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Les zones a defendre: d'un mouvement de contestation sociale à un nouveau courant de pensée politique

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par Antoine Vieu
Université de Bordeaux - Master 2 2016
  

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Chapitre 6: Le No-TAV et les zads : deux modèles singuliers des mouvements membres du réseau contre les Grands Projets inutiles et Imposés.

« Qui se bat contre l'aéroport et son monde peut se reconnaître aussi dans le mouvement No-TAV ». 1 C'est dans un tract diffusé lors d'une manifestation à Nantes contre le projet d'aéroport que ces lignes ont été écrites. Le tract revient plus généralement sur l'histoire du No-TAV et le compare à Notre-Dame-des-Landes.

Pour Philippe Subra, le combat du No-TAV présente « le plus de similitude »2 avec les zad. C'est un conflit long, mobilisateur et qui connait des passages de violences. Si ces similitudes sont incontestables, il est important d'étudier en détail ce conflit pour mieux comprendre les ressemblances mais aussi les différences avec les zads et les rapports qu'ils entretiennent.

Le TAV signifie treno ad alta velocità c'est-à-dire Train à Grande Vitesse. Le projet de construction d'une deuxième ligne de train entre Lyon et Turin date de 1990. Ce projet implique de grands chantiers d'aménagement dans la Vallée de Suse, vallée alpine au Nord-Est de l'Italie. Les premières contestations donnent lieu à la création du comité Habitat le 15 décembre 1991 qui doit sensibiliser les habitants de la vallée aux méfaits du TAV. La première manifestation a lieu le 2 mars 1996 dans la vallée et rassemble 4 000 personnes environ. Le 26 novembre de cette même année, des sabotages ont lieu dont l'incendie du matériel ferroviaire dans la vallée. Edoardo Massari, Maria Soledad Rosa et Sivano Peissero, trois militants anarchistes, sont arrêtés et poursuivis pour ces actes en 1998. Quelques jours après, Edoardo Massari se suicide en prison et Maria Soledad Rosa en liberté surveillée. Ces suicides vont engendrer une vaste campagne de soutien. D'abord méfiants à l'égard des anarchistes, les habitants de la vallée rejoindre le mouvement. Le 28 mars 1998, 10 000 personnes environ manifestent à Turin en soutien à Edoardo. Les deux seront innocentés par la suite. La lutte va alors continuer à s'ancrer peu à peu dans la vallée3. Pour Anahita Grisoni, c'est en 2005 lors des travaux sur le site de la Maddalena que la lutte va prendre un « médiatique national et

1 ZADIST, « Solidarité avec la lutte No-TAV », zad.nadir.org [en ligne] le 16 mars 2014 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article2311 [réf. 8 juin 2016].

2 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p. 77.

3 Pour une chronologie des faits : COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.389395.

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urbain »1. Des blocages aux grandes manifestations en passant par des grèves générales, différents moyens de lutte vont être exploités.

De la contestation d'un monde aux modes de lutte : les ressemblances indéniables du No-TAV et des zads

Les premières raisons de contestation de ce grand projet d'aménagement ont d'abord été d'ordre écologique. La construction du tunnel dans les roches provoquerait la libération de particules d'amiantes et d'uranium. Mais la critique s'est vite portée sur la nature politique et économique du projet. Pour Emiliana Armano, Gian Luca Pittavino, et Raffaele Sciortino auteurs de « Occupy in Valsusa »2, il ne s'agit pas d'une simple « reddition du mouvement environnementaliste ». Le mouvement No-TAV s'oppose à la logique néolibérale des grands projets d'aménagements. Comme nous l'avons vu pour les zads3, le mouvement No-TAV développe sa critique autour de l'économie capitaliste actuelle - véritable désastre écologique et social- de la suprématie de l'Etat et de la centralisation du pouvoir.

Pour les auteurs de « Occupy in Valsusa », le mouvement No-TAV s'est d'abord intéressé à l'aspect financier du projet. Les opposants vont dénoncer la privatisation des projets d'aménagement public qui s'inscrit dans une démarche néolibérale à partir du moment où les investissements sont à la charge de l'Etat qui va attribuer les travaux à des entreprises privées sans appel d'offre. Ce processus génère de grands profits à moindre coût pour les grands groupes privés. Pour les auteurs, ce « modèle de privatisation des profits et de socialisations des coûts » se retrouve dans les grands scandales de corruption des années 1990 en Italie4. Il s'agit d'une critique de la marchandisation des biens communs. Pour Mimmo5, ancien cheminot de 69 ans et opposant au projet, la lutte lui a permis d'acquérir « certaines valeurs » et développer un regard critique sur l'économie. Si le projet du TAV permet de lutter contre le chômage dans la vallée, Mimmo répond que « l'économie n'est pas une justification ».

1 GRISONI Anahita, « Les Grands Projets Inutiles et Imposés (GPII) à l'avant-garde de la ruralité » dans Mouvement n°84, 2015, p.4.

2ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO Raffaele Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, « Occupy in Valsusa, Pratiques sociales et lutte du mouvement NO-TAV », dans Multitudes n°50, 2012.

3 Chapitre 1

4 ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO Raffaele Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, « Occupy in Valsusa..., Op.cit., p.156.

5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Mimmo du Nucleo Pintoni Attivi », constellations.boum [en ligne] ; URL : https://constellations.boum.org/spip.php?article122 [réf. 17 avril 2016].

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L'autre critique porte sur la légitimité de l'Etat et plus particulièrement de ses décisions. Le problème de la représentation et des conflits d'intérêts ressort. L'Etat est vu comme le « sponsor et le financier de la marchandisation accrue du territoire ». Dans la rhétorique des opposants, si l'Etat avait agi dans l'intérêt des gouvernés, il n'y aurait pas eu ce projet d'aménagement1. Les décisions de l'Etat, si elles restent légales, ne sont plus légitimes pour les opposants qui vont exercer « leur droit à la résistance ». Ainsi, suite à la destruction d'une génératrice sur un chantier en 2013, le mouvement se positionne et assume publiquement cette pratique de sabotage selon le collectif Mauvaise Troupe2.

De la même manière que pour les zads, les opposants No-TAV proposent, outre des actions pour empêcher la construction, une alternative au système dominant. En ce qui concerne le techniques de lutte, il faut distinguer celles légales et celles illégales. De grandes journées de mobilisation et de manifestations sont organisées sur la vallée. Depuis le début de la lutte, les opposants continuent à diffuser leurs positions et leurs inquiétudes en utilisant leurs moyens de communications (Radio No-TAV, Radio Libera Maddalena...). Ils achètent collectivement des terres destinées au projet. Contestant la légitimité du projet, les opposants n'hésitent pas à recourir à des actions parfois violentes pour empêcher la construction des travaux. Ils occupent ainsi les chantiers, bloquent les axes de circulations, détruisent le matériel de construction ou affrontent les forces de l'ordre en installant des barricades. En 2005 par exemple, les opposants empêchent une foreuse d'accéder au terrain. Ils construisent à la place un Presidio (cabane construite sur les chantiers pour se rassembler et les occuper physiquement). En 2005 et en 2011 ils constituent les « Libres Républiques de Venaus et de la Maddalena » qui durent chacune neuf et trente jours. D'après les occupants3 ce sont des terrains occupés sur lesquels l'Etat Italien n'avaient plus aucune autorité et ou étaient organisés des espaces d'autonomie et d'auto-organisation. Ces Libres Républiques matérialisaient l'alternative au système dominant qu'ils prônaient.

De même que sur les zads, le recours à violence est débattu par les opposants et semble faire consensus lorsqu'il s'agit de « défendre » la vallée. Ainsi, d'après certains témoignages4, lors des manifestations à Venaus, les pierres jetées n'étaient pas que l'oeuvre de « jeunes activistes » mais aussi de plusieurs habitants âgés de la Vallée. Emilio poissonnier

1 ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO Raffaele Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, « Occupy in Valsusa..., Op.cit., p.156-157.

2COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.329.

3 Ibid., p.260-264.

4 Ibid., p.105-105.

de 60 ans et habitant de la vallée, explique que la violence peut être légitime pour égaliser le rapport de force face à celle de l'Etat, «l' ennemi très fort »1. Enfin, concernant la violence, le 13 et 14 mai 2013, des opposants sont entrés illégalement sur un chantier, incendiant et détruisant du matériel et des équipements. Le 9 décembre, quatre opposants sont arrêtés pour ces destructions. Le 10 mai 2014, une grande manifestation de soutien est organisée à Turin avec pour slogans : Quella notte c'eravamo tutti (ce soir-là, nous étions tous présents) ou Siamo tutti colpevolidi resistere2 (nous sommes tous coupables de résister).

Pour Anahita Grisoni, les opposants de la Vallée vont mettre en place un mode de vie alternatif reposant sur les circuits courts et l'économie sociale et solidaire3. Ce mode de vie apparait comme une « résistance quotidienne ». Pour illustrer son propos, elle décrit le réseau Etinomia qui est « un réseau d'entreprise mettant en lien les consommateurs et les producteurs de la vallée de Suse ». Mais pour les auteurs de « Occupy in Valsusa », le mode de vie alternatif va encore plus loin que la remise en cause du système capitaliste de consommation. C'est une recherche d'autonomie politique et d'une « démocratie réelle, effective et auto-organisée »4. Une assemblée populaire se réunit ainsi tous les cinq mois pour décider de la suite du mouvement. Tout le monde peut y participer. Les propositions de décisions sont débattues au préalable au sein des comités No-TAV existant dans les villes eux-aussi ouvert à tous. Mais pour Mimmo, la prise de décision n'est pas figée. Lorsque deux propositions font débat, les membres de l'assemblée cherchent « à unir les deux idées »5.

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1 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Emilio le poissonnier », constellations.boum [en ligne] ; URL : https://constellations.boum.org/spip.php?article118 [réf. 17 avril 2016], p26.

2No-TAV info, « Quella notte c'eravamo tutti ; tutti siamo Chiara, Claudio, Mattia e Niccolò », notav.info [en ligne] le 5 octobre 2014 ; URL : http://www.notav.info/post/quella-notte-ceravamo-tutti-tutti-siamo-chiara-claudio-mattia-e-niccolo/ [réf. 7 juin 2016].

3 GRISONI Anahita, « Les Grands Projets Inutiles..., Op.cit., p.5.

4 ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO Raffaele Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, « Occupy in Valsusa..., Op.cit., p.157.

5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.183.

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