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Représentations sociales et itinéraires thérapeutiques de la malnutrition chez les enfants de moins de cinq ans dans le district de santé de guéré (région de l?extrême-nord Cameroun)

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par Nicodeme VOUDINA
UCAC Yaounde - Master en santé publique - nutrition 2010
  

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CHAPITRE IV: PRESENTATION ET ANALYSE

DES RESULTATS

Les informations sur les représentations sociales et les itinéraires thérapeutiques de la malnutrition chez les enfants de moins de cinq ans ont été obtenues à travers des entretiens semi directifs des parents de enfants de moins de cinq ans, les membres des COSA, les tradi praticiens et le personnel des centres de santé du district de santé de Guéré. Apres chaque entretien, nous avons restitué à nos informateurs ce que nous avons noté pour nous assurer du reportage fidèle de leurs points de vue. A un moment donné, les informations devenaient redondantes et nous avons dû nous limiter à l'essentiel. Ils ont été interviewés sur :

· les causes populaires de la malnutrition,

· les savoirs traditionnels thérapeutiques et les différentes solutions de guérison auxquelles les enfants sont exposés,

· les interdits alimentaires

· les techniques autochtones de prévention de la malnutrition chez les enfants.

C'est d'ailleurs ce qui constituera les grandes articulations de la présentation de nos résultats.

Les pratiques alimentaires des enfants de moins de cinq ans dans le district de santé de Guéré ne sont pas détachables de l'environnement socio géographique auquel ces enfants appartiennent. Pour mieux comprendre les raisons qui expliquent les construits sociaux et les voies de recours entreprises par les parents, il va devoir tenir compte du climat, des activités économiques et de la situation spatiale de ces populations du district de santé de Guéré qui restent similaires quelques soit le groupe ethnique rencontré.

Dans le cadre de cette étude, tous les trois départements qui font le district de santé de Guéré ont été visités. Les localités les plus marginales soit du fait de leur enclavement profond, soit de leur éloignement ont été mises à contribution. Ainsi se reconnaitront dans cette étude, les Massa, les Moussey, les Arabes, les Kotoko, les Toupouri, les Peuhls, les Moundang,les Mousgoum et les Guiziga.

4.1 : Les représentations de la santé et de la maladie

D'une culture à une autre, d'une société à une autre et d'une localité à un autre dans le district de santé de Guéré, la santé et la maladie ont des significations différentes. Les comportements et les actions des individus face à ces deux faits sociaux sont fonction de société ou de culture. En effet, les représentations sociales mettent l'accent sur la culture des individus pour comprendre les comportements face aux maladies .Pour Herzlich (1998), la santé et la maladie sont influencées par le système socio culturel. Ainsi, le comportement des individus vis-à-vis la santé et la maladie sont le reflet de leur culture dans la mesure où chaque société est dotée d'un ensemble de savoirs qui lui permet de parer à tous les problèmes de santé.

Ø La santé

La santé s'identifie à la norme.L'OMS la définit comme « un état complet de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité.»

Quant à l'essentiel des points de vue de nos informateurs, l'idée de santé s'actualise dans la relation du sujet à son environnement. Elle est d'avantage ressentie comme un mode de vie qu'un état physique particulier :"La santé, c'est la vie. C'est mieux que l'argent. On est bien ; on est heureux. On mange bien, on dort bien."Tradipraticiens du FGD àGobo.

Le discours s'articule autours des thèmes suivants :

- bonheur,

- vie aisée,

- absence de problèmes,

- repos,

- tranquillité.

Dans les faits, la santé est décrite comme un idéal de vie. Il s'agit non pas "d'être en bonne santé" mais plutôt "d'avoir la santé", de bien vivre, libéré des contraintes morales et pratiques.

Pour le FGD à Gobo, que nous avons rencontré « Un homme qui a lasanté,c'est celui là qui passe la journée au champ, il n'est pas toujours dans la case mais tient compagnie à ses amis. C'est un homme normal ».A l'image de "bien vivre" correspond toutefois une pratique : "se sentir bien". Cette réalité recouvre des manifestations physiques internes (à l'instar du sommeil, l'appétit ou la forme physique) corrélatives à un ensemble de comportements (tel le fait de pouvoir de pouvoir marcher, de jouer ou de rire). Le domaine de la santé étend son champ depuis la vie biologique de l'individu jusqu'à sa dimension psycho-sociale.

Ici, la pression normative de la culture est convoquée pour faire établir l'écart entre ce qui est normal et ce qui ne l'est pas. On peut aussi relever que le discours médical joue un rôle décisif dans l'établissement des normes qui qualifient la santé car il énonce avec de plus en plus de précisions les signes distinctifs de l'homme normal. Toutes les techniques modernes d'investigation biomédicales montrent que l'on peut s'estimer en bonne santé tout en étant objectivement affecté par la maladie. C'est ce que Lerich a énoncé par « la santé c'est la vie, le silence des organes », pour dire l'inconscience que le sujet a de son corps tant que la maladie est asymptomatique. C'est ici que s'inaugure la séparation entre la normalité du point de vue du sujet (qui n'éprouve pas de souffrance) et la normalité du pont de vue médical car le silence des organes n'équivaut forcement pas à l'absence de maladies.

Ø La maladie

Tout comme pour définir la santé, l'anthropologie médicale s'appuie sur trois mots anglais pour designer la maladie en ces termes :

- Disease ou la pathologie identifiée par le clinicien

- Illness ou l'expérience subjective du patient

- Sickness ou phénomène social produisant le rôle du malade et les attentes de la société.

La maladie nécessite toujours une quête de sens qui va au delà d'une simple lecture biomédicale, productrice de catégorie diagnostique. Si l'évolution des connaissances et des techniques biomédicales rend les diagnostics et le traitement de plus en plus sûrs, on ne peut pas occulter la question de dimension socio culturelle de la maladie.

Ainsi, à la question "qu'est-ce que la maladie", les mères répondent en énumérant divers signes représentatifs, qui renvoient généralement au paludisme. Pour elles, « la maladie c'est avant tout le palu ».Généralement, les critères descriptifs de la maladie oscillent entre deux pôles : l'un organique, l'autre qui a trait à la personne, son psychisme, son comportement. La température, la douleur, les symptômes externes constituent la réalité organique de la maladie. La fièvre, surtout chez l'enfant, représente, pour les mères, une véritable source d'angoisse. Même si elles ont appris à la soulager, notamment par l'utilisation des divers recours thérapeutiques, elle n'en demeure pas moins redoutable :

"Ce qui me fait peur, c'est lorsque la maladie se transforme en en quelque chose qui fait trop chauffer le corps de l'enfant à tel point ou il convulse. On nous a toujours dit que c'est la rate qui est sortie du ventre et il n y a que le guérisseur du village pour la faire rentrer.Sinon elle monte vite chez l'enfant, elle donne la mort".FGD à Gobo

La douleur peut accompagner la maladie mais elle n'est pas un élément constitutif de celle-ci. L'enfant l'exprime par les pleurs, détonateurs qui éveillent l'attention de la mère :

"Lorsque l'enfant va bien, il rit, il joue. S'il se met à pleurer, c'est qu'il souffre de quelque chose. Il pleure, il ne dort pas, il peut avoir la fièvre, la diarrhée, des douleurs au ventre. On s'en rend compte surtout sur son visage"FGD à Gobo

En fait c'est sur le visage que la maladie se donne à voir. Le teint, les yeux apparaissent comme des indicateurs privilégiés auxquels les mères attachent une importance particulière :

"Le malade a la peau blanche et sèche, il ne peut pas marcher tout le temps, son teint change. Les petits, on reconnaît très vite s'ils sont malades ; ils sont passifs."FGD à GoboL'état de fatigue et le manque d'appétit sont des critères immédiats dans le repérage de la maladie. L'individu n'a plus le même rythme de vie ; son activité diminue de façon visible par rapport à l'ordinaire.

La maladie ne se réduit pas à sa réalité organique. Elle se révèle aussi dans son retentissement sur la personne et sur sa vie. La maladie affecte l'individu dans son corps mais aussi dans son intégrité psychique et sa conduite :

"Quelqu'un qui est malade maigrit. Il ne mange pas bien. Il est mal à l'aise. Il ne peut pas faire ce qu'il veut. On voit qu'il n'est pas normal ; ses habitudes changent."FGD à GoboLes modifications de comportement, de l'humeur ou la réduction de l'activité caractérisent le malade :

"On voit que la personne est malade car ses habitudes changent. Il ne fait pas ce qu'il faisait avant. Un de mes petits enfants faisait du sport et il a arrêté. Je comprends qu'il est malade mais je ne sais pas de quoi. Ses habitudes ont changé."FGD à Gobo

Les signes extérieurs de la maladie et les changements d'attitude qu'elle engendre sont autant d'indices qui attirent l'attention sur un dysfonctionnement. Hélas, ils ne renseignent pas toujours sur la nature du trouble, ni sur sa gravité. On peut soupçonner qu'une personne est malade et ignorer de quoi elle souffre. Ainsi, la maladie apparaît comme une réalité opaque et ambigüe qui ne se donne pas à comprendre d'emblée. Si la santé relève d'un constat, la maladie demande à être interprétée. On la reconnaît à de multitude de signes (organiques ou comportementaux) qui nécessitent un travail d'analyse au demeurant sans grande signification pour le malade lui-même.

Pourtant, on constate que certains sujets entretiennent un rapport actif à cette incompréhension. Ils perçoivent qu'il existe des maladies à l'état latent qui exigent de prendre à priori des précautions. On peut supposer que c'est par une vulgarisation de la "médecine savante" qu'une nouvelle dimension de la maladie est apparue. L'idée d'une médecine préventive largement diffusée par l'Institution médicale, trouve sa justification auprès du malade dans cette angoisse de "ne pas savoir ce qu'il a" :

"En apparence, on peut être en bonne santé mais à l'intérieur on ne sait pas trop. Par exemple, mon fils paraissait en bonne santé mais à l'intérieur il était malade. Pourtant, on avait pris toutes les précautions ; il était vacciné."FGD à Gobo

4.2  : Les représentations sociales de la malnutrition

Les représentations de la malnutrition présentent plusieurs facettes qui s'identifient en plusieurs causes et en un éventail de méthodes préventives endogènes influencées par les chemins thérapeutiques tortueux sur lesquelles se rencontrent personnels de santé et parents des enfants dans une crise de confiance.

4.2.1 Les causes populaires de la malnutrition

De nombreux clichés et préjugés alimentent des schèmes psychiques des personnes vivant dans la vallée du Logone. Ces schèmes sont transmis de bouche à oreille par la tradition et véhiculent un savoir non rationnel

Ø La traversée de l'enfant par son père

Dans le construit populaire de la plupart des femmes interrogées, le fait qu'une femme conçoive alors même qu'elle a un enfant qui allaite encore est souvent une représentation sociale. On dit que le père a traversé l'enfant. En effet, dans les habitudes culturelles du Cameroun Septentrional, l'enfant dort sur le même lit que ses parents et lorsque le père de l'enfant doit partir d'un bout du lit à un autre en traversant l'enfant, il y a des risques que cet enfant devienne dénutri. En plus, lorsque les femmes enceintes ont des régimes alimentaires inadéquats, entreprennent des travaux trop durs ou sont fréquemment malades, elles donnent naissance à des bébés plus petits affectés par divers problèmes de santé. Les enfants nés de mères malnutries sont plus susceptibles de mourir lorsqu'ils sont encore des nourrissons. Si ces enfants survivent, dès l'âge de deux ans, ils risquent d'avoir des dommages permanents. Pour cette raison, les femmes enceintes et les femmes qui allaitent ainsi que les enfants de moins de deux ans doivent constituer des groupes cibles prioritaires des interventions nutritionnelles.

«C'est mon mari qui a rendu mon enfant malade, il l'a traversé .voilà je suis maintenant grosse, il a gâté le lait, l'enfant ne marche pas .Il souffre du Camlina et non de la malnutrition comme vous le pensez. Mon champ va être envahi par les mauvaises herbes faites, je dois me rendre en brousse. Vous les docteurs, vous êtes les mêmes, vous nous accusez partout.» se plaint une jeune mère Massa de Nouldayna âgée de 20 ans environ.

Nous comprenons pourquoi dans cette partie du pays la polygamie est fortement conseillée pour éviter de traverser les enfants qui n'ont pas encore grandis.

Ø Le non respect des règles sociales

L'ancestrisme dans le district de santé de Guéré est surtout meublé par de nombreux interdits sociaux qui constituent la norme sociale. Il fallait faire ceci, ne pas faire cela et la moindre transgression était en soi synonyme de représailles. Chez les Massa par exemple, une femme à terme devait subir le bain à l'eau chaude avant son accouchement. Une grand-mère disait à cet effet :

«A notre temps, quand une femme est à terme, elle va chez sa maman pour accoucher .on lui verse de l'eau chaude pour que son enfant soit fort et pour que ses pieds ne se cassent pas .même si son père le traverse, il n y a pas de problème» Une grand-mère Massa d'environs 60 ans de Dom

Un autre exemple est l'interdiction chez les Moundang aux femmes et aux enfants non initiés de jeter le regard sur la mascotte de l'initiation comme l'illustre cette assertion :

«Chez nous les Moundang, les femmes et les petits enfants non initiés ne doivent voir le Mazoumouri. Sinon c'est le malheur qui va les suivre. La plupart des enfants que vous voyez à l'hôpital des soeurs pour prendre la bouillie au soja sont des victimes. Leurs parents sont têtus.» FGD àGobo

En outre, tout mariage devait recevoir la bénédiction des deux belles familles. Ces bénédictions selon le même groupe de discussion. Dans le cas où l'une des belles familles n'était pas d'accord avec le mariage, les conséquences étaient immédiates. Pour dire vrai, 

«Les jeunes d'aujourd'hui se marient sans même demander les vieux du village. Ils ne se renseignent pas sur le passé des parents de la femme qu'ils épousent. Vous voyez que ce que vous appelez malnutrition est maintenant visible chez beaucoup d'enfant ici à Guéré .c'est juste parce que la femme est venue avec la malchance que ses parents ont jeté sur elle. C'est juste ce mauvais sort qui se manifeste chez l'enfant. Ce n'est pas une maladie qu'on soigne à l'hôpital ». Pour le groupe,  « la diarrhée c'est bien, ça lave le ventre de l'enfant.Ça veut dire que le traitement là est bien. »

Une autre illustration qui explicite le non respect des règles sociales intègre les éléments de la nature. C'est par exemple le cas chez les Moussey de l'interdiction de regarder la lune par les femmes enceintes :

« Lorsque la lune n'est pas encore partie alors que nous sommes à l'aube, une femme enceinte ne doit pas regarder cette lune. D'autres femmes l'ont fait et voici que leurs enfants sont toujours assis et paresseux. Ils ont les cheveux comme les bororos. Leurs yeux sont gros comme les yeux des hiboux. Ce sont des enfants sorciers » déclare Goyna homme de 30 ans environs habitant le village Dom pya non lin de Gobo

Ø Le lait amer et insuffisant

Les mères associent fréquemment « les pleurs du bébé » avec le fait que le lait n'a pas été suffisant ou qu'il est amer d'où la décision de compléter le lait maternel avec d'autres éléments liquides ou solides ou encore de donner de l'eau au bébé parce qu'elles estiment qu'il a soif. Ces réactions indiquent qu'elles n'apprennent pas la manière dont la consommation du lait maternel est régulée et que l'enfant n'a pas besoin d'eau supplémentaire. Les besoins nutritionnels du nourrisson, à diverses étapes de sa croissance, sont susceptibles d'être momentanément supérieurs à sa consommation de lait maternel. Mais ce déficit temporaire se résout de lui-même si les nourrissons sont allaités à la demande. Mais s'ils n'allaitent pas fréquemment au sein (sans doute du fait qu'ils consomment d'autres aliments) il y aura réduction de la consommation de lait maternel. Plus les mères allaitent, plus la consommation de lait est accrue, même si cela prend quelques jours avant que la mère s'en aperçoive. Quant au gout amer du lait maternel, tout est à revoir et un travail de persuasion de fond reste à faire pour que les femmes acceptent que le gout du lait n'est pas amer. Pour des raisons particulières, il arrive souvent que l'enfant refuse le lait ; cela ne veut pas dire que le lait est amer.

« C'est mon lait qui le rend malade et maigre. J'ai un lait amer et insuffisant. Cet enfant a déjà plus d'un an mais il n'arrive pas à s'assoir comme les autres enfants nés la même période que lui. Mon lait est amer. Je bois les écorces que ma tante m'a données mais l'enfant refuse toujours. Il fait la diarrhée chaque fois qu'il tète. Je lui donne maintenant de l'eau chaude et je le force à boire de la bouillie du mil, il faut l'immobiliser et boucher ses narines pour qu'il avale. Sinon il refuse de manger. Ma maman m'a dit qu'elle aussi avait le mauvais lait. C'est dans la famille (héréditaire)» se lamente une jeune mère Mousgoum de Gobo

En effet, une fausse route due à une inhalation au niveau des poumons peut être fatale pour l'enfant. La coordination neuromusculaire entre les muscles de la gorge et de l'oesophage n'est pas très bonne. Il est fréquent que les enfants inhalent de la nourriture dans leurs poumons lors de la réhabilitation s'ils ont été forcés à manger, particulièrement avec une cuillère ou en pinçant le nez. Ou encore, ils sont tenus couchés lors de la prise des repas en leur donnant des produits thérapeutiques liquides.L'inhalation de produits thérapeutiques (notamment sous forme liquide) est une cause fréquente de pneumonie chez tous les patients malnutris. Ces derniers doivent être surveillés de près notamment lors de la prise des repas, l'on doit s'assurer à ce qu'ils soient tenus de façon correcte.

Ø La malédiction

Un aspect de la vie ordinaire chez les peuples de la vallée du Logone est la croyance qu'un acte posé par une tierce personne entrainait une malédiction sur le reste de la famille et surtout sur la progéniture. Ainsi, tout malheur était interprété comme conséquence d'un acte volontaire commis par un membre de la famille. Par exemple pour cet éleveur Arabe choa de 40 ans environ que nous avons rencontré à Ardfaf,

«Ce sont les autorités administratives qui font que nos enfants tombent souvent malades. Pourtant ils mangent bien et boivent le lait tous les matins. Ils nous demandent de compter nos boeufs, nos chèvres et nos moutons. C'est une chose qui ne se fait pas. Cela attire les malheurs tels que le vol, le deuil, la maladie, la mort des bêtes ou juste leur égarement. Voilà mes boeufs au bord du marigot, si tu veux va compter et tu viendras me dire quel type de malheur tu auras eu».La norme ici est de ne pas compter le nombre de boeufs ou de tout autre animal constituant le cheptel.

Un autre exemple beaucoup plus amusant est celui d'éviter de montrer ses émotions lorsqu'un ainé assouvit un besoin humain .Une jeune femme de 19 ans environ de Djelmé en se confiant à nous remarquait que

«C'est la grand-mère de mon mari qui a rendu mon enfant malade. Elle a attaché ses pieds parce que je me suis moqué d'elle tout simplement. Elle avait pèté en public. J'ai même demandé pardon mais elle m'a répondu que les gens vont aussi se moquer de mon enfant. Attendez que je vous l'amène

Que dire lorsque les représentations sociales défient la science ? Les propos suivants le démontrent :

« Voilà monsieur le docteur, vous voyez sa face ? C'est le mauvais sang qui est coincé dans ses joues, ses pieds et son ventre. En fait, cette vielle femme a versé sur notre passage ses écorces et mon fils a traversé cela. Depuis ce jour, il a commencé à gonfler partout. C'est le mauvais sang simplement. Je l'ai amené chez le grand voyant et il a pu retirer beaucoup de ce mauvais sang.»

Enfin, il y a lieu de dire que la foi est perçue comme synonyme du bonheur. Ne pas vivre sa foi en conformité avec les écritures sacrées expose le contrevenant à des malédictions comme l'illustre ces propos:

«Kayaahhhh ne nous dérangez pas, c'est normal que l'enfant de cette femme que vous venez de voir passer soit tout le temps malade. C'est une voleuse et tout le monde le sait. Pour une musulmane comme elle, c'est une honte pour nous les croyants. C'est la bouche des gens qui rendent son enfant malade. D'ailleurs tous ses sept enfants sont comme ça. Ils ne sont jamais gros. Si elle arrête de voler et si elle ne soule pas, vous allez voir. Ses enfants ne vont plus tomber malade. On dit que c'est la kwashiorkor mais je crois que c'est la malchance qui la suit. Une musulmane qui fume, qui vole, qui se promène partout, c'est la honte. Walahi, C'est Allah qui la punit .Elle ne suit pas nos conseils.» S'alarme ED6, un commerçant Kotoko d'environ 50 ans et habitant le quartier Sirata à Gobo

L'on peut constater que les peuples étudiés sont essentiellement religieux et ont foi aux systèmes de croyances mis en place.

Ø Les morsures de serpents

Une femme enceinte ou allaitante avait tout intérêt s'éviter une morsure de serpent. En effet, on pense que la maman peut à tout moment contaminer son enfant. Comme le dit un membre du focus group de Gobo,

« Il peut arriver qu'un enfant commence à marcher et perd les mouvements de ses pieds si sa maman se fait mordre par le serpent. C'est la période des récoltes et il y a beaucoup de serpents. La morsure de serpent est contagieuse.

De telles affirmations sont totalement contraires à la science mais sont acceptées même dans les milieux scolarisés

Ø L'allaitement maternel exclusif

L'allaitement maternel qui débute aussitôt après l'accouchement, permet la production de lait par la mère, la contraction de l'utérus, la réduction de saignement chez la mère, protège le nouveau-né contre l'hypothermie, apporte du colostrum ou le premier lait riche en substances qui immunisent le nouveau-né contre des infections et en éléments nutritifs. L'allaitement maternel apporte à la mère et au nourrisson des stimulations psychosociales importantes. Pour réaliser avec succès l'allaitement maternel, il est important d'éviter la séparation de la mère et du nouveau-né (cela s'appelle aussi « cohabitation de la mère et du nouveau-né ») et de ne pas donner de supplément de lait en poudre ni de l'eau sucrée. Donner au nouveau-né ou au nourrisson des liquides ou des aliments complémentaires est susceptible de réduire sa consommation en lait maternel et de provoquer des problèmes de santé .L'allaitement maternel a aussi des effets bénéfiques pour la mère. En effet l'allaitement maternel fréquent et sans supplémentation pendant environ six mois, contribue à protéger la mère d'une nouvelle grossesse en arrêtant sa fertilité. Pratiqué de manière adéquate, l'allaitement maternel permet aux femmes de contrôler leur fertilité et constitue une méthode hautement efficace de planification familiale.

L'allaitement au sein est une source sûre et hygiénique d'alimentation, suffisante d'énergie, d'éléments nutritifs et de liquides. Le lait maternel contient des substances qui luttent contre les maladies et des vitamines qui permettent de préserver l'immunité naturelle du corps. Les autres produits pour l'alimentation des nourrissons augmentent de manière significative les décès dus aux maladies diarrhéiques et aux maladies respiratoires. En climat chaud, l'allaitement maternel exclusif fournit tout le liquide dont a besoin le nourrisson pour se désaltérer et éviter la déshydratation. L'allaitement maternel est bien accueilli par les femmes que nous avons rencontrées mais sa faisabilité, selon elles, n'est pas évidente. ED 2 une femme Toupouri de 30 ans environ habitant dans la ville de Guéré. Elle a son point de vue. 

«Allaiter l'enfant jusqu'à 4 ou 6 mois c'est bien mais, ce n'est pas faisable ici chez nous car il fait chaud. L'enfant doit boire de l'eau comme tout le monde sinon il va mourir de soif. Peut être, c'est faisable au Sud où il fait frais. Même le premier jour de sa naissance il doit d'abord boire de l'eau car le lait de sa maman ne vient pas vite. Et puis son ventre doit être lavé.»

Les mères ont tendance à introduire trop prématurément des éléments liquides ou solides, parce qu'elles doivent se rendre au travail -- un environnement professionnel formel ou lors des moissons et des semences. Mais des études récentes montrent qu'après l'accouchement, les femmes qui travaillent dans un environnement formel ne sont pas généralement séparées de leurs nourrissons pour de longues périodes. En cas d'absence, les mères doivent apprendre à exprimer manuellement leur lait qui sera utilisé pendant ces périodes n'excédent pas quelques heures; l'allaitement maternel pourra être ainsi maintenu et continuera à assurer une protection vitale au nourrisson au cours des premiers mois, les plus cruciaux, de son existence. L'emploi de biberons est à proscrire pour nourrir les nourrissons parce qu'ils peuvent introduire des bactéries dangereuses et interférer avec la conduite adéquate de l'allaitement maternel.

4.2.2 Les recours thérapeutiquesendogènes

Le recours aux soins dépend d'un ensemble des facteurs qui peuvent être d'ordre social, économique, démographique ,politique ou culturel relevant aussi soit des caractéristiques familiaux ou communautaires des parents des enfants . Pour (Goffman, 1983), la typologie des recours aux soins relève de trois catégories de facteurs explicatifs de l'utilisation des services de santé.

· Les facteurs de prédisposition à l'utilisation des services de santé qui sont d'ordre socio culturels et individuels. Comme nous l'avons signalé dans le chapitre précédent, il s'agit notamment de l'âge, du sexe, le lien de parenté, le revenu familial, le niveau d'instruction de la famille, la religion etc....

· Les facteurs facilitateurs sont ceux qui peuvent promouvoir ou inciter à l'utilisation des services de santé. Ils comprennent le cout des soins, la prise en charge des dépenses de santé, l'accessibilité géographique, l'efficacité du traitement et le comportement des prestataires.

· Les facteurs de renforcement développent des attitudes favorables aux recours aux soins. ces facteurs sont liés aux croyances étiologiques ou mieux à la construction sociale et culturelle de la maladie

Dans le cadre de notre enquête, les registres de consultation des 08 centres de centres de santé du district de santé de Guéré que nous avons exploités montrent un taux de fréquentation relativement bas des enfants de moins de cinq ans par rapport aux adultes.

A titre d'illustration, les figures ci-dessous le montrent à suffisance. Ils confirment le fait que les enfants de moins de cinq ans ne bénéficient pas de soins de santé

Figure N°7 : Taux de fréquentation par tranche d'âge comme facteur de prédisposition

Source : district de santé de Guéré 2011

Figure N°8. : Taux de fréquentation par tranche d'âge comme facteur de prédisposition

Source : district de santé de Guéré 2011

Figure N°9: Taux de fréquentation par tranche d'âge comme facteur de prédisposition

Source : district de santé de Guéré 2011

Dans la plupart des cas, les maladies et une alimentation inadéquate sont les causes immédiates de la malnutrition. D'autres causes plus fondamentales représentent des obstacles qui existent au niveau des ménages et des familles.


· L'accès insuffisant à la nourriture.Les familles ne peuvent pas produire ou acquérir assez d'aliments contenant l'énergie et les nutriments dont elles ont besoin. D'autres problèmes peuvent inclure l'accès à la terre et aux intrants agricoles, aux circuits de commercialisation et de distribution des produits alimentaires, l'insuffisance des revenus ainsi que d'autres facteurs.


· Des pratiques inappropriées de soins de la mère et de l'enfant.Les familles et les communautés ne consacrent pas le temps et les ressources nécessaires à la prise en charge de leur santé et de leur alimentation ainsi que de problèmes émotionnels et cognitifs des femmes et des enfants. On peut citer au nombre des pratiques inappropriés en matière de soins, la mauvaise alimentation des enfants malades, la non-utilisation des structures de santé pour les besoins des femmes enceintes et des adolescentes, une mauvaise hygiène, une mauvaise pratique de l'allaitement maternel, l'absence d'une alimentation complémentaire appropriée et des régimes alimentaires inappropriés pour les femmes, y compris les tabous alimentaires pendant et après la grossesse (le fait de manger des oeufs pendant la grossesse de peur que l'enfant soit chauve) et la charge de travail excessive des femmes.


· Un mauvais système d'approvisionnement en eau/assainissement et des services de santé inadéquats.Les services de santé sont de mauvaise qualité, chers, non existants ou inadaptés. L'inadéquation des services de santé se traduit par des indicateurs tels que faible taux de vaccination, manque de soins prénatals, prise en charge des enfants malades et malnutris inadéquate, ainsi que les mauvaises infrastructures d'approvisionnement en eau et d'assainissement.

A Gobo où nous avons organisé un focus group discussion, les participants nous ont confié ceci :

« On a peur d'amener un enfant qui n'a pas un bon poids à l'hôpital des soeurs. Les infirmiers nous insultent et nous traitent de négligents. C'est comme si c'est de notre faute si les enfants n'ont pas un bon poids .et puis quand un enfant est toujours malade et fait chaque fois la diarrhée, il ne mange pas et pleure beaucoup , les gens nous regardent avec mépris et pensent que comme l'enfant est malade, la mère doit aussi souffrir de la mauvaise maladie là. » Ils font allusion au VIH/SIDA.

En effet, les maladies infantiles, tels que pneumonie, diarrhées, rougeole, VIH/SIDA, paludisme et fièvres provoquent de graves problèmes nutritionnels et ont une répercussion sur le statut nutritionnel de l'enfant. Du fait d'un déficit pondéral grave, d'une faible absorption de nourriture, d'un manque d'appétit et d'une consommation insuffisante, les maladies diarrhéiques engendrent la malnutrition ; et un enfant est susceptible d'avoir des maladies diarrhéiques graves et fréquentes si on ne traite pas la malnutrition. Les maladies diarrhéiques sont causées par des mauvaises pratiques de l'alimentation du nourrisson, notamment un allaitement maternel inapproprié et un sevrage rapide avec des aliments contaminés.

La malnutrition et les maladies diarrhéiques sont si étroitement associées que la diarrhée est parfois appelée une « maladie nutritionnelle ».

Lorsqu'ils sont malades, les enfants perdent l'appétit ; ils cessent de manger ou réduisent leur ration alimentaire et ils accusent alors de pertes en éléments nutritionnels. Ils peuvent ressentir des signes de faiblesse ou éprouver du mal à respirer ce qui les empêche de téter ; ils peuvent aussi éprouver de difficulté à mâcher et à avaler leur nourriture. Ces signes de maladies associés à des problèmes d'alimentation inadéquate doivent être dépistés précocement par les responsables d'enfants afin d'adopter des mesures actives tels que : traiter la maladie et faire consommer assez d'éléments liquides et de nourriture. Mais les pratiques nutritionnelles traditionnelles, le manque de ressources et les conseils de dernière heure fournis par les agents de santé font que très souvent les enfants malades ou malnutris reçoivent des soins nutritionnels inappropriés plaçant ces enfants en risque élevé de mort. Par exemple, dans beaucoup de communautés, la croyance erronée veut que lorsque l'enfant a une diarrhée, on ne le nourrisse pas sous prétexte qu'il va guérir plus rapidement si on laisse « reposer l'intestin ». Les enfants atteints du VIH/SIDA, de la tuberculose, de pneumonie, de diarrhée persistante, de paludisme et de rougeole souffrent fréquemment de malnutrition sévère. L'association de la maladie et de la malnutrition expose ces enfants à un risque élevé de décès

A Gobo, ED1 est une femme Moussey de 35 ans environ et habite à quelques mètres du centre de santé mais préfère garder son enfant malade à la maison.Elle déclare :

«A présent mon enfant est malade. C'est le mauvais esprit qui le dérange. Je commence d'abord par les écorces et les racines que je suis allée loin dans la brousse. C'est ça qu'il boit. On m'a aussi conseillé d'aller au marché ramasser les graines d'arachides tombées à terre pour lui donner. Il parait que cela aide à chasser les mauvais esprits. J'attends aussi le retour de son père de son voyage. Nous irons au Tchad puisque mêmes les comprimés qu'il a ramené du marché sont finis et ça n'a pas changé. Si je l'amène à l'hôpital, les infirmiers ne pourront pas le soigner. »

La médecine moderne prend ainsi un coup parce qu'elle est délaissée au profit de la médecine traditionnelle.

Ø Les interdits alimentaires

Le tabou était une loi, une ordonnance ou une publication du grand prêtre en vertu de laquelle tel ou tel objet était sacré ou interdit (Igor de Garine, 1978). Tantôt il s'agissait d'empêcher de toucher à tels arbres, à tels fruits, à du poisson, etc., tantôt il avait pour objet d'initier- si l'on peut dire - ou même de faire participer à la nature des dieux ces mêmes objets et surtout certaines personnes, leur assurant ainsi le respect et la vénération.

Lorsque Moerenhout, de retour de Polynésie, publia ces lignes en 1835, il ne se doutait guère de la vogue à laquelle était promis le terme qu'il définissait. En effet, lorsqu'il s'agit d'aborder des aspects socioculturels et l'alimentation, c'est aux interdits et aux tabous alimentaires qu'on s'intéresse et l'on s'empresse de citer les populations brahmanistes des Indes qui jeûnent plutôt que de consommer les vaches qui les encombrent, etc. cette approche au travers des phénomènes négatifs , étudiés isolement et souvent de façon superficielle, a contribué à populariser le caractère irrationnel des sociétés préindustrielles et à passer sous silence certains aspects essentiels des interdits et des tabous.

(Igor 1978) classe les interdits et les tabous alimentaires  en interdits permanents et temporaires. Les interdits permanents se subdivisent selon l'ampleur du groupe qui s'y soumet  tels que:

· La pluralité de sociétés (interdits sur viande de cochon et l'alcool chez les musulmans) ;

· La totalité d'une population (interdits sur le bétail chez les populations d'éleveurs) ;

· Un groupe de parenté au sein d'une société (interdits totémiques) ;

· Une catégorie socioprofessionnelle (interdits des bouchers en Afrique et au Moyen-Orient) ;

· Une fraction de la société selon son sexe (interdits des guerriers et des femmes) ;

· Une fraction de la société selon son ordre de naissance (interdits des jumeaux, interdits du premier-né, interdit qui frappe l'enfant né après plusieurs fausses couches)

· Des groupes magico-religieux (collèges de possédés et associations d'initiés) ;

· Des individus à l'issue d'une expérience particulière (signe ou message en provenance de l'au-delà). Certains de ces interdits individuels évoluent en interdits familiaux et, sans doute, totémiques.

C'est ainsi, par exemple, chez les Moussey de l'arrondissement de Gobo, que l'ancêtre fondateur d'un des lignages se trouva nez à nez avec une antilope- cheval particulièrement peu craintive sur les lieux où il fonda son premier village. Ses descendants ne peuvent depuis consommer la viande de cet animal.

Les interdits temporaires quant à eux affectent des individus aux périodes cruciales de leur cycle de vie et peuvent être subdivisés en conséquence :

· Interdits de la future mère ;

· Interdits de la mère allaitante ;

· Interdits du nourrisson avant le sevrage ;

· Interdits accompagnant le sevrage ;

· Interdits de la petite enfance ;

· Interdits de l'adolescence et de la puberté ;

· Interdits associés aux règles des femmes ;

· Interdits associés aux maladies et déséquilibre physiques et psychiques ;

· Interdits associés aux périodes de deuil et au veuvage ;

· Interdits associés aux conflits sociaux ; plaideurs, meurtriers ;

· Interdits associés à certains procédés techniques (fermentation) ;

Exception faite des sociétés qui condamnent au végétarianisme ou à l'extrême frugalité, les interdits permanents ont rarement une incidence nutritionnelle - ils intéressent un trop petit nombre d'aliment. Il n'en est pas de même des interdits temporaires qui sont parfois remarquablement mal ajustés aux exigences nutritionnelles de ceux qui en sont l'objet.

Plusieurs points nous paraissent fondamentaux dans l'interprétation des interdits et des tabous alimentaires. Ils constituent la face négative, parfois figée, de croyances positives souvent plus difficile à mettre en évidence (en raison même de leur dynamisme) et au travers desquelles se manifestent les connaissances traditionnelles, ce que Margaret Mead eût appelé « l'idéologie » en matière de nutrition, de santé, d'organisation sociale. A la plupart des interdits correspondent des régimes et des alimentations recommandés. Ils sont organisés en systèmes cohérents qui reflètent les valeurs sociales, morales, religieuses de la société considérée. Ils doivent tout d'abord interprétés par rapport à la culture dans laquelle on les observe et expliqués avant d'être jugés nocifs ou positifs au point de vue de la science occidentale. Dans cette perspective, on tiendra pour suspect les explications trop générales mettant, par exemple, en avant l'égoïsme des hommes vis -à-vis des femmes, des adultes vis-à-vis des enfants, des catégories sociales supérieures par rapport aux inférieures. Elles reflètent surtout la subjectivité des observateurs.

Une bonne illustration de la relation entre interdits et croyances diététiques positives est fournie par le traitement des enfants malades de la rougeole en Afrique occidentale. Au Sénégal, l'enfant malade est soumis à un interdit portant sur les aliments riches en protéines et en graisses. Il ne reçoit pas non plus la boule de mil quotidienne, mais une bouillie légère de mil additionnée de la pulpe de fruit de baobab. Ce régime est maintenu tant que l'enfant a de la fièvre. Il est évident que, poursuivi sur une longue période, il contribue à l'affaiblissement du malade et à sa vulnérabilité aux complications pulmonaires, par exemple. En réalité, cette pratique, irrationnelle à nos yeux, se justifie sur le plan traditionnel :

Par le désir de ne pas affaiblir un organisme fatigué en lui imposant un travail de digestion jugé pénible - en effet, la boule de mil, accompagnée d'une sauce épicée et d'aliments protéiques de fraicheur discutable, apparaît indigeste ;

En fournissant à l'enfant un aliment consubstantiel qui ressemble au lait maternel. Beaucoup d'interdits alimentaires accompagnent de régime prescrits. C'est ainsi que si, au Sénégal, la femme enceinte doit s'abstenir d'aliments épicés et de condiments, elle est en revanche considérée comme ayant deux personnes à nourrir. Elle voit son emploi de temps allégé et son époux accepter de débourser un peu d'argent pour satisfaire ses envies (qui risqueraient de se traduire par des taches sur le corps de l'enfant à naître). On lui recommande aussi de consommer du lait caillé, de l'huile de palme, de la viande et du beurre dans l'aliment de base.

Certains messages de prévention en santé infantile vont complètement à l'encontre des interdits alimentaires, qui sont des protections populaires. Il existe en effet des représentations spécifiques liées à la petite enfance : en Afrique, une femme enceinte ne doit pas manger de viande rouge pour éviter l'hémorragie à l'accouchement, elle doit aussi éviter la banane pour ne pas « avoir d'enfant mou », certains fruits acides donneraient un enfant coléreux...Les populations n'adhèreront pas à un programme si de nombreuses pratiques de prévention magico-religieuses ne peuvent pas être appliquées car jugées non conformes aux normes sanitaires modernes.

4.2.3 Les techniques endogènesde prévention de la malnutrition

La malnutrition dans le district de santé de Guéré n'est pas seulement perçue comme une carence dans l'alimentation d'un enfant ; l'on pense qu'elle peut provenir des mauvais esprits ou du mauvais fonctionnement de l'organisme humain. Ainsi procède t-on par ablation ou au port des fétiches pouvant prévenir la maladie en général et la malnutrition en particulier

Ø L'ablation de la luette

La luette est un appendice charnu qui pend au milieu du voile du palais, à l'entrée de la gorge et qui contribue à fermer la partie nasale du pharynx lors de la déglutition ou l'articulation des paroles. De nombreux peuples dans le district de santé de Guéré pensent que cet organe est souvent cause de maladie chez les enfants. C'est pourquoi, l'on procède à son ablation pour soulager l'enfant de cet appendice. Ainsi, Pour ED5 de 45 ans environ et forgeron de profession,

«La luette est la première cause de maladie des petits enfants. Il faut la couper dès que l'enfant a 3 mois sinon c'est dangereux. Il va toujours vomir parce que cela dérange sa gorge. Il ne peut pas avaler parce que ça bouche la gorge. C'est comme la circoncision, si un garçon n'est pas circoncis, il n'est pas un homme

Cette ablation est devenue ainsi une norme générale obligeant chaque parent à exciser la luette de tous ses enfants.

Ø Le port du talisman

Dans le district de santé de Guéré, la malnutrition est une maladie qui n'est pas dépouillée de son caractère « diabolique » poussant les malades vers des traitements inefficaces, générateurs d'aggravations sévères, parfois irréversibles. Ce caractère diabolique provient d'une interprétation traditionnelle : le gros ventre de l'enfant serait en fait un sort jeté à l'aide d'uneflèche empoisonnée. La grosseur de la tête de l'enfant est alors le signe de l'installation du sort. Pour s'en défaire, il faut se tourner vers le tradithérapeute. Cette interprétation de la maladie est plus vivace dans les zones rurales les plus reculées où les populations ont moins accès aux informations sanitaires. Pour se soigner les malades vont se remettre à un système de proximité, le recours est la conséquence d'une demande de conseil au voisinage, à la famille ou aux amis. Si le symptôme est perçu au départ comme « diabolique », ils se tournent vers la médecine traditionnelle. Seulement d'échecs en échecs, le temps passe et lorsqu'ils se rendent à l'hôpital, et trouvent le bon service, il est souvent trop tard. Alors à la mauvaise référence, s'ajoute la complexité des multiples recours qui, n'assurant pas les meilleurs traitements pour un épisode morbide, coûte cher à la personne. Pour ED7 jeune femme peuhle de 17 ans et mère de deux enfants tous soufrant de malnutrition,

«Le talisman est protecteur contre toutes les maladies. Il y a beaucoup de méchants dans ce village et c'est pour cela qu'il faut toujours attacher ces gris gris. Je ne peux pas vous expliquez davantage le rôle de chaque talisman. Vous êtes un étrange.je suis fatiguée car je sors de très loin, j'ai déjà fait le tour de tous les hôpitaux si c'est ça que vous voulez savoir. Tout mon argent est fini pour ces enfants. Voici six différents marabouts qui sont venus faire des scarifications et planter les choses dans la concession. Cet enfant a été empoisonné. Son ventre gonfle, je ne comprends .... (Elle s'est mise à pleurer) ».

Ø La crête

Au quartier Sirataré à Yagoua, nous avons observé que plusieurs enfants de moins de cinq avaient une coiffure de crête et plusieurs talisman autour de la taille et au cou. D'autres enfants avaient en plus de cela de petites ficelles garnies à chacune des chevilles. ED8, 26 ans, une des mères d'enfant observé que nous avons par la suite interrogé nous renseigne que

« La Crète est une tradition ancestrale. Un enfant ne doit pas être complètement coiffé car on risque exposer le milieu de sa tête. Elle est très fragile et c'est là que passe les maladies. Nos mamans l'ont toujours fait et nous continuerons à le faire. On rase complètement les cheveux d'un garçon le jour de sa circoncision. »

En effet, les parents pensent que la crête constitue un paravent contre les maladies et la fontanelle est l'une des principales portes d'entrée des maladies. Sur le plan scientifique, il est difficile de comprendre cette prise de position car le corps humain a des orifices plus béants que ce petit cercle du milieu de la tête à travers lesquels les maladies peuvent se retrouver dans l'organisme. La bouche, le nez, les oreilles, l'anus et les organes génitaux sont des parfaites portes d'entrée mais les croyances endogènes nous renvoient plutôt à cette partie de la tête.

Ø Le rôle des pièces d'argent et couteau dans la prévention de la malnutrition

L'étude des itinéraires thérapeutiques peut aussi être intéressante pour comprendre les comportements préventifs. Il est difficile de mettre en place des actions de prévention basées sur les premiers symptômes d'une maladie. Dans nombre de pays, pour des raisons d'ordre économique et pratique, la première réaction devant la manifestation des premiers signes de la maladie est l'observation. Le malade se donne le temps d'observer l'évolution de la pathologie, considérant que la santé, ou du moins la consommation du bien de santé est une lourde charge en termes d'argent mais aussi de temps consacré. Plus exactement, on ne consulte pas, tant que les signes et symptômes de la maladie ne sont pas aussi significatifs.

« Lorsque l'enfant dort, il faut toujours mettre quelques chose sous son oreiller. Un petit couteau, une pièce de 5 ou 10 francs. Sinon il va faire des cauchemars et risque être dérangé par les sorciers. Il ne va pas prendre du poids et sera toujours frêle. Pour le moment, je n'ai pas de problème, il n'a que quelques problèmes de toux et fait une diarrhée. C'est normal, il grandit et c'est la saison de la toux.je sais comment traiter ça à la maison.» Nous confie ED5 d'ethnie peuhle et habitant la ville de Yagoua

Dans telles situations, il est important de sensibiliser les mères d'enfants sur les risques de blessures auxquelles l'enfant est exposé puisqu'il a des mouvements non contrôlés. Il peut facilement se blesser si le couteau est directement en contact avec son corps. Les objets tranchants doivent être emballés ou mis dans leurs étuis.

De plus, on ne fréquente pas de structure de soins tant qu'on est en bonne santé (même si le soin est gratuit, le temps d'attente est un temps non consacré à la recherche d'argent). Des entretiens approfondis avec des mères dans différentes zones culturelles montrent qu'elles ont une perception du bien être des enfants radicalement différentes de celle qui sous-tend les pratiques de suivi de la croissance et du développement normal de l'enfant. Ainsi, dans de nombreuses cultures, c'est l'absence de maladie combinée à l'embonpoint (un enfant fort serait un enfant solide) qui atteste de la bonne santé, de la croissance et du développement normal de l'enfant. Pour les mères, l'acquisition de la marche et le passage à l'alimentation sont les étapes fondamentales de la croissance et du développement. L'importance de ces étapes et les comportements qui y sont associés (interdits alimentaires, protections magico religieuses) indiquent que les mères souhaitent la prise d'autonomie la plus rapide possible de l'enfant. Ce sont ces deux étapes (marche, alimentation adulte, et aussi peut être la parole) qui sont leurs indices de bonne croissance et de bon développement. Pour (Jaffré 2012),une recherche en Afrique de l'Ouest montre que, si les formes sévères de malnutrition (marasme et kwashiorkor) sont bien perçues comme un problème, les différentes formes de malnutrition, chronique, modérée ou légère sont en revanche perçue comme un état normal de l'enfant ; quand un problème est perçu (formes sévères) par les parents, ceux-ci le pensent rarement en termes de maladie liée à la nutrition. L'étiologie locale diffère significativement du paradigme biomédical, les causes étant naturelles, supranaturelles ou liées à des désordres sociaux. Aucune relation n'est établie entre malnutrition et l'alimentation de l'enfant. Ces perceptions influencent largement les itinéraires thérapeutiques puisque pour certains cas, la malnutrition pourra être interprétée comme une attaque supranaturelle, et ce seront les marabouts qui seront les premiers concernés.

Ø Les scarifications corporelles

Les scarifications ne sont pas des pratiques anodines, elles véhiculent des nombreux messages qui varient d'un peuple à un autre. Dans le Mayo-Danay, les scarifications sont des pratiques qui existent chez les Massa, les mousgoum, les musey et les Toupouri.

Ø Les scarifications chez les enfants Massa et Moussey

Les parties du corps qui subissent les incisions sont le front, le dos, le ventre et le cou. Cette opération qui était récurrente avant les années 1960 consistait à inciser légèrement la peau et avait plusieurs fonctions qui sont à la fois esthétique et protectrice variant en fonction du sexe et de l'âge. Les scarifications sont des pratiques séculaires. Elles sont réalisées sous deux formes de traits appelées Djira et celles sous forme de pointillés appelés Toumma. Ces deux formes sont constituées de plusieurs motifs : les motifs en zigzag, en « X » et en guillemets. D'autres sont en traits parallèles et en pointillés. Le choix de chacun de ces motifs varie en fonction des parties du corps:

Dans la société Massa, les enfants subissaient aussi les scarifications. Celles-ci jouent un rôle protecteur. Elles étaient réalisées à l'avant bras sous forme de traits parallèles et généralement au nombre de deux. D'autres sont réalisées sur les joues pour soigner certaines maladies des yeux. Elles permettent d'insérer les remèdes (tisane, écorces, sève) pour faciliter la guérison. Les jeunes enfants de sept à dix ans étaient scarifiés avant l'initiation. Les garçons étaient privilégiés pendant cette période (février à avril). Le scarificateur était soit invité par les parents de l'intéressé ou s'y rendait à son poste de travail. « Le temps de l'opération ou de l'incision est bien déterminé. Pour éviter les brulures et l'infection des plaies, les scarifications s'effectuaient dans la matinée et dans la soirée. »

Chez les adolescents, en plus du rôle protecteur, les scarifications jouaient un rôle esthétique. Chez les Massa l'adolescence est la période pendant laquelle les jeunes Massa pratiquent le Gourna. C'est le moment où le garçon et la fille ont un ou une partenaire. Ce qui pousse l'adolescent à se scarifier pour exprimer sa beauté.

Ø Les scarifications chez les Toupouri

Les scarifications ne sont pas l'apanage du peuple Massa. Elles se réalisaient s également chez les Toupouri. Pour l'exécution de toute tâche, le scarificateur utilisait une lame fabriquée par le forgeron. Cette lame est plate avec de petites dents en tenaille qui sert à inciser certaines parties du corps. Les parties du corps qui subissent les scarifications étaient la poitrine, le ventre, la tête, avec des motifs qui partaient du ventre et remontaient vers la poitrine pour s'achever au -dessus de celle-ci en forme de « V » ou de  « X » en son milieu ».

Chez les Toupouri et les Massa, les enfants se font scarifier pour se protéger contre le Fona qui est une sorte de sorcellerie. Selon les déclarations de Hamana «Lorsqu'une personne est atteinte par cette sorcellerie, le premier remède c'est d'abord les scarifications aux bras et au front ». Ceci permet d'éviter le mauvais esprit d'emporter la personne. Les motifs utilisés ici sont des traits verticaux seulement.

Ø Les scarifications chez les Mousgoum

Ce peuple est voisin aux Massa. On les retrouve dans le Nord du département du Mayo-Danay dans les localités de Maga, Pouss, Doreissou, Girvidig. Tout comme les Massa et les Moussey, les Mousgoum pratiquaient les scarifications. C'est ce qu'ils appellent Array Zibizi. Les motifs les plus récents étaient les trais interrompus, sous forme de « V » et «  X ».

Les scarifications chez les enfants ont pour finalité leur protection contre les mauvais esprits. Elles jouent aussi un rôle important dans le domaine sanitaire. Les motifs sont choisis par le scarificateur lui-même ou les parents de l'enfant à scarifier.

«Les produits de cicatrisation étaient presque identiques dans le Mayo-Danay et dans le Mayo kani. Il s'agit de la sève de bois, la terre extraite derrière les marmites, l'huile d'arachide et de beurre provenant du lait»

Les scarifications chez les Mousgoum sont des signes de distinction sociale. On identifiait un Mousgoum à travers les balafres qui sont de longs traits verticaux incisés sur les joues. Ces traits quittaient de la chevelure jusqu'au menton. Ces balafres sont uniquement réalisées chez les hommes. D'autres traits étaient réalisés au niveau du front. Ceux-ci étaient moins longs. Le buste était aussi scarifié de nombreux pointillés. Les scarifications chez les femmes sont localisées au niveau du ventre. Celles-ci sont en forme de zigzag ; de carré, de « V » et de « X ». Ces scarifications véhiculent plusieurs messages. Chez les femmes, elles symbolisent la fécondité, le courage.

Ø Les scarifications chez les Peuls

Les Peuls sont les pasteurs de la région sahélienne. Ils se repartissent dans une quinzaine de pays de l'Afrique de l'Ouest. On les trouve également en Afrique centrale et au Soudan. Ils sont majoritairement musulmans. Leur dispersion et mobilité ont favorisés les échanges avec d'autres populations. C'est ce qui a poussé certains d'entre eux à pratiquer les scarifications. Dans le Diamaré, le groupe ethnique peul qui réalise cette opération est le Ngara qu'on trouve chez les peuhls originaire de Pété et à Bogo. Ce peuple réalisait des traits verticaux sur le visage, seule partie sacrifiée du corps. C'est ce qui fait leur particularité par rapport aux autres ethnies telles que les Massa, les Mousgoum... qui sacrifient en plus du visage, le ventre, la poitrine et le dos. Ils effectuent huit à neuf balafres sur leurs joues appelés en langue foulfouldé Yarodé. Les scarifications chez les Peuhls Ngara jouent le rôle esthétique et concernent les enfants, les femmes et les hommes.

Ø Les scarifications chez les Guiziga

Les Guiziga sont un peuple de l'Extrême-Nord du Cameroun dont un grand nombre se trouve dans le Département du Diamaré. Ils pratiquent à l'instar d'autres peuples tels que les Moussey, les Mousgoum les scarifications. Celles-ci se réalisaient selon Yada Otniel

«sous une forme constituée de motifs en traits verticaux et horizontaux qui varient selon la partie du corps sur laquelle ils sont réalisés ». Toukour, un autre informateur affirme que « les Guiziga connaissent deux motifs de scarifications qui sont les Tchir et les Tchir némémédé ».

Le premier motif désigne les scarifications qui sont réalisées sous forme de grands traits sur le visage et sur d'autres parties du corps tel que le bras et le cou. Les Tchir némémédé quand à eux sont de petits traits réalisés au niveau de la poitrine et du ventre.

« Les scarifications étaient réalisées avant la conquête Peule du XIXème siècle avec des pierres taillées. Ces matériaux ont étés remplacés un siècle plus tard par des lames importées et des couteaux fabriqués localement par les forgerons».

Le scarificateur utilisait ces matériaux pour exécuter sa tâche qui consistait à inciser le corps afin d'avoir les cicatrices. Ces dernières véhiculent plusieurs messages. La première fonction de ces incisions était l'esthétique. Les scarifications représentaient généralement des marques identitaires chez les Guiziga car ces traits issus des incisions faites sur certaines parties du corps les distinguaient des autres peuples. Elles permettaient aussi aux Guiziga d'échapper aux esclavagistes. C'est ce qui pousse Hadam à dire : « Les hommes scarifiés échappaient aux esclavagistes. Ceux-ci ne les capturaient pas, car les balafres sur les joues des hommes étaient considérées comme un signe de laideur et de barbarie ». 

4.2.4 La relation «personnel de santé-parents » : un espace conflictuel ?

Les relations entre soignants/patients ou l'accueil au niveau des services de santé peuvent influencer les recours thérapeutiques des usagers.

Selon les enquêtés, la longue attente pour bénéficier de la prestation au centre de santé est un facteur qui ne favorise pas le recours aux soins : « Parfois on arrive au centre, on reste longtemps et on n'a rien. On va dire, le pèse bébé est gâté ou les vaccins sont finis », FGD à Gobo.

Il y a aussi le déficit de communication entre les personnels de santé et les usagers. Selon certaines femmes rencontrées, outre les difficultés financières, la mauvaise qualité de l'accueil et des soins est un des points d'achoppement entre usagers et prestataires de soins.

« Les infirmières n'accueillent pas bien les usagers. Elles parlent mal, surtout lorsque les enfants ne sont pas bien habillés ou si nous avons manqué une ou deux pesées, alors que parfois il n'y a pas d'argent pour cela. Parfois elles ne consultent pas. Moi par exemple, j'ai fait une seule consultation, car je n'avais pas d'argent pour faire les examensFGD à Gobo.

« Au dispensaire aussi, les femmes nous regardent comme si nous sommes n'importe qui », jeune fille, focus group Gobo

La gestion de la confidentialité a été évoquée par les enquêtés : certaines personnes remettent en cause la confidentialité du côté du personnel de santé. « On n'a pas toujours confiance aux agents de santé. Ils parlent trop », jeune fille, focus Lara. Le centre nutritionnel de Lara est fréquenté aussi bien par des femmes adultes que de jeunes filles. Le recours au centre nutritionnel devient un problème surtout lorsque la jeune fille n'est pas mariée. Il y a la peur ou la honte de rencontrer des personnes connues de l'environnement social ou familial ou par rapport à l'âge de ces personnes. « Parfois aussi, quand on n'arrive, on voit des tantines qui nous regardent bizarrement. Parfois on est gênée, surtout si vous êtes dans le même secteur », jeune fille, focus Gobo

Ces représentations sociales qui empêchent les jeunes de recourir aux soins, montrent bien la nécessité de développer des services adaptés aux jeunes.

Accessibilité économique. Les enquêtées ont mentionné le coût élevé de certaines prestations de santé infantile (exemple, les carnets de santé abandonnés au centre de santé pour non paiement). « Aller au dispensaire c'est bien, mais on n'a pas d'argent pour acheter les médicaments. On cherche à manger. Les hommes ne veulent pas donner l'argent pour acheter les produits aux enfants »,FGD à Gobo.

Accessibilité géographique. La distance à parcourir n'est pas toujours importante. La difficulté majeure est la disponibilité des points de pesées des enfants. « On peut parcourir aussi une distance importante et on nous dit qu'on est arrivé en retard. La pesée est finie il faut attendre le mois prochain. » Femme de Guiriou. D'après les informateurs, la distance n'est pas un problème très important dans la recherche des soins. « Il y a des vélos et les moto clandos, mais l'obstacle majeur reste les moyens financiers ».

A Bougoudoum ED4 est une femme Massa de 35 ans environ et habite à quelques mètres du centre de santé mais préfère garder son enfant malade à la maison car 

« Ce centre de santé est maudit. Les enfants y meurent tous les jours surtout en saison des pluies. Il y a un infirmier là-bas qui pique très mal les enfants. Je connais tous les lits de ce centre et sur chaque lit est déjà mort quelqu'un que je connais. Je ne veux pas que mon enfant meure. »

Malgré les moments peu conviviaux établis, les agents de santé et les autres personnes qui conseillent les responsables d'enfants en matière d'alimentation des enfants devront examiner les indicateurs suivants et encourager les familles à adopter les styles ou méthodes d'alimentation active afin de nourrir un enfant :


· Les responsables d'enfants ou les mères devront nourrir l'enfant en fonction de son âge et de ses aptitudes. Vérifier: Est-ce que l'enfant peut manger avec ce qu'il a (par exemple les doigts, la cuillère, une tasse spéciale) ? Les ustensiles ou les méthodes utilisées pour aider un enfant à manger doivent être appropriés. L'enfant ne mangera pas suffisamment si la cuillère est trop grande, si le bol n'est pas adapté, si la nourriture est trop liquide ou s'il ne peut pas attraper la nourriture ou alors il mange en groupe avec les autres enfants de la maison comme nous l'avons observé partout. Une femme Moussey de Gobo,ED7 32 ans du quartier koromba dit 

« Si un enfant est habitué à manger seul dans son plat, il deviendra chiche et ne partagera pas ses choses avec ses amis. C'est moi sa maman qu'on va accuser. Les gens diront que j'ai mal éduqué mon fils. C'est pour cela qu'il doit toujours manger avec ses frères même s'ils finissent toujours la nourriture avant lui. On veille souvent que les plus grands laissent quelque pour les plus petits dans les plats. S'il a faim, je garde toujours quelque chose dans la marmite pour lui. Je ne sers pas toute la nourriture.il faut garder pour l'enfant. »


· L'alimentation doit répondre à la demande ou à l'intérêt que l'enfant manifeste vis à vis de la nourriture. Demander: Est-ce que le gardien de l'enfant est attentif aux signes d'intérêts de l'enfant vis à vis de la nourriture ? Comment arrive-t-il à bien capter ou à reconnaître les signes indiquant les manifestations de la faim chez l'enfant comme les gestes, le mouvement des yeux ou les bruits. Le gardien de l'enfant ne devra pas attendre que l'enfant soit énervé ou qu'il pleure. Certains responsables d'enfants ne nourriront uniquement l'enfant qu'en fonction d'un cycle horaire ou penseront que l'enfant doit apprendre à avoir faim. Si cette attitude peut sembler appropriée pour des enfants de plus de 2 ans, elle ne peut convenir à des enfants plus jeunes qui ont besoin d'avoir une alimentation plus fréquente et donnée avec attention.


· Les responsables d'enfants et les mères devront encourager l'enfant à manger davantage après chaque repas même s'il/elle n'a plus envie de manger, en le prenant dans leurs bras, en souriant et en jouant avec lui et en lui donnant des récompenses s'il mange davantage. Mais forcer l'enfant à manger (en le tenant de force ou en lui pinçant le nez pour l'obliger à ouvrir la bouche et en versant ou en introduisant de force la nourriture dans sa bouche) est absolument dangereux et à bannir.

Ce premier échange conditionne souvent la suite, l'éventuelle consultation ultérieure. Il arrive trop souvent que le malade se décourage devant la non-réponse de cette première consultation. Le renouvellement de l'échec aboutit à l'instauration d'un doute quant à l'efficacité du médecin et peut aller jusqu'à une désaffection de l'institution hospitalière. Le malade qui a mis tous ses espoirs sur la médecine moderne et qui n'obtient pas de résultats tangibles sans en comprendre les causes car ne recevant pas d'information, va petit à petit se décourager, et va se tourner vers d'autres praticiens, d'autres médecines : « le docteur ne m'a pas enlevé le mal ».

La relation soignant/soigné est donc très importante dans le processus de soin, ainsi que l'accueil des familles, car cette relation influencera sans aucun doute la confiance et le sentiment d'efficacité du soignant mais aussi du programme et donc l'utilisation des services de santé.

« Les femmes ne nous font pas confiance, elles partent toujours au marché acheter les médicaments, puis vont chez plusieurs marabouts avant de venir nous voir. Pendant qu'on donne le traitement à l'enfant le marabout donne aussi sa part de médicaments en cachette. Nous avons toujours les problèmes avec eux. Les femmes disent qu'on les gronde alors que c'est faux»Nous dit ED6, un infirmier au centre de santé privé catholique de Gobo

On peut estimer que les savoirs profanes en santé correspondent à l'ensemble des représentations que chacun développe sur la maladie, la santé, le soin. La personne malade va posséder l'expérience de différents états et symptômes, tels que la diarrhée, les vomissements, elle va connaître l'importance de l'alimentation. Sur ces symptômes qui s'expriment à l'intérieur du corps de manière confuse, le savoir profane, privé de l'appui de connaissances biomédicales va pallier ce manque par la description précise du ressenti de la maladie. Le « langage des maux » ou langage des symptômes, décrit dans chaque culture, les souffrances, anomalies, signes, troubles, souvent en associant un endroit du corps (l'organe supposé être affecté) à une sensation : avoir mal à la tête, avoir mal au coeur ou encore la maladie du cou raide pour la méningite, de la jambe morte pour la poliomyélite. On voit par ces exemples que les représentations populaires se basent en général sur les diverses visibilités immédiates qu'offre un corps malade.

Dans leurs consultations, les soignants se heurtent tous les jours à ces affirmations populaires qui ont une influence insoupçonnée sur les motivations ou les résistances des malades. Ce savoir profane ne correspond pas en général avec celui de la médecine, débordant par excès ou défaut : les populations vont interpréter divers symptômes comme autant de maladies à part entière. D'un autre côté, là où la biomédecine va diagnostiquer selon les cas des pathologies gastriques, intestinales, gynécologiques, les représentations populaires peuvent y construire une seule maladie. L'interprétation va regrouper ces symptômes visibles, qui semblent être de même nature par leur forme ou leur consistance. Les populations pourront parler de « la maladie qui provoque des boules » et englober sous ce nom une hernie, une tumeur, des hémorroïdes. Cette dissonance explique des itinéraires thérapeutiques privilégiant le populaire aux dépends du biomédical pour certaines maladies, où le rapport traitement/maladie n'est pas évident aux yeux des malades (maladies chroniques par exemple).

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo