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Les types de médiations de l'œuvre révélés par la gestualisation du corps-signifiant du visiteur. Pour une ethnographie de l'expérience de visite

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par Audrey PEREZ
Université Pierre Mendès France, Grenoble II  - Master 2 recherche en médiation, art et culture 2012
  

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IV. 4ème jour de montage, Vendredi 18 janvier 2013

9h00, il semblerait que Lina, Clémence et Anthony aient veillé tard la nuit dernière, pour finir le dessin au fusain et commencer à prendre les mesures destinées à recouvrir les baies vitrées du VOG de grands lés de papier calque. En passant en tramway devant les vitrines du VOG, j'ai entre-aperçu l'avancée du montage. Les vitres de l'espace étaient recouvertes de calques, ce qui excita ma curiosité. La tempête de neige de la veille s'était dissipée.

A l'intérieur de l'espace principal, cette pellicule de calque tamisait les rais de lumière en créant une atmosphère englobante et intimiste. « Enrobée dans un cocon agréable à l'oeil...61», cette ambiance me faisait penser à un Ryad marocain. D'ailleurs, elle me fit aussi penser aux différents drapés portés par les Berbères dans leur voyage à travers le désert. A cette heure-là, l'espace était encore assez silencieux.

Le dessin au fusain semblait avoir avancé, durant la nuit dernière. En jetant un coup d'oeil vers les dessins orangés de la série Tempête orange (disposés au sol sur des bâches, avec des poids sur chacun des angles pour redresser le papier déformé), j'eus l'impression qu'ils s'étaient un peu détendus.

En effet, ces dessins avaient été transportés, roulés dans des tubes, d'où une déformation de l'aspect plan du dessin (Annexe 34 p. 26).

J'aperçus dehors, le passage d'une classe d'école primaire devant le Centre. Leurs regards en disaient long sur leur curiosité. Peut-être viendraient-ils bientôt au VOG, pour faire l'expérience de visite de l'exposition.

Comme sur des radeaux en carton, Lina et Anthony continuaient de sculpter le pli62 de leur vague (cf : Océan Pacifique). La poétique du trait accompagnait le léger son du fusain frottant la peau de l'espace. Emouvant spectacle du flux et du reflux de la main du dessinateur, sculptant le passage de sa propre existence.

De temps à autre, Lina et Anthony prenaient chacun à leur tour un certain recul contemplatif sur l'agencement de ce paysage mouvant. Au dessus de leurs têtes, dans la partie supérieure de l'oeuvre, une masse lumineuse surplombait l'horizon.

61 Laetitia Giry., op.cit, p.7.

62 Gilles Deleuze, Le Pli, Leibniz et le Baroque, Les Editions de Minuit, collection critique, 1988, p. 191.

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Comme la trace d'un voyage à travers l'écriture, j'eus l'impression qu'ils m'invitaient à contempler la réalité de ma propre existence.

Aussi me suis-je rendu compte au cours de ma déambulation dans l'espace global de l'exposition, d'une forme de principe de résonance entre chacune des oeuvres commençant à dialoguer les unes avec les autres. « (Cette réalité) éthique (serait) bien structurée en réseau, c'est-à-dire qu'il y (aurait) une résonnance des actes les uns par rapports aux autres, non pas à travers leurs normes implicites ou explicites, mais directement dans le système qu'ils forment et qui est le devenir être63. »

L'impression d'une fluidité, mais aussi la sensation d'une perception aérienne s'accompagnaient d'un autre mouvement plus proche du sol, me permettant de raccorder ces différents mouvements.

A nouveau, l'atmosphère semblait assez détendue, je pris ce laps de temps pour continuer ma discussion avec Lina sur son travail de création.

Elle commença par me décrire une oeuvre qu'elle avait auparavant réalisée dans une librairie (oeuvre intitulée Parasite et Carnivore, réalisée en 2006), où elle s'intéressait à l'idée du grignotage et au rapport du grignotage à la matérialité de l'objet livre. Puis, je me suis demandé quel type de livres elle pouvait bien lire (Annexe 35 p. 27).

Elle me répondit qu'elle était « mordue de BD » mais aussi de romans, et qu'elle s'ennuyait un peu dans les ouvrages de philosophie, car cela conditionnerait sa pensée et limiterait la production mentale de ses images.

Elle me cita tout de même un ouvrage de Didi-Huberman, intitulé L'Homme qui marchait dans la couleur64. Ce livre définit l'artiste comme une figure inventrice de lieux. Cette posture façonnerait, donnerait chair à des espaces improbables. Son héros James Turrell, inventerait des lieux en passant tout d'abord par un travail sur la lumière, tel un sculpteur qui donnerait consistance à ces choses immatérielles que sont la couleur, l'espacement, la limite, le ciel, le rai, la nuit. Ses chambres à voir, comme il les décrit, seraient construites comme des lieux où voir a lieu, c'est-à-dire où voir deviendrait l'expérience de la chôra (périphérie rurale), faisant référence à ce lieu « absolu » de la fable platonicienne.

63 Gilbert Simondon, L'individu et sa genèse physico-biologique (1964), Grenoble, Milan, 1995, p. 245.

64 Georges Didi-Huberman, L'Homme qui marchait dans la couleur (James Turell), série Fable du Lieu, 2001.

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Quelque chose qui évoquerait aussi ce que les psychanalystes nomment des « rêves blancs ». Cette sculpture de surplombs, de ciels et de volcans est ici présentée comme une fable de cheminements. En sorte que regarder une oeuvre d'art équivaudrait à marcher dans le désert.

Puis, elle me raconta son expérience de work in progress: à l'intérieur d'une cabane dédiée à la production de dessins 24 heures sur 24, en collaboration avec 6 ou 7 autres artistes, à partir du récit des histoires des visiteurs.

Dans l'après-midi, nous commençâmes à réfléchir sur l'accrochage de la série Tempête orange. Cette série était composée d'un tryptique représentant, de gauche à droite: une tempête de sable vue d'une ville, une tempête de sable monochrome plus petite, et enfin, un dernier dessin représentant cette tempête sévissant dans une palmeraie. »... constitué de plusieurs couches de crayons de couleurs, de plusieurs strates appliquées avec patience et minutie, il (le triptyque) enveloppe le regard de vagues d'un orangé chaud et tremblant (...) voitures et palmiers sont rendus fantomatiques, deviennent des silhouettes vulnérables, soumises au voile brûlant d'un crépuscule apocalyptique65(Annexe 36 p. 27)

Lina souhaitait en effet réfléchir sur son accrochage, de telle sorte qu'il puisse se fondre avec les éléments architecturaux disposés au sein de l'espace principal. Comme par exemple, faire attention à ne pas obstruer le champ de vision par des piliers disposés à l'intérieur de l'espace principal d'exposition.

Je commençais à prendre davantage d'assurance vis-à-vis de l'ambigüité de ma posture d'observateur-participant au sein du dispositif de production de l'oeuvre.

Alors que jusque-là, je m'étais trouvée en position soit de créateur (plasticien), soit de monteur d'exposition, soit de visiteur.

Après une nouvelle visite de l'exposition, je me rendu compte d'un certain nombre de principes de résonance, de renvois indiciels66 entre les différentes composantes de l'espace:

65 Laetitia Giry., op. cit, p.7.

66 Eliseo Veron, Martine Levasseur, Ethnographie de l'exposition : l'espace, le corps et le sens, BIP, 1989, p. 25.

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«Tout ce passe comme si ce qui pourraitfaire que l'exposition peut-être un texte, c'est à dire une cohérence de propositions, reliées entre-elles par un topic, ou un thème commun» (Eco, 1992), se trouvait tellement peu lisible que c'est seulement l'activité du récepteur qui permettrait de définir des articulations, qui feraient émerger des règles combinatoires, et que pourrait alors se construire un thème commun; bref, que le texte en viendrait à être produit.» Le lino orange disposé au sol renvoyait à la tonalité colorée du tryptique, qui elle-même renvoyait à la couleur du catalogue (Annexe 37 p. 28). Et de façon cette fois-ci assez insolite, cette couleur renvoyait à celle du mobilier et à la charte graphique du lieu d'exposition.

De même, telle une atmosphère sonore récurrente dans l'ensemble de l'exposition, la vibration visuelle du tracé créait une sorte d'unité langagière à l'exposition. Les lés de papier calque renvoyaient aux dessins de la série des 9 petits dessins, intitulée Castle Bravo. L'éclairage criard des phares de voiture sur un dessin du tryptique de Tempête orange me renvoyait aux néons de l'espace du VOG...

Après cette observation, je me suis concentrée sur la place hypothétique du parcours du Visiteur modèle67 et de sa déambulation au sein de l'espace. «En effet, dans l'exposition, la question cruciale est moins celle d'une interaction entre l'instance de production et celle de la réception, que la question de la capacité de l'agencement lui-même à être un mécanisme capable de prévoir les mouvements de l'autre et de lui proposer un Visiteur Modèle.68»

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery