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Les zones a defendre: d'un mouvement de contestation sociale à un nouveau courant de pensée politique

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par Antoine Vieu
Université de Bordeaux - Master 2 2016
  

Disponible en mode multipage

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Politique comparée : pensée et régimes politiques

Pour le Master 2 de l'Université de Bordeaux
mention droit public et science politique
spécialité recherche

Mémoire de recherche

Par : Antoine VIEU

LES ZONES A DEFENDRE :

D'un mouvement de contestation sociale à

un nouveau courant de pensée politique

Année 2015-2016

Sous la direction de : Patrick Troude-Chastenet

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Sommaire

Avant-propos 3

Introduction 5

Première Partie : Définir la zad 14

Chapitre 1 : Une vision alternative du monde à défendre et à expérimenter : 15

Chapitre 2 : S'émanciper du système contesté par la lutte : 23

Chapitre 3 : Le refus d'adopter une définition stricte de la zad 31

Deuxième Partie : Comprendre les zads aux regardes d'autres phénomènes politiques passés et

contemporains 38

Chapitre 4 : Une résurgence du Larzac ? 39

Chapitre 5 : Les Zads et les luttes altermondialistes : 47

Chapitre 6: Le No-TAV et les zads : deux modèles singuliers des mouvements membres du réseau

contre les Grands Projets inutiles et Imposés. 54

Troisième partie : Du phénomène à la pensée politique : une classification idéologique complexe 61

Chapitre 7 : Une écologie politique sociale et révolutionnaire et anthropocentrée : le rejet du

capitalisme vert et du retour en arrière : 62

Chapitre 8 : Les zadistes et le comité invisible : un constat de la crise similaire mais une approche

révolutionnaire radicalement différente. 70

Chapitre 9 : Les zads et la perspective municipale libertaire. 77

Conclusion 84

Bibliographie 86

Table des matières 93

Annexes 95

3

Avant-propos

« Le commencement de l'élaboration critique est la conscience de ce qu'on est réellement, un « connais-toi toi-même » conçu comme produit du processus historique qui s'est jusqu'ici déroulé et qui a laissé en chacun de nous une infinité de traces reçues sans bénéfice d'inventaire ».

Cette maxime d'Antonio Gramsci résume bien mon parcours personnel. Parmi les traces reçues, nous ne pouvons ignorer un séjour sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, de nombreuses participations aux manifestations de soutien aux différentes zads et de manière plus générale, mon adhésion à différentes associations qui contestent la légitimité de l'Etat et remettent en cause le système capitaliste.

Conscient de centrer ce travail sur un phénomène peu étudié qui possède un impact conséquent dans le champ politique, mon travail essaye de s'extraire de toutes distorsions, exagérations, occultations de faits. L'objectif n'étant pas de juger ce phénomène mais de l'étudier pour tenter de le comprendre.

Indéniablement, il existe un risque d'être guidé uniquement par l'émotion. L'enjeu étant de s'en échapper, en n'obéissant qu'à la recherche sérieuse de documentation, son étude, sa critique objective, et sa mise en perspective.

Mes remerciements vont avant tout à mon directeur de mémoire, M. Patrick Troude-Chastenet pour ses conseils, son aide et son suivi. Merci également à mes professeurs de ces deux années de Master qui m'ont permis de développer un sens critique qui m'accompagnera bien au-delà de mes études. Enfin, merci à mes parents et mes amis sans qui tout cela n'aurait pas été possible.

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Titre : Les zones à Défendre : d'un mouvement de contestation sociale à un nouveau courant de pensée politique.

Résumé :

Notre mémoire d'analyse des idées politiques se concentre sur la pensée politique zadiste.

Ce phénomène politique nouveau, véritable fer de lance de la contestation sociale et environnementale, renouvelle une critique du système politique actuel tout en proposant la mise en place de nouvelles alternatives. A travers notre travail d'analyse des documents zadistes, nous cherchons à comprendre la pensée politique zadiste. Notre hypothèse principale suggère que les zads développent une conception et une critique cohérente du politique qui permet de comparer la pensée politique zadiste à certaines idéologies.

Mots clés : Zad, Idéologie, Mouvement, Anticapitalisme, Autonomie, Autogestion, Altermondialisme, Ecologie radicale, Municipalisme libertaire.

Title : A Zone to Defend : from a new social protest movement to a new political ideal.

Abstract :

Our thesis focuses on the political ideals of the zadist movement, which is leading contemporary social and environmenatal protests. It is renewing criticism of the current political system while suggesting the establishment of an alternative way of living. Through analysing zadist documents, our thesis aims to understand such political ideals. Our main hypothesis is that the zads are constructing a consistent conception and critique of politics allowing us to compare their political ideals with other ideologies.

Keywords : Zad, Ideology, Movement, Anticapitalism, Autonomy, Self-governance, Antiglobalisation, Ecology, Libertarian municipalism.

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Introduction

Le 26 juin 2016, 55,17% de la moitié des électeurs de la région Loire-Atlantique interrogé par consultation locale, s'est prononcé favorable au projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Le gouvernement, à l'origine de cette consultation, estime que ce résultat justifie l'évacuation de la Zone A Défendre (Zad) de Notre-Dame-des-Landes qui empêche le début des travaux depuis maintenant plus de sept ans.

Le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes ne date pas d'hier. Le choix du site pour la construction est décidé en 1967. Il doit alors ouvrir en 1985. C'est en 1972 que la préfecture annonce publiquement la volonté de construire un nouvel aéroport auprès des habitants concernés. Cette même année est créée l'ADECA, Association de Défense des Exploitations Concernés par le projet d'Aéroport. En 1974, un arrêté préfectoral institue une Zone d'Aménagement Différé (ZAD) qui permet au Conseil Général d'acquérir une partie des terrains en vue de la future construction. La contestation ne dépasse pas encore le cadre local.

Le projet demeure lettre morte jusqu'en 2000, lorsque Lionel Jospin, alors Premier Ministre relance l'idée de la nécessité de construire l'aéroport qui doit alors être fini en 2010. Quelques mois après se crée l'ACIPA, Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d'Aéroport qui deviendra l'un des piliers de la mobilisation anti-aéroport.

C'est à partir des années 2000 que sont mis en place les premiers débat et enquête publique accompagnant le « tournant délibératif » engagé par les pouvoirs publics à l'occasion des débats sur l'énergie et plus particulièrement sur le nucléaire. Parallèlement, la contestation s'étend peu à peu à toute la région et, en 2007, s'ouvre la première maison occupée sur la zone d'aménagement : Les Rosiers. Une année plus tard, l'annonce de la Déclaration d'Utilité Publique (DUP) entraîne l'intensification de la mobilisation contre le projet d'aéroport. Les différentes associations mobilisées et certains partis politiques et syndicats organisent les premiers rassemblements sur la zone d'aménagement qui s'accompagnent des premières occupations par des individus extérieurs à la zone. Mais il faut attendre l'organisation de la « Semaine des résistances » et l'installation du premier Camp Action Climat en France à Notre-Dame-des-Landes pour que la Zone d'Aménagement Différé soit rebaptisée Zone A Défendre et que l'appel à débuter une occupation permanente est lancé. A l'automne 2012, le gouvernement entreprend l'expulsion de la Zad par la force lors

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de l'Opération César mais échoue. L'ampleur et l'échec de cette Opération marquent une nouvelle étape dans la mobilisation contre l'aéroport. Elle s'étend sur tout le territoire national. La Zad de Notre-Dame-des-Landes devient le symbole d'une lutte qui dépasse l'enjeu local de construction d'un nouvel aéroport. Il s'agit de lutter contre la domination arbitraire de l'Etat et contre l'économie capitaliste qui dévasterait le monde. La zad devient progressivement un outil pour lutter contre l'aménagement urbain et plus particulièrement contre ce que les militants nomment les « Grands Projets Inutiles et Imposés »1 (GPII). Ainsi, le projet de construction d'une retenue d'eau est avorté après la création d'une zad et la mort dramatique du militant écologiste Rémi Fraisse. A Roybon en Isère, pour empêcher la construction d'un Center Parcs, des opposants au projet créent à leur tour une zad. Le phénomène s'est réitéré plus récemment dans la forêt de Bure contre un projet d'enfouissement des déchets nucléaires. Le chercheur Philippe Subra qualifie le terme zad de « label contestataire »2 dans le sens où les opposants à un projet utiliseraient cette appellation pour « attirer la sympathie d'une partie de l'opinion publique » et donc en quelque sorte, légitimer leur lutte. Le terme de « label » est contestable tant les différents écrits zadistes réfutent toute idée de filiation avec la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Pour autant, le terme de zad s'est exporté depuis 2012 dans toute la France ainsi que dans d'autres pays.

Historiquement, certains projets d'aménagements du territoire ont engendré une opposition qui a eu des répercussions sur le plan national similaires aux zads. Outre le cas du Larzac abordé dans la seconde partie de ce mémoire, il faut déjà citer la lutte contre le projet de construction d'une centrale nucléaire dans la commune de Plogoff à la fin des années 1970. Le mouvement d'opposition local est vite rejoint par celui des antinucléaires qui commence alors à prendre de l'importance. Le projet est abandonné avec la victoire de François Mitterrand en 1981. Un autre projet nucléaire, qui a également connu une forte contestation durant la même décennie, est celui du surgénérateur Superphénix. A la différence de Plogoff ou du Larzac, une manifestation violente a lieu et Vital Michelon est tué par l'explosion d'une grenade offensive. Le dernier projet important à citer et celui du Tunnel du Somport. Ce dernier a occupé une moindre place que les autres mouvements d'opposition mais il partage certains points communs avec la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Les manifestations sont plus violentes et donnent lieu à une occupation de la zone3. Ces différentes mobilisations partagent

1 CAMILLE Le petit livre des grands projets inutiles, édition Le Passager Clandestin, Neuvy-en-Champagne, 2015

2 SUBRA Philippe, Zones A Défendre : De Sivens à Notre-Dame-des-landes, La Tour d'Aigues, L'Aube, 2016, p.18.

3 A ce titre, l'ouvrage Des camions et des Hommes écrit par André Cazetien, maire honoraire de la ville de Mourenx durant la lutte est une très bonne introduction à ce conflit qui mériterait une étude approfondie.

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certains points communs avec les zones à défendre et permettent de comprendre certains de ses aspects. Pour autant l'échelle temporelle est trop grande pour amener à une compréhension suffisante du phénomène zadiste.

Les zads et leurs définitions

Un reportage d'Enquête exclusive, une émission télévisuelle, diffusé sur M6 le 29 mars 2015 débute en s'interrogeant sur l'identité des zadistes : «écolos, extrémistes ou marginaux ? »1. Il n'y aurait aucune utilité de mentionner ce reportage s'il n'était pas utilisé dans certains travaux de recherche que nous avons consultés pour réaliser ce travail. Le chercheur Eddy Fougier se réfère, avec précaution, à ce reportage lorsqu'il aborde la question de la violence sur les zads2 et plus particulièrement la consommation de drogue et « l'omniprésence » d'alcool. Le fait d'utiliser un reportage télévisuel dans un travail scientifique souligne la difficulté de trouver des informations scientifiques concernant les différentes zads. Trop peu de travaux de science politique ou de sociologie ont été réalisés ou sont en cours de réalisation. Les définitions issues de la littérature zadiste restent volontairement vagues. Le reportage a d'ailleurs été repris et fortement critiqué dans un texte par un « sympathisant zadiste »3 qui appelle à le déconstruire.

Eddy Fougier définit simplement la zad comme une « zone à défendre » composée de zadistes4. Il poursuit en expliquant l'objectif de la zad, à savoir bloquer le territoire pour éviter le début des travaux et mettre en place des « pratiques alternatives » pour lutter contre un système qu'ils rejettent. Pour le chercheur Philippe Subra une zone à défendre existe à partir du moment où le terrain d'aménagement est occupé de « façon permanente pour une durée relativement longue »5. Il faut que le terrain occupé soit l'objet d'un futur projet d'aménagement. En regroupant les deux analyses, nous pouvons observer que les deux chercheurs reconnaissent l'existence de plusieurs zads. Ils ne considèrent pas La Zad de Notre-Dame-des-Landes comme un phénomène unique. De plus, le projet d'aménagement peut être d'origine publique ou privée. Enfin, la création d'une zad peut tout à fait être légale.

1 M6 « Ecolos, extrémistes ou marginaux, qui sont ces zadistes qui défient l'Etat », Enquête exclusive, [en ligne] le 29 mars 2015

2 FOUGIER Eddy, Les zadistes : la tentation de la violence, Paris, Fondation pour L'INNOVATION POLITIQUE, 2016, p.25.

3 ANONYME, « Enquête exclusive, ceci est un ressenti personnel », grenoble.indymedia.com [en ligne] URL : https://grenoble.indymedia.org/IMG/pdf/Enquete Exclusive - ceci est un ressenti personnel.pdf [réf. 25 avril 2016].

4 FOUGIER Eddy, Les zadistes : un nouvel anticapitalisme, Paris, Fondation pour l'INNOVATION POLITIQUE, 2016.p. 11

5 SUBRA Philippe, Zones A Défendre : De Sivens à Notre-Dame-des-landes, La Tour d'Aigues, L'Aube, 2016.p.20.

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D'autre part, les deux auteurs voient dans les zads une nouvelle forme de contestation sociale qui regroupe une hétérogénéité d'individus et d'idées avec comme point commun la critique du système capitaliste. Ils expliquent qu'en plus de lutter contre un projet d'aménagement, les zadistes entreprennent la mise en place d'une alternative au système actuel.

Il est plus difficile de trouver une définition commune de la zad dans les écrits zadistes. Le Collectif Mauvaise Troupe1 préfère utiliser le terme zad plutôt que ZAD car il considère que les zads dépassent le cadre de zone à défendre et s'étendent à la défense du « territoire »2. Il ne s'agit pas « d'un simple acronyme mais d'un substantif qui désigne bien plus que la préservation d'un terrain contre un projet d'aménagement ». Le « territoire en lutte » implique aussi bien l'aspect géographique que la présence humaine et le mode de vie. Pour Henri Mora, opposant au Center Parcs de Roybon et auteur de nombreuses analyses sur le sujet, les zadistes « n'ont pas une identité propre et unique. Ils occupent un territoire qu'ils défendent contre son saccage et s'en emparent pour expérimenter d'autres relations sociales et humaines en dehors de l'utilitarisme économique »3. Le Collectif Mauvaise Troupe estime que la création de nouvelles zads comme à Roybon ou Sivens marque la naissance d'un « mouvement » zad. Il le définit de « social », « guerrier » et « artistique »4. Les zadistes définissent leur lutte de « sociale » car se limiter à la qualification de lutte environnementale reviendrait à négliger toute une partie de leurs revendications.

En reliant les définitions des chercheurs et des zadistes, les zads apparaissent comme une nouvelle forme de contestation sociale bien plus large que la défense de l'environnement. En habitant le territoire, les zadistes entreprennent la mise en place d'alternatives au système capitaliste actuel. Mais la notion de zad est un terme récent. Elle a connu une transformation avec le temps. D'un phénomène singulier à Notre-Dame-des-Landes, le terme zad fut utilisé pour nommer d'autres foyers de contestation à travers le pays. La multiplicité des zads a obligatoirement des conséquences sur sa définition. Les événements du présent ne peuvent

1 Ce collectif explique dans ses ouvrages que certains de ses membres se sont installés sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes.

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées de la zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans le Val Susa, Paris, L'éclat, 2016, p.266

3 CHAMBARANS.UNBLOG, « Center Parcs dans les Chambarans, utopie ou cauchemar touristique ? Entretien avec Henri Mora » Chambarans.unblog.fr [en ligne] le 8 mai 2013 ; URL : http://chambarans.unblog.fr/2013/05/08/center-parcs-dans-les-chambarans-utopie-ou-cauchemar-touristique-entretien-avec-henri-mora/ [réf. 15 mai 2016].

4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées ..., Op.cit., p.368.

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être compréhensibles qu'en prenant compte du processus de formation de ces différentes zones à défendre.

Vue l'absence de sources précises et le peu de travaux scientifiques effectués sur les zads, nous avons opté pour une définition large qui définit la zad comme un territoire habité par des individus s'opposant à un projet d'aménagement public ou privé et contestant sa légitimité et sa viabilité. Ces individus proposent une alternative, au système économique et politique à l'origine de ces projets, qui repose sur des principes d'autonomie et d'autogestion en adoptant une économie sans rapport marchand et en rejetant toute relation de domination. Nous écrivons zad en minuscule (qui s'accorde au pluriel) lorsqu'il s'agit du phénomène. La majuscule indique le nom propre. Enfin nous n'utilisons pas l'acronyme ZAD pour Zone A Défendre car la lutte des zadistes s'étend au-delà d'une simple zone géographique et au-delà d'un projet d'aménagement. Le terme zadiste doit se comprendre au sens large et signifie tout individu habitant sur le territoire de la zad. Les médias et les chercheurs distinguent les zadistes des « habitants historiques » à savoir, les individus habitant sur la zone avant la relance des travaux par le gouvernement Jospin. Cette distinction nous apparaît difficile à effectuer sans un travail de terrain pour vérifier son intérêt scientifique. Nous ne l'utiliserons donc pas.

Cadre méthodologique et limites du sujet.

Travailler sur la possible existence d'une idéologie zadiste nécessite d'effectuer auparavant un travail de définition. La première étape est de considérer la zad en tant que mouvement pour ensuite aborder l'aspect idéologique.

En ce qui concerne la définition de « mouvement », là encore un travail sociologique de terrain serait nécessaire. Selon le sociologue Alain Touraine, une mobilisation sociale doit remplir trois conditions1 de principes pour être qualifiée de mouvement. Il faut un principe d'identité, un principe d'opposition et un principe de totalité. Le mouvement social, à la différence de l'action collective est à la recherche d'une « orientation générale de la société ». Il est difficile de vérifier l'existence des trois principes sur les zads. En revanche nous pouvons supposer que les revendications zadistes dépassent largement une simple contestation sociale. De plus, ils recherchent une alternative de vie au système actuel. Le rejet du capitalisme implique obligatoirement une remise en cause de l'orientation générale de la société. Enfin, tant la littérature zadiste que scientifique utilisent la notion de mouvement

1 TOURAINE Alain, La production de la société, Paris, Seuil, 1973, p. 322.

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social. Nous utiliserons donc le terme de mouvement de contestation sociale par souci de cohérence avec les sources primaires et secondaires bien qu'il serait plus rigoureux de parler de mouvance tant les zads ne constituent pas un mouvement structuré. Il s'agit plus d'un réseau dans un réseau.

La deuxième notion à définir et peut être la plus importante est celle d'idéologie. Ce mémoire entreprend d'analyser les zads sur le plan des idées politiques et non dans une approche sociologique d'où l'importance d'adopter une définition précise de l'idéologie. Le terme « idéologie » est une invention du philosophe et homme politique français Antoine Destutt de Tracy qui désigne une nouvelle science destinée à comprendre et expliquer les idées. Karl Marx voit dans l'idéologie une représentation fausse du réel qui permet de justifier la domination de la classe bourgeoise sur le prolétariat. Dans L'idéologie ou l'origine des idées reçues, le sociologue Raymond Boudon analyse l'historicité de ce terme et définit l'idéologie moderne comme « des doctrines plus ou moins cohérentes combinant à dose variables des propositions prescriptives et des propositions descriptives ».1 Enfin, Philippe Braud la définit comme un « ensemble structurée de représentation du monde social qui fonctionne à la croyance (politique) et à la violence (symbolique) »2. D'après l'ensemble de ces définitions, l'idéologie apparaît comme une conception englobante de la réalité qui a pour but de l'expliquer et de légitimer le pouvoir. Elle explicite une situation en lui donnant un sens à l'aide d'éléments non scientifiques mais vérifiables partiellement.

Un des objectifs de ce mémoire est d'étudier la possible existence d'une idéologie zadiste. Nous utiliserons pour ce travail le terme de « pensée zadiste » en tant qu'aspirations politiques multiples développées par le mouvement zadiste.

La démarche de ce travail n'est pas d'ordre sociologique. Il ne s'agit pas de vérifier sociologiquement par un travail de terrain une réalité mais plutôt d'analyser une pensée politique en partie à travers le discours et les écrits des acteurs tout en ayant recours à la méthode comparative.

Notre travail couvrira la période de 2008 au 10 juillet 2016. Débuter notre recherche sur les zads en 2008 se justifie car c'est au cours de cette année qu'apparait pour la première fois le terme de ZAD comme Zone à défendre détourné de son sens original, Zone d'aménagement différé. Le choix d'arrêter notre analyse au 10 juillet 2016 correspond au dernier

1 BOUDON Raymond, L'idéologie ou l'origine des idées reçues, Paris, Points, 2011, [1986], p.86.

2 BRAUD Philippe, Sociologie Politique, Issy-les-Moulineaux, Lextenso LGDJ, 2014, [1992].

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rassemblement organisé sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes au cours duquel de nombreux textes ont été produits concernant l'analyse la consultation locale du 26 juin 2016. Les analyses de cette consultation sont intéressantes car elles permettent d'apporter de nouveaux éléments quant à la vision zadiste de la démocratie représentative. La consultation a de plus occupé une place important dans le champ politique national en suscitant de nombreuses controverses quant à sa légitimité. Nous avons décidé de ne pas prendre en compte dans notre analyse le cas de l'occupation de la forêt de Bure qui empêche par sa temporalité de prendre un recul nécessaire à sa compréhension.

La première limite de ce travail est d'ordre temporel. Comme le rappelle cette formule consacrée, « nous ne sommes jamais les contemporains de notre propre histoire » et analyser un événement si récent implique nécessairement une compréhension qui pourra se révéler en partie biaisée dans le futur. Avec le temps, des éléments qui apparaissent importants et justes aujourd'hui disparaitront peut être des mémoires ou seront contredits et notre analyse deviendra soit obsolète soit infondée. C'est le risque de travailler sur le temps présent.

La deuxième limite porte sur les sources utilisées et plus particulièrement les sources primaires. L'univers zadiste est le plus souvent anonyme. Nous avons utilisé les documents en grande majorité publiés sur des sites internet comme zad.nadir. org, chambarans.unblog.fr ou encore zadagen.tumblr.com. La plupart des textes ne sont pas signés et il est très rare de savoir s'ils sont écrits par un ou plusieurs auteurs. Nous avons également analysé les publications du Collectif Mauvaise Troupe qui explique qu'une partie de ses membres habitent dans une zad. Cet anonymat, et c'est volontaire, empêche de savoir si les auteurs s'expriment à titre individuel ou au nom du groupe. Certaines idées peuvent ainsi être mal interprétées. Il a donc fallu recouper les différentes analyses pour tenter d'extraire certains grands principes partagés par le mouvement zadiste. A titre d'exemple, les valeurs d'autogestion et d'autonomie semblent être partagées par tous les zadistes. Pour autant leurs définitions restent larges à la simple lecture des sources primaires. Nous avons également eu recours à des entretiens réalisés par le Collectif Mauvaise Troupe et largement publiés sur les sites internet proches du milieu zadiste. Leurs utilisations n'ont servi qu'à exprimer des idées et non à décrire des réalités.

Travaillant sur un phénomène très récent, la difficulté a été de rassembler des sources secondaires sur les zads à proprement parler. Très peu d'analyses scientifiques ont été réalisées à ce sujet quand elles ne sont pas d'ordre sociologique. Les deux travaux d'analyses

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d'Eddy Fougier, publiés pour le think tank « libéral, progressiste et européen » Fondapol et l'ouvrage de Philippe Subra sont assez courts et comportent une bibliographie extrêmement limitée.

Enfin, la dernière limite ou plutôt difficulté porte sur la neutralité axiologique. Il a fallu essayer de s'empêcher d'émettre des jugements de valeurs et de s'extirper de nos croyances idéologiques. Il est toujours plus compliqué de travailler sur un sujet qui nous passionne mais notre démarche, qui entend dresser les contours de la pensée politique des zadistes, a permis d'éviter d'aborder les sujets traitant de la réalité des faits, plus susceptible d'être entachée de subjectivité.

A partir de ce cadre méthodologique et de ces limites, nous formulons les questions suivante : la zad résulte-t-elle d'une évolution de mouvements de contestation déjà existants, ou au contraire par sa singularité, n'en constitue-t-elle pas un nouveau ? Peut-on alors la définir comme un nouveau courant de pensée politique voire une nouvelle idéologie ?

Nous avons construit notre problématique à partir des hypothèses suivantes : les zads qui peuvent apparaître comme un ensemble hétérogène tant sociologiquement qu'idéologiquement, semblent développer une conception et une critique particulière du politique et de la participation de l'individu à la politique. Il pourrait exister des convergences dans le mode de lutte contre les projets, la vision du politique et le fonctionnement interne entre les ZAD et les mouvements altermondialistes radicaux comme le Comité Invisible. Enfin, tant la critique du système que le mode de fonctionnement développés au sein des zads s'inscrivent dans une logique qui rappelle le municipalisme libertaire théorisé par Murray Bookchin.

Pour vérifier ces hypothèses, la première démarche est de formuler une définition de la zad à partir des sources primaires et de comprendre comment les zadistes se définissent. L'analyse de ces différentes sources permet de mettre en évidence des caractéristiques propres à la zad sur leurs critiques du système, leur mode de fonctionnement et leurs techniques de lutte (1). Dans un second temps, comparer la zad à d'autres phénomènes politiques passés et contemporains doit permettre de dresser son historicité et de constater qu'elle s'ancre dans la mouvance altermondialiste radicale (2). Enfin, la réponse à la dernière hypothèse apparait comme la synthèse des deux réponses précédentes. En effet, l'utilisation

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de la définition de la zad par les acteurs qui la constituent mêlée à sa comparaison à d'autres phénomènes politiques permet de situer la zad idéologiquement (3).

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Première Partie :
Définir la zad :

Traiter la pensée politique de la zad implique dans un premier temps d'étudier comment les zadistes, eux-mêmes, la définissent. A la lecture des écrits zadistes, la zad dépasse la simple notion de zone géographique. Elle constitue en outre bien plus que la lutte contre un projet d'aménagement. La zad se définit d'abord contre le système capitaliste obsolète et suicidaire qu'elle dénonce. Mais, la critique du système n'est qu'une petite partie de leur définition. Elle constitue le socle de réflexion quant à l'alternative qu'elle veut mettre en place. Cette alternative repose sur deux grands principes : l'autonomie et l'autogestion. Le mode d'organisation de la zad et la critique du système a des conséquences sur les techniques de lutte employées par les zadistes. Légales ou illégales, ces techniques sont selon eux discutées avant d'être utilisées afin de rendre la lutte dans son ensemble légitime. Pour autant, la cohabitation entre la non-violence et la violence n'est pas toujours aisée. Enfin, la zad ne peut être définie sans aborder son refus d'être catégorisée et sans étudier la place qu'elle occupe dans le réseau contre les Grands Projets Inutiles et Imposés.

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Chapitre 1 : Une vision alternative du monde à défendre et à expérimenter :

Critique d'un modèle capitaliste usé et imposé

« Ici et ailleurs, ils [les grands travaux inutiles] illustrent à merveille les dérives d'un système productiviste qui ne survit qu'à force de gaspillage énergétique. Ivre de sa toute-puissance, l'oligarchie use et abuse de sa position dominante »1.

La lutte locale contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes s'inscrit dans une logique bien plus globale d'après la littérature zadiste. Ce projet d'aménagement n'est qu'un exemple de plus de l' « absurdité2 » du modèle capitaliste et c'est bien contre ce modèle obsolète que les différentes zads entendent lutter. En étudiant les différents ouvrages écrits par des auteurs zadistes, nous pouvons établir l'ébauche de leur définition du capitalisme. C'est un système économique et politique fondé d'une part sur trois éléments : la possession, l'accumulation et la productivité et d'autre part sur deux mythes : celui de la croissance infinie et celui du progrès. Dans Le Petit Livre Noir des Grands Projets inutiles les auteurs définissent la croissance comme un « mode de pensée autoréférentielle conduisant à se persuader qu'un monde fini peut croître à l'infini », une « utopie du XXème siècle née pendant les Trente Glorieuses et Cinquante Gaspilleuses prétendant créer de l'emploi, du pouvoir d'achat et le bonheur sur Terre »3. Dans un texte publié sur le site de Notre-Dame-des-Landes - zad.nadir - intitulé « Toujours plus vite, toujours plus loin »4 les auteurs fustigent le progrès, cette recherche disproportionnée du gain de temps. Le progrès en créant de faux besoins aux individus comme « le fait de vouloir traverser un continent régulièrement dans les deux sens »5, apparaît dans l'imaginaire de l'Homme inévitable. Il ne sert pourtant qu'en grande partie à faire tourner la « machine » capitaliste.

C'est à partir de ces deux mythes que naît la critique écologiste zadiste. La recherche de la croissance infinie implique l'utilisation de la nature comme une ressource à exploiter. Or

1CAMILLE Le petit livre noir des grands projets inutiles, Neuvy-en-Champagne, édition Le Passager Clandestin, 2015, p9.

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées de la zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans le Val Susa, Paris, L'éclat, 2016, p16.

3 CAMILLE, Le petit livre noir..., Op.cit., p.106.

4ZADIST, « Toujours plus vite, toujours plus loin », zad.nadir.org [en ligne], le 24 février 2011 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article17 [réf. 10 avril 2016].

5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p17.

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cette exploitation est limitée et le capitalisme se retrouve ainsi devant un paradoxe insurmontable. Les solutions envisagées par la « machine » capitaliste à ces problèmes seront abordées dans la troisième partie de ce travail.

L'autre critique est d'ordre politique. Pour les zadistes, le système capitaliste comporte dans son essence même l'idée de domination et de hiérarchie. Modèle compétitif et non coopératif, le résultat conduit toujours à une distinction entre gagnant et perdant, possédant et exploité. Ce système amène nécessairement à la formation d'une « oligarchie » qui gouverne pour ses propres intérêts et non celui du peuple. Finalement, les projets d'aménagements qualifiés par les zadistes de « Grands Projets Inutiles et Imposés (GPII), n'ont d'« utilité publique » que le nom. D'une part, ils ne profitent pas à tous et d'autre part ils sont décidés par un petit groupe d'individus, composé de responsables politiques, de décideurs économiques et d'experts, qui privilégie ses intérêts privés. Pour illustrer cette idée, le site zad.nadir présente la notion du Partenariat Public Privé1 (PPP) qui est un mode de financement passé entre une autorité publique et un prestataire privé pour financer, et gérer un projet de service public. L'Etat ou la collectivité publique devra, à la fin de l'ouvrage, payer un loyer au prestataire pendant une dizaine d'années2. Pour les zadistes, ces partenariats sont le principal outil de conception des « grands projets inutiles et imposés » car ils permettent aux collectivités publiques de s'affranchir de toute contrainte budgétaire sur un très court terme, ils privilégient les grands groupes industriels et ils constituent des gouffres budgétaires pour les générations futures.

La Charte de Tunis3 (voir Annexe 1) adoptée lors du Forum social mondial de Tunis en 2013 détaille l'argumentaire contre ces grands projets. Elle constate qu'ils constituent un « désastre écologique, socioéconomique et humain » en n'intégrant pas la population à la prise de décision, en étant opaques et basés sur des « hypothèses fausses » quant aux bénéfices économiques et écologiques des projets et en tant qu'instrument du système économique libéral qui profitent aux grands groupes industriels et financiers.

1 ZADIST, « Leçon d'économie politique : le partenariat public privé à la lumière du projet de Notre-Dame-des-Landes », zad-nadir.org [en ligne], le 19 novembre 2013; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article2022 [réf. 9 avril 2016].

2 Dans le cadre de Notre-Dame-des-Landes, Vinci AGO bénéficie de l'exploitation pendant une période de cinquante-cinq ans en investissant 55% des frais environ. Voir à ce sujet : le site internet vinci-airports ; URL http://www.vinci-airports.com/fr/l-aeroport-du-grand-ouest .

3 CAMILLE, Le petit livre noir..., op.cit., p119 ; disponible également sur le site nddl-loiret.miskin ; URL : https://nddl-loiret.miskin.fr/grands-projets-inutiles-et-imposes/article/forum-contre-les-grands-projets .

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Dès lors, les grands projets d'aménagement (aéroport, barrage, ligne Là grande vitesse...) imposés aux individus ne sont que les conséquences de ce système dans lequel des individus décident pour les autres.

L'un des premiers défenseurs de ce système combattu par les zadistes est l'Etat, symbole du pouvoir vertical qui s'impose aux individus. La critique zadiste de l'Etat porte sur plusieurs points. D'abord, il permet la marchandisation du monde et du territoire au profit des multinationales en décidant des politiques d'aménagement et en les imposant, si besoin, par la force. Etant soumis au marché mondial, les Etats deviennent à la fois les sponsors et les créanciers de « l'ordre néolibéral ».

D'autres parts, il impose aux individus sa vision du monde. Peu après les attentats qui ont visé les journalistes de Charlie Hebdo, des occupants de la Zad de Notre-Dames-des-Landes ont publié un texte intitulé : « Vous avez dit Charlie ? »1. Ils estiment que l'Etat a profité des attentats pour affirmer son contrôle social au moyen de trois outils : la manipulation de l'opinion publique à l'aide des médias, l'instauration d'un climat de peur et l'adoption de lois autoritaires. En plus d'accroître son pouvoir à l'intérieur du territoire, l'Etat profite de la lutte antiterroriste pour mener une « politique impérialiste et colonialiste » visant à s'accaparer les ressources des pays producteurs de matières premières et à assoir le modèle capitaliste dans ses anciennes colonies. A la fin de ce document, les auteurs expliquent que l'Etat Islamique fonctionne de la même manière que les autres Etats (fonctionnement économique capitaliste) et concluent par cette phrase qui ne laisse aucun doute quant à leur avis sur l'existence d'un Etat : « Que crève l'Etat, islamique ou pas. ».

En ce qui concerne le contrôle social, le Collectif Mauvaise Troupe explicite l'utilisation du « paradigme du peuple républicain »2 par l'Etat. Pour le Collectif, le peuple français n'est qu'une « fiction homogénéisante » qui ne peut supporter aucune contradiction interne, aucune différenciation. Alors les décisions rendues en son nom ne peuvent souffrir d'aucune contestation. Mais si le peuple est UN, l'Etat a recours selon les zadistes à « l'ennemi intérieur » pour éliminer les groupes qui contestent son autorité. Il est primordial que ce dernier n'appartienne pas au peuple au risque de nuire à l'unité du pays. Ainsi, à chaque manifestation contre les projets d'aménagements ou plus récemment en France contre la loi

1 ZADIST, « Vous avez dit Charlie ? », zad.nadir.org [en ligne], le 20 janvier 2015 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article2870 [réf. 9 avril 2015].

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.95.

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travail1, les médias et décideurs politiques utilisent le terme de « casseur » pour désigner ceux qui s'attaquent aux biens publics ou à la police. Pour les zadistes, ce terme permet de « diviser et taire le fait qu'une large partie de la population ne ravale plus sa colère2 » et ainsi d'opposer le peuple qui manifeste en son bon droit aux casseurs qui n'appartiennent pas de facto à ce peuple.

Pour les zadistes, le système capitaliste manipule les médias pour asseoir sa domination idéologique. Dans le texte « Auto-média »3 , les auteurs qualifient les médias traditionnels de « Mass-médias à la botte du pouvoir ». La critique porte sur la manipulation de l'information et sur sa massification qui empêche de la comprendre et de la trier. Pour savoir qui représente ce « pouvoir » contrôlant la presse, il faut se référer au document précité « Vous avez dit Charlie ». Les auteurs estiment que les médias ne constituent en aucun cas un contre-pouvoir. Ils sont la propriété de grands groupes industriels qui « dépendent économiquement par leurs marchés de l'Etat, donc du pouvoir politique »4. Ainsi, les zadistes remettent en cause la capacité des médias à fournir des informations indépendantes à partir du moment où leurs propriétaires ont besoin de l'opinion publique pour mener à bien leur projet d'aménagement.

Le second défenseur de ce système dénoncé par les zadistes est la démocratie représentative. Dans un texte collectif intitulé « En quoi l'organisation de la vie et de la lutte sur la zad est-elle un laboratoire de démocratie ? »5, les auteurs, affirmant parler au nom du mouvement d'occupation, énoncent leur désaccord avec l'idéal démocratique et plus particulièrement avec la définition du « gouvernement du peuple par le peuple ». Ils rejettent l'idée du besoin d'être gouverné et, comme nous l'avons vu plus haut, qualifient le mot « peuple » de « terme unifiant » et de « fiction identitaire »6. La notion de gouvernement implique l'existence d'un pouvoir exécutif chargé de faire appliquer les lois votées soit par le peuple soit par ces représentants. Pour les zadistes cette fonction s'oppose à l'émancipation de l'individu et impose un cadre légal de vie, véritable contrôle social. Finalement pour les zadistes, aucune coercition ne peut être légitime.

1 ZADIST, « Les zadistes et la casse du mouvement social », zad.nadir.org [en ligne], le 21 mai 2016 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3829 [réf. 15 juin 2016].

2 Ibid., p.1.

3 ZADIST, « Auto-média », zad.nadir.org [en ligne], le 18 décembre 2011 ; URL : http// zad.nadir.org/spip.php ?article147 [réf. 10 mai 2016].

4 ZADIST, « Vous avez dit Charlie ? ... Op.cit. p2.

5 ZADISTE, « En quoi l'organisation de la vie et de la lutte sur la zad est-elle un laboratoire de démocratie ? », zad.nadir.org [en ligne], le 16 juillet 2016 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3934 [réf. 16 juillet 2016]. 6Ibid., p.1.

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Nous avons pu voir que les critiques portées par le milieu zadiste s'adressent à un système et pas seulement à un projet local. A ce propos, le Collectif Mauvaise Troupe explicite l'expression « ni ici, ni ailleurs 1». Le mouvement d'opposition à l'aéroport n'est pas touché par le « fameux syndrome NIMBY » pour Not In My Backyard qui consiste à s'opposer non pas au projet en tant que tel mais à l'endroit de son implantation. Les grands projets d'aménagements ne sont que les conséquences d'un système qui serait mauvais pour l'Homme. Ainsi, l'abandon d'un projet sera une petite victoire pour les zads mais il ne changera pas fondamentalement l'état des contestations. En revanche, il contribuera à « entraver la machine capitaliste et le monde qui en découle 2».

Les ouvrages zadistes ne se contentent pas seulement de critiquer le système capitaliste en place. Ils défendent une autre vision du monde et appellent à un changement de paradigme. Celui-ci reposerait sur « la qualité, la créativité et le partage »3.

Promotion d'un modèle autogestionnaire et autonome :

Dans un texte publié le 24 novembre 2014 intitulé « Eloge de la ZAD »4, les auteurs détaillent le programme d'une zad : «se passer des institutions pour construire leurs vie ». Ainsi le combat mené par les zadistes ne s'inscrit pas uniquement dans le registre du rejet - combattre un projet d'aménagement- il est aussi dans le registre de la proposition à savoir construire un autre mode de vie.

Dans un article intitulé « Pourquoi cultiver la Zone ? Au-delà de la « sauvegarde des terres agricoles »... »5, l'organe « clandestin » POTES 44 (Partisans Organisés pour Terroriser l'Etat Socialiste) explicite l'objectif des tentatives menées sur une zad en l'occurrence celle de Notre-Dame-des-Landes : construire une contre-économie et expérimenter des formes d'auto-organisation en s'éloignant des logiques marchandes, policières et gestionnaires. Deux éléments vont alors apparaître pour mettre en place ce mode d'organisation sans reproduire

1 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.30.

2 ZADIST, « Toujours plus vite ... », Op.cit., p.1.

3 CAMILLE Le petit livre noir... Op.cit. p.10.

4 ZADIST, « Eloge de la ZAD », zad.nadir.org [en ligne] le 24 novembre 2016 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article2779 [réf. 5 décembre 2015]

5 POTES 44, « Pourquoi cultiver la Zone ? Au-delà de la « sauvegarde des terres agricoles »... », zad.nadir.org [en ligne] ; URL : http://zad.nadir.org/IMG/pdf/compilactivite.pdf [réf. 25 mai 2016].

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l'ancien système compétitif, hiérarchisé et destructeur. Il s'agit de l'autogestion ou auto-organisation et de l'autonomie.

Concernant l'autogestion, l'objectif est de réussir à s'organiser sans déléguer son pouvoir de choisir à une personne ou une institution. Comme le rappelle un occupant de la Zad de Notre-Dame-des-Landes interrogé sur France Culture : « Le problème des institutions est qu'elle dépasse les individus. L'institution a pour vocation de se maintenir et se perpétuer »1. Ainsi, par leur vocation elles sont amenées à reproduire des rapports hiérarchiques entre les individus. Pour le collectif Mauvaise Troupe, l'institution est « une instance supérieure et hégémonique pour arbitrer et intervenir »2 dont il faut se passer. Mais sans institution ou chef, il faut trouver des moyens de régler les conflits et prendre des décisions. Pour les zadistes l'enjeu est de quitter un modèle de vie calqué uniquement sur les besoins individuels pour « habiter en collectif » tant du point de vue matériel (habitat, outils...) qu'affectif. Ainsi il faut créer des infrastructures liées à l'usage commun (comme des machines agricoles, des ateliers mécaniques, des moulins...) ; collectiviser les terres agricoles pour éviter d'engendrer de nouvelles inégalités et des rapports de domination, construire des lieux de rencontre sans rapport marchand (salle de spectacle, de conférence, de réunion, café, université...).

Un élément important de l'univers zadiste apparaît avec la question de l'autogestion. Il s'agit de l'anonymat lorsque des zadistes prennent la parole en public en utilisant un nom d'emprunt et en se masquant le visage. Dans « Le petit livre noir des grands projets inutiles »3, les auteurs précisent que l'anonymat permet d'éviter l'émergence d'un porte-parole du mouvement zadiste ce qui aurait pour conséquence, même indirecte, l'apparition d'une situation hiérarchique dans le groupe. Le porte-parole serait dans une position différente - d'infériorité ou de supériorité- face aux médias ou à l'Etat par rapport aux autres membres. Pour le journaliste Hervé Kempf, auteur d'un ouvrage sur Notre-Dame-des-Landes, ne pas rendre la lutte personnalisable permet de préserver l'horizontalité et d'éviter l'émergence de leaders charismatiques4.

Le collectif aborde alors l'exemple des « assemblées du mouvement5 » mises en place à Notre-Dame-des-Landes qui sont des moments où les habitants se réunissent, règlent leurs

1France Culture, « Zad partie 1 » Terre à Terre [en ligne] le 28 avril 2016 ; URL : http://www.franceculture.fr/emissions/terre-terre [réf. 8 juillet 2016], 32min47.

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Défendre la ZAD, L'éclat, Paris, 2014.

3 CAMILLE Le petit livre noir..., Op.cit., p.113.

4 KEMPF Hervé, Notre-Dame-des-Landes, Paris, Seuil, 2014, p86.

5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.189.

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conflits et prennent des décisions pour leur vie commune. Pour lutter contre les rapports hiérarchiques informels ou cachés existant dans tous les groupes humains, les zadistes ont recours à des outils d'éducation populaire afin de réguler les prises de paroles.

Pour l'historien Pierre Rosanvallon, le terme autogestion n'est pas nouveau et s'inscrit dans une « démarche réaliste »1 en ce qu'il crée sur ce qui ne fonctionne pas. Il détaille les différentes définitions de l'autogestion en fonction du langage idéologique utilisé. Deux définitions semblent utiles pour qualifier la vision zadiste de l'autogestion : le « langage libertaire » avec un refus de l'Etat et la suppression de toute autorité, le droit à la spontanéité et le culte de la démocratie directe et le « langage humaniste »2 dans lequel l'autogestion apparait plus comme une manière d'être, où il faut rétablir des rapports sociaux plus ouverts en prônant l'altruisme et le dévouement au groupe social.

Pierre Rosanvallon précise que le développement d'une société autogestionnaire est lié au développement d'un mode de production autonome3. Le deuxième élément qui constitue l'alternative zadiste est l'autonomie.

Comme le rappelle un habitant de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, interrogé sur France Culture4, l'autonomie vient du grec autos qui veut dire soi-même et logos qui signifie les lois, les règles. Ainsi rechercher l'autonomie c'est vouloir être soumis à des règles que l'on a choisies. Il s'agit de sortir de sa dépendance à une institution supérieure comme l'Etat. L'autonomie peut être politique, alimentaire ou économique. Dans le cadre des zads, le collectif Mauvaise Troupe aborde la question de l'autonomie dans un de ses ouvrages5. Il ne s'agit en aucun cas de rechercher une quelconque autarcie qui consisterait à se couper totalement du monde, une sorte de repli sur soi. Pour les zadistes, l'autonomie n'est pas une utopie mais bien « une ligne directrice »6.

L'autonomie politique repose sur le refus d'appliquer des règles ou des lois qui n'ont pas été choisies par ceux qui doivent les appliquer. Les zadistes ont ainsi pris un certain nombre de règles en fonction de leurs expériences de vie en communauté qui ne relèvent pas de « l'intérêt général incarné par l'Etat, marché ou volonté divine »7. Pour Bruno Retailleau,

1 ROSANVALLON Pierre, L'âge de l'autogestion, Paris, Seuil, 1976, p.16.

2 Ibid., p. 10-12.

3 Ibid., p.16.

4 France Culture, « Zad..., Op. cit. 17 :56.

5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Défendre la zad... Op.cit. p.29.

6 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.293.

7 Ibid., p.29.

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président du conseil régional de Loire-Atlantique, « les zadistes n'ont que faire du droit et de la démocratie »1. Les zadistes, en recherchant l'autonomie politique, essaient en effet de s'affranchir des lois dont ils ne reconnaissent pas la légitimité. Et Concernant la démocratie, comme nous l'avons vu précédemment ils construisent bien un modèle alternatif contre « l'idéal démocratique »2 représentatif. L'autonomie politique implique aussi d'assurer la viabilité de la zad face à l'Etat. Ainsi se constituent sur les zads des équipes juridiques qui ont pour objectif de défendre les zadistes face à la justice ou à la police en prodiguant des conseils en cas de garde à vue ou en préparant les procès des occupants.

L'autonomie économique consiste à rechercher l'indépendance alimentaire, énergétique et d'habitation afin de s'émanciper de la logique marchande qui régule les relations entre les individus. Il s'agit alors de produire sa nourriture, construire son lieu de vie et créer et organiser les biens communs. Le collectif Mauvaise Troupe explicite la notion de « non-marché »3 sur Notre-Dames-des-Landes : il s'agit d'un lieu où chacun ramène ce qu'il a produit et le laisse à disposition des autres. Le prix est libre donc l'individu paie ce qu'il peut ou ce qu'il veut. Cet instrument a pour objectif de ne plus conditionner l'acquisition de la nourriture - un besoin premier et vital- aux ressources financières. Mais les zads ne sont pas complétement coupées du monde. Ainsi, pour se procurer des biens matériels et pour subsister, les occupants travaillent à l'extérieur de la zad, reçoivent des aides de l'Etat et des dons ou encore, comme l'explique le collectif, ont recours à de « menus larcins de la grande distribution »4. L'utilité de l'autonomie économique comme le rappelle un zadiste interrogé sur France Culture et de gagner en « autonomie sur notre temps »5 et s'émanciper individuellement.

Pour Philippe Subra, les résultats de l'autonomie économique des zadistes ne sont pas « probants »6 en raison du fait qu'ils n'ont pas atteint l'autoproduction et ils ont besoin des soutiens, financiers notamment, extérieurs. Il reconnait en revanche l'autonomie politique

1 « Bruno Retaillau : à Notre-Dame-des-Landes, il faudra utiliser la force » [en ligne], Lepoint, le 8 janvier 2016 [réf. Le 12 janvier 2016] ; URL : http://www.lepoint.fr/societe/bruno-retailleau-a-notre-dame-des-landes-il-faudra-utiliser-la-force-08-01-2016-2008084 23.php .

2 ZADISTE, « En quoi l'organisation ..., Op.cit.

3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.297.

4 Ibid., p. 297.

5 France Culture, « Zad partie 1 » Terre à Terre [en ligne] le 28 avril 2016 ; URL : http://www.franceculture.fr/emissions/terre-terre [réf. 8 juillet 2016], 18min15.

6 SUBRA Philippe, Zones A Défendre : De Sivens à Notre-Dame-des-landes, La Tour d'Aigues, L'Aube, 2016, p45.

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des zads. Mais pour les zadistes, comme nous l'avons vu, l'autonomie constitue une ligne directrice et non une utopie à atteindre.

L'alternative choisie et la critique du système ont des conséquences sur la manière zadiste d'aborder la lutte contre les projets d'aménagements. Les valeurs d'autogestion et d'autonomie y jouent un rôle important.

Chapitre 2 : S'émanciper du système contesté par la lutte :

« Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent », si pour Victor Hugo, lutter permet de vivre pleinement, pour les zadistes, lutter permet avant tout d'exister.

Une combinaison entre lutte légale et lutte légitime.

Sans être l'objectif fondamental, empêcher le projet d'aménagement de se réaliser demeure une importance prioritaire. En effet, la démarche zadiste et de lutter contre un modèle tout en proposant un autre. Comme le modèle qu'elle propose s'inscrit en dehors de l'Etat, il faut être en capacité de vivre sur le territoire revendiqué. Pour cela les zadistes utilisent différentes techniques de lutte légales ou illégales.

Concernant les moyens légaux, le premier est de contester le projet devant les tribunaux. Administratif ou judiciaire, un procès permet de gagner du temps et ce gain de temps est fondamental pour la zad. Il permet de la faire connaître, de pérenniser l'occupation et d'expérimenter le nouveau mode de vie. Les recours peuvent concerner la déclaration publique du projet1, le non-respect de la Déclaration des Droits de L'Homme et du Citoyen concernant les procédures d'expulsions mais aussi le non-respect des lois ou traités environnementaux. Ainsi s'est créé le collectif des « Naturalistes en lutte »2 à Notre-Dame-des-Landes ou à Sivens. Son objectif est de collecter des données sur la zone du projet d'aménagement afin de dresser un inventaire des espèces vivantes. L'étude de la biodiversité permet de trouver des espèces protégées ou de démontrer que la compensation

1 Récemment, le Tribunal Administratif de Toulouse a annulé le 1er juillet 2016 la DUP (déclaration d'utilité publique) concernant le projet de barrage de Sivens.

2 Lire à ce sujet le témoignage de Jasmin, naturaliste à Notre-Dame-des-Landes in Contrées : histoires croisées de la zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans le Val Susa p. 45.

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environnementale - reproduire l'environnement et la biodiversité de la zone sur un autre site - ne serait pas viable pour ces espèces.

Un autre moyen légal de lutter repose l'organisation de grandes manifestations en dehors de la zad. Ces manifestations sont déclarées en préfecture et peuvent regrouper des dizaines

de millier de personnes.1 Le cas des rassemblements ou des manifestations de réoccupation organisés sur la zad se situent à la frontière de la légalité. S'ils ne sont pas interdits par la préfecture, ils sont organisés en partie sur des terrains privés. Ces rassemblements sont l'occasion de réunir les sympathisants de la zad et d'organiser des conférences, des réunions,

des débats mais aussi des formations, des concerts ou des chantiers collectifs. La Zad de Roybon a par exemple proposé une journée d'échange sur le sexisme dans les milieux alternatifs2.

La communication à l'intérieur et à l'extérieur de la zad constitue un outil de lutte légal primordial. Toutes les zads disposent d'un site internet3 disponible en général en plusieurs langues. Ces sites permettent de consulter les programmes, déclarations, analyses ou actualités concernant les zads et de diffuser des images ou des appels concernant les luttes

en cours et à venir. L'utilisation d'internet par le milieu zadiste et ses sympathisants permet de générer une forte médiatisation et donc une forte mobilisation. Comme le note Philippe Subra, le « champ de bataille médiatique » est plus décisif que la bataille réelle4. La communication comporte aussi la rédaction de revues comme le Penn Ar Bed ou De tout Bois à Roybon.

Outre sa fonction mobilisatrice, la communication permet aussi de diffuser les modèles expérimentés par les zads et par d'autres mouvements. Ainsi, on peut trouver dans la rubrique « International » du site zad.nadir.org des articles concernant la lutte zapatiste, No-TAV,

kurde, colombienne ou grecque. Il s'agit de fournir une autre information que celle relayée par les « mass-media »5 et ainsi lutter contre l'idéologie dominante. Cette lutte se retrouve aussi dans l'écriture des articles. Dans le texte intitulé « A propos du mépris de classe sur la zad » (Annexe 2), les auteurs précisent qu'ils ont recours à la féminisation « subjective et

1 Le 27 février 2016, entre 15 000 personnes (selon la préfecture, 50 000 selon les organisateurs) ont défilé sur la quatre voie reliant Nantes à la Bretagne.

2 Le programme et l'invitation sont à consulter sur le site rebellyon.info ; URL : https://rebellyon.info/jeudi-5-mai-OI-OI-OI-DANS-LES-BOIS-16246 .

3 Se reporter à la bibliographie

4 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p.29.

5 Voir Chapitre 1

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arbitraire » du texte et à l'emploi de néologismes pour lutter contre d'une part la structure grammaticale classique jugée « patriarcale » et d'autre part contre la féminisation qui appartient aux « dominées ».

L'organisation des grands rassemblements et la communication sont amplifiées par les comités de soutiens qui se sont créés dans de nombreuses villes en France d'abord en soutien à la Zad de Notre-Dame-des-Landes puis à toutes les autres.

Concernant les moyens illégaux, il faut dans un premier temps rappeler que les zadistes contestent la légitimité de l'Etat et des lois qu'il impose. L'aspect légal de leurs actions ne les importe que dans une logique d'autodéfense afin d'échapper à l'autorité judiciaire. L'action est légitime dès lors qu'elle vise à s'opposer à l'Etat et au système capitaliste.

Les occupations maraîchères et des habitations permettent l'implantation de la zad sur la zone d'aménagement. En plus de participer à l'autonomie alimentaire, elles contribuent à assoir territorialement et durablement la zad tout en complexifiant son évacuation. Occuper un bâtiment, c'est rallonger les délais dans la procédure d'expulsion. La mise en culture d'un champ ou l'installation d'un potager est l'occasion d'une part de médiatiser la zad en lui donnant une image positive et d'autre part de mettre en pratique un idéal agricole opposé au modèle productiviste. Comme le rappelle le communiqué de POTES 44, multiplier les initiatives agricoles « illégales et non professionnelles » permet non seulement d'affiner leurs critiques de « l'agriculture industrielle et marchande » mais aussi de mener à une convergence avec les paysans dans la défense des terres1. Ainsi s'est créé à Notre-Dame-des-Landes l'opération « Sème ta zad », assemblée bimensuelle, qui a pour objectif de « discuter et d'organiser collectivement les problématiques agricoles sur la zone »2.

L'occupation des habitations ou de la zone par la construction d'habitats constitue l'un des premiers actes dans la formation des zads. Pour Philippe Subra, « ce qui fait la ZAD, c'est l'occupation du site du projet »3.

Une autre action illégale consiste à empêcher le bon déroulé des travaux ou d'avoir recours au sabotage. Lorsque des experts environnementaux de Biotope viennent travailler sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, les zadistes les empêchent de travailler. Pour cela, ils peuvent utiliser la dégradation de matériel, le vol de relevé ou de matériel ou la menace

1 POTES 44, « Pourquoi cultiver la Zone ?..., Op.cit., p.1.

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.46.

3 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p.23.

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physique comme en témoigne Shoyu interrogé par le collectif Mauvaise Troupe.1 Il en va de même lorsque l'huissier vient notifier les décisions d'expulsions rendues par le tribunal. S'il ne peut pas les remettre en main propre, alors l'expulsion ne peut avoir lieu. Le 22 septembre 2015, le juge des expropriations devait venir sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes avec la police. Selon le collectif Mauvaise Troupe2, la décision d'empêcher sa venue est prise par toutes les composantes de la lutte (occupants, paysans et associations).

L'anonymat peut aussi être considéré comme un outil de lutte illégal. Il est ainsi interdit de se couvrir totalement le visage sur la voie publique. De même, la production agricole ou la construction d'habitations sont soumis à des normes. Ne pas les déclarer constitue un délit. L'opacité est recherchée par les zadistes tant sur le plan individuel que collectif. Elle permet ainsi aux individus de ne pas être reconnus par les services de police lors de manifestations illégales ou lors d'actes de sabotage et d'éviter les poursuites judiciaires. Elle permet par exemple aux zadistes d'échapper au contrôle de la chambre d'agriculture en ce qui concerne les expérimentations agricoles ou à la campagne de recensement menée par les autorités locales3.

La question de la légalité ne semble pas être le premier critère retenu par les zadistes pour penser leurs actions. Le consensus et la légitimité de l'action par rapport à leurs valeurs semblent jouer d'avantage. La place de la violence dans la lutte est un des éléments spécifiques à la zad.

Une cohabitation délicate entre le recours à la violence et à la non-violence :

Dans Théorie de la Justice, John Rawls reprend les critères de Hugo Adam Bedau pour définir la désobéissance civile : « acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener à un changement dans la loi ou bien la politique du gouvernement »4. Il affirme ensuite sa nature non-violente car les

1 Ibid., p. 37.

2 Ibid., p.191.

3 ZADIST, « Invitation à des rencontre sur la commune », zad.nadir.org [en ligne] le 22 mai 2016 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3778 [réf. 25 mai 2016].

4 RAWLS John, Théorie de la justice, Paris, Seuil, 1997 [1987], p. 405.

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individus qui l'utilisent le font en étant « fidèle à la loi »1. En d'autres termes ils agissent pour défendre les grands principes qui régissent les sociétés démocratiques. Pour John Rawls, les individus doivent être prêts à assumer leurs actes devant la justice dans le cadre de la désobéissance civile.

Mais John Rawls reprend aussi la définition de l'historien Howard Zinn, qu'il qualifie de trop large pour son analyse sans pour autant la rejeter. Il s'agit alors d'une « violation délibérée et judicieuse de la loi au nom d'une cause sociale et vitale »2. Howard Zinn n'utilise pas les critères de violence et d'acte public pour la définir. Dans Désobéissance civile et démocratie, il s'interroge sur la primauté de la justice face à la loi. Il explique que la loi peut très bien être injuste et qu'il faut lutter contre « l'obéissance aveugle aux lois injustes »3. Quant à la pertinence d'assumer la responsabilité de ses actes, Howard Zinn réfute l'argumentaire des libéraux selon lequel par exemple Martin Luther King aurait accepté d'aller en prison pour rester dans le cadre de la désobéissance civile. Pour Howard Zinn, s'il accepte d'être incarcéré, c'est avant tout dans l'optique de populariser sa lutte.

Les actions des zadistes peuvent parfois être catégorisées comme désobéissances civiles au sens d'Hugo A. Bedau et John Rawls mais il arrive souvent que ces actions soient anonymes et violentes et coïncident plus avec la définition d'Howard Zinn. Une question se pose dans le cadre de la contestation zadiste : peut-on en étant non-violent et lutter aux côtés de personnes violentes ? Cette question a été au coeur de nombreuses réflexions zadistes comme nous allons le voir.

Premièrement, pour les zadistes, le terme de « violence » a été accaparé par l'Etat. Lui seul détient le monopole de la violence légitime et de ce fait, toute autre personne qui aurait recours à la violence serait illégitime dans son action. Ainsi, l'Etat aurait recours à ce terme pour diviser les composantes de la lutte en qualifiant l'action d'un groupe de « violente » ce qui la rend illégitime et illégale. La perte de légitimité a des conséquences négatives sur l'image des zads. Le collectif Mauvaise Troupe utilise l'exemple de « l'affaire de la chemise arrachée »4 pour illustrer ce constat. Le Premier Ministre Manuel Valls parle de « l'oeuvre des voyous » quand le chef de l'opposition Nicolas Sarkozy fait référence à la Terreur de 1793. Il

1 Ibid., p.407.

2 Ibid., note 19 p.405.

3 ZINN Howard, Désobéissance civile et démocratie, Marseille, Agone, 2010, p. 179 et s.

4 Le 27 mai 2016, une centaine de salariés d'Air France avait pris violemment à parti le directeur des ressources humaines et certains lui ont arrachés la chemise après l'annonce de la suppression de 2.900 emplois.

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ne sera jamais question de la violence des licenciements que vont subir les individus. Le collectif parle « d'opération langagière »1 par laquelle la grève devient la « prise d'otage des usagers » ou le sabotage un « acte de terrorisme ». Mais outre le fait de rendre impopulaire les luttes, ces éléments de langage entraînent le durcissement des poursuites judiciaires. Le collectif conclut qu'il est essentiel de se réapproprier l'usage de ce terme car l'abandonner revient à « s'ôter le droit au conflit »2.

Cette réappropriation s'inscrit dans la logique zadiste de contestation de l'Etat. S'ils ne lui reconnaissent pas le monopole de la violence physique, alors il est pour eux légitime voire morale de lui opposer une certaine violence. Pour Philippe Subra, elle peut être « défensive » lorsqu'il s'agit de protéger le territoire occupée ou « offensive » lors de manifestations à l'extérieur de la zad. Elle s'exprime par la confrontation physique avec les forces de l'ordre ou la destruction de biens immobiliers, symboles du capitalisme (agences bancaires, local politique, publicités...)3. Pour l'auteur, ce recours à la violence défensive est une « condition de survie » pour la zad car elle rend son évacuation beaucoup plus difficile par les forces de l'ordre. Lors de la tentative d'évacuation de la Zad de Notre-Dame-des-Landes durant de l'opération César en octobre 2012, la violence des affrontements et ces conséquences dans le champ médiatique ont contraint le gouvernement à mettre un terme à l'opération. De même, la mort de Rémi Fraisse a entrainé le gel du projet d'aménagement du barrage de Sivens.

Le collectif Mauvaise Troupe tire la même conclusion de l'opération César. La diffusion par les médias de vidéos et d'images relayant les affrontements violents entre zadistes et forces de l'ordre n'a pas eu l'effet habituel de stigmatiser les manifestants mais au contraire a suscité de la sympathie pour les zadistes - en témoigne l'ampleur de la manifestation de réoccupation le 17 novembre 20124. Le collectif estime que cet effet inhabituel est dû à l'ancrage du mouvement dans le paysage politique et à la « détermination commune de tous qui a transcendé les diverses pratiques »5.

Un dernier élément doit être pris en compte pour bien comprendre le rapport qu'entretiennent les zadistes avec la violence. Il s'agit de la violence utilisée par les opposants aux zads, donc ceux favorables aux grands projets d'aménagement. Ainsi à Sivens comme à

1 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.319.

2 Ibid., p.321.

3 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p. 65-66.

4 13 500 personnes selon la préfecture, 40 000 selon les manifestants.

5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.321.

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Roybon1, les zadistes fustigent la violence employée contre eux par les partisans au projet. L'utilisation de la violence est légitime si elle permet d'égaliser le rapport de force entre deux groupes. Dans le cadre des opposants et défenseurs aux projets, les zadistes ne se considèrent pas supérieur en termes de force et le recours à la violence n'est donc pas légitime.

Si la tentative d'évacuation de la Zad de Notre-Dame-des-Landes a suscité de la sympathie, c'est du selon les zadistes à la participation de toutes les composantes de la lutte dans la défense des zones occupées. Dans un entretien publié par Constellations.boum, Marcel, un paysan qui habite sur la Zad, témoigne de l'utilité de la violence défensive et de la participation de tous2. Ainsi, l'ADECA (Association de Défense des Exploitants Concernés par l'Aéroport) décide de participer à la manifestation illégale du 17 novembre 2012 ce qui, selon Marcel, « n'est pas dans sa pratique »3. Il explique que les paysans ont utilisé les mêmes modes de lutte que les squatteurs4.

Dans un autre témoignage, Jasmin qui se dit non-violent, explique que s'il ne se sent pas investi, comprend les actions violentes5. Cela ne l'empêche en rien de pratiquer ses actions non-violentes. Pour les zadistes, il faut que les individus acceptent la cohabitation des pratiques pour que le mouvement soit efficace. La lutte est le fruit de diverses composantes qui ne doivent pas se diviser si elles veulent gagner. Philippe Subra explique que la frontière entre violence et non-violence n'est pas figée. Un militant non-violent peut, sur la zad, participer à une action violente6.

La cohabitation va se révéler plus difficile lorsqu'il s'agit de violence en dehors de la zad. Plusieurs exemples permettent d'expliquer ces difficultés. Le premier concerne la manifestation du 24 mars 2012 organisée par les opposants au projet d'aéroport. Le collectif Mauvaise Troupe a diffusé plusieurs entretiens concernant l'organisation de la manifestation et le bilan à en tirer.7 Selon ces entretiens, les assemblées préparatoires ont permis à chaque groupe de débattre sur les actions qu'il voulait mener. Les partisans du recours à la violence expliquent que ces débats leurs ont permis d'inventer des nouvelles formes d'expression afin

1 ANONYME, « Adresse aux défenseurs du projet de construction d'un Center Parcs à Roybon suite aux violences commises en leur nom », grenoble.indymedia.org [en ligne], le 4 mars 2015 ; URL : https://grenoble.indymedia.org/2015-03-04-Adresse-aux-defenseurs-du-projet [réf. 20 mai 2016].

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Marcel, paysan indéracinable », constallations.boum.org [en ligne] ; https://constellations.boum.org/spip.php?article126 [réf. 17 avril 2016].

3 Ibid., p.26.

4 Ibid., p. 29.

5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.168.

6 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p. 66.

7 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.173-176.

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de concilier les visions de chacun. Ainsi pour Raoul, cette manifestation a permis de créer une « base de confiance minimale, malgré les désaccords et les tensions, entre des gens qui à priori n'ont pas du tout les mêmes pratiques politiques ».

En revanche, le 21 novembre soit un jour avant une manifestation organisée à Nantes contre la répression policière après la mort de Remi Fraisse, l'ACIPA (Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d'Aéroport) publie un appel intitulé : « La non-violence... est un sport de combat- Appel pour la constitution de « blancs-blocs »1. Cet appel dénonce la présence de « casseurs » lors des manifestations et de policiers déguisés dans les Black-Bloc, l'utilisation de la violence comme épouvantail par l'Etat pour délégitimer la contestation et la division artificielle qu'il effectue entre non-violence et violence. Il appelle les manifestants à filmer toute violence commise, éloigner les personnes violentes et se vêtir de blanc. Le site zad.nadir a publié une réponse à ce communiqué qui permet de comprendre la divergence idéologique entre les opposants à l'aéroport. Dans ce communiqué2, les auteurs qualifient de « thèse complotiste » l'idée de policiers déguisés dans les Blacks-Blocs. De plus ils contestent la responsabilité des casseurs dans l'origine des violences policières. Pour ces auteurs, ce sont les forces de l'ordre qui sont les seules responsables du degré de violence employé. Enfin, ils rappellent qu'aucun « supposé casseur » n'a jamais empêché un individu non-violent de manifester. Ils concluent en soulignant l'importance de la « complémentarité des formes de lutte » dans l'opposition à l'Etat.

Finalement, s'il ne semble pas exister trop de questionnement vis-à-vis de la légalité de la lutte, la question du recours à la violence reste l'une des problématiques majeures. Nous allons voir dans le chapitre suivant que si les zads refusent d'être définies strictement et placées dans des catégories, elles partagent certains principes communs qui les rendent singulières.

1 « La non-violence... est un sport de combat - Appel pour la constitution de « blancs-blocs », acipa-ndl.fr [en ligne], le 21 novembre 2014 ; URL : https://www.acipa-ndl.fr/actualites/lettres-ouvertes-tribunes/item/461-la-non-violence-est-un-sport-de-combat-appel-pour-la-constitution-de-blancs-blocs [réf. 15 mai 2016].

2 ZADIST, « Des policiers déguisés en pacifistes ? [Une réponse à « La non-violence est un sport de combat...], zad.nadir.org [en ligne], le 28 novembre 2014 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article2790 [réf. 10 mai 2016].

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Chapitre 3 : Le refus d'adopter une définition stricte de la zad

Depuis la création de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, de nombreux autres projets d'aménagement ont été contestés en France et à l'étranger. Ces contestations ont donné lieu à des occupations qui parfois choisissaient la qualification de zad quand d'autres fois ce nom leurs était imposé par les pouvoirs publics ou les médias. Cette volonté de définir pour classer et comprendre est contestée dans les écrits zadistes. Si l'un des slogans entendu à Notre-Dame-des-Landes après l'opération César fut « Zad Partout ! » et l'idée de créer à chaque point de conflit avec l'Etat ou le système capitaliste une zad, il ne s'agissait pas pour autant d'exporter un modèle copier-coller de Notre-Dame-des-Landes. La réflexion zadiste a été confrontée à une double contradiction : définir la zad et dans ce cas imposer sa propre vision ou laisser chaque groupe s'emparer de ce concept au risque de le vider de son sens.

La mise en avant de principes partagés

Dans l'analyse publiée en 2013 « To ZAD or not to ZAD »1 les auteurs reviennent sur l'apparition de nombreuses zads en France. Ils expliquent ce succès en raison de la popularité de défendre les terres agricoles dans l'imaginaire collectif d'un monde qui éprouve des difficultés à défendre l'illusion productiviste. Mais les auteurs rappellent que la zad ne lutte pas pour défendre des « valeurs de gauche », elle lutte contre la marchandisation du vivant. Elle naît avant tout de la « communication », du désir de rencontrer l'autre. Ainsi, pour ces auteurs, « la zad n'appartient à personne », tout le monde peut se la réapproprier car elle n'est qu'une « ouverture merveilleuse du devenir ».

Dans une autre analyse plus récente « Label Zad et autres sornettes 2» les auteurs s'interrogent sur la labellisation de la zad, sur la légitimité à autoriser ou interdire l'usage de ce terme et finalement sur le sens du mot. Premièrement, ils rappellent qu'il n'y a pas de « zad mère », chaque zad a ses particularités, son histoire, ses réalités géographiques et sociales. Ainsi, qualifier de « zad mère » Notre-Dame-des-Landes revient à nier l'essence même de la zad. Cette vision ne semble pas partagée par Eddy Fougier ou Philippe Subra dans leurs travaux

1 ZADIST, « To Zad or not to ZAD », zad.nadir.org [en ligne] le 25 mai 2013 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article1652 [réf. 10 avril 2016].

2 ZADIST, « Label Zad et... Op.cit.

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sur les zads1. Pour les auteurs zadistes, parler de filiation revient à nier la « particularité des processus locaux ». Le collectif Mauvais Troupe se méfie de l'utilisation du terme zad comme un « prêt à porter ». Il faut rapporter la dynamique et la méthodologie de Notre-Dame-des-landes à la spécificité de chaque territoire. A titre d'exemple, le Quartier Libre des Lentillères à Dijon rejette ce qualificatif qui nuirait à leur singularité2.

Deuxièmement, les zadistes insistent sur l'importance essentielle du temps dans la construction de la zad. L'établissement d'une zone autogestionnaire et autonome doit s'inscrire dans un processus historique assez long. Bien que l'utopie zadiste soit une force mobilisatrice, elle ne se suffit pas à elle-même pour pérenniser la vie d'une zad.

Troisièmement, ils s'interrogent sur l'idée d'une planète à défendre. Dans Le petit livre noir des grands projets inutiles, la zad est définit comme « zone à défendre, mis bout à bout, les ZAD aboutissent à une PAD (Planète à défendre)... »3. Pour d'autres auteurs zadistes, ce n'est pas la Terre qui est à défendre, mais « notre relation au vivant ». La Terre, contrairement, à l'Homme survivra au réchauffement climatique, à la fin des matières premières et aux déforestations.

Sur le dernier point, les auteurs analysent le processus idéologique au sein des zads. Lorsque les individus rejoignent la zad, ils ont tous leur propre système de pensée : « Ce sont autant de personnes que de raisons ou de sensibilités, d'objectifs personnels ou collectifs, de volontés, de croyances, d'espoirs et d'illusions »4. La difficulté est double : ne pas imposer sa vision du monde de façon autoritaire tout en conservant son identité. Pour les auteurs, un processus de construction idéologique est nécessaire. Il parle d'une « écologique politique et sociale révolutionnaire » qui doit permettre de concilier une force de proposition à leur force de contestation.

Ces deux analyses soulignent les conséquences contreproductives à utiliser la dénomination « zad ». Elles rappellent l'importance d'un processus de construction long et intégré voire imprégné au territoire et elles permettent de comprendre la difficulté d'établir une définition précise et acceptée par tous de la zad. Les chercheurs cités précédemment ont

1 Voir FOUGIER Eddy, Les zadistes : un nouvel anticapitalisme, Paris, Fondation pour l'INNOVATION POLITIQUE, 2016, p14 et SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p.18. Les deux auteurs utilisent le terme de « zad-mère » qui fut employé par un zadiste lors d'une interview dans le quotidien Le Monde datant de décembre 2014.

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées..., Op.cit., p369.

3 CAMILLE, Le petit livre noir..., Op.cit., p.111.

4 ZADIST, « Label Zad et... Op.cit., p.6.

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effectué un travail de définition de la zad dans leurs ouvrages respectifs. Ainsi, pour Eddy Fougier, une « ZAD est une « zone à défendre » installée contre ce qu'ils (les zadistes) appellent des « grands projets imposés et inutiles » »1. Philippe Subra parle de « véritables zads » lorsque « les sites disputés font ou ont fait l'objet d'une occupation permanente et relativement durable »2. Le caractère permanent de l'occupation est le critère essentiel de la zad.

Un problème s'est posé sur la Zad de Sivens3 et plus récemment à Paris, dans le XVème arrondissement, lorsque s'est ouvert la Zad « Sainte-Rita » contre la destruction d'une église4. Les mouvements dits « d'extrême-droite » peuvent-ils revendiquer l'ouverture d'une zad ? Les agriculteurs de la FNSEA (fédération nationale des syndicats des exploitants agricoles) peuvent-ils créer une zad pour lutter contre les zadistes 5? A la seule lecture des définitions de Philippe Subra et Eddy Fougier, l'ouverture d'une zad contre un grand projet par des mouvements d'extrême-droite peut être envisagée. Pourtant, si les zadistes rappellent que chaque zad est issu d'un processus temporel et historique singulier, il n'en demeure pas moins que certains principes sont indispensables à la constitution d'une zad.

Dans son ouvrage Contrées : Histoires croisées de la zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans le Val Susa, le Collectif Mauvaise Troupe estime que la mort de Remi Fraisse a engendré l'éclosion d'un « mouvement zad »6. La zad est selon le collectif « une forme de lutte dont l'essence même est d'être ancrée, territoriale et bien souvent rurale ». Il tente alors de décrire la particularité de ce mouvement qui comprendrait trois acceptations :

l' « agitation », la « détermination » et l'identité « artistique ou philosophique ». La zad serait alors un « patron souple » utilisé par des individus pour créer une opposition locale. Mais utiliser ce patron nécessite de faire preuve d'inventivité et non d'imitation précise le collectif.

1 Voir FOUGIER Eddy, Les zadistes : un nouvel anticapitalisme..., Op.Cit., p. 11.

2 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p.20.

3Sur la présence du MAS (mouvement d'action sociale) à Sivens :

http://www.lesinrocks.com/2014/11/06/actualite/barrage-sivens-lextreme-droite-tente-dinfiltrer-zad-11534064 .

4 http://www.lemonde.fr/monde-academie/visuel/2016/06/17/une-enquete-de-la-monde-academie-la-zad-sacree-de-sainte-rita 4953010 1752655.html

5 Création d'une zad temporaire à Rodez revendiquée par la FDSEA :

http://www.midilibre.fr/2015/01/30/aveyron-des-agriculteurs-creent-leur-zad-ephemere-a-rodez,1118204.php

6 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : ... p367.

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Néanmoins, la Zad de Notre-Dame-des-Landes a toujours lutté contre « l'aéroport et son monde ». Lutter contre ce monde, c'est lutter contre le modèle capitaliste et la marchandisation du vivant, contre l'Etat et son monopole de la violence physique légitime mais c'est aussi essayer de créer un modèle autonome et autogestionnaire qui reposerait non plus sur des valeurs de domination, de productivité ou d'accumulation mais sur des valeurs comme la solidarité, le partage et la créativité. Limiter la définition d'une zad à la lutte contre un projet d'aménagement serait une erreur d'appréciation. Bien que la Zad de Notre-Dame-des-Landes soit le fruit de facteurs historiques, individuels, sociaux et temporels singuliers, ce sont ces valeurs qui constituent le « patron souple » de la zad.

Penser la zad dans le réseau d'opposition au Grands Projets Inutiles et imposés

Si les zads n'ont pas de définition stricte en raison de leur singularité, elles partagent certaines valeurs. Elles se constituent dans la lutte contre les grands projets d'aménagement symboles d'un « modèle consumériste, climaticide et énergivore »1. Philippe Subra énumère les zads dans son ouvrage à partir du critère d'occupation permanente2. Son analyse n'est pas partagée par le site zad.nadir qui présente une liste actualisée et non-exhaustive des « zad et espace occupé »3 dans laquelle l'occupation permanente n'apparait pas comme le critère déterminant. A titre d'exemple de grands projets dits « inutiles et imposés », il y a la construction d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, un barrage pour constituer une réserve d'eau à Sivens, un Center Park à Roybon, une technopole et une LGV (ligne à grande vitesse) à Agen, un centre d'enfouissement des déchets nucléaires à Bure, une scierie géante à Macilly, une rocade autoroutière à côté d'Avignon, un nouveau stade de foot à Lyon. Pour autant, les grands projets d'aménagement sont confrontés à une contestation qui dépasse le cadre des zads.

Diane Robert, dans son travail sur les mouvements sociaux et les grands projets inutiles et imposés, définit ces derniers comme « des investissements de grande ampleur dans des installations matérielles. Le terme fait référence non seulement aux grands projets d'infrastructure de transport, d'énergie, de gestion de l'eau ou des déchets, mais aussi aux

1 CAMILLE, Le petit livre noir..., Op.cit., p.25.

2 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p.20.

3 http://zad.nadir.org/spip.php?rubrique80

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infrastructures minières, à la fracturation hydraulique, aux projets de renouvellement urbain, de stations touristiques et de grandes zones commerciales ». 1 Pour les auteurs du « petit livre noir des grands projets inutiles », le pouvoir politique depuis les pharaons d'Egypte, assure et manifeste sa domination par la construction de ce type de projet. Le pouvoir politique actuel utiliserait ces projets pour créer des emplois et relancer la croissance économique tout en acquérant une indépendance énergétique mais il ne prend pas en compte les catastrophes sociales et écologiques qu'il produit.

Diane Robert entend mettre en évidence les grands projets avec le courant économique néolibéral. Le néolibéralisme prône un contrôle de la sphère politique mais aussi de la vie sociale par le marché. Les individus sont passés du statut de citoyen à celui de consommateurs. La démocratie deviendrait de plus en plus obsolète dans la mesure où « les possibilités de véritables prises de décision et de conflits politiques sont écartées »2 au profit d'un consensus autour de la dérégulation du marché et de la disparition du secteur publique. Enfin le néolibéralisme a introduit dans l'économie des outils tels que les Partenariats Publics Privés qui permettent aux entreprises privées de construire et gérer des établissements de service public tel que les prisons ou dans le cadre de Notre-Dame-des-Landes un aéroport. Toujours selon Diane Robert, le système néolibéral repose sur une logique de prédation dans lequel le plus fort économiquement « aspire » le plus faible. Ainsi, les grandes entreprises internationales vont prospérer tandis que les petites entreprises nationales vont disparaître, ne pouvant rivaliser avec la concurrence des grands groupes. Mais l'angle mort de ce système - l'épuisement des ressources naturelles et la destruction de la nature - nourrit son opposition. Si, comme le note Diane Robert, le modèle néolibéral conçoit les inégalités sociales comme un moteur de l'économie donc intégrées au système, il n'envisage pas de solutions aux problèmes écologiques.

Les grands projets apparaissent ainsi pour leurs opposants comme « imposés » car décidés par les grandes entreprises et les Etats sans la participation des citoyens et « inutiles » dans la mesure où même avant d'être construits ils sont obsolètes en raison de l'absence de considérations écologiques.

Pour Diane Kruger, les grands projets « participent au processus de métropolisation ». Ce processus conduit à la création de métropoles ultra connectées entre elles par un réseau

1 ROBERT Diane « Les mouvements sociaux opposés aux grands projets inutiles imposés », http://www.pcscp.org/IMG/pdf/mouvements sociaux anti gpii.pdf.

2 Ibid., p.3.

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de transport et de communication intense. Ce processus aurait pour conséquence de créer des déserts entre les métropoles. Les mouvements d'opposition à ces projets comme les zads profitent de ces espaces laissés à l'abandon par le « Progrès » pour expérimenter un autre schéma de vie. Cette analyse est reprise par Anahita Grisoni dans son article « Les Grands Projets Inutiles et imposés (GPII) à l'avant-garde de la ruralité ? »1 qui voit dans l'organisation globale et compétitive du territoire la raison des répartitions des GPII.

Diane Robert analyse l'organisation des mouvements opposés aux grands projets d'aménagement comme un rhizome qui est un « réseau avec des caractéristiques de multiplicité, de relation intense avec son environnement et un potentiel transformateur ». Il n'y a pas de relation hiérarchique, pas d'origine et pas de fin dans un rhizome. Dans le mouvement contre les GPII, comme dans un rhizome, chaque composante de la lutte peut avoir des relations avec une autre composante, ou plusieurs. Il n'y a pas de structure centrale. Les relations consistent dans un échange d'information, de conseils et de techniques, de soutiens humains lors de gros rassemblement. Depuis 2010 et la création du premier dans le Val Susa, un forum contre les GPII est organisé chaque année dans un pays différent et rassemble les différentes composantes de la lutte.

Le Collectif Mauvaise Troupe souligne l'importance du réseau qui ressemble au rhizome entre les différents combats. « Il faut dépasser l'entraide de zad à zad »2 et profiter de l'importance de Notre-Dame-des-Landes tant politiquement que dans l'imaginaire des individus en tant que soutien des autres combats d'aménagement. Les combats doivent s'unir et exprimer leurs solidarités à grande échelle. Mais la mise en réseau contrairement aux structures plus traditionnelles type parti ou syndicat permet de préserver la spécificité propre de chaque mouvement d'opposition, des buts singuliers à l'autonomie d'action. Les connexions se font et se défont au gré des événements. Pour autant, le collectif critique aussi l'absence d'ancrage dudit réseau et du besoin d'ancrée les relations pour éviter l'affaiblissement qu'a connu la lutte altermondialiste qui fonctionnait en réseau. Cet ancrage doit autant reposer sur l'affectif que les proximités politiques.

Concernant la convergence des luttes entre les mouvements sociaux, les zadistes restent assez méfiants. Ils estiment que les luttes n'avancent pas nécessairement vers un même point ou elles n'ont ni le même rythme, ni la même dimension géographique. Ainsi,

1 GRISONI Anahita, « Les Grands Projets Inutiles et Imposés (GPII) à l'avant-garde de la ruralité » dans Mouvement n°84, 2015.

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : ..., Op.cit., p.375.

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rechercher leurs convergences par le plus petit dénominateur commun serrait une erreur qui atténuerait toute la portée de la multiplicité des revendications. Ils préconisent de créer des jonctions entre les combats. Ces créations nécessitent du temps et ont autant besoin de l'affectif que du politique.

La zad se construit ainsi sur trois plans : son mode d'organisation, ses techniques de luttes et sa place dans le réseau contre les grands projets inutiles et imposés. A la lecture des sources primaires, les zadistes développent conception singulière du politique et des alternatives qu'ils envisagent. De plus le rapport entre la violence et la non-violence semble avoir trouvé un certain équilibre. Pour prouver cette singularité, nous allons étudier l'historicité des zads en les comparants à d'autres phénomènes politiques qui partagent à première vue de nombreuses particularités.

Deuxième Partie :

Comprendre les zads aux regardes d'autres phénomènes
politiques passés et contemporains

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Toutes les problématiques abordées dans la partie précédente ont été traitées par des mouvements de contestation sociale antérieurs aux zads. Le Larzac qui fait figure de symbole mondial de la non-violence et de la lutte contre les projets arbitraires de l'Etat est souvent comparé aux zads. Cette comparaison s'avère pourtant limitée pour plusieurs raisons. Les zads semblent plus se rapprocher de la mouvance radicale altermondialiste. Cette mouvance qui fonctionne également en réseau développe l'idée de créer des alternatives libertaires dans le monde capitaliste. Enfin, il était impératif de comparer les zads à la lutte No-TAV en Italie tant les ressemblances sont frappantes. Les zadistes eux-mêmes ont consacré un ouvrage à cette comparaison.

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Chapitre 4 : Une résurgence du Larzac ?

Lors d'un entretien publié par la revue Mouvement1, Christian Roqueirol -qui a participé à la lutte du Larzac et y est resté vivre par la suite- analyse la situation des zads en revenant sur le Combat du Larzac. Il se voit lui et ses compagnons de route comme les précurseurs des zadistes : « Nous étions les premiers Zadistes en quelque sorte E...] ». Si cette affirmation est contestable, le champ médiatique est marqué par cette comparaison.2 Les deux luttes peuvent apparaître similaires sur bien des points avec le temps passé. La mémoire de l'Homme est encline à se rappeler des points communs entre deux événements éloignés historiquement en oubliant les différences. Dans le cas qui nous intéresse, nous allons voir que les différences entre les deux luttes empêchent la filiation directe entre les zads et le Larzac.

Le Larzac et les zads : des luttes locales et des réflexions globales.

La lutte du Larzac née de la contestation d'un projet d'agrandissement d'un camp militaire situé sur le plateau du Larzac. Le projet d'extension existe depuis 1970 et suscite ses premières contestations le 9 mai 1971 avec la première manifestation contre le projet organisé par des militants de gauche et d'extrême-gauche3. Le début de la contestation ne rassemble pas à ces débuts les paysans qui habitent le plateau, zone d'extension du camp militaire. C'est le 28 octobre 1971 que le mouvement d'opposition va être rejoint par les paysans du plateau lorsque Michel Debré, ministre de la Défense nationale, annonce au journal télévisé régional, la décision d'extension. Cette décision qualifiée d'action unilatérale sans concertation pas les opposants permet dès lors au mouvement d'opposition de s'intensifier.

1 GUICHARD Suzie et MARTINEZ Laurent, « Toutes les luttes mènent au Larzac. Entretien avec Christian Roqueirol » dans Mouvements n°84, 2015.

2 « Aéroport Notre-Dame-des-landes : un nouveau Larzac ? » URL :

http://www.lavie.fr/actualite/ecologie/aeroport-notre-dame-des-landes-un-nouveau-larzac-15-11-2012-33292 8.php . « Notre-Dame-des-Landes, comme le Larzac, est le totem de nos inquiétudes » URL : http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/06/29/notre-dame-des-landes-comme-le-larzac-hier-est-le-totem-de-nos-inquietudes 3438938 3244.html . « Notre-Dame-des-Landes n'est pas le Larzac (même si ça y ressemble » URL : http://rue89.nouvelobs.com/rue89-planete/2012/11/17/notre-dame-des-landes-nest-pas-le-larzac-meme-si-ca-y-ressemble-237113.

3 Pour une chronologie plus détaillée, voir Pour une chronologie précise, voir : ALLAND JR. Alexander, Le Larzac et après : l'étude d'un mouvement social novateur, Paris, L'Harmattan, 1995, chapitre 2.

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Lorsqu'Alexander Alland décrit le mouvement du Larzac, il ne parle pas d'un mouvement paysan mais d'un « pot-pourri d'idées folklorique, d'idéologies et de cultures ».1 Le Larzac aurait permis la construction « d'une culture, d'une idéologie et d'une communauté ». Cette idée de « pot-pourri » semble se retrouver dans les zads d'après les entretiens réalisés avec des occupants. Léandra, vivant dans la Zad de Notre-Dame-des-Landes interrogée par Hervé Kempf estime que le seul point commun entre les zadistes est leur anticapitalisme2. Pour Marcel, paysan sur la Zad, la perception qu'avaient les paysans des « squatteurs » était assez mauvaise au début de la lutte à Notre-Dame-des-Landes. C'est après l'opération César qu'il y a eu l'impression d'un groupe homogène qui avançait ensemble3. Le Larzac et la zad ont ceci en commun de rassembler des personnes très éloignées en ce qui concerne leurs modes de vies et leurs idéologies. Ces différences sont dépassées par la lutte contre le projet d'aménagement qui unit les opposant et les oblige à vivre ensemble.

La diversité des opposants a eu des conséquences sur les enjeux politiques du Larzac. Pour Jean Chesneaux4, il existait ainsi six enjeux qui se complétaient : l'enjeu socio-économique avec la critique du productivisme agricole délocalisé ; l'enjeu écologique et la préservation d'un espace naturel ; l'enjeu régional et la défense de l'Occitanie face au pouvoir de l'Etat ; l'enjeu politique avec le refus du pouvoir arbitraire de l'Etat ; l'enjeu militaire et l'antimilitarisme et enfin l'enjeu idéologique avec l'adoption de la non-violence comme technique de lutte. Ces enjeux différents ont ainsi permis de générer une mobilisation importante et de constituer le « pot-pourri » décrit par A. Alland. De la même manière, comme nous l'avons vu dans la première partie, différents enjeux cohabitent sur les zads : le choix de la violence, les critiques de la domination étatique, de la marchandisation du monde, des relations hiérarchiques, de la privatisation des biens communs, l'exploitation intensive des ressources, les discriminations de toute sorte... Même Alain Bauer, qui parle de « radicalisation verte, rouge et noir » lorsqu'il décrit les zadistes, reconnait la difficulté de parler « d'un ensemble homogène qui pense de façon homogène »5.

1 ALLAND JR. Alexander, Le Larzac et après : l'étude d'un mouvement social novateur, Paris, L'Harmattan, 1995,

2 KEMPF Hervé, Notre-Dame-des-Landes, Paris, Seuil, 2014, p.87.

3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Marcel, paysan indéracinable », constallations.boum.org [en ligne] ; https://constellations.boum.org/spip.php?article126 [réf. 17 avril 2016], p.21-25.

4 BAILLON Elisabeth, Paroles du Larzac, Toulouse, Privat, 2012, p.9.

5 BOUTIN Gilles, « De Sivens à Notre-Dame-des-Landes, plongée au coeur de l'extrémisme vert, ses réseaux et ses méthodes », atlantico.fr [en ligne] le 29 octobre 2014 URL : http://www.atlantico.fr/decryptage/sivens-notre-dame-landes-plongee-au-coeur-extremisme-vert-reseaux-et-methodes-alain-bauer-sylvain-boulouque-1832032.html [réf. 28 avril 2016].

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Philippe Subra souligne les ressemblances1 entre Notre-Dame-des-Landes et le Larzac dans son ouvrage Zone à Défendre : De Sivens à Notre-Dame-des-Landes. Il s'agit d'abord de deux projets d'aménagement décidés et imposés par une puissance supérieur. De plus, il s'agit de conflits de longue durée. Enfin, ces deux combats ont joué le rôle de lutte emblématique. Pour Pierre-Marie Terral, le Larzac demeure « un lieu emblématique de la non-violence et de l'écologie2 ». Nous verrons dans la deuxième partie de ce chapitre que Notre-Dame-des-Landes ne peut pas être qualifiée de « lieu emblématique de la non-violence ».

Une autre similitude entre les zads et le Larzac concerne les techniques de lutte employées. Pour le Larzac, au moins cent comités de soutien ont été créés partout en France. Ces comités devaient assurer la communication de la lutte : les besoins, les avancés, les problèmes. Ils ont ainsi permis de financer les actions mais aussi de créer un soutien national Il s'est illustré lors des grands rassemblements sur le plateau et en dehors avec la présence pendant l'été 1974 de cent mille personnes environ. De même, les créations de zads se sont accompagnées de création de comité de soutien. Lors de la manifestation du 17 novembre 20123 les comités de soutien ont organisé le transport des manifestants et l'apport de matériel pour la reconstruction de la Zad de Notre-Dame-des-Landes.

Concernant la lutte interne, les opposants à l'extension sont venus sur le plateau habiter des fermes occupées par l'armée et commencer une activité agricole. En août 1972, les paysans organisent l'opération « Ferme Ouverte » qui est une invitation à la France entière se de se rendre sur le plateau pour rencontrer les paysans et comprendre leurs revendications. Le 10 juin 1973, il y a eu la construction collective de la Bergerie. Ce type d'action est utilisé par les zadistes lors de manifestation de réoccupation, la création de chantier collectif ou encore les week-ends de débat et d'auto-formation. Le convoi de tracteurs et de vélo parti de Notre-Dame-des-Landes pour aller à la COP 21 rappelle indéniablement la marche « des 26 du Larzac » parti le 4 janvier 1973 pour Paris. De même, les zadistes ont décidé de s'installer à Versailles4 lorsque les paysans du Larzac établissaient leur campement sous la Tour Eiffel. Le Larzac publiait un journal - Garderem Lo Larzac- et tenait une radio diffusée sur le plateau et à l'extérieur afin de diffuser les nouvelles du plateau et des analyses politiques, économiques ou sociales. Bien que les moyens de communication aient évolué, les zads comme le Larzac

1 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p. 49-50.

2 TERRAL Pierre-Marie, Larzac : de la lutte paysanne à l'altermondialisme, Toulouse, Privat, 2011, p. 372.

3 Voir Chapitre 1

4 http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/11/28/97001-20151128FILWWW00101-cop21-des-zadistes-festoyent-devant-le-chateau-de-versailles.php

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communiquent énormément avec l'extérieur. Ces deux luttes utilisent des actions dont l'objectif est double : investir le terrain contesté par la construction d'habitation et revendiquer une certaine conception du politique.

Un autre élément de comparaison à considérer et le lien qu'entretenait le Larzac avec d'autres foyers de lutte sur la planète. Alexandre Allard décrit les relations des paysans du Larzac avec le combat des Kanaks pour l'indépendance en Nouvelle-Calédonie ou encore la lutte palestinienne.1Ainsi, Jean-Marie Tjibaou, leader du Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste a rendu plusieurs visites aux Paysans du Larzac. Une parcelle de terre fut donnée symboliquement au Kanak le lendemain du « drame » d'Ouvéa. Les zads diffusent et reçoivent régulièrement des appels ou textes de soutien des mouvements en lutte dans le monde comme par exemple la lutte au Chiapas ou encore la lutte au Rojava pour l'autonomie au Kurdistan2. Après l'abandon du projet en 1981, l'Association pour la Promotion de l'Agriculture au Larzac - chargée d'organiser la récolte et la distribution des dons pendant la lutte - devient l'Association Pour l'Aménagement du Larzac chargée de développer la culture, le tourisme et l'aménagement local sur le plateau. Dans un de ses rapports, elle développe un projet qualifié d' « utopique » par les paysans du Larzac3 qui doit servir de modèle pour promouvoir des formes novatrices d'agricultures et établir une nouvelle communauté rurale. Il est question de s'interroger sur les alternatives au modèle d'agriculture intensive. A Notre-Dame-des-Landes s'est mis en place depuis l'année 2013 « Sème ta zad » qui est une assemblée bimensuelle réunissant les habitants de la Zad et des paysans qui a pour objectif de « discuter et d'organiser collectivement les problématiques agricoles sur la zone, notamment la rotation des cultures »4. C'est cette assemblée qui a mis en place le non-marché sur la Zad. Le collectif « Sème ta zad » a ainsi permis d'installer « un rapport de force » avec la Chambre d'Agriculture et les autres paysans « productivistes » qui a facilité l'exploitation des terres occupées. Plus généralement, l'idée de repenser l'agriculture pour sortir du modèle productiviste et intensif dominant se retrouve sur les différentes zads. Lors de leurs installations, la question de l'exploitation des terres est l'une des premières qui se posent.

1 ALLAND JR. Alexander, Le Larzac et après : l'étude d'un mouvement social novateur, Paris, L'Harmattan, 1995, p.90.

2 http://espoirchiapas.blogspot.fr/2014/09/la-societe-civile-de-las-abejas-se.html et http://zad.nadir.org/spip.php?article3180

3 Ibid., p.122.

4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.46.

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La filiation entre les zads et le Larzac semblent naturelle tant ces deux mouvements s'opposent aux décisions arbitraires de l'appareil étatique et partagent les mêmes techniques de lutte. Pour autant, l'imaginaire non-violent figé à la lutte du Larzac a connu de profonds changements avec le temps et l'évolution des contestations sociales. Cette métamorphose marque l'une des principales distinctions entre les deux luttes avec également l'existence d'une hiérarchie entre les opposants.

« O tempora, O mores » : Le Larzac, lieu historique de l'écologie et de la nonviolence.

La première différence majeure entre les zads et le Larzac repose sur leur rapport à la violence. Au Larzac, dès le début de la lutte, la communauté de l'Arche est présente. Lors de la première manifestation du 9 mai 1971 ses membres réprouvent les insultes envers le gouvernement.1 Cette communauté fondée par Lanza del Vasto prône la non-violence. L'influence de Lanza del Vasto va être déterminante pour la suite de la lutte. Si le Larzac demeure l'emblème de la non-violence, c'est en partie du fait de cet homme. Il a permis selon Gérard Duruy de « fédérer la lutte » en offrant aux paysans une alternative à la violence2. Pour Alexander Alland le choix de la non-violence des opposants s'est fait soit par conviction, soit pour des raisons techniques. Elle a servi de liant à la lutte. Il insiste sur la forte influence de Lanza del Vasto qui aurait fourni aux paysans « une idéologie et un moyen d'agir en parfait accord avec leurs convictions religieuses »3. La non-violence est devenue une « règle essentielle et irrévocable ». Christian Roqueirol compare la non-violence entre le Larzac et les zads lorsqu'il est allé à Sivens4. Il rappelle qu'au Larzac, « il y avait interdiction d'être violent ». Les opposants se surveillaient mutuellement pour prévenir tout débordement violent. Il faut noter que pour une partie des opposants au Larzac c'est la violence contre les personnes qui est proscrite. L'attaque contre les biens a ainsi été utilisée par les paysans le 21 février 1975 lors de l' « opération commando » visant à détruire les dossiers d'expropriations des fermes mené sur le camp militaire. D'autre part, Christian Roqueirol dit ne pas comprendre la lutte

1 TERRAL Pierre-Marie, « La lutte du Larzac : dix ans de protestation contre l'extension du camp militaire », universitépopulairedetoulouse.fr [en ligne] le 4 mars 2012 ; URL : http://www.universitepopulairetoulouse.fr/spip.php?article104 [réf. 30 juin 2016].

2 BAILLON Elisabeth, Paroles du Larzac, Toulouse, Privat, 2012, p.40.

3 ALLAND JR. Alexander, Le Larzac et après ..., Op.cit., p.74.

4 GUICHARD Suzie et MARTINEZ Laurent, « Toutes les luttes..., Op.cit., p.13.

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« masquée ». Il qualifie de « paranoïa moderne » l'argument qui consiste à justifier l'anonymat en raison de l'augmentation de la répression. La non-violence menée au Larzac n'est pas anonyme. Les acteurs l'assument publiquement. Or, comme nous l'avons vu1, il existe sur les zads une cohabitation entre les pratiques non-violentes et violentes. Etre nonviolent n'implique pas empêcher l'autre d'être violent. Les zadistes appellent d'ailleurs à la diversité des pratiques pour assurer une efficacité maximale dans la contestation. Concernant l'anonymat, il leurs permet de se protéger de la police et de la justice mais aussi d'éviter la mise en avant de certains ce qui conduirait à une situation hiérarchique.

Si la non-violence est devenue un absolu c'est parce qu'elle a été choisie par les paysans en lutte. Jean Chesneaux rappelle qu'il a toujours été question de « se soumettre aux choix des paysans »2. Il existait ainsi sur le Larzac une hiérarchie entre les 1033 et le reste des opposants. Contrairement aux zads, très peu d'opposants sont venus s'installer sur le plateau. Opposants et habitants du plateau se retrouvaient lors des grandes manifestations ou lors des grands rassemblements. Contrairement au Larzac comme l'explique Philippe Subra4, les zadistes « disposent d'une totale autonomie ». Ils habitent le territoire de lutte à côté des paysans. Ainsi, sur la Zad d'Agen, si les occupants sont venus d'abord s'installer sur le terrain privé de Joseph Bonnotto suite à son invitation, ils ont par la suite investi des lieux appartenant à l'agglomération d'Agen5. Il n'y a pas selon les zadistes de chefs ou de groupes de chefs sur les zads au moins du point de vue formel. Les décisions ne dépendent ni des personnes installés avant la zad, ni des nouveaux occupants. Si chaque zad connaît son propre processus de construction, l'absence de leader est commune à toutes les zads. A titre d'exemple, Marcel, paysan à Notre-Dame-des-Landes, revient sur les conflits lors de son entretien par le collectif Mauvaise Troupe. De l'usage des terres aux choix des techniques de luttes, toutes les décisions sont discutées6. Comme le rappelle le rappel le collectif, « à la zad, c'est pour l'essentiel le foisonnement qui ôte à l'organisation formelle des prises de décision toute possibilité d'hégémonie »7.

1 Chapitre 2

2 BAILLON Elisabeth, Paroles du Larzac, Toulouse, Privat, 2012, p.10.

3 Les 103 paysans qui ont fait le serment de ne pas vendre leurs terrains à l'armée

4 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p. 55-56.

5 OVLFC, « Notre combat est votre combat », zadagen.tumblr.com [en ligne] le 13 juillet 2015 ; URL : http://zadagen.tumblr.com/post/123144896731/notre-combat-est-votre-combat [réf. 19 juin 2016].

6 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Marcel... Op.cit., p.23, 33-35.

7 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.195.

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Si les habitants du Larzac ont réfléchi à de nouvelles formes d'agriculture et à la mise en place d'alternative, la bataille première est l'abandon du projet. Pour les zadistes, dans le cadre de Notre-Dame-des-Landes, «le projet d'aéroport est la simple conséquence d'un système »1 et c'est contre ce système qu'il s'agit de lutter.

Cette différence des rapports entre paysans et opposants conduit à envisager différemment l'après projet en cas d'abandon. Pour le Larzac, l'abandon du projet d'extension avec l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981 conduit à la création d'une Société Civile des Terres du Larzac (SCTL). Elle fonctionne sur un bail emphytéotique de soixante ans renouvelables trente ans qui lui permet de louer les terres et bâtiments agricoles à des gens qui devront les quitter lors de l'arrêt de leur activité professionnelle. Les terres appartenant à l'Etat sont désormais soumis à une gestion locative. Cette SCTL a permis d'intégrer les occupants qui souhaitaient s'installer professionnellement sur le plateau en leur permettant une installation à moindre coût. La création de la SCTL a été permise avec l'arrivée du nouveau gouvernement au pouvoir et la promesse électorale de l'abandon du projet. Contrairement au Larzac, les zads sont très peu soutenues par les partis politiques. Pour Marcel, le problème de la Zad de Notre-Dame-des-Landes est qu'elle suscite l'opposition de toutes les institutions2. De plus créer une structure du type de la SCTL pose des problèmes pour certains occupants de la Zad en ce qu'elle constitue une « instance de pouvoir » et impose de fait une obéissance. Pour autant, en novembre 2015 est publié un texte rédigé et approuvé par toutes les composantes de la lutte « après plus d'un an de discussion »3. Ce texte en six points détaille les engagements des personnes vivant sur la Zad en cas d'abandon du projet d'aéroport. Il stipule que toutes les personnes vivant sur la Zad doivent pouvoir y rester après ; Les terres cultivés appartenant à AGO Vinci doivent pouvoir continuer à l'être ; que l'alternative tant politique que agricole puisse demeurer ; que soit mise en place une entité rassemblant toutes les composantes de la lutte pour déterminer le sort des terres redistribuées sous forme de baux précaires par la Chambre d'Agriculture et que ces terres ne servent pas à agrandir la propriété d'un habitant ; que l'après aéroport sera une gestion collective, « une destinée commune ».

1 « Pourquoi on est là », constellations.boum [en ligne] le 1er décembre 2010 ; URL : https://constellations.boum.org/spip.php?article139 [réf. 17 mars 2016].

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Marcel..., Op.cit., p.39.

3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Défendre la zad..., Op.cit., p32 ; voir aussi : https://www.acipa-ndl.fr/actualites/divers/item/591-parce-qu-il-n-y-aura-pas-d-aeroport

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D'autres réflexions zadistes envisagent quant à elle la formation de commune comme prolongement des zads. Dans un texte intitulé « De la zad aux communaux »1, les auteurs s'interrogent sur le devenir des zads. Ils définissent les communaux comme « un territoire partagé, les terres communales, et les infrastructures de l'autonomie qui s'y élaborent, les communs ». Concernant les communs, ils précisent qu'il s'agit de tous les éléments qui permettent à la zad d'exister et de lutter. Sur les terres communales, ils précisent que les parties exploitées par les paysans le resteront. L'instauration d'une commune constitue pour les auteurs la poursuite logique de la lutte. Il faut que « nul ne puisse vendre, acheter monnayer l'usage des terres, cabanes et fermes, friches et champs que nous avons en partage ». Ils imaginent une « Assemblée des communaux » qui serait une structure horizontale et coutumière dans laquelle s'inventerait une « manière de vivre à l'échelle de la zad ». Cette commune doit constituer une force collective capable de lutter contre l'Etat et les individus hostiles à la commune.

Dans un texte plus récent du 2 mai 2016 intitulé « Rencontre sur la commune », des zadistes appelle à « faire Commune »2. Ils reviennent d'abord sur l'apport en termes de matériel et d'idées des successions des contestations sociales. Ainsi la lutte contre l'aéroport a transformé une « juxtaposition de forces aux stratégies divergentes » en une « communauté de lutte » liée par l'idée d'habiter le territoire de façon collective. Pour ces auteurs, la Zad de Loire-Atlantique n'est qu'une forme de commune. Chaque commune possède sa singularité en ce qu'elle dépend de l'histoire du territoire où elle se crée. Les auteurs dressent ensuite la chronologie des différentes communes dans l'histoire de l'humanité. Ils entrevoient finalement Notre-Dame-des-Landes comme une commune parmi d'autres à ceci près qu'elle peut générer un élan de contagion.

Cette volonté de former une commune marque une grande différence entre les zads et le Larzac. Bien que cette idée ne fasse sûrement pas l'unanimité pour l'ensemble des occupants des zads, l'ambition communale n'a jamais été une revendication des paysans du Larzac. Construits sur un imaginaire de lutte contre l'arbitraire, les zads ne peuvent pas être considérées comme la résurgence du Larzac.

1 ZADIST, « De la zad aux communaux », zad.nadir.org [en ligne] le 17 juin 2015 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3067 [réf. 7 mars 2016].

2 ZADIST, « Rencontre sur la Commune », zad.nadir.org [en ligne] le 22 mai 2016 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3778 [réf. 8 juin 2016].

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Chapitre 5 : Les Zads et les luttes altermondialistes :

L'historien Jean-Marie Terral analyse dans son ouvrage Larzac : De la lutte paysanne à l'altermondialisme l'évolution de la lutte sur le plateau du Larzac après l'abandon du projet d'extension. Il observe un déclin du rayonnement du militantisme à l'échelon national à partir des années 1980. C'est à partir de la Guerre du Golfe en 1991 et la lutte anti-nucléaire des années 1995 que le Larzac retrouve un nouveau souffle militant selon l'historien. Il qualifie le plateau de « bastion altermondialiste »1. Le plateau noue des liens avec d'autres foyers de lutte altermondialiste dans le monde comme le Mouvement des Sans Terre au Brésil ou les indiens Néozapatistes du Chiapas. Les militants du Larzac participent aux premières manifestations contre les sommets mondiaux tout en conservant une pratique non-violente. Les contestations sociales ont connu une transformation radicale après les années 1980. Jean-Marie Terral parle d'une internationalisation2. Pourtant, l'altermondialisme, qui s'est construit sur un réseau international organisant de grand rassemblement lors des sommets mondiaux, a évolué pour s'ancrer territorialement. Il est ainsi intéressant d'étudier la place des zads dans le réseau altermondialiste notamment en prenant en compte cette dernière évolution.

Les zads par rapport à la définition de l'altermondialisme.

S'il est difficile de définir le terme « zad », il est tout aussi difficile de donner une définition de l'altermondialisme. Dans le Dictionnaire analytique de l'altermondialisme, Eddy Fougier revient sur la « perception biaisée »3 de ce terme. De la même manière que pour les zads, on retrouve un biais médiatique, idéologique et militant. Pour cet auteur, les zadistes s'ajoutent à « la galerie de portrait des courants contestataires contemporains4 ». Il distingue ainsi les zadistes des altermondialistes. Philippe Subra semble classer les zadistes dans la branche radicale de l'altermondialisme5.

1 TERRAL Pierre-Marie, Larzac : de la lutte paysanne..., Op.cit., p.249.

2 Ibid.

3 FOUGIER Eddy, Dictionnaire analytique de l'altermondialisme, Paris, Ellipses, 2006, p.3-5.

4 FOUGIER Eddy, Les zadistes..., Op.cit., p. 10.

5 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p.31.

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Selon Eddy Fougier, le terme « altermondialiste » est utilisée pour la première fois par Arnaud Zacharie, alors porte-parole d'ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions financières et l'Aide aux citoyens), pour sortir de l'appellation antimondialiste. Le premier élément de définition de l'altermondialisme repose sur sa structure en réseau. Eddy Fougier, comme Emmanuel Allait, parle de « réseau de réseaux »1. Structurellement, Il s'agit donc d'une « nébuleuse » de mouvements et non d'une organisation hiérarchisée avec une structure centrale. Dans Dictionnaire analytique, Eddy Fougier donne deux définitions de l'altermondialisme. La première très détaillée le définit comme une « nébuleuse de mouvements » qui s'oppose au caractère néolibéral de la mondialisation et à l'hégémonie des puissances occidentales et qui prône une alternative au caractère néolibéral « sous la forme d'une autre mondialisation en menant des luttes tant à l'échelle locale que nationale voire supranationale2. Selon cette première définition, les zads semblent a priori exclues de cette mouvance. La volonté de prôner une autre forme de mondialisation qui serait une alternative au système néolibéral n'apparait pas à la lecture des ouvrages zadistes. Un peu plus loin dans l'ouvrage, l'auteur donne une autre définition plus large. L'altermondialisme apparaît alors comme « une convergence des mouvements appartenant principalement à la société civile qui s'oppose tant à une échelle locale, nationale que globale aux politiques néolibérales »3 ce qui n'exclut pas nécessairement les zads.

Concernant les « débouchés politique » des mouvements altermondialiste, l'analyse de Eddy Fougier repose sur deux clivages superposés : révolutionnaire/réformiste et volonté d'accéder au pouvoir/ refus total du pouvoir. Il dégage alors trois catégories4 : les réformistes, les révolutionnaires aspirants au pouvoir et les révolutionnaires qui n'aspirent pas au pouvoir. Les mouvements réformistes tentent d'améliorer le système actuel en envisageant une mondialisation à « visage humain ». Les mouvements révolutionnaires qui entendent accéder au pouvoir sont dans le rejet total du système actuel et attendent la possibilité d'une révolution qui permettrait de fonder un nouveau système. Concernant les mouvements révolutionnaires qui rejettent l'exercice du pouvoir, Eddy Fougier distingue l'approche « anarchiste » de l'approche « gramscienne ». Dans la première, il s'agit de sortir du système en instaurant des « poches alternatives » plus ou moins durable dans lesquelles vivraient une communauté autonome avec comme principes : la disparition du pouvoir traditionnel et de

1 ALLAIT Emmanuel, L'altermondialisme : Mouvance ou mouvement ?, Paris, Ellipes, 2007, p.77.

2 FOUGIER Eddy, Dictionnaire..., Op.cit., p.8-10.

3 Ibid., p.10.

4 Ibid., p.37-39.

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toute domination, des relations reposant sur l'entraide et la solidarité. La seconde approche revient à produire une contre-hégémonie culturelle à la mondialisation afin de modifier les valeurs au fondement de ce système. Certains mouvements peuvent combiner ces deux approches. Mettre en pratique un mode de vie alternatif remettre obligatoirement en cause l'hégémonie culturelle, au moins localement. L'approche zadiste semble correspondre à un mélange des deux tant elle met en place et développe un espace de vie alternatif en dehors du système et dans le même temps, diffuse par l'intermédiaire de ses propres médias ou d'autres médias alternatifs une culture opposée à celle dominante.

Concernant les mouvements altermondialistes, Eddy Fougier distingue trois types de mouvements1 : les mouvements altermondialistes en tant que tel qui sont les organisations de la société civile créées en réaction à la mondialisation ; les mouvements participants à la mouvance altermondialiste qui ne se sont pas spécifiquement créés contre la mondialisation et enfin les mouvements participants à la « dynamique » altermondialiste tels que les organisations politiques, des médias ou encore des maisons d'éditions. Dans les mouvements participants à la mouvance altermondialiste, Il effectue encore une distinction : les mouvements sociaux, les Organisations Non Gouvernementales (ONG) et les mouvements radicaux. Il définit les mouvements sociaux comme « des mouvements appartenant à la société civile qui représentent, défendent et promeuvent les intérêts de leurs membres et de population spécifiques que ce soit sur une base professionnelle ou identitaire »2. Concernant les mouvements radicaux, la définition est moins précise. Il s'agit de groupes qui ne défendent pas les intérêts d'une population spécifique comme les mouvements sociaux et qui ne viennent pas en aide à d'autres populations comme les ONG. Ces groupes veulent « résister » au système en créant des espaces « libérés » et en développant une critique libertaire. Concernant la mondialisation, ils vont au-delà de la critique du néolibéralisme, ils critiquent le capitalisme en tant que tel. Ces groupes alternent entre l'action directe illégale violente et non-violente. Pour Eddy Fougier, ces mouvements varient entre groupes anarchistes, communistes, antifasciste, autonomes ou encore écologiques. Emmanuel Allait, qui reprend l'analyse d'Eddy Fougier ne donne pas plus de précision sur ces mouvements radicaux3. Ils constituent finalement une nébuleuse dans la « nébuleuse de mouvements » que constitue l'altermondialisme.

1 Ibid., p.119-133. Son analyse est reprise par Emmanuel Allait.

2 Ibid., p. 150.

3 3 ALLAIT Emmanuel, L'altermondialisme..., Op.cit., p.80.

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Mais si ces groupes contestent la notion même de la mondialisation, pourquoi ne pas les qualifier d'antimondialistes ?

En premier lieu, le terme « antimondialisation » est un terme controversé. Historiquement, il est utilisé en pour définir les mouvements qui manifestent contre les sommets mondiaux comme en 1999 à Seattle contre l'Organisation Mondiale du Commerce ou encore à Gênes en 2001 contre le G-8. La journaliste Laurence Caramel utilise ainsi ce terme pour parler de tous les manifestants présents à Gênes mais aussi des personnes présentes au Forum Social Mondial de Porto Alegre1. La violence lors de ces manifestations conduit certains participants à réfléchir sur la définition de ces mouvements présents. Pour Eddy Fougier, l'autre élément qui conduit les militants à utiliser un autre nom qu' « antimondialisation » est l'amalgame utilisé par les média entre les attaques du 11 septembre 2001 et les mouvements antimondialistes. Les terroristes seraient parvenus à mettre en pratique le discours des opposants aux grands sommets mondiaux2. Le terme « antimondialiste » va être abandonné au profit d' « altermondialiste ». Ce néologisme permet de sortir d'une logique unique de contestation et de violence en étant force de proposition. Ainsi, les altermondialistes critiquent la mondialisation néolibérale tout en proposant une alternative à ce modèle. Les mouvements radicaux s'ils rejettent la mondialisation ne défendent pas non plus l'isolationnisme. Ils luttent contre la mondialisation qui contrairement à sa définition ne profite qu'à un petit nombre qui lui permet de maintenir sa domination. De nombreux mouvements radicaux altermondialistes revendiquent par exemple la suppression des frontières qui permettrait de supprimer la notion d'immigrés clandestin. Ces démarches s'inscrivent dans une pensée globale. Dans l'ouvrage Trajectoire révolutionnaires du jeune 21ème siècle, le collectif Mauvaise Troupe regroupe la lutte altermondialiste de Millau et les manifestations de Genève dans un chapitre intitulé « Antimondialisation »3.

Ces qualifications différentes dépendent en réalité de la définition de l'altermondialisme choisie.

1 CARAMEL Laurence, « Les réseaux de l'antimondialisation », dans Critique internationale n°13, 2001 [en ligne] URL : http://www.cairn.info.docelec.u-

bordeaux.fr/article.php?ID ARTICLE=CRII 013 0153&DocId=13086&hits=4162+4123+3980+3866+3768+3559+ 3233+3207+3151+3124+2984+2288+1708+1103+987+844+174+93+5+#anchor citation [réf. 15 juillet 2016].

2 FOUGIER Eddy, Dictionnaire..., Op.cit., p.7.

3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Constellations : Trajectoires révolutionnaires du jeune 21ème siècle, Paris, L'éclat, 2016, p.43-188.

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Les zads dans la mouvance altermondialiste radicale : un renouveau dans la lutte altermondialiste.

Dans la Déclaration aux puissants1, les habitants de la Zad de Notre-Dame-des-Landes utilisent l'histoire des Diggers anglais pour expliquer leur lutte : cultiver la terre pour s'opposer à la « dévastation capitaliste ». Les zads s'opposent localement au système capitalisme et à la marchandisation du monde. Comme nous l'avons vu, elles ne sont pas exclues de fait de la mouvance altermondialiste. Pour autant, Eddy Fougier voit dans les zads un mouvement à part de la mouvance altermondialiste. Dans son article Les zadistes : un nouvel anticapitalisme2, il considère que les zads n'attaquent pas le système « de front » comme le font les altermondialistes mais à sa marge. De plus les zadistes ont réussi non seulement à bloquer le système mais aussi à lui opposer une alternative de « façon concrète ». Il note d'ailleurs que selon Hervé Kempf, les zadistes ne se disent pas altermondialistes. Le dénominateur commun entre les zadistes est plutôt « l'anticapitalisme »3. Philippe Subra associe quant à lui les zads aux mouvements altermondialistes radicaux. Ces différences de qualification entre les auteurs dépendent de la définition de l'altermondialisme utilisée.

Les zads sont des luttes ancrées territorialement qui s'opposent à un projet d'aménagement capitaliste. En ce sens, le terme de lutte locale est justifié. De plus, il existe la volonté chez les zadistes de respecter la singularité de chaque territoire. Le slogan « zad partout » ne signifie pas la volonté de «copier-coller » le modèle de Notre-Dame-des-Landes, de Sivens ou de Roybon un peu partout sur le territoire. Il s'agit plus d'exporter une critique anticapitaliste et un nouveau moyen de lutte, une sorte de méthodologie abstraite de la contestation. En ce sens, les zads dépassent les cadres traditionnels de l'altermondialisme en créant un espace alternatif durable dans le temps.

L'étude des sources internet zadistes permet de comprendre le réseau existant entre les différentes zads mais aussi avec d'autres lieux en France et à l'étranger. Des textes de soutiens sont rédigés entre les zads et la lutte zapatiste. A titre d'exemples, les Indigènes Chiapas en lutte se solidarisent avec la Zad du Testet4 quand le site zad.nadir publie un

1 ZADIST, « Déclaration aux puissants... », zad.nadir.org [en ligne], le 13 avril 2013 ; URL : http://zad.nadir.org/IMG/pdf/affiche de claration aux puissants.pdf [réf. 26 mai 2016]

2 FOUGIER Eddy, Les zadistes..., Op.cit..

3 KEMPF Hervé, Notre-Dame-des-Landes..., Op.cit., p.85.

4 http://www.bellaciao.org/fr/spip.php?article142956 .

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communiqué de soutien avec les communautés zapatistes1. Depuis la révolte de 1994 au Chiapas le mouvement zapatiste lutte sur le plan local contre les politiques néolibérales imposées par l'Etat mexicain et par les institutions mondiales notamment avec les accords de libre-échange. Le mouvement zapatiste mène une guerre « pour la dignité, la justice et la démocratie » et pour la mise en place de communes autonomes. Les communautés zapatistes du Chiapas sont un exemple du besoin de s'ancrer territorialement pour les mouvements altermondialistes. Comme le Mouvement des Sans Terre, ils ont réussi à maintenir une forte contestation sans connaître l'affaiblissement du mouvement altermondialiste qui débuta en 2003. La Zad de Notre-Dame-des-Landes se solidarise également avec les communes kurdes qui se déclarent autonomes dans le Rojava mais aussi en Turquie et en Irak. Les zadistes disent se « sentir proche » de du projet kurde d'auto-organisation par la mise en place de structure horizontale.2

Outre ces liens avec d'autres luttes internationales, les zads tissent des liens avec d'autres luttes locales sur le territoire français et elles participent à d'autres mobilisations qui ne sont pas propres aux projets contre lesquels elles se sont construites. C'est le cas de la mobilisation contre la « Loi Travail » au printemps 2016. Dans un texte intitulé « Les zadistes et la casse du mouvement social »3 les zadistes expliquent d'une part comment ils participent à la mobilisation mais aussi d'autre part pourquoi ils militent contre cette loi. Ils manifestent dans la rue pour créer « des solidarités entre les différents mouvements » qui luttent contre la « marchandisation des territoires et des vies » et des espaces d'expérimentations. Leurs luttes locales s'inscrivent dans une réflexion beaucoup plus globale. Si le slogan contre le projet d'aéroport est « contre l'aéroport et son monde », le slogan contre la Loi Travail fut « contre la Loi Travail et son monde ». Autre exemple en mars 2016, ils appellent également à se rassembler devant la préfecture de Nantes en « soutien aux migrant.e.s de Calais » évacués par l'Etat de ladite « jungle ». Le 29 novembre 2013, des zadistes publient un texte intitulé « La paix en Afrique ne doit pas se décider à l'Elysée avec les dictateurs »4 dans lequel ils dénoncent l'ingérence française avec ses anciennes colonies et le soutien logistique et

1 ZADIST, « Mexique : solidarité avec les communautés zapatistes », zad.nadir.org [en ligne] le 22 mai 2014 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article2450 [réf. 30 juin 2016].

2 ZADIST, « Déclaration d'autonomie de la ZAD de NDDL en solidarité avec le Kurdistan », zad.nadir.org [en ligne] le 26 septembre 2015 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3180 [réf. Le 30 juin 2016].

3 ZADIST, « Les zadistes et la casse du mouvement social ...Op.cit.

4 ZADISTE, « La paix en Afrique ne doit pas se décider à l'Elysée avec les dictateurs », zad.nadir [en ligne, le 29 novembre 2013] ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article2034 [réf. 25 juin 2016].

militaire avec des dictateurs. La réflexion zadiste ne se limite pas uniquement à une lutte territoriale contre le capitalisme.

Enfin, les zads participent aux Forums Contre Les Grands Projets Inutiles et Imposés qui ont eu lieu dans différents pays d'Europe. Ces forums sont des lieux de rencontre entre les différents mouvements de lutte. Comme les Forum sociaux, ils permettent aux militants de se rencontrer, de partager des expériences et de réfléchir aux solutions politiques et économiques pour lutter contre les projets d'aménagement.

Lorsqu'Eddy Fougier décrit les mouvements radicaux dans l'altermondialisme1, il présente l'Action Mondiale des Peuples contre le libre-échange (AMP) qui est une coordination des mouvements sociaux radicaux. L'objectif est de lutter contre le système actuel en proposant des alternatives. La coordination doit apporter un soutien aux différentes luttes locales et nouer des alliances à l'échelle mondiale entre les mouvements populaires. Elle appelle en outre à la résistance par l'action. Les zads et le réseau dans lequel elles s'organisent rappellent la structure et les objectifs de l'AMP. En définitive, les zads s'inscrivent dans la logique altermondialiste radicale.

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1 FOUGIER Eddy, Dictionnaire..., Op.cit., p.207.

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Chapitre 6: Le No-TAV et les zads : deux modèles singuliers des mouvements membres du réseau contre les Grands Projets inutiles et Imposés.

« Qui se bat contre l'aéroport et son monde peut se reconnaître aussi dans le mouvement No-TAV ». 1 C'est dans un tract diffusé lors d'une manifestation à Nantes contre le projet d'aéroport que ces lignes ont été écrites. Le tract revient plus généralement sur l'histoire du No-TAV et le compare à Notre-Dame-des-Landes.

Pour Philippe Subra, le combat du No-TAV présente « le plus de similitude »2 avec les zad. C'est un conflit long, mobilisateur et qui connait des passages de violences. Si ces similitudes sont incontestables, il est important d'étudier en détail ce conflit pour mieux comprendre les ressemblances mais aussi les différences avec les zads et les rapports qu'ils entretiennent.

Le TAV signifie treno ad alta velocità c'est-à-dire Train à Grande Vitesse. Le projet de construction d'une deuxième ligne de train entre Lyon et Turin date de 1990. Ce projet implique de grands chantiers d'aménagement dans la Vallée de Suse, vallée alpine au Nord-Est de l'Italie. Les premières contestations donnent lieu à la création du comité Habitat le 15 décembre 1991 qui doit sensibiliser les habitants de la vallée aux méfaits du TAV. La première manifestation a lieu le 2 mars 1996 dans la vallée et rassemble 4 000 personnes environ. Le 26 novembre de cette même année, des sabotages ont lieu dont l'incendie du matériel ferroviaire dans la vallée. Edoardo Massari, Maria Soledad Rosa et Sivano Peissero, trois militants anarchistes, sont arrêtés et poursuivis pour ces actes en 1998. Quelques jours après, Edoardo Massari se suicide en prison et Maria Soledad Rosa en liberté surveillée. Ces suicides vont engendrer une vaste campagne de soutien. D'abord méfiants à l'égard des anarchistes, les habitants de la vallée rejoindre le mouvement. Le 28 mars 1998, 10 000 personnes environ manifestent à Turin en soutien à Edoardo. Les deux seront innocentés par la suite. La lutte va alors continuer à s'ancrer peu à peu dans la vallée3. Pour Anahita Grisoni, c'est en 2005 lors des travaux sur le site de la Maddalena que la lutte va prendre un « médiatique national et

1 ZADIST, « Solidarité avec la lutte No-TAV », zad.nadir.org [en ligne] le 16 mars 2014 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article2311 [réf. 8 juin 2016].

2 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p. 77.

3 Pour une chronologie des faits : COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.389395.

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urbain »1. Des blocages aux grandes manifestations en passant par des grèves générales, différents moyens de lutte vont être exploités.

De la contestation d'un monde aux modes de lutte : les ressemblances indéniables du No-TAV et des zads

Les premières raisons de contestation de ce grand projet d'aménagement ont d'abord été d'ordre écologique. La construction du tunnel dans les roches provoquerait la libération de particules d'amiantes et d'uranium. Mais la critique s'est vite portée sur la nature politique et économique du projet. Pour Emiliana Armano, Gian Luca Pittavino, et Raffaele Sciortino auteurs de « Occupy in Valsusa »2, il ne s'agit pas d'une simple « reddition du mouvement environnementaliste ». Le mouvement No-TAV s'oppose à la logique néolibérale des grands projets d'aménagements. Comme nous l'avons vu pour les zads3, le mouvement No-TAV développe sa critique autour de l'économie capitaliste actuelle - véritable désastre écologique et social- de la suprématie de l'Etat et de la centralisation du pouvoir.

Pour les auteurs de « Occupy in Valsusa », le mouvement No-TAV s'est d'abord intéressé à l'aspect financier du projet. Les opposants vont dénoncer la privatisation des projets d'aménagement public qui s'inscrit dans une démarche néolibérale à partir du moment où les investissements sont à la charge de l'Etat qui va attribuer les travaux à des entreprises privées sans appel d'offre. Ce processus génère de grands profits à moindre coût pour les grands groupes privés. Pour les auteurs, ce « modèle de privatisation des profits et de socialisations des coûts » se retrouve dans les grands scandales de corruption des années 1990 en Italie4. Il s'agit d'une critique de la marchandisation des biens communs. Pour Mimmo5, ancien cheminot de 69 ans et opposant au projet, la lutte lui a permis d'acquérir « certaines valeurs » et développer un regard critique sur l'économie. Si le projet du TAV permet de lutter contre le chômage dans la vallée, Mimmo répond que « l'économie n'est pas une justification ».

1 GRISONI Anahita, « Les Grands Projets Inutiles et Imposés (GPII) à l'avant-garde de la ruralité » dans Mouvement n°84, 2015, p.4.

2ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO Raffaele Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, « Occupy in Valsusa, Pratiques sociales et lutte du mouvement NO-TAV », dans Multitudes n°50, 2012.

3 Chapitre 1

4 ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO Raffaele Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, « Occupy in Valsusa..., Op.cit., p.156.

5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Mimmo du Nucleo Pintoni Attivi », constellations.boum [en ligne] ; URL : https://constellations.boum.org/spip.php?article122 [réf. 17 avril 2016].

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L'autre critique porte sur la légitimité de l'Etat et plus particulièrement de ses décisions. Le problème de la représentation et des conflits d'intérêts ressort. L'Etat est vu comme le « sponsor et le financier de la marchandisation accrue du territoire ». Dans la rhétorique des opposants, si l'Etat avait agi dans l'intérêt des gouvernés, il n'y aurait pas eu ce projet d'aménagement1. Les décisions de l'Etat, si elles restent légales, ne sont plus légitimes pour les opposants qui vont exercer « leur droit à la résistance ». Ainsi, suite à la destruction d'une génératrice sur un chantier en 2013, le mouvement se positionne et assume publiquement cette pratique de sabotage selon le collectif Mauvaise Troupe2.

De la même manière que pour les zads, les opposants No-TAV proposent, outre des actions pour empêcher la construction, une alternative au système dominant. En ce qui concerne le techniques de lutte, il faut distinguer celles légales et celles illégales. De grandes journées de mobilisation et de manifestations sont organisées sur la vallée. Depuis le début de la lutte, les opposants continuent à diffuser leurs positions et leurs inquiétudes en utilisant leurs moyens de communications (Radio No-TAV, Radio Libera Maddalena...). Ils achètent collectivement des terres destinées au projet. Contestant la légitimité du projet, les opposants n'hésitent pas à recourir à des actions parfois violentes pour empêcher la construction des travaux. Ils occupent ainsi les chantiers, bloquent les axes de circulations, détruisent le matériel de construction ou affrontent les forces de l'ordre en installant des barricades. En 2005 par exemple, les opposants empêchent une foreuse d'accéder au terrain. Ils construisent à la place un Presidio (cabane construite sur les chantiers pour se rassembler et les occuper physiquement). En 2005 et en 2011 ils constituent les « Libres Républiques de Venaus et de la Maddalena » qui durent chacune neuf et trente jours. D'après les occupants3 ce sont des terrains occupés sur lesquels l'Etat Italien n'avaient plus aucune autorité et ou étaient organisés des espaces d'autonomie et d'auto-organisation. Ces Libres Républiques matérialisaient l'alternative au système dominant qu'ils prônaient.

De même que sur les zads, le recours à violence est débattu par les opposants et semble faire consensus lorsqu'il s'agit de « défendre » la vallée. Ainsi, d'après certains témoignages4, lors des manifestations à Venaus, les pierres jetées n'étaient pas que l'oeuvre de « jeunes activistes » mais aussi de plusieurs habitants âgés de la Vallée. Emilio poissonnier

1 ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO Raffaele Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, « Occupy in Valsusa..., Op.cit., p.156-157.

2COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.329.

3 Ibid., p.260-264.

4 Ibid., p.105-105.

de 60 ans et habitant de la vallée, explique que la violence peut être légitime pour égaliser le rapport de force face à celle de l'Etat, «l' ennemi très fort »1. Enfin, concernant la violence, le 13 et 14 mai 2013, des opposants sont entrés illégalement sur un chantier, incendiant et détruisant du matériel et des équipements. Le 9 décembre, quatre opposants sont arrêtés pour ces destructions. Le 10 mai 2014, une grande manifestation de soutien est organisée à Turin avec pour slogans : Quella notte c'eravamo tutti (ce soir-là, nous étions tous présents) ou Siamo tutti colpevolidi resistere2 (nous sommes tous coupables de résister).

Pour Anahita Grisoni, les opposants de la Vallée vont mettre en place un mode de vie alternatif reposant sur les circuits courts et l'économie sociale et solidaire3. Ce mode de vie apparait comme une « résistance quotidienne ». Pour illustrer son propos, elle décrit le réseau Etinomia qui est « un réseau d'entreprise mettant en lien les consommateurs et les producteurs de la vallée de Suse ». Mais pour les auteurs de « Occupy in Valsusa », le mode de vie alternatif va encore plus loin que la remise en cause du système capitaliste de consommation. C'est une recherche d'autonomie politique et d'une « démocratie réelle, effective et auto-organisée »4. Une assemblée populaire se réunit ainsi tous les cinq mois pour décider de la suite du mouvement. Tout le monde peut y participer. Les propositions de décisions sont débattues au préalable au sein des comités No-TAV existant dans les villes eux-aussi ouvert à tous. Mais pour Mimmo, la prise de décision n'est pas figée. Lorsque deux propositions font débat, les membres de l'assemblée cherchent « à unir les deux idées »5.

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1 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Emilio le poissonnier », constellations.boum [en ligne] ; URL : https://constellations.boum.org/spip.php?article118 [réf. 17 avril 2016], p26.

2No-TAV info, « Quella notte c'eravamo tutti ; tutti siamo Chiara, Claudio, Mattia e Niccolò », notav.info [en ligne] le 5 octobre 2014 ; URL : http://www.notav.info/post/quella-notte-ceravamo-tutti-tutti-siamo-chiara-claudio-mattia-e-niccolo/ [réf. 7 juin 2016].

3 GRISONI Anahita, « Les Grands Projets Inutiles..., Op.cit., p.5.

4 ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO Raffaele Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, « Occupy in Valsusa..., Op.cit., p.157.

5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.183.

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Le mouvement No-TAV unique par son processus de construction historique.

No-TAV et zads présentent de nombreux points communs et s'inscrivent dans le même réseau de lutte contre les Grands Projets Inutiles et Imposés. Mais contrairement à d'autres mouvements altermondialistes, ils ont la particularité d'être ancrés sur le territoire. Pour autant cette même particularité marque aussi leur différence. Les deux mouvements sont issus d'un processus historique propre à chacun. Le Collectif Mauvais Troupe dans la conclusion de son ouvrage sur le No-TAV et Notre-Dame-des-Landes a cette formule : « on rêve d'une zad à la place du chantier de la Maddalena, d'une libre République qui dure. [...] On rêve d'une région habitée par un souffle de révolte en France »1. Lorsqu'il parle d'une « région habitée par un souffle de révolte » en décrivant le Val Susa, il ne parle pas de tous les individus de la région qui seraient opposés au projet. Au contraire, il précise que ce conflit a créé une véritable ligne de front entre les habitants. Mais il existe une différence d'échelle entre le No-TAV et les différentes zads. Le projet de ligne à grande vitesse impacte toute la vallée et tous ses habitants quand les zads ne concernent que quelques bourgs et une centaine de personnes. Cette différence d'échelle va jouer sur la qualification de la lutte. Les opposants No-TAV parlent de peuple en lutte contre le projet. A ce sujet, un « comitato di lotta populare »2 a été créé. Le terme « peuple » est très peu employé par les zadistes. Comme nous l'avons vu précédemment3, il constitue un « fonction homogénéisante » qui permet à l'Etat de transformer tout individu résidant sur son territoire mais contestant son autorité en « ennemi intérieur ». Ce processus permet de délégitimer les contestations. Pour le collectif Mauvaise Troupe, le peuple du No-TAV représente « tous les pans de la société ». Dans un texte traduit et publié sur le site No-TAV France qui reprend les articles écrits par les opposants italiens, les auteurs décrivent la composition de la lutte4. En reprenant la liste des inculpés du 26 janvier 2012, ils détaillent les différents profils et arrivent à cette conclusion : ils sont « n'importe qui », ils ont juste en commun d'être des habitants de la vallée pour la plupart.

1 Ibid., p379.

2 http://www.notav.info/tag/comitato-di-lotta-popolare/

3 Chapitre 1

4 Anonyme, « Contributions à la lutte contre le TAV », Notavfrance [en ligne] avril 2012 ; URL : http://ti1ca.com/gx919i15-contributions-2-pages-separees-contributions-2-pages-separees.pdf.html [réf. 27 juin 2016], p.22.

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Outre la différence d'échelle en ce qui concerne la densité de la population, la différence d'échelle temporelle explique la formation de ce « peuple du No-TAV ». Depuis plus de 20 ans des habitants de la Vallée contestent le projet et avec le temps, le groupe d'opposants s'est considérablement développé. Pour le collectif Mauvaise Troupe, « c'est un peuple né de la lutte, non pas seulement renforcé par elle ». Contrairement à Notre-Dames-des-Landes pour l'instant, l'aspect novateur du NO-TAV est d'avoir « créé un peuple, sans nation, sans frontières et sans qu'il ne se fonde en société ».1 Pour Emilio, « le mouvement est impossible à battre parce qu'il y a de tout, il y a le pacifique, le catholique, l'aguerri, l'intellectuel, tu comprends ? Il y a le peuple »2. D'après la définition du Larousse, le « peuple » peut se comprendre comme « communauté de gens unis par leur origine, leur mode de vie, leur langue et leur culture »3. Pour Gianluca, animateur à radio Black Out, « le mouvement a été capable de construire sa propre culture, son imaginaire, ses chansons de luttes ». Il parle de « patrimoine mythique » inscrit dans l'imaginaire collectif4. A ce sujet, la chanson « Sara Düra » (Voir Annexe 4) illustre cet imaginaire en retraçant l'histoire du No-TAV. De même les symboles du No-TAV sont présents au quotidien dans la vallée. Des plaques commémoratives sont érigées et les fêtes civiles ou religieuses portent l'empreinte de la lutte. Mais pour Gianluca, parler de « peuple No-TAV », c'est « un peu un fantasme qui a des effets de réalités ». En d'autres termes, il ne s'agit peut-être pas d'une réalité sociologique mais cette notion existe dans l'imaginaire des individus et produit des effets politiques.

A la différence des zads, le mouvement No-TAV entretient des relations avec les partis politiques, les syndicats et les institutions plus étroites. Le parti Cinque Stelle, qui apporte ouvertement son soutien au mouvement, l'utilise aussi dans une visée électorale5. Beppe Grillo, ancien leader du parti, a ainsi été condamné pour avoir participé à des actes de destructions sur le chantier à quatre mois de prison. Le parti apporte aux opposants un soutien financier important. Outre ce soutien, le No-TAV est un élément décisif lors des campagnes municipales dans la vallée. Ainsi, lors des élections municipales de 2014, le mouvement avait soutenu des candidatures. Contrairement aux zads, la volonté d'institutionnaliser le mouvement existe dans la Vallée. Pour les auteurs de « Occupy in Valsusa », il s'agit plus d'une volonté de contrôler les institutions politiques locales sur le territoire que de vouloir

1 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.141.

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Emilio..., Op.cit., p.1.

3 http://www.larousse.fr/dictionnaires.

4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.140.

5 http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/02/13/le-mouvement-5-etoiles-de-beppe-grillo-s-enracine-dans-l-electorat 4365760 3214.html

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institutionnaliser le mouvement1. S'il est plus question de se « réapproprier » les institutions, la démarche ne se retrouve pas pour l'instant sur les zads où il est plus question de construire un modèle en-dehors des institutions.

Un autre élément singulier au mouvement No-TAV que l'on ne retrouve pas sur les zads, est la présence de leaders. Alberto Perino, ainsi présenté comme « leader charismatique » sur le site notav-savoie2, est vu par certains opposants comme une « spécificité italienne »3 mais aussi comme une conséquence inéluctable à chaque mouvement de contestation qui croît. Les porte-paroles du mouvement occupent obligatoirement une position publique plus importante que le reste des opposants. Cette distinction peut alors nuire à l'horizontalité recherchée. C'est aussi pour cette raison que les zadistes ont recours à l'anonymat devant les « mass-media »4. Sur cette distinction, le mouvement No-TAV se rapproche plus du Larzac.

Enfin, en raison de l'échelle géographique et de la portée du projet, le mouvement a été majoritairement forgé par les habitants de la vallée. Il s'est très vite ouvert à personnes extérieures mais sa création est principalement due aux Valsuséens. Outre les Libres Républiques, le mouvement No-TAV n'a pas utilisé l'occupation durable pour lutter contre le projet d'aménagement. Pour le moment, toutes les zads se sont construites dans l'occupation durable du lieu d'aménagement contesté. L'occupation constitue un des outils principaux de la lutte zadiste. Pour autant, dans les deux cas, les habitants originaires du territoire disputés s'unissent avec les nouveaux arrivants.

Finalement, de la même manière que la zad de Notre-Dame-des-Landes diffère de la zad de Roybon ou Sivens, le No-TAV constitue un mouvement singulier par ses particularités historiques, géographiques et sociales. Ca n'empêche pas ces lieux, selon le collectif Mauvaise Troupe, de constituer des espaces rares qui partagent la même « portée révolutionnaire »5.

1 ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO Raffaele Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, « Occupy in Valsusa..., Op.cit., p.157.

2 http://notav-savoie.over-blog.com/pages/Alberto_Perino-5325840.html.

3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.179.

4 Voir Partie 1 chapitre 1

5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.380.

Troisième partie : Du phénomène à la pensée politique : une classification idéologique complexe

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Nous avons entrepris dans les parties précédentes d'amener une meilleure compréhension d'un phénomène politique nouveau et peu étudié. Ce travail doit permettre d'essayer de classer idéologiquement la zad, de comprendre ce nouveau phénomène politique par rapport à d'autres idéologies. Dans un premier temps, nous analyserons la pensée politique zadiste qui constitue en grande partie une pensée écologiste anthropocentrée selon laquelle il s'agit avant tout de rendre à l'Homme sa liberté. Le deuxième élément de comparaison concerne l'idéologie développée par le Comité Invisible qui occupe aujourd'hui une place importante dans le champ politique. Enfin, nous verrons dans un dernier chapitre la place de la zad dans la pensée municipale libertaire de Murray Bookchin. E

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Chapitre 7 : Une écologie politique sociale et révolutionnaire et anthropocentrée : le rejet du capitalisme vert et du retour en arrière :

Défendre la nature en luttant pour la liberté de l'Homme

« Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend »

Comme vu précédemment, les zads ne s'opposent pas uniquement à un projet local d'aménagement car ce projet n'est que la conséquence d'une cause plus profonde : l'obsolescence du système capitaliste inégalitaire. La critique écologiste zadiste de ce système porte sur le mythe d'un capitalisme vert qui repose sur la marchandisation du monde et l'aménagement du territoire ainsi que sur l'illusoire protection de l'environnement. Ce n'est pas la Terre qui doit être défendue mais la relation des êtres humains au vivant.

Dans le corpus de texte « Sivens sans aucune retenue »1, les zadistes ont diffusés plusieurs textes qui s'intéressent aux questions écologiques et politiques. Le capitalisme vert consiste à calquer des stratégies écologiques sur la logique capitaliste, ce qui implique, comme le rappelle Henri Mora, « la destruction, la privatisation et l'artificialisation d'un territoire à des fins mercantiles »2. La première critique zadiste porte sur l'aménagement du territoire qualifié de « machine de guerre étatique ». Cet aménagement comprend deux versants. Tout d'abord l'aménagement du territoire traditionnel consiste à « civiliser » un territoire sauvage en construisant des infrastructures et à industrialiser ces « zones sauvages ». Le deuxième type d'aménagement consiste à protéger ces « zones sauvages » en créant des parcs naturels et des zones humides. Pour les zadistes, l'Homme devient dans ces deux types d'aménagement un simple spectateur de cette « nature distante ».

1 « Sivens sans aucune retenue », tantquilyauradesbouilles.wordpress.com [en ligne] 2014 ; URL : https://tantquilyauradesbouilles.wordpress.com/sivens-sans-retenue/ [réf. 15 mai 2016].

2 CHAMBARANS.UNBLOG, « Center Parcs dans les Chambarans, utopie ou cauchemar touristique ? Entretien avec Henri Mora » Chambarans.unblog.fr [en ligne] le 8 mai 2013 ; URL : http://chambarans.unblog.fr/2013/05/08/center-parcs-dans-les-chambarans-utopie-ou-cauchemar-touristique-entretien-avec-henri-mora/ [réf. 15 mai 2016].

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Pour ce qui est de l'industrialisation de la nature, l'Homme est spectateur dans le sens où il ne possède plus le pouvoir de décision lorsque l'aménagement est décidé par des « technocrates au sommet de l'Etat »1 qui agissent bien souvent au nom d'intérêt privé2. Les zadistes critiquent les consultations locales dites « démocratiques » mises en place avant le commencement des travaux ou pendant lorsque le projet connaît une forte contestation. Ces consultations ne constituent pour eux qu'un « vernis démocratique » dans la mesure où elles n'ont aucun impact sur la suite du projet. Dans l'article « Les experts qui exaspèrent »3, les auteurs considèrent que la Commission de Dialogue mise en place après l'Opération César à Notre-Dame-des-Landes n'est qu'une « façade » pour masquer l'attitude autoritaire de l'Etat dans sa volonté d'imposer le projet. Cette commission est selon eux, constituée d'experts qui vont apporter une légitimité technique au projet d'aménagement. Celui-ci, en plus d'être nécessaire, va gagner en rationalité. Dans le cadre du barrage de Sivens, une concertation a lieu avec les composantes qui « acceptent le dialogue ». Les zadistes refusent cette concertation qu'ils jugent inutiles puisque les décisions sont déjà prises.

Outre la concertation, les zadistes contestent aussi la notion de « compensation environnementale » qui consisterait à reproduire ailleurs la zone naturelle détruite pour la construction du projet. En premier lieu les zones détruites ne peuvent pas toujours être reproduites car elles sont le fruit d'un processus historique long et singulier. Il serait ainsi vain de vouloir reproduire la vie naturelle de Notre-Dame-des-Landes sur un autre territoire. En second lieu, ce type de projet va permettre la « conversion de la biodiversité en valeur monétaire »4 et constituer un nouveau marché. Cette compensation environnementale conduirait à une marchandisation de la nature dans la mesure où la biodiversité acquerrait une valeur et serait donc sujette à la spéculation. Tout ce processus est facilité selon les zadistes par l'utilisation d'un langage particulier qui cache une certaine vision du monde et qui s'applique de plus en plus à l'agriculture, à la biodiversité et au vivant de manière plus générale. Ce « langage de gestionnaire » est au service du développement économique et du progrès scientifique et industriel selon les zadistes. 5 Il décrit, analyse, quantifie et attribue une valeur à l'ensemble du vivant en niant toute singularité afin de pouvoir le classer et lui attribuer une valeur marchande. Ce langage de gestionnaire appartient à l'univers

1 « Sivens sans aucune retenue... Op.cit., p2.

2 Cas des Partenariats Public-Privé, Partie 1 chapitre 1.

3 ZADIST, « Les experts qui exaspèrent » zad.nadir.org [en ligne], le 16 juin 2013 ; http://zad.nadir.org/spip.php?article1706 [réf.10 mai 2016].

4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.46.

5 « Sivens sans aucune retenue... Op.cit., p11.

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technocratique qui n'est qu'une partie de la « violence normale du monde moderne » contre laquelle les zadistes entendent lutter.

Enfin, les zadistes s'attaquent à l'idée de développement durable qu'ils qualifient « d'écologie hors sol »1. L'écologie est devenue depuis quelques années un argument électoral qui aurait conduit les responsables politiques à utiliser la notion de « développement durable » dans leurs prises de décisions. Au-delà de cet argument électoral, l'écologie est aussi devenue un argument marchand. Les consommateurs seront ainsi plus enclins à acheter un produit qui respecte l'environnement. Cet argument de vente est utilisé par toutes les grandes entreprises qui optent pour des pratiques dites « responsables » comme le tri des déchets ou l'utilisation d'énergies renouvelables. Pour les zadistes, ces pratiques s'apparentent au « greenwashing » qu'ils définissent comme « un ensemble de techniques visant à manipuler l'opinion [...] qui aboutit à une écologie hors sol où les discours lyriques cachent mal une inaction chronique »2.

Concernant le deuxième type d'aménagement, il s'agit de créer des zones naturelles dans lesquelles l'Homme ne peut aller que de manière temporaire. Il n'habite pas ces zones, il les visite ou y passe des vacances. Elles permettent de protéger la biodiversité et notamment les espèces protégées. Elles peuvent apparaitre comme des enclaves dans le monde moderne hyper connecté, des îlots perdus dans la mondialisation. Mais elles peuvent aussi exister sous la forme de Center Parcs comme par exemple le projet de Roybon. Il s'agit alors de retrouver le « sentiment de nature » tout en vivant dans un cadre urbain connu. Pour l'ethnologue Marc Augé, un Center Parcs constitue ainsi une « bulle » qui permet aux individus d'avoir le sentiment de vivre dans la nature tout en conservant son confort quotidien. Il parle de « mise en spectacle du monde » dans lequel le réel copie la fiction.3

Pour les zadistes, ce n'est pas la nature qui doit être protégée. Ils la définissent d'ailleurs ainsi dans Le petit livre des grands projets inutiles et imposés : « portion de territoire exempte de toute pollution que le citoyen peut admirer en regardant Ushuaia TV ! Existe aussi en téléchargement ou sur CD vendu dans les Nature et découvertes, bombe désodorisante

1 CAMILLE Le petit livre noir... Op.cit. p.11.

2 Ibid., p.111.

3 Augé Marc « Ces lieux où le réel copient la fiction. Un ethnologue à Center Parcs », chambarans.unblog.fr [le 28 janvier 2010] ; URL : http://chambarans.unblog.fr/2010/01/28/ces-lieux-ou-le-reel-copie-la-fiction-un-ethnologue-a-center-parcs/ [réf. 15 mai 2016].

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senteur Printemps »1. De plus, défendre la nature relèverait pour les zadistes d'un « héroïsme anthropocentrique explicite et pour le moins déplacé »2. Il s'agit plus de protéger une certaine relation au vivant. Ainsi, les zadistes ne voient pas le bocage de Notre-Dame-des-Landes comme un « milieu naturel » et ils le défendent non pas en raison de sa fragilité ou parce qu'il leurs appartient mais parce qu'ils l'habitent. Le problème de l'aménagement du territoire, qu'il soit dans une logique de destruction ou une logique de préservation, est qu'il émane de l'Etat et se fait au détriment des populations qui en ont un usage commun. Les zadistes dénoncent une « gestion par le haut » qui ne prend en compte que le bien être de la croissance économique. Ils qualifient d'ailleurs cette gestion de « soustraction » faite « aux gens qui y vivent ». L'Etat agit ainsi comme le mercenaire du capitalisme en imposant des décisions autoritaires.

L'aménagement ne se limite pas qu'au territoire selon les zadistes, il s'étend peu à peu à la vie et à l'esprit des êtres humains3. Cette « colonisation » de la vie a deux conséquences néfastes. D'une part, la production et la mise en réseau des outils numériques requièrent une consommation d'énergie « colossale » et posent de nouvelles problématiques écologiques quand elles ne créent pas des situations de quasi-esclavage dans les pays producteurs de matières premières. D'autre part, ces outils numériques et leur fonctionnement en réseau conduit à la « numérisation » de la vie. Les zadistes parlent « d'aménagement du territoire mental ». L'interconnexion de tous les espaces a conduit à bouleverser les rapports entre les individus et à modifier leur rapport au vivant. L'être humain ne voit l'autre et le dehors que derrière un écran. Il a l'impression de pouvoir satisfaire tous ces désirs grâce à internet. Cet aménagement conduit à l'uniformisation des esprits et à la négation des particularités. Comme pour l'environnement, tout devient interchangeable et acquiert une valeur marchande.

La critique écologiste zadiste est anthropocentrée dans la mesure où c'est l'Homme et sa liberté qu'il s'agit de défendre et non pas la planète. Peu importe l'activité humaine, la Terre survivra à l'humanité. Les zadistes recherchent finalement l'autonomie, « non pas pour mais avec et dans la nature »4.

1 CAMILLE Le petit livre noir... Op.cit. p.109.

2 ZADIST, « Label Zad..., Op.cit., p.5.

3 « Sivens sans aucune retenue... Op.cit., p.4.

4 Ibid., p.2.

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Inventer un nouveau modèle, le refus du retour en arrière :

Afin d'affiner la compréhension de la pensée écologiste des zadistes, il est intéressant de la confronté à deux courants différents : l'anarcho-primitivisme et le décroissantisme.

Frederic Dufoing, dans son ouvrage L'écologie radicale définit l'anarcho-primitivisme comme « un écologisme anthropocentrique » qui vise à redonner à l'Homme son intégrité1. Cette idéologie reprend les thèses anarchistes quant au refus de l'Etat et des relations hiérarchiques qui aliènent l'Homme. Il y a la critique de la modernité et de la science. L'Homme était libre à une certaine époque et il s'agit de retrouver cette liberté. John Zerzan, auteur primitiviste, estime que la sédentarisation et l'adoption de l'agriculture constituent la matérialisation de l'aliénation de l'Homme car elles ont donné naissance au besoin de produire, à la division du travail, à la propriété privée, à la guerre et à une certaine rationalité qui a mis fin à l'intuition. Ce processus a ensuite permis l'apparition de la religion qui entraîne l'apparition d'un leadership idéologique ce qui conduit nécessairement à la centralisation du pouvoir2. Les anarcho-primitivistes utilisent les travaux de paléontologue ou d'anthropologue comme Marshall Sallings ou Pierre Clastres pour proposer un modèle de société alternatif qui repose sur l'abondance, l'absence de hiérarchie et la fin de la civilisation moderne.

Pour Frédéric Dufoing, le problème des anarcho-primitivistes est de n'utiliser les données scientifiques qu'en partie en omettant des parts importantes. Ainsi ils vont vanter les sociétés sans Etat décrites par Pierre Clastres en omettant de mentionner que dans telle société, un rapport de pouvoir et donc une hiérarchie existe entre les individus. L'anarcho-primitivisme prône la restauration intégrale du mode de vie des chasseurs-cueilleurs. Pour Damian White et Gideon Kossof3, les anarcho-primitivistes ont une vision trop « romancée » des vertus du mode de vie des chasseurs-cueilleurs.

Les zadistes ne s'inscrivent pas dans la vision anarcho-primitiviste dans la mesure où ils n'entendent pas restaurer un ancien mode de vie mais bien créer un nouveau modèle. De plus, ils ne rejettent pas l'agriculture ou la sédentarisation. En effet, ils utilisent l'occupation

1 DUFOING Frédéric, L'écologie radicale, Paris, Infolio éd, 2012, p.73.

2 Ibid., p.80.

3 WHITE Damian F., KOSSOF Gideon, « Anarchisme, libertarisme et environnementaliste : la pensée autoritaire et la quête de sociétés auto-organisées, dans, Ecologie & Politique 2011/1 (N°41), p.145-171.

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maraîchère et l'occupation d'habitation pour lutter contre les projets et pour développer leur projet de vie alternatif. L'objectif est d' « habiter le territoire » à savoir l'utiliser pour y vivre.

Les anarcho-primitivistes veulent combattre la société industrielle et tente de trouver des alternatives concrètes à l'agriculture intensive. Frédéric Dufoing détaille trois alternatives développées par les anarcho-primitivistes : le « forestgardening », la « permaculture » et le « natural farming »1. Le forestgardening consiste à développer une « agriculture intégrée » en forêt en remplaçant les ajouts humains extérieurs par des processus de régulation. Le système doit s'autoréguler. La permaculture vise à pratiquer une agriculture permanente qui se fond dans les écosystèmes. Le natural farming ou agriculture naturelle entend limiter l'intervention humaine dans la pratique agricole. L'idée générale est de restreindre au maximum l'apport industriel dans l'agriculture et revenir à une temporalité de production naturelle. Outre ces initiatives, l'anarcho-primitivisme défend le sabotage pour lutter contre l'agriculture intensive.

Les zadistes luttent également contre l'agriculture industrielle et intensive qui non seulement participe à la pérennisation du modèle économique capitaliste mais aussi qui a des effets désastreux pour la planète. Ils envisagent ainsi des alternatives à cette agriculture dont celles développées par les anarcho-primitivistes. Mais, comme en témoigne l'engagement pris par les zadistes de Notre-Dame-des-Landes après l'abandon du projet2, la pensée zadiste tente de concilier le modèle qu'elle entend mettre en place avec le modèle ancien du territoire sur lequel elle habite. Il s'agit plus d'apprendre à vivre ensemble et de réfléchir à des nouvelles alternatives que d'imposer frontalement un nouveau modèle.

Pour Frédéric Dufoing, le décroissantisme s'est construit en marge de l'altermondialisme avec pour référence Ivan Illitch et pour postulat l'impossibilité d'une croissance infinie3. L'origine de la crise écologique réside dans un oubli effectué par le courant économique dominant : la matière et l'énergie qui sont à la base de la discipline économique doivent de nouveau être prises en compte. Cette économie dominante a conduit à une croyance aveugle dans le progrès, au monopole de la raison, de l'efficacité et du savoir. Elle entraîne la perte des communaux et des savoir vernaculaires. Comme nous l'avons vu

1 DUFOING Frédéric, L'écologie radicale..., Op.cit., p.85.

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Défendre la ZAD..., Op.cit., p. 32-33.

3 DUFOING Frédéric, L'écologie radicale..., Op.cit., p.99.

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précédemment, ce constat des causes de la crise écologique est partagé en partie par les

zadistes.

Les décroissantistes critique l'existence de l'Etat dans la mesure où il n'est que le « promoteur historique »1 de la logique économique et a ainsi permis sa diffusion en provoquant l'homogénéisation du territoire. Le champ politique est colonisé par l'imaginaire économique capitaliste et ne possède aucune liberté d'action. Les zadistes partagent cette critique d'un Etat « sponsor et financier » de l'idéologie néolibérale mais ils développent une autre critique qui porte sur son caractère autoritaire et illégitime.

De plus, les décroissantistes entendent lutter contre plusieurs « fausses croyances »2 qui reviennent à penser que les besoins humains sont infinis et qu'ils ne peuvent être assouvis que par le système industriel. Les besoins de l'Homme n'ont pas tous « besoin » d'être assouvis dans la pensée décroissantiste.

Enfin, comme pour la pensée zadiste, la pensée décroissantiste ne défend pas un modèle qui aurait une vocation universelle et qui serait bon pour l'Homme en général. Elle rejette l'existence d'un monopole culturel et s'oppose ainsi à l'école développementaliste qui estime que le développement économique et industriel conduirait nécessairement à la mise en place d'institution démocratique.

Les propositions développées par la pensée décroissantiste sont assez floues. Certaines sont reprises par Frédéric Dufoing3. Il faudrait relocaliser l'économie et sortir de la civilisation industrielle en mettant fin à des pratiques comme la publicité, l'automobile ou la grande distribution. Les décroissantistes reprennent l'idée de créer un revenu minimum inconditionnel et de limiter les revenus supérieurs. Pour parvenir à ces solutions, ils appellent à modifier les pratiques individuelles quotidiennes de chacun et envisagent un changement par la réforme des modèles politiques et économiques. Ils se situent plus dans une approche gramscienne avec cette volonté de produire une contre-hégémonie à la culture économique capitaliste.

Les pensées zadistes et décroissantistes partagent de nombreux points communs notamment en ce qui concerne leurs critiques du système actuel. Mais ce qui les différencie portent sur deux éléments importants. En premier lieu, les décroissantistes ne critiquent pas

1 Ibid., p.118.

2 Ibid.,p. 120.

3 Ibid., p.124.

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fondamentalement la notion de propriété privée et leur dénonciation du capitalisme porte surtout sur son monopole. Pour les zadistes, la propriété privée et le capitalisme sont l'essence même de la domination et de l'existence d'une hiérarchie entre les individus. En second lieu, les zadistes ne visent pas à modifier les comportements individuels pour améliorer le système. Ils préfèrent mettre en place des alternatives qui auront beaucoup plus de chance d'amener un changement au modèle dominant.

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Chapitre 8 : Les zadistes et le comité invisible : un constat de la crise similaire mais une approche révolutionnaire radicalement différente.

Le constat d'une société de crises :

Dans leur ouvrage L'insurrection qui vient publié en 2007, le Comité Invisible dresse une critique globale de la société actuelle qu'il va étayer dans A nos amis publié en 2014.

Pour les auteurs de ces deux ouvrages1, le système politique actuel est au bord de l'implosion. Le métier du politique se serait réduit à un travail de « communicant »2 et le vote n'est plus que protestataire. Les citoyens ne votent plus pour des idées, ils votent contre des personnes. Ils voient dans la « crise des banlieues » de 2005 non pas une émeute mais une « négation absolue du politique ». La réponse à cette crise ne sera ni dans la démocratie, ni dans la république. Le Comité Invisible et les zadistes partagent la même analyse de la démocratie actuelle qui postule le besoin d'un gouvernement. Pour le Comité Invisible, « gouverner » signifie « conduire les conduites d'une population pour en maximiser le potentiel et en orienter la liberté »3. L'objectif du gouvernement est donc de maintenir le contrôle des gouvernés et d'éradiquer toute idée de révolte. Les auteurs parlent de « guerre indirecte ». Pour se maintenir en place, le gouvernement recourt à différentes tactique dont l'élection. Elle donne une « illusion d'adhésion » des individus au gouvernement. Le Comité Invisible, comme les zadistes, rejettent l'idée du besoin d'être gouverné. Pour ces auteurs, l'état de nature bestial développé par Hobbes n'est qu'une croyance et ne possède aucun fondement scientifique. Cette croyance doit être combattue car c'est elle qui a permis de créer la nécessité du gouvernement. Ils s'opposent également à toutes les théories du contrat social, de Macchiavel à l'anarchisme individualiste qui développe une certaine idée du contrat social.

1 Le Comité Invisible explique dans l'introduction de L'insurrection qui vient leurs ouvrages sont rédigés par plusieurs auteurs.

2 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection qui vient, Paris, La Fabrique, 2007, p.7.

3 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis, Paris, La Fabrique, 2014, p.67.

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Les zadistes voient dans le peuple une « fonction homogénéisante »1 qui permet à l'Etat de légitimer son action et de discréditer toute contestation. Pour le Comité Invisible, la population est à la fois « l'objet » et le « produit » du gouvernement. Il n'y a pas de peuple ou de population sans un gouvernement, « la population cesse d'exister en tant que telle dès qu'elle cesse d'être gouvernable »2. De plus, elle permet au gouvernement de diviser les contestations sociales en excluant une partie des individus participant à ces mobilisations. Il va les décrire comme des « casseurs » qui ne portent aucune revendication légitime contrairement au reste des manifestants. Utiliser le terme « peuple » permet au gouvernement de diviser un mouvement qui apparaissait homogène. Mais le Comité Invisible dépasse la vision zadiste dans sa critique de l'Etat et de la République. Il estime que les concepts « société » et « nation » sont des fictions « obsolètes »3 appartenant à l'ancien temps. Ils n'ont plus de place dans le monde globalisé.

A noter que les zadistes ne rejettent pas, contrairement au Comité Invisible, la notion de « peuple ». En y retirant l'imaginaire républicain, le terme « peuple » garde une portée sémantique pour comprendre les zads4. Il peut être compris comme un qualificatif qui « transcende » les catégories sociales habituellement cloisonnées dans la société. Dans le cadre de la lutte No-TAV, le peuple a pu, à certains moments, s'extraire de la « légalité républicaine » pour faire face à l'Etat et empêcher la continuation des travaux.

Le Comité Invisible développe une critique de l'Etat plus générale que la vision zadiste en abordant la question de la gouvernance et de la société cybernétique. La gouvernance s'impose dans tous les domaines y compris dans le fonctionnement de l'Etat qui lui est soumis. Le Comité Invisible parle d'une « nouvelle science de gouvernement »5. Le gouvernement « étatique » de contrôle a laissé la place après la crise de 2008 à un gouvernement « cybernétique » d'autocontrôle. Le cadre huxleysien a remplacé le cadre orwellien6. Ce changement est dû selon les auteurs à la globalisation qui a engendré des réseaux interconnectés entre les hommes et les machines. La gouvernance se fait par le traitement

1 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.95.

2 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit., p.162.

3 Ibid., p.10.

4 4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.97.

5 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit., p.103.

6 Ibid., p.113.

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des algorithmes et des bases de données qui sont recueillis avec le consentement des individus. Les zadistes parlent d'aménagement mental du territoire1.

Le Comité Invisible critique également l'aménagement métropolitain du territoire. Le capitalisme fonctionne désormais territorialement et localement. Il n'est plus national. Le pouvoir fonctionne aujourd'hui sur un processus de sélection et non plus d'intégration. Pour le Comité Invisible, cette « métropolisation »2 vise à créer des zones ultra-connectées composées d'individus connectés. La gouvernance va ainsi conduire à mettre entre place une certaine forme d'horizontalité et de fragmentation. Pour autant, cette horizontalité sera créée sur une division hiérarchique du territoire d'où son rejet par le Comité Invisible. Il existe donc une différence de perception entre les zads et le Comité Invisible quant à l'aménagement du territoire. En revanche, ils arrivent aux mêmes conclusions en considérant qu'il faut lutter contre l'aménagement du territoire pour défendre les Hommes.

Il s'intéresse aussi au travail. Il parle de « fiction travailliste »3. Il estime que le travail est aujourd'hui un outil de domination dans le sens où il produit et contrôle des producteurs et des consommateurs. Il permet d'éviter aux individus de penser et de remettre en cause le système. Les sites de production ne sont plus des usines dans la mesure où il n'y a plus de savoir-faire. Les individus ne travaillent que lorsque la production rencontre un problème.

Pour les zadistes, les solutions aux problèmes écologiques trouvées par le capitalisme ne fonctionnent pas. Elles sont même néfastes au système. De même, la solution ne réside pas dans le comportement individuel tant le désastre écologique est systémique. Le Comité Invisible tire les mêmes constats en ce qui concerne le « capitalisme vert »4. La croissance verte est paradigme fondé sur une illusion dont il faut sortir. Mais le Comité Invisible fustige également les autres réponses au désastre écologique. Ainsi, il ne voit dans l'agriculture biologique que le traditionnel clivage bourgeoisie/prolétariat. Les premiers sont les seuls à pouvoir disposer de cette agriculture saine qui échappe structurellement à la classe prolétaire. De même, il voit dans le principe de « simplicité volontaire » un outil de domination du capitalisme. Il la renomme d'ailleurs « austérité volontaire »5 qui fait partie de cette société d'autocontrôle. Il voit dans cet autocontrôle la voie vers une « dictature environnementale » alors que ses défenseurs veulent l'éviter. Pour les auteurs du Comité Invisible, de même que

1 Voir Partie 3 chapitre 1.

2 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit, p.184.

3 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection..., Op.cit., p.29-35 et A nos amis..., Op.cit., p.91-94.

4 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection..., Op.cit., p.61.

5 Ibid., p.62.

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pour les zadistes, il ne faut pas séparer l'Homme de l'environnement mais contrairement aux zadistes, ils considèrent l'écologie comme une seule idéologie qui se limiterait à la politique écologique gouvernementale. Ils ne s'intéressent pas aux différents courants de l'écologie radicale.

Le Comité Invisible rejette également l'idée de s'organiser autour d'un parti, d'un collectif ou d'une association puisque ça ne reviendrait qu'à reproduire une domination de type étatique. En effet, les organisations enferment l'individu dans un système de pensée qui nuirait irrémédiablement à sa liberté. De plus, elles portent en elle les germes de la centralisation des pouvoirs et donc d'une certaine forme de hiérarchie. Dans le fond, le Comité Invisible estime qu'aucune organisation ne permet à l'individu de se réaliser pleinement sans aucun contrôle. Elles constituent davantage un lieu de vote et de prise de décision que d'expression. Chaque organisation dispose de son histoire et de ses principes qu'il est difficile de remettre en cause pour un individu extérieur. Le Comité Invisible critique même les associations les plus libertaires qui, en s'instituant, sont devenus un organe de contrôle de l'individu. Les zadistes sont eux, beaucoup plus nuancés sur la critique des organisations. Ils leur reconnaissent une efficacité certaine et beaucoup font partie du « rhizome » contre les Grands Projets Inutiles et Imposés.

Pour conclure, le Comité Invisible et les zadistes développent une critique du système actuel relativement similaire. Les deux partagent le rejet d'un système politiquement inégalitaire, écologiquement dramatique et technologiquement totalisant. Leurs visions de l'alternative à mettre en place et les moyens pour y parvenir marquent certaines de leurs divergences fondamentales.

De la destitution de l'Etat à la « levée de communes »

Dans son ouvrage TAZ : Zone d'Autonomie Temporaire1, Hakim Bey estime que la période des révolutions est close car l'Etat-Nation a réussi à s'imposer sur l'ensemble du territoire mondial et domine toutes les populations. Le choc frontal avec l'Etat est voué à l'échec. Mais

1 BEY Hakim, TAZ zone d'autonomie temporaire, Paris, L'éclat, 1997

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si cette période est close, elle laisse place à « l'inserructionnisme »1. L'objectif de la TAZ, Temporary Autonomous Zone, est de libérer une zone du contrôle étatique puis de se « dissoudre » avant que l'Etat ne la réprime. Pour Hakim Bey, la principale force d'une TAZ, c'est son invisibilité2.

Le Comité Invisible développe une théorie de la destitution du pouvoir qui oscille entre la théorie de la TAZ et la théorie zadiste. En ce qui concerne le rapprochement avec la théorie de la TAZ, la solution pour le Comité Invisible se trouve dans l'insurrection. Celle-ci doit se rendre « irréversible »3 et dépasser le cadre matériel pour entrer dans le cadre spirituelle. Ainsi, leur volonté de détruire la propriété privée doit s'accompagner de la destruction du désir d'être propriétaire.

De la même manière que pour les TAZ, les insurrections doivent profiter de chaque mouvement social, de chaque émeute urbaine, de chaque moment où l'autorité de l'Etat est remise en cause, pour se mettre en place. Ces insurrections ne sont pas organisées, elles ne reposent pas sur un seul groupe d'individus. Elles dépendent de la situation dans laquelle elles apparaissent et de ses acteurs. Mais en aucun cas, elles ne doivent chercher la prise de pouvoir ou s'assurer une légitimité. L'insurrection doit être une « pure destitution et rien d'autre ». Les auteurs du Comité Invisible affirment que prétendre incarner une quelconque légitimité conduirait à recréer un Etat. C'est là une grande différence avec les zads qui revendiquent une légitimité dans leur action. Certes, cette légitimité ne doit pas conduire à l'instauration d'un gouvernement dans la pensée zadiste mais elle constitue un argument principal pour occuper les territoires et les projets d'aménagement. Le Comité Invisible préconise, comme son nom l'indique, la lutte invisible. L'anonymat est l'une des meilleures protections contre l'Etat. Cet élément se retrouve tant dans les TAZ que des dans les zads.

Comme pour les zadistes, le principale « ennemi » à destituer est symbolisé par l'Etat pour le Comité Invisible. Il faut alors réussir à supprimer ce qui fait sa force : le monopole de la violence physique légitime et s'attaquer à cette notion de légitimité. Une destitution ne peut arriver à son but que si la police n'est plus qu'un groupe ennemi à vaincre, les juges que des gardiens d'un ordre autoritaire et l'Etat qu'une ancienne organisation garante d'un ordre imparfait à remplacer. Le Comité Invisible prend exemple sur le Printemps Arabe et la Révolution tunisienne. C'est lorsque l'Etat et son chef ont perdu la légitimité de gouverner et

1 Ibid., p.9.

2 Ibid, p.8.

3 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection..., Op.cit., p.121.

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sont devenus de simple chef de clan que la destitution du régime a été possible. Les zadistes tentent également de « briser » la légitimité de l'Etat et de la police. Pour eux, le véritable succès de la lutte No-TAV, c'est d'avoir uni toute une vallée contre le gouvernement italien. De même, l'opération César aurait permis d'illustrer le fait que la police n'appartient pas à la France et à sa population mais au capital.

Le Comité Invisible partage également avec les zadistes certaines techniques de luttes comme le sabotage ou l'autonomie1. Le sabotage doit porter sur la production capitaliste et la circulation. La différence avec les zadistes repose dans le cas du sabotage sur sa dimension géographique. Le Comité Invisible préconise un sabotage général du système pour créer des situations d'insurrection. Les zadistes appellent à saboter les chantiers d'aménagements et les entreprises qui y travaillent.

Si le Comité Invisible estime qu'il faut utiliser toutes les ressources financières disponibles afin de se « libérer du temps pour exprimer son énergie », le pillage et la récupération ne sont pas viables. Il faut pour les auteurs s'inscrire dans une logique d'auto-organisation qui permet de ne pas dépendre du système et ainsi éviter de s'empêcher de le détruire. Les zadistes défendent également cette idée de l'autonomie2.

Dans l'ouvrage A nos amis3, les auteurs développent une réflexion portant sur la distinction entre pacifiques et radicaux lors des mouvements sociaux. Comme les zadistes, ils estiment qu'opposer les deux est contreproductif et illogique car les deux groupes sont liés par leur refus d'un système. Ils considèrent comme essentiel la « désactivation de ce couple infernal » pour parvenir à destituer le pouvoir. Ce dernier utilise cette distinction selon les zadistes et le Comité Invisible pour diviser un groupe homogène et semer la discorde. En revanche, le Comité Invisible, contrairement aux zadistes, critiquent tant l'attitude pacifiste que l'attitude radicale et appelle à adapter ses actions en fonction des circonstances.

Enfin, ses auteurs reconnaissent l'importance d'occuper un territoire afin de l'intégrer et lutter contre les nouvelles intégrations dues à la métropolisation. Il faut lutter contre les différents projets d'aménagement en habitant et en créant un attachement pour le territoire mais il ne faut pas revendiquer le local contre le local car le premier n'est que le « résidu »4 du

1 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection..., Op.cit., p.90-110.

2 Chapitre 1.

3 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit., p.137-146.

4 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit., p.191.

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second. L'enjeu des luttes n'est pas le territoire géographiquement parlant mais bien les façons de vivre qui se créent dans le conflit.

Destituer le pouvoir doit conduire à l'installation de communes pour le Comité Invisible. Leur définition de la commune n'est pas très détaillée dans leurs deux ouvrages. Elles existeraient dans « toute grève sauvage, tout squat, dans les comités d'actions, les villages d'esclaves »1. Cette définition s'apparente finalement à la TAZ qui « libère une zone puis se dissout [...] pour se reformer ailleurs dans le temps ou dans l'espace »2. Les communes doivent pour le Comité Invisible être des lieux où l'argent n'existe plus car il n'est plus nécessaire. Dans A nos amis, les auteurs précisent qu'un des fondements de la commune réside dans « le serment mutuel prêté par les habitants de se tenir ensemble »3. L'espace de la commune est « habité » dans le sens où les individus qui y vivent l'affectent et en sont affectées. La commune est donc une manière de vivre sur un espace. Le Comité Invisible précise que les communes ne peuvent dépasser une certaine taille géographique sans disparaitre. De même elles doivent éviter l'isolement, comme la Commune de 1871, qui les perdraient. En ce qui concerne l'analyse de l'économie dans les communes, les auteurs expliquent que l'objectif n'est pas de s'emparer de tous les communs (air, environnement, ressource, éducation, culture...) mais «d'élaborer un rapport » à ce qu'elles peuvent s'approprier.

Cette deuxième définition de la commune s'apparente beaucoup plus au modèle des zads. Dans les textes intitulés Rencontres sur la Commune4 et De la zad au communaux5, des zadistes détaillent la vision qu'ils ont de la commune. Ils décrivent la Zad de Notre-Dame-des-Landes comme la « forme vernaculaire » de la Commune. Elle doit permettre d'aborder la subsistance et l'existence en sortant de l'échelle individuelle et hors du contrôle étatique. La commune remplace la notion de propriété par la notion d'usage. Elle permet de s'ancrer sur le territoire et de s'inscrire dans « une autre temporalité » qui diffère des mouvements sociaux. Pour ces zadistes, « faire commune » permet de reprendre en main « les conditions matérielles et spirituelles de leurs existences ».

1 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection qui vient..., Op.cit., p.90.

2 BEY Hakim, TAZ..., Op.cit., p.8.

3 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit., p.201.

4 ZADIST, « Rencontre sur la Commune », zad.nadir.org [en ligne] le 22 mai 2016 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3778 [réf. 8 juin 2016].

5 ZADIST, « De la zad aux communaux », zad.nadir.org [en ligne] le 17 juin 2015 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3067 [réf. 7 mars 2016].

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Chapitre 9 : Les zads et la perspective municipale libertaire.

Dans un article publié en juin 2016 dans Le Monde Diplomatique, Benjamin Fernandez s'intéresse aux cantons du Rojava dans le nord de la Syrie qui se sont constitués en communes autonomes1. Il explique que les membres du PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan ont décidé de mettre en application les principes du municipalisme libertaire développés par Murray Bookchin. Le 26 septembre 2015, la Zad de Notre-Dame-des-Landes se déclare autonome en solidarité avec le Kurdistan2. Dans ce texte, les auteurs expliquent se sentir « proches » du processus politique en cours au Kurdistan avec la recherche d'une auto-organisation indépendante de l'Etat-Nation, l'élaboration de structures horizontales et la mise en place d'un confédéralisme démocratique. A cet égard, la pensée zadiste présente de nombreux points communs avec le municipalisme libertaire et l'écologie sociale.

La zad et le municipalisme libertaire : deux pensée fondées sur une critique similaire du système.

Le municipalisme libertaire est l'application politique de l'écologie sociale théorisée par Murray Bookchin. De la critique du système actuel à la promotion d'un autre modèle, la pensée zadiste et celle de Murray Bookchin se rejoignent. Pour autant, la pensée zadiste est bien moins théorisée et systémique que l'écologie sociale.

Pour Murray Bookchin, le désastre écologique actuel trouve son explication dans l'organisation sociale existante. Ainsi, l'Homme dans sa volonté de dominer la nature ne reproduirait que le modèle de domination existant entre les Hommes qu'il s'agisse d'une domination fondée sur le genre, sur l'ethnie, sur l'âge ou même sur la hiérarchie familiale. Défendre la nature pour Murray Bookchin revient donc à lutter contre toutes les dominations existantes entre les Hommes. Il détaille dans Le projet communaliste3 les facteurs responsables de la perpétuation de dominations. Il s'agit en premier lieu du capitalisme qui est « un système marchand d'échanges dans lequel l'objet est conçu pour la vente et où le profit imprègne et sert de médiateur à la plupart des relations humaines ». Il repose dès lors

1 FERNANDEZ Benjamin, « Aux sources du communalisme kurde, Murray Bookchin, écologie ou barbarie », Le Monde Diplomatique, Juillet 2016.

2 ZADIST, « Déclaration d'autonomie..., Op.cit.

3 BOOKCHIN Murray, « Le projet communaliste » dans Harbinger 2003 (N°1).

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sur un système économique nécessairement compétitif et inégalitaire. Pour Janet Biehl, auteure de Le municipalisme libertaire : la politique de l'écologie sociale, le capitalisme, par sa dynamique de prédation, « détruit autant les sociétés humaines que les Hommes »1. Outre son caractère « immoral », le capitalisme a produit la division de la société en classe et l'existence des hiérarchies entre les Hommes. Mais Murray Bookchin nous met en garde sur la nature du capitalisme. Il n'existe pas de « capitalisme pur »2 car il est en évolution permanente. Ainsi la division classique prolétaire/bourgeois a elle aussi connu une évolution. Pour Murray Bookchin, la classe ouvrière a été remplacée par la « classe moyenne laborieuse » qui a perdu son sentiment d'appartenance de classe. Penser la révolution uniquement en termes de lutte de classes devient caduque dans le contexte économique et politique actuel. Pour Murray Bookchin, c'est par des « luttes globales » qu'une conscience sociale pourrait émerger3. Enfin, il note ce qu'il qualifie d'extrême contradiction du capitalisme : la croyance en une croissance économique infinie et la « désertification de l'environnement naturel ». Les zadistes développent une analyse relativement similaire quant à la structure du capitalisme et son paradoxe insurmontable.4

Un autre élément qui perpétue la domination est constitué par l'Etat, qualifié par Murray Bookchin de « machinerie professionnelle conçue pour dominer et faciliter l'exploitation des citoyens dans l'intérêt d'une classe privilégiée »5. Comme dans toutes les critiques anarchistes de l'Etat, y compris chez les zadistes, il y a la dénonciation de son caractère illégitime. Murray Bookchin reprend la définition de Max Weber en la déformant et parle de « monopole professionnalisé de la violence » qui vise à assurer l'exploitation de « l'humain par l'humain »6. Pour Janet Biehl, l'Etat « substitue à la démocratie directe » un gouvernement élitiste7 d'une part et d'autre part infantilise l'individu en lui imposant un lien de dépendance et de subordination.

Cette critique de l'Etat se retrouve dans la pensée zadiste lorsqu'elle dénonce le contrôle social qu'il impose et son caractère illégitime. Concernant le contrôle social justement, les zadistes parlent du peuple comme une fonction « homogénéisante ». Pour Murray Bookchin, le mot peuple s'est vidé de son sens à partir du moment où les différences de classes, de sexes

1 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire : la politique de l'écologie sociale, Montréal, Ecosociété, 2013, p.128.

2 BOOKCHIN Murray, « Le projet..., Op.cit., p.3.

3 Ibid., p.3.

4 Chapitre 1

5 BOOKCHIN Murray, « Le projet..., Op.cit., p.8.

6 BOOKCHIN Murray, Pour un municipalisme libertaire, Lyon, Atelier de Création Libertaire, 2003, p.12.

7 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit., p.125.

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et d'éthiques ont été niées1. Pour autant, ce processus n'est pas irrémédiable et Murray Bookchin envisage une redéfinition du mot « peuple » avec l'émergence de nouveaux mouvements sociaux tournés vers de nouvelles préoccupations idéologiques de l'intérêt général autour des problématiques écologiques, morales ou culturelles.

Murray Bookchin voit comme responsable dans l'échec de la Commune de 1871 ou des Soviets, la délégation du pouvoir populaire. Il ne peut se déléguer sans se détruire2. Le suffrage universel électoral transforme le peuple en « masse » non pas en citoyen. Janet Biehl précise que le referendum ne doit pas être perçu comme un outil démocratique. Elle estime que le suffrage référendaire universel correspond plus à un « enregistrement des préférences » plutôt qu'à la participation politique du citoyen tant il transforme celui-ci en « consommateur » et les idéaux en « goûts personnels »3. Dans un texte publié le 5 juin 2016, des zadistes expliquent leur prise de position face au referendum local concernant le projet d'aéroport, organisé par le pouvoir exécutif le 26 juin 20164. Pour les zadistes, l'Etat n'est jamais neutre lorsqu'il organise un referendum. Il est d'une part dirigé par des individus qui ont un avis sur la question référendaire et ces mêmes individus l'organisent. D'autre part, l'Etat est bien souvent partie du projet en cause. Demander l'avis de la population constitue ainsi une « parodie » de la démocratie pour les zadistes.

Une autre critique partagée entre la pensée de Murray Bookchin et la pensée zadiste concerne les « mass médias ». Pour les deux, les « mass médias » sont au service du capitalisme dans la mesure où ils font accepter aux individus leurs exploitations, les transforment en « dociles consommateurs » et maintiennent ainsi la paix sociale en rendant toute perspective de révolte inutile et illégitime.

Il y a un point sur lequel la pensée zadiste semble s'opposer au municipalisme libertaire de Murray Bookchin. Il s'agit du besoin de gouvernement. Cette question apparait lorsque Murray Bookchin décrit les idéologies marxiste et anarchiste. En ce qui concerne l'anarchisme, Murray Bookchin considère qu'il ne constitue pas une « théorie sociale »5 dans le sens où il ne permet pas de fournir une explication du monde moderne et industriel mais aussi car sa définition est trop polysémique. Il estime que l'anarchisme utilise le marxisme pour justifier

1 BOOKCHIN Murray, Pour un municipalisme libertaire..., Op.cit., p.24.

2 Ibid., p.19.

3 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit., p.102.

4 ZADIST, « Le mouvement de lutte de Notre-Dame-des-Landes face à la consultation », zad.nadir.org [le 5 juin 2016] ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3747 [réf. Le 15 juin 2016].

5 BOOKCHIN Murray, « Le projet..., Op.cit., p.7.

sa pensée économique. Il va même jusqu'à dire que l'anarchisme représente la forme la plus poussée de « l'autonomie sans entrave de l'idéologie libérale ». Outre ces éléments qui pourraient être discutés, Murray Bookchin conteste l'approche anarchiste qui consiste à rejeter toute idée de gouvernement. Pour lui, le gouvernement n'est pas intrinsèquement autoritaire et se révèle même être nécessaire pour « traiter les problèmes de la vie consociétale de manière ordonnée»1. Or, la pensée zadiste rejette l'idée de la nécessité pour un groupe d'individu d'avoir un gouvernement qu'ils définissent comme un pouvoir exécutif charger de faire appliquer les lois décidés par le peuple2. Murray Bookchin qualifie de « stupide » le refus libertaire à la loi et au gouvernement.

Cette dernière différence est importante pour comprendre la distinction entre la pensée zadiste et le municipalisme libertaire. Murray Bookchin, contrairement aux zadistes, entreprend l'élaboration d'une théorie sociale qui a nécessairement une portée générale bien qu'elle doit permettre la mise en place d'un système qui respecte les spécificités locales .

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1 Ibid., p. 9.

2 Chapitre 1 et ZADISTE, « En quoi l'organisation de la vie..., Op.cit.

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L'opposition à la volonté universaliste du municipalisme libertaire

Pour Janet Biehl, le municipalisme libertaire se définit comme « le programme qui veut recréer et élargir le champ politique démocratique comme champ d'autogestion de la communauté »1. Murray Bookchin précise qu'il doit être le cadre d'une « société libératrice, enracinée dans l'éthique non hiérarchique d'une unité des diversités, de l'auto-éducation et autogestion, de la complémentarité de l'entraide »2. Il ajoute que l'autogestion doit exister dans les domaines économique, éthique et politique. L'autonomie des communes ou municipalités apparait comme un élément clé pour éviter la naissance d'un corps supérieur arbitraire. Les zadistes partagent ces idées d'autogestion et d'autonomie lorsqu'ils détaillent l'alternative au système qu'ils entendent mettre en place. Leur objectif est de s'organiser dans sans aucune délégation. Sur ces trois sujets, la pensée zadiste se retrouve dans municipalisme libertaire.

Murray Bookchin envisage une démocratie libertaire reposant sur deux éléments interdépendants : une structure qui peut être une ville, un quartier, une place ou encore un parc et d'une conscience qui leur donne l'impression d'appartenir à une communauté. Cette notion de communauté est « le point de départ »3 du municipalisme libertaire. La communauté est composée d'individus concentrés dans un « espace public » où la vie privée « s'efface » derrière la vie publique. Murray Bookchin parle de « commune ». Etant donné l'enjeu de constituer une société écologiquement saine et égalitaire, ces communes sont géographiquement limitées. Elles sont autonomes et permettent à chaque citoyen qui les constitue de prendre part directement au processus de décision en participant aux assemblées de citoyens. Ces dernières se réunissent à intervalle régulier, l'ordre du jour est défini à l'avance et le vote se fait à la majorité. Murray Bookchin ne rejette pas l'idée de décision prise au consensus mais il estime que le consensus ne peut fonctionner que dans un petit groupe dans lequel les individus se connaissent. Lorsqu'ils décrivent les assemblées générales du mouvement4, le Collectif Mauvaise Troupe reviennent sur l'importance de ces lieux ouverts d'expression pour les habitants de la Zad. Les zadistes mêlent l'utilisation d'outils d'éducations populaire à des modes de fonctionnements plus spontanés pour permettre à tout individu de pouvoir s'exprimer librement. Concernant le consensus, ils arrivent au même

1 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit., p.73.

2 BOOKCHIN Murray, Pour un municipalisme libertaire..., Op.cit., p.11.

3 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit., p.73.

4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées..., Op.cit., p.188

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constat que Murray Bookchin quant à sa difficulté à fonctionner dès lors qu'il s'agit d'un groupe important d'individu.

Murray Bookchin ne prévoit pas une multitude de communes vivant en autarcie. Pour Janet Biehl, la mondialisation rend impossible une « recomposition locale du pouvoir politique en de micro entités »1 car les relations économiques et politiques sont trop interdépendantes. De plus l'autonomie des communes pourrait conduire certaines à adopter des principes inégalitaires ou néfastes pour les hommes. Murray Bookchin reconnait la nécessité d'une forme d' « organisation inter municipale » sous la forme du confédéralisme. Cette forme conduit à la formation d'une grande entité formée de plus petites entités. Mais ces dernières gardent leur identité, leur souveraineté et leur liberté en se confédérant. Il n'y a pas de processus de délégation. S'il peut y avoir des mandats, ceux-ci seront obligatoirement impératifs. Les zadistes ne sont pas aussi catégoriques en ce qui concerne l'impossibilité d'une recomposition locale du politique et ils n'abordent pas la question d'une quelconque confédération.

Concernant l'économie, le municipalisme libertaire envisage une économie gérée par les citoyens de la communauté. La propriété est placée sous le contrôle général des citoyens. Ainsi, ils seraient tous « propriétaires collectivement des ressources économiques de leur communauté »2.

Sur les moyens d'actions pour parvenir au municipalisme libertaire, Murray Bookchin envisage certaines méthodes rejetées par les zadistes. La première est la volonté de participer aux campagnes électorales. Janet Biehl précise que cette participation doit se faire non en vue d'acquérir un siège mais comme un moyen d'éducation populaire au municipalisme libertaire3. Le candidat n'est plus l'individu mais l'idéologie. Il s'agit de profiter des de la campagne municipale comme d'une fenêtre de publicité pour présenter le l'idée d'une démocratie libertaire. Mais il ne faut pas se concentrer sur le succès électoral et éviter toute participation au pouvoir exécutif qui conduirait à l'institutionnalisation du mouvement et donc à sa métamorphose. Les zadistes critiquent la participation à des élections car elle revient à cautionner un système à combattre. Pour Janet Biehl, participer à une élection municipale « dans une optique municipaliste libertaire » revient à lutter contre l'Etat.

1 Ibid., p.109.

2 Ibid., p. 132

3 Ibid., p. 92.

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Un autre point de désaccord en les zadistes et la théorie de Murray Bookchin concerne l'utilisation des technologies. Dans le cadre du municipalisme libertaire, la technologie doit permettre d'accomplir à la place de l'Homme le travail qui l'aliène. Un des aspects principaux du socialisme libertaire pour Murray Bookchin est « l'abolition de l'usine par une technologie écologique et par le travail créatif »1. Il s'agit de réorienter la technologie à des fins de solidarités et de coopérations. Pour Janet Biehl, l'agriculture industrialisée est ainsi « souhaitable »2 et n'est nullement incompatible avec l'agriculture biologique. Les zadistes s'opposent à l'industrialisation de l'agriculture qui faciliterait la marchandisation de la nature. S'ils ne rejettent pas les nouvelles technologies en soit, ils se montrent méfiant vis-à-vis du mythe du progrès et la recherche perpétuelle de l'efficacité maximum3.

Enfin, une technique commune de lutte envisagée par Murray Bookchin et les zadistes concernent l'autodéfense. Le municipalisme libertaire envisage la formation d'un « milice »4 pour se protéger des attaques du système capitaliste. Les zadistes reconnaissent la nécessité de constituer une force pour en dernier recours « faire primer le bien commun sur l'intérêt privé »5. Mais la milice du municipalisme libertaire doit à terme remplacer l'armée et la police. Elle doit constituer une institution démocratique avec des officiers élus sous contrôle des assemblées de citoyens. Même en tant qu'institution démocratique, les zadistes n'envisagent pas la reconstitution d'une armée ou d'une police.

Finalement, les zads pourraient constituer un type de commune correspondant à celles imaginées par Murray Bookchin dans le cadre du municipalisme libertaire. Mais la pensée zadiste n'envisage pas un système politique à grande échelle. Elle ne constitue pas ce que Murray Bookchin qualifie de « théorie sociale ». Dans le texte Rencontre sur la Commune, les auteurs précisent que l'idée du slogan « zad partout » ne repose pas sur l'exportation du modèle type de Notre-Dame-des-Landes sur tout le territoire. Il s'agit d'exporter l'idée de communisation. Ils estiment de plus que la Commune n'est pas une « idéologie en ce qu'elle n'est pas un absolu universelle, mais une réalité pluriverselle, un archipel de mondes irréductibles et singuliers qu'il nous appartient de relier ». La zad, comme la commune, n'a pas une vocation universelle et c'est pour cette raison qu'elle ne peut être considérée comme une idéologie contrairement au municipalisme libertaire.

1 BOOKCHIN Murray, Pour un municipalisme libertaire..., Op.cit., p.29.

2 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit., p.73

3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées..., Op.cit., p.17.

4 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit., p.137.

5 ZADIST, « De la zad aux communaux, Op.cit..

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Conclusion

Notre présent mémoire visait à dresser l'esquisse d'une analyse des idées politiques de la pensée zadiste en comparant les zads à d'autres phénomènes politiques et en confrontant les idées à des idéologies qui nous apparaissaient proches. L'hypothèse principale de ce travail était que les zads, qui apparaissaient comme un ensemble hétérogène idéologiquement et sociologiquement, développaient une pensée politique cohérente. La première étape pour vérifier cette hypothèse fut de dresser la définition zadiste de la zad. Nous avons pu ainsi regrouper ses caractéristiques autour de trois grands pôles en utilisant les nombreuses sources primaires. Il existe une cohérence entre les zads concernant la critique du système capitaliste actuel et la volonté de mettre en place une alternative qui reposerait sur des valeurs de complémentarité, de partage et de créativité. De plus les zads adoptent une position commune quant aux différentes techniques de lutte en combinant la lutte violente et non-violente. Enfin les zads s'inscrivent également dans un réseau. Elles constituent un réseau dans le réseau contre les Grands Projets Inutiles et Imposés. La seconde étape fut guidée par une de nos intuitions premières à savoir des liens de « filiation » entre les zads et les mouvements altermondialistes comme la lutte du Larzac. Cette intuition s'est révélée en partie fausse étant données les différences fondamentales entre les deux phénomènes tant en terme de lutte que d'organisation. Enfin la dernière étape de vérification a été de vérifier la place des zads dans la classification idéologique. Nous avons délibérément retenu deux idéologies particulières : l'idéologie développée par le Comité Invisible et le municipalisme libertaire. Le premier choix fut guidé par des comparaisons que nous avons pu lire ou entendre dans les champs politiques et médiatiques. Le deuxième choix fut plus d'ordre personnel en raison de notre intérêt pour le municipalisme libertaire. La vérification de ces hypothèses nous a conduit à estimer que la pensée politique zadiste n'est pas une idéologie car elle ne constitue pas « l'ensemble structuré de représentation du monde social » comme le définit Philippe Braud1. Bien qu'elle repose sur des croyances et qu'elle vise à légitimer une certaine forme de pouvoir, elle refuse de fournir une explication du social et du politique à vocation universel.

Ce travail ne peut prétendre à l'objectivité la plus complète bien que nous nous sommes toujours efforcés, dans la mesure du possible, à retranscrire la pensée des acteurs et

1 BRAUD Philippe, Sociologie Politique..., Op.cit..

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des auteurs dans leur intégralité. Nous estimons que toute recherche scientifique est guidée par des choix. L'important est de les préciser.

Enfin, nous ne prétendons pas établir une étude exhaustive de la pensée politique zadiste. Nous espérons, en toute humilité, apporter quelques éléments de réflexion sur un objet très peu étudié en science politique. Ce travail apparaît dès lors comme une esquisse qu'il est possible d'améliorer.

Premièrement, l'étude des sources primaires nécessiterait un travail sur un plus long terme en raison de leur multitude et de la difficulté de les synthétiser. Si travailler sur la pensée zadiste en étudiant les différentes zads reste intéressant, il serait également pertinent de ne se focaliser que sur l'étude d'une seule zad pour établir un travail de recherche plus précis et plus élaboré. Le risque est dès lors celui de travailler sur un sujet nouveau et de tomber dans la simple monographie sans vertu explicative.

Deuxièmement, il serait intéressant d'adopter une approche interdisciplinaire pour traiter ce sujet. L'interdisciplinarité doit permettre d'articuler les connaissances acquises pour livrer une analyse d'avantage révélatrice des multiples enjeux de ce phénomène. Ainsi le recours à la sociologie tourainienne et la production d'entretien combinées à une observation participante pourrait améliorer notre perception de la pensée politique zadiste. Il s'agit moins de confronter les analyses à la réalité que d'élargir nos connaissances afin de mieux comprendre cette pensée.

Troisièmement, nous pensons qu'un travail de recherche pourrait être entièrement consacré à la place des zads dans les nouveaux mouvements de contestations sur le plan international. La mise en réseau assez récente de tous ces mouvements évolue parallèlement au processus de métropolisation qui dépasse les frontières du monde occidental.

Finalement, cette tentative d'analyse de la pensée politique zadiste a amené bien plus de questions qu'elle n'en a résolues. C'est peut être bien là tout l'enjeu de la recherche, répondre à des interrogations par d'autres interrogations.

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Bibliographie

Bibliographie primaire

Ouvrage :

- CAMILLE Le petit livre des grands projets inutiles, édition Le Passager Clandestin, Neuvy-en-Champagne, 2015.

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- COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Constellations : Trajectoires révolutionnaires du jeune 21ème siècle, Paris, L'éclat, 2016.

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92

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http://www.franceculture.fr/emissions/terre-terre [réf. 8 juillet 2016]. Articles de presse :

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93

Table des matières

Avant-propos 3

Introduction 5

Les zads et leurs définitions 7

Cadre méthodologique et limites du sujet. 9

Première Partie : Définir la zad : 14

Chapitre 1 : Une vision alternative du monde à défendre et à expérimenter : 15

Critique d'un modèle capitaliste usé et imposé 15

Promotion d'un modèle autogestionnaire et autonome : 19

Chapitre 2 : S'émanciper du système contesté par la lutte : 23

Une combinaison entre lutte légale et lutte légitime. 23

Une cohabitation délicate entre le recours à la violence et à la non-violence : 26

Chapitre 3 : Le refus d'adopter une définition stricte de la zad 31

La mise en avant de principes partagés 31

Penser la zad dans le réseau d'opposition au Grands Projets Inutiles et imposés 34

Deuxième Partie : Comprendre les zads aux regardes d'autres phénomènes politiques passés et

contemporains 38

Chapitre 4 : Une résurgence du Larzac ? 39

Le Larzac et les zads : des luttes locales et des réflexions globales. 39

« O tempora, O mores » : Le Larzac, lieu historique de l'écologie et de la non-violence 43

Chapitre 5 : Les Zads et les luttes altermondialistes : 47

Les zads par rapport à la définition de l'altermondialisme. 47

Les zads dans la mouvance altermondialiste radicale : un renouveau dans la lutte

altermondialiste. 51

Chapitre 6: Le No-TAV et les zads : deux modèles singuliers des mouvements membres du réseau

contre les Grands Projets inutiles et Imposés. 54

De la contestation d'un monde aux modes de lutte : les ressemblances indéniables du No-TAV et

des zads 55

Le mouvement No-TAV unique par son processus de construction historique. 58

Troisième partie : Du phénomène à la pensée politique : une classification idéologique complexe 61

Chapitre 7 : Une écologie politique sociale et révolutionnaire et anthropocentrée : le rejet du

capitalisme vert et du retour en arrière : 62

Défendre la nature en luttant pour la liberté de l'Homme 62

Inventer un nouveau modèle, le refus du retour en arrière : 66

Chapitre 8 : Les zadistes et le comité invisible : un constat de la crise similaire mais une approche

révolutionnaire radicalement différente. 70

Le constat d'une société de crises : 70

De la destitution de l'Etat à la « levée de communes » 73

94

Chapitre 9 : Les zads et la perspective municipale libertaire. 77

La zad et le municipalisme libertaire : deux pensée fondées sur une critique similaire du

système. 77

L'opposition à la volonté universaliste du municipalisme libertaire 81

Conclusion 84

Bibliographie 86

Bibliographie primaire 86

Bibliographie secondaire : 89

Table des matières 93

Annexes 95

Annexes 1 : La « Charte de Tunis » 95

Annexe 2 : Extrait de « A propos du mépris de classe sur la zad » 97

Annexe 3 : Les six points contre l'aéroport : 98

Annexe 4 : Chanson No-TAV Sara Düra 99

95

Annexes

Annexes 1 : La « Charte de Tunis »

Nous, citoyennes et citoyens, associations et mouvements en lutte contre des Grands

Projets Inutiles Imposés,

Nous constatons que :

ces projets constituent pour les territoires concernés un désastre écologique, socio-économique et humain : destruction de zones naturelles, de terres agricoles et du patrimoine bâti, nuisances et dégradation de l'environnement avec des impacts négatifs importants pour les habitants,

ces projets n'intègrent jamais la participation effective de la population à la prise des décisions, et la privent de l'accès aux medias,

face au profond désaccord social que ces projets suscitent, les gouvernements et les administrations agissent dans l'opacité et traitent avec mépris les arguments et propositions des citoyens,

la justification officielle de la réalisation de ces nouvelles infrastructures et équipements se fait systématiquement sur des hypothèses fausses d'évaluation coûts/bénéfices et de création d'emplois,

la priorité octroyée aux grands équipements se fait au détriment des besoins locaux,

ces projets s'inscrivent dans une logique de concurrence exacerbée entre les territoires et impliquent une fuite en avant vers toujours « plus grand, plus vite, plus coûteux, plus centralisateur »,

le système économique libéral qui domine le monde est en crise profonde, les Grands Projets Inutiles Imposés sont un des instruments qui garantissent des profits exorbitants aux grands groupes industriels et financiers, civils et militaires, désormais incapables d'obtenir des taux de profits élevés sur des marchés globaux saturés,

la réalisation de ces projets inutiles, toujours à charge des budgets publics, produit une énorme dette, ne génère aucune reprise économique, concentre la richesse et appauvrit les sociétés,

ces grands projets permettent au capital prédateur d'augmenter sa domination sur la planète, portant ainsi des atteintes irréversibles à l'environnement et au bien-être des peuples,

les mêmes mécanismes qui endettent les Pays les plus pauvres depuis la fin de la colonisation directe sont maintenant utilisés aussi dans les Pays occidentaux.

Nous contestons :

la logique de concentration géographique et fonctionnelle qui ne permet pas un développement local équitable, et les mécanismes qui détruisent la survie des petites et

moyennes entreprises et le système économique local,

les équipements surdimensionnés liés à la production d'énergies non renouvelables, la construction de barrages gigantesques, dont les techniques entraînent une forte pollution

des sols, de l'eau, de l'air, des fonds marins et la disparition de territoires entiers, compromettent la survie des générations futures,

les modes de financement de ces projets qui génèrent des profits exorbitants, garantis par la mobilisation de l'argent public assortis de montages juridico-financiers scandaleux, au

bénéfice d'entreprises dont les actions de lobbying interviennent dans la prise de décisions politiques, voire dans l'obtention de mesures d'exception pour évacuer toutes les

96

contraintes juridiques,

le soutien apporté à ces projets par les différents niveaux de structures politiques, locales, nationales, supranationales et les institutions financières mondialisées qui s'opposent ainsi aux droits, aux besoins et à la volonté des peuples,

la militarisation des territoires et la criminalisation des oppositions.

Nous affirmons que des solutions sont à chercher dans :

l'entretien et l'optimisation des infrastructures existantes qui sont, dans la plupart des cas, une solution alternative avec moins de nuisances et de coûts, la construction de nouvelles infrastructures ne devant répondre qu'à l'impératif de l'utilité publique et non du profit,

la transformation profonde du modèle économique et social aujourd'hui en profonde crise, en faisant notamment de la proximité et de la relocalisation de l'économie, de la protection des terres agricoles, de la sobriété énergétique et de la transition vers les énergies renouvelables décentralisées, nos priorités,

la restitution de la capacité de décision aux populations directement concernées, fondement d'une authentique démocratie et autonomie locale face à un modèle de développement imposé, au moyen de propositions législatives adaptées,

de nouvelles relations entre les peuples au sud comme au nord, des relations de solidarité qui rompent définitivement avec la logique de domination et d'impérialisme.

Nous affirmons notre solidarité dans la lutte contre tous les Grands Projets Inutiles et Imposés et notre volonté commune de nous réapproprier notre monde.

Cette déclaration a été élaborée par des associations et mouvements qui luttent contre la construction de grands projets d'infrastructures (transport de personnes ou de marchandises, production d'énergie) ou d'équipements (tourisme, urbanisme, militaire) réunis aujourd'hui au FSM de Tunis pour unir leurs forces et mieux faire entendre leurs voix, les problématiques étant partout les mêmes.

Source : CAMILLE Le petit livre des grands projets inutiles, édition
Le Passager Clandestin, Neuvy-en-Champagne, 2015.

97

Annexe 2 : Extrait de « A propos du mépris de classe sur la zad »

D'un côté, des gens bien placé.e.s dans cette lutte qui veulent pas se reconnaître comme tel.le.s... Commençons par celleux que nous appellerons « petit-e-s bourgeois-e-s ». Bah, déjà, c'est beaucoup les « anciennes squatteuses » et « anciens squatteurs », celles qui sont là plus ou moins depuis le début du mouvement d'occupation, ou ceux qui ont rejoint en cours de route et se sont retrouvés camarades et potes. C'est aussi tous les liens qui ont étés créés ici avec des gens « du coin » depuis un bout de temps : avec les habitant.e.s de longue date, avec les autres composantes de la lutte, plus récemment avec les nouvelles bandes de paysan.ne.s qui passent du temps ici, etc. C'est un peu l'image des « bon.ne.s squatteur.euse.s » : celles qui sont « intégrées », qui sont potes avec les habitants d'avant les occupations, ceux qui sont considérés comme des interlocutrices crédibles par les fameux « historiques » de la lutte : ADECA, ACIPA, Coordination. Parmi les personnes qui se sentent incluses dans ce « groupe », on retrouve différents éléments (ce qui ne veut pas dire que chacune des personnes rempli tous les critères) : plutôt des personnes issues de classes moyennes ou intellectuelles, ayant souvent fait des études universitaires, habituées à s'organiser en réunions ultra-formelles, avec ordre du jour, modération, tour de parole et tout le bordel. Tout le monde vient pas forcément de là, mais en tout cas les gens qui se sentent à l'aise dans ce groupe sont celles qui se sont intégrées dans ces codes. On peut mettre aussi dans ce « groupe » les habitant.e.s de longue date, les autres composantes de la lutte citées plus haut et plus récemment les nouvelles bandes de paysan.ne.s qui passent du temps ici. Bref, des gens qui ont une grosse légitimité, due à leur « ancienneté » ou leurs liens avec la terre parce qu'ils/elles la travaillent (et que c'est quand même quelque chose de valorisé dans cette lutte). Dans ce « groupe », y'a aussi pas mal de moyens matériels, de ressources économiques : des outils, des véhicules, de la thune, des lieux de vie avec connexion internet, des tracteurs, des réseaux d'entraide matérielle développés, etc. Ça peut être aussi des gens qui viennent de classes possédantes, qui ont du patrimoine, qui peuvent avoir la famille derrière (qui a payé des études, un permis de conduire, qui pourra aider financièrement en cas de coup dur), etc...

SOURCE : extrait de ZADIST, « A propos du mépris de classe
sur la zad », zad.nadir.org [en ligne], le 23 juillet 2013 ;
URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article1798.

98

Annexe 3 : Les six points contre l'aéroport :

Nous défendons ce territoire et y vivons ensemble de diverses manières dans un riche brassage. Nous comptons y vivre encore longtemps et il nous importe de prendre soin de ce bocage, de ses habitant-e-s, de sa diversité, de sa flore, de sa faune et de tout ce qui s'y partage.

Une fois le projet d'aéroport abandonné, nous voulons :

1. Que les habitant-e-s, propriétaires ou locataires faisant l'objet d'une procédure d'expropriation ou d'expulsion puissent rester sur la zone et retrouver leurs droits.

2. Que les agriculteurs-ices impacté-e-s, en lutte, ayant refusé de plier face à AGO-VINCI, puissent continuer de cultiver librement les terres dont il-elles ont l'usage, recouvrir leurs droits et poursuivre leurs activités dans de bonnes conditions.

3. Que les nouveaux habitant-e-s venu-e-s occuper la ZAD pour prendre part à la lutte puissent rester sur la zone. Que ce qui s'est construit depuis 2007 dans le mouvement d'occupation en terme d'expérimentations agricoles hors cadres, d'habitat auto-construit ou d'habitat léger (cabanes, caravanes, yourtes, etc), de formes de vies et de luttes, puisse se maintenir et se poursuivre.

4. Que les terres redistribuées chaque année par la chambre d'agriculture pour le compte d'AGO-VINCI sous la forme de baux précaires soient prises en charge par une entité issue du mouvement de lutte qui rassemblera toutes ses composantes. Que ce soit donc le mouvement anti-aéroport et non les institutions habituelles qui détermine l'usage de ces terres.

5. Que ces terres aillent à de nouvelles installations agricoles et non agricoles, officielles ou hors cadre, et non à l'agrandissement.

6. Que ces bases deviennent une réalité par notre détermination collective. Et nous porterons ensemble une attention à résoudre les éventuels conflits liés à leurs mise en oeuvre.

Nous semons et construisons déjà un avenir sans aéroport dans la diversité et la cohésion. C'est à nous tout-e-s, dès aujourd'hui, de le faire fleurir et de le défendre.

SOURCE : COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Défendre la ZAD, L'éclat, Paris, 2014

99

Annexe 4 : Chanson No-TAV Sara Düra

Sara Dürà Ce sera dur

(sur un air traditionnel)

Succede un po' dovunque, qualcuno che decide Ça arrive un peu partout, quelqu'un qui

décide

Di noi, della natura, come una cosa sua Pour nous, pour la nature, comme si c'était à lui

Valsusa l'ha capito, Valsusa non ci sta. Val Susa l'a compris, Val Susa n'est pas

d'accord.

Il treno di Lunardi veloce fa paura Le train rapide de Lunardi fait peur

Distrugge la vallata, inquina l'aria pura Il détruit la vallée, pollue l'air pur

Dilaga la follia di gente ingorda e distruttrice Il propage la folie de gens avides

et destructeurs

Gridando sarà düra ! En criant ça sera dur !

Non li vogliamo più ! Nous ne les voulons plus !

Sul ponte del Seghino non passa il celerino, Sur le pont de Seghino le CRS ne passe pas,

allerta Valsusino ! Se portan le trivelle Alerte, Valsusain ! Ils amènent les foreuses

di tutta la Valsusa una barriera noi faremo De tout le Val Susa nous ferons une barrière

Gridando sarà düra ! En criant ce sera dur !

Non torneranno più ! Ils ne reviendront plus !

All' 8 di dicembre, a Garda l'han giurato Le 8 décembre, ils ont juré à Garda

Alzando i fucili, i nostri partigiani, Levant les fusils, nos résistants

E' l' 8 di dicembre, oggi si lotta come allora C'est le 8 décembre, aujourd'hui on lutte

comme hier

Gridando sarà düra ! En criant ce sera dur !

Venaus riprenderemo ! Nous reprendrons Venaus !

Ci dicono : è il progresso ! Ils nous disent : c'est le progrès !

Ma noi ben lo sappiamo Mais nous le savons bien

Che questa è distruzione, per sete di profitto, Que c'est la destruction, par soif de profit,

e dalle barricate e dai presidi lotteremo ! Et sur les barricades et dans les presidi

nous lutterons !

Gridando sarà düra ! En criant ça sera dur !

Valsusa salveremo ! Nous sauverons le Val Susa !

SOURCE : COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées de la

zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans le Val Susa, Paris, L'éclat, 2016, p.135

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard