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Les types de médiations de l'œuvre révélés par la gestualisation du corps-signifiant du visiteur. Pour une ethnographie de l'expérience de visite

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par Audrey PEREZ
Université Pierre Mendès France, Grenoble II  - Master 2 recherche en médiation, art et culture 2012
  

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AVANT--PROPOS

Dans le cadre de mon Master 2 de recherche en Médiation, Art, Culture, j'ai souhaité faire progresser mon analyse vers une sociologie de l'expérience de visite. L'enjeu de cette recherche en 3 volumes (Etude: volume 1, Entretiens: volume 2 et Annexes: volume 3) était d'observer les différents types de processus de production du sens chez le visiteur. J'ai donc étudié les différents types de mouvements interprétatifs mis en oeuvre par le visiteur lors de son expérience de visite. Pour la construction d'une terminologie, j'ai qualifié ces processus interprétatifs de « gestes », au sens de différents types d' « actes interprétatifs ».

De fait, je me suis m'intéressée à l'analyse de ces différents types de médiation de l'oeuvre produits par le visiteur à travers ses déplacements et ses discours à l'intérieur de la situation1 de visite. En outre, j'ai étudié différents types de dynamique de visite, en observant les particularités et les ressemblances présentes chez 8 individus. J'ai aussi engagé une réflexion autour de la mise en mouvement, autour de la « gestualisation » des cadres2 de médiation de l'oeuvre.

Dans un second temps, ce cadre théorique m'a permis de construire différentes caractéristiques relatives à l'observation de ces médiations. J'ai procédé alors à la construction de « registres gestuels » au sens de différents types de médiations individuelles et collectives, de différents types de trajets - corporels et mentaux - d'une « gestualisation » de l'oeuvre déployés par le visiteur dans son activité de médiation de l'oeuvre.

En effet, il semble important avant de commencer l'examen de mon objet de recherche, de définir de manière plus précise ce que j'entends par processus de « gestualisation ».

1 Jean Davallon, L'exposition à l'oeuvre, stratégies de communications et médiations symboliques, L'Harmattan, Paris, 1999.

2 Erwing Goffman, Le sens commun, les cadres de l'expérience, les Editions de Minuit, 1974.

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Dans cette analyse, j'ai défini ce processus comme l'ensemble des différents processus de médiation inhérents à la construction du sens et à l'interprétation d'une oeuvre. J'ai étudié la gestualisation comme l'ensemble de différents types de mouvements interprétatifs de visite me permettant d'observer le cheminement du visiteur durant son activité corporelle, symbolique et mémorielle de visite.

La fabrication de différents registres gestuels potentiels m'a permis d'évaluer certains plans relatifs à l'élaboration de la construction du sens chez le visiteur. Mais aussi, de réfléchir sur la relation que le visiteur entretient avec l'espace-temps à l'intérieur de la situation de visite. Cette terminologie des différentes strates de la construction du sens et de l'interprétation durant l'activité de visite, m'a permis de mettre en évidence différents types de plans dans l'activité de réception, à travers différents types de relation à l'image.

Gilles Deleuze 3 parle de différents types de rapports médiatiques à l'image cinématographique, sur lesquels je me suis appuyée pour analyser les différentes strates techniques de la réception de l'oeuvre par le visiteur. Tout d'abord, par la conceptualisation de l'« image-perception », comme la réception d'un ensemble d'éléments agissant sur un centre et qui varient par rapport à lui; mais aussi, par la conceptualisation de l'« image-mouvement », comme la réception d'un ensemble acentré d'éléments variables qui agissent et réagissent les uns avec les autres. Et enfin, Deleuze conceptualise l'« image-action » comme la réaction du centre à l'ensemble.

Cette étape d'analyse autour de l'activité de visite a exigé de ma part un retour sur mon objet d'étude de Master 1, dans lequel je m'étais intéressée au fonctionnement du discours « hypermédiatique4 » de l'exposition. Mais aussi à la manière dont celui-ci permettait au visiteur de devenir acteur, à travers une « gestualisation » de sa pratique d'appropriation du monde de l'oeuvre.

Dans cette perspective, l'activité de visite s'apparentait à une sorte d'exercice de représentation, d'improvisation de sa propre posture de spectateur au sein du dispositif médiatique.

3 Gilles Deleuze, Cinéma 1, L'Image--Mouvement, Editions de Minuit, Collection « Critique », Paris, 1983.

4 Jean Davallon, op., cit. p. 260.

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En effet, il semblerait que « tout groupe assigne des places. C'est de celles-ci que l'on regarde ou que l'on forme la mémoire, remarque Paul Ricoeur dans sa réflexion sur Maurice Halbwachs (2000).5 »

En ce qui concerne la posture de visiteur, sa place ne relève pas exclusivement de déterminations biologiques, mais de places symboliques, d'identités que chacun des individus représente socialement. En effet, on ne saurait penser la relation au visiteur sans penser sa relation sociale au monde: « les souvenirs individuels sont toujours fondés sur des relations sociales, et donc du collectif. 6 » Ainsi d'après Halbwachs, pas d'événement ou de figures gardés en souvenir par le public qui ne présente ces deux caractères : « d'une part, il restitue un tableau singulièrement riche, et en profondeur, puisque nous y retrouvons les réalités que personnellement nous connaissons par l'expérience la plus intime; d'autre part, il (l'événement) nous oblige à l'envisager du point de vue de notre groupe, c'est-à-dire à nous rappeler les rapports (sociaux) de parenté qui expliquent son intérêt pour tous les nôtres.7 »

J'ai donc défini le concept de posture de visite comme le statut emprunté par le visiteur dans sa relation sociale et institutionnelle, à la fois individuelle et collective à l'espace muséal. Mais, cette posture serait également définie selon la manière dont le visiteur se confronte au langage du « visiteur--modèle8 » à travers un statut de négociation de l'oeuvre au sein de l'exposition.

En outre, Halbwachs constate aussi que certains groupes sociaux seraient plus sensibles aux conditions présentes qu'au prestige du passé. Ils organiseraient « leur vie sur de nouvelles bases. (...) Elles (Ces dernières) dessinent les traits d'une société où les barrières que les traditions particulières dressent entre les groupes sociaux seraient abaissées, où le groupe social n'absorberait plus l'individu tout entier, où la représentation du groupe s'élargirait et se fondrait en partie dans d'autres formes de groupements sociaux. Leurs idées et croyances représentent les traditions naissantes de ces groupes sociaux plus étendus où les anciennes représentations seront absorbées.9 »

5 Roger Odin, Les espaces de communication, Introduction à la sémio-pragmatique, PUG, Grenoble, 2011, p. 84.

6 Ibid., p. 85.

7 Ibid., p. 85.

8 Jean Davallon, op. cit. p 15.

9 Roger Odin, op. cit, p. 94.

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Cette description par Halbwachs rend compte de la façon dont les actants sont construits à travers une nouvelle structure, celle de membre (du public) : étant donné que les contraintes hiérarchiques diminuent, les individus prennent le pas sur l'institution et les relations interpersonnelles l'emportent sur les relations sociales définies.

En outre, j'ai analysé ce type de relation à travers celle que le visiteur entretient avec le dispositif d'installation numérique. Je m'étais appuyée sur le concept socio-technique d'« objet-frontière10 » emprunté à Patrice Flichy. Ce concept me permit d'analyser une nouvelle forme de relation du visiteur à l'oeuvre, à travers un redimensionnement de l'activité de visite par la mise en relief d'une pratique de l'écran11. Le visiteur se retrouvait immergé dans un espace « infra-mince12 » de la représentation entre la scène et l'oeuvre.

Dans la poursuite de notre réflexion de Master 2, je parlerais plutôt d'un exercice de « déterritorialisation13 » de la langue du visiteur, et de son interprétation de l'oeuvre. C'est-à-dire que le visiteur se situerait dans une co-construction du sens et de l'interprétation où il opérerait une co-présence, une négociation entre son monde utopique, son imaginaire, et celui de l'oeuvre qui déborderait:

« Se servir du polylinguisme dans sa propre langue, faire de celle-ci un usage mineur ou intensif (...) trouver les points de non-culture et de sous développement, les zones de tiers-monde linguistiques par où la langue s'échappe, un animal se greffe, un agencement se branche.14 » Tout l'enjeu de cette déterritorialisation de l'interprétation et du langage de l'oeuvre se situerait dans un exercice de négociation: entre la représentation du monde de l'oeuvre et celle du monde social du visiteur, à travers un double mouvement de fictionnalisation.

Nicolas Bourriaud quant à lui, dans L'esthétique relationnelle, propose le concept de délocalisation : « l'art n'exerce son devoir critique vis-à-vis de la technique qu'à partir du moment où il déplace ses enjeux15. »

10 Patrice Flichy, L'imaginaire d'Internet, Editions La Découverte, Paris, 2001.

11 Caroline Angé, « Approche des problématiques du texte d'écran », Recherches & Travaux, n° 72, 2008.

12 Georges Perec, L'infra-ordinaire, Seuil, Paris, 1989.

13 Gilles Deleuze, Félix Guattari, Kafka, Pour une littérature mineure, « qu'est-ce qu'une littérature mineure? », Les éditions de Minuit, collection « Critique », Paris, 1975, p. 49.

14 Ibid., p.49.

15 Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Les presses du réel, Dijon, 2001, p. 69.

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Il me semble qu'il en aille de même dans l'exercice d'interprétation de l'oeuvre. C'est-à-dire que la construction de la représentation du visiteur n'a de sens que parce qu'elle est mise en discussion avec l'intériorisation d'autres représentations.

Dans cette perspective, l'oeuvre ne se réduirait plus à une simple base de données, à la matrice d'un réseau signifiant que les divers publics devraient appréhender. L'interprétation serait à entendre comme un déplacement, une « situation16 ». Pour Wolfgang Iser, le processus de lecture crée en effet une interaction entre deux sujets : « ce que le texte provoque, relève de l'intersubjectif. 17» En effet, il remarque que si les stratégies textuelles ébauchent les conditions de perception du texte, c'est dans la mémoire du lecteur que se déroule l'élaboration du sens de la lecture.

Il décrit le lecteur avec une posture qui oscillerait entre deux : une première posture faisant référence à l'implication, où il saisit une situation; et une seconde posture, celle de mise à distance du texte, où le lecteur associerait cette configuration à des expériences passées de lectures, d'activités de visite ou de situations de vie.

Jean-Pierre Esquenazi, dans son ouvrage « Sociologie des publics », donne l'exemple du film La chambre du fils, de Nanni Moretti, qui raconte la mort d'un enfant du point de vue de ses parents; ce film est évidemment source d'associations d'idées pour tous les spectateurs qui sont aussi parents. La compréhension et le sens ne s'établiraient pour Iser qu'à l'issue de cette seconde étape, ou plutôt de chacune de leurs nombreuses occurrences. Car le processus se poursuit pendant toute la lecture et même au-delà, à travers chacune des articulations ou chacune des pauses du texte qui inciteraient le lecteur à une forme spécifique de distanciation et de remémoration.

Comme constaté chez Iser, je m'intéresse à la situation du lecteur-visiteur dans son activité de visite à travers l'observation de ses habitudes et de ses pratiques usuelles, physiques et symboliques.

16 Guy Debord, « Rapport sur la construction des situations et sur les conditions de l'organisation, de l'action et de la tendance situationniste internationale », 1957, p. 324.

17 Jean Pierre Esquenazi, Sociologie des publics, Editions La Découverte, Paris, 2003, p. 13.

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Aussi, semblerait-il que Maurice Halbwachs18 évoque la mémoire comme un phénomène se référant à une somme de faits privés rassemblés par une conscience individuelle, ou aux traces particulières de la mémoire collective.

Concernant mon hypothèse, j'ai essayé de savoir comment le processus d'interprétation de l `oeuvre émerge durant l'activité de visite, en observant les différentes étapes de la construction du sens chez le visiteur à travers l'étude de différents « registres gestuels ». Tout d'abord corporels, spatio-temporels, symboliques et mémoriels, où la mémoire du « corps signifiant19 » du visiteur jouerait un rôle de médiateur de l'oeuvre.

18 Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, Paris, 1925.

19 Eliseo Veron, Martine Levasseur, Ethnographie de l'exposition : l'espace, le corps et le sens, BIP, 1989, p. 51.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci