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Les zones a defendre: d'un mouvement de contestation sociale à un nouveau courant de pensée politique

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par Antoine Vieu
Université de Bordeaux - Master 2 2016
  

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Une cohabitation délicate entre le recours à la violence et à la non-violence :

Dans Théorie de la Justice, John Rawls reprend les critères de Hugo Adam Bedau pour définir la désobéissance civile : « acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener à un changement dans la loi ou bien la politique du gouvernement »4. Il affirme ensuite sa nature non-violente car les

1 Ibid., p. 37.

2 Ibid., p.191.

3 ZADIST, « Invitation à des rencontre sur la commune », zad.nadir.org [en ligne] le 22 mai 2016 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3778 [réf. 25 mai 2016].

4 RAWLS John, Théorie de la justice, Paris, Seuil, 1997 [1987], p. 405.

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individus qui l'utilisent le font en étant « fidèle à la loi »1. En d'autres termes ils agissent pour défendre les grands principes qui régissent les sociétés démocratiques. Pour John Rawls, les individus doivent être prêts à assumer leurs actes devant la justice dans le cadre de la désobéissance civile.

Mais John Rawls reprend aussi la définition de l'historien Howard Zinn, qu'il qualifie de trop large pour son analyse sans pour autant la rejeter. Il s'agit alors d'une « violation délibérée et judicieuse de la loi au nom d'une cause sociale et vitale »2. Howard Zinn n'utilise pas les critères de violence et d'acte public pour la définir. Dans Désobéissance civile et démocratie, il s'interroge sur la primauté de la justice face à la loi. Il explique que la loi peut très bien être injuste et qu'il faut lutter contre « l'obéissance aveugle aux lois injustes »3. Quant à la pertinence d'assumer la responsabilité de ses actes, Howard Zinn réfute l'argumentaire des libéraux selon lequel par exemple Martin Luther King aurait accepté d'aller en prison pour rester dans le cadre de la désobéissance civile. Pour Howard Zinn, s'il accepte d'être incarcéré, c'est avant tout dans l'optique de populariser sa lutte.

Les actions des zadistes peuvent parfois être catégorisées comme désobéissances civiles au sens d'Hugo A. Bedau et John Rawls mais il arrive souvent que ces actions soient anonymes et violentes et coïncident plus avec la définition d'Howard Zinn. Une question se pose dans le cadre de la contestation zadiste : peut-on en étant non-violent et lutter aux côtés de personnes violentes ? Cette question a été au coeur de nombreuses réflexions zadistes comme nous allons le voir.

Premièrement, pour les zadistes, le terme de « violence » a été accaparé par l'Etat. Lui seul détient le monopole de la violence légitime et de ce fait, toute autre personne qui aurait recours à la violence serait illégitime dans son action. Ainsi, l'Etat aurait recours à ce terme pour diviser les composantes de la lutte en qualifiant l'action d'un groupe de « violente » ce qui la rend illégitime et illégale. La perte de légitimité a des conséquences négatives sur l'image des zads. Le collectif Mauvaise Troupe utilise l'exemple de « l'affaire de la chemise arrachée »4 pour illustrer ce constat. Le Premier Ministre Manuel Valls parle de « l'oeuvre des voyous » quand le chef de l'opposition Nicolas Sarkozy fait référence à la Terreur de 1793. Il

1 Ibid., p.407.

2 Ibid., note 19 p.405.

3 ZINN Howard, Désobéissance civile et démocratie, Marseille, Agone, 2010, p. 179 et s.

4 Le 27 mai 2016, une centaine de salariés d'Air France avait pris violemment à parti le directeur des ressources humaines et certains lui ont arrachés la chemise après l'annonce de la suppression de 2.900 emplois.

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ne sera jamais question de la violence des licenciements que vont subir les individus. Le collectif parle « d'opération langagière »1 par laquelle la grève devient la « prise d'otage des usagers » ou le sabotage un « acte de terrorisme ». Mais outre le fait de rendre impopulaire les luttes, ces éléments de langage entraînent le durcissement des poursuites judiciaires. Le collectif conclut qu'il est essentiel de se réapproprier l'usage de ce terme car l'abandonner revient à « s'ôter le droit au conflit »2.

Cette réappropriation s'inscrit dans la logique zadiste de contestation de l'Etat. S'ils ne lui reconnaissent pas le monopole de la violence physique, alors il est pour eux légitime voire morale de lui opposer une certaine violence. Pour Philippe Subra, elle peut être « défensive » lorsqu'il s'agit de protéger le territoire occupée ou « offensive » lors de manifestations à l'extérieur de la zad. Elle s'exprime par la confrontation physique avec les forces de l'ordre ou la destruction de biens immobiliers, symboles du capitalisme (agences bancaires, local politique, publicités...)3. Pour l'auteur, ce recours à la violence défensive est une « condition de survie » pour la zad car elle rend son évacuation beaucoup plus difficile par les forces de l'ordre. Lors de la tentative d'évacuation de la Zad de Notre-Dame-des-Landes durant de l'opération César en octobre 2012, la violence des affrontements et ces conséquences dans le champ médiatique ont contraint le gouvernement à mettre un terme à l'opération. De même, la mort de Rémi Fraisse a entrainé le gel du projet d'aménagement du barrage de Sivens.

Le collectif Mauvaise Troupe tire la même conclusion de l'opération César. La diffusion par les médias de vidéos et d'images relayant les affrontements violents entre zadistes et forces de l'ordre n'a pas eu l'effet habituel de stigmatiser les manifestants mais au contraire a suscité de la sympathie pour les zadistes - en témoigne l'ampleur de la manifestation de réoccupation le 17 novembre 20124. Le collectif estime que cet effet inhabituel est dû à l'ancrage du mouvement dans le paysage politique et à la « détermination commune de tous qui a transcendé les diverses pratiques »5.

Un dernier élément doit être pris en compte pour bien comprendre le rapport qu'entretiennent les zadistes avec la violence. Il s'agit de la violence utilisée par les opposants aux zads, donc ceux favorables aux grands projets d'aménagement. Ainsi à Sivens comme à

1 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.319.

2 Ibid., p.321.

3 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p. 65-66.

4 13 500 personnes selon la préfecture, 40 000 selon les manifestants.

5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.321.

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Roybon1, les zadistes fustigent la violence employée contre eux par les partisans au projet. L'utilisation de la violence est légitime si elle permet d'égaliser le rapport de force entre deux groupes. Dans le cadre des opposants et défenseurs aux projets, les zadistes ne se considèrent pas supérieur en termes de force et le recours à la violence n'est donc pas légitime.

Si la tentative d'évacuation de la Zad de Notre-Dame-des-Landes a suscité de la sympathie, c'est du selon les zadistes à la participation de toutes les composantes de la lutte dans la défense des zones occupées. Dans un entretien publié par Constellations.boum, Marcel, un paysan qui habite sur la Zad, témoigne de l'utilité de la violence défensive et de la participation de tous2. Ainsi, l'ADECA (Association de Défense des Exploitants Concernés par l'Aéroport) décide de participer à la manifestation illégale du 17 novembre 2012 ce qui, selon Marcel, « n'est pas dans sa pratique »3. Il explique que les paysans ont utilisé les mêmes modes de lutte que les squatteurs4.

Dans un autre témoignage, Jasmin qui se dit non-violent, explique que s'il ne se sent pas investi, comprend les actions violentes5. Cela ne l'empêche en rien de pratiquer ses actions non-violentes. Pour les zadistes, il faut que les individus acceptent la cohabitation des pratiques pour que le mouvement soit efficace. La lutte est le fruit de diverses composantes qui ne doivent pas se diviser si elles veulent gagner. Philippe Subra explique que la frontière entre violence et non-violence n'est pas figée. Un militant non-violent peut, sur la zad, participer à une action violente6.

La cohabitation va se révéler plus difficile lorsqu'il s'agit de violence en dehors de la zad. Plusieurs exemples permettent d'expliquer ces difficultés. Le premier concerne la manifestation du 24 mars 2012 organisée par les opposants au projet d'aéroport. Le collectif Mauvaise Troupe a diffusé plusieurs entretiens concernant l'organisation de la manifestation et le bilan à en tirer.7 Selon ces entretiens, les assemblées préparatoires ont permis à chaque groupe de débattre sur les actions qu'il voulait mener. Les partisans du recours à la violence expliquent que ces débats leurs ont permis d'inventer des nouvelles formes d'expression afin

1 ANONYME, « Adresse aux défenseurs du projet de construction d'un Center Parcs à Roybon suite aux violences commises en leur nom », grenoble.indymedia.org [en ligne], le 4 mars 2015 ; URL : https://grenoble.indymedia.org/2015-03-04-Adresse-aux-defenseurs-du-projet [réf. 20 mai 2016].

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Marcel, paysan indéracinable », constallations.boum.org [en ligne] ; https://constellations.boum.org/spip.php?article126 [réf. 17 avril 2016].

3 Ibid., p.26.

4 Ibid., p. 29.

5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.168.

6 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p. 66.

7 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.173-176.

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de concilier les visions de chacun. Ainsi pour Raoul, cette manifestation a permis de créer une « base de confiance minimale, malgré les désaccords et les tensions, entre des gens qui à priori n'ont pas du tout les mêmes pratiques politiques ».

En revanche, le 21 novembre soit un jour avant une manifestation organisée à Nantes contre la répression policière après la mort de Remi Fraisse, l'ACIPA (Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d'Aéroport) publie un appel intitulé : « La non-violence... est un sport de combat- Appel pour la constitution de « blancs-blocs »1. Cet appel dénonce la présence de « casseurs » lors des manifestations et de policiers déguisés dans les Black-Bloc, l'utilisation de la violence comme épouvantail par l'Etat pour délégitimer la contestation et la division artificielle qu'il effectue entre non-violence et violence. Il appelle les manifestants à filmer toute violence commise, éloigner les personnes violentes et se vêtir de blanc. Le site zad.nadir a publié une réponse à ce communiqué qui permet de comprendre la divergence idéologique entre les opposants à l'aéroport. Dans ce communiqué2, les auteurs qualifient de « thèse complotiste » l'idée de policiers déguisés dans les Blacks-Blocs. De plus ils contestent la responsabilité des casseurs dans l'origine des violences policières. Pour ces auteurs, ce sont les forces de l'ordre qui sont les seules responsables du degré de violence employé. Enfin, ils rappellent qu'aucun « supposé casseur » n'a jamais empêché un individu non-violent de manifester. Ils concluent en soulignant l'importance de la « complémentarité des formes de lutte » dans l'opposition à l'Etat.

Finalement, s'il ne semble pas exister trop de questionnement vis-à-vis de la légalité de la lutte, la question du recours à la violence reste l'une des problématiques majeures. Nous allons voir dans le chapitre suivant que si les zads refusent d'être définies strictement et placées dans des catégories, elles partagent certains principes communs qui les rendent singulières.

1 « La non-violence... est un sport de combat - Appel pour la constitution de « blancs-blocs », acipa-ndl.fr [en ligne], le 21 novembre 2014 ; URL : https://www.acipa-ndl.fr/actualites/lettres-ouvertes-tribunes/item/461-la-non-violence-est-un-sport-de-combat-appel-pour-la-constitution-de-blancs-blocs [réf. 15 mai 2016].

2 ZADIST, « Des policiers déguisés en pacifistes ? [Une réponse à « La non-violence est un sport de combat...], zad.nadir.org [en ligne], le 28 novembre 2014 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article2790 [réf. 10 mai 2016].

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