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La dynamique du discours nationaliste au Gabon.

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par ADIELA BOUSSOUGOU KASSA
Université Omar Bongo - Master de sociologie 2016
  

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Section II : Le nationalitarisme et la lutte pour le pouvoir d'Etat

Le nationalitarisme est au coeur de la structuration idéologique des clivages dès la mise en modernité du Gabon. L'étape préliminaire d'une construction nationale sur les bases racistes va aussi pourvoir les fondements idéologiques des partis politiques dans la lutte pour le pouvoir d'Etat.

L'identité non plus gabonaise, est promue, en guise d'idéologie sous le prisme des joutes électorales. La promotion de la différence du « nous », en référence à l'altérité supposée en opposition avec ce « nous » constitue le substrat des clivages entre les partis politiques. Custodio Gonçalves affirmait en 1986, que la solidarité ethnique continue de jouer en Afrique dans tous les milieux « modernes » et « semi modernisés », au niveau de la composition des partis politiques, des nominations au sein du secteur administratif, du secteur des services, du commerce, etc.230. Nous nommerons, ce recours à la fibre ethnique pour les enjeux de pouvoir, l'ethnostratégie.

L'ethnostratégie peut être, à notre sens définit, comme une stratégie identitaire recroquevillée sur le groupe ethnique entant qu'entité d'abord différente des autres qui constitue, avec lui, son univers social et ensuite, dans son rapport au pouvoir, une ressource pour la mobilisation politique. L'ethnostratégie se situe dans une spirale d'affinités avec les théories multiculturalistes, mettant sans cesse en crise, les démocraties.

Fille des théories multiculturalistes qui postulent que l'Etat, le droit et les politiques publiques, s'ils se veulent véritablement démocratiques et équitables, doivent aller au-delà de la neutralité, de la tolérance et de l'impartialité libérale usuelle, afin de promouvoir activement la reconnaissance et la célébration des différences. Ces théories sont souvent sous-tendues par deux types d'arguments :

Le premier argument est philosophique et Charles Taylor en est le principal tenant. Il soutient que contrairement à ce qu'assume un libéralisme « désincarné », prétendant s'appuyer

230 A.C. Gonçalves, « Différences culturelles et identités ethniques », Revista da Faculdade de letras-geografia, I Série, Vol. I, Porto, 1986, p. 46.

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sur la seule raison pour rejoindre l'universel, notre identité personnelle ne se construit qu'au sein de communautés et de relations communautaires. D'où, la nécessité de les prendre en compte, de les reconnaitre et de les protéger.

Le second, d'ordre éthique, soutient que l'acceptation des différences singulière est d'autant plus souhaitable qu'il serait logiquement impossible de faire autrement. Chaque groupe épouserait des valeurs et des pratiques valables de son point de vue et il n'existerait pas de point de vue permettant de juger de la supériorité et/ou de l'infériorité de telles ou telles valeurs ou pratiques culturelles.

Si l'on peut reconnaitre la morale de ces théories érigées en réaction contre l'évolutionnisme social en l'occurrence, il faut signaler aussi que la mise en pratique de telles analyses, on conduit non seulement à la reconnaissance des droits culturels, mais aussi et encore à l'idée de citoyenneté différenciée et à la reconnaissance des droits à des groupes et pas seulement aux individus. Par exemple, son application relative à l'aménagement des politiques publiques sur les minorités tendent à corroborer implicitement, en réactualisant la dialectique supériorité/infériorité de certains groupes par rapport à d'autres. Aussi, les conflits identitaires observés urbi et orbi, présentent sans doute le revers de ces politiques.

Quelques critiques méritent encore d'être soulignées. Contre la thèse philosophique, on rappellera, tout en admettant la part de vérité qu'elle contient, l'individu ne se réduit pas à une seule appartenance. Les identités sont « caractérisées par l'hétérogénéité et la fluidité : chaque individu apparait doté de plusieurs qui agiront de manière différenciée en fonction des contextes »231.

Aussi, la seconde thèse déboucherait sur des terribles relativismes, tout à fait dans l'esprit du temps, mais fort contestables : relativisme de la vérité, des valeurs. La définition sous-jacente qu'on peut alors donner à l'Etat multiculturel se résume, comme une collectivité supérieure à celles qui le compose. Par ailleurs, elle s'interdirait, elle-même d'imposer le droit, qui d'après tout n'est qu'une forme de culture. Raymond Boudon érigera alors à l'endroit du relativisme des valeurs une critique des plus élémentaires : si la tolérance est une valeur, elle ne peut pas être remise en cause par sa propre conséquence, c'est-à-dire, tolérer l'intolérance.

231 M. Gazibo et C. Thiriot, La politique en Afrique : états des débats et pistes de recherche, Paris, Karthala, p.110.

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En Afrique, plusieurs crises politiques ont mis au jour des conflits du fait souvent de l'ethnostratégie. La difficulté d'élaborer une identité fondée sur un bagage commun est une problématique qui menace les jeunes démocraties africaines postcoloniales. L'adhésion des citoyens issus d'espaces culturels différents à un patriotisme semble se présenter comme une épineuse question.

Le Gabon, n'est pas exempt des manifestations subséquentes aux comportements politiques ethnostratégiques. Un enquêté observe, à ce propos « un certain repli identitaire du côté des leaders politiques au sein de leurs formations politiques respectives ».

Les partis politiques et la géopolitique du pluralisme culturel, entant qu'usages de ethnostratégiques font l'objet de cette section.

1. Les partis politiques et la tyrannie du clan

La sociologie des partis politiques en Afrique est un cadre pertinent pour saisir l'intelligibilité du discours nationalitaire. En effet, les partis politiques au Gabon se fondent sur l'ethnostratégie, faisant de la nationalité, le substrat idéologique sur laquelle repose l'adhésion des membres et ce ; depuis la mise en modernité du continent par son contact avec la « civilisation ».

La clientèle électorale est, par une relation de causalité directe, rattachée à la gestation des partis politique au Gabon. Le marché de l'économie politique moderne consacre les échanges entre confiance d'une part et promesse d'autre part.

La confiance, dans cette économie politique, peut-elle être faite en dehors du clan? Considérons que « la principale catégorie historique, n'est pas le souvenir, c'est l'espoir, c'est l'attente, la promesse »232, que peut contenir une promesse, sinon la gloire, voire le retour à l'histoire glorieux ou la défense des intérêts de la communauté.

Les lieux lignagers vont sans ambages, servir de réservoir, de matière première pour la ressource humaine des partis, la mobilisation partisane, la structuration des représentations et des comportements politiques. Le leader politique au Gabon est une reproduction, de l'évolué jadis chef coutumier ou commis de l'administration coloniale. « Parmi les « indigènes », on fait

232 Hegel, cité par Nze-Nguema, op.cit. p.45.

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des « sujets » et parmi les « sujets », on fait, d'une fraction, des « citoyens », une élite-ce qu'on a appelé les « évolués » par opposition aux « immobiles ». Ce sont ces citoyens qui, à leur tour, vont prendre un héritage : l'Etat colonial. »233

La mise en modernité politique du Gabon se fait autour de trois partis. En effet, par ordre de création, l'on citera primo, l'Union Démocratique et Sociale du Gabon(UDSG) créé en 1947 par J.H. Aubame. Le rassemblement, la promotion des principes démocratiques et l'idéal socialiste se veulent au fondement de cette formation politique. Or, il n'est en réalité pas exempt de la tyrannie du clan, du fait qu'il est assimilé à un parti de la race Fang. D'ailleurs, son leader ne s'émancipera jamais du Congrès Pahouin de 1947 à Mitzic.

Ensuite, le Bloc Démocratique Gabonais fondé en 1953 Ngoudjout est de loin, le seul parti qui regroupe plusieurs sensibilités ethniques. En effet, son urbanité étend sa « clientèle », de Libreville jusqu'à Port-Gentil, en passant par le Moyen-Ogooué. Il regroupe, les non seulement les Fang du Sud (Estuaire et Moyen Ogooué), mais aussi, les Myènè qui se reconnaissent plus ou moins en Léon Mba. Son brassage et son « melting-pot » inter-ethniques, lui confère a priori, une tendance au multipartisme, à l'esprit critique, etc. à un ensemble de facteurs en marge de l'ethnie234.

Enfin, le Parti de l'Union Nationale (PUNGA) de R.P. Sousatte est fondé en 1958. En dépit de ce que conclurait une analyse purement nominaliste, il s'agit plutôt pour le PUNGA de la défense des intérêts de la race Punu et par extension, aux peuples du Sud. S'il s'illustre en l'occurrence, par son opposition lors du référendum organisé par De Gaule en 1958, il n'en demeure pas moins que le PUNGA est relégué au statut d'un « parti d'appoint »235.

En réalité le poids de l'identité ethnique sur les partis et sur l'échiquier politique nationale renvoi particulièrement à l'interface Pongwè-Fang. Bipolarisation d'antan, réactualisée à travers l'opposition BDG-UDSG. Si c'est plus « le racisme que la conscience »236 qui détermine le scrutin du 31 mars 1957, c'est Léon Mba, qui est confirmé comme leader du BDG et de la scène politique locale. C'est à son profit, que les faiblesses de l'ethnostratégie dont la consistance, trouve l'appui au sein principalement de la tribu des candidats (Aubame et Issembe) que les suffrages seront capitalisés.

233GEMDEV, op.cit. p. 326. 234Nze-Nguema, op.cit. , p. 67.

235 Idem.

236 Nze-Nguema, op.cit. p.69.

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Cette élection est une révolte à l'ordre coloniale, principal théoricien de la supériorité des Pongwè, mais aussi, révolution contre une science qui établit la parenté de l'Egypte pharaonique avec la race Fang, la dotant ainsi, d'une supériorité idéologique sur les autres peuples237. Memêl Fotê évoque, à propos de ce suffrage universel, « un moment de rupture » qui engage « la Loi-Cadre dans le système colonial français »238. Le melting-pot du BDG garantit donc son succès. C'est l'ancêtre du Parti Démocratique Gabonais (PDG) contemporain.

L'émergence du PDG s'opère en 1967, à l'aube du décès de Léon Mba. Une transition pacifique voit arriver, à la tête du Gabon, Albert Bernard Bongo. Cette période est aussi marqué par la législation du monopartisme qui va cesser d'être le monopartisme de fait, tel qu'observé après le coup d'Etat ourdi contre Léon Mba quelques années plus tôt. Pour Emmanuelle Nguema-Minko, « en dehors du PDG qui a toujours affirmé son envergure sur le plan national, les militants de tous les autres partis sont généralement de la même famille, du même clan, de la même ethnie que leur leader politique »239.

La contemporanéité des partis politiques au Gabon reproduit l'ethnisme dans son action. Harris Memêl Fotê questionnait déjà le lien entre les « évolués » et la reproduction de l'assujettissement après les indépendances. « Ceux qui dans le système colonial, étaient déjà « citoyens » s'opposent désormais aux « évolués citoyens » ; les deux catégories s'opposent aux autres « sujets », aux « indigènes ». Le spécimen ici, c'est Senghor, c'est Houphouët-Boigny. Ils s'approprient tout l'héritage de cette période, à travers les partis dominants ou les partis uniques. Alors en même temps se met en place un autre processus : en même temps que le parti unique confisque les avantages de la période protodémocratique, se met en place une hiérarchie interne fondée sur la suprématie d'une ethnie »240.

L'énumération de Nguema Minko nous semble illustrative de la « tribalisation des partis politiques au Gabon. Le MORENA, le premier parti de l'opposition gabonaise, comptent comme principaux leaders, des acteurs de nationalité Fang. A la suite d'un malentendu « idéologico-financier » selon Nguema-Minko, une scission sera opérée dans le parti, pour donner naissance à plusieurs autres partis. M. Mebalé crée le RDR pour son voisinage ; A. Nguema Ondo crée le MORENA Unioniste, pour sa famille, Nzoghe-Nguema crée le

237 Nze-Nguema, op.cit.

238 GEMDEV, op.cit.

239 E. Nguema Minko, « La géopolitique du pluralisme culturel au Gabon : stratégies de longévité au pouvoir et techniques gouvernantes clientélistes », in Enjeux, N° 37, 4ème trimestre 2008, p. 249.

240 Idem.

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MORENA calebasse « pour son quartier Lalala » et Nze Memine hérite de son Bitam et du MORENA originel à la mort d'Oyono Aba'a241.

Le Rassemblement National des Bûcherons(RNB), de Mba Abessole et d'André kombila, va se diviser au prorata des leaders et de leurs ethnies. Respectivement Rassemblement Pour le Gabon(RPG) pour l'électorat fang et Rassemblement National des Bûcherons Démocrates (RNBD) pour l'électorat punu et bilop. D'autres partis, le PGP et L'UPG et le PSD en l'occurrence, ne sont pas exempt de la tyrannie du clan242.

Les élections au Gabon donnent généralement lieu à des invocations et convocations de l'identité ethnique dans les discours des candidats. Rappelons-nous qu'en 1994, au pire moment de la crise sociopolitique au Gabon, Jean-Boniface Asselé, Ministre de la République gabonaise appellera à la création d'une « république du Haut-Ogooué-Lolo ». Trouvons par ailleurs, chez Matsiegui Mboula un exemple idéal-typique du discours nationalitaire.

Il s'agit d'un Ministre de la République, Louis Gaston Mayila qui présente son parti en 1996 aux élections législatives et locales. « (...) Vous les Gisir êtes ingrats ! Les Punu, les Fang, les Myénè, les Kota... ont leur(s) parti(s) politiques et moi j'ai créé un parti politique qui a pour ambition de rassembler tous les Gisir afin de restaurer le crédit et la dignité de notre groupe tribal dans la vie politique gabonaise. Je suis le seul Gisir qui porte la voie de notre tribu sur le plan politique national. Sans moi le peuple Gisir sombrerait dans l'anonymat et les autres groupes tribaux ou ethniques à qui nous n'avons rien à envier nous domineraient. Je vais rendre au peuple Gisir les honneurs qui lui reviennent de droit. Lorsqu'en 1995 vos enfants furent interpellés c'est moi qui les sortis de prison. Et au lieu d'être des prisonniers à cause des émeutes dont ils furent acteurs, je fis d'eux des fonctionnaires de police. Soyez reconnaissants et à ce titre je vous demande d'installer à la tête de vos institutions politiques des représentants de mon, de votre parti. Si vous laissez d'autres partis politiques, entités d'autres ethnies, diriger l'Assemblée départementale en territoire Gisir vous aurez vendu Mandji aux étrangers ! Votez pour le candidat de notre parti et Mandji restera aux mains des Gisir (...) »243

Entre 2009 et nos jours, plusieurs évènements, plus récents que l'on peut lire sous le prisme du discours nationalitaire vont se produire. Et si l'on s'en tient à la configuration des

241 Nguema Minko, op.cit.

242 Ibid.

243 Louis Gaston Mayila, cité par Matsiegui Mboula, op.cit. p.233.

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résultats de l'élection présidentielle d'août 2009, on peut conclure d'un vote ethno-orienté. D'après le commentaire de cet enquêté, publié sur la plateforme participative du média en ligne Gabon review, « Pour la plupart, les Fangs étaient derrière Mba Obame parce qu'il est Fang, il ne faut pas le nier, les Mériés étaient derrière Mamboundou parce qu'il est Mérié, au Haut-Ogooué et Ogooué-Lolo, c'est Ali Ben qui garantissait la conservation des privilèges de vote ».

Désiré Ename, un journaliste du quotidien Echos du Nord rapporte que la campagne présidentielle qui s'ouvrit le 15 août 2009 fut émaillée d'actes tribalistes dans les provinces du Haut-Ogooué et de l'Ogooué-Lolo. « Un cadre altogovéen passera sur les antennes de la télévision publique pour déclarer ouvertement qu'aucun candidat fang ne devait mettre les pieds dans le Haut-Ogooué. En Ogooué-Lolo, précisément dans les communes de Koula-Moutou et de Lastourville(...), des banderoles portant le message «Tout sauf Fang (TSF) « » étaient clairement visibles dans les principales artères (des deux villes)»244.

Signalons en passant que le journal Echos du Nord porte comme par enchantement et par hasard, l'empreinte d'une région, province et par extension d'une nationalité. L'on peut s'interroger, à partir de cet exemple, à travers une enquête, les choix des quotidiens d'information et les clivages ethnopolitiques. Si nous avons abandonné une enquête qui devait nous permettre l'élaboration des corrélations ethnie/lecture, du fait des problèmes éthiques suscités par les statistiques ethniques245 ; nous pouvons toutefois émettre l'hypothèse d'une orientation ethnopolitique des lectures par les acteurs. La lecture des quotidiens d'information est donc ethnocentrée. Cependant, cette variable ne suffit pas pour comprendre ce phénomène sans intégrer le facteur politique. Ce clivage n'est-il pas à l'origine de la parution récente, en guise de réaction, supposons-nous, à tort ou à raison, de l'hebdomadaire La tribune du grand Sud.

La « déclaration aux relents tribalistes de Michel Ogandaga », Conseiller du président de la République et membre du Bureau politique du PDG qui pointe les Fang comme Les Fleurs du mal du PDG ; qui depuis cette même période enregistre des démissions des hauts cadres : « ...même si la traîtrise de nombreux militants PDG du Woleu-Ntem ne surprend personne, cette province a toujours été le bastion du judaïsme, antichambre du salafisme. Aussi, pour mettre fin à cette saloperie, le grand ménage doit être fait maintenant dans le PDG. Je demande

244 L'article en ligne peut être consulté sur cette URL : http://i241.ga/921

245 A cet égard, lire Dominique Schnapper, in Actes du Colloque Statistiques «ethniques», organisé le 19 octobre 2006 par le Centre d'analyse stratégique (CAS).

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donc des sanctions ferme (sic) et immédiates contre ces ordures : exclusion illico presto du PDG, limogeage manu militari de toute fonction officielle, suspension à vie de tout revenu, salaire, pension, retraite etc.»246 L'hebdomadaire d'informations générales L'Aube, publiera en Une, le « titre provocateur »247 « Tuez-les tous », dans son numéro 11, du lundi 27 janvier 2015, avec photos à l'appui, présentant une liste d'hommes et de femmes, tous issus de la nationalité Fang, « en attente d'exécution » diront nous, en reprenant l'hebdomadaire. (Voir annexes).

Cette « boutade » et la récupération politique qu'elle a suscitée ont renforcé, à n'en point douter, les représentations ethniques du groupe fang et les cristallisations entre ce groupe et les autres nationalités.

Les obsèques d'André Mba Obame, un opposant au régime dont il était lui-même issu ont donné lieu à une des plus importantes mobilisations ethniques. La veillée mortuaire de ce « Fang à abattre » selon l'hebdomadaire L'Aube, au siège de l'Union Nationale va donner lieu à une récupération tribale de la mort d'un des « leurs ». La « langue de passe » était le dialecte du groupe ethnique de l'opposant. Cependant, la motivation qui mobilise et fait sens, à travers ces faits, imbrique la nationalité aux enjeux de pouvoir. Il n'est pas rare d'entendre la conscience populaire penser que « les Tékés devaient, doivent et devraient restituer le pouvoir au Fang, selon la volonté de Léon Mba »248. Aussi, faut-il rappeler que pour les populations du Nord du Gabon, Mba Obame était le « Président de la République élu »249.

Matsiegui Mboula nous démontre d'ailleurs que l'ethnie est un pouvoir mobilisable. Pour ce dernier, « la mobilisation des foules au nom de l'ethnie est une démonstration de force. Elle permet d'évaluer la capacité d'une telle interprétation à deux niveaux. Pour ceux chargés de réaliser le projet ethnique, il s'agit de rendre compte de la force mobilisatrice des signifiants ethniques qu'ils mobilisent, de l'emprise qu'ils leur procurent sur l'ensemble culturellement « idéologisé »250. A l'égard d'autres ethnies, enfin chacune a le souci de paraître organisée, structurée et forte. La psychologie des groupes ethniques est alors celle des individus qui la dirigent et agissent en son nom »251.

246 Jean Marie Ogandaga, propos publié sur son compte Facebook, le 31/01/2014 à 07h : 44 :46 consulté le 08 Mars 2015, sur www.gaboneco.com

247 Selon ASMP, auteur de cet article sur www.gaboneco.com

248 Propos d'un enquêté recueillis sur www.gaboneco.com

249 Sur une banderole, lors de ses obsèques à Oyem, capitale du Woleu-Ntem, nous lisions une inscription alléguant le titre de Président de la République à « AMO ».

250 Matsiegui Mboula, op.cit. 243,248,

251 Ibid. p. 254.

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Une objectivation ou une revalorisation du sens commun ne nous permet-il pas d'affirmer que Mba Obame était dans l'imaginaire collectif des peuples Fang, « le Président » par lequel, le projet ethnique consistant à « récupérer le pouvoir que Léon Mba à donner à Bongo et que les Téké devraient restituer au Fang » devait se réaliser ?

L'ethnie est donc cette communion entre les membres d'un groupe ethnique. La sauvegarde de l'ethnicité au sein de l'ethnie, comme du reste dans toute institution, nécessite une cohésion interne, une harmonie qui puisse faire converger les coeurs et les actes dans une direction unique, celle de l'horizon de l'idée oeuvre.

La réalisation de cet idée oeuvre, idée force, ajouterons-nous, doit puiser nécessairement dans la synergie qui rend efficiente, l'agir ethnique. A « la communication doit s'ajouter la communion des âmes et des corps, car c'est dans la communion que le contact direct s'installe et que chacun vit en lui-même l'objet de la quête. La communion serait de ce faut le principe spirituel de l'ethnicité »252.

« Au niveau empirique, l'existence de l'ethnie tient à une double communion : celle des hommes entre eux d'une part, et celle de ces derniers avec l'idée oeuvre d'autre part. Ainsi mobilisés à leur industrie, les membres de la communauté ethnique forment une chaîne d'ouvriers se confondant avec sa production. En effet, le produit de l'activité ethnique n'est pas extérieur à l'ethnie elle-même. L'Ethnie produit l'homme ethnique et la communauté qui lui correspond. L'Ethnie est par conséquent sa production. Le produit est le devenir ethnique de chacun et du groupe ; autant dire que l'ethnie se produit elle-même. La communion serait alors le mode de production ethnique. »253

L'histoire de l'opposition gabonaise est faite d'ailleurs de tentatives de dépassement du cadre ethnique, et de retour à la communauté ethnique, lors des grandes échéances électorales, où se dessinent, à n'en point douter, le dessein des idées oeuvre divergentes et « inconciliables ». Le repli identitaire participe de ce jeux de va et vient des leaders politiques, non émancipés encore de la tyrannie du clan, dans un contexte démocratique.

Enfin, on peut affirmer que ce jeu contribue à surseoir, à chaque fois, la « transition » électorale, enjeu proclamé des discours des leaders politique de l'opposition. Il va sans dire que gagner une élection dans ce contexte, présuppose de transcender ces frontières pour embrasser

252 Dominique Etoughe Mba, cité par Matsiegui Mboula, op.cit. p. 257.

253 ibidem

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la totalité des sensibilités ethniques. Cette question capitale est au centre des débats dans l'opposition, tel que nous rapportent les médias. Il porte en l'occurrence sur la problématique d'une candidature fang pour l'opposition, lors de l'élection présidentielle de 2016254.

C'est « peut-être » là, la clé des succès répétés, qui confèrent au PDG son hégémonie. Car, si le compte rendu des usages de l'identité ethnique nécessite de les appréhender, sous le prisme des stratégies de pouvoirs, une stratégie opposée à l'ethnostratégie, peut sembler opératoire et faire sens dans les luttes électorales. C'est ce que Matsiegui Mboula nomme la géopolitique, c'est-à-dire, au sens de Thual, où elle désigne, « le partage de l'espace politico-administrative en fonction de l'appartenance tribalo-régionale »255. Il s'agit autrement dit, de la distribution des portefeuilles ministériels entre autres, dans le quasi respect des équilibres régionales et ethniques.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams