter 2361 tanks qui occupent une superficie de 764,25 km2 (pour une moyenne donc de 32 ha par tank). En considérant la superficie totale du bassin versant et de sa marge littorale, qui est de 11310 km2, les tanks occupent 6,75% du territoire. Leurs surfaces respectives varient de quelques hectares jusqu'à un maximum de 1472 ha pour le plus grand d'entre eux.

On voit clairement apparaître des disparités territoriales quant à leur emprise spatiale. Ils sont très faiblement représentés dans la section supérieure et sont de taille limitée, ce qui explique

leur part restreinte dans l'irrigation des terres cultivables. Dans la section médiane, ils sont déjà plus nombreux. Leurs tailles et leurs formes hétérogènes semblent correspondre à la présence conjointe de system tanks et de non-system tanks. La section aval est, quant à elle, occupée par des tanks généralement plus grands et de formes adaptées à la pente du terrain, ce qui est caractéristique des non-system tanks.

La marge littorale est la plus densément occupée par les tanks ; leur emprise spatiale y est très forte. Cet agencement spatial est la signature des « cascade tanks ».

L'intérêt de ce bassin versant réside dans cette diversité structurelle et fonctionnelle des tanks dont la télédétection permet d'effecteur un zonage précis ainsi qu'une étude plus fine de ses composantes territoriales.

35

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

Figure 12 - Carte générale des tanks du bassin versant de la Vaigai et de sa marge littorale

36

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

2.2 La gestion sociale et institutionnelle des tanks : entre tradition et modernité

D'après l'analyse des images Landsat MSS, 1049 tanks ont été détectés dans le bassin versant de la Vaigai-Periyar (sans la marge littorale). Les tailles s'échelonnent de moins d'un hectare (3200 m2) à 10 km2 pour le plus grand d'entre eux, pour une moyenne de 27 ha. Ce mode d'irrigation est le plus important du bassin versant en termes de surfaces irriguées (40% des terres irriguées).

Dans cette partie, 25 tanks ont été étudiés. Ils sont tous gérés par le Département des Travaux Publics (PWD), et irriguent donc, chacun, un ayacut de plus de 40ha. Une distinction a été établie entre les system tanks et les non-system tanks (cf. figure 14).

2.2.1 Les caractéristiques structurelles et fonctionnelles

On entend par « structurel » tous les éléments qui composent le tank lui-même et ceux dont son fonctionnement même dépendent (les digues, vannes, surplus, chenaux sont les principaux).

Ces éléments structurels ont tous, sur un plan fonctionnel, une importance primordiale. Ce sont parmi les variables qui comptent le plus pour établir le degré de performance. Un état général dégradé ne permet, ni d'optimiser un stockage proportionnel aux disponibilités, ni une utilisation maximale de la ressource à des fins agricoles. Les matériaux de construction utilisés, tel que la terre ou la brique, qui servent à la réalisation des digues et des vannes, connaissent un vieillissement naturel. Les actions mécaniques de la météorisation, les pressions exercées par les écoulements (augmentées durant les périodes de crues) ainsi que les dégradations d'origine anthropique, affectent la stabilité des structures maçonnées. Ceci est particulièrement vrai pour les digues : apparition de brèches du fait de la pression latérale des eaux stockées ; affaissements, en réponse aux passages répétés de trafic routier sur la crête des digues, qui servent souvent de voies de communication ; ou encore érosion hydrique prononcée. Ces phénomènes sont difficilement quantifiables, mais ils affectent dans tous les cas la performance globale du tank, autant au niveau du stockage que dans la restitution des eaux à l'ayacut.

À première vue, des différences notables existent entre les structures des deux types de tanks (cf. figure 13). On remarque que les non-system tanks n'ont pas de réseaux d'adduction en bon état. Cela signifie qu'ils sont, soit en voie de comblement, soit envahis par de la végétation spontanée, soit les deux à la fois. A l'opposé, six system tanks sur treize ont des réseaux en bon état général.

Figure 13 - Etats des structures des tanks sélectionnés

37

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

Figure 14 - Localisation des system tanks et des non-system tanks étudiés

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

Cela peut être la conséquence d'écoulements plus réguliers dans les chenaux des system tanks, limitant, par des phénomènes érosifs, la progression de la végétation et dégageant les matériaux les plus fins du lit. Des apports plus réguliers d'eau peuvent, en revanche, augmenter la sédimentation suivant le débit considéré. En observant plus finement les données, on se rend compte que les sources principales du mauvais état de ces chenaux sont l'envahissement par la végétation pour les system tanks alors qu'elles sont doubles pour les non-system tanks (envahissement et comblement). La conséquence directe de ces obstructions est la réduction de la capacité d'écoulement et donc des apports servant à l'irrigation des ayacuts.

Ce qui est appelé surplus, ou régulateur, est la structure qui permet d'évacuer les eaux lorsque le tank a atteint son niveau de remplissage maximum. Les eaux sont ensuite destinées à remplir les tanks situés en aval, ou bien peuvent être définitivement perdues dans le cas de certains tanks proches du golfe du Bengale. Un ébrèchement signifie une diminution de la capacité de stockage. Une fois encore, l'état des régulateurs est bien meilleur pour les system tanks. Seuls les non-system tanks de la partie aval ont des régulateurs en bon état. En croisant ces informations avec le nombre de mois pendant lesquels les tanks atteignent leur niveau de remplissage maximal, on remarque une corrélation positive entre ces deux éléments, ce qui se vérifie, particulièrement, pour les non-system tanks. Cela semble être le signe que des actions de maintenance sont entreprises dans ces tanks, reflétant une certaine dépendance des populations vis-à-vis de ce mode d'irrigation.

Concernant l'état des digues, on peut remarquer que ce sont les system tanks à proximité de la Vaigai qui présentent les meilleurs résultats. Cette position en section supérieure pourrait s'expliquer par des écoulements à plus forte capacité en provenance des canaux et chenaux, nécessitant des digues en bon état afin de contenir les flots. On remarque par contre une forte corrélation spatiale entre les digues de non-system tanks en bon état et la densité de puits dans les ayacuts. Cela pourrait relever d'une prise de conscience de l'importance du tank dans la recharge des nappes phréatiques et donc de la nécessité d'un entretien régulier des digues.

Enfin, en ce qui concerne les vannes et les structures de contrôle des eaux, on remarque que celles des system tanks sont elles aussi en meilleur état et qu'elles sont, avec les régulateurs, les structures qui présentent l`état général le plus satisfaisant. Ceci s'explique par le fait que les réparations à effectuer sont moins coûteuses et plus facile à mettre en oeuvre. On peut relever que quatre non-system tanks n'ont aucune des structures mentionnées en bon état. De manière générale, l'état des non-system tanks est plus dégradé que celui des system tanks.

Les processus de comblement, résultant de l'érosion des terres arables en culture pluviale situées dans l'aire contributive des tanks, affectent de manière importante les deux types de tanks (cf. figure 15). Il apparaît néanmoins clairement une opposition concernant les non-system tanks entre la partie amont et aval du bassin versant. La turbidité des eaux peut agir en faveur d`un comblement prononcé. Ce processus est un des plus dommageables et des plus fréquents parmi ceux qui réduisent la performance des tanks.

Figure 15 - Cartes des taux de comblement des tanks sélectionnés

38

39

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

Par ces observations, on touche au point le plus sensible des tanks, à savoir qu'ils nécessitent un effort de la société et des communautés pour maintenir leur fonction principale, à savoir celle d'irriguer. Pour affiner l'analyse, il convient donc de s'attarder sur les principes de gestion et sur les modalités des actions entreprises.

2.2.2 Les gestionnaires de l'eau

Les missions premières du PWD sont de réguler les écoulements des canaux en fonction des disponibilités en eau, et d'entreprendre des travaux pour le maintien en état des canaux, chenaux, et structures du tank (Vaidyanathan, 2001). Ses fonctions et son champ d'action sont diversifiés et étendus au niveau du bassin versant. Les lascars sont des employés du PWD qui ont la responsabilité d'appliquer la politique et les recommandations énoncées par le PWD. A l'échelle du village, ce sont principalement des organisations informelles qui se structurent autour des anciens, des membres de la caste dominante et des ayacutdars, et pour lesquelles les objectifs principaux résident dans la gestion locale de la ressource et des conflits potentiels. Aux anciens, dénommés ambalams ou nattanmais, reviennent les fonctions décisionnelle et exécutive. Ils sont désignés localement par les gros propriétaires de la caste dominante et peuvent par exemple décider d'un éventuel rationnement ou arbitrer un conflit entre ayacutdars. Cette fonction relève du droit coutumier, à l'instar des thotties et kavals qui sont désignés et habilités par l'organisation villageoise pour effectuer des travaux relatifs à l'irrigation. Ce sont principalement des intouchables qui effectuent ces petites opérations. Leur rôle est secondaire au regard des actions incombant aux neerkatties et les madaiyans. Le rôle du neerkatti est d'irriguer l'ayacut dans son ensemble toute l'année, ou bien, selon les tanks, uniquement en période de pénurie afin de maximiser l'eau disponible et de réduire les conflits. Les madaiyans sont, eux, chargés d'ouvrir et de fermer les vannes et ainsi réguler les apports. Ces fonctions sont principalement occupées par des intouchables. On peut noter que la plupart des fonctionnaires en place ont hérité la fonction d'un proche et pour certains possèdent des parcelles dans l'ayacut considéré.

A l'exception de trois system tanks alimentés par le TMC (Thirumangalam Main Canal), tous les tanks sont affectés d'un ou plusieurs fonctionnaires1 (cf. figure 16). Les plus représentés sont les thotties et les madaiyans pour les system tanks, les neerkatties et les thotties pour les non-system tanks. Quantitativement, ces non-system tanks sont mieux lotis, ce qui dénote une attention plus prononcée des collectivités à l'encontre du tank et qui, dans le cas précis de la partie aval du bassin versant de la Vaigai, s'explique par l'absence de sources d'irrigation alternatives et donc d'une dépendance plus forte à l'égard des tanks.

Cette dépendance crée une dépendance à l'égard de la mousson, ce qui a pour résultat de fragiliser le système par le caractère incertain des précipitations et donc des apports d'eau. La présence de fonctionnaires est particulièrement importante lors des périodes de déficit hydrique qui incitent aux rationnements de l'eau2 pour un partage équitable et pour une distribution spatiale optimale lorsque cela est possible. Ils peuvent aussi inciter les paysans à utiliser des variétés de paddy à cycle court si les prévisions ne sont pas bonnes (Seenivasan, 2003). La prépondérance des madaiyans dans les system tanks, au dépend des neerkatties, est le signe d'une fourniture en eau plus importante en volume et sécurisée, qui nécessite malgré

1 Fonctionnaire est entendu ici dans le sens d'appliquer une fonction et non comme un agent de l'état

2 Plusieurs types de rationnements sont possibles : apports de la tête à la queue de l'ayacut ou l'inverse, rotations des apports selon les parcelles ou selon le temps, aucune fourniture aux propriétaires de puits, ou alors accord spontané entre les ayacutdars de leur propre chef (recours rare car difficile à mettre en place).

40

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

tout une personne chargé de l'ouverture des vannes. Ces derniers sont généralement mieux rémunérés par les ayacutdars que les thotties1.

Figure 16- Nombre et type d'employés chargés des opérations d'irrigation dans les tanks sélectionnés

1 Les rémunérations s'effectuent principalement en nature ; ici, de 0.8 à 4.4 marakkal/ha/saison (1 marakkal = 4,5 kg de paddy)

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

41

Figure 17 - Principales actions des fonctionnaires

42

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

Ces fonctionnaires ont donc un rôle primordial dans l'organisation sociale de la gestion de la ressource. Ils contribuent directement au maintien de son statut de bien commun accessible à tous, sous condition de posséder ou de travailler une parcelle de l'ayacut. Dans le cas des tanks gérés par le panchayat ou ceux des terres anciennement sous régime zamindar, le neerkatti réunit à lui seul toutes les tâches, non seulement du fait de la taille réduite des tanks et des ayacuts, mais aussi en raison de la forte variabilité de l'alimentation.

Plus en détail, la différence du nombre de fonctionnaires entre les deux types de tanks s'exprime aussi dans les tâches effectuées qui sont plus diversifiées dans le cas des non-system tanks (cf. figure 17). Une des différences fondamentales, dans le cas de non-system tanks, est qu'ils entreprennent directement ou émettent des recommandations précises sur les réparations et les opérations de maintenance à effectuer. C'est particulièrement vrai pour les tanks du paléo-delta de la Vaigai qui sont les mieux lotis quantitativement et qualitativement. Dans ce cas précis, ils représentent une catégorie centrale d'acteur, à partir de laquelle sont émises les décisions et les recommandations sur les actions collectives à entreprendre. Si leur statut héréditaire leur confère un certain honneur auprès de la collectivité, il leur permet aussi une certaine légitimité vis-à-vis des paysans, plus à même de suivre leurs recommandations. Ils constituent donc un rouage essentiel du système alliant les coutumes traditionnelles et locales de gestion, aux politiques centralisées et modernisatrices (par le biais du PWD), et font office de contrepoids à la privatisation rampante de la ressource qui va de pair avec la multiplication des puits privés (cf. partie 3).

2.2.3 L'implication des acteurs dans la gestion des tanks

Le meilleur moyen d'établir le degré d'intervention des acteurs revient à considérer les investissements financiers réalisés. Le PWD est sensé être le garant de la bonne tenue des structures et des divers aménagements du tank.

Il est effectivement intervenu dans la plupart des tanks sélectionnés mais de manière assez inégale et très ponctuelle entre 1990 et 1995 (cf. figure 18). Cette inégalité se retrouve non

Figure 18- Contributions du PWD et des ayacutdars dans les opérations de maintenance et de réparations des tanks

seulement d'un tank à l'autre mais aussi et surtout entre les deux types de tanks parmi lesquels les system tanks apparaissent favorisés. Les actions entreprises sont essentiellement des opérations de maçonnerie : renforcement des digues et réparation/reconstruction des vannes, et des opérations de déblaiement des chenaux. Les non-system tanks ont toutefois bénéficié d'une maintenance des chenaux quantitativement plus importante (cinq non-system

43

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

tanks contre deux system tanks). Cette attention particulière aux system tanks explique les différences d'état des infrastructures analysées plus haut et s'avère être le résultat d'une politique favorisant les system tanks au détriment des non-system tanks. Appartenant à un réseau plus complexe et plus coûteux (canaux, barrages, régulateurs), le gouvernement tiendrait donc à s'assurer du bon fonctionnement des system tanks.

En contrepartie, la maintenance des non-system tanks incombe beaucoup plus largement aux ayacutdars et aux organisations villageoises. Leurs engagements financiers sont plus élevés et les actions entreprises plus nombreuses (cf. figure 18). Le renforcement des structures est également leur principale activité. Ils fournissent néanmoins un effort particulier dans les tanks du paléo-delta en combattant l'avancée de certaines plantes aquatiques invasives (Vaidyanathan, 2001).

Ces actions sont le résultat d'un effort collectif qui peut ou non être rémunéré par le village. Lorsqu'une situation extrême l'exige, une coopération s'organise entre les ayacutdars, sous l'oeil attentif de l'organisation villageoise. Lorsque des volontaires sont désignés, leur rémunération est assurée par les ayacutdars, la plupart du temps en nature. Un des problèmes majeur est le manque de fonds à l'échelle du village. C'est une des raisons pour lesquelles certains d'entre eux utilisent les bénéfices tirés du tank (ventes aux enchères du bois, ressources piscicoles, etc.) pour les réinvestir dans les opérations de maintenance. Néanmoins ces décisions sont dépendantes des dirigeants en place et de leur caste. Les bénéfices peuvent être utilisés pour augmenter le capital symbolique ou honorifique d'un groupe familial ou social (ou celui de la caste) par le biais d'une rénovation du temple, par exemple.

La fréquence avec laquelle sont effectuées les actions des ayacutdars est plus forte que dans le cas des tanks entretenus par le PWD, ce qui suppose une efficacité accrue, étant entendu que les structures subissent de fortes sollicitations extérieures d'une année sur l'autre.

Enfin, une remarque importante tient au fait qu'on observe une relation inverse assez forte entre la densité de puits dans l'ayacut et l'intensité de la contribution des ayacutdars, a fortiori dans les sections médianes et supérieures. L'accès à une source alternative réduit en effet la dépendance au tank, et donc les engagements pour maintenir sa performance. Ceci s'en ressent au niveau de la cohésion du village.

2.2.4 Les raisons politiques de la dégradation

Ces différences observées à plusieurs échelles sont une conséquence indirecte de la colonisation britannique et une des raisons de la dégradation structurelle de certains tanks. L'attribution de la gestion des plus grands tanks au PWD s'est maintenue après l'indépendance, pérennisant en partie le système instauré précédemment par l'administration britannique. Ce système s'appuyait sur une gestion centralisée des tanks, en excluant les communautés locales des prises de décisions. L'émergence du PWD a ensuite coïncidé avec une organisation tournée autour de deux objectifs, économiques et politiques (politique des grands travaux, financiarisation de l'agriculture), qui n'ont pas toujours montré des résultats satisfaisants, en particulier sur le plan environnemental (pression exacerbée sur la ressource et utilisation exponentielle d'intrants chimiques après les années 1960).

Les villages ont souvent perdu leur autonomie financière et leur sentiment de responsabilité vis-à-vis de la gestion des ressources en eau ; cela s'exprime aussi à travers le discours des villageois, qui voient dans l'état le seul responsable de la détérioration des tanks (Balasubramanian et al., 2003).

44

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

2.3 Les changements d'états de surfaces des lits des tanks

Les analyses diachroniques des états de surface du lit des tanks portent sur ceux ayant été détectés à partir des images satellites MSS. En raison des dates d'acquisition variées, les analyses portent successivement sur des portions du bassin versant.

2.3.1 La partie aval du bassin versant

La grande majorité des tanks de cette section sont des non-sytem tanks. Ils occupent le paléo-delta de la Vaigai sur lequel sont installés des vertisols (sols noirs), riches en montmorillonite. Malgré leurs propriétés chimiques favorables à l'agriculture (bonne capacité d'échange cationique des argiles), les propriétés gonflantes des argiles en font des sols difficiles à travailler (Duchaufour, 1997).

La caste des Maravars domine cette région, dont les cultures principales sont le paddy et le piment, accompagnés, mais dans une moindre mesure par le coton. Ce n'est pas une zone dans laquelle les puits sont très développés compte tenu de la présence de nombreux aquifères salins. Ramanathapuram est la ville principale, et les données pluviométriques qui lui sont associées permettront des comparaisons qualitatives et quantitatives.

Figure 19- Diagramme par écart-types à la moyenne des totaux annuels pluviométriques de Ramanathapuram

Carte A (cf. figure 20)

Le premier élément remarquable est la concentration des eaux dans les tanks les plus

grands (en particulier le Ramnad Big Tank, ou

RBT, à l'ouest de Ramanathapuram) et dans leurs satellites, les endal tanks, qui sont

connectés entre eux par un réseau complexe de chenaux. L'année 1987 est considérée comme normale, avec un total de pluviosité autour de la moyenne sur 60 ans (1941-2000) (cf. figure 19). En raison de la date d'acquisition de l'image, la saison samba est terminée et l'eau disponible sera utilisée pour une seconde récolte de paddy, ou pour des légumineuses afin de fournir du fourrage et enrichir la fertilité des sols (Seenivasan, 2003). La présence de sols humides indique une exondation plus ou moins récente. Il est difficile d'évaluer avec précision le moment du retrait de l'eau, en raison de la forte capacité de rétention et du drainage limité des Vertisols qui implique un ressuyage très lent. Il est toutefois vraisemblable que l'absorption s'est réalisée durant une phase de la précédente saison des pluies. Le lit des tanks situés près de la côte est majoritairement occupé par des sols nus et secs ce qui s'explique par la présence de sols sableux avec une capacité de drainage très importants. Ces caractéristiques poussent les populations alentour à utiliser l'eau du tank rapidement afin de limiter les pertes par infiltration.

Environ 37% de la surface de l'ensemble des lits est végétalisée, dont plus du tiers par de la végétation à forte activité chlorophyllienne. Cette catégorie peut regrouper des plantes aquatiques1, de la végétation herbacée à fort taux de recouvrement ou encore des cultures (Vaidyanathan, 2001 ; Mosse, 1997). Ce sont tout particulièrement les tanks à l'intérieur des terres qui sont concernés. Les portions qui correspondent à de la végétation à faible et moyenne activité chlorophyllienne s'assimilent, elles, à la présence d'une strate herbacée à faible ou moyen taux de recouvrement, constituant un pâturage pour le bétail, ou à une strate

1 Certaines comme la jacinthe d'eau, prolifèrent dans les étendues riches en éléments nutritifs (Agarwal et al., 2001). Ceux-ci peuvent être d'origine humaine (effluents) ou agricole (lessivage des terres cultivées enrichies en engrais organiques ou minéraux).

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

arbustive, dont certains représentants sont plantés dans le cadre de la foresterie sociale (Prosopis juliflora, Acacia nilotica) (Aiyasamy, 1982 ; Mosse, 1997). La garde du bétail est souvent confiée aux sans-terres (Roussary, 2003). Ces derniers appartiennent pour la majorité d'entre eux à la caste des Paraiyars, caste d'intouchables très représentée dans le pays tamoul.

Un peu plus d'un mois après la fin de la saison des pluies, la majorité des tanks ont donc été vidangés et sont occupés pour moitié par de la végétation et pour moitié par du sédiment nu. L'apparition de certains végétaux peut être reliée à un manque d'entretien des structures. En dehors d'un manque de mobilisation collective en faveurs d'actions de réhabilitation, il est probable que les digues utilisent en partie le matériel disponible sur place. Ces argiles des sols noirs subissent des alternances de gonflement et de rétraction, respectivement en saison humide et saison sèche, engendrant des fentes de retrait et des brèches qu'il faut colmater. Ceci peut être une des raisons du mauvais état général des digues.

Carte B (cf. figure 20)

La première information est la réduction significative de la surface en eau, et tout particulièrement dans les grands tanks comme le RBT.

Seuls quelques tanks littoraux ont un approvisionnement correct compte tenu de la surface inondée. L'année 2000 est pourtant une année plus pluvieuse que la moyenne, mais fait suite à une année 1999 légèrement en deçà de la moyenne. Il faut noter la couverture nuageuse, lors de l'acquisition de l'image, qui perturbe l'interprétation.

A cette période de l'année, le stock d'eau ne devrait pourtant pas être loin de son maximum. Les sols nus et secs l'emportent pourtant sur les sols humides, ce qui n'indique pas une exondation récente (cf. tableau 1). De la même manière, la végétation à forte activité chlorophyllienne, généralement associée à la présence d'humidité, a disparu au profit de végétaux probablement plus adaptés aux substrats à faible teneur en eau. Une observation similaire à celle faite précédemment distingue les tanks proches du littoral (sédiments

 

Surface (hectares)

Etats de surface

A

B

C

D

Végétation

faible

1550

1700

1385

nul

 

activité

(18%)

(17.8%)

(32.5%)

 
 

activité

460

1217

nul

nul

 

moyenne

(5.4%)

(12.8%)

 
 
 

forte

1187

nul

nul

nul

 

activité

(13.8%)

 
 
 

Sol nu

sec

1184

3030

1751

5133

 
 

(13.8%)

(31.8%)

(40.8%)

(75,4%)

 

humide

1502

2215

1137

1665

 
 

(17.5%)

(23.3%)

(26.5%)

(24.4%)

Eau

2688

1358

15

12

 

(31.5%)

(14.3%)

(0.2%)

(0.2%)

Total

8571

9520

4288

6810

Tableau 1 - Etats de surface dans le lit des tanks (partie aval)

sableux) de ceux de l'intérieur des terres, plus végétalisés.

A partir des années 1990, les variétés hybrides de paddy (CO43, IR20, White ponni) ont remplacé progressivement, dans cette région, les variétés traditionnelles pour être aujourd'hui majoritaires (Seenivasan, 2003). Il est fréquent que leur utilisation aille de pair avec l'annonce d'une mauvaise mousson. Du fait des cycles courts, la récolte de la saison samba est avancée, ce qui peut avoir pour conséquence une utilisation précoce et plus intense des eaux du tank.

D'après ces indices, et au vu des

45

situations climatiques respectives, il est probable que l'utilisation et la maintenance des tanks aient connu une baisse d'intensité entre 1988 et 2000. Les systèmes de cultures récemment adoptés ont forcément fait évoluer les pratiques agricoles ainsi que le calendrier cultural, quoique dans une moindre mesure, pour ce dernier compte tenu de la dépendance à l'égard de la mousson. D'autre part, la variabilité de la couverture végétale reflète le fait que cette végétation occupe temporairement le lit des tanks, soit à la faveur des conditions naturelles, soit par une volonté sociale, soit encore par manque d'entretiens continus et

46

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

réguliers. Toutefois, cette variabilité locale du type de végétation est contrastée par une persistance à l'échelle globale d'une couverture qui occupe environ 30% de la surface des tanks. Comme on l'a vu, le comblement important dans cette région est aussi un facteur réduisant la capacité de stockage, et donc l'utilisation différée de l'eau stockée.

Carte C (cf. figure 20)

Le premier élément fondamental est la succession d'années très déficitaires en terme de totaux pluviométriques de 1989 à 1992. La date d'acquisition de l'image reflète donc une situation de déficit hydrique marqué caractéristique des périodes de sècheresse. Les chiffres bruts sont significatifs, le tiers de la surface est occupée par de la végétation à faible activité chlorophyllienne (strate herbacée à faibles taux de recouvrement et strate arbustive), alors que les deux tiers restants sont des sols. Précisons que le dépôt de sédiments est un phénomène qui accompagne les phases d'inondation et donc de ruissellement ; un tri sélectif s'opère durant ces phases entre les particules de diamètres distincts. Il en résulte un classement granulométrique entre les particulières grossières (sable, gravier) et les particules fines (limon, argile) respectivement de l'amont vers l'aval. Ces particules fines représentent un fertilisant pour les terres agricoles (aussi bien punjai que nanjai), mais leur utilisation se restreint du fait de la diffusion des engrais chimiques, plus faciles à épandre. Certains paysans, dont beaucoup de sans-terres ponctionnent aussi ces sédiments fins pour des activités de briquetage et de poterie. Cette activité nécessite non seulement un effort de transport mais est aussi très éprouvante pour l'organisme lorsqu'elle est fait de manière artisanale (Deliège, 1997 ; Palayan, 2003). La majorité des sols humides est ici concentrée dans six tanks seulement, qui sont parmi les plus grands et auxquels sont associées des aires contributives étendues.

Carte D (cf. figure 20)

La situation avant le début la saison des pluies est démonstrative d'un assèchement généralisé des tanks, malgré des années 2000 et 2001 plus pluvieuses que la normale. Plus de 75% des sols sont considérés comme secs. Il est ainsi évident que la saison sèche et chaude, ainsi que la mousson d'été, qui n'apporte que de faibles pluies, sont défavorables aux tanks et à leur utilisation.

La vulnérabilité du système des tanks provient de cette incertitude du stock d'eau disponible. Cependant, leur avènement historique a probablement émergé en réponse à cette variabilité pluviométrique qui rendait l'agriculture pluviale encore plus aléatoire dans un contexte de croissance démographique (Gunnell et al., soumis). L'apparition récente de sources alternatives d'irrigation, tel que les puits, pose la question aux paysans de la conciliation des différents systèmes d'irrigation.

On peut, de plus, relier le développement limité de la végétation dans ce secteur à la présence relativement élevée du nombre de gestionnaires de l'eau, dont une des missions consiste à curer les lits des réservoirs afin d'optimiser leur capacité. Ces opérations s'effectuent la plupart du temps de manière collective et manuelle, à l'aide de charrettes et de boeufs. La présence des vertisols peut aussi jouer sur le degré de propagation de la couverture végétale. En effet, durant la saison sèche, les fentes de retrait provoquent la rupture des racines et assèchent le profil très profondément (Duchaufour, 1997).

Les quatre cartes sont le témoin d'une occupation du lit des tanks changeante, avec des dynamiques dont les résultantes s'inscrivent territorialement. À dates relativement comparables, les deux premières cartes indiquent une réduction de la disponibilité en eau qui peut être le fruit d'une dégradation structurelle des tanks. Il est difficile d'incriminer directement les acteurs locaux, comme les neerkatties, du fait de leur nombre relativement

47

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

élevé. Il faudrait plus s'interroger sur l'efficacité des actions entreprises par le PWD ainsi que sur les moyens financiers mis à la disposition des organisations villageoises. On peut aussi penser que l'environnement physique local favorise le comblement des tanks par le biais d'un ruissellement superficiel intense durant les premières phases de la mousson (associé à une faible couverture de végétation), mais qu'il n'est pas propice, dans le même temps, au développement et à la multiplication de sources alternatives, tel que les puits (aquifères salins). La volonté de maintenir les tanks dans un bon état, et principalement les petits, n'est peut être pas ici une priorité pour ces populations, qui disposent en outre de sols permettant des cultures pluviales à bons rendements (Mosse, 1997).

48

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

Figure 20 - Cartes des états de surface du lit des tanks dans la partie aval du bassin versant de la Vaigai-Periyar

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

2.3.2 La section médiane et le paléo-delta de la Vaigai

L'objectivité analytique de cette section est modérée par la couverture nuageuse présente sur

Etats de surface

TM

Surface (hectares)

ETM+

Végétation

faible activité

8311 (19%)

1850 (4%)

activité moyenne

4218 (10%)

5028 (12%)

forte activité

1657 (4%)

2368 (6%)

Sol nu

sec

22569 (51%)

9916 (23%)

humide

4964 (11%)

20073 (47%)

Eau

2183 (5%)

3494 (8%)

Total

43 902

42 729

Tableau 2 - Etats de surface dans le lit des tanks (section médiane et du paléo-delta)

les images MSS et sur l'image ETM (du 15/05/2001).

L'élément primordial à considérer en premier chef est l'opposition des contextes climatiques entre les deux dates (cf. figure 21). La première image a été acquise durant le cycle pluviométrique déficitaire de 1989 à 1992, alors que la seconde l'a été suite à une année 2000 plus pluvieuse que la normale. Ceci peut d'ores et déjà expliquer les différences d'humidité des sols (cf. tableau 2).

Image du 23/04/1990 (cf. figure 21)

49

L'alimentation en amont des system tanks par les eaux du barrage de la Vaigai permet à certains d'entre eux de stocker encore de l'eau à cette date pourtant avancée dans la saison postérieure à la mousson. Le RBT est, lui aussi, plein, résultat d'une gestion efficace qui a abouti un an plus tard à la création de la « Ramanathapuram Big Tank Farmers Association » regroupant les 13 villages servis par les eaux du tank (Seenivasan, 2003). L'adhésion à cette association implique une participation financière pour les paysans et les tenanciers afin de collecter des fonds en vue de les réinvestir pour des opérations liées au tank. Elle agit de concert avec les autres comités villageois, ainsi qu'avec les neerkatties.

Les tanks végétalisés se situent de part et d'autre du talweg, et sont donc pour nombre d'entre eux des system tanks. Cette concentration dans les bas-fonds est révélatrice d'une végétation pionnière colonisant d'abord les tanks les plus humides et donc les mieux alimentés, ce qui suppose des actions collectives, plus nombreuses, pour enrayer la diffusion de ces végétaux, lorsque ce sont des espèces invasives. Les densités de populations, généralement plus élevées dans les bas-fonds, peuvent être une cause des processus d'eutrophisation qui affectent les eaux des tanks, en raison des déchets organiques plus importants en terme de volume.

Au niveau du paléo-delta de la Vaigai, il y a la combinaison de deux gradients qui expriment le passage de lits végétalisés à des lits laissant apparaître les sédiments déposés ; le premier, orienté ouest-est, et le second centrifuge en partant du cours d'eau. La partie nord de l'espace représenté exprime une forte homogénéité entre les non-system tanks qui sont tous à secs.

Image du 15/05/2001 (cf. figure 21)

La répartition des zones inondées est différente de la précédente image. Celles-ci sont concentrées dans des non-system tanks organisés en cascade qui profitent des pluies d'été. Certains de ces non-system tanks sont installés sur des buttes latéritiques. Ces sols ferrallitiques sont le résultat d'une altération intense, et ont des propriétés chimiques et physiques peu favorables à l'agriculture (Duchaufour, 1997). C'est une des raisons pour lesquelles les tanks sont nécessaires aux paysans afin d'améliorer la disponibilité naturelle en eau, ce qui favorise la coopération dans le cadre d'actions collectives (Mosse, 1997).

Comme précédemment, et pour les mêmes raisons, les tanks végétalisés se localisent principalement dans les bas-fonds. La couverture végétale totale est toutefois plus faible. Parmi ces végétaux, certaines implantations peuvent être le résultat de la politique volontariste

50

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

en matière de foresterie sociale. Cette initiative, dont est responsable le Département des Forêts, a plusieurs objectifs : (i) fournir du bois de chauffage (la consommation par individu et par jour est estimée entre à 0.85 et 1.92 kg), (ii) fournir du fourrage pour le bétail, (iii) limiter l'érosion des sols, (iv) empêcher les empiètements anthropiques en amont et dans le lit des tanks, (v) recueillir des fonds, partagés équitablement entre le Département des Forêts et le panchayat et (vi) renforcer l'autonomie de la population en matière de gestion des arbres (Palanisami, 2001 ; Aiyasamy, 1982). Les plantations concernent essentiellement les terres publiques. Les propriétaires terriens ont une préférence pour les cultures traditionnelles. Les principales essences d'arbres sont le Prosopis juliflora, l'Acacia nilotica (babul), l'Eucalyptus et le Caesalpinia coriaria (divi-divi) (Aiyasamy, 1982). Un manque de communication entre les paysans et l'institution gouvernementale engendre parfois des conflits. Des conflits d'ordre religieux, lié à la présence de temples aux abords des tanks et sanctuarisant les lieux, des conflits d'intérêts, en raison de la diminution de l'espace de pâture, des conflits sociaux, lorsque les établissements anthropiques illégaux sont déjà nombreux, et des conflits naissant à la suite d'une méfiance des paysans à l'égard de l'institution, du fait qu'ils ne soient pas toujours informés du partage des fonds avec le panchayat. Dans certains cas, ces conflits peuvent être exacerbés par des rivalités entre les groupes, ou entre les castes du village, et par une absence de leader, ce qui augmente la difficulté de communication. Leur rôle écologique et social est pourtant primordial. Ces arbres sont généralement plantés sur la bordure amont du lit des tanks. Cette diversification des activités dans l'espace consacré au tank engendre des revenus et peut donc augmenter l'intérêt de la société pour ce bien collectif.

Résultats

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces deux cartes :

- Les non-system tanks organisés en cascades offrent un rapport intéressant entre l'aire contributive et la capacité de stockage qui leur permet de maximiser les eaux de ruissellement et les précipitations in situ. Les contributions et les stratégies individuelles et collectives doivent toutefois se situer à un niveau élevé de coopération pour éviter pertes et conflits, et permettent le maintien du statut public et collectif de la ressource (Mosse, 1997) ;

- Le degré d'humidité des sols en saison sèche peut être un indicateur d'une inondation récente ; l'image de 2001 démontrerait donc que la dégradation des structures n'efface pas totalement le rôle premier du tank, à savoir le stockage de l'eau ;

- D'une année à l'autre, les tanks végétalisés se situent dans les mêmes secteurs. Ceci signifie que des conditions particulières sont associées à la dynamique de la végétation, en particulier les caractéristiques édaphiques des bas-fonds et du paléo-delta : sols profonds mal ou imparfaitement drainés mais assez fertiles. La dynamique de végétation concerne aussi la strate herbacée à fort taux de recouvrement qui représente une opportunité pour les éleveurs alentours.

- L'occupation, par des végétaux, des bordures du lit des tanks peut, dans certains cas, être assimilée à des ligneux dans le cadre de la foresterie sociale, et doit être interprété comme un facteur positif, avec comme optique à court terme une meilleur performance économique et donc une rentabilité accrue du tank.

51

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

Figure 21 - Cartes des états de surface du lit des tanks de la section médiane du bassin versant de la Vaigai-Periyar

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

2.3.3 Le secteur aval et la marge littorale du bassin versant

C'est dans cet espace que le nombre et l'emprise spatiale des tanks sont les plus forts. Dans

les années 1970, on en dénombrait 1031 qui occupaient au total 16% de l'espace. La pluviométrie enregistrée en 1990 est très inégale entre les deux stations. Alors que celle de Vattanam se situe dans la moyenne, celle de Ramanathapuram est négative de deux écart-types à la moyenne. Des effets stationnels influent donc sur cette variable.

Etats de surface

TM

Surface (hectares)

ETM+

Végétation

faible activité

11172 (27%)

10098 (24%)

activité moyenne

1600 (4%)

6793 (16%)

forte activité

1850 (4%)

6192 (15%)

Sol nu

8625 (21%)

3503 (8%)

Eau

18530 (44%)

14722 (37%)

Total

41 777

41 308

52

Tableau 3 - Etats de surface dans le lit des tanks (section

Image du 29/01/1991 (cf. figure 22) aval et marge littorale)

La végétation à forte et moyenne activité chlorophyllienne se concentre dans les non-system tanks sur les sols noirs de la partie méridionale à un moment de l'année où ces sols sont gorgés d'eau. La plupart des petits tanks sont encore inondés dans la partie proche de leur digue ; ce stock n'est toutefois pas suffisant pour assurer une deuxième culture irriguée. La forme de ces tanks laisse transparaître les systèmes de pentes qui s'organisent globalement d'ouest en est, avec quelques variantes, notamment dans la partie septentrionale. Dans cette dernière, un gradient positif de remplissage affecte les tanks d'amont en aval. Ceci peut s'expliquer par des taux de sédimentation supérieurs dans les tanks en amont d'une « cascade chain ». Une même opposition affecte les tanks au sud, mais dans ce cas-ci, la différence est aussi due à la topographie, qui présente une rupture de pente discrète, mais détectable en effectuant des profils topographiques, et significative pour un milieu de plaine alluviale (Salaün, 2005). De manière générale, il est probable que les tanks positionnés sur des versants à pentes fortes soient davantage soumis au phénomène de comblement en raison du ruissellement qui s'effectue au détriment des infiltrations. C'est donc autour de ces petits tanks que la reforestation devrait être la plus active et qu'elle génèrerait, comparativement aux fonds dégagés par l'irrigation, des revenus plus importants que dans les grands tanks de plaine.

Image du 11/11/1999 (cf. figure 22)

Une distinction assez nette oppose les tanks de la partie méridionale, végétalisés et à secs, de ceux de la partie septentrionale, stockant plus d'eau et laissant apparaître les sédiments. À cette date, les tanks devraient présenter des taux de remplissage important. L'accroissement du couvert végétal durant cette phase est donc le signe d'un désintérêt social à l'encontre des tanks. Cette singularité se vérifie particulièrement sur les sols noirs, dont les caractéristiques permettent la diversification des cultures. Ces nouveaux systèmes de cultures sont aussi le résultat de stratégies individuelles et financières qui se développent au détriment des biens collectifs comme les tanks.

Afin d'appuyer cela, on peut rappeler l'importance des castes dominantes dans les organisations villageoises. Lorsque ces castes ont l'opportunité d'accroître la disponibilité de l'eau à des fins agricoles par le biais de puits, ou bien lorsqu'elles s'engagent dans la financiarisation de leurs modes de production, les institutions collectives et les paysans les plus vulnérables sont les premiers à pâtir de cette situation, qui n'est pourtant pas viable écologiquement à long terme. L'environnement physique et économique (par le biais du

53

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

capital) sont donc deux déterminants importants des stratégies agricoles. Ces dernières tendent pourtant à s'émanciper du premier déterminant, ou du moins à s'en désintéresser.

On peut relever que dans la partie nord, qui présente un relief plus marqué et des systèmes de pentes plus complexes, la situation est différente. Les tanks sont plus remplis et, dans l'ensemble peu végétalisés. Ces différences se manifestent donc comme le fruit de réponses et de pratiques différenciées de la part des populations. Il y a donc eu, entre les deux dates, une avancée significative de la végétation au détriment des zones inondées dans le sud et dans la partie centrale tandis qu'au nord, il n'y a pas eu de changements importants, hormis un stock d'eau plus important qu'on peut, en partie, attribuer à des facteurs climatiques.

La dynamique des zones inondées (cf. carte 23)

La carte suivante permet de révéler plus distinctement, à l'échelle régionale, les discontinuités spatiales et évolutives qui sont, pour l'essentiel, le résultat de processus locaux.

Le recul de l'eau a affecté de manière relativement homogène l'ensemble de l'espace étudié entre 1973 et 1991, exception fait des zones littorales. Une observation plus fine révèle des « groupes » de tanks présentant des états similaires qui s'expriment singulièrement dans la partie méridionale. Ces remarques sont biaisées par les conditions de sécheresse marquées autour des années 1990, ainsi que par les différences importantes d'une station à l'autre qui ne sont pas des éléments révélateurs d'une dynamique durable.

La carte B est bien plus représentative d'un phénomène de déclin des tanks dans leur fonction première de stockage des eaux, tout du moins dans la partie méridionale principalement. Précisons qu'à la date considérée, la mousson n'est pas encore terminée, mais qu'elle a néanmoins déversé la plus grande partie de ces précipitations. Quand bien même, la végétation présente dans le lit permet d'affirmer que la plupart des tanks vides à cette date le resteront à la fin de la mousson.

La dernière carte exprime et renforce même les hétérogénéités décrites ci-dessus. La capacité de drainage différentielle des sols peut expliquer certaines disparités à l'échelle régionale (cf. annexe 3), mais ce sont les aspects sociaux, historiques, comportementaux, politiques et technologiques qui permettront d'envisager avec plus de certitudes ces différences fondamentales.

Les évolutions structurelles du lit des tanks sont, dans l'ensemble, le reflet des dynamiques agricoles récentes qui accordent une importance croissante à la diversification des sources d'approvisionnement en eau d'irrigation au détriment de l'entretien continu des tanks. Les disparités révèlent néanmoins des degrés d'intégration variés, témoins de l'existence de certains facteurs locaux à partir desquels des stratégies diversifiées se sont développées.

54

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

Figure 22 - Cartes des états de surface du lit des tanks de la partie aval du bassin versant de la Vaigai-Periyar et de sa marge littorale

55

Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks

N

+6

10000N

r

Y , r I - ~- 1,_
·

Y~ ' jt .;"'

e 0

950,0 N


·

-

- J

940,0 N~j J

w

7,5 1

Kilomètres

10 10, J N

old A

1000,0 N fil 14 .46 4 4rrsi v 4;11) 1`

i,'.:1,-, ri r i .. f

I

l,~+ ~'-
.R 1
·
ie. .. ' ,, 4 ~-
950,0 N
.rt' r f

i' 'r ÿ 4w ;s ..°V..-" ..)1j1141 1j 41 id -r 1..+ ,

1w ..--r1 s

w o'

o

w

P

16

0 7

Kilomètres

1010,0 N

r-----;''31,'37-'7'-----:::-.%,.,

N

1_ Ç /w--e

N u i

I~-Fief ,,,,t4...;,..1,1,-.0,415r'4 1 `\

4,1

950,ON ~ .
· - fl

l ^ +j v "?.i4 t J J ~I f

+jjy1J ,( yy~Ç

49

'
·

*1 I+ a l

0

75 15

 

Kibnlètres

 

10 00,0 N

Carte de dynamique de l'eau
des tanks â trois dates

A: dynamique du 21/01/1973 au 29/01/1991

B: dynamique du 21/01/1973 au 11/11/1999

C: dynamique du 29/01/1991 au 11/11/1999

Légende commune

Etat stationnaire

MM Recul

Avancée

Source: Landsat M55153-053. Landsat TM 142-053 81 Landsat ETM+ 142-053 Conception; Mialhe François

Figure 23 -- Carte de la dynamique de l'eau à trois dates

56

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

3. Des facteurs locaux, explicatifs de disparités territoriales

Cette partie s'organise autour d'unités spatiales constitutives du bassin versant, dans lesquelles interviennent des dynamiques différenciées, et qui nous permettront de comprendre certaines remarques énoncées précédemment. Ce changement d'échelle, essentiel, implique la mobilisation des savoirs sur les particularités des situations locales (Petit, 2003). Trois secteurs vont attirer l'attention. Le premier, la vallée de Cumbum, est un secteur particulièrement intéressant, en raison de la modernité de son agriculture, associée à des modes d'irrigation par eaux souterraines et par canaux, qui engendrent des changements dans les modes de vie des populations autochtones. Le second, le sous-bassin de Sarugani, composé de deux zones adjacentes, mais présentant d'importantes discontinuités environnementales, a vu évoluer des modes de gestion de la ressource et d'organisation sociale singulièrement différents. Enfin, le troisième, plus petit, est organisé autour de l'irrigation par system tanks, mais a connu ces dernières années une multiplication du nombre de puits, bousculant les pratiques établies.

3.1 La modernisation agricole de la vallée du Cumbum

Cette vallée correspond à la section supérieure du bassin versant. C'est au début du siècle précédent que le Periyar, cours d'eau du Kerala, a été aménagé. Ses eaux ont été stockées dans un lac de retenue des Ghâts Occidentaux, puis diverties à partir de la ville de Thekkady* vers la vallée de Cumbum afin de s'adjoindre aux eaux de la Vaigai.

3.1.1 L'étude des dynamiques de surface par la télédétection

Le contexte environnemental et les sources d'irrigation

Figure 24 - Coupes transversales de la vallée de Cumbum (source : srtm)

Encadrée par des massifs constitués de charnockites précambriennes (les Cardamom Hills à l'ouest et au sud ; les High Wavy et Erasakkanayakanur Hills à l'est), la vallée est formée de versants abruptes et d'un fond large de 10 à 20 km d'amont en aval (cf. figure 24). En fond de vallée, les sols, développés sur des sédiments ayant remblayé la vallée, sont très profonds, limoneux et relativement bien drainés. Ils sont réputés fertiles et donc propices aux activités agricoles. Sur les piémonts, on trouve principalement des sols argileux, épais et bien drainés. Le centre de la vallée est irrigué par les canaux de dérivation du Periyar et par des system tanks. Les canaux, parallèles au cours d'eau, encadrent de part et d'autre le Periyar et créent une ceinture verte. Les system tanks sont bien alimentés, et la plupart fournissent de l'eau neuf mois par an (Ramachandran, 1983). En dehors des eaux d'irrigation de surface, on trouve tout autour de la ceinture verte des terres irriguées par les eaux souterraines. Ces terres, dites thottam, s'étirent jusqu'au piémonts. Au début des années 1970, les terres irriguées représentaient environ 30% des terres cultivables ; au début des années 1980, le taux atteignait 40% et elles participaient déjà à plus de 50% du produit agricole en

57

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

raison d'une intensification plus forte qu'en terres punjai, non irriguées. Parmi les sources d'irrigation, les eaux de surface représentaient 35% (22,5% par canaux et 12,5% par tanks) et les eaux souterraines 65% (dont 2,5% par puits tubés, le reste par puits ouverts). Le ratio entre ces deux types de puits est passé de 1 pour 25 en 1981 à 1 pour 6 dans les années 2000. Toujours dans les années 2000, les system tanks gérés par les panchayats sont au nombre de 130 alors que, dans le même temps, ceux gérés par le Département des Travaux Publics (PWD) sont au nombre de 20 (Theni District Website1). Ce sont principalement ces derniers, plus grands et mieux alimentés, qui fournissent l'eau en quantité nécessaire pour deux cycles culturaux irrigués.

Comportement spectral des végétaux

Trois images satellites ont permis la réalisation de cartes diachroniques représentant l'évolution de la végétation. La méthodologie employée est similaire à celle précédemment utilisée. Compte tenu des réponses spectrales spécifiques des végétaux, il est possible d'isoler les formations végétales du reste des éléments spatialisés. De manière générale, si les valeurs de réflectance peuvent varier, l'allure générale des courbes de réflectance des végétaux est par contre assez constante (Girard, 1989). Dans la portion du spectre visible (de 380 à 700 nm)2, les végétaux ont un comportement spectral lié à leur composition en pigments. Parmi ces pigments, c'est la chlorophylle qui conditionne le plus le comportement spectral. Il y a une relation inverse entre la réflectance et la teneur en chlorophylle. Dans le proche infrarouge (de 750 à 1300 nm), c'est la structure interne du feuillage qui est principalement responsable des différentes valeurs de réflectance. Dès que les feuilles d'un végétal se dessèchent (maturation, vieillissement), les cellules s'aplatissent et la réflectance dans le proche infrarouge est perturbée. Il y a donc une relation positive entre la structure interne du feuillage et la réflectance dans le proche infrarouge. Dans le proche infrarouge encore, mais à partir de 1400 nm et jusqu'à l'infrarouge moyen, le comportement spectral des végétaux est fonction de leur teneur en eau. Un végétal chlorophyllien en bon état sanitaire a une courbe de réflectance présentant une diminution importante à 1450 nm et à 1900 nm. Cet écart correspond aux bandes d'absorption de l'eau. A partir du comportement spectral, il est ainsi possible de déduire la teneur en chlorophylle, en eau et/ou la structure interne du feuillage. On peut préciser que lorsque le taux de recouvrement est trop faible, il devient difficile de classer et d'identifier les pixels.

Réponses spectrales des végétaux de la vallée et interprétation

En réalisant une classification non supervisée, à la suite d'une analyse en composantes principales, deux classes représentatives de comportements spectraux propres aux formations végétales s'individualisent. Nous avons restitué graphiquement ces comportements (cf. figure 25). Les profils obtenus sont tirés de l'image Landsat TM du 23 avril 1990. Cette date correspond à la saison chaude et à la période des mango showers qui provoque des précipitations de mars à mai (environ 20% du total annuel pour la ville de Teni* : 10°N ; 77,48°E). Les deux premiers graphiques présentent un pic entre le canal 3 (visible-rouge) et le canal 4 (proche infrarouge). Une réflectance importante dans le proche infrarouge est le signe d'une structure interne du feuillage bien organisée, soit un végétal en croissance. Compte tenu de la date, et malgré les pluies apportées par les mango showers, la période est considérée, du fait des températures élevées (36-37 °C), comme une période de sécheresse agro-climatique. De ce fait, les formations végétales qui présentent un tel comportement spectral ne peuvent

1 http://www.theni.tn.nic.in/

2 La correspondance longueurs d'onde/canaux des images Landsat est donnée en annexe 4.

58

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

être que des cultures irriguées. La différence se situe au niveau de la réponse dans le canal 5 (infrarouge moyen). C'est la teneur en eau qui engendre des réponses distinctes, celle-ci étant inversement reliée à la valeur de réflectance.

Figure 25 - Comportements spectraux dans la vallée de Cumbum (source : Landsat TM - 23/04/1990)

Le premier graphique montre une baisse assez forte dans ce canal. Parmi les cultures largement diffusées dans la région, la riziculture pratiquée est de la riziculture inondée, c'est-à-dire que l'épi de riz doit avoir le pied perpétuellement immergé. La faible réflectance dans le canal 5 serait donc représentative de l'eau qui inonde les rizières. De plus, cette faible réflectance est aussi le signe d'un bon état sanitaire qui, nous le verrons, compte tenu de la date pourrait correspondre à une troisième saison de cultures irriguées. Il est ainsi probable que la classe associée au comportement spectral de la première figure soit une classe qui comprend les parcelles de riz irriguées. Le second graphique présente, quant à lui, un comportement spectral différent dans le canal 5. La réflectance est bien plus importante que dans le précédent exemple. Deux éléments peuvent apporter une réponse : le premier est que l'état sanitaire de ces formations est généralement moins bon, le second est que les taux de recouvrement incomplets peuvent perturber la réflectance. Les sols présentent en effet une courbe de réflectance régulièrement croissante et convexe depuis le visible jusqu'au proche infrarouge (1300 nm) puis, après une diminution, augmente à nouveau partir de l'infrarouge moyen (1500 nm). Un taux de recouvrement incomplet peut donc aussi être la cause d'une réflectance élevée dans le canal 5. En tout état de cause, nous

sommes en présence de cultures irriguées, et nous ne pouvons pour l'instant aller plus loin dans l'interprétation des courbes de réflectance.

Figure 26 - Diagramme pluviométrique annuel de Teni (source : Theni District Website)

A partir de ces informations, quelques éléments peuvent êtres tirés de l'observation des cartes réalisées (cf. figure 27). On observe sur la carte de 1973, le long du Periyar, une ceinture de rizières irriguées. A cette date, nous sommes en saison navarai et cela signifie donc qu'une seconde culture irriguée est possible. Quelques tanks sont situés dans cette ceinture et semblent

encore bien remplis. Néanmoins, dans cette portion, l'irrigation se fait principalement par canaux. Les autres cultures irriguées sont moins concentrées spatialement. On peut dès lors penser à l'irrigation par eaux souterraines associée à des cultures qui ont des cycles annuels, ce qui peut expliquer l'état sanitaire relativement

59

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

inférieur à celui des rizières. L'image TM a été acquise à la fin du mois d'avril. En règle générale, au Tamil Nadu, la moisson des cultures de saison navarai s'opère entre avril et mai. Cela dit, dans la vallée de Cumbum, les mois les plus pluvieux sont de septembre à décembre, ce qui laisse présager d'un avancement des saisons d'environ un mois. Les cultures navarai doivent donc être moissonnées entre mars et avril, d'autant plus que les pluies apportées par les mango showers peuvent être bénéfiques aux opérations de labour et de repiquage.

En observant plus finement la carte, on peut s'apercevoir que les zones de rizières occupées en 1973 ne sont pas en cultures en 1990. Cela signifie que la récolte de la saison navarai a été effectuée et que les terres sont laissées à nu, en attente de la saison samba. Ce qu'on a répertorié en tant que rizières irriguées doit donc correspondre à une troisième culture irriguée de paddy de saison kuruvai/sornavari. Elles ne présentent pas une forte continuité spatiale, mais forment plutôt quelques amas, dispersés pour certains le long du cours d'eau et pour d'autres un peu plus éloignés voire très éloignés. Ces derniers qui ne sont à proximité ni d'un tank ni d'un canal doivent donc être alimentés par des puits. Les autres cultures irriguées à la même date se localisent, comme en 1973, au nord-ouest de la vallée, parallèlement aux versants abrupts. Cet espace correspond à des sols argileux profonds et bien drainés en zones de piémont, qui sont non seulement favorables aux activités agricoles en général, mais aussi à la constitution de nappes phréatiques et donc à l'irrigation par puits. Le second espace présentant une forte densité de cultures irriguées se situe aussi dans la partie nord-ouest, dans la continuité du précédent, et lui aussi en bordure des versants escarpés de la vallée. Il épouse la forme arrondie du versant, ce qui laisse supposer une conclusion similaire à la précédente à propos de la disponibilité en eaux souterraines.

L'analyse de la carte représentant la situation en 2001 s'inscrit dans la même logique que précédemment. L'image a été acquise, selon le calendrier annuel, trois semaines après la précédente. La saison culturale est donc identique, soit la saison kuruvai. Les espaces cultivés présentent le même agencement spatial, à la différence près qu'elles ont augmenté en superficie, que ce soit pour les cultures de paddy, ou pour les autres cultures irriguées. On peut faire l'hypothèse que c'est grâce à la multiplication des puits qu'un tel phénomène est possible. A saison similaire, on est ainsi passé de 7863 ha à 11362 ha, soit une augmentation de 3500 ha. Notons enfin que l'on ne dispose pas de données pluviométriques précises pour la vallée. Nous pouvons cependant utiliser les données sur les 34 stations du Tamil Nadu dont nous disposons afin d'avoir une idée du contexte environnant. Sur la base de ces informations, l'année 1972 peut être qualifiée de bonne année dans le sens où toutes les stations, sauf une, présentent des excédents pluviométriques supérieurs à la moyenne sur 60 ans. Les deux années 1989 et 1990 accusent au contraire des déficits. Enfin, les données pluviométriques de Teni* montrent qu'en 2000 et 2001, les précipitations se situent dans la moyenne. Ces informations révèlent une période de déficits hydriques marqués en 1989-1990 pouvant influencer à la baisse les surfaces irriguées.

3.1.2 L'évolution des systèmes agraires

Tentons de croiser l'interprétation faite des cartes réalisées avec les informations sur les activités agricoles dont on dispose.

Quelques traits de l'évolution agricole

On nous indique tout d'abord une multiplication des puits dans les années 1950 et 1960 suite à l'électrification des campagnes (Ramachandran, 1983). Cette multiplication s'est poursuivie les années suivantes et, dès les années 1970, certains paysans ont pu constater une baisse de la nappe phréatique.

60

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

10 00.0 N

10 00,0 N

F

w

,75

N

950,ON .~x `.. ;~jF" :- 950,0N

23/04/1990

r

9,0.0V ,.ÿ. :.mei:' 0 5 10 940,0 N

Kiiomètres

u

Période des "Mango showers"

w

9442 ha 11362 ha

w M1

Période des "Mango showers"

0

5 10

Kilométras

5724 ha 7863 ha

Cartes de l'occupation du sol dans la vallée de Cumbum

_ Tanks

Rizières irriguées Cultures irriguées

/V1 Cours d'eau

10 00.0 N

9 50,0 N

09/02/1973

Kilomètres

Deux mois aprés la saison des pluies

§ 7858 ha

§ 5905 ha

Source: Landsat MSS 154-053, Landsat TM 143-053 & Landsat ETM+ 143-053

Conception: Mialhe François

Figure 27 -- Cartes de l'occupation du sol dans la vallée de Cumbum

61

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

Cette électrification a aussi engendré un remplacement progressif des motopompes par des pompes électriques plus puissantes. Durant la même décennie, il y eut une chute de la superficie des cultures vivrières passant de 66% à 55% par rapport à la superficie des terres cultivées (avec une réduction plus forte en terres irriguées). Ce changement n'a cependant pas affecté toutes les cultures de la même manière ; la surface de paddy irrigué a, quant à elle, augmenté. On peut d'ailleurs noter qu'à partir des années 1980, toutes les variétés de paddy cultivées sont issues des variétés hybrides à hauts rendements diffusées lors de la Révolution verte et qu'elles sont très majoritairement irriguées par les eaux de surface. La forte réduction des cultures vivrières tel que le ragi ou le cholam, principalement en terres nanjai et thottam, l'ont été au profit des cultures de rente. Ceci a abouti à une diversification prononcée des cultures. Cette diversification ne s'est cependant pas soldée par une forte extension des terres irriguées ; on a, la plupart du temps, tout simplement remplacé les cultures existantes.

Les cultures de rente

Parmi les cultures de rente irriguées, les cocotiers1 sont les plus représentés. Ils sont majoritairement irrigués par les eaux souterraines et sont associés à des légumes les deux premières années de culture (Ramachandran, 1983). Ils nécessitent généralement des investissements de départ importants, mais leur rentabilité économique à moyen et long terme est élevée. De plus, ils ne sont pas des gros consommateurs d'eau au regard d'autres cultures. Néanmoins, le capital de base nécessaire à leurs exploitations ne peut être réuni que par les plus grands propriétaires terriens. La canne à sucre est, elle aussi, bien représentée. Sa culture exige de grands besoins en eau et doit donc être irriguée. Cela dit, étant donné qu'elle s'étend sur plus d'une année, en termes de besoins quotidiens, le paddy se montre par exemple plus exigeant (Landy, 1994). Les bananeraies ont connues dans la vallée une augmentation substantielle et récente de leurs surfaces. A partir de l'introduction de deux variétés, la Dwarf Cavendish et la Robusta, respectivement en 1966 et 1972, les surfaces plantées ont été multipliées par dix en moins de six ans, de 1969 à 1975, principalement grâce aux riches familles de la caste des Udaiyars. Cette caste, d'assez bon rang, est formée de paysans, souvent catholiques (Deliège, 1997). D'autres cultures sont bien implantées, comme le coton, le blé ou encore les arbres fruitiers (les manguiers en particulier).

Cette diversification, par le biais des cultures de rente, engendre donc un processus en direction d'une financiarisation accrue de l'agriculture et d'une commercialisation plus large de ses produits. Les conséquences d'un tel processus sont, une hausse des investissements agricoles (et donc un capital de départ plus important), une plus grande dépendance à l'égard des prix fluctuants du marché (comme pour le coton par exemple), une augmentation de la consommation d'eau et d'intrants, et des nouvelles opportunités de travail, aboutissant, au final, à une mutation de l'ensemble de la filière agricole.

Croisement des données

De nombreux éléments confirment les hypothèses émises précédemment. D'après ces informations, il est possible d'établir un lien direct entre les cultures de rente et les cultures irriguées détectées sur les images satellites. Il y a effectivement un processus d'intensification de l'agriculture qui se matérialise par une augmentation des surfaces irriguées, et tout particulièrement par les cultures de rentes et de paddy. Il est malgré tout difficile de quantifier spatialement ces augmentations du fait des précipitations médiocres de 1989 et 1990, qui sont susceptibles de biaiser les résultats. On voit néanmoins que les deux sources d'irrigation

1 Kalpa Vriksha en Sanskrit qui signifie « arbre qui fournit toutes les nécessités de la vie » (Wikipedia). Les noix de coco sont régulièrement utilisées dans les rites rattachés à la religion Hindoue : en offrandes par exemple.

62

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

principales de la vallée, que sont les puits et les canaux, rendent disponible l'eau en quantité suffisante pour répondre aux besoins d'une agriculture moderne. Il faut toutefois s'interroger sur la viabilité à long terme, alors que les premiers signes d'une baisse des nappes dans les années 1970 peuvent être annonciateurs d'une crise future. En attendant, la vallée est considérée comme relativement prospère au regard de la situation des contrées voisines. Malgré cela, et comme on l'a déjà dit, la mutation agricole commencée depuis maintenant 50 ans a bouleversé certaines méthodes et certains rythmes de travail.

3.1.3 La dynamique sociale depuis la Révolution verte

Les statuts fonciers

Selon la taille des propriétés et le mode de mise en valeur, on distingue généralement cinq statuts. (i) Le premier correspond aux gros propriétaires (major landlords) qui possèdent au minimum 10 ha de terres1. Dans un village de la vallée, Gokilapuram*, seules les castes dominantes ont certains de leurs membres dans cette catégorie : les Maravars, caste de commerçants originaires du Rajasthan, et les Chettiars, haute caste de marchands et de prêteurs d'argents tamouls, qui possèdent aussi de nombreux commerces en tous genres (Racine, 1995). La plupart ont hérité de ce que leurs aïeux ont accumulé à la suite de comportements opportunistes. (ii) Les propriétaires moyens (medium landlords) possèdent entre 4 et 10 ha. Là encore, les membres de castes dominantes représentent la majorité de cette catégorie, voire la totalité comme à Gokilapuram (Ramachandran, 1983). (iii) Les petits propriétaires qui possèdent de 1 à 4 ha fonctionnent sur le même principe. On peut relever deux éléments concernant ces trois catégories. Le premier est qu'ils ne travaillent pas la terre directement, et emploient des ouvriers agricoles saisonniers ou utilisent des modes de faire-valoir indirect. Le deuxième est que la plupart des propriétaires ont obtenu leur terre par le principe de subdivision suite à l'héritage. Lorsque le chef de famille vient à mourir, ses terres sont en effet divisées en parts égales à ses fils. Il est fréquent, de ce fait, de voir émerger des conflits entre frères. Les situations où les fils collaborent sont en tout cas rares, et la sectorisation des terres n'est pas favorable à l'optimisation du parcellaire. On peut aussi noter que ce sont les gros et moyens propriétaires qui ont tendance à agrandir leurs propriétés et sont engagés dans le processus de diversification (Ramachandran, 1983). (iv) Le quatrième groupe correspond aux paysans/marginaux (peasantry) qui possèdent moins d'un hectare. Ce groupe se distingue par le fait que ses membres travaillent la terre. On trouve dans cette catégorie des membres des castes dominantes, s'expliquant par leur démographie, ainsi que des castes inférieures et des intouchables. Le groupe est donc hétérogène et présente une certaine stratification. (v) Enfin, le dernier groupe est composé des sans-terres, dont principalement des intouchables qui sont, pour nombre d'entre eux, ouvriers agricoles. Certains sont tenanciers, bien que la réforme agraire ait interdit le faire-valoir indirect depuis 1974, afin de lutter contre l'absentéisme des grands propriétaires et pour favoriser les tenanciers en leur accordant les terres qu'ils mettent en valeur (Landy, 1994). Cette mesure s'est avérée peu efficace, dans un sens comme dans l'autre : les propriétaires pouvant confisquer les terres à n'importe quel moment, et la terre confiée en faire-valoir indirect pouvant être réclamée pour sienne par le tenancier. Ce principe s'est donc marginalisé. On peut toutefois préciser qu'il existe trois types de faire-valoir indirect : la mise en gage, le fermage et le métayage. La mise en gage est souvent la conséquence d'un besoin urgent d'argent (pour la dot par exemple).

1 Dans la nomenclature officielle, un hectare irrigué correspond à un demi hectare non-irrigué (Landy, 1994). Ce qui ne correspond pas vraiment au prorata de la valeur des produits dégagés.

63

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

Les changements agricoles

Ils se sont opérés sous la volonté modernisatrice et intensificatrice de l'état, qui a profondément modifié les pratiques, les systèmes culturaux et les opportunités de travail. Les innovations techniques prônées durant la Révolution verte l'ont été dans l'objectif d'accroître la productivité. On peut dégager deux domaines dans lesquels leurs impacts se sont fait le plus ressentir. Le premier concerne les variétés culturales employées, et principalement les variétés de paddy : l'introduction de variétés hybrides de paddy à hauts rendements, et à cycles culturaux plus courts que dans le cas des variétés traditionnelles (environ 4 mois contre 6 mois pour les variétés traditionnelles). On estime que ces variétés offrent un gain de rendements de l'ordre de 15 à 20% (Trébuil et al., 2004). Elles requièrent en contrepartie une plus grande quantité d'intrants, en particulier des engrais et des produits phytosanitaires, ainsi qu'une fourniture d'eau plus importante et plus régulière, ce qui implique des changements dans la gestion de l'exploitation. La diffusion et l'expansion des cultures de rente ont, elles aussi, modifié les besoins en main d'oeuvre. La culture de cocotiers exige par exemple relativement peu d'heures de travail, réduisant de ce fait les coûts d'exploitation. On peut aussi relever que les cultures de terres punjai ne sont pas de grandes consommatrices de main d'oeuvre. Le second domaine, corrélé au premier, est relatif à l'introduction des biens de production modernes tel que le tracteur agricole, ou encore l'électrification des systèmes d'exhaure des eaux souterraines. Ces biens ont modifié le paysage rural traditionnel à travers les transmutations des stratégies paysannes engendrées.

Les opportunités de travail

La permutation d'une agriculture traditionnelle vers une agriculture productiviste n'a pas été sans effet sur le travail agricole. Elle a stimulé certains secteurs alors que dans le même temps, d'autres secteurs ont vu les opportunités se contracter. En premier lieu, certains acteurs du monde rural ont vu leur position sinon s'améliorer, au moins se maintenir. C'est particulièrement le cas des neerkatties auxquels reviennent les rôles d'irriguer les champs des ayacutdars et de garder, surveiller ces mêmes champs à l'encontre d'éventuels contrevenants. Leur position a été renforcée par l'introduction des HYV's (High Yielding Varieties) qui nécessitent une attention plus grande. Ils sont désignés annuellement et rémunérés en nature par les ayacutdars. La plupart des propriétaires, ainsi que certains paysans, utilisent le contrat dit kothu (Ramachandran, 1983). Le kothukarar, chargé d'établir les contrats pour les propriétaires (on fait souvent appel à un paysan), doit réunir des groupes suffisant grands pour la réalisation les travaux durant la saison culturale. Ce type de contrat intéresse majoritairement les femmes, dont les travaux principaux sont le sarclage manuel des champs, le dépiquage de pépinières, et le repiquage des plantules. Quelques hommes font partie du groupe afin de porter les bottillons de plantules de la pépinière vers le champ principal. Les ouvriers sont payés en cash lors de la première culture et en paddy lors de la seconde. On peut noter que les gains sont équitablement partagés entre les ouvriers et le kothukarar. En riziculture, plusieurs tâches sont effectuées par les hommes : le labour, le hersage, l'épandage d'intrants, la récolte et les deux battages successifs, le premier, manuel, en compagnie des femmes et le second avec les buffles (toutefois, la multiplication des tracteurs tend à réduire les opportunités de cette opération). Symboliquement, comme dans de nombreuses sociétés agraires, les femmes sont chargées de l'ensemencement, du repiquage, des épandages, de la moisson, mais aussi du premier battage (qui requiert un effort intense), et du vannage. L'épandage d'engrais pourvoit de nouveaux emplois mais les conditions d'utilisations des produits représentent un problème sanitaire. Sur les terres irriguées par puits, les types et l'intensité des travaux dépendent des systèmes mis en place. Pour les hommes, les travaux

64

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

peuvent consister à la préparation des terrains, à l'épandage, encore une fois, d'intrants, au creusement à la houe des rigoles d'irrigation et au nettoyage des champs après la récolte (en particulier les champs de bananiers).

Les femmes sont les principales victimes de l'extension des cultures de rentes qui leur réduit le nombre de jours de travaux. L'épandage est une des seules activités qui leur soit accessible. En conséquence de la réduction des opportunités de travail, le sous-emploi chronique et l'insécurité caractérisent la condition sociale de ces femmes (Ramachandran et al., 2001). Ce phénomène succède à celui qui a vu la féminisation de la force de travail agricole dans les années 1960 et 1970, durant la phase initiale de la Révolution verte. Une majorité d'entre elles aujourd'hui travaillent moins de six mois par an, ce qui les pousse à chercher du travail dans des secteurs non agricoles et moins bien payés, comme les travaux publics ou les briqueteries. De plus, et malgré une certaine division de travail, on estime qu'il y a, dans la vallée des inégalités de salaires entres les hommes et les femmes. Pour certaines opérations similaires, les femmes gagnent 42% de ce que gagnent les hommes. C'est le cas pour les travaux agricoles journaliers : 25 roupies par jour pour les femmes contre 60 pour les hommes (Ramachandran et al., 2001). Ceci ne va pas dans le sens d'une plus grande autonomie financière pour ces femmes, alors que c'est pourtant considéré comme un élément clef du développement.

On peut noter, enfin, l'augmentation des flux saisonniers durant de courtes périodes. Les récoltes doivent être effectuées le plus rapidement possible, ce qui nécessite une force de travail qui n'est pas toujours disponible sur place. D'autres flux migratoires sont dirigés des campagnes vers les villes, où les emplois industriels sont bien mieux payés mais où d'autres difficultés apparaissent. Au final, il apparaît que la Révolution verte a engendrée des opportunités de travail agricole, en particulier pour les femmes, qui se réduisent aujourd'hui, en raison de la modernisation et de la financiarisation qui affectent certains secteurs agricoles et qui tendent à les rendre plus performants et plus rentables. Cette vallée est donc un exemple représentatif des évolutions agricoles qui se profilent pour le monde rural indien.

65

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

3.2 Le sous-bassin de Sarugani

Le cas de Sarugani concerne deux espaces contigus au sein desquels différentes méthodes d'action collectives en faveur de la gestion de l'eau ont été mises en place. Ces zones se distinguent l'une de l'autre par les types de sols, les surfaces de ruissellement, les systèmes culturaux, les pratiques, les statuts fonciers, et la structure par caste (Mosse, 1997). Toutes ces disparités définissent deux régions spécifiques sur les plans écologique et agronomique révélant des identités et des comportements distincts.

 

Les travaux de l'anthropologue David Mosse (1997, Figure 28 - Carte des altitudes du sous-2000), ont justifié le choix de cette zone d'étude, bassin de Sarugani (source : SRTM)

compte tenu des données disponibles, d'ordres anthropologique et naturaliste.

3.2.1 La zone mankalanatu1 Analyse des images

Comme on peut le voir sur la figure 28, la topographie est plus accentuée en mankalanatu qu'en karicalkatu2. Ces reliefs correspondent à des buttes latéritiques résiduelles, témoins d'un paléoclimat bien plus arrosé. Concernant les espaces de végétation à forte activité chlorophyllienne, les changements constatés entre 1990 et 2001 se situent essentiellement dans la partie supérieure de la zone (cf. figure 30). Compte tenu de la date, on peut assimiler ces végétaux à des cultures irriguées, ou bien à une strate herbacée à fort taux de recouvrement. Celles-ci s'étendent principalement sur les versants de substrat latéritique. En raison de cette localisation et de l'agencement des surfaces, il est probable que l'irrigation se fasse majoritairement par puits. En effet, les latérites sont connues pour être des substrats favorables à la constitution de nappes phréatiques ; de plus, la texture relativement dispersée des terres irriguées correspond à la signature des thottam. Celles-ci ne présentent généralement pas une continuité et une homogénéité spatiale aussi forte que les nanjai. Ces dernières, au regard de leur forme et de leur localisation, ne sont toutefois pas complètement absentes, ce qui peut laisser supposer dans quelques endroits une utilisation conjointe des tanks et des puits. En ce qui concerne les zones de végétation à activité chlorophyllienne moyenne, on note aussi une augmentation des superficies, cependant moins forte, passant de 8090 à 10350 ha. Ce type de végétation a tout de même observé une diminution dans la partie méridionale. Il est probable qu'une partie de cette végétation corresponde à des Prosopis juliflora, dans le cadre de la foresterie sociale. Fournissant du bois de combustion et du charbon de bois, ces arbres sont mis aux enchères, et les fonds dégagés sont en partie récupérés par les organisations villageoises, environ tous les trois à cinq ans, dates auxquelles ils sont coupés (Mosse, 1997). Ils permettent aussi de lutter contre la désertification et de limiter l'érosion. On les retrouve en amont des lits alors que sur les digues, on retrouve des essences différentes, tel que le Ficus benghalensis ou le Ficus religosa, dont les habitants pensent qu'ils sont habités par des divinités et dont l'espace occupé est sanctuarisé (Panday, 2000). Plus prosaïquement, ils servent aussi à renforcer la structure. On trouve aussi, dans

1 Etymologiquement, mankalanatu dérive de manal man, signifiant sableux et de natu, pays ou région, et par extension irrigué.

2 Etymologiquement, karicalkatu dérive de karisa man, signifiant des sols à forte rétention en eau et de katu, terres sèches (cultures pluviales)

66

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

cette région, de nombreux vergers d'anacardiers qui s'accommodent plutôt bien des sols latéritiques (Gunnell, communication personnelle). Les augmentations de surface de cette classe de végétation sont localisées préférentiellement dans les bas-fonds et sur les plateaux latéritiques. Une partie correspond donc probablement à des cultures pluviales tandis qu'une autre peut être assimilée à une strate arbustive. On retrouve, sur les deux images, des tanks inondés en fond de vallée, le long du cours d'eau de la Sarugani, dans la partie nord-est. L'approvisionnement en eau de ces tanks, de tailles limitées, dépend des apports de l'aire contributive et du cours d'eau. Cette double alimentation leur permet donc, malgré la saison sèche, de récolter et de stocker les quelques précipitations d'été. En raison d'une année 2001 plus favorable sur le plan climatique, le stock est sensiblement supérieur à celui de 1990, de même que la surface de cultures sous le commandement de ces tanks. La différence n'est toutefois pas significative et donc insuffisante pour en tirer des enseignements. La grande différence est due à l'emprise spatiale dans la partie méridionale. C'est en effet là que l'on trouve la plus nette augmentation de surface, et plus singulièrement encore, dans le sud-ouest avec des tanks en cascade bien fourni. Il n'y a là, a priori, aucune source d'alimentation autre que le ruissellement superficiel. Le district de Sivaganga, dans lequel se situe la zone étudiée, observe en moyenne des précipitations de l'ordre de 120 à 150 mm, de janvier à la mi-mai, alors que compte tenu des fortes températures, l'évapotranspiration est très forte (Sivaganga Website). Ceci laisse supposer que le stock d'eau disponible est directement lié à une gestion efficace de l'eau de la part des populations, en optimisant la récolte et l'utilisation des ressources disponibles. Cette augmentation des surfaces en eau peut s'expliquer en partie par des facteurs climatiques mais elle est aussi le signe d'une utilisation intensive des tanks. On en a d'ailleurs une preuve supplémentaire par les surfaces détectées comme des terres agricoles nanjai (teinte jaune sur la figure 30).

Figure 29 - Réponses spectrales des sols (Landsat TM - 23/04/1990)

Celles-ci possèdent en effet une réponse

spectrale spécifique,
comparativement aux autres sols, non seulement dans le visible mais aussi dans le proche et moyen infrarouge (cf. figure 29). Cette réponse spectrale est relativement élevée dans le visible, bien qu'inférieure à celle des sols soumis à une forte érosion. Elle se situe, dans le proche infrarouge et l'infrarouge moyen, autour de valeurs intermédiaires, entre les sols nus et érodés d'un côté, et les latérites et sols incultivables de l'autre. En croisant les résultats obtenus avec la carte des altitudes, on s'aperçoit que ces terres se localisent dans les bas-fonds des vallées et vallons, ainsi que sur le talus à pente faible du sud-est, raccordant les buttes latéritiques au paléo-delta de la Vaigai. La densité est assez forte et la forme est symptomatique de terres nanjai.

L'agencement de ces terres en fonction du sens de la pente, laisse en effet supposer, une maximisation de la récolte des eaux de ruissellement. Ces terres nanjai laissées en jachère, en raison de la saison sèche, reflètent l'intensité culturale de la saison précédente. Il y aurait donc eu, compte tenu de l'augmentation de surface, qui est passée de 115 km2 à 168 km2, un accroissement de cette intensité entre 1990 et 2001. Néanmoins, la péjoration climatique de la

67

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

fin des années 1980 au début des années 1990 est sans doute responsable de cet affaiblissement. Au final, et à l'encontre des discours alarmants sur l'état dégradé des tanks, cette zone semble donc offrir des conditions qui permettent ou bien qui forcent les populations à une utilisation pérenne et intensive des eaux du tank. Les facteurs déterminants de tels comportements doivent maintenant être analysés.

L'organisation agricole

On peut remarquer d'entrée, que l'agencement particulier de ces tanks reflète une organisation spatiale, élaborée sur des bases empiriques, et de ce fait respectant le fonctionnement hydrologique naturel. En ce sens, on peut dire qu'ils relèvent d'une approche environnementale intégrée (Mosse, 1997). La part des terres irriguées est ici très forte (plus de 80% des terres cultivables) ; le riz transplanté est largement majoritaire, bien que la méthode par semis direct connaisse une augmentation et une plus large diffusion ces dernières années. Les variétés employées sont, quant à elles, exclusivement issues de la Révolution verte. En raison des faibles opportunités qu'offrent les terres non irriguées, une très grande majorité de paysans possèdent des terres irriguées alors que, dans le même temps, le mode de faire-valoir indirect est peu utilisé malgré le nombre élevé de sans-terres. L'ensemble du territoire est dominé par la caste guerrière des Maravars, qui a assis localement son pouvoir autour des 14ème et 16ème siècles. Cette domination s'exprime de nos jours par la réclamation de droits et de privilèges lors des litiges, en particulier ceux liés à la répartition des eaux de tanks. L'organisation, de ces derniers en cascade impose une réponse sociale spécifique. Ces cascade tanks sont reliés entre eux par un réseau complexe de chenaux dont certains nécessitent de construire des barrages temporaires (munkuntan) pour divertir les eaux écoulées. Bien que les droits royaux historiques ne soient plus en vigueur aujourd'hui, certains, régissant une répartition spécifique des eaux, sont encore utilisés, débouchant sur de nombreux conflits lors des périodes de sécheresse, et dans lesquels les Maravars sont les principaux acteurs. La raison tient à l'opposition et aux revendications de certaines castes envers les privilèges dont jouissent les Maravars. Les conflits naissent donc du fort degré de connexion hydrologique des tanks, autant que de la position et l'histoire des castes (Mosse, 1997). Toutefois, les situations de coopérations sont bien plus nombreuses. Les ventes d'eau de tanks sont ainsi fréquentes et facilitées par le réseau de chenaux. Il est néanmoins entendu que les villages en aval sont plus souvent acheteurs que vendeurs. Une certaine complexité entoure ces transactions qui peuvent par exemple se réaliser par des mises en gages mais qui font souvent intervenir les membres d'une même caste. Quelques ventes peuvent se réaliser, malgré des stocks assez faibles, en raison de brèches apparues dans les digues et qui peuvent menacer les cultures et les villages en aval. Ces pertes brutes sont très dommageables pour les paysans qui ne peuvent, en outre, disposer d'eaux souterraines, compte tenu de la salinité des nappes dans toute la partie méridionale de la zone. Le maintien des tanks dans un bon état est donc fondamentalement une nécessité pour eux. Voyons les règles qui régissent la gestion de ces derniers et des eaux ainsi stockées.

La gestion des tanks et de ses ressources

Deux éléments caractérisent la distribution des eaux en mankalanatu. Le premier tient à la présence des neerkatties, qui appartiennent le plus souvent à la caste intouchable des Pallars. Proportionnellement à la taille des tanks, ils sont très nombreux, fréquemment plus de deux par tank. Leurs champs d'actions sont très variés, comparativement aux neerkatties qui gèrent la distribution des eaux dans les tanks gérés par le PWD (partie 2). La présence de ces neerkatties rentre dans le cadre du système jajmani, qui lie, au sein du village, certaines castes

68

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

d'artisans ou de services, à des familles ou des groupes d'acteurs qui en sont héréditairement les clientes du point de vue commercial, mais qui représentent des patrons dans le cadre du clientélisme (Landy, 1994). Il y a toutefois des disparités dans le fonctionnement de ce système, d'un village à l'autre, en raison de la condescendance plus ou moins marquée des castes dominantes à l'égard des castes subordonnées, et pouvant se solder, dans certains cas, à des insoumissions. En règle générale, leurs actions sont donc très variées, et vont de pair avec des connaissances agronomiques très développées. La diversion des eaux dans l'ayacut est ainsi réalisée après une estimation empirique des besoins de chaque parcelle selon plusieurs paramètres (humidité, sol, croissance du végétal, etc.). Le deuxième élément caractéristique de la gestion de l'eau en mankalanatu est relatif au rationnement en période de déficit pluviométrique. Ce rationnement se fait ici sur la base de la superficie des parcelles. Les paysans doivent donc mettre en valeur une proportion fixée de l'ensemble de leurs terres. Quand le déficit est très marqué, le rationnement se fait en rapport à la taille du foyer, de la maisonnée. Le système en place est donc relativement efficace même si son contrôle, par les castes dominantes, maintien le système social hiérarchique et pyramidal. Ceci ne se vérifie toutefois que dans le cas des villages multi-castes. La surveillance des chenaux est, quant à elle, confiée à des membres de la caste intouchable des Paraiyars, tandis que la participation de la caste bergère des Konars s'effectue par le don d'une chèvre, pour répondre au rite du sacrifice, avant que l'eau du tank ne commence à être relâchée (Mosse, 1997). La diversité des acteurs exprime le besoin des populations d'attribuer un rôle à chaque fonction considérée comme primordiale, ce qui reflète parfaitement l'intérêt qu'elles portent à l'égard du tank. La maximisation des potentialités du tank est, elle aussi, un aspect spécifique à cette zone. On a déjà dit que les plans de reforestation, dans le cadre de la foresterie sociale, représentaient une source importante de fonds. La pêche, elle aussi régie par des enchères, s'accorde sur les même objectifs, mais nécessite en plus la participation des kutumpan (caste Pallar) pour effectuer diverses opérations relatives à l'activité et aux partages des poissons récoltés.

Le système de gestion s'avère ainsi relativement sophistiqué. Ceci peut s'expliquer non seulement par des facteurs environnementaux (relation amont-aval, hydrologie, facteurs édaphiques) mais aussi sociaux, en raison de la forte domination des Maravars qui tiennent à maintenir leur position historique dominante par la continuité des modes de gestion traditionnels.

69

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

Figure 30 - Cartes de l'occupation du sol de la zone mankalanatu

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

3.2.2 La zone karicalkatu Analyse des images

Compte tenu de la couverture nuageuse, sur l'image de 1973, plus restreinte que sur la zone étudiée précédemment, il a ici été possible d'analyser les dynamiques de certains états de

 

Surface (hectares)

Etats de surface

MSS

TM

ETM+

Végétation

activité moyenne

 

6721 (27%)

14786 (56%)

forte activité

10269 (49%)

2386 (9%)

3588 (14%)

Sol

humide

 

7012 (28%)

2955 (11%)

érodé

 

9170 (36%)

5134 (19%)

Eau

10576 (51%)

nul

nul

Total

20845

25289

26463

Tableau 4 - Etats de surface de la zone karicalkatu

70

surface sur une période de 28 ans. Cela dit, pour des raisons techniques, seuls deux états de surface ont été analysés pour ce qui concerne les images MSS. A la date d'acquisition de cette image, la saison culturale correspond à la saison samba. Les surfaces de végétation à forte activité chlorophyllienne sont relativement élevées (cf. tableau 4). Elles se localisent pour bon nombre d'entre elles en aval des tanks, ce qui est le signe d'une alimentation en eau par ces derniers (cf. figure 31). Concernant les tanks, ils sont remplis de manière très disparate.

Il est tout d'abord nécessaire de préciser que la grande majorité des tanks représentés sont des non-system tanks. Il existe deux gradients positifs de remplissage. Le premier ouest-est et le second nord-sud. On a vu dans la partie précédente que le remplissage élevé des tanks à l'ouest pouvait s'expliquer, en partie, par une rupture de pente. Cet élément implique effectivement une taille plus réduite des tanks en raison du ruissellement plus intense. A cela, il faut rajouter le fait qu'ils se situent non seulement en queue de bassin, mais qu'ils sont aussi intégrés dans un réseau complexe de chenaux, reliant les tanks les uns aux autres. Compte tenu de la surface considérée, les apports d'eau doivent donc être très importants. On peut enfin compléter la démonstration par le fait que la situation littorale influence certainement la salinité des nappes phréatiques, limitant ainsi la disponibilité des eaux souterraines pour une utilisation agricole Le second gradient nord-sud s'explique, quant à lui, par la présence de la Vaigai, au sud, qui alimente de manière discontinue certains tanks proches. En raison des dates d'acquisition, l'analyse des deux autres images va suivre une méthode comparative. Une première observation relève l'absence complète d'eau, à l'inverse de la zone mankalanatu, ce qui est un signal fort d'une gestion sociale des ressources différente, ceci en dépit des caractères physiques qui ne peuvent expliquer de telles différences. En terme de surface, les deux types de végétation, à moyenne et forte activité chlorophyllienne, ont crû de 1990 à 2001, tandis que durant la même période, les surfaces en sols humides et érodés ont diminué. L'augmentation du couvert végétal concerne l'ensemble de l'espace, avec toutefois une concentration dans les parties occidentale et centrale. Certaines des parties nouvellement végétalisées occupent les sols humides de 1990, qui sont considérés comme les lits des tanks, ce qui signifie une dégradation structurelle de ces mêmes tanks. Sur l'image de 1990, les sols érodés semblent s'inscrire spatialement en un réseau dendritique qui relie les tanks entre eux. Cette organisation laisse à penser que cette catégorie de sols puisse correspondre au réseau des chenaux d'alimentation en eau des tanks. Celui-ci s'est détérioré en 2001, ce qui peut être le signe d'un réseau mal entretenu. Enumérons à présent quelques éléments caractéristiques de l'espace karicalkatu avant d'interpréter plus précisément les résultats de l'analyse.

Traits caractéristiques des systèmes agricoles et de la gestion des tanks

Des différences profondes existent entre cette zone et la zone mankalanatu. La première d'entres elles concerne la part des cultures irriguées, qui est ici très faible, de l'ordre de 18% (Mosse, 1997). Le paddy (dont de nombreuses variétés traditionnelles) et, dans une moindre mesure, le piment, sont de loin les deux principales cultures irriguées. La part, importante, des

71

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

cultures pluviales s'explique par les bonnes potentialités agricoles, déjà énoncées, des sols noirs. On retrouve en pluvial, du paddy, du coton, du piment ainsi que de nombreuses légumineuses. La diversification est donc plus forte qu'en mankalantu, alors que dans le même temps, les opportunités de travail non agricole sont plus élevées et ceci en dépit d'une majorité de foyers engagés dans l'agriculture. Concernant la gestion à proprement parler des tanks, des règles régissent la répartition des eaux, mais elles sont régulièrement outrepassées par les paysans qui utilisent exagérément l'eau du tank, limitant ainsi la disponibilité temporelle des stocks. Ceci peut en partie s'expliquer par l'absence quasi-totale de neerkatties ou de tout autre acteur de l'eau. Les opérations de nettoyage des chenaux ou des vannes incombent aux paysans qui s'octroient, dès lors, la primauté d'utilisation des eaux du tank. L'entreprise de telles opérations nécessite toutefois la mobilisation d'une importante force de travail, ainsi que des capitaux, que seuls les hautes castes, ou les castes dominantes, peuvent réunir. L'absence, non seulement d'actions collectives en faveur de la maintenance des tanks, mais aussi de méthodes de rationnement, augmente le désarroi des petits paysans, et augmente le risque des pertes. A cela s'ajoute la manipulation des règles et leur détournement plus ou moins légal, par les castes dominantes, au détriment des plus faibles, parmi lesquels les femmes sont les plus vulnérables. Lors des conflits, ces règles sont rappelées et endossées publiquement dans une stratégie de manipulation. La domination s'exprime donc ici par l'habileté à dissimuler l'intérêt personnel dans le langage d'un consensus communautaire (Mosse, 1997). L'élément historique fondamental qui a fait basculer les modes de gestion dans cette région est la contestation du pouvoir des Maravars par la caste paysanne des Udaiyars à la fin du 18ème siècle. Ayant remis en cause l'autorité des Maravars, ces derniers ont fait évoluer le système traditionnel de gestion de l'eau, qui était alors similaire à celui qu'on peut trouver en mankalanatu, substituant la gestion privée à la gestion collective. Tous les rouages du système ont, à partir de là, évolué vers une individualisation des stratégies paysannes, avec pour résultat une érosion de la performance des tanks. L'émergence de cette caste a entraîné d'autres castes dans son sillage, à la faveur de comportements opportunistes. Cette dynamique historique n'a été possible et ne peut se comprendre que par la présence d'un environnement naturel favorable, ou du moins non contraignant.

Interprétation des dynamiques observées

Au regard des informations précédentes, il apparaît clairement que la gestion des tanks n'est pas organisée de manière structurée sur l'ensemble du territoire. Les tanks sont pourtant reliés entre eux par un réseau de chenaux, qui fonctionne sur le même principe qu'en mankalanatu. Les actes de coopération et de ventes d'eau, entre les villages, sont rares voire inexistants. Les transactions de stocks d'eau seraient de toute manière difficile à mettre en oeuvre, compte tenu de l'état des chenaux. Ainsi, entre 1990 et 2001, les surfaces érodées ont diminué presque de moitié, ce qui relève d'un mauvais entretien de la part de la collectivité. Le même constat s'applique aux lits des tanks dans lesquels les exemples de colonisation par de la végétation, mais aussi par des activités anthropiques (plantations illégales d'arbres fourragers) et des établissement humains sont nombreux, ce qui s'explique en partie, par la pression démographique (la densité de population en 2002 était d'environ de 300 hab./km2) (Mosse, 1997 ; Sivaganga Website). L'augmentation des surfaces végétales peut s'expliquer, quant à elle, par une intensification de systèmes culturaux en pluvial (avec une utilisation plus importante d'intrants par exemple). Celles qui présentent une forte activité chlorophyllienne peuvent être assimilées, compte tenu de leur localisation, à des végétaux poussant sur des sols très humides, susceptibles de correspondre non seulement à des cultures empiétant sur les lits de tanks, mais aussi et surtout à de la végétation spontanée herbeuse (pelouses). Il y eut donc une dynamique de dégradation des tanks et de ses éléments structurels entre 1990 et 2001.

72

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

Figure 31 - Cartes de l'occupation du sol de la zone karicalkatu

73

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

3.2.3 Comparaison des modes de gestion de la ressource entre la zone mankalanatu et karicalkatu

Deux dynamiques opposées

Des dynamiques radicalement opposées affectent donc deux espaces contigus, appartenant pourtant à une même unité. Cette distinction relève autant de facteurs physiques et écologiques, que de facteurs sociaux, culturels et historiques (Mosse, 1997). Dans le premier cas, ces facteurs influencent positivement la mise en place d'actions collectives et donc de coopérations, alors que dans le second, l'intérêt individuel l'emporte sur l'intérêt collectif. Partant de systèmes de gestion pourtant similaires, les changements historiques ont moins perturbé la zone mankalanatu que la zone karicalkatu. Concrètement, cela se matérialise par des changements qui s'inscrivent territorialement, et sur un laps de temps relativement court. En l'espace de dix ans, et en dépit des variations climatiques qu'il faut prendre en compte, mais qui ne sont pas susceptibles de renverser la tendance, une situation de stabilité, dans laquelle les tanks apparaissent comme une ressource commune, gérée collectivement mais sous la houlette d'une caste dominante, contraste avec une situation de déclin de cette même ressource. Dans ce dernier cas, des stratégies agricoles individualistes débouchent sur une dégradation structurelle et fonctionnelle des tanks, qui tend à s'inscrire dans un cercle pernicieux de marginalisation sociale et de perturbation environnementale. A l'inverse, les images satellites de la zone mankalanatu tendent à démontrer qu'en raison de la présence de nombreux acteurs clefs de la gestion de l'eau, le système tank n'est pas en péril, bien au contraire, mais qu'il est dans le même temps le résultat d'une domination sociale et d'une gestion traditionnelle autoritaire, relativement peu remise en cause. Il est néanmoins probable que, compte tenu des conditions environnementales, cette gestion soit, du moins dans son résultat, optimale. Une forme d'homéostasie caractérise donc la zone mankalanatu, qui a la capacité de conserver un équilibre interne en dépit des contraintes extérieures.

Les actions collectives

En zone semi-aride, et afin de maintenir le plus longtemps possible la disponibilité en eau, les populations doivent mettre en oeuvre des actions au moyen d'une gestion spécifique. En raison du statut commun de l'eau, ces actions doivent, elles-mêmes, prendre un caractère collectif. Dans notre cas, ces actions concernent en premier lieu le vecteur qui rend l'eau disponible auprès des paysans, à savoir le tank. Plusieurs variables sont susceptibles d'influencer le degré de coopération, nécessaire aux actions collectives. On peut citer les plus importantes d'entre elles concernant la zone étudiée : le degré de disponibilité en eau, l'hétérogénéité sociale du groupe, la taille du tank, le volume potentiel des bénéfices en cas de coopération, la part d'investissement personnel comparé aux gains potentiels, le statut social de chaque individu et la fréquence d'intervention sur le bien collectif pour le maintien de son efficacité (Ostrom, 2000). Ainsi, la distribution de l'eau et la maintenance des chenaux, qui doivent être effectués chaque année, voire chaque saison, influencent positivement les actions collectives, à la différence de l'entretien des tanks, qui est une activité ne présentant pas de linéarité temporelle (Mosse, 1997). Les sols, qui agissent sur le volume des bénéfices en cas de coopération (possibilité de cultures pluviales), ainsi que sur le degré de disponibilité en eau (capacité de rétention), déterminent des niveaux de coopération différents. Le statut des paysans est aussi une variable fondamentale pour comprendre cette différenciation. D'un côté, en mankalanatu, la plupart de ceux-ci sont propriétaires de terres irriguées, alors qu'en karicalkatu, le faire-valoir indirect est important et la part des propriétaires de terres irriguées, faible. Il y a donc ici une divergence des intérêts à maintenir les tanks. La présence d'une

74

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

seule caste dominante est un critère d'homogénéité, qui permet d'entreprendre et de mobiliser plus aisément les forces. Enfin, la diversification des activités, rendue possible par un environnement propice en karicalkatu, augmente le capital financier des castes dominantes qui n'ont, du coup, que peu d'intérêts à préserver la ressource commune. Cette liste n'est pas exhaustive, mais elle permet de comprendre les différentes actions mises en oeuvre par les populations autochtones. On peut enfin préciser que la question des actions collectives ne se pose que lorsque la ressource se fait rare ou se dégrade fortement.

Les mécanismes socioculturels

Certains d'entre eux conditionnent la persistance des systèmes traditionnels, tel celui de la zone mankalanatu. Les sanctions à l'encontre des paysans non coopératifs sont le résultat d'une gestion coercitive de la part des castes dominantes. Cette forme d'autorité serait donc une nécessité pour maintenir et gérer un bien commun, accessibles à tous, mais de manière inégalitaire (Mosse, 1997). Ceci pourrait, néanmoins, s'avérer être une forme de légitimation de cette domination. On voit que le tank et ses produits dérivés génèrent des bénéfices, mais que ceux-ci ne sont pas utilisés rationnellement. Des formes socioculturelles, comme la symbolique ou l'honneur, prévalent donc sur la rationalité économique et écologique. Néanmoins, de la forte connexion intervillageoise, qui s'établit suivant le réseau hydrologique, doit émerger une responsabilisation des comportements. Il est possible que dans ce cadre, une forme supérieure d'autorité soit, dans une certaine mesure, nécessaire à la survie du système afin d'éviter conflits et défenses d'intérêts personnels, au détriment des biens communs. Dans le cas de karicalkatu, l'introduction par l'administration britannique (agent exogène) d'une nouvelle forme d'organisation sociale dans les campagnes, les zamindaris, engagea les paysans à abandonner les terres irriguées, compte tenu de l'impôt particulier qui leurs étaient réservées. L'adoption de nouvelles stratégies paysannes, ajoutée à l'hétérogénéité des castes dominantes déboucha donc sur une nouvelle organisation agricole, plus moderne dans sa structure et dans ses objectifs. En tout état de cause, le système de gestion en mankalanatu, qui sous plusieurs aspects apparaît comme traditionnel, est aussi celui qui permet une gestion durable de la ressource, bien qu'il se fonde aussi sur une certaine hiérarchisation socioculturelle.

3.3 La multiplication des puits, et ses conséquences sociales et environnementales

En parallèle à la Révolution verte, le gouvernement a initié une politique volontariste en faveur du développement de l'irrigation par les réserves souterraines. Elle a particulièrement été efficace au Tamil Nadu, où elle s'est traduite par des prêts à faible taux d'intérêts ainsi que par l'électrification gratuite des campagnes accompagnée d'une multiplication des pompes électriques (Balasubramanian et al., 2003). C'est une des facettes de l'évolution d'une économie de subsistance vers une économie de marché. Le cas étudié ici révèle une situation où une certaine complémentarité existe entre les différentes sources d'irrigation.

3.3.1 Evolutions entre 1973 et 2001

L'image acquise le 09/02/1973 laisse apparaître nettement les contours des tanks, ainsi que les sols humides qui correspondent aux parties de leurs lits récemment exondées (cf. figure 32). Ces tanks sont alimentés par le Thirumangalam Main Canal (TMC) qui est connecté à la Vaigai, depuis la fin des années 1950, par le régulateur Peranai situé en amont de Madurai. Ce sont ceux qui présentent le meilleur rapport capacité de stockage/surface irriguée dans l'ensemble du bassin versant (Vaidyanathan, 2001). La perte de surface agricole est donc

75

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

compensée par leur efficacité. La saison culturale correspond à la saison samba bien que la date de la moisson soit proche. Le stock d'eau encore disponible dans les tanks laisse à penser qu'une seconde culture sera possible. Il est toutefois peu probable qu'il ne soit suffisant pour des cultures irriguées très demandeuses en eau, comme le paddy, mais servira plutôt à des cultures de ragi ou d'arachides. La seconde image, du 23/04/1990, acquise durant un cycle pluviométrique déficitaire correspond à la saison navarai. Dans ce contexte de péjoration climatique, le stock d'eau résiduel peut être considéré comme relativement élevé, ce qui amène à relever le fait que les system tanks sont moins dépendants des conditions climatiques locales que ne peuvent l'être les non-system tanks. La majorité des parcelles irriguées correspondent aux ayacuts des tanks, non seulement en raison de la disponibilité de l'eau stockée dans ces derniers, mais aussi en raison des niveaux piézométriques plus élevés qu'en punjai et donc favorables à l'implantation de puits. En 1995, les densités de puits dans les ayacuts sont les plus élevées de tous les system tanks du bassin versant ; de 30 à 75 puits par centaine d'hectares (Vaidyanathan, 2001). Le morcellement, observé, des terres irriguées en 2001 est significatif d'une irrigation par puits. De plus, certains agrégats de terres irriguées en 1990, que l'on peut considérer comme terres nanjai, sont absents en 2001, ce qui laisse penser à une utilisation moindre du tank. Dans le même esprit, une proportion importante de terres humides en 1973 est totalement colonisée par de la végétation en 2001. Ceci peut correspondre tout autant à des cultures qu'à des pelouses à fort taux de recouvrement. Il reste toutefois des stocks d'eau dans les tanks, ce qui est le signe d'une bonne alimentation par les canaux compte tenu de la date avancée en saison sèche. Ces stocks permettent aussi la recharge des nappes par percolation. Il n'est donc pas improbable que ces dynamiques soient le fruit d'une bonne gestion des ressources de la part des acteurs locaux.

3.3.2 L'organisation de la gestion des ressources

La plupart des tanks concernés n'ont pas de personnels attitrés pour les opérations d'irrigation et de maintenance/réhabilitation (Vaidyanathan, 2001). Une grande majorité des actions réalisées sont le fruit des ayacutdars. Avant la réalisation du canal relié à la Vaigai, durant la fin des années 1950, les cultures étaient toutes des cultures pluviales et les rendements étaient très faibles. Après la connexion au canal, des changements se sont opérés, mais de manière très lente, alors que des organisations structurées se mettent lentement en place. Durant la première moitié des années 1990, le PWD a investit ici des sommes limitées comparativement aux autres system tanks du bassin versant. Les actions entreprises ont principalement concerné les structures des tanks, comme les digues et les vannes. Pour remédier à ces manquements, les organisations villageoises collectent des fonds pour engager des actions collectives auxquelles participent les ayacutdars ainsi que des ouvriers agricoles. Pour financer ces opérations, deux méthodes de collecte sont très utilisées : la première consiste à prélever une somme d'argent en rapport avec la taille du foyer, de la maisonnée, tandis que la seconde consiste à vendre des contrats d'exploitation des ressources piscicoles du tank. En début de mousson, des larves sont introduites dans les tanks et lorsque le niveau du tank atteint un seuil critique, la pêche est alors autorisée, mais uniquement pour les contractants. La plupart des contrats sont cédés sous la forme de ventes aux enchères, méthode qui favorise les plus riches. L'argent collecté est utilisé pour les réparations d'urgence du tank et pour le développement du village. Lorsque les eaux du tank tendent à se raréfier, en plus de l'utilisation des réserves souterraines, lorsque celles-ci sont disponibles (directement ou par achat), des techniques de rationnement sont mis en place afin d'optimiser les stocks disponibles. La technique employée ici consiste à irriguer les parcelles de l'ayacut les plus proches de la digue, afin de limiter au maximum les pertes dues aux infiltrations lors des écoulements dans les chenaux. Les villages sont donc en voie d'organisation, mais il est clair que les fonds dégagés ne

76

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

suffisent pas à effectuer les opérations nécessaires ; c'est ce qu'exprime l'état général des structures, qui n'est pas parmi les meilleurs du bassin versant.

3.3.3 Les conséquences de la multiplication des puits

L'accès aux réserves souterraines a remplacé, depuis plusieurs années, l'accès à la terre dans la détermination du statut socio-économique des agriculteurs, mais il ne place toutefois pas tous les acteurs sur un pied d'égalité. La taille des parcelles, ainsi que les capitaux nécessaires aux investissements de base, sont en effet les premiers facteurs limitants de la possession d'un puits, marginalisant de fait les petits paysans. Le système d'héritage débouche sur de nombreux cas de co-propriété ; un tiers des puits du bassin versant sont exploités de cette manière (Janakarajan et al., 2002). De nombreux conflits naissent de ce mode d'exploitation, qui réunit autour d'un puits des membres d'un même village ou d'une même famille. Des accords doivent ainsi être trouvés pour le partage des frais inhérents à la maintenance des puits, et pour la gestion du temps de pompage alloué. Les conflits d'intérêts sont donc fréquents et exacerbés par la discontinuité de l'alimentation électrique, les pollutions chimiques et la baisse des niveaux piézométriques (Vaidyanathan et al., 2003). C'est cette baisse généralisée qui pousse les propriétaires de puits à s'engager dans une véritable compétition d'approfondissements de leurs puits. Ceux qui ont des moyens financiers suffisants peuvent approfondir leur puits, ou forer des puits tubés, pour accéder à la ressource. Les autres doivent s'endetter auprès de créanciers, mais sans aucune assurance de tomber sur des réserves. C'est donc un processus continu de différenciation sociale qui tend à consolider les relations de pouvoir inégalitaires. Dans ces conditions, un marché de l'eau informel reprenant les règles de marchés officiels s'est mis en place. Les prix fluctuent selon l'offre et la demande mais aussi selon la saison et le stade cultural. En raison de l'abaissement des nappes et de l'utilisation croissante de la ressource par les propriétaires de puits, ce marché informel tend néanmoins à se réduire depuis quelques années. Cela constitue un bon exemple de la théorie de Hardin, la tragédie des communs (Hardin, 1968). Selon l'auteur, la gestion de biens communaux, en particulier les ressources renouvelables, conduit inéluctablement à une surexploitation de la ressource jusqu'à sa disparition. Les profits issus de l'usage des ressources étant individualisés et les coûts étant partagés, l'intérêt de chacun est d'exploiter au maximum la ressource. La surexploitation des eaux souterraines correspond ici à cette théorie, qui défend aussi l'idée d'une privatisation de la ressource comme moyen régulateur. L'existence de règles collectives semble toutefois un compromis plus intéressant, qui ne remet pas en cause le statut commun de l'eau. Le processus évolutif de la tragédie est en tout cas bien respecté. Le stade actuel fait apparaître trois orientations possibles: la première est le laisser-faire (conduisant inexorablement à une forte diminution de la ressource), la seconde consiste en une privatisation de la ressource (ce qui est en partie déjà le cas en raison des investissements individuels et de la mise en place d'un marché), ou alors comme on l'a dit, la mise en place de règles collectives avec pour objectif une utilisation durable. Il apparaît, néanmoins, des pratiques jugées non durables, qui sont liées à la raréfaction de la ressource et à des comportements égoïstes. Un des exemples est celui des gros propriétaires qui pompent les eaux souterraines de l'ayacut avant de la transférer dans les puits situés en zones de cultures pluviales. Ceci engendre un doublement de la consommation d'énergie. C'est cette confrontation d'une rationalité individuelle, avec une rationalité collective, qui entraîne une érosion des ressources naturelles (Vaidyanathan et al., 2003). Il est pourtant avéré que les puits apportent un complément à la performance des tanks en réduisant les incertitudes sur les quantités disponibles. Dans le même temps, ils leurs sont préjudiciables à travers la réduction de la dépendance des propriétaires de puits envers les eaux du tank.

Des facteurs locaux explicatifs des disparités territoriales

Figure 32 - Cartes de l'occupation du sol des system tanks du Thirumangalam Main Canal

77

78

Discussion

4. Discussion

Cette partie est consacrée à la synthèse des résultats de l'étude. Les dynamiques observées permettent d'avoir une vision d'ensemble du bassin versant et une réflexion générale sur les différents problèmes et problématiques auxquels sont confrontés les paysans. La figure 33 résume, à l'aide d'un schéma, les variables en jeux et l'évolution, dans le temps, des principales composantes agricoles.

4.1 Résultats

L'irrigation par tank apparaît, au regard des résultats, assez complexe. Il convient donc, dans cette partie finale, de démêler la situation en organisant la réflexion autour de trois thèmes, énoncés sous forme de questions, et qui recoupent les principales informations données tout au long de l'étude.

4.1.1 Comment expliquer les différences observées dans l`agencement et la gestion des tanks au sein du bassin versant de la Vaigai ?

La prévalence des facteurs environnementaux

La détection des tanks, par images satellites, a démontré l'existence d'un agencement spatial particulier de ceux-ci. D'après cette information, et au regard des cartes de densités par taluk, il n'apparaît, tout d'abord, aucune corrélation spatiale évidente entre les densités de population et l'agencement particulier des tanks. On peut penser que les tanks ont répondu, du moins au début de leur histoire, à des besoins croissants en eau potable et en eau d'irrigation dans le contexte semi-aride. L'absence de corrélation, à l'heure actuelle, entre la densité de population et la densité tank, est donc un signe, parmi d'autres, de la baisse de dépendance des populations, fortement rurales, vis-à-vis de ce système de récolte des eaux. L'aisance avec laquelle il est possible de rendre l'eau disponible et accessible aux populations, à travers l'aménagement du territoire et les structures adéquates, n'est pas égale en tout point d'un territoire, et en l'occurrence d'un bassin versant. C'est un point très important, dans la mesure où elle implique une mise en perspective de l'organisation spatiale des tanks qui s'inscrirait selon deux éléments principaux, (i) le milieu naturel et (ii) les techniques mises en oeuvre par les civilisations. L'étude des zones mankalanatu et karicalkatu a montré de quelle manière l'histoire culturelle s'est trouvée sous la contrainte des potentialités du milieu naturel local. Les résultats sont qu'en l'espace de dix ans, des évolutions territoriales différentielles, nées de dynamiques sociales opposées, affectent de manière très distincte des territoires pourtant contigus. L'appréciation de ces évolutions est facilitée par l'adoption d'une vision synoptique du territoire, alors qu'elles ne sont probablement pas perçues d'une manière aussi forte, par les populations. Ces hétérogénéités environnementales caractérisent donc, en conséquence, des comportements individuels et collectifs différents. Alors que certains s'inscrivent dans une certaine continuité historique de coopération, d'autres sont, au contraire, marqués par un haut degré de versatilité, variant selon les opportunités qui se présentent.

L'eau

Tous les faits décrits précédemment sont liés à la présence ou à l'absence de l'eau, et à la manière dont elle est récoltée, stockée, prélevée, et utilisée. On a vu l'importance qu'il était convenu d'accorder à cette ressource renouvelable dans un contexte de semi-aridité. Jusqu'aux années 1970, date d'acquisition des premières images satellite MSS, l'agriculture était encore largement une agriculture de subsistance, c'est-à-dire basée sur les cultures vivrières. Progressivement, des cultures commerciales avec des besoins en eau plus

79

Discussion

importants, les ont remplacées. Dans le même temps, de nouvelles variétés hybrides de riz ont été mises sur le marché, afin d'augmenter des rendements très faibles et de raccourcir les cycles de croissance. La sécurisation de ces cultures est toutefois allée de pair avec une plus grande consommation d'eau et d'intrants. Ce processus est fondamental pour comprendre les nouvelles pratiques agricoles, associées à des nouveaux besoins. On peut aussi considérer qu'il joue un rôle dans le déclin des tanks, qui ne présentent pas, intrinsèquement, les qualités requises à cette sécurisation. En effet, le système des tanks est un instrument de sécurisation alimentaire traditionnel dans un contexte démographique moins saturé qu'aujourd'hui, et dans lequel l'agriculture pluviale (millets) jouait un rôle plus important qu'aujourd'hui. L'agriculture pluviale n'a pas été l'objet des mêmes efforts que l'agriculture irriguée dans le cadre de la Révolution verte, et donc la sécurisation alimentaire en année sèche, autrefois assurée par de variétés rustiques et les cultures associées résistantes à la sècheresse, est négligée depuis 30 ans.

Compte tenu des dates d'acquisition des images postérieures à celles de 1970, il est difficile d'estimer précisément, pour une même période, la variation des stocks d'eau dans les tanks. Néanmoins, au regard des états de surface des lits des tanks, au début des années 1990 et 2000, marqués par des couvertures végétales assez importantes, il est probable que les capacités d'eau stockées par les tanks aient diminué ces dernières décennies, ce qui est confirmé par plusieurs travaux dénonçant la dégradation de ces tanks (Balasubramanian et al., 2003 ; Kajisa et al., 2004 ; Sakurai et al., 2001 ; Vaidyanathan, 2001). Toutefois, là encore, la présente étude montre une grande diversité de cas à travers le bassin versant. Ceux-ci tendent à refléter une cohérence, toutefois relative, entre l'eau disponible et les cultures pratiquées : cultures de rente ou cultures vivrières (en prenant en compte l'importance culturelle du riz). L'élément le plus frappant demeure l'inégal accès à la ressource et la répartition inégalitaire de celle-ci. Cela relève d'un problème conjoncturel, liant la multiplication des puits à la dégradation des tanks, et débouchant sur une diminution quantitative des stocks d'eau, ce qui est générateur de conflits d'usage.

Une gestion stratifiée

La gestion des tanks, à travers le bassin versant, apparaît comme symptomatique d'une gestion qui mélange bureaucratie et laisser-faire, généralement répandue dans les pays en développement et plus encore lorsqu'il s'agit des ressources renouvelables. Au final, c'est le manque de souplesse et d'articulation qui pourrait caractériser le mieux le système de gestion en place ici. En premier lieu, on peut s'interroger sur la pertinence du seuil fixé à 40 ha d'ayacuts irrigués, qui distinguent les tanks gérés par le panchayat de ceux gérés par le PWD. Ce seuil peut apparaître comme arbitraire, compte tenu de l'agencement spatial des tanks, et moralement illégitime, en raison des contributions affectées de manière disparate. Etayons toutefois la réflexion par rapport à la partition établie. Les actions du PWD se caractérisent tout d'abord, par des interventions qui manquent de continuité dans le temps et dans l'espace. Celles-ci apparaissent comme réactives à des situations avancées de dégradation, qui nécessiteraient, au contraire, des interventions proactives afin de juguler la baisse de performance des tanks, et de limiter les pertes brutes lors des années difficiles. Quant au nombre et à l'ampleur des opérations de maintenance, l'étude a montré un contraste assez net entre les system tanks et les non-system tanks, ces derniers ne bénéficiant pas d'autant d'avantages. Ceci semble expliquer une partie des différences d'états des structures et justifie la volonté étatique de relier un plus grand nombre de non-system tanks à la Vaigai (Vaidyanathan, 2001). En tout état de cause, les contributions faites par les ayacutdars apparaissent comme nécessaires, mais représentent pour ces acteurs un coût financier supplémentaire. Au niveau des panchayats, la gestion peut être qualifiée d'hétéroclite en

80

Discussion

raison de la liberté d'action dont ils jouissent ; le pragmatisme pouvant laisser la place à l'excessif ou à « l'inutile ». La gestion des fonds dégagés de l'utilisation et des ventes des produits dérivés du tank est ainsi abandonnée au libre arbitre.

4.1.2 Quelles ont été les évolutions du paysage rural? Les évolutions structurelles et fonctionnelles des tanks

Une distinction apparaît comme fondamentale selon que l'on considère les tanks gérés par le PWD ou ceux gérés par les panchayats. Dans le premier cas, la gestion précédemment décrite implique des changements structurels différenciés entre les system tanks et les non system tanks, alors que dans le second cas, c'est le nombre de gestionnaires de l'eau, et singulièrement le nombre de neerkatties, qui est le facteur discriminant. L'exemple du sous-bassin de Sarugani est ainsi un bon exemple des évolutions contradictoires des deux zones contiguës étudiées. Les neerkatties étant des membres de castes de service, dans le cadre du système jajmani, ce sont donc les acteurs concernés par la gestion de l'eau qui décident, par le biais des conseils villageois, de les engager ou non. Des réponses spatiales originales, et contradictoires, se manifestent donc sur un pas de temps historiquement court pour chacune des deux zones. Des années 1990 aux années 2000, les résultats de télédétection tendent à prouver, à dates proches et malgré un contexte climatique moins favorable, un affaiblissement des stocks d'eau et une augmentation de la couverture végétale, bien qu'il soit difficile de s'assurer du caractère pérenne ou temporaire de cette dernière. L'étude plus détaillée de la zone des system tanks alimentés par le TMC, démontre, quant à elle, une progression des espaces irrigués durant la saison sèche, ce qui implique une utilisation plus importante des eaux souterraines, en adéquation avec les besoins des systèmes agricoles plus intensifs, mais au détriment de la régénération des nappes phréatiques. Le support physique a, quant à lui, un double impact, direct et indirect sur l'état des tanks : direct dans la mesure où la configuration topographique et les sols impliquent des sollicitations particulières, et indirect, en raison des potentialités agricoles et des conditions de prélèvements d'eaux souterraines, spécifiques à chaque localité et susceptibles d'entraîner un désintérêt vis-à-vis du tank.

La relation entre les acteurs locaux et les dynamiques observées

En raison du caractère artificiel des tanks, il est évident que c'est le degré d'implication et d'investissement des acteurs locaux qui détermine en retour, à un instant t, l'état, la performance, et la place du tank dans la société paysanne. Alors qu'une relative instantanéité caractérise les bénéfices tirés des actions collectives comme le curage d'un tank ou le déblaiement d'un chenal, certains changements sociaux plus profonds, comme des changements de pratiques agricoles, ou encore l'introduction de nouvelles techniques de prélèvements des eaux souterraines, se matérialisent spatialement après une période de latence. A la base de ces changements sociaux, et en adéquation avec les potentialités du milieu naturel, la hiérarchisation sociale, et donc son degré d'hétérogénéité, apparaît comme une notion fondamentale. Dans les villages où la composition sociale est bigarrée, la caste dominante représente, on l'a vu, la seule véritable autorité ayant la capacité de mobiliser l'ensemble des acteurs pour la réalisation d'actions collectives, ce qui tendrait à prouver qu'une telle hiérarchisation est un facteur de stabilité. A l'inverse, lorsque plusieurs hautes castes détiennent des terres dans un même finage, c'est la dynamique individualiste et capitaliste qui prévaut. Ceci se vérifie aussi dans le cas où, comme dans la vallée de Cumbum, les sources d'approvisionnement en eau sont nombreuses et où donc les problèmes de raréfaction sont peu habituels, ce qui permet le développement d'une agriculture marchande

81

Discussion

par les castes dominantes, seules à pouvoir adopter des comportements opportunistes et implanter des ferments d'innovation. On peut enfin préciser que les villages qui présentent une certaine uniformité sociale sont davantage susceptibles d'observer des comportements de coopération que des villages à forte hétérogénéité sociale.

La vie quotidienne

Les changements observés impliquent des modifications au quotidien dans la conduite des exploitations au quotidien, ainsi que des bouleversements d'ordres sociaux plus généraux. La plupart de ces évènements sont liés, de près ou de loin, à la Révolution verte des années 1960. L'introduction des variétés hybrides à hauts rendements, ainsi que les politiques énergétiques, ont favorisé, dès le début, les plus gros propriétaires. Ceux-ci ont accusé un avantage décisif sur les petits paysans, essentiellement en raison de leurs capacités financières plus élevées. Ceci se caractérise actuellement par un inégal accès aux réserves souterraines, et des degrés de diversification différents. Les évolutions de la vallée de Cumbum et des system tanks du TMC sont l'expression spatiale de l'intensification agricole, qui implique aussi la modification des flux de travail établis. Au regard de ces changements et des évolutions des états de surface du lit des tanks, on peut penser qu'une érosion de la performance de ces tanks va de pair avec une plus grande diversification agricole. Cela pourrait correspondre à une première phase (déclin des tanks), à laquelle succède, ou succédera d'ici peu, la baisse des niveaux piézométriques des nappes phréatiques. La durée de la période intermédiaire sera fonction des réserves souterraines disponibles, des choix individuels des agriculteurs et de la politique des organisations villageoises. L'ensemble de ces facteurs conditionne l'organisation du monde rural, faite de contraintes et d'opportunités. On peut enfin relever que les changements sociaux, tels que les migrations, réduisent la force de travail des foyers et donc la possibilité de participer aux actions collectives de maintenance.

4.1.3 Quelles sont les dynamiques qui tendent à se développer dans le bassin versant de la Vaigai-Periyar ?

L'augmentation de la pression sur la ressource

En raison des prélèvements excessifs d'eaux souterraines dont le rythme est souvent supérieur à celui de la recharge, les stocks d'eaux tendent à se raréfier et le problème de l'épuisement de la ressource se pose avec acuité. Ceci entraîne une double conséquence : un impact social en raison de la compétition à laquelle se livrent les agriculteurs et un impact environnemental en raison du rôle écologique des nappes phréatiques. Les pollutions d'origines anthropiques, et plus singulièrement agricoles, limitent, en second lieu, les stocks d'eau utilisables (Janakarajan et al., 2002). On a toutefois vu que, dans certains cas, un nombre élevé de puits en nanjai ne signifiait pas un mauvais état général des tanks, ce qui pourrait être le signe que certains villageois aient intégré le rôle positif du tank en tant que bassin de percolation (cf. partie 2). Les tanks de certaines zones, comme en karicalkatu, semblent toutefois entraînés dans une spirale de dégradation que les comportements actuels ne semblent pas en mesure d'enrayer. A cela, il faut bien entendu ajouter la variabilité naturelle des précipitations qui représente la source principale du risque agricole.

La multiplication du nombre des conflits d'usage

Les conflits d'usage sont fréquents lorsque l'on considère l'utilisation des ressources naturelles renouvelables. Ce cas de figure, déjà existant, tend à se multiplier dans les années

82

Discussion

futures, et à plus forte raison dans les zones qui sont sujettes à un désintérêt vis-à-vis des eaux du tank au profit des eaux souterraines. Les relations entre ceux qui ont l'accès, et ceux qui ne l'ont pas, risque donc de se dégrader. Dans ce cadre, les jeux de pouvoir sont susceptibles de prendre de l'importance dans les dénouements finaux. Néanmoins, le contexte semi-aride étant un facteur très limitant de la disponibilité en eau, on peut penser que des comportements rationnels, s'inscrivant sur le long terme, succéderont à des comportements que l'on peut juger irresponsables et versatiles. Dans tous les cas, le pouvoir politique va sans doute faire face à une complexification de la situation d ans les campagnes.

Des inégalités difficiles à résorber

La modernisation de l'agriculture et son évolution vers une agriculture productiviste affecte diversement les strates de la société. Alors qu'on pouvait penser que les nouvelles méthodes et les nouveaux objectifs affaibliraient les concepts de pureté rituelle et de castes, l'intégration au marché s'est accompagnée d'une adaptation de la société aux nouveaux modèles, sans pour autant remettre en cause ses fondements culturels et historiques (Guru, 2004). Le processus de globalisation n'a donc pas créé de nouvelles opportunités pour les intouchables, pas plus qu'il ne leur promet un avenir décent. La dépendance au tank est, pour nombre d'entre eux, plus forte que pour le reste de la population (Balasubramanian et al., 2003). L'accès aux eaux souterraines s'avérant de plus en plus coûteux et de plus en plus risqué, seul les principaux propriétaires terriens sont capables de maintenir un approvisionnement acceptable et suffisant pour sécuriser une part de leurs cultures. La co-propriété des puits pourrait s'avérer être un moyen efficace de coopération. Les exemples nombreux de conflits entre co-propriétaires peut toutefois faire douter de l'efficacité réelle de ce principe (Janakarajan et al., 2002). Il est ainsi probable que ce soit les zones, telles que celle de mankalanatu, basées sur un haut niveau de coopération, qui soient les plus efficaces en termes d'égalité dans l'accès à l'eau.

4.2 Les perspectives d'une gestion intégrée de l'eau et d'une agriculture durable

4.2.1 Le maintien des actions collectives

Assurer le renouvellement des stocks d'eau et enrayer le creusement des inégalités dans l'accès à l'eau doivent devenir des priorités. Plusieurs éléments amènent à penser que seuls un haut niveau de coopération et d'actions collectives pourront permettre de répondre à ces objectifs. L'individualisation des stratégies est un acte de désolidarisation qui promeut les comportements économiquement rationnels au dépend de la collectivité et des biens communs. Certains exemples précis montrent que les propriétaires de puits profitent des avantages du tank sans en supporter les contreparties financières. On peut qualifier ces individus de passagers clandestins. Conformément à la métaphore de la tragédie des communs, ceux-ci peuvent être définis comme des agents économiques usant d'un bien collectif et ne payant pas leurs quotes-parts qui est alors supportée par les autres passagers (Ostrom, 2000). C'est pourtant l'ensemble de la collectivité qui pâtirait d'un épuisement généralisé de la ressource. Comme c'est le cas pour certains cycles naturels, il existe la plupart du temps des seuils qui, une fois atteints, peuvent engendrer un emballement du système. Des mesures devraient donc limiter les abus et rétablir un certain équilibre entre les cycles naturels et l'utilisation des ressources par les hommes.

On peut donc envisager les actions collectives comme des actes solidaires, utiles à tous et écologiquement nécessaires. Leur banalisation passe par un discours et par une communication efficace et réaliste, mais aussi par une intervention de l'état qui doit organiser

83

Discussion

les prélèvements et la gestion des ressources, en créant des organismes de régulation et de contrôle, et qui devraient aussi avoir un pouvoir coercitif.

4.2.2 Une gestion qui intègre les différences territoriales et qui limite les conflits d'usage

Par la méthodologie employée, nous avons pu relever que l'étude de certains phénomènes s'avère optimale lorsque l'on considère plusieurs échelles d'analyse. Ceci est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit de réseaux hydrologiques qui sont spatialement délimités. Une gestion adaptée aux problématiques traitées ici correspondrait à intégrer à la réflexion, les analyses à différentes échelles. Dans le cas du bassin versant de la Vaigai-Periyar, cela inciterait à adopter une gestion des ressources en eau à au moins deux niveaux : une coordination entre tous les acteurs à travers le bassin versant, ainsi qu'une articulation des décisions à un niveau plus localisé, en prenant en compte les sous-unités homogènes (selon les systèmes culturaux, la disponibilité de l'eau sous différentes formes, le support physique et la structure sociale). Ceci pourrait permettre des réflexions et des actions qui intègrent la multitude et la diversité des problématiques. Les Agences de bassin, en France, semblent correspondre à un exemple efficace d'une telle intégration. Il est toutefois nécessaire de placer les acteurs locaux au centre des décisions. En effet, lorsque la mise en vigueur de règles émane de décisions consenties par les usagers eux-mêmes, la gestion s'avère être plus durable et plus efficace (Ostrom, 2000). Pour ce faire, les organisations locales, officielles et informelles, doivent avoir les moyens financiers et coercitifs nécessaires pour exercer leur contrôle. Ceci passe, en partie, par une utilisation plus rationnelle des produits du tank. En définitive, pour être socialement acceptable et écologiquement durable, la gestion doit donc s'appuyer sur des objectifs s'organisant autour des notions d'équité (répartition des ressources), de solidarité, de neutralité écologique, de conservation et de rationalité économique (cette dernière étant dépendante des autres). Ceci peut contribuer, enfin, à résorber les conflits d'usage et à participer, à ce qu'il est convenu d'appeler, la bonne gouvernance. Un autre objectif pour ces espaces ruraux consisterai aussi à développer plus largement des emploi non agricoles, qui permettraient non seulement de fixer les populations pour éviter qu'elles aillent grossir les banlieues des villes, mais aussi de limiter l'utilisation agricole des ressources en eau.

4.2.3 La valorisation des produits du tank

Pour renforcer les liens communautaires et enrayer la diminution des stocks d'eau, il est fondamental de rétablir la place du tank dans le paysage rural. Valoriser le tank et ses produits dérivés revient à reconnaître son rôle écologique, économique et social pour la paysannerie locale. Dans tous les cas, les multiples usages du tank doivent être pris en compte pour évaluer sa performance, de même qu'il doivent générer plus de bénéfices pour réduire les maux dont est victime le tank (dégradation des structures et comblement). On peut classer, par ordre décroissant d'importance, les principaux usages rattachés au tank : (i) l'irrigation, (ii) le pâturage, (iii) la pêche, et (iv) les usages domestiques (Palanisami et al., 2001). Si l'on considère les bénéfices dégagés par rapport à la surface occupée, l'irrigation arrive loin devant, suivie de la foresterie sociale puis dans une moindre mesure, la pêche (idem). Il semblerait donc important d'élargir les initiatives liées à la foresterie sociale, compte tenu, non seulement, de sa rentabilité économique mais aussi en raison de son rôle primordial dans la lutte contre l'érosion des sols et contre les empiétements illégaux (habitations et cultures). L'utilisation des sédiments fins, déposés dans le lit des tanks, pour fertiliser les terres agricoles irriguées et pluviales devrait aussi être plus intensive dans le cadre d'une gestion intégrée des tanks. Il est aussi envisageable de les utiliser afin de rehausser les berges du tank Cela répondrait à deux objectifs : rétablir la capacité originelle du tank et limiter l'utilisation

84

Discussion

des engrais chimiques sur les terres agricoles. Il serait toutefois nécessaire de réduire la pénibilité de ces travaux qui, de manière traditionnelle, sont effectués manuellement. Des associations villageoises pourraient ainsi coopérer pour acquérir et entretenir des engins mécanisés, des charrettes et des boeufs, avec un endettement modique grâce à la microfinance. En conclusion, il semble qu'il y ait une sous-utilisation chronique des potentiels du tank ainsi qu'un déficit de coordination entre les acteurs et les institutions en charge de mettre en place les plans de valorisation (plans de conservation des sols, de reforestation, opérations de curage, etc.).

4.2.4 Les possibilités d'optimiser les systèmes culturaux

Dans cet objectif, il serait utile en premier lieu de limiter les apports d'engrais au strict nécessaire. Ceci empêcherait une pollution excessive des nappes ainsi qu'une probable eutrophisation des tanks, caractérisée par la présence de la jacinthe d'eau. Des techniques spécifiques peuvent aussi retreindre l'utilisation d'herbicides. Ainsi, une pré-irrigation permet le développement des adventices avant la culture de riz, facilitant leur élimination ultérieure (Chaudhary et al., 2003). Il faudrait toutefois mesurer avec précision l'augmentation des rendements que permet cette technique par rapport à la quantité d'eau utilisée. De même, un repiquage effectué dès la mise en eau de la parcelle défavorise les mauvaises herbes qui commencent tout juste à germer. L'entretien régulier des chenaux par les ayacutdars tendrait aussi à réduire aussi les sources d'infestations des eaux d'irrigation. Certaines techniques très simples peuvent aussi contribuer à répondre aux besoins spécifiques des plantes. Tel est le cas du tableau de couleur des feuilles (LCC : leaf color chart) qui aide les agriculteurs à mesurer l'intensité de la couleur des feuilles. Celle-ci étant liée à la teneur en chlorophylle et à l'état de l'azote foliaire, la correspondance avec les couleurs du tableau permet de déterminer le moment et la quantité d'azote à épandre (Chaudhary et al., 2003). L'optimisation des quantités d'azote réduit les frais d'intrants et diminue le risque financier. Les paysans devraient donc, dans une certaine mesure, adopter de véritables stratégies d'entrepreneurs pour s'éviter des frais inutiles. Un des moyens reconnu efficace pour réduire les risques passe par la diversification des cultures pratiquées. Tous ces éléments concernent les activités des propriétaires terriens, ainsi que ceux des tenanciers. Les sans-terre sont, quant à eux contraints de suivre le mouvement général en s'adaptant.

4.3 Avantages et limites de la méthodologie employée

Les bénéfices liés à l'utilisation de la télédétection sont nombreux, mais ils sont généralement accrus, une fois les analyses terminées, par un travail de terrain qui permet de confirmer ou d'infirmer certaines hypothèses de départ. Cette analyse se prête particulièrement au travail effectué sur les états de surface du lit des tanks. Les informations relatives à la végétation permettent d'obtenir des renseignements sur le degré d'activité chlorophyllienne ou sur le taux de recouvrement. En croisant ces informations à des données tirées de travaux de terrain, il a été possible, pour certaines régions (vallée de Cumbum, sous-bassin de Sarugani), d'obtenir des rendus cartographiques d'une grande fiabilité pour certaines classes de végétation. Toutefois, lorsque certaines informations viennent à manquer, l'interprétation s'avère plus difficile et surtout moins précise. Il a ainsi été difficile d'appréhender au plus juste le type de végétation, et donc le stade phénologique des végétaux présents dans le lit des tanks. Un des atouts essentiel de la télédétection réside dans la possibilité d'articuler les analyses à différentes échelles. Cette qualité a pu être totalement exploitée ici à travers le bassin versant et ses sous-unités. Les dates d'acquisition des images sont particulièrement importantes lorsqu'on étudie l'évolution des cultures et des stocks d'eau dans les tanks, en

85

Discussion

raison du facteur climatique et de la saisonnalité des précipitations. Il est appréciable que les dates d'acquisition des images disponibles aient permis la réalisation de cartes diachroniques. Toutefois, il aurait été positif de travailler sur un éventail plus large d'images afin d'étayer et d'enrichir la réflexion.

L'absence ou le faible nombre de données relatives aux précipitations ou aux contributions des acteurs dans la gestion des tanks fut aussi une contrainte dans l'élaboration de la méthode dialectique. De manière générale, ce travail aura permis d'appréhender les principaux changements agricoles du bassin versant et de ses sous-unités. Il constitue en ce sens un travail de fond, discriminant les hétérogénéités spatiales qui sont associées à des dynamiques spécifiques. Il pourrait donc constituer une première étape importante d'une étude plus détaillée de l'ensemble du bassin versant, exportable à d'autres sous-régions de l'Inde péninsulaire où les problèmes d'évolution historique de la gestion de la ressource en eau sont comparables.

Discussion

Figure 33 - Schéma général des évolutions agricoles dans le bassin versant de la Vaigai-Periyar

86

87

Conclusion

Il est apparu, tout au long du travail, que les tanks ne présentent pas une dynamique uniforme sur l'ensemble du bassin versant. Selon l'échelle et les territoires considérés, des éléments différents interviennent dans l'affaiblissement, ou au contraire, dans le renforcement ou la stabilisation des systèmes basés sur l'irrigation par tanks. Si, au niveau régional, les facteurs physiques (réseau hydrographique, topographie, sols) permettent d'interpréter de manière satisfaisante l'agencement des tanks dans l'espace, il faut, au niveau local, s'appuyer sur des variables plus diversifiées pour comprendre les évolutions récentes du paysage rural. Ainsi, sur certains espaces contigus ou géographiquement proches, et en réponse à des structures internes différentes, des dynamiques opposées ont émergé durant les dernières décennies. Cela démontre, en particulier, l'importance qu'il convient d'accorder aux paramètres, aussi bien endogènes qu'exogènes, susceptibles de modifier la structure sociale ou les comportements individuels des acteurs. Car si l'environnement naturel peut favoriser, voire accélérer certains processus physiques (érosion, comblement), les choix individuels et collectifs représentent le facteur déterminant dans le déclin ou la stabilisation des tanks.

Dans un tel cas de figure, il est apparu nécessaire de ne faire abstraction d'aucun élément du système et de n'omettre aucune hypothèse sur les interactions possibles entre ces éléments. L'articulation des observations à plusieurs échelles et l'intégration de données pluridisciplinaires ont donc participé à la mise en place d'une analyse systémique, adaptée à l'étude d'objets complexes réfractaires aux approches de compréhension classiques et sectorisées. La complexité des systèmes agricoles indiens n'a effectivement pas pu être abordée à partir des concepts d'un seul champ disciplinaire. Elle s'exprime aussi à travers les résultats disparates obtenus.

La période observée, c'est-à-dire des années 1970 aux années 2000, a été le siège de bouleversements mondiaux d'ordre géopolitique et économique. Les changements opérés au lendemain de la décennie des années 1980 ont profondément modifié les objectifs, accru la concurrence et restructuré de nombreux secteurs d'activité, dont l'agriculture. Tous ces éléments contribuent à accélérer le processus de modernisation aux dépens des systèmes traditionnels dont font partie intégrante les tanks. Même si il est difficile d'évaluer et de quantifier les répercussions de ces changements globaux à l'échelle de l'exploitation agricole ou de celle de l'ouvrier agricole, il semble que l'accroissement de la pression sur la ressource en eau, exacerbée par des prélèvements excessifs d'eaux souterraines, soit un signal fort de la restructuration des méthodes de production agricoles, insufflée par une frange de la population (hautes castes ou castes dominantes) en direction d'une financiarisation et d'une marchandisation accrue des produits de l'agriculture. Alors que les problèmes inhérents aux tanks au cours du 19ème siècle et dans la première moitié du 20ème siècle étaient principalement le résultat d'une difficulté à entreprendre des actions collectives, corsé par l'interventionnisme de l'administration britannique, les difficultés actuelles sont, en plus, liées à l'intégration de l'agriculture au marché, qui est un facteur immatériel déterminant mais difficile à cerner. L'augmentation des intrants utilisés est toutefois une des conséquences directes de la modernisation agricole qui accroît le risque pour les petits paysans en diminuant leur autonomie managériale. Dans ce cadre, les tanks répondent de moins en moins aux exigences sur le court terme des nouveaux systèmes de productions, plus grands consommateurs d'eau. La vallée de Cumbum est un exemple probant de cette intensification qui s'appuie sur une pluralité de sources d'irrigation. Dans un tel système, et à l'échelle de la vallée, les tanks ont un rôle accessoire. Néanmoins, la baisse des niveaux piézométriques enregistrée dès les années 1970 et la récurrence des années de sécheresse rend le système particulièrement vulnérable. C'est une des raisons pour lesquelles la revalorisation des produits dérivés du tank, qui permet de dégager des fonds pour la collectivité et qui réduit la vulnérabilité de tous

88

les paysans, doit être considérée comme une nécessité. La gestion du tank doit donc se réorganiser pour répondre de manière adéquate aux prochains défis qui se poseront au monde agricole indien. A ce titre, la division des modes de gestion selon la taille des ayacuts et leur sectorisation entre system tanks et non-system tanks apparaissent comme des éléments néfastes à une gestion intégrée au niveau régional. Au niveau des villages, c'est davantage le manque de concertation et de coopération entre les ayacutdars qui a amorcé le déclin des tanks. Si certains espaces dans le sous-bassin de Sarugani, que l'ont pourrait d'ailleurs assimiler à des terroirs, dans la mesure où ils présentent une base de ressources homogène, voient leurs tanks intégrés socialement, écologiquement et économiquement, il faut rappeler que ce sont les conditions environnementales et culturelles particulières qui en sont les responsables, et que l'on ne les retrouve dans aucune autre portion du bassin versant. C'est toutefois l'exemple qui montre que des systèmes agricoles basés sur l'irrigation par tank sont, aujourd'hui, encore viables.

Le travail réalisé aura donc permis, à l'échelle d'un bassin versant, de déterminer les raisons et les facteurs contribuant au déclin des tanks, mais aussi les disparités, les originalités et les hétérogénéités spatiales, sociales et culturelles rattachées au systèmes agricoles. En cela, il constitue un outil qu'il serait intéressant de développer afin de confirmer ou d'infirmer certaines hypothèses émises, en particulier sur les états de surface du lit des tanks. L'approche systémique semble, quant à elle, adaptée à de telles problématiques qui font intervenir des logiques économiques, des changements d'ordre idéologique, des problèmes liés à la dégradation de l'environnement, des conflits d'usage lié à l'utilisation de l'eau et des questions d'éthique et d'équité entre les acteurs.

Annexes

89

90

Annexe 1 - Localisation des villes et districts cités dans l'étude

Annexe 2 - Méthodologie en télédétection

Classe eau et par extrapolation tank (Landsat MSS)

Classification non supervisée

Lits des tanks

Mask « tank »

Classe 1

Bande 1

Bande 2

Bande 3

Bande 4

Bande n

ACP

Application lors de l'étude : les états de surface

F1

Méthodologie générale en télédétection

Classification non supervisée

Classe 2

Image satellite

Image Landsat MSS, TM, ETM+

Classification non supervisée

Interprétation des
classes à réponses
spectrales
différenciées

ACP

Espace total

F2

ACP

Classe 3

F3

Données sociales et physiques

Total
pluviométrique de
la dernière
mousson

Saison culturale Saison climatique

Facteurs à
considérer pour
l'interprétation

Classe n

Date

91

92

Annexe 3 - Cartes diachroniques de l'eau stockée dans les tanks par rapport aux différents types de sols (section littorale du bassin versant de la Vaigai et marge littorale)

93

Annexe 4 - Caractéristiques des bandes spectrales de plusieurs capteurs

Capteur « Multispectral scanner » (MSS

Bande

Bande spectrale

Domaine spectral

Résolution

Utilisation

1

0,5 - 0,6 um

Vert

79 m x 82 m

Zones côtières,

sédiments marins

2

0,6 - 0,7 um

Rouge

79 m x 82 m

Routes et zones

urbaines

3

0,7 - 0,8 um

Rouge

Proche Infrarouge

79 m x 82 m

Etude des

végétaux et

cartographie des

limites terre/eau

4

0,8 - 1,1 um

Proche Infrarouge

79 m x 82 m

Etude des

végétaux et

cartographie des

limites terre/eau

Capteur « Thematic Mapper » (TM)

Bande

Bande spectrale

Domaine spectral

Résolution

Utilisation

1

0,45 - 0,52 um

Bleu

30 m x 30 m

Différenciation sol /

végétaux, zones
côtières

2

0,52 - 0,60 um

Vert

30 m x 30 m

Végétation

3

0,63 - 0,69 um

Rouge

30 m x 30 m

Différenciation des

espèces végétales

4

0,76 - 0,90

Proche infrarouge

30 m x 30 m

Biomasse

5

1,55 - 1,75 um

Infrarouge moyen

30 m x 30 m

Différenciation neige/nuage

6

10,4 - 12,5 um

Infrarouge thermique

120 x 120 m

Thermique

7

2,08 - 2,35 um

Infrarouge lointain

30 m x 30 m

Lithologie

Capteur « Enhanced Thematic Mapper + » (ETM+

Bande

Bande spectrale

Domaine spectral

Résolution

Utilisation

1

0,45 - 0,515 um

Bleu

30 m x 30 m

Différenciation sol /

végétaux, zones
côtières

2

0,525 - 0,605

Vert

30 m x 30 m

Végétation

3

0,63 - 0,69 um

Rouge

30 m x 30 m

Différenciation des

espèces végétales

4

0,75 - 0,90 um

Proche infrarouge

30 m x 30 m

Biomasse

5

1,55 - 1,75 um

Infrarouge moyen

30 m x 30 m

Différenciation neige/nuage

6

10,4 - 12,5 um

Infrarouge thermique

60 m x 60 m

Thermique

7

2,09 - 2,35 um

Infrarouge lointain

30 m x 30 m

Lithologie

PAN

0,50 - 0,90 um

Panchromatique

15 m x 15 m

 

94

Annexe 5 - Données pluviométriques du district de Ramanathapuram

Année

total

Janvier

Février

Mars

Avril

Mai

Juin

Juillet

Août

Septembre

Octobre

Novembre

Décembre

1936

965,4

0

35,6

38,6

6,9

32,8

35,3

70,4

13,5

163,1

121,7

267,2

180,3

1937

561,9

8,9

0

19,1

57,4

11,9

17

5,1

130,1

29,7

89,1

189,5

4,1

1938

785,5

0

91,2

55,9

51,3

38,3

4,1

171,7

80

44,5

74,2

58,2

116,1

1939

896,6

79,3

16,8

14,7

127,8

56,1

24,1

0

49

88,1

227,1

207

6,6

1940

969,5

0

1,5

23,6

104,1

57,4

26,4

69,9

24,6

56,4

134,6

397,3

73,7

1941

620,8

98,8

5,3

0

23,9

33

19,6

4,3

23,4

86,9

92,7

185,7

47,2

1942

1132,8

0

0

26,7

125,5

48,5

0

7,1

87,6

59,9

223

150,9

403,6

1943

727,2

144,3

4,3

7,6

17,5

47,5

3,6

51,6

18,8

58,7

197,6

161

14,7

1944

908

1,3

14,5

26,7

14,5

63,3

0

20,3

151,4

165,1

153,7

175,5

121,7

1945

531

0

1,3

10,7

38,7

5,6

23,9

26,9

102,1

27,7

76,5

165,3

52,3

1946

1285,8

4,1

5,1

123,7

44,2

101,9

30,2

65

41,9

55,1

157,2

292,1

365,3

1947

883,1

98,3

63,5

131,3

184,9

0

13,5

56,4

51,3

149,3

113,5

7,9

13,2

1948

587,6

51,1

16,5

2,8

5,6

30

10,2

26,4

78,5

0

80,3

267,7

18,5

1949

749,8

66

0

0

126

75,7

20,3

59,4

97,8

90,7

141

66,8

6,1

1950

746,8

9,1

191

26,2

40,1

12,2

7,9

35,3

216,7

36,1

123,4

12,5

36,3

1951

829,1

12,7

3,8

34,4

271,8

17,8

0

63,7

39,9

59,4

114,8

210,8

0

1952

499,1

5,6

85,3

0

69,3

35,1

0

19,6

90,9

30

44,2

90,4

28,7

1953

716,3

5,3

39,6

0

95

9,9

23,9

40,1

47

48,5

210,1

178,1

18,8

1954

891,5

119,4

0

111,5

68,3

0

73,9

112,3

56,1

17

231,1

53,6

48,3

1955

656,9

4,8

5,1

2,5

119,9

28,5

14,2

19,6

12,5

109,5

174,5

123,4

42,4

1956

586

26,9

0

0

3,8

11,7

44,5

0

102,9

46,5

191,5

151,1

7,1

1957

454,7

4,1

0

0

0

0

0

0

0

0

170,2

209

71,4

1958

476,7

2,5

0

14,5

38,6

83,4

2,3

0,5

95,5

15,7

108,5

99,7

15,5

1959

614,2

0

0

0

37,8

16,4

110

0

7,2

39

164,7

162

77,1

1960

895,5

0

50

0

133

47

32

178,7

41

78,1

121

205,7

9

1961

591,3

76

76

0

0,1

0

26

22,1

50,4

104,3

110

91,4

35

1962

476,4

0

0

27

7,9

48,5

32

14

60

27

180

54

26

1963

938,5

105

0

66

121

0

17,5

25,9

68

73,3

73,3

291,2

97,3

1964

675,3

9

0

29,4

0

36,8

0

210

31

59,1

94

14

192

1965

783,2

6

17

16

90,5

82,1

0

53

81

10

141,2

132,1

154,3

1966

879,5

0

48

3

27,5

10

28

60

44

41

226

254

138

1967

1086

10

0

16

37

22

73

0,6

49

74,6

392,8

191,9

219,1

1968

738,9

0

0,1

73,5

156

19

31,4

2

0,2

92,8

112,2

228

23,7

1969

581,6

4,2

27,5

0

34

10

13

2

119

8

120,1

123,1

120,7

1970

684,9

24,3

25

0

161,5

48,5

15

5

56,5

24,8

248,3

62

14

1971

887,3

0

6

47

80

36

0

28,5

217

71

110,2

11,6

280

1972

735,4

9,6

0

0

20

116

8

17,8

13,4

147,4

301,6

44,6

57

1973

401,8

0

0

0

12

19,8

11,4

25,6

34,8

16,8

178

34

69,4

1974

415,5

0

38,2

17,6

11,2

35,5

8

26,6

24,4

100,2

98,3

16

39,5

1975

457,5

3

2

32

21,4

26,9

0

43

63

63,2

104,9

48,9

49,2

1976

425,8

0

0

24,4

37,4

4,5

42

16

11

61,2

57,9

120,2

51,2

1977

1160,6

4,7

53,4

10,9

40,4

103,4

26,9

38,9

60,9

83,5

454,9

282,7

0

1978

714,9

0

0

0

23,1

37,1

32

45,3

9,3

60,3

142,8

108,8

256,2

1979

706,9

1

32,5

6,9

9

8,5

11,8

21,3

29,9

61,5

99,9

341,6

83

1980

646,1

0

0

9,2

73,6

55

15,6

27,1

28,9

111,3

150

132,6

42,8

1981

974,8

6,6

1,5

8,1

18,9

83,4

9,3

123,9

47,5

166,6

250,5

132

126,5

1982

657,3

0

0

6,6

13,2

32

11,9

8,3

4,9

33,7

132,3

306,8

107,6

1983

754,3

0

0

0

5,1

30,2

32

14

27,8

32,7

116,6

186,8

309,1

1984

876,6

64,5

203,3

124,9

125,3

0,4

0,2

38,2

25,8

53,7

50,7

127

62,6

95

1985

834,7

187,8

27,4

48,9

7,5

14,5

15,3

26,9

57,7

110,7

53,7

207,9

76,4

1986

589

25,2

24,4

5,6

17,9

25,9

0,7

27,2

3

44,9

141,4

130,7

142,1

1987

742,9

2,7

0

10,8

3,8

27,6

8

5,7

12,9

50,4

290,5

163,6

166,9

1988

480,7

0

2,6

27,9

101

7,9

27,1

18,6

57,3

48,6

17,2

122,5

50

1989

665,2

5,6

0

45,4

39,8

26,7

34,1

40,2

18,3

61,5

175,7

153,2

64,7

1990

880,1

164,7

0

6,6

5

55,3

3,6

3,7

25

60,7

280,3

184,2

91

1991

650,4

86,1

12,6

19,9

25,3

4,7

33

2,3

15,5

42,7

196,7

154,5

57,1

1992

737,7

0,5

0

0

22

43,8

6,6

9,9

23,8

62,5

126,2

323,5

118,9

1993

1074,4

4,5

2,2

0

2,4

21

36,9

8,6

15

34,4

230,4

414,9

304,1

1994

634,1

12,4

34,7

3,3

37,8

15,7

3,8

7,8

5,2

8,1

247,5

249,9

7,9

1995

431

52,6

0,3

5,4

12,4

53,5

16,3

18,7

14,7

10,2

130,3

107,7

8,9

1996

790,2

21,6

1,2

0

56,6

5,1

66,4

14,1

25,7

69,6

267,1

120

142,8

1997

966,1

8,1

0

7,8

26,4

34,8

6,3

18,2

2,7

42,2

240,8

340,5

238,3

1998

858,5

45,2

0

0

4,8

87,9

2

83,4

59

50

73,9

234,5

217,8

1999

549,9

50,1

48,5

0

31,1

12,6

3,3

3,7

13,5

25,1

202,3

118,1

41,6

2000

902

94,4

84

11,4

19,6

6,1

20,7

4,3

13,1

145,8

90,7

220,3

191,6

2001

730,6

33,4

9,2

0

117,7

11,4

34,5

33,7

11,4

28,1

176,5

193,7

81

2002

950,1

0

220,3

0

5,4

74,9

10,7

0

4,3

13

298,6

229,5

93,4

2003

566,9

0

0

9,1

41,3

57,6

9,8

12,7

31,6

11

107,7

276,4

9,7

2004

1174,3

0

5,3

1

7,7

138,9

8,3

18,7

9

189,2

399,4

258,3

138,4

96

Bibliographie

Adiceam E. (1966), La géographie de l'irrigation dans le Tamilnad, Publications hors série de l'Ecole Française d'Extrême-Orient, Paris, 522 p.

Agarwal A., Khurana I., Narain S. (2001), Making water everybody's business - Practice and policy of water harvesting, Centre of Science and Environment, New Delhi, 456 p.

Aiyasamy P.K. (1982), Social Forestry Project in Tamil Nadu, Department of Agricultural Economics, Centre for agricultural and rural development studies, Coimbatore, 38 p.

Balasubramanian R., Selvaraj K. N. (2003), Poverty, Private Property and Common Pool Resource Management: The Case of Irrigation Tanks in South India, Working Paper n° 2-03, South Asian Network for Development and Environmental Economics, Kathmandu, 61 p.

Bourgeon G. (1988), Esquisse sur les grandes zones de sols du sud de l'Inde, Cahiers de l'Orstom, série Pédologie, vol.XXIV, n°4, pp. 303-328

Brunel S. (2004), Le développement durable, Que sais-je?, PUF, Paris, 127 p.

Chaudhary R.C., Nanda J.S., Tran D.V. (2003), Guide d'identification des contraintes de terrain à la production de riz, Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, Rome, 79 p.

Collectif sous la direction de Houtart F. (2002), L'eau, patrimoine commun de l'humanité, Centre tricontinental, Alternatives Sud, Vol.VIII, n°4, Harmattan, Paris, 307 p.

Cosandey C., Robinson M. (2000), Hydrologie continentale. Armand Colin, Paris. 360 p.

Durand-Dastès F. (1968), Géographie de l'Inde, 2ème édition, Que sais-je?, Presses Universitaires de France, Paris, 127 p.

Deliège R. (2004), Les castes en Inde d'aujourd'hui, Sociologie d'aujourd'hui, Presses Universitaires de France, Paris, 275 p.

Deliège R. (1997), The world of the «Untouchables» - Paraiyars of Tamil Nadu, Oxford University Press, Delhi, 314 p.

Diamond J. (2000), De l'inégalité parmi les sociétés - Essai sur l'homme et l'environnement dans l'histoire, nrf essais, Gallimard, Paris, 484 p.

Duchaufour P. (1997), Abrégé de pédologie - Sol, végétation, environnement, 5ème édition, Masson, Paris, 291 p.

Dupuis J. (1960), Madras et le nord du Coromandel . étude des conditions de la vie indienne dans un cadre géographique, Thèse de doctorat, Université de Paris, Librairie d'Amérique et d'Orient, Adrien-Maisonneuve, Paris, 590 p.

Gandhi (1958), Tous les hommes sont frères - Vie et pensées du Mahatma Gandhi d'après ses

97

oeuvres, Folio Essai, Gallimard, Paris, 313 p.

Gauchon P. (2005), Géopolitique du développement durable, Rapport Antheios, PUF, Paris, 365 p.

Girard M., Girard C. (1989), Télédétection appliquée, zones tempérées et intertropicales. Collection Sciences Agronomiques, Masson, Paris, 260 p.

Gunnell Y. (2000), Erosion des sols cultivés et gestion conservatoire de l'eau dans les milieux de boucliers semi-arides: originalité de l'Inde du Sud au sein de la zone intertropicale, in Géomorphologie, n°3, pp.191-202

Gunnell Y., Krishnamurthy A. (2003), Past and present status of runoff harvesting systems in dryland peninsular India: a critical review, in Ambio, Royal Swedish Academy of Sciences, vol. 32, N°4, pp. 320-324

Guru G. (2004), Dalit vision of India: from bahishkrut to inclusive Bharat, in Futures, n°36, pp. 757-763

Hardin G. (1968), The tragedy of the commons, in Science, vol. 162, pp. 1243-1248

Janakarajan S. (1994), Trading in groundwater: a source of power and accumulation, Madras Institute of Development Studies, vol. Working Paper No. 123, Chennai, 11 p.

Janakarajan S., Moench M. (2002), Are wells a potential threat to farmers wellbeing? The case of deteriorating groundwater irrigation in Tamil Nadu, Madras Institute of Development Studies, Working Paper No. 174, Chennai, 42 p.

Kajisa K., Palanisami K., Sakurai T. (2004), Declines in the collective management of tank irrigation and their impact on income distribution and poverty in Tamil Nadu, India, FASID Discussion Paper Series on International Development Strategies, n°2004-08-005, Foundation for Advanced Studies on International Development, Tokyo, 29 p.

Komoguchi Y. (1986), Agricultural systems in Tamil Nadu - A case study of Peruvalanallur village, The University of Chicago, Department of Geography, Research Paper n°219, Chicago, 171 p.

Landy F. (1994), Paysans de l'Inde du Sud: Le choix et la contrainte, Karthala-IFP, Paris, 491 p. Marchant T. (2001), La gestion durable de l'eau: exemple à travers la réhabilitation des

réservoirs d'irrigation de la région de Pondichéry (Inde du Sud), Mémoire de DEA (Paris

VIII), Paris, 78 p.

Mosse D. (1997), Ecological zones and culture of collective action: The history and social

organization of a tank irrigation system in Tamil Nadu, South Indian Studies 3, pp. 1-88 Mosse D. (2000), Kingship, bureaucracy and participation: competing moralities of

`decentralisation' in south Indian irrigation, Colloquium on decentralization and

98

development, Yale Center for International and Area Studies, 35 p.

Nisar Ahamed T. R., Gopal Rao K., Murthy J. S. R. (2002), Automatic extraction of tank outlets in a sub-watershed using digital elevation models. in Agricultural Water Management, n°57, pp.1-10

Ostrom E. (2000), Collective Action and the Evolution of Social Norms, Journal of Economic Perspectives, n°14, pp.137-158

Palanisami K., Meinzen-Dick R. (2001), Tank performance and multiple uses in Tamil Nadu, South India, in Irrigation and Drainage Systems, n°15, pp. 173-195.

Palayan D. (2003), Structure et fonctionnement d'un agro-écosystème touché par la crise de l'eau en Inde du Sud - Etude de cas autour des reservoirs d'eau de deux villages du district de Pudukkottai, Tamil Nadu, Mémoire de Maîtrise, Université Paris 1, Paris, 137 p.

Panday D. N. (2000), Sacred water and sanctified vegetation: Tanks and trees in India, Conference of the International Association for the Study of Commom Property (IASCP), Bloomington, Indiana, 31 may-4 june, 21p.

Petit M. (2003), Développement durable à l'échelle de la planète et gestion des ressources en eau et en sols, in C.R. Geoscience 335, pp. 643-656

Prinz D. (1996), Water harvesting: Past and Future. In Pereira L. SS (ed.): Sustainability of irrigated agriculture, Rotterdam, pp. 135-144

Racine J.L. (1994), Les attaches de l'homme. Enracinement paysan et logiques migratoires en Inde du Sud, Institut Français de Pondicherry, Editions de la maison des sciences de l'homme, Paris, 400 p.

Racine J., Racine J.-L., Viramma (1995), Une vie paria - Le rire des asservis - Pays tamoul, Inde du Sud, Terre Humaine, Plon/UNESCO, Paris, 625 p.

Ramachandran V.K. (1983), Inequality in the distribution of land holdings and assets among households in Gokilapuram village: a report from a field survey, Madras Institute of Development Studies, Working Paper N° 31, Chennai, 176 p.

Ramachandran V.K., Swaminathan M., Rawal V. (2001), How have hired workers fared? A case study of women workers from an Indian village, 1977 to 1999, Centre for development studies, working paper n°323, Trivandrum, Kerala, 51p.

Rodrigo G. (2004), Water, water, nowhere . a case study of Palayaseevaram village regarding sharing of water with the Chennai city and its impact on the village, WHIRL Project, Working Paper 9, Anantapur, 22 p.

Rognant C. (2005), Evolution de la gestion de la ressoucre en eau: irrigation traditionelle, milieu et société rurale à Melavalavu, Tamil Nadu, Inde, Mémoire de Maîtrise (Paris I), Paris, 117 p.

99

Roussary A. (2003), Aspects socio-économiques du déclin de la gestion communautaire des ressources en eau en Inde semi-aride: l'exemple de Satyamangalam, Pudukkottai, Tamil Nadu, Mémoire de Maîtrise, Paris, 129 p.

Sakurai T., Palanisami K. (2001), Tank irrigation management as a local common property: the case of Tamil Nadu, India, in Agricultural Economics, n°25, pp.273-283

Seenivasan R. (2003), Neerkatties The rural water managers, Dhan Fondation, Madurai, 78 p. Sekar I., Ramasamy C. (2001), Risk and Resource Analysis of Rainfed Tanks in South India. Journal of Social and Economic Development, n°3, pp. 208-215

Thangaraj M. (2003), Land reforms in India (Volume 9) - Tamil Nadu: an unfinished task, Sage Publications, New Delhi, 306p.

Trébuil G., Mahabub H. (2004), Le riz: enjeux écologiques et économiques, Mappemonde, Belin, Paris, 265 p.

Vaidyanathan A. (2001), Tanks of South India, Centre for Science and Environement, New Delhi, 178 p.

Vaidyanathan A., Sivasubramaniyan K., Mariasusai S. (2003), Conditions and characteristics of well irrigation under Palar Basin, Tamil Nadu, Madras Institute of Development Studies, Working Paper No. 179, Chennai, 35 p.

Sites internet consultés

District de Ramanathapuram: http://www.ramnad.tn.nic.in/default.htm

District de Madurai: http://www.madurai.tn.nic.in/

District de Theni: http://www.theni.tn.nic.in/

District de Sivaganga: http://sivaganga.nic.in/

Etat du Tamil Nadu: http://www.tn.gov.in/

Coordonnées des villes et villages indiens: http://www.fallingrain.com/world/IN/25/

Portail géomatique du Tamil Nadu: http://tnmaps.tn.nic.in/dist_frame.asp?dcode=THN

Données climatique du Tamil Nadu: http://www.statistics.tn.nic.in/ClimateandRainfall.htm

Université du Maryland: http://glcfapp.umiacs.umd.edu:8080/esdi/index.jsp

Données sur la riziculture en Inde

http://dacnet.nic.in/rice/Status%20Paper.htm#Compiled%20Contents

Wikipedia: http://fr.wikipedia.org/wiki/Accueil

100

Liste des figures

Figure 1- Carte de localisation du Tamil Nadu 9

Figure 2 - Données pluviométriques du district de Ramanathapuram de 1936 à 2004 11

Figure 3 - Diagramme pluviométrique des moyennes mensuelles du district de

Ramanathapuram de 1936 à 2004 12
Figure 4 - Organisation schématique et réelle des tanks : A-
Rainfed tank ; B- System tanks ;

C- Cascade tanks 15
Figure 5 - Diagrammes annuels des précipitations, de l'ETP et de l'ETP/2 à Madurai et

Pamban 23

Figure 6 - Schéma résumant les différentes contraintes exercées sur la ressource 25

Figure 7- Profil longitudinal de la Vaigai-Periyar dans la zone étudiée 29

Figure 8- Carte des densités, et des populations, des 13 taluks du bassin versant de la Vaigai-

Periyar en 1991 30
Figure 9 - Cartes des systèmes d'irrigation, et des cultures irriguées, dans le bassin versant de

la Vaigai-Periyar 32

Figure 10 - Profil spectral de l'eau 33

Figure 11 - Diagrammes des écarts-types à la moyenne pour 34 stations du Tamil Nadu 34

Figure 12 - Carte générale des tanks du bassin versant de la Vaigai et de sa marge littorale 35

Figure 13 - Etats des structures des tanks sélectionnés 36

Figure 14 - Localisation des system tanks et des non-system tanks étudiés 37

Figure 15 - Cartes des taux de comblement des tanks sélectionnés 38

Figure 16- Nombre et type d'employés chargés des opérations d'irrigation dans les tanks

sélectionnés 40

Figure 17 - Principales actions des fonctionnaires 41

Figure 18- Contributions du PWD et des ayacutdars dans les opérations de maintenance et de

réparations des tanks 42
Figure 19- Diagramme par écart-types à la moyenne des totaux annuels pluviométriques de

Ramanathapuram 44
Figure 20 - Cartes des états de surface du lit des tanks dans la partie aval du bassin versant de

la Vaigai-Periyar 48
Figure 21 - Cartes des états de surface du lit des tanks de la section médiane du bassin versant

de la Vaigai-Periyar 51
Figure 22 - Cartes des états de surface du lit des tanks de la partie aval du bassin versant de la

Vaigai-Periyar et de sa marge littorale 54

Figure 23 - Carte de la dynamique de l'eau à trois dates 55

Figure 24 - Coupes transversales de la vallée de Cumbum 56

Figure 25 - Comportements spectraux dans la vallée de Cumbum 58

Figure 26 - Diagramme pluviométrique annuel de Teni 58

Figure 27 - Cartes de l'occupation du sol dans la vallée de Cumbum 60

Figure 28 - Carte des altitudes du sous-bassin de Sarugani 65

Figure 29 - Réponses spectrales des sols 66

Figure 30 - Cartes de l'occupation du sol de la zone mankalanatu 69

Figure 31 - Cartes de l'occupation du sol de la zone karicalkatu 72

Figure 32 - Cartes de l'occupation du sol des system tanks du Thirumangalam Main Canal 77

Figure 33 - Schéma général des évolutions agricoles dans le bassin versant de la Vaigai-

Periyar 86

101

Liste des tableaux

Tableau 1 - Etats de surface dans le lit des tanks (partie aval) 45

Tableau 2 - Etats de surface dans le lit des tanks (section médiane et du paléo-delta) 49

Tableau 3 - Etats de surface dans le lit des tanks (section aval et marge littorale) 52

Tableau 4 - Etats de surface de la zone karicalkatu 70

102

Table des matières

Sommaire 4

Introduction 6

Méthodologie 8

1. Les facettes sociales et physiques du monde rural indien 9

1.1 L'irrigation comme réponse sociale face à la contrainte climatique 9

1.1.1 Les caractéristiques climatiques du Tamil Nadu 9

1.1.2 La nécessité d'augmenter la disponibilité de l'eau par le biais des tanks 12

1.1.3 L'inscription spatiale et sociale des tanks 14

1.2 La société rurale indienne: structure et organisation 18

1.2.1 L'organisation sociale par caste 18

1.2.2 Les modes de gestion institutionnels des tanks 20

1.2.3 L'organisation du système agricole 22

1.3 Les problématiques émergentes 25

1.3.1 La diminution des stocks d'eau souterraines liée aux conditions d'exploitation 25

1.3.2 La dégradation des tanks 26

1.3.3 Les impacts sociaux liés aux changements récents des systèmes agricoles 27

2. Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité régionale d'analyse spatiale et sociale des

tanks 29

2.1 L'inscription des tanks à l'intérieur du bassin versant 29

2.1.1 Les données géographiques du cadre d'analyse 29

2.1.2 La distribution des systèmes d'irrigation et des principales cultures agricoles (cf.

figure 9) 31

2.1.3 Les tanks du bassin versant 33

2.2 La gestion sociale et institutionnelle des tanks : entre tradition et modernité 36

2.2.1 Les caractéristiques structurelles et fonctionnelles 36

2.2.2 Les gestionnaires de l'eau 39

2.2.3 L'implication des acteurs dans la gestion des tanks 42

2.2.4 Les raisons politiques de la dégradation 43

2.3 Les changements d'états de surfaces des lits des tanks 44

2.3.1 La partie aval du bassin versant 44

2.3.2 La section médiane et le paléo-delta de la Vaigai 49

2.3.3 Le secteur aval et la marge littorale du bassin versant 52

3. Des facteurs locaux, explicatifs de disparités territoriales 56

3.1 La modernisation agricole de la vallée du Cumbum 56

3.1.1 L'étude des dynamiques de surface par la télédétection 56

3.1.2 L'évolution des systèmes agraires 59

3.1.3 La dynamique sociale depuis la Révolution verte 62

3.2 Le sous-bassin de Sarugani 65

3.2.1 La zone mankalanatu 65

3.2.2 La zone karicalkatu 70

3.2.3 Comparaison des modes de gestion de la ressource entre la zone mankalanatu et

karicalkatu 73

3.3 La multiplication des puits, et ses conséquences sociales et environnementales 74

3.3.1 Evolutions entre 1973 et 2001 74

3.3.2 L'organisation de la gestion des ressources 75

3.3.3 Les conséquences de la multiplication des puits 76

4. Discussion 78

4.1 Résultats 78

103

4.1.1 Comment expliquer les différences observées dans l`agencement et la gestion des

tanks au sein du bassin versant de la Vaigai ? 78

4.1.2 Quelles ont été les évolutions du paysage rural? 80

4.1.3 Quelles sont les dynamiques qui tendent à se développer dans le bassin versant de

la Vaigai-Periyar ? 81

4.2 Les perspectives d'une gestion intégrée de l'eau et d'une agriculture durable 82

4.2.1 Le maintien des actions collectives 82

4.2.2 Une gestion qui intègre les différences territoriales et qui limite les conflits d'usage

83

4.2.3 La valorisation des produits du tank 83

4.2.4 Les possibilités d'optimiser les systèmes culturaux 84

4.3 Avantages et limites de la méthodologie employée 84

Conclusion 87

Annexes 89

Bibliographie 96

Sites internet consultés 99

Liste des figures 100

Liste des tableaux 101






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard