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La dynamique du discours nationaliste au Gabon.

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par ADIELA BOUSSOUGOU KASSA
Université Omar Bongo - Master de sociologie 2016
  

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Chapitre III : Entre nationalisme et le multiculturalisme.

Le colonialisme entant qu'entreprise ethnocentriste s'accompagne de l'imposition de l'État moderne. Cet Etat doit à son tour, nécessairement procéder à la fabrication d'une identité nationale et donc par l'homogénéisation, fût-ce par la contrainte symbolique ou physique, de l'hétérogénéité et des configurations complexes des sociétés africaines.

Or, la différence étant une donnée indubitable et l'ethnicité préexistant la colonialité, il devient donc logique que les populations africaines n'entendent subir passivement ce processus. Elles y résisteront et opposeront pour cela différentes attitudes face à l'État. « Certaines, notamment dans les sociétés islamiques d'Afrique de l'Ouest, mettront en oeuvre des stratégies dites « exit options », consistant à se soustraire à sa domination, en se ménageant des espaces d'autonomie, voire en se constituant en contre-sociétés. D'autres, comme les Kikuyu au Kenya, joueront au contraire la carte de l'ethnicité comme mode d'accès à l'État et à ses richesses »205.

C'est donc ce contexte de forte détermination du fait ethnique que l'Etat moderne doit se construire, en fédérant donc la pluralité ethnique et tout en reproduisant, la hiérarchie entre les peuples, jadis établit par le racialisme.

Au-delà donc de la morphologie ou des modalités de leur expression, l'intelligibilité des mobilisations ethniques se saisit par le concept d'opposition, opposition à l'État, centre politique s'identifiant à la nation homogénéisante. Réfraction, en effet, les acteurs se définissent toujours en référence à cet héritage qu'imbrique, l'essence même de la distinction dans la précolonie et l'expérience coloniale de la hiérarchie des races.

Pour penser cette durabilité des dispositions, Bourdieu introduit le concept d'hystérésis de l'habitus. Ce concept cherche à désigner le phénomène par lequel un agent, qui a été socialisé dans un certain monde social, en conserve, dans une large mesure, les dispositions, même si elles sont devenues inadaptées suite par exemple à une évolution historique (révolutions, crises, etc.) ayant fait disparaître ce monde.

Un exemple, souvent repris, bien que se référant à un personnage de roman, permet d'illustrer ce phénomène : celui de Don Quichotte. Chevalier dans un monde où il n'y a plus de

205 René Otayek, op.cit.p.3.

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chevalerie, et inapte à faire face à l'effondrement de son univers, il en vient à chasser les moulins à vent qu'il prend pour d'immenses tyrans.

Ainsi, le passage de l'État colonial à l'État postcolonial ne marque aucune rupture en la matière. Certes, l'heure est à la construction de la nation, objectif proclamé des élites qui héritent des rênes du pouvoir. La stigmatisation du tribalisme associée à la délégitimation des appartenances ethniques est au coeur de la rhétorique politique officielle totalement vouée à l'exaltation de l'unité nationale et du développement. Les Pères de la « nation », conscient « peut-être », de l'illusion identitaire vont tenter, diront-nous, de placer la confrontation politique « exclusivement au niveau des idées »206, et « tourner le dos, à la violence physique aux luttes tribales et claniques »207.

Relativisant ce propos que nous tenons d'une oraison funèbre, pour montrer les luttes, non sans ethnicité qui vont aboutir à la construction d'une communauté de destin par les Pères de la Nation, car ne dit-on pas en pays Bantu, « le mort n'est jamais mauvais »208.

La compétition pour le pouvoir s'en trouve donc exacerbée et la mobilisation ethnique s'avère être l'instrument privilégié des acteurs engagés dans cette lutte, parce qu'elle fait sens, qu'elle est opérationnelle et facilement manipulable.

Si nous avons remarquées les homologies structurales entre les concepts ethnie et nation entre autres, nous devons être en mesure de distinguer dès lors, malgré l'aspect tautologique, l'« ethnonation », avec le sens de micronations ou des nationalités mises en exergue par Nze-Nguema ; de la « nation moderne » ou de l'Etat-nation, même si nous voulons nous éloigner de la conception d'un Etat-nation, selon les théories de Renan, car le recoupement de l'État et de la nation est loin de correspondre à la réalité. Les États regroupent souvent plusieurs nations et une nation peut relever de plusieurs États.

Allons-en, à la définition de la nation proposée par Renan : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en

206 V.P. Nyonda, « Oraison funèbre à Jean Hilaire Aubame » in F.P. Nze Nguema, op.cit, p. 222.

207 Ibid.

208 Sagesse Punu, mais commune à plusieurs peuples Bantu. D'ordre éthique, il s'agit à travers ce dicton de se garder de rappeler les vices d'un défunt, et vice-versa, d'en évoquer exclusivement les valeurs. La démarche sociologique implique de relativiser cet énoncé de l'oraison funèbre dédié à J.H.Aubame pour analyser proprement les faits, quitte à le valider dans nos conclusions.

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commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. » 209

De l'analyse de l'assertion de Renan, on peut déduire, dans le contexte africain et gabonais, les deux types de nation que nous évoquions supra. Et la nation ethnique ou ethnonation dont la référence principale peut être rattaché à la notion de communauté chez Tönnies ; et la nation moderne qui elle, est une référence à la philosophie du contrat social.

Poursuivons : « ...La nation comme l'individu, est l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dénouements (...). Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. »210.

Or, « la manipulation du sentiment ethnique, nous dit Otayek, est possible du fait de l'existence d'un récit identitaire qui fonde l'unité du groupe ethnique, en façonne la mémoire collective en reliant le passé au présent et confère à l'identité revendiquée, la légitimité de la longue durée historique. Ce récit raconte le mythe des origines, la geste des héros fondateurs et décline les symboles, rituels et pratiques collectives qui distinguent le groupe des autres. Sa fabrication ou plutôt, sa réinvention passe par le recours à la tradition. Peu importe que cette tradition réinventée, bricolée, manipulée corresponde ou non à la vérité historique ; l'essentiel est qu'elle en présente toutes les apparences et s'impose comme l'unique régime de vérité »211.

Comment saisir, dès lors, les corrélations entre les nations ethniques, multiples sans cette historicité commune évoquée supra et la Nation moderne du contrat social, à pourvoir d'un destin commun ?

L'argumentaire qui suit, tente de cerner les corrélations entre les nationalités au sein de l'Etat postcolonial, leurs ambigüités dans la nouvelle configuration de l'organisation politique, ensemble, qui démontre des balbutiements, « errements » avons-nous dit, d'un jeune Etat qui doit contre son gré, compter avec sa pluralité nationalitaire, pour construire une communauté de destin.

209 Ernest Renan, Qu'est-ce qu'une nation ? Editions Mille et une nuits, novembre 1997, n°178, pp.31-33.

210 Idem.

211 R. Otayek, op.cit.

Section I : Une citoyenneté improbable

Des nationalités, c'est-à-dire des micronations ou encore de l'ethnonationalisme, le Gabon doit passer à la gabonité, à la Nation moderne ou à l'Etat, qui confère aux acteurs le statut de citoyen. Evoquer la citoyenneté dans le Gabon postcolonial consiste à décrire le processus de la construction de l'Etat au Gabon. Cet Etat est en effet une construction, dont le présent, doit composer avec le passé pour son futur.

Entre l'hétérogénéité inhérente à la précolonie et la raciologie du colonialisme, mettant tour à tour, les différences au coeur souvent des relations de pouvoir, les micronations doivent se moderniser pour former, à la manière du modèle jacobin, une Nation. Cependant, nous avons énoncé supra, que la mutation des organisations sociales précoloniales, si l'on nous permet ce distinguo, en organisation politique à travers notamment les royautés et les empires, n'ont pas freiné la conscience d'appartenance tribale. A contrario, ces superstructures seront une raison de se remémorer les infrastructures communautaires, en développant quelques formes, diront-nous primaires, de tribalisme, dont l'intelligibilité mettra parfois, au centre des querelles, les privilèges (terre, pouvoir, etc.)

Des questions subsistent alors : « Gabon d'abord », tiers, symbolisant cette modernité nationalitaire fait-il sens, à l'aube de l'Etat postcolonial ? Les nationalités multiples présentes sur le territoire dit Gabon se reconnaissent-ils en l'autorité de l'Etat ? Sur quel substrat construire une communauté de destin ? Enfin, qui doit gouverner ce jeune Etat ?

Cette nouvelle donne met à contribution, comme le remarque Nze-Nguema trois protagonistes : l'administration coloniale, les populations gabonaises et les ressortissants africains212. La section suivante tente de mettre en lumière, les complicités perverses entre la racialité coloniale, le retour aux formations sociales précoloniales et leur reproduction dans l'Etat postcolonial.

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212 Nze-Nguema, op.cit. p.64.

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1. L'intégration des nationalités et la construction de l'Etat

La construction de l'Etat au Gabon eut d'abord à faire face à l'intégration des nationalités. Or, cette construction aboutit à la dissolution du multiple dans l'Un. Qu'en est-il la formation de l'esprit étatique ? Il est, par essence, la mise en jeu d'une force centripète, laquelle tend, lorsque les circonstances l'exigent, à écraser les forces centrifuges inverses. L'État se veut et se proclame le centre de la société, le tout du corps social, le maître absolu des divers organes de ce corps. On découvre ainsi, au coeur même de la substance de l'État, la puissance agissante de l'un, la vocation de refus du multiple, la crainte et l'horreur de la différence. À ce niveau formel où nous nous situons actuellement, on constate que la pratique ethnocidaire et la machine étatique fonctionnent de la même manière et produisent les mêmes effets : sous les espèces hérités de la civilisation occidentale et son État se décèlent toujours la volonté de réduction de la différence et l'altérité, le sens et le goût de l'identique et de l'un.

Comment, dès lors faire entorse aux canons précoloniaux d'organisation politique, pour embrasser la modernité démocratique ; alors que « nombre de nationalités au Gabon ne reconnaissent de prééminence véritable qu'au géniteur, au père, au sens large »213 et ce, du fait de sa double médiation, en tant qu'il est « représentant de la communauté lignagère et l'intermédiaire entre celle-ci et les ancêtres »214 ?

Nze-Nguema remarque en effet, qu' « avant le XIXème siècle, on ne fait mention nulle part au Gabon d'une quelconque organisation politique ou administrative susceptible de préparer l'édification de l'Etat »215. L'aspect proprement centralisateur de cette machine étatique apparaît dans sa tendance à « nationaliser » les populations hétérogènes conquises et soumises au Léviathan, en les contraignant à célébrer en priorité le culte du « Gabon d'abord ».

Aussi, cette construction ne se heurte-t-elle pas enfin, du fait de la nécessité, de la « transmutation de la contestation contre l'ordre colonial »216, dont l'aboutissement devrait, normalement, intégrer le « Gabon d'abord » à un « nationalisme de substitution217 ».

213 Ibid. p.47.

214 Ibid.

215 Ibid. p. 55.

216 Ibidem, p.56

217 Ibidem, p. 61.

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L'assimilation qui traduit cette transmutation institutionnalise les partis politiques. Ces derniers ne vont pas se dérober de la tyrannie du clan. Les « dérobades » nous enseignaient déjà, les difficultés des coalitions entre les races, dans leur réaction à l'ordre colonial. En effet, celle-ci se caractérisaient par l'affirmation d'une conscience d'appartenance groupale voire clanique. « La volonté de protéger sa nationalité l'emporte, affirme Nze-Nguema, sur la nécessité de fusionner les énergies de lutte au niveau de tout le territoire »218.

Ainsi, « La mise en forme idéologique des projets », va arborer la centralité de l'Etat, notamment avec les rivalités inter-nationalitaires Pongwè-Fang, caractéristiques, en réalité d'un « nationalisme de substitution »219.

Les élites, traditionnelles ou modernes et, par ailleurs « évolués » ont les compétences nécessaires à la fabrication du récit ethnique ; ce sont donc elles, ayant entretenues des liaisons avec l'administration coloniale, qui s'imposeront comme entrepreneurs identitaires autorisés et mettront le fait ethnique au service de leurs stratégies d'accès au pouvoir et aux richesses. Il va s'agir, dans cet élan, du rejet des structures homogénéisantes de la colonialité. En réaction au « comité provisoire de gérance » de la race, Pongwè, la « société de secours mutuel pour la race Fang » va naître, car ces derniers, « n'acceptent, n'accepterons jamais d'être commandé par les premiers »220.

En marge de l'idéologie des Pères fondateurs dont les prétentions se donne pour mission de construire la nation, leurs actions, sont paradoxalement investi par les logiques ethniques. Et si, le parti unique trouve une justification entre autres, par sa présentation comme l'instrument nécessaire à l'accomplissement de la cohésion nationale, sa réalité, du fait de l'autorité que l'Etat revêt devient, lui-même, le répertoire d'action privilégié de l'ethnicité.

La lutte supposée contre l'ethnisme et le tribalisme est alors, dans un contexte de lutte pour le pouvoir, « le prétexte à la marginalisation ou, pire, à l'élimination de concurrents qui présentent une menace pour l'hégémonie du ou des groupes dominants » 221.

L'illustration patente est le cas de la République centrafricaine où la succession de chefs d'État (Jean Bedel Bokassa [1966-1979], David Dacko [1960-1966 puis 1979-1981], André Kolingba [1981-1993], Ange-Félix Patassé [1993-2003], le général Bozizé jusqu'en

218 Ibidem. P. 44.

219 Ibidem. p.56.

220 Ibidem. P.57

221 R. Otayek, op.cit. p.4.

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2012 et les récentes mutations ; s'est régulièrement traduite par la mainmise sur l'État du groupe ethnique ou du clan de celui qui était au pouvoir. « La frontière...la région stratifiée et surdéterminé de l'adhérence » va être, l'idéologie via lequel, « le sujet collectif considère à tort ou à raison comme zone stratégique où se joue son destin »222.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire